Sexy World

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Hétéro, érotique, romance, science-fiction, réalité virtuelle.

Résumé : Mais qu’est-ce qui lui a pris d’accepter de participer à ce fichu test ? Frédérique savait bien, pourtant, que les Réalités Interactives, ces divertissements nouvelle génération qui manipulent vos neurones et vos sens, n’étaient pas pour elle. Si elle a accepté, c’est pour Lionel, le beau programmateur dont elle désespère d’attirer l’attention. Être propulsée en tête à tête avec lui dans un monde virtuel spécialement conçu pour être le théâtre de tous les fantasmes, voilà qui promettait d’être l’occasion idéale pour tenter un rapprochement. En théorie. Parce qu’en pratique, elle se retrouve toute seule, perdue au beau milieu de ce qui s’annonce être une immense orgie, le tout dans un état d’excitation très troublant. Il faut vraiment qu’elle retrouve Lionel…

Roman sorti aux éditions Harlequin. Toute la première partie (20%) de ce roman est publiée ici, en accord avec l’éditeur. Profitez-en pour le découvrir ! Si vous aimez les réalités virtuelles et les scènes sexy, cette histoire est pour vous.

Sexy World

Quand son supérieur eut fini de formuler sa demande, Frédérique dut appuyer sa pile de cartons contre l’étagère à côté d’elle pour ne pas la faire tomber.

– Mais… pourquoi moi ? lança-t-elle avec une expression d’incompréhension.

André lissa la barbe fine qui recouvrait son menton, comme s’il réfléchissait à une manière de lui présenter les choses.

– Parce qu’il faut un joueur féminin, commença-t-il. Tu sais que ça fait partie des paramètres que va prendre en compte le système.

– Oui, bien sûr, mais…

– De toute façon, vu le projet, c’est plus cohérent.

– Euh, hésita-t-elle. Oui, enfin…

– Écoute, trancha-t-il en levant la main, je ne te force pas. Jusqu’ici, les programmateurs ont toujours fait les premiers tests eux-mêmes, mais ce coup-ci, il n’y a pas le choix : il faut deux personnes et deux personnes de sexes différents. Et tu sais bien qu’il n’y a pas de femme parmi eux…

Comme il ne disait plus rien, elle inspira avant de lâcher un profond soupir.

– Mais pourquoi de deux sexes différents ? insista-t-elle. Je veux dire : même pour un test ? C’est obligé ?

André lâcha un petit rire avant de répondre.

– Si ça marche, on étendra bien sûr le système aux personnes du même sexe, mais là on essaye déjà de voir si le système fonctionne. Ce sera la première fois que deux personnes différentes se trouveront dedans ! Et qu’elles pourront interagir l’une avec l’autre ; c’est extraordinaire !

Vu la complexité des démarches juridiques et des dépôts de brevets qu’elle avait à gérer à ce sujet, elle était bien placée pour le savoir. André poursuivit :

– Pour commencer, il a été paramétré pour un couple hétérosexuel. Il faut considérer qu’on en est encore aux premiers essais.

Frédérique fit la moue. Bien qu’il ait déjà prononcé ces mots auparavant, André ne pouvait rien dire de moins rassurant que « premiers essais » : l’un comme l’autre de ces mots suscitaient en elle une inquiétude incontrôlable. Elle reporta son attention sur les étiquettes des étagères et commença à ranger ses cartons aux bons emplacements.

– Et pourquoi pas Catherine ? tenta-t-elle soudain. Ou l’une des filles de l’accueil : Sophie ou Marie-Agnès…

– On le leur a déjà demandé.

– Et elles ont dit quoi ?

– Elles n’ont pas donné leur réponse pour l’instant. Ceci dit, comme elles ne sont pas célibataires, je ne sais pas si elles seront d’accord.

Frédérique se tourna brusquement, estomaquée.

– Ne me dis pas qu’il est censé se passer quoi que ce soit entre les deux testeurs ! Qui est l’autre d’abord ?

– Mais non ! Enfin, Fred, ce n’est qu’un test !

André riait, comme si elle venait de dire une énormité… Elle pinça de nouveau les lèvres en une mimique boudeuse.

– Certes, reprit-il, l’application est pour la Saint-Valentin, mais c’est juste pour le test : personne ne va vous demander de vous embrasser ou de faire quoi que ce soit de déplacé. Tu sais bien comment ça marche : un cadre, un rendez-vous, une découverte des lieux et des activités… c’est tout. Et, pour répondre à ta deuxième question, c’est Lionel qui a décidé de s’y coller.

La grimace de Frédérique fut déjà moins dubitative. Pour le coup, le « rien de déplacé » lui parut presque dommage finalement. Elle rangea son dernier carton et s’appuya d’une main à l’étagère.

– Je peux te donner ma réponse plus tard ? Je sais que tu vas me dire que ce n’est pas risqué, mais ça me stresse quand même. Tu sais que je ne suis encore jamais entrée dans une réalité interactive – et je sais que ça fonctionne bien, hein ? – mais l’idée d’être la première personne à essayer un nouveau programme de RI qui, en plus, fait interagir deux personnes…

Elle souffla avant d’ajouter :

– Le tout pour une histoire de Saint-Valentin…

Le silence qui suivit exprima mieux que des mots à quel point ce que lui demandait André la dépassait.

Celui-ci sourit.

– Tu sais bien que s’il y avait le moindre risque, les programmateurs ne demanderaient jamais à un autre membre de l’entreprise de jouer au cobaye, argumenta-t-il.

Fred accueillit sa remarque d’une mine peu convaincue. Ça faisait cinq ans qu’André et elle bossaient ensemble et, bien qu’il soit monté en grade récemment pour passer sous-directeur, ils avaient gardé suffisamment de complicité pour qu’elle se permette de rester sincère avec lui. Il reprit finalement la parole :

– Bon, pas de souci. Je comprends tes réticences et je ne te demande pas de répondre tout de suite, de toute façon, Lionel a encore des réglages à faire donc tu peux prendre le temps de réfléchir. Ceci dit, il voudrait quand même faire un premier test avant la fin de la semaine. Du coup, il va falloir que ça aille vite. Tu pourras me donner ta réponse genre… après-demain au plus tard ?

Frédérique se figea, les yeux écarquillés.

– Euh… Oui, balbutia-t-elle finalement en levant les mains dans un geste de reddition qui ne masqua rien de son agacement.

– Parfait.

Puis il tourna les talons.

À peine André eut-il quitté la pièce que Fred laissa tomber sa tête vers l’avant, dépitée.

Certes, la réalité interactive ne présentait pas réellement de risques, elle le savait. Tout le monde trouvait ça génial et elle aussi, mais uniquement tant qu’elle pouvait rester à son poste de juriste et observer cette merveille de technologie de loin. Sa boîte fonctionnait impeccablement, elle gagnait plus que bien sa vie, les gens venaient de toute l’Europe pour tester les nouvelles réalités interactives de Realistica et son entreprise vendait même ses programmes sur les autres continents. Là-dessus, il n’y avait rien à dire. Tous les clients ressortaient plus que satisfaits – pour ne pas dire « extasiés » – et les expériences étaient apparemment si réalistes que personne ne paraissait choqué par le fait que l’appellation « réalité interactive » ne correspondait en fait en rien à une quelconque réalité : c’était le contraire même. Mais, en ce qui la concernait, le simple fait d’essayer la paniquait ! Elle n’avait simplement pas envie qu’on se branche sur son système nerveux, pas envie qu’on implante des courants électriques dans ses neurones, et sûrement pas envie de se retrouver dans un monde que seuls ses nerfs assimileraient comme existant. L’aspect intrusif de cette technologie la dérangeait énormément et, quoi que puisse en dire André, le fait que les programmateurs tiennent systématiquement à tester d’abord eux-mêmes les nouvelles créations avant de faire appel à des cobayes extérieurs montrait bien qu’elles n’avaient rien d’anodin.

Et, en même temps, elle devait reconnaître que l’idée de passer du temps en tête à tête avec Lionel dans un décor de Saint-Valentin prévu pour être le summum de l’expérience interactive ne lui aurait pas déplu. Et puis, pourquoi ne pas faire ce petit effort pour arranger tout le monde ? Elle aimait bien André, elle aimait bien son taf, elle… « aimait bien » aurait été un euphémisme pour parler de Lionel : elle bavait sur lui chaque fois qu’elle le croisait dans les couloirs et elle avait une fâcheuse tendance à minauder bêtement les rares moments où il levait le nez de ses ordinateurs pour bavarder avec elle. Pour ce qui était de savoir si elle serait une crétine de refuser de vivre une telle expérience avec quelqu’un comme Lionel, objectivement comme subjectivement, il n’y avait pas trop de doute. Concernant la réalité interactive… c’était un autre problème.

Elle soupira avant de sortir son portable d’un geste nerveux et de regarder l’heure. Non seulement elle n’aurait jamais le temps d’abattre la masse de travail qui lui restait, mais, avec cette histoire, elle ne savait même plus où elle en était. Dépitée, elle repartit vers le couloir, l’esprit envahi de questions.

***

Lorsqu’elle regagna son appartement, il faisait déjà noir dehors. En ces heures d’automne, la nuit tombait tôt et les phares des voitures dessinaient de longues traînées rouges et jaunes le long du bitume de sa rue. Elle n’alluma pas, se contentant des lueurs colorées que la ville projetait sur ses murs, et jeta son manteau sur son canapé avant de balancer ses chaussures dans l’entrée. Puis elle se servit une tasse de thé et étendit les jambes sur sa table basse tandis qu’elle ouvrait son ordinateur portable sur ses cuisses. Rapidement, elle consulta ses e-mails. Quarante-sept non lus… Un de ces jours, elle devrait absolument faire le tri dans ce qu’elle recevait. Elle se connecta aux réseaux sociaux et vit immédiatement qu’elle avait reçu un message privé de sa sœur :

Salut, Fred !

Je monte sur Paris le week-end prochain, tu seras là ?

Elle porta sa tasse à ses lèvres, appréciant la chaleur de son breuvage. Sa sœur était toujours en train de vadrouiller à droite et à gauche et, même si elle passait toujours la voir en coup de vent, Fred l’adorait et se faisait systématiquement un plaisir de l’accueillir. Elle reposa son thé pour pianoter sur le clavier.

Encore besoin de squatter chez moi ?

Elle but une gorgée. Le message suivant ne se fit pas attendre. Mélinda était une accro de son smartphone.

Bien deviné, Mathias veut absolument tester la nouvelle RI de Realistica. Il paraît qu’on peut aller dans la Rome antique ???

Eh oui, tout était possible dans le monde magique de Realistica… Mélinda et Mathias avaient beau habiter à deux heures de Paris, ils ne résistaient jamais bien longtemps à quitter leur campagne pour venir essayer les nouvelles créations de sa boîte. Elle fit de nouveau courir ses doigts sur le clavier.

Oui, ils ont aussi ajouté l’Égypte et la Grèce dans la catégorie « Antiquité ». C’est tout neuf et paraît-il que c’est très bien.

Mel réagit au quart de tour.

Et tu n’as toujours pas testé ?

Fred sourit. Ça l’amusait souvent de converser avec Mélinda par message privé. Il leur aurait été aussi aisé de s’appeler au téléphone, mais Fred appréciait la distance et la praticité du clavier d’ordinateur.

Non. Tu me connais. Ça ne me dit pas…

Dis plutôt que ça te fait flipper.

C’est ça.

Elle accueillit avec une caresse son chat qui sauta à ce moment-là sur son canapé. Elle ajouta ensuite, dans une pulsion :

Enfin, ça risque peut-être de changer.

Mais elle effaça son message avant de l’envoyer. Lourdement, elle reposa la nuque sur le dossier du canapé. Elle ne savait pas en fait… Peut-être que Sophie ou Catherine donneraient leur accord avant elle et la question serait réglée. Elle était incapable de décider si elle préférerait que ça se passe ainsi ou si elle aurait des regrets. C’était vraiment une mauvaise blague que Lionel se soit porté volontaire pour le test. Elle grattouilla les oreilles de son chat, avant de se décider à écrire :

Je t’ai parlé de ce mec de mon service, qui bosse sur les programmations ?

La réponse de Mélinda ne se fit pas attendre :

Lequel ? Celui sur lequel tu craques ? Si oui, tu m’en as déjà parlé, je confirme !!!

Un petit sourire se dessina sur ses lèvres. Mel avait le don de la taquiner toujours juste là où il fallait. Elle corrigea :

Ouais, enfin, je ne craque pas TOTALEMENT sur lui non plus, hein ? Disons qu’il est plaisant à regarder.

Le smiley « clin d’œil », pas dupe pour un sou, que lui envoya sa sœur, l’amusa de nouveau.

Bref, le département conception a créé une nouvelle RI, pour la Saint-Valentin… Et ce sera lui qui va la tester, mais ils ont besoin d’une femme pour l’accompagner.

La réponse de sa sœur arriva aussitôt.

Ouahou !!! Ne me dis pas qu’ils te l’ont proposé ? Une toute nouvelle RI ! Pour la Saint-Valentin ! Et tu vas être la première à la tester !!!

Tout sauf la réaction que Fred aurait voulu voir, quoiqu’elle s’y soit attendue, venant de sa sœur. De toute évidence, même le sujet « tête-à-tête avec collègue inaccessible en temps habituel et honteusement sexy » ne valait pas tripette devant celui de « nouvelle expérience de RI ». Sex-appeal de l’expérience interactive : 1 ; Lionel : 0. Sa sœur continua :

Mais, mais, ça veut dire que, ça y est, le système dont tu m’as parlé pour y entrer à deux est fonctionnel ? Mais c’est incroyable !!!

Pour sûr que ça l’était !

Et vous pourrez, genre, vous toucher ? Vous entendre ? Interagir l’un avec l’autre ???

Fred cessa de caresser le chat. Elle tapa rapidement sur son clavier :

Normalement, oui. Enfin, personne ne dit que ça sera vraiment possible, ou que ça marchera correctement non plus, hein ? Ça ne va être qu’un test. Et, si ça se trouve, ça ne fonctionnera pas. Et…

Après un temps d’hésitation, elle laissa tomber son envie d’exprimer ses peurs et se contenta de cliquer sur « envoi ».

Mais enfin, quand même, ouahou ! Tu vas être la première à vivre ça ! Je n’arrive pas à y croire tellement c’est fou…

Sûr…

Fred n’aurait pas pu se sentir plus seule avec les craintes qu’elle éprouvait. Elle passa les doigts sur son front.

Bon, allez, à ce week-end. Tu me diras quand vous venez.

Puis elle éteignit son ordinateur portable et le posa sur la table. De lassitude, elle se laissa tomber sur le canapé et s’y allongea.

Au bas de sa rue, les voitures allaient et venaient, projetant des lumières qui glissaient sur les murs de son appartement, et leurs moteurs créaient un ronflement familier. Ses paupières se fermèrent tandis que ses pensées dérivaient. Des images y apparurent, des situations, des scénarios… Malgré l’angoisse qu’elle éprouvait, toutes les histoires que tissait son esprit quant à cette expérience avec Lionel se révélaient d’une profonde ambiguïté. Elle soupira longuement et posa la main sur sa poitrine, effleurant les pointes douces de ses seins à travers ses vêtements. Le visage tourné de côté, elle sentait sa poitrine se lever et se rabaisser doucement, dans un rythme régulier.

Alors que ses songes s’orientaient vers une sensualité plus débridée, elle fit courir ses doigts sur son corps, caressant son ventre, puis les laissa rejoindre la chaleur accueillante de son entrejambe où ils se nichèrent, chassant le stress de la journée en le remplaçant par quelque chose de plus doux et de plus apaisant.

***

Le lendemain matin, Fred fut surprise de voir la tête de Lionel passer par la porte de son bureau.

– Salut. Je peux entrer ?

Elle baissa la liasse de documents qu’elle était en train de lire.

– Bien sûr.

– Je viens te voir pour le projet « Saint-Valentin », lui expliqua-t-il en avançant. Tu sais ?

– Oui… J’ai vu André hier. Il m’a dit que vous cherchiez quelqu’un.

– C’est ça.

Lionel posa les mains sur son bureau et prit une longue inspiration comme s’il cherchait comment lui présenter les choses. Fred se raidit, nerveuse. Lorsqu’il releva les yeux sur elle, elle se sentit troublée. Le fait que ses pensées nocturnes aient tout eu du petit Kama Sutra illustré avec lui n’était pas là pour l’aider en même temps. Elle anticipa ce qu’il pourrait dire en prenant la parole :

– Je sais que vous avez besoin d’un membre de sexe féminin…, reconnut-elle en s’enfonçant dans le cuir de son fauteuil, prenant ainsi une légère distance avec lui. Mais cette histoire de test me stresse.

Elle le fixa dans les yeux.

– Tu sais que je ne suis même jamais entrée dans une RI ? poursuivit-elle.

– Je sais, confirma-t-il avec un sourire marquant son amusement.

Le fait que Fred puisse bosser dans ce domaine sans avoir jamais fait l’essai d’aller elle-même dans une réalité interactive était un sujet de boutade régulier, au travail. Pas une réunion de service ne se passait sans qu’il y soit fait allusion et ça faisait longtemps qu’elle avait pris l’habitude de se faire charrier à ce sujet.

Il reprit une expression plus sérieuse et fixa quelques secondes ses mains.

– André m’a dit que tu avais peur. Je le comprends, il n’y a pas de souci à ce sujet. Après, tu sais, ce ne sera pas comme si tu devais y être seule : je serai là. C’est moi qui ai le plus bossé sur ce programme, je le connais comme ma poche. Je gérerai.

– Je sais, mais…

Elle passa les doigts dans ses cheveux en un geste las. Lorsqu’elle replongea dans le regard de Lionel, elle dut batailler pour ne pas lui montrer à quel point il la perturbait. Elle se demanda également s’il était allé voir ainsi tous les membres féminins de l’établissement ou si elle avait droit à un traitement de faveur.

– J’aimerais beaucoup que tu acceptes, insista-t-il.

– Je…

– Allez…, poursuivit-il dans un sourire désarmant.

– Bon, OK ! capitula-t-elle avec un rire nerveux. OK, OK. Il est prévu pour quand, ce test ?

– Cet après-midi ?

– Déjà ?!

Elle avait eu à peine le temps d’accepter qu’elle commençait à le regretter.

Lionel lui répondit d’un haussement d’épaules assorti à une mimique amusée. Elle inspira profondément.

– Eh bien… soit !

– Super ! Alors, va pour cet après-midi. Je vais prévenir les autres et on passera te chercher quand tout sera prêt.

Puis il repartit vers le couloir, l’abandonnant sur le « on » qu’il avait employé et qui lui laissa la désagréable sensation de s’être fait avoir.

Elle mordilla quelques secondes son stylo. Puis elle se leva brusquement.

– Lionel ! cria-t-elle une fois qu’elle fut dans le couloir.

Il se retourna.

– Je…

Elle hésita mais n’osa pas revenir sur l’accord qu’elle venait de lui donner ; la gêne la paralysait, ses mots restaient coincés dans sa gorge, comme les nombreuses fois où elle avait voulu tenter d’avoir avec lui plus que des rapports professionnels.

– C’est censé durer combien de temps, au total ? se décida-t-elle finalement à lui demander. Parce que j’ai beaucoup de choses à faire.

– Ce sera aussi du boulot, tu sais, lui lança-t-il avec une expression bienveillante.

Elle pencha la tête de côté en faisant la moue.

– OK. Je comprends. Eh bien, écoute, euh…

Il posa la main sur l’arrière de son épaule dans un temps de réflexion.

– Une fois dans la RI, ça devrait durer dans les deux heures, mais en temps réel, il ne se passera guère que cinq minutes. Ça, c’est défini. Par contre, les préparatifs seront plus longs que d’habitude. Du coup, je dirais… une demi-heure ? Tout compris, temps réel. Ça t’ira ?

Fred considéra mentalement ses dossiers en cours.

– D’accord, je me libérerai. Vers quelle heure ?

– Disons entre 14 heures et 15 heures. Ça sera bon ?

– Oui.

Elle tapota une seconde sur le montant de la porte.

– Oui, ça ira, répéta-t-elle.

Puis elle retourna dans son bureau, anxieuse, pensive et, d’une manière inattendue, curieusement fébrile.

Quitte ou double (2)

Chapitre 2

Un bruit de plastique crépite non loin de son oreille, mais il n’en comprend la nature qu’un instant après. Le poids de Justin sur lui se décale légèrement et Matthias sursaute à la sensation froide qui enveloppe soudain son sexe bandé. Malgré tout, la lingette que son petit-ami utilise pour le nettoyer ne suffit pas à calmer ses ardeurs. Son orgasme n’a en rien soulagé sa tension à ce niveau ; le lent mouvement de bassin de Justin lui fait prendre conscience qu’il est déjà fin prêt à recommencer. Il écarte les cuisses pour permettre à Justin de se caler entre elles, mais il obtient l’effet inverse. La main sur son sexe le relâche, le corps se soulève et Matthias gémit sa frustration. Toutefois, il n’a pas le temps de geindre davantage : Justin joue de sa langue et de ses lèvres pour suçoter son gland. Alors, Matthias lève les bras au-dessus de sa tête et soupire d’aise, se cambrant pour inciter son petit-ami à le satisfaire sans le taquiner davantage. À nouveau, il est déçu et se redresse vivement sur ses coudes pour exprimer sa façon de penser à son bourreau. Ses arguments — sa colère, même — meurent au bord de ses lèvres quand il manque de percuter la tête de Toni. Soudain, Matthias ne ressent plus l’urgence entre ses jambes. Le contact de l’épaule de son ami contre la sienne et la main que ce dernier vient de poser sur sa hanche laissent entrevoir une perspective autrement plus palpitante. Cette proximité inédite l’étourdit autant qu’elle l’embarrasse.

— Tourne-toi.

Le son rauque l’enveloppe et il n’est pas certain de savoir qui lui a donné l’ordre. En revanche, son corps ne semble pas disposé à obéir : il se trouve bien où il est. Du bout des lèvres, Matthias découvre le cou de Toni. Sa clavicule. Sa pomme d’Adam. Quand il arrive à son menton, il ne se contente plus de chastes baisers : il lèche sa peau et trépigne à l’idée de sa langue contre la sienne. Une sorte de grognement et les doigts qui tirent sur son bassin le font sortir de sa transe.

— Mets-toi sur le côté.

C’est donc la voix de Toni qui prend des accents aussi graves. À contrecœur, Matthias s’exécute. L’espace d’un instant, il panique quand son ami descend du lit, mais Justin lui lance un petit regard moqueur avant de reprendre sa tâche précédente. Matthias ne peut que gémir en signe d’approbation maintenant que son petit-ami se fait pardonner son attitude de la plus délicieuse des manières. Lorsque les doigts lubrifiés de Toni viennent caresser son orifice, il hoquette de surprise. Plaçant un bras sous sa tête pour être bien installé, il se fait quasiment dorloter par les deux autres hommes. Justin le suce avec un plaisir évident tandis que Toni s’applique à détendre son muscle anal. Au vu de son excitation du moment, il doute que son ami ait fort à faire ; il est même tenté de l’inviter à le prendre sur l’instant. Toutefois, Matthias trouve agréable de les observer. C’en est apaisant et cela va peut-être lui permettre de tenir plus longtemps. Sa sérénité est rompue quand son regard accroche celui de Toni. Il n’est pas nécessaire de le connaître pour y lire de la pure concupiscence. Matthias l’a déjà vu draguer, quasiment faire l’amour sur une piste de danse ou même ressortir des toilettes d’un bar après avoir tiré un coup ; jamais, pourtant, il n’a vu cette intensité dans son regard. Savoir qu’il est celui — avec Justin ? — qui provoque cette réaction le rend fébrile. Une vague de chaleur le submerge et il sent ses testicules se durcir. Toute stimulation supplémentaire est à bannir s’il ne veut pas jouir dans la seconde.

— Vas-y, souffle-t-il à Toni, tout en tirant en arrière la tête de Justin.

Le premier ne se fait pas prier, ôte les doigts de son corps et prend appui sur sa fesse pour avancer son membre couvert à l’entrée de son orifice. Quant à Justin, il saisit son genou pour lui lever la jambe et embrasser l’intérieur de ses cuisses. À cet instant, Matthias ne peut se focaliser que sur le sexe qui le pénètre et la langue qui chatouille son aine. Quand Toni est entièrement en lui, Justin revient lécher la pointe de sa verge. Et lorsque celui-ci fait glisser ses lèvres pour l’avaler sur toute sa longueur, l’autre se recule de quelques centimètres pour revenir taper de son bassin contre ses fesses une poignée de secondes après. Les sensations sont trop extrêmes pour lui et le rythme a tout juste le temps d’accélérer que Matthias perçoit l’orgasme sourdre en lui. Demander à ses amants de ralentir pour qu’il puisse se retenir devient impossible et ses émotions débordent. Un coup de reins un peu plus prononcé et un de langue sur son gland trop sensibilisé et Matthias étouffe un sanglot en jouissant. Les mouvements en lui, sans se stopper, ralentissent et, malgré ses yeux humides, il constate que Justin s’essuie le visage de sa semence. La panique envahit alors Matthias. Pouvoir passer de l’extase à la catastrophe en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire est étonnant, mais il fixe tour à tour ses ami et petit-ami, cherchant à deviner ce qu’ils pensent de lui.

— Désolé… Désolé, Justin, je…, bégaie-t-il avant de tourner ses excuses vers Toni. Je tiens plus longtemps normalement. Je sais pas pourquoi aujourd’hui…

Ses propos incohérents sont interrompus par une morsure sur son mamelon. La douleur est brève, mais elle a le mérite de lui faire oublier momentanément ses craintes. Celle d’avoir agacé Justin qui n’apprécie en aucun cas les éjaculations faciales. Celle de paraître ridicule auprès de Toni à cause de ce manque d’endurance — surtout après avoir déjà joui quelques instants auparavant. Il retrouve un semblant de clarté dans ses idées quand le sexe de Toni s’échappe hors de lui :

— Non  ! Continue.

Malgré sa supplique, son ami secoue la tête et tend le bras vers le pied du lit. Matthias est affolé, mais Justin le plaque sur le dos et vient se placer à quatre pattes au-dessus de lui. Cette fois, Matthias redoute vraiment de l’avoir mis en colère. Le baiser lui coupe le souffle autant qu’il le surprend. Justin rompt leur embrassade aussi vite qu’il s’est jeté sur ses lèvres :

— Quelle honte, lui reproche-t-il, laissant Matthias perplexe.

— Je sais que je suis pitoyable. Tu m’aides pas vraiment, là.

— Tu rigoles ? Putain, c’est un des trucs les plus chauds que j’ai vus. Je pourrais m’habituer à te voir pleurer de plaisir.

— T’es dérangé.

— Peut-être, admet Justin dans un sourire avant de regarder par-dessus son épaule et de faire un signe de tête à Toni.

Matthias se penche sur le côté juste à temps pour voir un nouvel emballage de préservatif plonger vers le sol, puis entend le sifflement d’inconfort de son petit-ami. A priori, ce dernier n’a droit ni à une courte préparation ni à une pénétration en douceur. Matthias se demande si Toni est impatient à cause de sa frustration ou si c’est une façon de leur faire comprendre que sa présence n’est qu’une faveur pour Matthias. Celui-ci prend Justin en pitié et capture ses lèvres tout en passant une main entre eux pour aller le masturber.

Bientôt, la chambre est emplie des soupirs satisfaits des deux hommes et du bruit de leurs peaux qui claquent. Si Matthias n’est pas encore d’attaque pour se joindre à eux, il ne boude pas son plaisir. Du regard, il dévore le corps de Toni en pleine action, sans savoir s’il pourra un jour être rassasié de cette vision. Un peu jaloux de Justin qui supporte bien mieux que lui les assauts de Toni, il aime cependant sentir son petit-ami tremblant contre lui, l’embrassant à perdre haleine. La langue de celui-ci ralentit et il se recule, la bouche entrouverte et le souffle suspendu, puis pousse un râle, presque animal. Matthias sent le membre pulser sous sa paume et le sperme se répandre entre eux. Ils échangent un nouveau baiser, mais son autre poignet est saisi, ce qui le fait se détourner au bout de quelques secondes. Toni s’est rapproché et enroule leurs mains autour de sa verge. Elle est encore chaude d’avoir été en Justin, malgré la fine protection. Matthias laisse son ami imposer le rythme pour sa libération, fasciné par la façon dont leurs doigts s’entrelacent sur ce morceau de chair qu’il n’aurait jamais imaginé toucher. Matthias se penche de côté pour approcher son visage et Justin en profite pour venir lui faire un suçon dans le cou. Il ne se crispe qu’un instant, mais la pression involontaire de sa main a raison de Toni, qui n’évite de projeter sa semence sur ses joues qu’en s’appuyant contre les draps dès la première giclée.

Matthias peine à reprendre son souffle bien qu’il n’ait pas fait tant d’efforts ; son cœur cogne dans sa poitrine d’une cadence affolée. Justin se laisse rouler sur le côté et s’étire contre son flanc tandis que Toni s’étale à leurs pieds, en travers du matelas. L’ambiance enfiévrée semble se calmer à mesure que leurs respirations se font moins laborieuses et Matthias laisse la somnolence de la satisfaction l’emporter.

La torpeur lui permet de récupérer des forces sans pour autant négliger les présences qui l’entourent. Matthias perd la notion du temps, mais la brume dans laquelle baigne son esprit se dissipe. S’il est persuadé de ne pas s’être endormi, sa peau se couvre de frissons et il remarque que la nuit commence à tomber ainsi qu’ils ont tous trois retrouvé un souffle paisible. Au moins trois heures se sont donc écoulées depuis son arrivée. La réalisation de leur situation menace de balayer son calme, comme la vague de désir a brisé ses faibles résistances de départ. Savoir les deux autres si sereins après ce qu’il vient de se passer est assez perturbant ; Matthias ne saurait dire si c’est un signe de bon ou mauvais augure. Quand Toni lui chatouille les orteils, Matthias retient un rire nerveux et ramène les genoux vers le bord du lit pour se lever :

— Qui a soif  ?

— Laisse, j’y vais, l’arrête Toni.

Matthias veut insister, mais Justin l’a de nouveau attiré contre lui et promène les mains sur sa taille tout en léchant sa nuque. Sortir de la pièce aurait pu lui aérer l’esprit et il soupçonne les deux autres d’agir de la sorte afin d’éviter qu’il ne se sauve. Justin n’a aucun souci à lui vider la tête de toutes ces réflexions ; il le connaît trop bien et chacune de ses caresses vise ses points sensibles. Le dos contre le torse derrière lui, Matthias se détend et tourne la tête pour caler son visage dans le cou de Justin et respirer son parfum.

Du bout des doigts, son petit-ami frôle sa peau et Matthias ferme les yeux sous ce toucher léger. Il y a bien longtemps qu’il ne s’est plus senti aussi serein dans les bras de Justin. Il y a bien longtemps que ce dernier ne s’est pas montré aussi tendre avec lui. C’est un peu comme s’il redécouvrait le corps de Matthias. Celui-ci lève paresseusement un bras pour passer la main dans les boucles qui viennent lui flatter le front. Justin se penche à son oreille et sa respiration a un accroc : comme s’il voulait lui dire quelque chose, mais il s’abstient et préfère lui grignoter le lobe. Alors que les minutes s’égrènent, que les mains de Justin réchauffent son corps nu, la même scène se répète. Matthias sait qu’il y a un malaise derrière cette tentative chaque fois avortée de communiquer, mais il n’a pas envie d’y faire face dans l’immédiat. L’absence de Toni est soudain pesante et il prie pour un rapide retour. C’est d’ailleurs étrange qu’il s’éternise tant dans la cuisine.

— Toni  ! l’appelle-t-il.

Derrière lui, Justin se raidit et enfonce les doigts dans ses hanches. Un instant après, une troisième main vient prendre sa joue en coupe :

— Je suis là, lui souffle son ami. Je vous laissais juste un peu d’intimité.

Les appliques au-dessus de la tête de lit ont été allumées et Matthias fixe Toni avec surprise. Il n’avait même pas remarqué sa présence dans la chambre, mais sa rapidité à lui répondre prouve qu’il était tout proche. Sous une impulsion, il passe les bras autour du cou de Toni et le force à approcher son visage. Son ami ne se défend pas — ne prend pas d’initiative non plus. Ils ne sont plus qu’à un souffle de s’embrasser et Toni ne semble pas vouloir combler l’espace. Décider et assumer ce choix lui reviennent donc et Matthias hésite. Ce n’est pas l’envie qui lui manque, au contraire. Un peu plus tôt, si Toni ne l’avait pas distrait, il l’aurait fait sans même y penser ; cependant la chaleur des sens est quelque peu retombée. Et s’il cède et se penche, Matthias ne pourra plus prétexter s’être laissé entraîner par les deux autres. Le regard de Toni, obscurci par le désir, le fait craquer et, d’une simple pression de ses lèvres, il sent son univers basculer. Quand leurs langues s’enroulent, ses certitudes volent en éclat.

Justin passe un doigt le long de sa colonne, le griffant gentiment par endroits, tandis que Toni s’occupe de son ventre et de ses cuisses, ne faisant qu’effleurer son entrejambe. Matthias gémit dans la bouche de son ami ; il aime être au centre de leurs attentions et se cambre sous leur toucher. Il se complaît dans ce rôle d’intermédiaire. Justin et lui ne partagent pas un amant occasionnel : c’est lui qui se partage entre son petit-ami et son meilleur ami.

L’excitation renaît et son désir s’enflamme une nouvelle fois. Ses hanches reprennent vie, frottant son sexe à celui de Toni. Un râle rauque roule dans sa gorge, lui donnant l’impression de ronronner, quand Justin le pénètre de deux doigts et que Toni capture leurs verges dans son poing. Matthias a les yeux fermés, mais il ne doute pas que les deux autres ont trouvé un moyen de communiquer pour s’assurer une telle synchronisation. Il savoure les sensations qui le submergent. D’un côté, il est caressé doucement et embrassé avec l’hésitation et la passion de la nouveauté. De l’autre, il semble être marqué sur sa peau et dans sa chair par les dents et les doigts de son petit-ami, douleur exquise infligée par celui qui connaît son corps par cœur. Les stimuli sont efficaces et Matthias a depuis longtemps oublié qu’il pouvait se servir de ses mains autrement que pour s’accrocher au cou de Toni.

Toujours sans paroles, celui-ci et Justin s’accordent sur leur prochain mouvement et Matthias se laisse déplacer à l’envi. Il n’est plus qu’une vulgaire poupée de chiffon soumise à leur volonté et s’en trouve comblé. Justin s’assoit contre le mur, en haut du lit, et l’attire vers lui. Matthias s’avance à quatre pattes et honore la demande non formulée quand, de son pouce, Justin lui dessine le contour des lèvres tout en lorgnant vers son propre sexe. Alors, Matthias s’abaisse et prend conscience des différences entre son petit-ami et Toni. Il n’y a pas prêté attention plus tôt et songe vaguement qu’il va regretter de s’être précipité jusque-là. De sa langue, il humidifie le membre bandé, s’amuse à sucer et faire glisser entre ses dents la peau du prépuce, puis engloutit le pénis sur presque toute sa longueur, la toison blonde lui chatouillant le nez. C’est à ce moment qu’il s’aperçoit qu’il était trop focalisé sur ses sentiments contradictoires pour vraiment profiter des sensations. Il ne se souvient déjà plus du poids du sexe circoncis de Toni contre sa langue, de la douceur surprenante de son pubis rasé. Une exclamation de plaisir au-dessus de lui le ramène à l’instant présent et les mains flattant ses hanches et ses fesses lui rappellent qu’il peut encore se créer d’autres souvenirs plus précis.

Les baisers de Toni dans le bas de son dos et les mains de Justin qui jouent avec ses cheveux le distraient du gland qui fait pression sur son anus. Son muscle n’est plus si détendu, mais la mémoire du corps fait son œuvre et, bientôt, Matthias sent toute résistance s’effacer pour autoriser le membre engorgé à fondre en lui. La brûlure de la friction du latex est présente lors des premières poussées, puis s’estompe jusqu’à ce qu’il ne reste plus que le plaisir. Sans que Matthias ne parvienne à décider ce qui est le meilleur : sentir ses chairs s’étirer ou ce sexe se mouvoir en profondeur ? La pénétration rendue douce par le lubrifiant ou la force appliquée sur son bassin pour le garder immobile ? La satisfaction d’avoir une autre verge à sucer en rythme ou la frustration de ne pouvoir se soulager lui-même ?

La cadence de Toni s’accélère brusquement et Matthias ne peut plus poursuivre sa caresse buccale sans craindre de s’étouffer ou de donner un malheureux coup de dents. Il se redresse sur ses bras pour offrir davantage de résistance aux va-et-vient de son ami, mais aussi pour éviter de s’écraser contre Justin. Celui-ci se masturbe lentement et se penche en avant pour l’embrasser dans le cou. Matthias rejette la tête en arrière, permettant à son petit-ami d’accéder plus librement avec sa langue aux zones qui lui font du bien, tandis que derrière lui les coups de reins se saccadent. Prenant appui sur l’épaule de Justin, Matthias se relève presque à genoux et pose son autre main sur le haut de la cuisse de Toni ; il se régale de l’intensité de l’orgasme qui se prépare. Une poignée de secondes plus tard, son ami trouve son plaisir en lui et Matthias crispe les doigts sur cette peau en sentant le membre pulser contre ses parois.

Quand Toni se retire, il émet une plainte : la jouissance n’est plus très loin et il désespère d’être soulagé à la hauteur de son excitation. Maintenant que le poids et la chaleur de son ami ont disparu de son dos, Justin le fait basculer en arrière pour continuer l’exploration de sa clavicule puis de son torse. Matthias ne peut nier combien ces attentions sont agréables, toutefois il préférerait une action plus directe au sud de son anatomie. D’un coup de hanches, il tente d’interpeller l’un des deux hommes sur son urgence du moment, mais il ne s’attire qu’un clin d’œil malicieux de Justin. Qui a décidé de le priver de toute possibilité de chercher Toni du regard puisqu’il se hâte de revenir lui sucer la langue tout en le forçant d’une main à abaisser les paupières. Matthias commence à regretter que Toni et Justin aient enfin trouvé un terrain d’entente à son détriment. D’habitude, ils se considèrent avec défi et ne s’estiment pas vraiment, mais il semble que le mettre au supplice ait réussi à créer un lien entre eux.

Justin le libère à temps pour que Matthias voie son ami faire couler du lubrifiant au creux de sa main. Cela lui permet d’éviter un sursaut trop brutal quand son amant déroule un préservatif sur son sexe, puis que Toni entreprend d’y étaler le produit. Il se cambre pour l’encourager à poursuivre son œuvre en une caresse moins superficielle. Cependant, son ami glisse ses doigts de son gland à son ventre, le laissant une fois de plus aux portes de la délivrance. Il veut se rebeller, mais Justin saisit ses poignets et les bloque au-dessus de sa tête tandis que Toni prend appui sur son torse et vient s’agenouiller autour de sa taille. Matthias se calme aussitôt, son intérêt soudain décuplé par la perspective. Néanmoins, il ne s’interdit pas quelques mouvements de bassin contre les fesses de Toni pour montrer son impatience et est récompensé par un haussement de sourcil allumeur.

Après quelques instants à tâtonner pour trouver une position confortable, Toni s’assoit sur son sexe et Matthias profite d’être pleinement en lui, avant de le sentir se soulever à nouveau. La prise sur ses poignets se desserre et il remarque que Justin a repris sa masturbation silencieuse. De la part de son petit-ami, une telle discrétion est presque inquiétante et Matthias craint de l’avoir trop négligé jusqu’alors. Il glisse un bras entre ses genoux et, d’un doigt, s’amuse à frôler la peau sensible de son périnée. Son initiative lui récolte quelques murmures appréciateurs. Encouragé, il s’enhardit à tourner autour de l’orifice de Justin. Les gémissements sont plus sincères et Matthias retourne son attention vers Toni, rassuré. Celui-ci a les paupières plissées sous l’effort et se mordille nerveusement la lèvre. Matthias sait qu’une pénétration juste après un orgasme est une souffrance exquise et voir son ami sautiller sur ses hanches — lutter contre le besoin de se reposer — n’attise que d’autant plus son désir. Il remue le bassin de manière à augmenter l’amplitude des allées et venues ainsi que la force avec laquelle il prend possession de Toni. Soudain, la jouissance le rattrape et Matthias ferme les yeux. Sans le prévenir, il introduit deux doigts en Justin et le spasme en réponse lui confirme que cela a suffi pour le faire céder au plaisir. Lui-même ne cherche plus à se retenir et la vague de bien-être se propage jusque dans ses aines avant de se déverser en courts jets dans le corps qui l’a accueilli. Le poids de Toni se pose sur sa poitrine tandis que celui de Justin fait pression contre lui. Des lèvres s’emparent des siennes et il répond au baiser mécaniquement, sans chercher à savoir lequel l’embrasse, lequel le débarrasse de la protection souillée ; il n’aspire qu’à succomber au sommeil qui semble vouloir engourdir tout son être. Et, peut-être, plus tard, profiter encore.

Ainsi sombre la chair – P’tit Ju (partie 2)

J’étais toujours agacée et j’éprouvais aussi une sorte de besoin de sombrer… curieusement majorée, soudain, par le trouble que j’éprouvais. Un instant, je songeais même à aller au bout de ma démarche de délitescence en leur demandant de l’héro, pour dire, mais c’était vraiment juste une idée stupide, comme ça, qui avait vocation à mourir à peine avait-elle surgi dans mon esprit. Je ne l’aurais pas fait. J’avais toujours esquivé les drogues dures, jusque-là, et il était hors de question que j’y touche.

– Ça va ? me demanda Chris.

Je recrachai longuement la fumée.

– Oui.

Loïc se tenait toujours allongé, avec sa queue tendue, et Chris s’était assis sur la table basse. Je me demandais ce qu’il pouvait y avoir entre eux. Je veux dire… C’était des potes, c’était évident, mais quel genre de mec se faisait des plans à trois avec son meilleur ami, comme ça ? Même si tous deux n’avaient pas de contact physique, il y avait forcément une ambigüité qui ne pouvait pas être ignorée.

Je ne trouvais pas ça anodin, en tout cas.

Je tournai la tête vers Chris.

– Tu veux que je te suce ? dis-je.

Ce n’était pas tant que je ne voulais pas que Loïc recommence à pousser ma tête sur sa queue, c’était que je voulais m’occuper de Chris. Et aussi que je pensais me sentir moins mal à l’aise, dans cette configuration. Loïc, lui, saurait s’occuper de moi – ou s’occuper de lui, via moi – durant ce moment. Et j’avais besoin de reprendre la maîtrise de ce qu’il se passait. De retrouver de l’assurance.

– Oui.

J’inspirai une dernière taf puis lui tendis le joint. Et je m’approchai de lui pour déboutonner son jean. Il se laissa faire. Il fumait, toujours assis sur la table basse, pendant que je m’occupais de lui. Cool, la vie. Je pense que j’étais vraiment une fille adorable. Je sortis son sexe, que je trouvai vraiment joli, plutôt large et long, mais pas trop non plus. Juste assez pour être tentant. Et j’attrapai une nouvelle protection pour le couvrir avant d’en lécher le bout. Je sentis au changement de poids derrière moi que Loïc se relevait. Il vint à côté de mon visage et regarda ce que je faisais. Je levai les yeux sur lui. Je m’appliquai à sucer doucement le sexe de Chris, sans pour autant l’enfoncer dans ma bouche aussi profondément que me l’avait fait Loïc, laissant l’excitation de cet acte glisser en moi… et me remplir toute entière. Et les expirations longues de Chris, ainsi que la manière dont il touchait mes cheveux, ma joue, m’indiquaient qu’il appréciait ce que je lui faisais. Chris finit par passer le joint à Loïc. Au bout d’un moment, ce dernier réclama :

– A mon tour.

Je tournai le visage vers lui pour le voir avec sa verge tendue vers moi. Elle était vraiment dure et droite. Ça me plaisait de voir que je lui faisais un tel effet. Ça me plaisait aussi de passer de l’un à l’autre, comme ça. Cette alternance. Je levai les yeux sur son visage et lui écartais mes lèvres. Il vint lui-même entre elles, mais sans aller trop loin, cette fois. Me laissant aussi mener le jeu. Mine de rien, il retenait les leçons. Mais la situation ne m’en excita pas moins. Mon entrejambe était trempé, mon corps fébrile d’envie, et quand Chris me caressa les seins en même temps à travers mes vêtements, mon bas-ventre se contracta dans une tension autant chaude que délicieuse qui me fit crisper les doigts sur les fesses de Loïc et l’attirer plus profondément en moi.

On avait monté en intensité et le changement d’attitude de Loïc, le regard de Chris sur moi, le contact ses mains… Tout m’excitait.

Tout me troublait, aussi, avec toujours ce sentiment curieux d’avoir enfilé, avec eux, une peau dans laquelle je ne me reconnaissais pas tout à fait.

Je finis par libérer ma bouche de sa queue et tourner le regard vers Chris.

Sa main se posa sur mes lèvres, les caressant du pouce.

– Tu veux encore me sucer ?

Tu « veux », pas tu « peux ». Pas tu « vas ». Pas comme Loïc.

– Oui.

J’en avais envie, oui.

Je le fis.

Ça me plut vraiment de la sentir en moi, avec sa différence de forme et de longueur. La manière dont Chris caressa mon visage, aussi, représenta un contraste. Je ne pouvais ignorer leurs singularités réciproques, et je le pus encore moins quand Loïc intervint :

– Tu peux y aller plus fort.

Je crus un instant qu’il s’adressait à moi, mais il parlait à Chris.

– Ça ira, répondit celui-ci.

– Elle aime ça, insista Loïc.

Chris confirma :

– J’ai vu, oui.

Ça me perturba… Pas seulement à cause de leurs mots, bien que cette vision commune, à mon sujet, avait de quoi me troubler. Les entendre parler de moi, ainsi, alors que j’étais juste là, le faisait autant. Je fus sortie de l’acte, du coup.

Je relevai la tête.

– Tu as envie que je te prenne plus loin dans ma gorge ? demandai-je à Chris, songeuse.

Il réagit d’une nouvelle caresse sur ma bouche.

– Comme tu le veux…

C’était doux.

Chris ne me poussait pas mais ne me retenait pas non plus et, finalement, son attitude ne m’interloquait pas moins que celle de Loïc. Peut-être parce qu’il semblait voir au-delà de la façade que je lui offrais, toucher cet autre « moi » que j’aurais préféré garder enfoui, hors de leur atteinte. Je ne savais pas.

Je me rassis sur le canapé, un peu perdue mais le gardant pour moi, et je réclamai le joint. Loïc fuma encore plusieurs tafs en me fixant, comme s’il me sondait – et il me sondait, il n’y avait aucun doute à avoir là-dessus – avant de me le donner. Je le saisis enfin. Tandis que j’inspirai, Chris me demanda :

– Pourquoi est-ce que tu fais ça ?

J’eus une fraction de seconde durant laquelle je me demandais à quoi de référait ce « ça », avant de voir : pourquoi je venais chercher du cul ainsi chez Loïc, pourquoi je le laissais me parler ainsi, pourquoi je ne réagissais à l’évocation d’une fellation plus profonde qu’en lui demandant s’il en avait envie…

La question qui devait sortir à un moment donné, probablement.

Je haussai une épaule. Je n’avais pas de réponse à lui donner, ou rien de simple : rien que je puisse expliquer sans y passer une heure, sans reprendre de trop loin, trop dire. Et je refusais de leur confier quoi que ce soit à ce sujet, de toute façon.

– Parce que ça m’excite.

Au moins, était-ce sincère. Je n’avais pas envie de mentir non plus.

Je fumai de nouveau.

– Parce qu’elle veut que tu la baises, dit Loïc à Chris.

Et il plongea dans mon regard, avec cette lueur dans les yeux qui disait à quel point il savait qu’il m’avait comprise. Il lisait décidément bien en moi, je ne pouvais le nier. Cependant, il ne lisait que la surface.

– Oui, reconnus-je.

– Finis-moi, d’abord.

Je le fixai, toujours appuyée sur le dossier du canapé. Au bout d’un moment, je dis, sans bouger :

– Viens.

Je n’en notais pas moins son « d’abord » : le fait qu’il prenne un rôle d’entremetteur en nous réunissant, Chris et moi. Là, il réclamait clairement son orgasme avant de se mettre en retrait.

Loïc était un type surprenant. Je n’arrivais pas à déterminer s’il se montrait altruiste ou si c’était que ça l’excitait de voir son pote me prendre.

Il me retira mon joint des lèvres pour le poser dans le cendrier, puis ôta son t-shirt. Je profitai de la vue. Je ne l’ai pas encore dit mais il avait un beau corps, assez fin mais aux muscles joliment dessinés. Mais il ne me laissa pas l’observer bien longtemps. D’un geste, il releva mon visage et puis posa un genou sur le canapé pour approcher son sexe de ma bouche.

Je jetai un dernier œil à Chris, qui s’était rapproché de moi. Il était même si près… Sa queue était toujours sortie, droite, alors qu’il était resté entièrement habillé par ailleurs. Et il posait la tête juste à côté de mon visage, avec un mélange de fascination et d’interrogation dans le regard. Il était si proche de ce qui allait se passer…

– Regarde-moi, dit Loïc.

Je levai les yeux sur les siens, ma tête posée sur le dossier du canapé.

Dans l’attente.

Avec lui, prêt à enfoncer sa queue entre mes lèvres, et Chris qui observait.

Quelle attraction éprouvions-nous tous trois pour ce jeu-là ? Pour cette expérimentation curieuse, cet extrême, que nous partagions ? Je l’ignorais.

Je me promis de ne jamais rien leur raconter plus de moi. Que je reste cette fille dont ils ne savaient rien et qui venait se faire sauter avant de disparaître.

Celle qui leur ouvrait ses cuisses et sa bouche.

Le souffle de Chris, tout contre mon cou, me troublait. Sa main, qu’il posa sur mes seins, aussi. Le frôlement de ses doigts, tandis qu’il déboutonnait mon chemisier.

Loïc passa la main sur ma tête, entrant dans mes cheveux. Puis il poussa pour pénétrer de son sexe l’espace entre mes lèvres, avec lenteur. Profondément, aussi, mais comme il s’y prenait doucement, ça passa. Je le laissai faire, du coup. Le jeu auquel on s’adonnait était intense mais, contrairement à la première fois, Loïc gérait. Quand il se mit à faire des va-et-vient, ce fut fort mais pas insupportable, et putain d’excitant… Je gardai les yeux relevés vers les siens. Et je cherchai de la main le sexe de Chris, le caressant quand je l’eus en paume, ce qui lui arracha un soupir qui résonna comme un souffle brulant dans mon oreille.

Chris attisa mes mamelons et j’eus du mal à ne pas me tendre trop vivement, l’envie m’électrisant. Et quand l’une de ses mains descendit pour plonger entre mes cuisses, je perçus avec violence, plus encore que je ne le savais déjà, à quel point j’étais humide. J’oscillais entre désir de reprendre mon souffle, même juste un peu, et besoin de plus, de la main de Chris dans ma culotte, de son corps dans le mien. Ça finit par arriver. Je pus sentir ses doigts forcer la résistance de mon jean, bien qu’il l’ait déboutonné depuis longtemps, et entrer dans ma culotte, trouver mon sexe, glisser contre ma chair tant elle était humide.

Je posai la main sur le ventre de Loïc mais il ne retira pas sa queue de ma bouche.

– Elle est vraiment trempée, souffla Chris d’une voix chaude.

Encore un échange entre eux… Encore un « elle », pour moi.

Ça restait si bizarre.

Quand Chris fourra ses doigts en moi, je me raidis parce que c’était trop. Trop fort pour moi, trop de sensations, trop vives, et je fus sur le point de réclamer une pause, mais Loïc se mit à ce moment-là à respirer plus vivement, et à me tenir la tête en gémissant, et les longs va-et-vient qu’il fit furent intenses, mais enfin il éclata. Il jouit en fourrant profondément sa queue dans ma bouche et en resserrant ses doigts sur ma tête en une curieuse caresse.

J’étais si saoule d’excitation et de trouble que, quand il me relâcha et que Chris retira ses doigts de ma culotte, je tombais de côté sur le canapé.

– Tu te déshabilles ? me lança Chris.

La tête me tournait mais je n’hésitai pas sur la réponse :

– Oui.

Sa queue était toujours tendue, en attente de délivrance. Et lui toujours habillé. Je voulais qu’il se dévête. Je voulais qu’il enfonce son sexe en moi. Immédiatement.

– Toi aussi ? lui demandais-je.

Je me sentais plus à l’aise avec Chris. Peut-être parce que Loïc était celui qui menait la danse et que ça nous mettait plus ou moins sur un niveau parallèle, tous deux, mais c’était difficile à définir. Ce que je vivais avec ces deux mecs restait curieux, vraiment. Chris était aussi doux que Loïc se montrait brute, et pourtant les choses étaient claires, entre nous. Je me donnais à eux, et eux se donnaient aussi ; à mes fantasmes. Rien de plus simple. C’était comme si on s’était retrouvés dans une scène, mais qu’aucun de nous ne maîtrisait réellement : par laquelle on se laissait tous emporter, au gré d’un script changeant et toujours inattendu, si ce n’était sa finalité.

J’enlevai mes vêtements avec peine et observai, toujours allongée sur le canapé, Chris se dessaper.

Loïc, de son côté, se rhabilla. J’en fus interloquée mais bien moins que lorsque, après avoir enfilé son t-shirt, il prit son téléphone portable pour passer un appel.

– Ouais, dit-il une fois que son interlocuteur eut décroché, en guise de présentation, et il s’éloigna.

Je n’entendis guère la suite, sinon qu’il appelait quelqu’un d’assez proche pour s’adresser à lui avec familiarité. Il passa rapidement une veste, puis franchit la porte-fenêtre menant à la terrasse de son appartement. Et il la repoussa derrière lui.

– Ça va ? me demanda Chris en attirant mon attention vers lui.

Mes battements de cœur s’étaient intensifiés. Je finis d’ôter mes derniers habits.

– Oui, dis-je.

Il me sembla que Chris savait ce qui allait se produire. Ou… en tout cas, je me mis à le penser. Parce que j’étais stressée mais que lui ne le semblait pas. Il avait l’air beaucoup plus à l’aise que moi par rapport à la situation, en tout cas.

Il me surplomba et m’embrassa. Lui comme Loïc exigeaient décidément beaucoup de baisers. Je ne les rejetais plus. Ils étaient les amorces qui amenaient à cette « autre chose » que je désirais : cette suite à laquelle était ouvert mon corps, qui l’aidaient à s’échauffer et à se préparer à tout ce qui s’ensuivrait. Et j’accueillis avec une envie douloureuse les doigts que Chris enfonça de nouveau en moi. Il pressa avec force, comme me saisissant par-là, me sondant, tandis que je me peinais à conserver mon souffle.

Chris n’abordait pas mon corps comme quelque chose de fragile, mais il ne me brusquait pas pour autant, et j’accueillis ses gestes, pleine du désir que j’éprouvais sous son corps pressant. Et je les accueillis avec plus d’envie encore lorsqu’il écarta mes cuisses pour se présenter entre elles. Et enfin me pénétrer. Plonger en moi.

Je me fondis dans la sensation de ce sexe qui creusait sa place dans mon être, et de ce corps lourd, puissant, qui me clouait sous lui.

Je perdis tout de suite pied.

Il me prit longtemps.

Et il devait en avoir eu envie, beaucoup, parce qu’il n’arrêta pas de me tourner et me retourner, de déplacer mes jambes, de faire pivoter mon bassin, de changer de position pour me baiser plus encore.

Celle par derrière fut celle qui m’emporta le plus pleinement. La sensation de son sexe plongeant en moi était vive, celle de ses mains serrées sur mes hanches aussi, mais ce ne fut pas ce qui joua le plus à ce sujet. Ce fut le sentiment de liberté et d’apaisement que je me mis à éprouver dans le fait d’être possédée ainsi, dans cet acte sexuel qui ne comportait ni contraintes ni enjeux, qui ne me demandait pas de penser et surtout pas d’aimer, sans rien qui ne m’entrave sinon la soumission éphémère aux désirs de mon corps. Captive de l’émoi de ma chair, je ne me rendis plus compte de rien, si ce ne fut, à un instant, une image floue que je n’intégrai pas tout de suite mais qui me resta ensuite, une fois l’acte fini : la sonnerie du téléphone de Loïc et la façon dont, revenu au sein du salon, il décrocha pour se ré-éloigner direct sur la terrasse, comme s’il s’attendait déjà à cet appel.

Chris me baisa jusqu’à atteindre l’orgasme et me faire frôler le mien… que je n’atteins pas. Qui me brûla intérieurement tandis que Chris retombait lourdement contre moi, haletant, nous faisant nous retrouver si collés sur le canapé qu’il aurait pu me faire tomber. La vision de Loïc et de son téléphone me revint alors, mais je ne sus pas la traiter.

Je regardai par la porte-fenêtre : il était toujours dehors, en pleine conversation.

Je me laissai glisser au sol.

Chris retira sa capote en m’adressant l’un de ses sourires craquants. Je lui répondis à peine. Je ne voulais pas encore sortir de la brume.

Lorsque Loïc rentra enfin, j’étais en train de regarder au sol pour rechercher mes vêtements, mais il ne me laissa pas m’en emparer.

– Pas maintenant, dit-il seulement.

– Pourquoi ?

Loïc haussa une épaule et il eut même un petit sourire en coin à ce moment-là, avec un quelque chose de dérangeant dedans : comme s’il savourait son impression de m’avoir « cernée ».

Je me sentis mal. D’un coup.

Je répétai :

– Pourquoi ?

– Un pote va arriver.

Ça me fit l’effet d’une douche froide. Pas seulement par ce que ça sous-entendait. Par son sourire relatif à cette idée.

– Et dans quel but ?

Je n’étais pas complètement conne, bien sûr : je me doutais, mais j’avais besoin de l’entendre le dire, d’avoir sa confirmation.

Il ne me répondit pas, alors j’enchainai :

– Pour que lui aussi puisse me baiser ?

Je ne savais pas si je devais être choquée ou bien interloquée par cette proposition. Il ne m’avait pas demandé mon avis, surtout.

– Pourquoi pas ? Ce n’est pas ce dont tu as envie ?

J’hésitai sur ce que répondre.

« Non » était le premier mot qui me venait parce que, bien sûr, c’était ce que l’autre « moi » aurait répondu, et que celui-ci se manifestait alors clairement. Je restais quelqu’un avec une forme de morale, ou de jugement… Normal, juste. Et mon premier réflexe était forcément celui-ci. Mais, en même temps, cette proposition répondait effectivement à mes envies. A mes fantasmes. A mes désirs enfouis, que j’exhumais avec force, ces derniers temps. Que j’arrachais à la pelleteuse. Mais qu’il était toujours difficile d’assumer. Je n’allais pas lui dire « bingo, fais venir tes potes, je ne demande que ça », même si Loïc disait vrai, au fond. Et je ne lui dirais pas non plus que même cette manière de me traiter, si elle avait tendance à me révolter, était ce que j’attendais de lui, aussi.

– Ça dépend qui, objectais-je.

– Qu’est-ce que ça peut te faire ? Une queue c’est toujours une queue, non ?

J’oscillai entre le considérer plus encore comme un connard et approuver sa pertinence. Loïc me prenait de haut, mais il me cernait avec une acuité stupéfiante, et il disait juste, aussi. C’était peut-être juste cette vérité, mise en mots, soudain, qui était dérangeante.

– Tu n’auras qu’à mettre ta tête dans les coussins.

OK, j’optai pour « pire connard encore » et j’hésitai à lui foutre un pain. Je me remis donc à chercher mes vêtements, nerveusement, sans savoir vraiment ce que je voulais, alors, mais, à ce moment-là, la sonnerie de la porte d’entrée retentit. Loïc alla ouvrir. Chris était resté assis, observateur de la scène mais ne se mêlant pas à notre altercation. Je remarquai son sexe à demi-relevé, encore, comme si son excitation ne s’était pas vraiment fanée, et ses mains croisées tranquillement derrière sa tête. Lui ne chercha pas à se couvrir. Je le trouvais impudique, comme lors de la fête quand il avait fait ce strip tease bourré, peu soucieux de montrer son corps même en érection. Et toujours avec cet air de tout prendre par-dessus la jambe qui m’interrogeait, parfois, et me dérangeait sur le moment. Comme si c’était normal que Loïc profite du fait que je sois en train de me faire sauter par son pote pour en inviter un autre à prendre son tour. Comme si tout ça était normal pour tout le monde, et que je n’avais qu’à dire « oui ».

Chris répondit à mon regard en relevant les yeux sur moi.

– Ne stresse pas comme ça, souffla-t-il.

Je haussais les sourcils, éberluée.

– Facile à dire, murmurai-je.

Il se leva et se rapprocha de moi pour tourner mon visage vers lui d’une main sur ma joue. Et il m’embrassa, mais d’une manière différente des précédentes. Comme un baiser d’amoureux : quelque chose de bien trop tendre pour ce qu’on avait fait, déjà, et ce qu’on s’apprêtait à faire ; pas quelque chose d’un mec qui est en train de se partager une fille inconnue avec ses amis. Et puisqu’il occupa ainsi ma vue – enfin, me fit fermer les paupières, en tout cas –, je n’aperçus le nouvel arrivant qu’une fois qu’il fut vraiment devant moi. Et, sans surprise, c’était leur troisième pote : Ptit Ju, comme le nommaient les autres. Un nom mignon pour un mec qui ne l’était pas. Je tâchais de ne pas montrer à quel point le voir me rebutait. J’avais encore des règles de comportement social. J’étais pourtant tout sauf prête à lui donner mon corps. Et la colère revint avec force.

– Ce n’est pas comme ça que ça marche, dis-je à Loïc, agressive.

– Ah bon, c’est comment ?

– Je ne sais pas mais pas comme ça…

J’étais nue, tous me regardaient, j’avais deux mecs qui étaient déjà passés entre mes cuisses autour de moi, et j’étais stressée. Rien pour me permettre d’être moins mal à l’aise, donc. J’aurais voulu au moins avoir de quoi me couvrir.

– Allez, insista Chris en se penchant vers lui pour baiser mon cou.

On aurait dit une demande d’être « sympa » envers leur pote… Une espèce de relation amicale bizarre dans lesquels ils invitaient leur ami qui ne devait pas baiser souvent à profiter de la fille avec qui il y « avait moyen », tout en restant protecteur envers elle, du moins pour Chris. Comme avoir Chris contre moi atténuait mon sentiment de nudité, je le laissai faire, et il caressa mes seins, joua avec mes mamelons. C’était comme une façon de me dire « vas-y, fais ça pour moi, pour nous… » Je me tendis en réaction, honteuse de ma réceptivité mais, en  même temps, je n’avais pas joui et mon corps n’en pouvait plus. Je ne jouissais désespérément pas avec eux, n’épanchant mon besoin que dans la solitude de ma chambre, et mon corps sur l’instant en était comme usé, douloureusement sensible, prêt à céder à la moindre des promesses à ce sujet.

– Viens sur moi, dit Chris, en s’allongeant sur le canapé.

Mais il se reprit tout de suite et se releva. Il jeta au sol tout ce qu’il trouva de mou et de souple : le plaid épais de l’un des fauteuils, une sorte de couverture molletonnée, tout ce qu’il y avait de coussins autour de nous, et il s’allongea sur le dos. Il bandait maintenant vraiment dur et son sourire était à la fois séducteur et empli de désir.

– J’ai envie de te lécher, dit-il en me tendant la main. Viens.

Soit juste la proposition qui avait le plus de chances de me faire craquer.

Il mit un coussin sous sa tête et m’appela de nouveau.

J’hésitai… Merde. Franchement. Loïc me faisait un sale coup en faisant venir son pote comme ça sans me demander mon avis. Et en même temps, je devais reconnaître que seule l’apparence de Ptit Ju me dérangeait. Dans le fond, Loïc ne m’offrait que ce que j’attendais de lui et j’aurais accepté avec beaucoup plus de facilités n’importe quel autre mec… J’aurais accepté n’importe qui d’autre, en fait.

Je cédai.

L’envie me submergeait trop. L’idée d’avoir la langue de Chris sur mon sexe faisait vibrer mon corps frustré et la situation m’excitait, aussi, dans une pulsion interne qui m’était encore mystérieuse mais que je ne pouvais pas restreindre. Et puis Chris me plaisait, aussi, pas comme un mec avec qui on pouvait envisager véritablement quelque chose derrière – si ça avait été le cas, je me serais barrée en courant – mais comme quelqu’un que je pouvais suivre, sur l’instant, qui me donnait envie de me fier à lui. Je m’agenouillai à ses côtés, avec mon cœur qui tapait fort, mais il m’arrêta tout de suite.

– Non non, pas comme ça.

Il eut même une tête bizarre, comme s’il était surpris que je ne l’ai fait pas de moi-même.

– Dans l’autre sens, précisa-t-il.

Et il m’accompagna de manière à me faire positionner sur lui en 69. Là, ce fut autant excitant qu’obscène. Parce que j’avais sa queue, bien dure, à ma portée, et sa bouche prête à s’occuper de mon sexe, et que mon cul était terriblement exposé aux deux observateurs qui nous surplombaient, debout. Drôle de scène, vraiment. Plus drôle encore quand Loïc me tendit un préservatif pour que le déroule sur le sexe de Chris. Il s’était vraiment adapté à mes exigences

Quand Chris se mit à me lécher, je cessai de penser. Ou presque. Parce que ce fut tellement fort ! Et tellement bon, et j’avais tellement été en manque de ça, et ce fut comme un vertige, soudain, qui m’emporta, me faisant trembler, feuler, et tâcher de drainer l’émoi de mon corps en engloutissant profondément sa queue dans ma bouche. Et je sentis, aux frémissements de Chris, à quel point il aimait ce que je lui faisais. La façon dont il cessa plusieurs fois de me lécher pour échapper un souffle lourd l’indiqua également, tout comme marquant la manière dont il se retenait pour ne pas jouir avant moi.

Je finis par succomber. L’orgasme me dévasta, mon corps secoué de spasmes, des gémissements lourds s’arrachant de ma gorge, des larmes, même, embuant mes yeux, tant tout mon être était bouleversé, remué.

– Doucement, murmura juste Chris alors que je me remettais à le sucer pour le faire jouir.

Je pris en compte sa demande en sachant ce qui allait alors se passer.

Je ne me retournai pas. Je le laissai hausser plus haut mon bassin, et redescendre son visage – je sentis qu’il retirait le coussin sur lequel il avait posé sa tête –, laissant en hiatus sa propre envie de jouir tandis que j’essayai de reprendre mon souffle. Et, surtout, de ne pas penser.

Alors qu’un sexe se présentait derrière moi, je lançais juste la main derrière mon bassin pour vérifier ça : qu’il était bien recouvert d’une capote, et je levais les yeux pour voir Loïc, pour voir qu’il observait non pas son pote enfonçant sa queue en moi mais mon visage tandis qu’il le faisait.


Quitte ou double (1)

Autrice : Magena Suret.

Genres : M/M/M, hot, contemporain.

Résumé : Plutôt que de continuer à se déchirer à causes de leurs infidélités, Matthias et Justin ont décidé de devenir un couple ouvert. Cela leur permet de retrouver la passion des débuts et de surmonter les disputes sans avoir à discuter de leurs problèmes. Pour pimenter encore leur nouvelle vie, ils veulent franchir une étape en organisant un plan à trois… Mais un couple déjà fragilisé par des mois de non-dits peut-il survivre lorsque ses secrets pas forcément cachés sont révélés au grand jour ?

Liens vers les différents chapitres

Chapitre 1Chapitre 2Chapitre 3

Chapitre 1

Le choc du sac dans son genou lui fait étouffer un juron. Matthias lève les yeux de son téléphone, prêt à maudire l’imbécile qui vient de le bousculer pour fendre la foule sitôt les portes du métro ouvertes, mais ses insultes ne franchissent pas la barrière de ses lèvres. L’adolescent coupable lui fait un signe d’excuse tout en courant pour rejoindre une jeune fille. Sa colère retombe aussi vite et Matthias se surprend à regarder le couple s’éloigner, leur sac sur l’épaule, vers ce qui ressemble à un premier rendez-vous. Une certaine nostalgie l’envahit devant cette innocence depuis longtemps oubliée. La sonnerie prévenant le départ de la ligne le rappelle à l’ordre et il se précipite sur le quai avant de se faire enfermer dans la rame.

Après quelques minutes de marche, il arrive à destination. Le choix de Justin de venir habiter dans ce quartier paraît toujours aussi incompréhensible à Matthias. Quand ils avaient décidé que vivre ensemble était prématuré et qu’ils feraient mieux de reprendre chacun un appartement, Matthias ne s’était pas attendu à voir son petit-ami déménager à l’autre bout de la ville. Une heure de transports en commun, avec trois changements, semble un peu excessif. D’autant que Justin s’est aussi éloigné de son travail et de sa famille pour s’installer dans une rue qui ressemble davantage à une zone commerciale qu’à une résidence. La seule raison logique à laquelle Matthias a pu songer est justement que lui-même n’aime pas venir ici, ce qui rend ses visites plutôt rares. Et c’est plutôt révélateur quant à l’état de leur relation.

Toutefois, aujourd’hui, il est reconnaissant de pouvoir profiter des toilettes du commerce voisin pour se rafraîchir avant de rejoindre les étages. Ce n’est pas une étape habituelle, mais il réalise en pénétrant dans le hall combien il a besoin d’un moment d’isolement pour calmer sa nervosité. Matthias s’enferme dans les toilettes réservées aux handicapés afin de bénéficier d’un espace plus confortable et d’une vraie solitude.

Il ôte sa veste et ouvre son sac. Celui-ci est presque vide ; Matthias n’a emmené que le strict nécessaire pour se rendre plus présentable après son expédition dans le métro. Il se remet du déodorant sous les aisselles puis se brosse les dents. Ensuite, il s’asperge le visage d’eau et glisse ses doigts mouillés dans ses longues mèches, les plaquant vers l’arrière. Les mains appuyées sur le bord du lavabo, Matthias s’observe un instant dans le miroir. Ses cheveux humidifiés paraissent presque bruns et rendent plus visibles encore ses taches de rousseur. Celles-ci s’étendent de part et d’autre de son nez, rehaussant ses pommettes, et sont suffisamment nombreuses pour l’avoir complexé durant son adolescence. Néanmoins, c’est un vieux souvenir : il sait maintenant qu’elles sont un atout auquel beaucoup d’hommes succombent. Il remarque alors ses lèvres pincées, preuve qu’il a des difficultés à se détendre. Pourtant, il ne devrait pas être aussi angoissé : Justin et lui sont habitués à ce genre de jeu. À un détail près, cependant : ils n’y ont jamais participé en même temps.

Les premières infidélités, Matthias se souvient qu’il les a vécues comme de véritables trahisons. Trois années de relation et à peine une de vie commune qu’ils en étaient déjà à papillonner à droite et à gauche. Si Justin a été le premier à admettre qu’il l’avait trompé, Matthias sait que lui-même avait déjà commis quelques incartades auparavant. Au final, il ignore lequel des deux a commencé ces tromperies et ne voit pas grand intérêt à le savoir. Toujours est-il qu’imaginer son amant dans les bras d’un autre l’avait blessé dans son amour-propre et, aussi hypocrite cela peut-il sonner, peu lui importait à l’époque qu’il ait fait de même de son côté.

Les mois suivant l’aveu de Justin avaient été chaotiques, entre séparations et réconciliations. À aucun moment Matthias n’avait envisagé de rupture définitive et la facilité avec laquelle Justin lui retombait dans les bras l’avait conforté dans l’idée que ni l’un ni l’autre ne souhaitait mettre un terme à leur histoire. Néanmoins, aucun ne parvenait à accorder son pardon et le désir de vengeance était toujours trop présent. L’équilibre précaire de leur situation n’aurait pas pu durer bien longtemps. Ils avaient fini par trouver un compromis sans vraiment en avoir discuté. Un jour, peut-être trop ivre pour avoir pleine conscience de ses actes, Matthias avait laissé un message à Justin pour le prévenir qu’il ramenait un homme chez eux. Après coup, il avait réalisé combien c’était stupide et sûrement un peu cruel pour son petit-ami, mais il ne parvenait pas à le regretter. Alors qu’il venait de jouir quelques secondes auparavant, Justin était arrivé pour virer le pauvre mec qui n’avait pas dû comprendre ce qui lui arrivait. Puis Justin avait décidé de se venger en abusant du corps encore trop sensible de Matthias.

Après cette soirée, les règles ont rapidement évolué. Toujours en couple, pas vraiment libertins, Matthias et Justin avaient rassuré leur famille en expliquant que reprendre chacun un appartement ne signifiait pas qu’ils rompaient. Au contraire, Matthias pouvait jurer qu’il était plus heureux que jamais avec Justin. Ces faux flagrants délits d’adultère donnaient une autre dimension à leurs propres ébats. Depuis, le sexe entre eux était encore meilleur ; comme si ces incartades, parfois trop bien orchestrées, leur permettaient de retrouver la passion de la nouveauté.

Cependant, la rencontre qu’ils ont organisée aujourd’hui marque une étape. Matthias inspire par le nez et souffle longuement, conscient que sa décision est déjà prise malgré ses doutes. Il libère les toilettes, puis se rend à l’ascenseur qui l’emmène à l’étage de Justin. La main sur la poignée, son cœur semble vouloir quitter sa poitrine. Juste derrière cette porte, Matthias sait que Justin a trouvé un homme d’accord pour partager leur lit le temps d’une soirée. Cependant, Matthias ignore s’il y a un protocole à suivre dans ce genre de situation. Vont-ils l’avoir attendu pour faire connaissance  ? Va-t-il les trouver déjà nus  ? Ou même en pleine action  ?

La réponse à ses questions lui saute aux oreilles dès qu’il ouvre la porte. Des gémissements lui parviennent de la chambre. Il sourit : Justin a toujours aimé exagérer son plaisir. Il ne s’agit pas de le simuler, mais son amant adore s’entendre —  un aphrodisiaque avéré pour lui, un brin narcissique tout de même. Tranquillement, Matthias se déleste de son sac, prend soin de verrouiller derrière lui, puis ôte ses chaussures et les balance contre le mur. Rester silencieux ne lui semble pas primordial ; pour une fois qu’il est vraiment attendu, il éprouve même un petit plaisir à laisser entendre qu’il est arrivé. Il traverse le salon et pousse le battant entrouvert.

La scène sur le lit le fait s’arrêter un instant.  Les volets de la fenêtre sont à moitié tirés et la lumière qui filtre par les interstices donne une atmosphère tamisée à la pièce. Justin est à genoux, face à l’entrée, les bras en appui sur les oreillers derrière lui et les jambes écartées pour laisser toute latitude à la tête entre ses cuisses de manœuvrer sur son sexe. Malgré les années passées ensemble, Matthias se laisse encore surprendre par la beauté atypique de son amant  : des yeux en amande qui donnent l’impression d’un noir trop intense, des cheveux bouclés trop blonds pour avoir l’air naturels, un nez trop fin et retroussé pour un adulte et une fossette au coin de la lèvre qui accentue son côté malicieux dès qu’il sourit. Pourtant, tout son visage est harmonieux et sa personnalité enjouée éclipse souvent ceux qui l’entourent, y compris Matthias qui, sans manquer de confiance en lui, se trouve bien fade lorsqu’il se compare à Justin.

—  Oui, juste là… Continue, souffle Justin.

Le murmure est censé encourager le brun qui lui fait la fellation, à quatre pattes devant lui, mais Justin ancre son regard dans celui de Matthias tandis qu’il se penche en avant pour doigter l’anus de leur partenaire. L’invitation est claire et l’idée de baiser un mec dont il ne connaît même pas le visage a quelque chose de terriblement excitant. De cet homme, outre ses fesses tendues vers lui, Matthias ne devine que peu de choses  : quelques mèches corbeau, une peau claire peu exposée au soleil, des cuisses serrées — certainement pour comprimer son sexe bandé contre son bas-ventre — et des orteils crispés par l’excitation. Sa silhouette est familière et commune à la fois. Les jeux d’ombre sur sa peau empêchent Matthias de rechercher le moindre signe distinctif, mais il ne s’en inquiète pas pour l’instant. D’un coup de menton, Justin lui désigne le pied du lit ; Matthias y voit le lubrifiant, une boîte de préservatifs et des lingettes pour bébés. Le message, limpide, lui provoque un nouveau sourire : Justin ne veut pas d’interruption, pas même pour un détour par la salle de bains. Matthias se déshabille en toute hâte et Justin lui adresse un rictus entendu en découvrant son sexe déjà à demi érigé. Tout en ignorant la moquerie, Matthias les rejoint, le matelas s’affaissant légèrement sous son poids quand il monte dessus. L’inconnu s’arrête alors un court instant puis, sans épargner un regard à Matthias, il reprend ses succions avec plus d’entrain encore.

Matthias pose les mains sur les fesses du brun qui va l’accueillir sous peu et les écarte pour y plonger la bouche. Du bout de la langue, il lèche autour du doigt de Justin. Deux gémissements résonnent à ses oreilles et Matthias camoufle un léger rire moqueur en reniflement. Avec ardeur, Matthias découvre l’inconnu, dont la saveur est encore empreinte du parfum d’une douche récente. Le temps d’une seconde, il s’imagine qu’il recommencera peut-être plus tard, quand le goût de leurs corps sera imprégné de la moiteur du sexe. En attendant, l’index de Justin s’enfonce plus profondément et ses exclamations de plaisir se font plus bruyantes encore. Matthias se redresse, enfile un préservatif sur son membre désormais tendu, puis l’enduit de lubrifiant. Tout en se masturbant doucement, il donne une tape sur la main de son petit-ami pour qu’il lui laisse la place. Justin cède sans réfléchir et ses doigts vont aussitôt se perdre dans les mèches brunes du troisième homme alors qu’il semble faire un effort intense pour retenir ses coups de reins. Matthias gémit à ce constat et espère pouvoir vite goûter au talent de cette bouche.

Pour l’instant, il a la primeur de la pénétration et compte bien la savourer. Matthias encercle sa verge d’une main et pose l’autre au creux des reins du brun. De son pouce, il écarte un peu l’une de ses fesses et y glisse son membre lubrifié. Se mouvoir le long de la raie est déjà une torture et il est impatient de s’engouffrer dans le corps chaud qui s’offre à lui. Pourtant, il se fait languir en retardant ce moment. À chaque passage de son gland sur l’orifice, Matthias exerce une pression plus prononcée que la précédente. Bientôt, rien ne pourra plus l’empêcher de s’y introduire mais, tant qu’il maîtrise sa raison, il veut la faire perdre aux deux autres. Justin, toujours aussi vocal dans son plaisir, se passe la langue sur les lèvres de manière compulsive dès qu’il croit que Matthias va vraiment entrer en jeu, tandis que leur compagnon tente, par une légère poussée, de le prendre en lui sitôt qu’il sent ses chairs s’étirer.

Finalement, Matthias ne peut se retenir davantage ; il incite le troisième homme à écarter un peu plus les jambes pour s’installer confortablement à genoux entre elles. Il n’a pas à forcer pour franchir la barrière du muscle anal et sa satisfaction trouve un écho agréable dans le gémissement venant de son inconnu. Il baisse les yeux pour regarder son sexe se faire lentement aspirer puis achève de pénétrer son nouvel amant d’un coup de reins plus sec. Le jeune homme se tend de tout son être et Matthias se demande un instant s’il n’a pas été trop brusque. Cependant, il est vite rassuré quant à son innocence dans ce frisson lorsqu’il aperçoit les sillons rouges sur les omoplates de l’inconnu : Justin a eu davantage de difficultés à se contenir et vient de le griffer. Matthias sourit et décide de faire oublier la brutalité de son petit-ami en amorçant un rythme lent et peu profond, supplice nécessaire s’il ne veut pas jouir prématurément. Ondulant du bassin, il ne quitte la gaine que de quelques centimètres avant d’y replonger. Y être enserré est délicieux et Matthias émet des murmures appréciateurs quand il sent l’anus se détendre autour de son sexe, lui permettant de s’enfouir plus profondément, ou se contracter, l’obligeant à imprimer ses mouvements plus fortement pour s’autoriser le passage.

Matthias remarque que Justin ne tiendra plus longtemps : les yeux fermés, il se soutient d’une main à la tête de lit tandis que la seconde est passée entre ses cuisses. Le connaissant, Matthias devine que son petit-ami se caresse les testicules, voire le périnée. Lui maintient sa cadence. Il ignore combien de temps avant son arrivée ils ont débuté, mais il veut profiter encore de prendre son plaisir dans un corps inconnu. Justin prévient de sa jouissance dans un murmure incompréhensible, mais le brun saisit l’avertissement et abandonne le sexe, le dépouillant de sa protection d’un geste rapide et précis. Puis il pose la joue contre la cuisse de Justin pour assister à son éjaculation. Maintenant qu’il a vu son visage, Matthias sait qu’il est perdu. Dans une dernière tentative pour se contenir, il essaie de se concentrer sur le sperme de Justin qui gicle sur les draps, ou même sur la lèvre que celui-ci se mordille sous l’intensité de son orgasme, mais ses efforts sont vains. Les traits de son ami d’enfance occultent le reste et, s’il aimerait pouvoir prétexter que la surprise ruine son excitation, celle-ci s’enflamme bien trop pour qu’il puisse être hypocrite et il perd le contrôle. Le rythme saccadé auquel il soumet soudain son ami lui vaut une douce plainte de ce dernier, mais cela ne dure pas et, bientôt, un simple «  Toni  » murmuré pour tout avertissement, il remplit le préservatif de sa jouissance.

Matthias n’avait jamais gémi ce surnom et la sensualité sur ses lèvres se dispute à la culpabilité d’avoir profané leur amitié. Il n’a pourtant pas le temps de pousser sa réflexion plus loin puisque Justin l’a déjà rejoint et s’empare de sa bouche. Le baiser est pressant et a le goût amer de la trahison — à la fois de l’adultère et du mauvais tour qu’il lui a joué. Matthias cède vite sous cet assaut alors qu’il devrait le repousser, furieux, mais il ferait n’importe quoi pour oublier l’autre présence. Son vœu n’est cependant pas exaucé et il est attiré par le mouvement à leurs côtés. Toni s’est tourné pour s’étendre sur le dos et leur présente son sexe suintant de liquide séminal. Cette vision à elle-seule suffirait à faire renaître son désir, toutefois il semble que Toni cherche à le faire se consumer sur place. Il lance à Matthias un regard brûlant ; ses pupilles dilatées hurlent son insatisfaction. Matthias sait qu’il doit prendre une décision. La plus sensée serait d’arrêter là ce manège, tant que la ligne n’a été que mordillée. Mais ce serait renier un désir refoulé depuis des années et il ne se sent plus capable de se raisonner. Franchir cette satanée ligne est si alléchant. Si facile. Si risqué. La bouche de Justin quitte la sienne et, de la langue, ce dernier trace un chemin sur sa joue, jusqu’à son oreille. Lui reste pantelant, les lèvres entrouvertes dans une tentative désespérée pour reprendre son souffle.

— Tu ne comptes pas le soulager, Matt ? lui chuchote Justin, tout en le débarrassant de sa protection usagée. Si c’est pour le laisser souffrir, je m’occupe de lui moi-même.

— Enfoiré.

— Donc, je suce Antonin ? le taquine-t-il.

Matthias repousse son petit-ami avec un regard agacé. Voir Justin dans d’autres bras que les siens ne l’émeut pas outre-mesure ; c’est même plutôt excitant. En revanche, imaginer les mains ou la bouche de son amant sur Toni l’irrite au plus haut point. Rien que l’entendre prononcer ce prénom, pourtant détesté par son ami, le contrarie. Il n’a pas envie d’analyser ce sentiment ; il veut juste faire en sorte de limiter les contacts entre les deux hommes. Alors, Matthias se penche vers leur partenaire d’un soir, faisant taire son conflit intérieur. Toni l’accueille avec un plaisir non dissimulé en écartant davantage les cuisses. Matthias ferme les yeux et capture le sexe entre ses lèvres sans préambule : il n’est plus temps d’attiser le désir, il doit juste apaiser cette tension. Sous l’assaut de sa bouche, son ami se tend et accroche les doigts dans ses cheveux pour l’inciter à poursuivre.

Alors qu’il goûte la saveur de l’interdit, il sent la paume de Justin en bas de son dos. Les premières caresses le long de sa colonne ne sont que des encouragements mais, au fur et à mesure que les gémissements de Toni se transforment en plaintes réclamant sa libération, la main remonte entre ses omoplates, puis dans sa nuque. Toni relâche soudain sa prise sur sa chevelure et — s’il en croit le froissement qu’il entend — agrippe les draps de ses poings. Son prénom soufflé par cette voix familière, dans un timbre si étranger, intime à Matthias de s’écarter. Toutefois, Justin le maintient en place quand il essaie de se redresser. Son cerveau a du mal à traiter cette nouvelle information et il ne saisit l’ordre silencieux de Justin qu’en sentant le membre de Toni pulser contre sa langue. Matthias plisse les paupières, soudain pris de remords de ne pas avoir pensé au préservatif, et se prépare à recueillir la jouissance de son ami d’enfance. Au premier jet, il déglutit de surprise ; le sperme qui s’écoule dans sa gorge lui donne l’impression d’avaler les flammes de l’enfer. La giclée suivante frappe son palais alors qu’il est en pleine inspiration. Avide, il se surprend à emprisonner fermement le sexe entre ses lèvres pour s’assurer de ne pas perdre une goutte de ce plaisir : le péché a un goût d’encore. La pression sur sa nuque s’efface à ce moment, Justin doit être satisfait de voir ses barrières céder. Ce dernier se colle tout contre lui et vient mordiller le lobe de son oreille. De nouveau, il murmure pour n’être entendu que de Matthias :

— Tu aimes ma surprise, pas vrai  ? Et pas la peine de faire des simagrées, ajoute-t-il alors que Matthias libère enfin le sexe de sa bouche pour protester. Antonin a accepté sans même réfléchir. Je me demande si je devrais être jaloux…

Matthias fait taire son amant d’un baiser sauvage, n’hésitant pas à lui râper les lèvres de ses dents. Justin apprécie visiblement le traitement puisqu’il lui répond avec autant d’enthousiasme. Matthias tente un regard vers son ami, sans savoir ce qu’il y cherche. Peut-être pour s’assurer qu’il est bien là et va y rester ? Lui, maintenant qu’il y a goûté, veut profiter de cette nuit avec les deux hommes de sa vie. Pour essayer de comprendre pourquoi il a accepté de se joindre à eux alors que Toni n’a jamais caché qu’il désapprouvait leur conception du couple ? Ou juste pour calmer tous les doutes qui le traversent ? En effet, si quelqu’un peut l’aider à aborder cet instant de façon pragmatique, c’est bien Toni. Tente-t-il de deviner si les sous-entendus de Justin ne sont qu’une façon de déchirer un peu plus leur amitié ? Pourtant lui et Toni avaient ri en se révélant mutuellement leur homosexualité et s’étaient promis de ne pas tomber dans le cliché des meilleurs amis devenant amants. Matthias soupire dans le baiser encore plus impatient de Justin et se laisse aller quand ce dernier le pousse en arrière. Étendu sur le dos, son petit-ami vient couvrir son corps du sien, puis Matthias clôt les paupières avant de risquer de croiser le regard de Toni qui commence à se redresser : après tout, un simple coup d’œil ne suffirait pas pour lui fournir les réponses à ses interrogations.

Ainsi sombre la chair – P’tit Ju (partie 1)

P'tit Ju

Après l’histoire avec Chris, j’eus besoin de prendre du temps. Je ne repassai pas chez Loïc et ne réessayai pas de le recontacter. Parce qu’on avait échangé nos numéros, il m’envoya bien un message en évoquant l’idée qu’on puisse recommencer avec Chris – enfin, aux quelques lignes minimalistes qu’il m’envoya : « on fait une soirée avec Rastouille », ce fut ce que je supposais – mais je n’y donnai pas suite.

J’avais besoin de réfléchir. De prendre de la distance. De savoir où j’en étais, aussi difficile que ce soit.

De m’allonger sous le couperet et de l’observer… en me demandant si je voulais qu’il tombe, et où exactement. Quelle part de moi il trancherait, laquelle il emporterait avec lui. Ce qui en serait amputé. Ce qui en renaîtrait, peut-être.

Je ne voulais pas recommencer à coucher avec Loïc. Enfin, pas comme on l’avait fait la première fois, en tout cas. Je savais ce que je voulais et « Loïc » ne suffisait pas à le représenter. Pas lui seul. Par contre, il possédait en lui quelque chose qui m’intéressait, mais ce n’était pas tant lui que les promesses que je pouvais construire autour de lui. Ce n’était pas la personne que je recherchais ; juste la porte d’entrée.

J’ai déjà parlé de cette recherche d’un « ailleurs » qu’il y a dans la consommation de drogue ou l’addiction à des outils virtuels : cette volonté inconsciente de renouer avec l’imaginaire de l’enfance, avec ses jeux et ses fantasmes, ses « délires » sans conséquences. Dans le fond, je n’étais alors pas dans une démarche différente. Je savais que recoucher avec Loïc et Chris ne résoudrait rien. Que ça ne ferait même pas vraiment partie de ma vie, dans le sens où c’était une autre « moi » que j’y projetais : quelque chose totalement à part du reste de mon existence, une sorte de jeu de rôle ou de théâtre, destiné à s’évanouir dès la partie finie ou le rideau tiré, mais dont je tirais néanmoins des avantages, pas seulement sur le plan du sexe. En matière d’évasion, aussi. De ma vie, de mes problèmes. De mon incapacité à faire changer quoi que ce soit.

Le désir que j’éprouvais de recommencer était lancinant, et avec un fond d’addiction, aussi. J’étais attirée par cette sexualité comme je l’aurais été par de la drogue, ou d’autres des hamburgers, des réseaux sociaux à l’excès, même si je n’avais pas encore ce niveau d’analyse dessus.

Et, bien sûr, je ne parlais à personne de ce que je faisais. Ça ne voulait pas forcément dire que c’était moche et que ça méritait d’être caché, du moins je ne le vivais pas comme ça. Quand on ne parle pas de quelque chose, ce n’est pas forcément parce qu’on en a honte, mais juste parce qu’on n’a pas d’oreilles pour l’écouter. Ou le voulant. Personne de susceptible de comprendre sans renvoyer un miroir en forme de jugements. A qui aurais-je pu bien me confier ?

Je n’aurais pas su quoi raconter, de toute façon. Mes désirs et pulsions persistaient à me rester étrangers, curieux, et je continuais à observer ce que je vivais comme si je représentais mon propre sujet d’étude, comme s’il s’était agi d’une autre moi-même, que je ne comprenais pas tout à fait. Quelqu’un qui me suscitait plus d’interrogations que de compréhension.

Je ne disais donc rien. Sur rien, en fait : ni sur mes histoires de cœur, ni sur mes histoires de cul, ni sur toute la souffrance que j’avais en moi.

A la place, je souriais.

Je souriais au travail, je souriais avec mes amies…

J’ai lu un jour le témoignage d’une fille qui avait subi des viols de masse. Une sordide histoire de caves. Elle racontait qu’elle riait beaucoup à cette époque. Ça ne m’avait pas surpris. On peut rire et sourire beaucoup quand on est en souffrance.

Je ne souriais pas avec Ayme parce qu’Ayme n’avait pas besoin de cette façade-là, parce qu’avec lui je pouvais encore être vraie, et c’était important de savoir qu’on avait toujours ce lien-là, dans le fond : cette vérité, entre nous, qui nous permettait de nous démunir de nos masques, même si ça voulait aussi dire qu’il était privé de ce j’offrais aux autres. Privé de sourires et de légèreté. Privé de façade.

Juste face au « moi » qui ne souriait pas. Un autre de ces « moi », d’ailleurs.

Combien de masques différents pouvons-nous revêtir ? En combien de version de nous-mêmes nous déclinons-nous selon les moments, ou les personnes avec qui nous sommes ?

Et je songeais à ce que j’attendais. Une opportunité, peut-être. Une avancée plus qu’une répétition. Le sexe avec Loïc et Chris m’avait plu, mais je n’étais pas sûre de vouloir recommencer avec eux. Peut-être avec d’autres… peut-être dans d’autres circonstances, différemment.

Diverses options me passaient en tête. Me connecter à internet. Aller dans un club échangiste : à Lyon, ce ne devrait pas être si compliqué.

Ça semble facile, sur le principe…

Ouais.

Ça ne l’était pas.

Ça peut l’être éventuellement quand on a déjà une sexualité assez libérée, ou qu’on a atteint un certain âge, un vécu suffisant pour permettre une assurance plus forte, mais je n’avais que 28 ans, j’avais toujours eu une vie « normale » et une sexualité « normale », et toute mon existence d’adulte avait été construite autour d’un amour unique avec lequel je m’étais dit que je passerais toute ma vie…

Je crois que ce n’était pas pour rien que mes désirs sexuels m’avaient conduite à passer à l’acte avec Loïc. C’était parce que, dans le fond, il n’était pas si différent de moi. Il l’était mille fois moins que ce mec plus âgé croisé devant le cinéma, ce gamin qui m’avait abordée dans la rue, ou que ne l’aurait été un type rencontré dans un sex-club. Il me ressemblait, l’univers dans lequel il évoluait aussi, ses potes n’étaient pas si éloignés des miens. Je n’étais pas en terre inconnue.

D’ailleurs, je crois qu’on finit toujours par retourner vers les gens proches de nous. C’est là où on mesure l’impact culturel du milieu dans lequel on évolue, finalement. Il y a des barrières invisibles entre nous, que l’on peut franchir, et même que l’on traverse à l’occasion, mais qui restent élastiques : qui finissent par nous ramener vers ce qui nous est le plus familier. Ou, si ce n’est toujours, le plus souvent, au moins ; je sais qu’il y a des exceptions.

Je revenais donc à l’option « Loïc ».

Le fait qu’il m’ait envoyé un message montrait que la porte était toujours ouverte, et puis je tenais quelque chose avec ce mec. Quelque chose que je ne voulais pas laisser s’échapper. Il y avait d’autres possibles que je voulais explorer. D’autres voies que je désirais voir s’ouvrir, d’autres extrêmes vers lesquels aller.

Après plusieurs jours d’attente et de réflexions, je me décidai donc à le recontacter.

Je lui envoyai un texto. Sans détours, parce que ça ne m’apparaissait pas utile :

Tu veux baiser ?

J’utilisai son propre vocabulaire volontairement. C’était plus simple, ainsi. Inutile de parler de « soirées » ou d’utiliser des termes détournés. Loïc savait très bien ce que je voulais, et je savais très bien qu’il attendait la même chose que moi. Aucun de nous deux n’avait assez d’intérêt envers l’autre pour avoir d’autres attentes et puis, au-delà de tout ça, c’était aussi une manière pour moi de cloisonner. De mettre en mots le fait que rien, dans notre relation, ne méritait qu’on y mette plus de formes que ça.

Il mit quelques heures à me répondre.

Tu veux que je te baise ?

Je reconnus bien là son caractère supérieur : cette subtile reformulation qu’il faisait pour resituer les rôles de chacun. Ça ne me dérangeait pas. Je confirmai :

Oui.

Il me donna une heure, le soir. Ayme était à la maison. Moi, je travaillais à l’hôpital, mais je décidais de ne pas rentrer après ma journée de boulot et puis voilà.

J’envoyai quand même un SMS à Ayme. Ça me mit de nouveau face à mes contradictions : on n’était plus vraiment ensemble, ou dans cet entre-deux à la con faisant que je ne le savais plus, mais je le prévins quand même de mon absence. Je ne lui dis juste pas pourquoi.

Dans le fond, ça me fit mal, de ne pas le lui dire, parce que ça témoignait du fait qu’on avait même perdu ça : cette vérité, qui avait été si importante, pour moi. Le fait de ne jamais rien se cacher.

Que nous restait-il encore ?

Le fait qu’on se montre sans masque l’un à autre… Cette pureté dans image donnée, aussi douloureuse qu’elle soit.

Je traversai Lyon.

Les journées diminuaient à cette époque de l’année, alors je voyais les lumières de la ville s’allumer tandis que je marchais. Pétrie de solitude, je me noyais dans leur contemplation. J’écoutais le claquement de mes pas sur le bitume, sentais les gouttes d’eau effleurer mes chevilles, suivais du regard les liserés des lumières rouges et jaunes que les voitures et les lampadaires projetaient sur l’asphalte des rues détrempées par la pluie.

 C’est curieux de voir comme certaines images vous restent, parfois. Ce qu’elles peuvent porter en elle. Le sens qu’elles conservent.

Quand j’arrivai chez Loïc, il était assis dans son canapé, une bière devant lui et une clope à la bouche – pas un joint, pour une fois –, et il m’accueillit direct avec un petit sourire en coin que je commençais à connaître, chez lui, et dont je devinai la signification. Ça voulait dire « tu n’as pas pu attendre plus longtemps, hein ? ». Je n’avais rien à y répondre.

Je m’assis à côté de lui sur le canapé.

Il posa sa clope dans le cendrier, passa la main derrière ma nuque, et m’attira à lui pour m’embrasser, de cette manière intrusive qui était lui et qui se manifestait de manière grandissante, avec moi. Je me laissai faire. Je pliai même un peu entre ses doigts, consciente de la manière dont mon corps se relâchait, offerte à ses gestes.

Il ne joua pas au jeu des faux-semblants. Il me dit direct :

– J’ai appelé Rastouille.

– Il viendra ?

Je m’étonnais moi-même de l’assurance que j’étais en train de prendre par rapport à cette situation, mais je ne le montrai pas.

Loïc hocha la tête.

– Tu préfères, non ?

Cette remarque me troubla, non pas seulement parce qu’elle montrait à quel point Loïc m’avait cernée, mais parce qu’elle témoignait d’une adaptation de sa part à mes attentes. Une action faite pour moi… Je ne sus qu’en penser. Que penser de ce qu’il me montrait de lui, alors.

Mon ton fut toutefois maîtrisé quand je reconnus :

– Oui.

Il me fixa silencieusement, comme s’il voulait vérifier la pertinence de son jugement, ou examiner d’autres choses encore… Voir en moi ce que je ne lui montrais pas. Je n’en restai que plus dans ma réserve.

Je ne crois pas avoir un jour vraiment compris Loïc, pas plus que lui ne doit l’avoir fait pour moi. Il a toujours été ainsi, en tout cas : distant, hautain, à la limite du mépris dans sa manière de me regarder et de me parler, et pourtant curieusement attentif sur d’autres plans.

Mais ceci n’a pas d’importance.

D’une manière inattendue, sa proximité me troubla. Peut-être parce que ça faisait trop longtemps que je ne m’étais plus blottie dans des bras. Parce que j’étais contre lui, et que je sentais sa chaleur, je me mis à éprouver le besoin de chercher plus de contact. Comme je l’aurais fait avec Ayme. Ce qui me choqua, d’une certaine manière ; je ne voulais vraiment pas éprouver ça, mais il y avait quelque chose de profond, d’enfoui, qui cherchait à ressortir de moi. Qui débordait. Quelque chose que je ne voulais surtout pas voir surgir. Des manques. Des souffrances. Je devins nerveuse.

– Qu’est-ce qu’il y a ? me demanda Loïc.

Je faillis lui répondre : « rien », soucieuse de le garder le plus possible à distance de tout ça, mais il s’était adressé à moi avec une forme de sollicitude, même si légère, et je ne pus lui mentir, du coup.

– Je stresse.

– Pourquoi ?

Je haussai une épaule.

Je n’allais pas lui avouer que c’était parce que la jolie barrière que j’avais mise entre ma tête et mon corps, ce merveilleux cloisonnement que j’opérais, était à la limite de se fissurer. Que j’avais besoin de tendresse, quelle que soit la force avec laquelle je m’évertuais à le nier.

Que le cul ne remplissait pas le creux de mon cœur. Que celui-ci restait béant et que je ne savais pas ce que je devais faire pour lui permettre ne serait-ce que de faiblement se refermer.

Je ne dis rien. Je voulais rester pour lui cette fille qu’il pouvait sauter avec son pote sans se poser de questions, surtout.

Je me levai pour faire rompre cette proximité troublante, et fis quelques pas. J’observai négligemment les divers objets décorant la bibliothèque qui trônait dans son salon. Il avait plein de vinyles. Des objets de collection. Des partitions de musique. Le témoignage d’une importante culture artistique que je n’avais plus voulu voir dès l’instant où j’avais décidé que, pour moi, Loïc ne serait qu’une queue sur pattes, ou plutôt le vecteur de mes envies.

– Chris arrive quand ? demandai-je.

– Il devrait être là.

Je saisis une longue pipe, fine, toute en bois, elle aurait pu venir d’Inde ou d’un autre des pays de cette région du monde, et la tournai entre mes doigts.

Loïc ajouta :

– Arriver à l’heure est toujours compliqué pour lui.

Je sentis un léger sourire poindre sur mes lèvres, quelque chose en moi de plus doux.

Quand trois coups rapides se firent entendre à la porte et qu’elle fut poussée, je posai la pipe, le cœur battant légèrement plus vite, et tournai la tête pour voir arriver Chris, débraillé, avec ses cheveux en bataille qui lui donnaient un air vraiment craquant – je le trouvais plus beau à chaque fois que je le voyais, ça craignait décidément – et un petit sourire qui disait « je sais que je suis à la bourre mais qu’on va me le pardonner ». Je repensais à son strip-tease devant la piscine. Je repensais à cet air léger qu’il avait si aisément pour tout, cette façon de sourire de ses conneries, présentes ou à venir.

Loïc se leva pour lui taper sur l’épaule, lui dire qu’il était en retard, et lui proposer un coup à boire. Il m’en proposa un à moi aussi par la même occasion, et on se retrouva à descendre des bières sur son canapé.

– Tu n’as pas eu de mal à rentrer chez toi, la dernière fois ? me demanda Chris avec une expression tout à fait charmante.

Ça aurait pu être mignon de l’entendre me dire ça si le contraste avec la manière dont il m’avait plantée sur le canapé après m’avoir pris si vivement, avec son pote, et laissée me démerder ensuite, n’avait pas été si criant. Si je ne m’étais pas sentie si insignifiante, alors. Et, en même temps, je voyais mes contradictions : le fait de vouloir un peu plus de prévenance de sa part, tout en les gardant à distance le plus possible. Ça n’avait pas de sens

– Non, ça a été.

On bavarda. Je fus en retrait parce que Chris et Loïc parlèrent surtout musique et que c’était leur monde, ça, mais ça ne me dérangea pas. Même la curiosité que j’avais éprouvée à ce sujet le premier jour où j’étais allée chez Loïc était lointaine, pas parce que je m’en foutais réellement mais plus parce que je n’étais pas là pour ça. Quant aux questions que Chris finit par me poser, elles m’embarrassèrent plus qu’autre chose, même si son intérêt était visiblement sincère. Je ne voulais pas qu’on se connaisse vraiment, en fait. Surtout Chris : je craignais qu’il puisse me plaire d’une façon que je réprouvais. J’y répondis de la façon la plus laconique possible, du coup. Il m’aurait parlé cul, j’aurais été plus réceptive, mais là où j’habitais, les études que j’avais faites et si j’avais de la famille… Ce n’était pas pour nous.

Sauf que Chris ne le comprit pas. Il insista. Je fus stressée et il arriva un moment où j’adressai un regard à Loïc pour l’appeler à l’aide. Et ce, pour la deuxième fois. Comme je l’avais fait lorsque Chris avait été sur le point de me pénétrer. Je voulais qu’il nous fasse sortir de cette proximité pour basculer vers autre chose. Du cul. Un rapport dénué de sentiments. Peut-être une forme de rabaissement, s’il le voulait : quelque chose qui allait avec ce regard supérieur que je le voyais toujours poser sur moi. Qu’importe. Pourvu que ça me tire de cette situation. Chris ne se rendait pas compte, lui. Dans le fond, Chris était peut-être juste un mec sympa. J’avais besoin de l’aspect « connard » de Loïc. J’avais besoin qu’il balaye cette gentillesse superflue.

Loïc réagit par un froncement des sourcils et une attitude interrogative.

– Tu veux qu’on commence ? dit-il d’un coup.

Mon cœur battit un peu plus vite.

Je soufflai :

– Oui.

Encore une fois, Loïc chercha à voir en moi, à discerner ce qu’il y avait au-delà des apparences. Je ne savais pas comment je m’étais débrouillée pour que ce mec, si centré sur lui-même, se comporte ainsi.

– Tu veux toujours utiliser une capote pour sucer ?

Je le fixai, surprise sur les premières secondes. Puis je jetais un œil sur la table basse, où j’avais effectivement remarqué qu’un paquet de préservatifs y traînait.

– Oui.

Loïc me fit signe d’un doigt :

– Prends-en une sur la table et viens prendre ma queue dans ta bouche.

Cash.

Et en même temps soucieux de ce que je voulais.

Parfait.

Les choses étaient en train de changer.

Je saisis la capote.

– Allez viens, souffla Loïc à peine m’approchai-je.

Il s’étendit sur le dos, sur la longueur du canapé, et m’attira contre lui pour m’embrasser. Il faisait toujours ça. Quelle que soit la manière dont il me traitait, il cherchait toujours mes lèvres.

Ce que j’en éprouvais était devenu différent, aussi. Le dégoût oublié, il restait cette sensation d’intrusion trop forte avec lui, de possession intense, mais qui m’excitait largement autant qu’elle me dérangeait.

En m’allongeant sur lui, je me rendis compte que son sexe était légèrement dur. Et qu’il le devint plus encore au fur et à mesure qu’on s’embrassait.

Il finit par me repousser vers sa queue.

– Vas-y. Suce-moi.

Et il attrapa deux coussins pour pouvoir les mettre derrière sa tête et ainsi se redresser pour me voir.

Je restais dans un entre-deux curieux. Loïc me donnait ce que j’attendais, certes, mais passer à l’acte persistait à m’être difficile. Je ne pouvais pas m’empêcher de me juger. De juger Loïc, dans son attitude et ses propos. De songer à Chris, derrière moi.

– Attends, dis-je.

Je me penchai sur la table pour attraper ma bière dont je bus une gorgée. Comme une respiration. Comme un décompte que l’on fait avant d’affronter une situation. Je croisai le regard de Chris. Lui aussi avait un quelque chose d’interrogatif dans le regard. Je crois que je lui faisais aussi se poser beaucoup de questions. C’était compréhensible, après tout. Je restais cette fille qui avait débarqué chez Loïc pour coucher avec lui et ses potes, tout en rechignant à donner quoi que ce soit sur ma vie privée.

– Tu veux fumer ? me proposa Loïc.

Je réfléchis quelques secondes.

– Oui, décidai-je enfin.

Chris se pencha vers moi.

– Tu veux que je m’en occupe ?

Sa voix était douce. Son expression aussi.

– Oui.

Je le laissai donc rouler, consciente que cette béquille-là ne m’était pas proposée par hasard ; que si Loïc l’avait fait, c’était qu’il avait remarqué mon stress. J’étais bien transparente.

L’excitation n’en pulsait pas moins dans mon ventre, tout comme l’envie. Cette fois serait différente de la première, je le savais, et je bouillais de voir comment. Ce qu’il se passerait, à quels actes elle aboutirait… Et aussi ce qui en sortirait, ensuite. Quelles portes nouvelles s’ouvriraient devant moi.

Sans plus attendre, je déboutonnai le jean de Loïc. Savoir Chris concentré sur une autre activité et non pas fixé sur ce que je faisais m’aidait. Avoir eu ce léger échange verbal, aussi : cette proposition de « soutien » de la part de Loïc, cette attention de Chris qui s’occupait de faire pour moi quelque chose dont j’avais exprimé le besoin… Cette forme d’attention que je n’avais ni exigée, ni attendue, mais qui était là, pourtant.

J’ouvris le jean de Loïc et le baissa légèrement, le faisant hausser les hanches pour me faciliter le geste. Et je sortis son sexe à l’air libre.

Il me parut tout de suite tentant, attirant. Quelque chose qui manquait à ma bouche. Quelque chose qui avait manqué à ma vie, ces derniers temps. Quelque chose qui manquait à mon être.

J’avais envie de le sucer, oui. J’avais envie qu’il pourfende mon ventre, j’avais envie qu’il me baise, et qu’ils se succèdent, avec Chris, qu’ils me prennent comme j’aurais aimé qu’Ayme le fasse… comme jamais je ne le lui aurais permis.

C’était bizarre d’attendre d’eux quelque chose que je n’aurais aucunement accepté de sa part.

Je déchirai l’emballage de la capote, la déroulai sur sa queue. Puis je me penchai dessus, prenant mon temps, cette fois, pour aborder son sexe… le frôlant de mon visage en tirant doucement la langue. Mais Loïc ne voulut pas de ça.

– Mets-la au fond de ta bouche, dit-il.

Je relevai la tête et l’observai.

Dans l’échange de regards qui suivit, ce fut comme si on tenait une conversation muette. Loïc me disait « je sais ce que tu veux » et je lui répondais « je ne suis pas sûre de pouvoir te faire confiance ».

Je choisis néanmoins de le suivre. Il me caressa les cheveux tandis que j’approchai ma bouche de l’extrémité de son sexe et commençai à y faire glisser sa longueur.

Je ne m’attendais pas pour autant à ce qu’il place sa paume sur l’arrière de ma tête, une fois que j’eus sa queue en bouche, pour me pousser plus loin. Ni qu’il me maintienne quelques secondes de trop quand je reculais pour me dégager. Putain de manière d’agir…

Je me redressai, tremblante, en colère et troublée, à bout de souffle et…, sérieux…, échauffée. Putain de corps. Putain de réactions de merde, en moi.

Putain de connard de Loïc qui me laissait penser une seconde que je pouvais me fier à lui pour me pousser trop loin dès la suivante.

Je le fixai, haletante, me demandant pourquoi il avait agi ainsi et s’il avait voulu faire impression devant son pote. C’était quelque chose auquel j’avais déjà songé, la dernière fois : comme s’il voulait montrer à Chris comment, lui, savait baiser les filles, ou se croire un modèle d’acteur de film X. Pour me maintenir ainsi son sexe dans la gorge, il fallait au moins avoir vu des films de cul. Et croire que c’était une marque de virilité, quelque chose que faisaient les types qui assuraient au lit. Peut-être était-ce juste une de ces merdes que les mecs se retrouvent parfois à avoir dans la tête.

– Je pensais que tu pourrais assumer, remarqua Loïc avec un sourcil haussé.

Je ne dis rien, parce que j’étais énervée, sur le coup, et puis aussi troublée. Je ne savais pas s’il venait de me tester, et je n’avais pas envie de lui dire que je n’en étais effectivement pas capable ou qu’il devait se calmer sur ce qu’il voulait tenter avec moi, parce que ça c’était ce qu’aurait dit l’autre « moi » : celui de tous les jours, celui d’avant. Et que le « moi » que j’étais avec lui voulait justement ce type d’acte de sa part, aussi perturbant que ce puisse être.

OK, j’étais pétrie de contradictions et je ne savais plus où j’en étais. Si ce geste de Loïc me heurtait, je n’avais pas envie pour autant qu’il agisse autrement. Ça allait avec le fait que je ne voulais surtout pas d’un mec bien. Là, il y avait une cohérence, au moins. Je voulais pouvoir me laisser aller entre des mains que je savais ne jamais risquer d’avoir une importance pour moi. Être jetables d’un instant à l’autre. Interchangeables à souhait. Surtout, je voulais n’avoir rien qui puisse, même de loin, me faire avoir peur de « perdre » quoi que ce soit. Dans le sexe, oui, connaître une forme de possession, parce que ça allait avec la relation d’« outils » réciproques que je recherchais, mais qu’elle s’arrête une fois refermée la porte du lieu où j’aurais eu ce rapport.

Chris m’évita de répondre en me proposant le joint qu’il venait de rouler. J’appuyai le dos sur le dossier du canapé et l’allumai en inspirant une longue bouffée. Le papier crama, et une odeur d’herbe s’éleva dans la pièce.

Mémoires d’un Olympien (2)

Chapitre 2

L’équipe suisse avait encore trois matchs à jouer et Damien mit de côté ses réserves pour aller soutenir les joueurs. La première rencontre fut remportée sans difficulté et il retrouva plusieurs de ses coéquipiers de championnat près des accès pour les athlètes. Un bref soulagement l’envahit en apprenant qu’Ivan leur avait fait faux bond pour la soirée. Les heures suivantes, il abusa de l’alcool, se laissa séduire par un groupe de snowboardeuses anglaises qui se moquèrent gentiment de son accent et échangea quelques regards insistants avec un Espagnol dont il n’était plus certain s’il pratiquait le curling ou le ski de fond. Néanmoins, Damien retourna seul dans sa chambre et mit deux longues heures avant de succomber à sa fatigue. Tout ce temps, il se demanda avec qui Ivan avait bien pu finir sa soirée.

À son réveil, l’esprit encore brumeux de ses songes, il tâtonna sous les draps pour se saisir de son sexe tendu qui lui hurlait son insatisfaction. Il n’ouvrit les yeux qu’un court instant pour s’assurer que le lit voisin était toujours aussi vide que la veille, puis sa main s’activa sur son membre engorgé. Pour la première fois depuis six ans, il ignora la pointe de culpabilité familière et ne lutta pas contre les images qui alimentèrent son fantasme. Ses souvenirs se déformèrent jusqu’à oublier la présence de Stella entre eux pour ne plus que sentir le poids d’Ivan au-dessus de son corps, leurs verges juste séparées par le tissu de leurs sous-vêtements. Contre sa paume, son sexe eut un sursaut de plaisir et il plissa les paupières pour garder cette image en mémoire. Pantelant, il imagina le souffle d’Ivan sur ses lèvres, le goût qu’aurait eu sa langue si l’un d’eux avait osé approfondir ce baiser. Son dos se cambra et il se répandit entre ses doigts. La respiration courte, il décréta qu’il n’était pas en état d’affronter la vie au village ou la simple amitié d’Ivan. Le service d’étage et le filtrage de ses appels suffiraient à l’isoler pour deux jours.

La demi-finale, où l’équipe d’Ivan rencontrait celle de Finlande, le pays organisateur, attira les spectateurs et il se retrouva dans des gradins bondés. Pour quelqu’un qui venait de passer quarante-huit heures reclus dans sa chambre d’hôtel, le bruit était assourdissant. Cependant, Damien s’estimait heureux de pouvoir se fondre au milieu de cette foule : pas un instant, il n’avait imaginé rater cette demi-finale, mais il ne tenait pas à être repéré par Ivan ou l’un de ses coéquipiers.

C’était sans compter sur les deux premiers tiers temps où la Finlande prit la tête de justesse. La défense finlandaise n’était pourtant pas parfaite et, à trois reprises, la Suisse put remercier la règle du dégagement interdit, sans laquelle l’écart de points n’aurait pas été rattrapable. Durant le dernier arrêt de jeu, Damien attendit de voir la surfaceuse pénétrer sur la glace, puis il quitta son siège et se précipita vers l’accès aux vestiaires. Toujours en courant, il bifurqua pour rejoindre le banc de l’équipe suisse et fut accueilli par la voix de leur entraîneur. Les ordres aboyés ne lui manquaient pas et il prit soin de rester en retrait pour ne pas se faire remarquer et ne pas subir les foudres du coach. Toutefois, leur capitaine, Marcus, le repéra et donna un coup de coude discret à Ivan pour attirer son attention.

Lorsque son ami releva la tête, Damien eut un choc. Il était habitué aux cheveux ébouriffés par le casque, mais pas aux traits tirés par la fatigue. Pourtant, l’équipe avait passé des nuits blanches à fêter des victoires ou des heures à s’épuiser sur la glace, mais jamais il n’avait vu cet abattement sur le visage d’Ivan. Leurs regards se croisèrent et il sentit son cœur s’accélérer. Garder ses distances avait été une mauvaise idée. Non seulement il n’avait pas réussi à enfouir de nouveau ses désirs, mais il avait aussi blessé son ami. Alors qu’Ivan avait insisté pour que rien ne change entre eux, lui-même l’avait fui. Il s’obligea à sourire de manière rassurante et fit un signe de main à ses coéquipiers qui l’avaient repéré.

L’entraîneur termina son laïus et s’approcha d’Ivan, certainement pour lui donner des informations sur la défense finlandaise et des conseils pour reprendre l’avantage. Damien n’aurait donc pas l’occasion de motiver lui-même son ami, mais Marcus en profita pour le rejoindre.

« On croyait que tu avais disparu. »

Le ton était gentiment moqueur, mais Damien grimaça de culpabilité.

« J’avais besoin d’un peu de solitude. Le principal, c’est que je sois là pour vous soutenir.

— T’avais plutôt intérêt, sinon je t’aurais fait souffrir au prochain entraînement. »

Le sourire gourmand de Marcus lui confirma que son capitaine regrettait de ne pas pouvoir mettre à exécution sa menace. L’entraîneur rappela ses joueurs pour se préparer à retourner sur la glace.

« Tu viens avec nous ce soir, réclama Marcus en se retournant pour rejoindre son équipe.

— Seulement si vous gagnez ! » lui cria-t-il.

Quelques têtes se tournèrent vers lui et Ivan lui adressa un sourire en coin avant d’enfiler son casque et de rentrer sur la patinoire. Damien les observa se placer face à l’équipe adverse et décida de rester où il était pour regarder la fin du jeu.

Le jeu suisse était plus agressif tandis que l’équipe finlandaise accusait la fatigue des premiers tiers temps. Les deux camps étaient à égalité et il commençait à craindre les tirs de fusillade pour la qualification en finale. À quatre minutes de la fin, Ivan reçut un coup dans le dos alors qu’il s’apprêtait à marquer un but. Le palet changea de trajectoire à cause du déséquilibre et Damien se redressa, alerte, en attendant la décision de l’arbitre. Ce dernier siffla la faute et mit les bras en croix au-dessus de sa tête. Un murmure désapprobateur s’éleva des gradins, mais les joueurs des deux équipes rejoignirent leur banc, laissant Ivan face au gardien finlandais pour le tir de pénalité.

Damien se crispa alors qu’Ivan prenait position. S’il marquait ce but, son équipe était garantie de remporter une médaille. Les pieds écartés, Ivan prit appui sur sa crosse. Sitôt qu’il toucha le palet, le gardien adverse s’avança sur lui pour le contrer. Cependant, Ivan avait un regain d’énergie depuis le début de ce tiers temps et il contourna avec aisance l’autre hockeyeur, évitant le contact et s’offrant une ouverture face au but. Le point fut validé et les joueurs des deux équipes revinrent sur la patinoire. Les dernières minutes s’écoulèrent dans une ambiance tendue : la Finlande tentait de ramener le score au match nul pour gagner une nouvelle opportunité aux tirs de fusillade tandis que la Suisse concentrait tous ses efforts dans sa défense pour s’assurer la victoire. Le coup de sifflet annonçant la fin du match fut accueilli par une majorité de cris déçus depuis les gradins. Les joueurs suisses, euphoriques, jouaient des coudes pour quitter la glace et Damien s’éclipsa pour laisser l’équipe retourner au vestiaire pour savourer leur victoire.

La fête battait déjà son plein quand il franchit les portes et il repéra plusieurs hockeyeurs visiblement déjà prêts à rentrer cuver leurs bières. Marcus en soutenait un, l’aidant à avancer vers la sortie. Il s’arrêta à hauteur de Damien et lui posa une main sur l’épaule :

« Je ramène celui-là dans sa chambre. Et crois-moi, il va me le payer. En attendant que je revienne, surveille-les pour moi.

— Je suis pas ta baby-sitter », se plaignit-il, mais Marcus l’ignora et continua son chemin.

Malgré tout, Damien se retrouva à empêcher plusieurs de ses coéquipiers de championnat de commander davantage d’alcool. À quelques tables d’eux, Ivan trinquait avec de parfaits inconnus et il tenta de garder un œil sur lui également. Il essaya d’oublier la sensation des lèvres d’Ivan sur les siennes chaque fois qu’il croisait son regard et d’ignorer sa propre jalousie chaque fois que son ami souriait à quelqu’un d’autre. En vain.

Lorsque Marcus franchit à nouveau la porte, Damien n’attendit même pas son accord pour abandonner la table. À peine avait-il fait quelques pas qu’Ivan lui attrapa la main et le guida vers un endroit plus tranquille. Damien observa leurs mains et se demanda si le contact avait toujours été aussi facile entre eux. La réponse était oui. Elle était aussi vraie pour quelques autres joueurs dont il se sentait proche. Néanmoins, il avait l’impression de trahir la confiance de son ami. Si un tel geste était banal auparavant, il savait que ce n’était plus le cas en ce qui le concernait. Le couloir où Ivan les conduisit était désert et cela ne fit rien pour calmer ses nerfs. Celui-là libéra sa main pour lui faire face :

« Je suis désolé.

— Quoi ? s’étonna-t-il. Pourquoi ?

— Je ne pensais pas te mettre mal à l’aise à ce point-là. Tu n’es pas obligé d’éviter l’équipe à cause de moi…

— Arrête ! l’interrompit-il, un rire nerveux au bord des lèvres. Tu n’y es pour rien. C’est moi qui… C’est intense ces Jeux, d’accord ? J’avais juste besoin d’un peu de temps pour assimiler tout ça. »

Ivan le fixa d’un air curieux et Damien ne put pas lui en vouloir. La défaite de son équipe avant même d’avoir une chance de médaille ou le manque de sommeil à force de faire la fête et de s’entraîner n’avaient rien à voir avec son angoisse des derniers jours. Mais s’il pouvait s’en sortir avec cette explication, il préférait éviter d’aborder le vrai problème.

« OK, finit par céder Ivan. Tout va bien entre nous, alors ?

— Aucun malaise », mentit-il.

Trois jours plus tard, la fin des Jeux approchait. Damien avait peu vu l’équipe suisse dont les créneaux d’entraînement s’étaient multipliés pour préparer la finale contre le Canada. Les rares moments qu’il avait passés avec eux avaient été calmes et il avait fait de son mieux pour ne pas paraître trop absorbé par la présence d’Ivan. Cependant, il n’était pas convaincu de son succès. Le moindre geste d’Ivan attirait son attention et il croisa son regard bien plus souvent qu’avec la totalité des autres joueurs présents. il cherchait à décrypter l’attitude d’Ivan, au point de se demander si ses propres désirs ne l’incitaient pas à interpréter comme bon lui semblait chaque sourire ou chaque contact.

La finale se déroula dans le calme et sans réelle surprise. Peu de spectateurs avaient fait le déplacement puisque l’issue du match était prévisible. Le Canada tentait sa quatrième médaille d’or d’affilée ; malgré la motivation de l’équipe suisse, leurs adversaires prirent l’avantage dès le second tiers temps sans leur laisser la possibilité de remonter au score. Avec sept points d’écart, le Canada remporta la victoire et la Suisse grimpa sur le podium pour recevoir la médaille d’argent.

Damien ne parvint pas à rejoindre ses amis après la remise des médailles et dut patienter jusqu’au soir pour espérer les retrouver à la cérémonie de clôture. La délégation française passait en huitième position, ce qui lui laissait quelques minutes pour essayer de voir les équipes suisses. Il repéra ses coéquipiers de championnat et se précipita sur eux pour les féliciter de leur médaille. Marcus et les autres retournèrent sa brève accolade, mais Ivan le garda contre lui deux ou trois secondes de trop pour son confort. Quand il put enfin s’écarter, ce fut pour sentir Marcus lui ébouriffer les cheveux en un geste paternaliste :

« Profite bien de tes vacances en France et sois en forme pour ton retour. Je vais vous en faire baver. »

La Marseillaise résonna dans le stade et Damien abandonna l’idée de répondre à son capitaine. Avec un dernier geste de la main, il se précipita pour rejoindre sa délégation et faire ses adieux aux Jeux Olympiques.

Le retour en Suisse pour la reprise du championnat fut compliqué. Son séjour chez ses parents l’avait reposé et il avait fait ce qu’il maîtrisait encore plus que le hockey : ignorer ses problèmes. Et il géra plutôt mal de se retrouver confronté à Ivan.

Les incidents lors des entraînements se multiplièrent. Aux yeux des supporters ou des journalistes, présents pour suivre une partie de l’équipe olympique médaillée d’argent, les erreurs pouvaient être attribuées à la fatigue des joueurs ou à des difficultés à retrouver le rythme habituel. Mais Damien percevait la tension qui régnait entre lui et Ivan et savait qu’il en était le seul responsable.

C’était peut-être le plus vexant, d’ailleurs, de savoir qu’Ivan était capable de garder la tête froide. Pour lui, rien n’avait changé : il ne s’interdisait aucun contact, ne baissait pas le regard dès qu’il entrait dans le vestiaire, ne cherchait pas à l’épargner quand ils étaient sur la glace ou ne trouvait pas une excuse pour se défiler à chaque soirée d’équipe. Damien redoutait le moindre frôlement, avait peur que son corps ne le trahisse. Il craignait aussi de s’enivrer et de finir par demander à Ivan s’il pensait bien ce qu’il lui avait dit aux JO : que, si c’était avec lui, il serait prêt à tout envisager. Et ses désirs obscurcissaient tant son jugement qu’il interprétait l’attitude d’Ivan, dans chacun de ses détails, pour nourrir ses fantasmes.

L’entraînement s’était terminé depuis un moment, mais le capitaine les avait retenus sur la glace, lui et Ivan. Marcus progressait lentement sur la patinoire, leur faisant des passes molles avec le palet.

« D’abord, je dois vous dire que je ne tiens pas à savoir ce qu’il s’est passé au village olympique, mais je suis certain que le malaise vient de là. Je suis juste inquiet pour l’équipe. Alors, soit vous réglez ça entre vous, soit je serai obligé d’intervenir. Et ça ne fera plaisir à personne. »

Damien déglutit à l’idée de devoir expliquer la source de la tension entre lui et Ivan. Un coup d’œil à ce dernier lui confirma que son ami préférait aussi éviter d’entrer dans les détails avec Marcus. Surtout en sachant que celui-ci n’avait pas vraiment de limites quand il s’agissait de maintenir la cohésion dans l’équipe.

« On va régler ça, promit-il.

— C’est dans votre intérêt, menaça Marcus. Je ne veux plus entendre parler d’un transfert dans ces conditions. »

Leur capitaine, satisfait, quitta la glace. Damien chercha le regard d’Ivan pour dissiper son incompréhension mais, pour la première fois depuis leur soirée avec Stella, ce fut son coéquipier qui l’évita. Ivan poussa sur ses patins et se lança dans un exercice de vitesse en entraînant le palet de sa crosse. Sans hésiter, Damien fit demi-tour pour rejoindre les vestiaires. Il pouvait bien être lâche quelques minutes de plus et laisser à Ivan l’espace dont il avait besoin.

Marcus était dans les douches quand il arriva dans le vestiaire. Il prit son temps pour ôter son équipement, enroula une serviette à sa taille et s’assit sur son banc habituel, dos au mur. Son capitaine était déjà en train de sécher. Il contourna Damien pour récupérer ses affaires propres dans son casier, mais tous deux gardèrent le silence. Pour Marcus, la question était réglée et Damien ne l’entendrait plus mentionner l’incident si lui et Ivan parvenaient à surmonter ce malaise. Quelques instants plus tard, il se retrouva seul dans les vestiaires et ferma les yeux dans l’espoir de trouver une façon d’aborder le sujet avec Ivan.

Il fut interrompu dans ses pensées par le claquement de la porte. Sans un mot, Ivan traversa la pièce pour ouvrir son casier. Ses gestes trahissaient son agacement et Ivan sortit ses affaires pour la douche avant de se déshabiller et fourrer sa tenue dans son sac. Alors que son coéquipier se retrouvait nu, Damien regretta de ne pas avoir profité de sa solitude pour se doucher et s’habiller. Il était un peu trop conscient de sa propre semi-nudité. De peur de rompre le silence, Damien resta immobile et observa son ami, maintenant appuyé contre les casiers. Le corps offert à sa vue ressemblait à une invitation dont Damien n’était pas sûr qu’elle soit réelle ou le fruit de son imagination.

Un soupir agacé d’Ivan alors qu’il ramassait sa serviette le fit réagir. La boule au ventre, il se lança :

« C’est quoi cette histoire de transfert ? »

Ce n’était peut-être pas le sujet principal, mais il était satisfait d’avoir pu adresser la parole à Ivan sans se décomposer ou laisser sa voix le trahir. Le hockey était un sujet sauf ; ils pourraient se lancer au cœur du problème plus tard.

« Ça ne va pas se faire, Marcus va y veiller. Je pensais que ce serait plus simple pour toi comme ça, admit Ivan sans lui accorder un regard.

— Pour moi ? répéta-t-il, incrédule. Comme si te voir quitter l’équipe allait me consoler d’être incapable de gérer la situation sans rendre les choses bizarres.

— C’est moi qui ai créé la situation et l’équipe en pâtit déjà. Mon jeu et le tien sont perturbés. Alors, oui, j’étais prêt à changer de club si ça pouvait t’aider à oublier ma décision.

— Je t’ai dit que ce n’était pas ta faute.

— Ah non ? s’agaça Ivan. Alors, explique-moi. On passe une heure avec Stella, je t’embrasse, tu disparais pendant deux jours et, depuis, c’est à peine si tu oses être dans la même pièce que moi. »

Damien grimaça en réfléchissant à la façon de formuler sa réponse, mais Ivan chercha son regard et l’accrocha un instant, avant de secouer la tête et de retrouver un semblant de sourire :

« Je sais que j’ai été égoïste, mais je n’ai pas songé aux conséquences. Je croyais pouvoir avoir ce moment avec toi et conserver notre amitié. Évidemment, je me suis trompé. »

Ivan soupira tandis que Damien tentait de remettre de l’ordre dans ses idées.

« Ne m’attends pas pour partir, j’ai encore ma douche à prendre.

— Je n’ai pas pris la mienne non plus, rétorqua-t-il, le cœur battant. Si tu veux bien qu’on partage. »

Ivan s’arrêta à cette proposition et recommença à le jauger du regard. De peur de perdre sa contenance, Damien baissa les yeux pour rompre le contact et examiner ses pieds nus. Ceux d’Ivan entrèrent dans son champ de vision. Le bruit de leurs respirations résonnait dans le vestiaire et il savait que ses joues étaient en feu. Doucement, il releva la tête, laissant son regard s’égarer sur les courbes dénudées d’Ivan qui étaient à la fois familières et intrigantes. Avant de croiser le regard de son ami, il eut un sursaut d’audace et tendit la main, mais Ivan saisit son poignet pour arrêter son geste. Il leva alors un regard interrogateur et Ivan lui tira sur le bras pour le hisser à sa hauteur.

« Si tu me touches maintenant, tu vas te retrouver plaqué contre ces casiers. »

L’idée était plus que séduisante s’il en croyait la bouffée de chaleur qui l’envahit, mais terrifiante aussi. Pourtant, il força contre la poigne qui le retenait et posa sa paume à plat sur les pectoraux d’Ivan. La peau sous la sienne était encore moite de sueur, les muscles saillants et l’envie de marquer cette chair de ses ongles le surprit par sa violence.

Cependant, Ivan tint sa promesse et l’attrapa par les hanches pour le repousser contre les casiers. Le métal froid dans son dos ne l’empêcha pas de sentir son bas-ventre en feu alors qu’Ivan dénouait sa serviette pour la laisser s’échouer au sol. Les cinq centimètres que Damien avait sur son ami semblaient dérisoires alors qu’Ivan le maintenait en place, piégé entre ses mains et ses jambes. Leur nudité ne l’inquiétait même plus. Le regard intense d’Ivan sur sa bouche et son cou, en revanche, lui faisait perdre ses moyens.

Il caressa le torse d’Ivan et remonta jusqu’à accrocher sa nuque, puis l’attira à lui pour poser la bouche sur la sienne. Le contact était aussi léger que la première fois, quand Stella l’avait demandé à Ivan, mais celui-ci maintint la pression plus longtemps. L’hésitation était inutile vu leur position, aussi Damien entrouvrit-il les lèvres. D’abord incertain, le baiser s’enflamma rapidement. Le dos plaqué aux casiers, il sentit le métal s’enfoncer dans sa peau à mesure qu’Ivan s’appuyait davantage sur lui.

De sa main libre, il s’accrocha à l’omoplate d’Ivan et y laissa de profondes marques d’ongles quand celui-ci enroula les doigts autour de son sexe. Les mouvements sur sa verge étaient secs et presque douloureux à cause du peu d’espace qu’avait Ivan pour bouger sa main. Néanmoins, le simple fait de savoir qu’un autre homme — Ivan — le caressait et l’embrassait lui suffit pour perdre le contrôle. Son orgasme le cueillit par surprise et il abandonna la bouche d’Ivan pour observer son sperme qui coulait sur les doigts de son coéquipier. Ce dernier relâcha son membre sensible et se recula légèrement.

« On devrait prendre cette douche, maintenant. »

Damien entendit l’eau couler avant de sortir de sa stupeur et se précipita pour le rejoindre. Le corps d’Ivan était tel qu’il l’avait toujours connu, tel qu’il le voyait dans ses fantasmes : l’érection insatisfaite l’interpellait, mais il se trouvait bien plus embarrassé par son inexpérience dans la réalité.

« On devrait s’occuper de toi aussi, proposa-t-il en pointant l’évidence.

— Mets-toi face au mur », lui demanda Ivan.

Malgré sa nervosité, il obtempéra. Sous le jet d’eau, il prit appui sur le carrelage et essaya de se détendre. Aucun de ses fantasmes ne l’avait préparé à cette réalité. Ne plus refouler ses envies, avec quelqu’un en qui il avait confiance, était exaltant ; toutefois, l’angoisse de l’inconnu le paralysait. Le bruit du bouchon du flacon de gel douche le fit sursauter. Ivan se rapprocha de lui, accrocha une main sur sa hanche et Damien sentit l’érection frotter le haut de sa cuisse. Ivan posa son autre main dans son dos pour le savonner. Le massage dura un moment et Ivan insista avec son pouce pour dénouer ses points de tension.

Plusieurs minutes de ce traitement lui firent oublier sa vigilance. Sa tête retombait entre ses bras et il s’était cambré sous les caresses d’Ivan. Puis celui-ci glissa sa main savonneuse entre ses cuisses. Il taquina son périnée avant de masser ses testicules et d’agacer son sexe repu. Damien essaya de rester docile mais, lorsque la main remonta entre ses fesses, l’appréhension eut raison de son excitation. Il tendit un bras en arrière pour bloquer le poignet d’Ivan. Pour tout ce qu’il avait testé en se masturbant, il ne doutait pas d’y trouvera son plaisir, mais il n’envisageait pas sa première fois avec un homme ainsi. Sinon, il aurait depuis longtemps cédé à ses pulsions dans l’anonymat d’un club.

« Je ne veux pas gâcher ton plaisir, mais mon expérience avec les hommes se résume à ce qu’on vient de faire, alors je ne suis pas sûr d’être vraiment prêt. Mais je ne suis pas contre tenter n’importe quoi avec toi. Plus tard. »

Ivan resta immobile et embrassa son épaule, puis mordit la peau délicate à la base de sa nuque ; les genoux de Damien fléchirent sous la décharge de plaisir.

« Ne me donne pas des idées, grogna Ivan. Et détends-toi, on n’a pas de préservatif.

— Donc, ce n’est pas pour ce soir. »

Alors qu’il était inquiet un instant auparavant, il se trouva ridicule en entendant la déception dans sa propre voix. Ivan retira la main d’entre ses jambes et attrapa la sienne pour la poser contre le carrelage. La verge tendue d’Ivan glissa entre ses cuisses et il sentit l’érection coulisser le long de son périnée et cogner dans ses testicules à la cadence de ses courts va-et-vient.

« Resserre un peu les cuisses, murmura Ivan contre son omoplate. Et sinon, tu décides du rythme. On a tout notre temps et j’ai de quoi nous occuper en attendant. »

Les coups de rein s’intensifièrent, comme si Ivan imaginait déjà tout ce qu’ils allaient pouvoir tester. La jouissance de Damien était trop récente pour lui en permettre une nouvelle si tôt, mais cela ne priva pas son sexe de faire un effort pour tenter de répondre à la stimulation. Les doigts d’Ivan s’enfoncèrent à sa taille et il sentit le membre pulser entre ses cuisses. La curiosité attira son regard plus bas, mais l’eau de la douche nettoyait déjà la preuve de leur plaisir.

Ils passèrent le week-end chez lui. Ivan se révéla insatiable et Damien plus qu’heureux de se plier à ses désirs.

À l’entraînement suivant, malgré ses muscles endoloris, ils n’esquivèrent aucun contact entre eux deux pour prouver à leur capitaine que le problème était résolu. Et peut-être pour profiter de chaque excuse pour plaquer l’autre contre une paroi. Leur relation allait pimenter le jeu.

Quatre ans plus tard

La sonnerie lui annonça l’arrivée d’un nouveau message et Damien roula au-dessus d’Ivan pour attraper son téléphone sur la table de nuit. Leurs médailles s’entrechoquèrent, provoquant un rire chez son partenaire. Damien se laissa retomber sur le dos et Ivan en profita pour poser le menton sur son torse.

« Qui ose nous interrompre ? s’indigna Ivan.

— Marcus.

— Dis-lui de nous oublier, il n’est plus capitaine.

— Libre à toi d’envoyer bouler l’assistant de l’entraîneur, mais tu ne me feras pas plonger avec toi.

— Et moi qui croyais que tu m’aimais », soupira Ivan.

Damien leva les yeux au ciel sans le gratifier d’une réponse et pianota un message pour Marcus avant de reposer le téléphone. Ivan faisait rouler entre ses doigts la médaille de bronze de Damien :

« Qu’est-ce qu’il voulait ?

— Qu’on range nos médailles avant de fêter nos titres olympiques.

— Trop tard ! » s’amusa Ivan.

En effet, ils s’étaient sauvés des soirées avec leurs équipes dès que possible pour rejoindre la chambre d’Ivan. Le programme était simple : se retrouver nus, avec leurs médailles — une de bronze pour lui et deux d’argent pour Ivan — pour seuls vêtements et autant de sexe que possible avant la cérémonie de clôture le lendemain.

« Il va nous tuer au prochain entraînement, se plaignit-il.

— Il n’est pas obligé de savoir.

— Il m’a écrit que sa sœur lui prêterait la lumière noire de son labo pour vérifier les traces. Comment on nettoie le sperme à ton avis ?

— Aucune idée. Mais on peut essayer de noyer les tâches en recouvrant la surface. Ça devrait lui passer l’envie de nous déranger. »

Ivan l’embrassa pour l’empêcher de répliquer ou de se lancer dans un débat stérile. Damien oublia ses protestations lorsqu’il le sentit s’agenouiller de part et d’autre de sa taille. Depuis les derniers J.O., ils avaient réussi à trouver leur équilibre pour rester discret sur leur relation et ne pas la laisser interférer avec l’équipe et leur jeu. Mais les semaines au village olympique, où ils défendaient des couleurs différentes, leur permettaient d’oublier ces règles.

Les médailles tintèrent les unes contre les autres quand Ivan se redressa dans un soupir satisfait. Damien empoigna ses hanches pour imposer son rythme et le faire jouir sur son ventre. Sur sa médaille. Peut-être que dans quatre ans, ils seraient encore sélectionnés. Peut-être que la France renouvellerait l’exploit de grimper sur le podium et que la Suisse parviendrait à détrôner le Canada pour ajouter l’or à leur collection. Peut-être qu’Ivan et lui fêteraient ces titres d’un nouveau marathon dans leur chambre d’hôtel. Damien ne pouvait qu’espérer le meilleur.

Ainsi sombre la chair – Les jours heureux

Les jours heureux

Tu te rappelles, la fois où ?

On avait souvent des conversations comme ça, avec Ayme.

Avant.

Tu te rappelles, la fois où on est rentrés de chez Binbin, quand j’habitais rue Paul Cazeneuve ?

Binbin était le pote par lequel on s’était connu, avec Ayme. Il m’avait draguée – j’en ai parlé au tout début : du mec le plus beau qui me draguait –, mais j’avais alors découvert Ayme et mon attention avait été toute entière captée par lui. Mon existence avait été aspirée, comme ça. Vioup. C’était l’époque où la vie entière s’arrêtait à l’instant, et où l’instant était toujours le plus merveilleux qui soit.

On n’avait besoin de rien, autant que je me souvienne. On n’aspirait pas à grand-chose. J’étais une semi-teufeuse. Ça m’amusait de qualifier ma vie ainsi : ça fait partie des mots que je disais en rigolant et dont je n’ai réellement compris la justesse que des années plus tard : cette façon dont je me coupais en deux… Il y avait le semi de moi-même qui se donnait sans réserves ni limites pour les autres : mes parents, mes patients, Ayme… et il y avait l’autre semi de moi-même qui faisait n’importe quoi, dans une exacte équivalence dans l’extrême, de chaque côté. Dans mon métier, en particulier, c’était flagrant. Au plus je me montrais douce et à l’écoute, attentive au moindre détail, auprès des patients, au plus je me pochtronnais au gré des soirées que l’on passait derrière. Au plus je me montrais l’élève parfaite auprès des professionnels des services où je faisais mes stages, au plus j’enchaînais les excès à l’extérieur. Mon empathie et ma capacité à absorber tout en silence n’a toujours eu d’égale que celle de me foutre en l’air à côté, même quand j’ai été diplômée. Les situations dramatiques que je vivais et gérais sans en montrer la moindre fissure en tant que professionnelle donnaient des dégradations secrètes dans des beuveries et absorptions de produits prompts à attaquer mon cerveau quand je faisais ce que je qualifiais en riant de me « mettre la tête à l’envers ». Ça aussi, c’était une expression qui m’amusait mais dont je n’ai perçu la pertinence que plus tard. A l’envers, c’était retourner le monde, c’était tenter un retour en arrière qui n’arriverait pas, un reset de mon esprit. Je fumais énormément, et je crois que j’ai tout fait, à cette époque : me faire virer manu militari d’un bar, partir sur un coup de tête à l’océan, dormir sur un coin de trottoir, décider de passer la nuit dans un squat de punks à chien croisés au détour d’une allée, m’évanouir dans la rue, faire du vélo dans une fontaine, bourrée, me réveiller dans un lit qui n’était pas le mien et sans savoir ce que j’y faisais et pourquoi j’y étais nue, encaisser des black-outs de plusieurs heures en étant incapable de savoir ce que j’y avais fait, vomir jusqu’à ne plus avoir que de la bile à faire sortir, avoir des bad-trips… OK, dit comme ça, aujourd’hui, ça me choque moi-même un peu, mais je le prenais avec relativité, à l’époque. Je le prenais comme j’avais pris, plus jeune, ce pédophile qui m’avait touchée, c’est-à-dire par-dessus la jambe : comme des évènements insignifiants de ma vie puisque, finalement, ils avaient tous fini par bien se passer, ou du moins… pas trop mal. Que je n’en avais pas été réellement impactée. C’était ce que je croyais, en tout cas. Enfin, sauf les bad-trips : ceux-ci, je n’ai jamais pu les oublier. Ceci-dit, et puisqu’il faut toujours voir le positif en ce monde, du moins si on y parvient, je dois leur accorder de m’avoir aidée à me modérer. Je n’ai pas arrêté, mais j’ai été plus vigilante sur ce que je consommais, derrière. C’est grâce à eux que j’avais arrêté les joints et les rares prises de produits « annexes » que j’avais pu faire, à une époque, et que je n’avais repris la fumette plus tard que dans une consommation beaucoup plus contrôlée et modérée.

J’avais rencontré Ayme dans ce milieu de teufeurs, donc, de « gentils teufeurs », quand même, et on était vite devenu doubles, ensemble. Qu’importe que je me mette minable lors d’une soirée : si Ayme voyait que j’étais en train de partir trop loin, il s’arrêtait direct de boire et de fumer pour pouvoir s’occuper de moi, et pareil réciproquement. J’ai passé des heures assise par terre, à caresser la tête d’Ayme le temps qu’il parvienne à désaouler, heureuse de passer les doigts dans ses cheveux en attendant qu’il aille mieux. Il m’a portée et déshabillée avant de me coucher tant de fois, parce que je n’arrivais plus à le faire moi-même, que je ne pourrais en donner même une estimation. Il a retenu mes débordements, j’ai géré ses excès. Il y en a toujours eu un pour veiller sur l’autre, et j’étais parfaitement en confiance, et c’était merveilleux de savoir qu’on pouvait tout se permettre parce que l’autre serait là. Qu’il n’y avait pas de limites. Que tout pouvait être réalisé parce qu’on était deux, et qu’être deux, ainsi, nous protégeait de tout…

Et puis on riait de tout, aussi.

J’ai appelé cette période de ma vie « Les jours heureux », parce que c’est ce qu’ils étaient pour moi, même si je me rends compte que, vu ce que je décris, l’image peut ne pas paraître si gaie. Pourtant, et je le dis sincèrement, j’étais vraiment heureuse. On enchaînait les teufs, les concerts et les festivals. On ne laissait notre envie de vivre n’être arrêtée par rien : ni le manque d’heures de sommeil, ni l’imprévu, ni l’absence de lieu pour dormir, parfois. Qu’importe, pourvu qu’on vive et qu’on se crée des souvenirs, ensemble, qu’on emplisse notre besoin d’existence à en déborder ! On trouvait toujours un endroit pour poser nos fesses et grappiller le sommeil qui manquait trop à notre organisme, et tous les souvenirs étaient bons. On vivait des galères, mais on les vivait ensemble, on les partageait avec nos amis, et puis surtout à deux, et on en riait plus tard, et c’était tout ceci qui les rendait formidables et gaies.

Et surtout, on s’aimait.

On s’aimait avec la même folie douce que celle avec laquelle on croquait la vie : sans limites ni réserves, dans cette entièreté bercée d’inconscience qui est celle de la jeunesse.

Tu te rappelles, la fois où on est rentrés de chez Binbin, quand j’habitais rue Paul Cazeneuve ?

Oui. J’avais un peu trop bu, ce soir-là, et tu m’avais raccompagnée en me tenant par la taille, et tu me faisais vivre chaque virage en mode « montagnes russes ». Et je riais ! Tu m’annonçais la bifurcation suivante en me disant « attention, ça va tourner ! » et, paf, tu me faisais valser dans la direction voulue, et je m’accrochais à toi, et j’étais prise de vertige, et la vie était la plus belle, parce que je me serrais contre toi et qu’on riait tous les deux, et qu’on était toi et moi, c’est tout.

Puis on était rentrés et tu m’avais aidée à monter l’escalier. Je me cassais la figure, mais ce n’était pas grave, parce que tu me tenais, et que tu me souriais, et que tu étais là.

On avait fait bouillir de l’eau, pour faire du thé.

On avait tellement laissé bouillir cette casserole, oubliée sur le gaz, que quand on y avait enfin porté notre attention, elle était à sec et le fond avait commencé à cramer, mais ce n’était pas grave non plus, parce qu’on avait fait l’amour.

Je m’étais échoué sur le lit, en riant, toujours. Toujours, en riant. Et tu m’avais rejoint pour couvrir mes rires de tes baisers.

Et tu avais posé sur moi tes mains qui étaient à nulles autres pareilles, et posé sur mes lèvres ta bouche qui était à nulle autre pareille, et chacune de tes caresses m’avait couverte de frissons, et chacun de tes baisers m’avait emportée, et chaque seconde avait été une extase à elle seule, parce que c’était toi et que « avec toi » était ce qui suffisait à rendre tout merveilleux. Et quand tu étais entré en moi, ça avait été comme si nos corps étaient parfaitement faits l’un pour l’autre, comme si là était ta place et là ce qui manquait à mon être, comme si tout le sens de ce que l’on éprouvait était là-dedans, toute la justesse du monde, tout ce qui fallait pour rendre la vie parfaite et complète : toi et moi, nos peaux nues l’une contre l’autre, et nos chairs mêlées.

Et j’étais heureuse.

J’étais ivre de vivre, et ivre de bonheur, et chaque jour à venir ne pouvait qu’être plus gai et doux, et somptueux que le précédent, parce que c’était avec toi.

Avec toi, juste.

Toi.

Ainsi sombre la chair – Ayme

Ayme

Lorsque je rentrai, on était en plein cœur de la nuit, mais Ayme était assis dans le salon, éveillé. Un joint au bord des lèvres : un « stick », un truc super léger, fait pour une seule personne. La pièce était restée dans le noir et il ne bougeait pas, la tête renversée sur le dossier du canapé, avec une fine volute de fumée qui montait vers le plafond et un regard pensif.

Je fus plus qu’étonnée. Mais pas avec le sentiment d’être coupable.

J’avais été emplie de stress, de colère et de rejet à son égard, les jours précédents. Sur le moment, je me surpris pourtant à l’observer différemment, un peu comme s’il était encore ce compagnon de galères, et de joies, qu’il avait tant pu être pour moi : celui avec qui, quoi qu’il se passe, on pouvait en parler. Et en sourire parce que rien ne pouvait nous atteindre vraiment. Parce qu’on était deux.

– Tu ne devais pas bosser ? dis-je.

Il ne répondit qu’au bout de quelques secondes. Il regardait toujours le plafond.

– Si, mais on était en surnombre. Ma cheffe m’a laissé rentrer.

Ce n’était pas fréquent.

C’était même totalement surprenant, et je ne pus m’empêcher de me demander s’il n’y avait pas quelque chose derrière ça, d’autre que la consigne de sa chef, quelque chose de l’ordre de la dépression ou… Je ne savais pas. On ne reste pas aussi longtemps dans une phase de deuil, normalement, mais je n’étais jamais parvenu à en parler sereinement avec lui. C’était même une source de conflit horrible, parce que, à chaque fois que je disais à Ayme qu’il faisait une dépression, il me répondait que non, à chaque fois que je l’invectivais d’aller voir un psy il refusait, et je l’avais fait en hurlant, et je l’avais fait en pleurant, je l’avais fait en me roulant par terre, brisée de larmes et de désespoir… Rien n’avait jamais abouti qu’à le faire fermer plus de portes autour de lui et se murer dans son déni, avec toutes les conséquences dramatiques que ça avait eu sur notre couple. Je l’avais assez haï, pour ça : pour tuer notre relation et nous tuer nous deux et ne rien faire pour enrayer ça.

Il ne me demanda pas où j’étais allée. Je lui en fus gré. Il ne me demanda même pas pourquoi je rentrais si tard, ou comment j’étais rentrée. Et je fus incapable de m’empêcher de penser qu’il savait. Qu’il ne pouvait que savoir parce qu’après tout, il était Ayme, et qu’on ne s’était jamais rien caché. Qu’il avait toujours tout su de moi, comme j’avais toujours tout su de lui, qu’on avait toujours été transparents l’un envers l’autre. Mais, cette fois encore, je ne dis rien, et je fis comme s’il ne savait pas, et comme s’il n’y avait rien à savoir, de toute façon.

Juste, je m’assis sur le canapé. Je me sentais infiniment triste, avec la tête lourde, et les images de ce qu’il s’était passé avec Loïc et Chris qui ne cessaient de me tourmenter. Comment je m’étais laissée baiser par ces deux mecs défoncés. Comment j’avais cherché, et voulu ça.

– Où on va ? lui dis-je.

La question n’était pas vraiment pour lui. Elle était plus pour moi, et il ne pouvait pas me répondre, de toute façon, parce que c’était moi, qui le rejetais. Moi, qui avais mis ces barrières, ces murailles immenses, entre nous. Alors je continuais.

– Où on va, là ? Qu’est-ce qu’on fait ?… C’est quoi, la vie vers laquelle on se dirige, maintenant ? Ce qui va nous arriver ?

Je regardais ce besoin d’être touchée que j’allais chercher ailleurs alors que je crevais d’être touchée par lui et que lui crevait de me toucher, mais que je lui refusais parce que je ne supportais plus ne serait-ce que l’idée qu’il puisse recommencer, derrière. Que je puisse, à force d’efforts, et d’espoirs inouïs, et de volonté d’y croire, abaisser de nouveau mes barrières… pour qu’il re-détruise tout. Qu’il me blesse dans la si angoissante vulnérabilité que je lui aurais donnée. Je ne le pouvais plus.

Où était la baguette magique, qui aurait tout réglé, tout arrangé ? Qui aurait fait un reset sur tout ce qu’il s’était passé, depuis l’époque où on avait été un couple heureux, qui aurait effacé l’ineffaçable ?

Ayme tourna le visage vers moi pour m’observer avec ses sourcils froncés. J’avais aimé ses yeux, infiniment. Je m’étais dit que, quoi qu’il se passe, avec les années, quelle que soit la manière dont son visage pourrait changer, ils resteraient toujours avec cette si belle lumière, dedans. Que ça, ça ne bougerait pas. Désormais, j’y voyais de la douleur et de la méfiance, comme s’il anticipait ce que j’allais lui dire, après. Il avait toujours cet air-là, ces derniers temps.

– Qu’est-ce que tu veux dire ? me demanda-t-il.

Il semblait toujours craindre que tombe le couperet que j’avais suspendu au-dessus de lui : que je le quitte. Pour de vrai, pour de bon. J’étais cruelle de maintenir cette menace ainsi, mais c’était parce que j’en avais besoin : que c’était un garde-fou, pour qu’Ayme accepte ma prise de distance, et toutes les barrière que j’avais mises entre nous. Et parce que j’étais incapable de le faire tomber. Je ne pouvais que le laisser suspendu.

Je repensais aux mains de ces deux hommes sur ma peau, et à leurs sexes en moi. Je songeais à ce fond de tendresse que je sentais encore en mon âme pour Ayme et qui ressortait soudain d’un coup, piétiné, écrasé, mais sans que je n’aie jamais réussi à l’annihiler, pour autant. Ce sentiment latent et douloureux.

– Un miracle, soufflai-je.

Les mots sortaient comme ça, tous seuls, comme hors de moi-même.

J’ajoutais :

– Autre chose.

Autre chose que cette vie de merde que l’on avait. Autre chose que ce vers quoi je m’enfonçais désormais, cette voie que j’étais en train de prendre et que je sentais sans possibilité de retour. Comme vouée à nous tuer plus encore.

Quelque chose qui nous tire de là, n’importe quoi.

Il ne dit rien.

Il n’avait rien à dire, de toute façon. Et moi non plus. On avait déjà tout épuisé.

Il me laissa à mes pensées, silencieux, immobile devant le canon du révolver pointé sur lui, ne sachant pas si le coup partirait aujourd’hui, sinon qu’au moment où ça arriverait ce serait trop tard pour lui…

Au fond, on n’avait plus que des certitudes d’échec, l’un comme l’autre. Quoi qu’il se passe.

J’entendis les mots qui suivirent comme le long enfoncement d’une lame dans mon torse.

– Tu veux qu’on se quitte ?

Je tournai la tête vers Ayme.

Il ne me regardait plus, fixant lui aussi autre chose… Je ne savais quoi : le passé, un futur qu’il essayait d’imaginer dans sa tête, l’indicible gâchis de notre relation… Et je pris conscience de l’affolement qui me traversa.

C’est dingue comme les rares fois où il prononçait ces mots lui-même j’en étais mortifiée, moi qui ne cessait pourtant de l’en menacer. Moi qui m’étais tellement durcie vis-à-vis de lui que j’avais parfois l’impression d’avoir tué le moindre de mes sentiments. Et je ressentis pourtant cette crainte, rampante et insidieuse, qui ne s’éteignait jamais vraiment au fond de moi, mais qui pouvait ressurgir parfois avec une force alarmante. Que ça dégénère. Que ça recommence à dégénérer.

Je me fermai, lentement. Consciemment.

– Peut-être…

Je ne savais pas si j’étais vraiment honnête en répondant ça, mais je ne savais plus rien, de toute façon. Juste plus rien.

– Alors pourquoi tu restes ?

Ses mots me firent mal. Il y avait tellement de douleur, dedans.

Je ne voulais pas y répondre. Ou, plutôt, je la connaissais, la réponse, mais je ne voulais pas la dire. Je ne voulais la dire à personne : ni à moi, ni à lui, et je ne sais pas auquel des deux je rechignais le plus de l’avouer : qui de lui ou de moi méritait le plus de ne pas le savoir, quel serait le pire d’avoir à l’admettre ou de l’avouer…

Je la crachais quand même, et elle sortit avec froideur parce que ça m’arrachait même les lèvres, de le dire :

– Parce que j’ai de l’espoir.

Parce que c’était reconnaître que j’étais prête à continuer, et à revivre encore ce que j’avais vécu, et à laisser Ayme finir de me détruire.

Le pire mot du monde. Je le haïssais. L’espoir. Ce qui te pousse à ramper dans la boue parce que tu espères qu’au-delà de la boue il y aura l’oxygène. Ce qui te rend captif des immondices dans lesquelles tu te vautres…

Je ne dis rien de plus. J’en avais déjà trop dit et j’étais fâchée, maintenant.

Je me levais.

– Tu as mangé ? lui demandais-je.

– Oui.

Il y avait des restes de repas sur la table de la cuisine.

– Et toi ?

– Oui.

J’avais grignoté mais, en réalité, j’avais faim. Mais tant pis, je préférais rester le ventre vide que de rester plus longuement.

– Je vais me coucher, ajoutais-je.

Je n’avais pas sommeil, ou plutôt je ne l’avais plus. J’avais juste besoin de me retrouver seule avec moi-même. Tant pis si ce serait entre les quatre murs de ma chambre. Au moins, avais-je conservé celle-ci. C’était Ayme qui dormait dans le bureau. Celui qui aurait pu accueillir un jour un enfant, peut-être. Qui n’accueillait rien. Que de la peine et de la distance. Que de l’échec.

Je pris un livre,  et j’essayais de me dégager l’esprit en le lisant.

En vain.

Je ne parvins à aucun moment à dépasser la première page.

Mémoires d’un Olympien (1)

Autrice : Magena Suret.

Genres : Sport, M/F/M + M/M, hot.

Résumé : Damien, joueur de hockey sur glace, participe à sa première sélection nationale aux Jeux Olympiques. Mais, entre la pression de la compétition et la débauche de plaisirs au village olympique, des désirs longtemps enfouis refont surface.

Liens vers les différents chapitres

Chapitre 1Chapitre 2

Chapitre 1

Sur la patinoire, les joueurs adverses prenaient leur place. Damien observa se positionner devant leur gardien les cinq opposants qu’ils allaient rencontrer pour ce premier tiers temps. Sa seule surprise fut de ne pas voir Ivan pénétrer sur la glace. Depuis le début des Jeux, six jours plus tôt, tous deux avaient attendu ce match. En championnat, ils évoluaient comme coéquipiers ; pour la première fois, avec les sélections nationales, la compétition les opposerait. Damien avait vibré d’impatience à l’idée de jouer contre lui, mais il n’allait pas laisser sa déception le déconcentrer.

Les Jeux Olympiques représentaient l’un de leurs rêves depuis le début de leur carrière, mais aucun des deux hockeyeurs n’avait imaginé que la pression serait si forte. L’annonce de leur sélection par leurs pays respectifs avait déclenché un intérêt auquel ils n’étaient pas habitués. Les périodes de championnat étaient intenses, pourtant rien ne les avait préparés à cette excitation permanente. Depuis l’officialisation de sa participation aux J.O. dans l’équipe française et celle d’Ivan pour la suisse, les journalistes sportifs ne se focalisaient plus que sur leur supposée concurrence. Après chaque match, on leur pointait la moindre erreur dans leur jeu ou leur communication qui était censée prouver une animosité nouvelle. Ivan et lui avaient failli entrer dans leur petit manège avant de réaliser qu’ils ne faisaient qu’alimenter leurs prétendues discordes. Alors, ils avaient décidé de se montrer unis avant de rejoindre chacun leur délégation. Cela ne leur avait pas demandé beaucoup d’efforts puisqu’ils s’étaient entendus dès leur rencontre pour devenir de vrais amis au cours des trois dernières années. Damien n’allait pas ruiner leur relation en devenant trop compétitif et il savait qu’Ivan serait aussi respectueux.

Leur arrivée au village olympique s’était faite par délégation, mais Ivan avait réussi à le retrouver à peine deux heures plus tard. Damien l’avait alors écouté lui raconter toutes les anecdotes des J.O. précédents qu’il avait entendues durant le voyage et avait ri, incrédule.

Néanmoins, avec la fête qui avait suivi la cérémonie d’ouverture, ils avaient rencontré les autres athlètes et il était vite devenu clair que les rumeurs colportées au sujet du sexe facile lors des Jeux Olympiques n’étaient pas infondées. En une semaine, aucun des deux n’avait passé une journée sans utiliser au moins l’un des préservatifs fournis gracieusement par les organisateurs. Que ce soit pour se détendre avant une épreuve ou pour fêter une victoire, tous les prétextes étaient bons. Ivan en avait fait un jeu pour voir combien de nationalités différentes il pourrait épingler à son tableau de chasse. Quant à lui-même, il avait joué la carte de la brute timide : alors qu’il était resté seul quelques minutes le premier soir, une skieuse de fond l’avait abordé et, en un rien de temps, ils avaient terminé dans les toilettes, la tête de la jolie Suédoise cognant contre la porte au rythme de ses coups de reins. Après cette soirée, Ivan et lui s’étaient lancé des défis en fonction des résultats des différentes équipes.

La performance de l’équipe de France en hockey sur glace face à celle de Suisse était pour le moins incertaine. Les pronostics jouaient en la faveur de la Suisse, mais il n’était pas impossible de les battre. Aussi Ivan avait-il l’avantage et Damien s’étonnait de ne pas le voir entrer en jeu immédiatement, surtout que son ami lui avait promis un rendez-vous avec deux Allemandes s’il parvenait à bloquer au moins trois de ses attaques. Il allait perdre ce pari et sa récompense parce que son adversaire fuyait la confrontation. Le coup de sifflet annonçant l’engagement le força à oublier ce manque de fair-play et à plonger dans le jeu.

L’avance de la Suisse était confortable ; Ivan ne rejoignit son équipe que pour le dernier tiers temps – après avoir ignoré tous les regards noirs qu’avait pu lui lancer Damien depuis son côté de la patinoire lors des interruptions de jeu. Alors, Damien mit toute sa rage dans sa défense à chaque fois qu’Ivan se présentait face à lui. La France avait peut-être perdu sa chance de gagner cette rencontre, mais lui pouvait encore montrer à son ami qu’il ne se laisserait pas abattre si facilement. Et bloquer la crosse d’Ivan ou le plaquer contre le plexiglas de la patinoire était curieusement jouissif.

Le retour au vestiaire se fit dans une ambiance morose. Même si les pronostics jouaient contre eux, ne pas ramener de médaille était un coup dur pour l’équipe de hockey. En particulier pour ceux dont c’était la dernière sélection. Au moins, Damien pouvait viser les prochains Jeux, dans quatre ans. Et, à plus court terme, il comptait bien rappeler à Ivan sa promesse, puisqu’il avait au moins remporté leur défi personnel, et profiter d’une soirée de consolation aux petits soins de deux Allemandes. Quand il quitta la douche et commença à s’habiller, il reçut un message d’Ivan. Celui-ci, plutôt que de l’avoir attendu pour l’accompagner, lui demandait de le rejoindre à son hôtel dans le village olympique. Son ami n’avait visiblement pas compris que retarder leurs retrouvailles ne changerait en rien son agacement, bien au contraire.

Devant la porte d’Ivan, Damien sortit la carte magnétique que lui avait confiée le joueur partageant la chambre de son ami. Le trajet du retour avait eu le temps de calmer ses nerfs et il fut alors étonné de sentir la nostalgie des derniers jours s’installer : il restait la cérémonie de clôture, mais les Jeux étaient finis pour lui et son équipe. À peine franchit-il le seuil qu’il se retrouva dans les bras d’Ivan :

« Je te féliciterais bien pour le match, mais je tiens à la vie, se moqua celui-ci.

— Tu ferais mieux de t’abstenir, oui », répondit-il en rompant leur embrassade. « Et de me dire que j’ai deux jolies Allemandes qui m’attendent dans cette chambre. Et qu’elles parlent un minimum français. »

Damien était incapable de retenir davantage que quelques ordres dans une langue étrangère et il était ravi de laisser ses coéquipiers lui traduire tout le reste. Néanmoins, Ivan le regarda d’un air coupable et il sut que la suite n’allait pas lui plaire.

« Désolé, mes biathlètes nous ont fait faux bond. »

Damien sentit son irritation redoubler, avant qu’Ivan ne poursuive :

« Mais j’ai une jolie patineuse italienne.

— Et elle n’a pas peur que je l’abîme pour ses épreuves ? »

S’il avait appris une chose des patineuses artistiques qu’il avait tenté de draguer, c’était qu’elles ne trouvaient que rarement de l’attrait à un sport aussi violent que le hockey sur glace. En théorie, elles appréciaient le physique des hockeyeurs, leur force brute. Et elles-mêmes prenaient des risques énormes lors des entraînements dans l’espoir de réaliser une combinaison qui les distinguerait. Mais tous ces efforts physiques passaient presque inaperçus lorsqu’elles glissaient avec grâce sur la glace dans leurs tenues délicates tandis que les hockeyeurs étaient renforcés de protections diverses qui rendaient leur déplacement moins fluide. Damien avait trop souvent entendu des patineuses se plaindre de leur manque de finesse. Il ne doutait pas qu’elles appliquaient le même genre de préjugés quand elles les imaginaient au lit.

« Même pas. Stella est furieuse après son partenaire qui lui en a fait baver depuis des mois en l’empêchant d’avoir la moindre relation avec un homme, alors que c’est lui qui a gâché leur chance de médaille aujourd’hui en chutant. Du coup, elle compte bien – et je la cite – se faire défoncer. Elle n’attend plus que nous. »

La satisfaction qui avait envahi Damien à cette idée s’évanouit en un instant lorsqu’il assimila la fin de la sentence.

« Nous ? s’étrangla-t-il. Tu m’expliques comment on est passé d’un plan à trois entre moi et deux biathlètes allemandes à un plan à trois de deux hockeyeurs avec une patineuse ? »

Ivan ne répondit pas aussitôt ; il lui passa plutôt le bras autour des épaules, le faisant se crisper sous ce contact, et l’accompagna vers la chambre. Damien découvrit Stella debout près de la fenêtre. Sa tenue de gala tout juste abandonnée au sol, les cheveux retenus en chignon, elle leur lançait un regard aguicheur alors que l’une de ses mains avait déjà trouvé le chemin de son clitoris et qu’elle leur proposait des préservatifs de l’autre. Le souffle d’Ivan lui chatouilla l’oreille. Soudain, l’idée de faire demi-tour et aller retrouver son équipe lui parut judicieuse. Baigner dans la morosité de la défaite était peut-être préférable aux risques qu’il prenait dans cette pièce. La proximité d’Ivan le perturbait et il craignait d’être trahi par son propre corps. Il avait appris à contrôler son attirance pour les hommes à force de partager des vestiaires, mais l’intimité de cette situation menaçait de ruiner ses efforts.

« À toi de voir, mais ce serait dommage de laisser passer l’occasion. Ça fait à peine un quart d’heure qu’elle est là et elle m’a déjà tellement chauffé qu’elle pourrait me demander de te sucer sans souci », annonça Ivan d’un air sérieux.

L’image qui vint à Damien après cette confession lui contracta le bas-ventre, le laissant entre désir et crainte. Néanmoins, il était assez coutumier des attitudes d’Ivan pour reconnaître sa bravade pour ce qu’elle était : un moyen de se donner de la contenance face à une situation qui l’excitait vraiment. Il réagit alors de la seule manière adaptée : il leva les yeux au ciel et donna une tape amusée à son ami. Celui-ci l’abandonna aussitôt pour rejoindre leur partenaire du soir. Damien hésita encore un instant, mais l’occasion d’avoir une patineuse dans son lit et l’envie de faire plaisir à Ivan l’emportèrent sur ses craintes les plus secrètes.

Lorsqu’il se décida, Stella venait de plaquer Ivan contre le mur et l’embrassait avec passion. Même si son ami s’était laissé faire, Damien admirait la fougue dont faisait preuve la jeune femme. En deux enjambées, il les rejoignit et profita d’être derrière Stella pour redessiner les courbes de son corps, s’attardant sur les zones qui la faisait frissonner. Nue alors qu’eux deux étaient toujours habillés, Stella semblait décidée à réparer cette injustice : elle se dégagea de leur étreinte et les laissa face à face en indiquant, d’un mouvement de menton, leurs vêtements.

Damien jaugea Ivan du regard et ôta son t-shirt, aussitôt imité par son ami. Se rapprochant de lui, Stella déboutonna son jean et il sentit soudain Ivan dans son dos, ses doigts le frôlant pour aider la patineuse à le délester de son pantalon. Le contact, pourtant léger, provoqua en lui une sensation inédite, mais il ne tenait pas à l’analyser dans l’immédiat. Afin d’éviter une réaction inappropriée, il s’écarta et se chargea lui-même de son boxer, tentant d’ignorer Ivan qui se mettait à nu près de lui. Ce n’était pas la première fois qu’ils se voyaient ainsi puisque les douches communes étaient un bon remède contre la pudeur entre sportifs, mais les circonstances étaient différentes et la gêne revenait, teintée d’une culpabilité dont il pensait s’être défait avec la fin de son adolescence.

Toutefois, le malaise passa rapidement puisque Stella l’entraîna vers le lit et s’allongea sur le dos. Battu par Ivan pour goûter les seins menus de la jeune femme, il s’agenouilla entre les pieds de celle-ci. En accord avec ses intentions, elle écarta les cuisses et il commença par l’embrasser au-dessus des genoux. D’une oreille distraite, il perçut le craquement d’une pochette de préservatif puis, alors qu’il arrivait au niveau de l’aine de Stella, Ivan lâcha un gémissement plus rauque. Le bruit de succion qui suivit ne demandait pas beaucoup d’imagination et Damien préféra éviter de relever la tête : la vue du fessier de son ami accroupi au-dessus de la poitrine de leur partenaire n’était pas celle qu’il désirait avoir pour l’instant. Son imagination lui en fournissait déjà une suffisamment détaillée.

D’un coup de langue assuré, il chercha à déconcentrer Stella. Lécher autour de son clitoris ne la fit pas réagir, mais quand il aspira les grandes lèvres l’une après l’autre, il dut maintenir les cuisses de la jeune femme pour qu’elle ne puisse pas les refermer. Alors, elle abandonna le sexe d’Ivan pour parler à ce dernier. Sans réussir à s’intéresser à leur conversation puisqu’elle avait lieu en italien, il resta concentré sur le plaisir qu’il voulait donner à Stella, sur celui qu’il ressentait entre les jambes d’une femme. Cependant, Stella lui échappait, se redressant dans le lit. Quand il leva la tête, Ivan lui tendit un préservatif et une petite bouteille de lubrifiant. Le tout assorti d’un clin d’œil complice :

« Allez, mets-toi sur le dos, enfile ça, sois généreux sur le lubrifiant, écarte un peu les jambes et laisse la demoiselle descendre à son rythme. »

Damien avait l’impression de ne pas pouvoir obéir assez vite : sa dernière copine avait mis des mois avant d’accepter de tester la sodomie et l’expérience avait été unique, aussi ne s’attendait-il pas à cette agréable surprise. Stella ne perdit pas de temps non plus et s’installa dos à lui, les pieds de part et d’autre de ses cuisses. Avec une main pour soutenir la hanche de Stella et l’autre pour garder son sexe en place, il la guida en douceur. Toutefois, Stella le prit de court en s’abaissant soudain, son gland capturé par le muscle anal.

« Oh, putain ! s’exclama-t-il.

– Ouais, elle m’a dit qu’il lui arrivait de garder un plug toute la journée, renchérit Ivan, la voix rêveuse.

– La ferme ! » le rabroua-t-il.

Son ami était à leurs pieds, son sexe en main, se masturbant avec lenteur. Stella ignora leurs enfantillages et continua, sans s’interrompre, à prendre sa verge en elle. La pénétration était constante et la pression délicieuse. Malgré son instinct qui le réclamait, Damien retint ses coups de reins. Quand les fesses de Stella rencontrèrent enfin son bassin, il s’autorisa de légers mouvements et apprécia la facilité avec laquelle le corps de la patineuse s’adaptait à l’intrusion. Le buste de Stella fut toutefois vite repoussé vers lui, jusqu’à ce que son dos repose sur le torse de Damien. Et Ivan s’empressa de s’agenouiller entre leurs cuisses.

D’abord de deux doigts, il pénétra dans le vagin de Stella. Damien s’étonna du contact : serré dans l’anus, il ne s’attendait pas à ressentir autant sa présence La fine paroi entre les deux orifices ne servirait pas vraiment de barrière entre eux et si Ivan n’avait pas eu les doigts recourbés à la recherche du fameux point G, il aurait pu croire que les caresses lui étaient destinées. Il se mordit la langue pour forcer son esprit à quitter cette voie glissante et ne pas se perdre dans le fantasme. Un murmure appréciatif de Stella l’y aida, puis elle débita une phrase en italien à destination d’Ivan. Des encouragements, que son ami s’empressa de suivre, puisqu’il ôta ses doigts ; Damien sentit le matelas s’affaisser et les genoux de son ami cogner l’intérieur de ses cuisses, autant de sensations électrifiant le moindre point de contact. Puis le sexe d’Ivan glissa en Stella, coulissant contre le sien. Il s’inquiéta un instant pour la jeune femme entre eux : la pression seule menaçait de le faire basculer vers la jouissance sans même avoir eu à se mouvoir, il se demandait donc comment elle faisait pour supporter leur intrusion à tous deux. Un soupir de plaisir le rassura.

Puis les déhanchements familiers débutèrent. Plus libre de ses mouvements, Ivan donnait d’amples coups de reins quand Damien se contentait d’un court va-et-vient et leurs corps s’accordèrent vite sur le rythme à tenir. Stella s’abandonnait entre leurs bras et reposa bientôt la tête sur son épaule. Le cou de la jeune femme dégagé, il en profita pour mordiller la peau sensible de cet endroit tandis qu’Ivan reprenait ses assauts sur les mamelons à présent durcis. Les cheveux de son ami lui chatouillaient parfois le nez. Damien choisit de concentrer son attention sur ce détail agaçant plutôt que sur la pression des genoux d’Ivan à l’arrière de ses cuisses. Puis il ferma les yeux et s’oublia dans son propre plaisir.

Sa poigne se raffermit à la taille de Stella alors qu’il sentait l’orgasme se rapprocher. Il se fichait bien de finir le premier et ne chercha pas à retarder le moment. Une contraction du muscle anal autour de son sexe et le frottement de l’autre verge l’achevèrent et son sperme gicla dans la protection. Stella se cambra dans sa jouissance et lança un nouvel ordre en italien. Damien crut comprendre qu’elle réclamait un baiser, aussi s’écarta-t-il du cou de la jeune femme pour lui permettre d’embrasser Ivan. Toutefois, une main sur sa nuque lui fit ouvrir les yeux pour rencontrer le regard contrit d’Ivan. Puis, tout en continuant à chercher sa propre délivrance, ce dernier se pencha sur lui et s’empara de ses lèvres. Le contact humide fut bref, mais il le surprit et intensifia le plaisir de Stella dont le corps sembla soudain convulser pour une seconde ou deux sous celui d’Ivan. Jusqu’à ce que ce dernier se recule, visiblement satisfait à son tour.

Les peaux moites se rafraichissaient et Damien n’avait plus la moindre envie de bouger, parce qu’il lui faudrait réfléchir à ces derniers instants dès qu’il quitterait le lit. Stella fut la première à briser l’accalmie pour se lever et enfiler sa tenue. S’il avait été dans sa chambre, il lui aurait proposé au moins une douche, mais la jeune femme semblait déterminée à démontrer quelque chose à son partenaire olympique. Et rentrer encore suintante de l’odeur du sexe faisait apparemment partie de son programme. Stella se pencha pour déposer un baiser sur sa joue, puis Damien tira le drap sur lui dans un sursaut de pudeur. Le lit grinça et Ivan se leva pour raccompagner Stella. Bercé par le son de leurs voix, Damien cessa de lutter pour maintenir ses yeux ouverts et laissa la torpeur engourdir son esprit.

La porte claqua et, un instant plus tard, le matelas s’affaissa à ses côtés. Ivan prit appui contre lui et Damien sentit les doigts de son ami frôler ses côtes au rythme de ses inspirations. Une fois de plus, il tenta d’ignorer l’effet que ce genre de contact provoquait en lui. Cette excitation nerveuse qu’il pensait oubliée depuis longtemps revenait se venger avec force. Si la refouler davantage était impossible, il aurait préféré qu’elle choisisse une autre cible pour se manifester, quelqu’un qu’il n’aurait pas regretté de perdre quand la situation lui échapperait. Malgré son envie d’ignorer la réalité, une tape amicale sur ses pectoraux le força à ouvrir les yeux. Ivan, assis à quelques centimètres de lui, toujours aussi nu, le fixait avec un sourire en coin et un air indéchiffrable.

« On partage la douche ? » lui proposa Ivan.

Damien se mit à rire et ses propres oreilles reconnurent une note d’hystérie dans son hilarité. S’attarder dans cette chambre ne servirait qu’à inciter sa confusion. Pourtant, lui et Ivan restaient coéquipiers et partageraient à nouveau des vestiaires dans quelques semaines. Le groupe l’aiderait à garder ses distances, mais il ne voulait pas créer de malaise avec son ami. Il décida donc de briser toute tension par l’humour :

« Ça va aller, merci, je verrai ça dans ma chambre. Tu pourrais finir par me violer.

– T’exagères », ronchonna Ivan en s’éloignant pour entrer dans la salle de bains, tout comme Damien l’avait espéré.

Cependant, son ami fit volte-face et prit appui sur le chambranle.

« C’est elle qui m’a demandé qu’on s’embrasse et j’ai voulu lui faire plaisir, mais je n’aurais peut-être pas dû. Pas si ça rend les choses bizarres entre nous.

– C’était juste un baiser », le rassura-t-il tout en essayant de se convaincre de l’innocence du geste. « Elle aurait pu demander des choses bien pires.

– Avec toi ? le taquina Ivan de son air charmeur. Tout ce qu’elle voulait. »

La porte de la salle de bains se referma sans lui laisser la possibilité de répondre et il lui fallut quelques secondes pour assimiler ce que venait de dire Ivan. Son corps semblait partagé entre l’espoir de voir ses désirs assouvis et la terreur d’y céder pour être déçu. Face à ces émotions contradictoires, il se redressa trop vite sur le bord du lit et la nausée le prit. La tête penchée entre les genoux, il tenta de retrouver son calme. Plusieurs minutes s’écoulèrent durant lesquelles il se força à ignorer le bruit de la douche pour s’empêcher d’imaginer le corps que l’eau caressait. Puis le silence résonna à ses oreilles et il se fit violence pour se mettre en mouvement. Il enfila ses vêtements en toute hâte et s’échappa de la chambre.

Ainsi sombre la chair – Chris (partie 2)

Je voulais qu’il m’embrasse.

Je ne sais pas vraiment pourquoi j’eus cette envie, étant donné que ça m’avait écœurée la première fois avec l’homme dans la voiture, et que ça m’avait fait de même avec Loïc. J’éprouvais ces baisers comme invasifs, à chaque fois, presque plus qu’une entrée dans mon sexe ou une possession du reste de mon corps.

Mais peut-être que Chris me plaisait plus que Loïc ou que, au fond, j’avais encore besoin de tendresse. Il était si près de moi, aussi… Sa cuisse collait la mienne, son corps était tourné vers le mien, et il avait observé la manière dont Loïc attisait mon sein dans une intimité qui n’avait rien de commun, pleine d’ambiguïté sexuelle. Loïc, lui, avait posé l’épaule contre le dossier du canapé dans une posture d’observateur.

Je levai les yeux sur ceux de Chris et le regardai avec envie.

Baise-moi, disais-je silencieusement.

Je voulais qu’il fourre sa main entre mes cuisses et qu’il s’empare de mon corps, et qu’ils me prennent à deux, avec Loïc. Deux anonymes, moi entre eux. Et rien d’autre que de la chair. Rien d’autre que de l’emprise.

Rien d’autre que du cul.

Le stress ne me lâchait pas pour autant ; je tâchais de passer outre.

Je murmurai à Chris :

– Embrasse-moi.

Chris hésita, clairement troublé, et je me demandai de nouveau ce que Loïc et lui avaient pu se dire quand ils avaient discuté, un peu plus tôt. S’ils avaient parlé de ce qui arriverait. S’ils l’avaient anticipé.

Je ne savais rien de ça.

Tout ce que je sus, ce fut la façon dont sa main se posa doucement sur mon cou, et celle dont je me sentis me tendre dans l’attente de ses lèvres, et le temps qu’il prit à m’observer. Puis la main de Loïc revint sur mon sein, et je me raidis tandis que Chris penchait son visage vers le mien. Puis il m’embrassa et ce fut bizarre parce que son baiser ne m’écœura pas du tout.

Ça me fit même peur parce que ce fut tendre, et que c’était la dernière chose à laquelle je m’étais attendue, et que je ne voulais pas, que ça me rappelait trop douloureusement tout ce que j’avais perdu, et tout ce qui me manquait, tout ce que j’avais laissé derrière moi. Mes échecs.

Mes pertes et mes abandons.

J’en fus comme fracturée, et le trouble que j’en éprouvai brusquement aurait pu me faire repousser Chris, mais Loïc pinça et fit rouler à ce moment-là mon mamelon, et ce geste agit comme un contrepoids bienvenu, me rappelant ce dans quoi on était. Ce sexe qui était l’objectif unique de ce rapport. Ce cul, pour lequel j’étais là. Je n’avais pas à avoir peur du baiser d’un inconnu, aussi tendre qu’il soit.

J’accueillis alors la langue qui vint au contact de la mienne avec une envie lancinante qui se mêla à une volonté de m’en détacher sentimentalement, me poussant à devenir plus entreprenante. Dans un élan, je passai la main sur la cuisse de Loïc et remontai jusqu’à la masse de son entrejambe. Son sexe raide, dur, gonflé, apparut sous ma paume. Mon cœur battait à toute vitesse parce que ça me restait plus que bizarre d’agir ainsi, même si ça peut sembler une suite normale de ce qui était en train de se produire entre nous. Ce n’était pas rien, en fait. Ce n’est pas rien de poser la main sur le sexe d’un homme tandis qu’on est en train d’embrasser un autre, mais c’était ce dont j’avais besoin, sur le coup. De revenir à quelque chose de cru. De purement charnel. Et ça me plut de percevoir ainsi son excitation. J’avais une consciente brute de mes actes, de ce que je montrais de moi en agissant ainsi, et j’eus envie de faire de même avec Chris, mais je manquais encore de témérité et me contentais de laisser ma main sur son genou.

A peine Chris eut-il lâché ma bouche que je tournai le visage vers Loïc. M’offrant à lui. Caressant sa verge dans le même temps. L’attisant, comme il avait attisé mon sein. Et l’incitant à prendre le relai. A prendre ce qu’il voulait de moi, aussi. Tout, s’il le pouvait.

Il m’embrassa, sa langue profondément enfoncée en moi, et je retrouvai ce qui m’écœurait en lui, et ce qui faisait qu’ils étaient si différents, avec Chris. Il n’embrassait pas juste : il défonçait ma bouche de sa langue.  Et en même temps, c’était ce que je voulais de lui, ce que je retrouvais aussi quand il me touchait. Ce qui m’excitait : ce « trop », avec lui, ce « trop » que je voulais que me donne aussi Chris.

Loïc finit par défaire véritablement mon cache-cœur, et me l’enlever en le faisant passer par mes bras, un à un…

C’était tellement troublant de me plier ainsi à ces gestes, de me déshabiller sous leurs yeux. J’en avais le souffle court.

Et ce le fut plus encore quand je me retrouvai torse nu et que Chris m’embrassa de nouveau avec cette tendresse effrayante. Pourquoi ? Et qu’une main se mit à faire sauter les boutons de mon jean. Durant un instant, je ne sus même pas à qui elle appartenait, puis bien sûr je compris. Loïc. Je m’étais encore crispée, mais c’était surtout dû à la surprise que me faisaient éprouver ses gestes. Enfin, les lèvres de Chris se posèrent sur mon cou, et quand sa main empauma doucement mon sein tandis que les doigts de Loïc plongeaient dans ma culotte, je tremblai pour de bon, perdue entre leurs chaleurs duelles et le contraste de leurs manières de me toucher.

Je crois qu’après ça, je me laissai véritablement sombrer. Mon corps était hypersensible, mon entrejambe trempée, mon esprit perdu… parti à un endroit d’où je ne voulais surtout pas le voir revenir.

Loïc se mit soudainement debout pour déboutonner son jean et ôter prestement son t-shirt. Puis il se réinstalla sur le canapé, à demi allongé sur le dos, et sortit son sexe avant de me dire :

– Suce-moi.

J’observais sa queue dure, raide… tout comme l’avait été son ton. Son attitude était à l’exact opposé de celle de Chris : au-delà de la tendresse, au-delà de la douceur.

Je levai les yeux sur les siens.

Il me regardait comme s’il voulait voir comment je réagissais. Une façon de répondre à une interrogation, me concernant, ou peut-être de mettre en lumière ce que j’étais… de détromper son pote, des fois qu’il ait eu une autre impression de moi. Ce n’était pas clair mais je sentais la légère provocation, et le jugement latent qu’il y avait dedans.

Je ne m’en souciai pas.

Je songeai juste que me pencher sur sa verge serait tourner le dos à Chris. Lui montrer une image curieuse de moi-même, aussi, mais n’étais-je pas venue pour vivre ça ? Ce sexe, avec eux deux ?

Je regardai sa queue. Je la voulais dans ma bouche, c’était bizarre de le percevoir autant. Je réclamai juste une capote.

Loïc fit la grimace.

– Je n’aime pas, protesta-t-il.

– Je le sais.

J’ajoutai :

– Moi non plus, mais ce n’est pas la question.

Il soupira profondément et je pris sur moi pour ne pas plus m’en agacer. Je n’avais pas envie de me battre pour qu’on puisse se protéger correctement.

Je penchai le visage et effleurai son sexe de la langue, avec une envie contenue, mais n’allai pas plus loin, puis levai les yeux sur lui. Loïc savait ce à quoi je tenais à ce sujet. Il aurait dû y tenir aussi. Il avait méchamment besoin de plomb dans la tête et le fait que ce soit moi qui en ait conscience, alors que j’étais celle coincée entre eux deux, n’aurait pas dû me sembler bizarre.

Je me redressai pour m’asseoir sur mes mollets et tournai le visage vers Chris.

Il m’observait.

– Je peux t’enlever ton jean ? dit-il.

Il était mignon, avec ses questions. Loïc prenait, et lui demandait.

– Oui.

Je me rassis et haussai les reins pour l’aider. Il m’ôta mon jean, mes chaussettes… Il ne toucha pas à ma culotte. Mon soutien-gorge était déjà parti.

J’avais la tête en vrac, les idées à la dérive, les lèvres brulantes d’avoir été tant embrassées et le corps pulsant de désir.

– Tu as des capotes ? lança Loïc à son pote, alors qu’il enlevait son pantalon à son tour.

– Ouais.

Chris en sortit une série de trois du sien. Pas sûre qu’il y en ait besoin d’autant mais, visiblement, il avait été prévenant.

Il se déshabilla ensuite, avec un empressement et une excitation qui avait un quelque chose d’attendrissant, mais qui le fut moins quand il se pencha sur moi, me faisant chuter sur le dos. Visiblement, il n’était plus question de sucer Loïc. Plutôt d’être prise par lui, ou par Loïc, d’abord, je ne savais pas.

Parce que je n’oubliai pas la douleur que j’avais ressentie la fois précédente, quand Loïc m’avait pénétrée, je ne pus m’empêcher de stresser.

Les mains de Chris se posèrent sur ma peau avec fébrilité, et il attrapa des deux côtés ma culotte pour me la retirer. Il la fit glisser le long de mes jambes, libéra chacun de mes pieds puis la jeta au sol. Il m’attrapa ensuite les cuisses pour les écarter.

Je tremblai.

Chris m’avait beaucoup embrassée jusque-là, mais il ne le ferait probablement plus, maintenant. Du moins, était-ce ce que me laissait penser son attitude. Il ne regardait plus mon visage, en tout cas : seulement mon sexe.

J’étais crispée, pas super participatrice, et pour cause : j’étais vraiment très défoncée, mais ça ne semblait pas le déranger. Peut-être ne le voyait-il simplement pas.

J’observai sa verge quand il se redressa pour dérouler un préservatif dessus. Elle était légèrement plus grosse que celle de Loïc, ce qui ne me rassura pas des masses vu que, visiblement, les préliminaires n’étaient plus d’actualité. Que je devrais me contenter du peu qu’on avait eu, en tout cas, et ils ne m’avaient même pas pénétré de leurs doigts…

Loïc s’était levé et il se tenait debout, sa queue toujours tendue, nous observant. Je lui adressai un regard, du coup, et il dut y voir quelque chose parce qu’il fronça soudain les sourcils. Ma peur, probablement. Peut-être une demande d’aide. Je n’en étais pas vraiment consciente. Je ne le sais pas mais il dit à Chris :

— Fais attention, elle est serrée.

Chris ne répondit pas mais acquiesça.

Je n’éprouvai de la gratitude, même si mes craintes ne furent pas moins fortes.

Puis Loïc caressa doucement mon téton et, malgré mon stress, je me tendis et me rendis compte à quel point le moindre contact m’excitait.

La situation en entier m’excitait. Avoir Chris prêt à me pénétrer, Loïc spectateur, attendant de prendre son tour, ensuite… La peur ne me rendait pas moins fébrile, juste un peu trop crispée. Alors, je tâchai de me relaxer et, quand Chris m’ouvrit plus nettement les cuisses, les remontant, je pinçai juste ma lèvre inférieure en me préparant à son entrée.

Il finit par me pénétrer et, s’il le fit avec facilité, cette fois encore, la sensation fut perturbante. Pas tant à cause de la douleur, qui resta plus que modérée ; c’était plus comme si mon corps s’était réellement fermé, était devenu un temple aux portes infranchissables et qu’il y avait quelque chose de violent à le sentir ainsi enfoncées. Ou probablement était-ce juste moi, qui m’étais close ainsi. Moi qui avais bouclé trop de choses au fond de mon être, qui avais posé trop de verrous.

Je me retrouvai haletante, et je redressai pour poser la main sur le ventre de Chris, le poussant à rester immobile, un instant. Il le fit. Puis, avant que je puisse ne serait-ce que reprendre mes esprits, il me surprit en se penchant pour m’embrasser.

Je tombai en arrière.

Enfin, il commença à me baiser, mais ce fut parfait, parce que mon corps s’était relaxé et que le plaisir déjà présent. Chris alla et vint en moi, me tenant les cuisses, me possédant, et c’était comme une danse, un embrasement des sens où l’esprit n’avait plus vocation à être interrogé. Ses déhanchements était lourds, le poids son corps sur moi aussi, son souffle également… Tout m’emportait.

Il me pénétra longtemps comme ça puis, d’un coup, il se retira de mon corps.

Je peinai à rouvrir les yeux, le corps languide et la tête pleine de brume.

– Tu peux te retourner ? demanda-t-il dans un souffle rapide, témoignant de nouveau de cet empressement qui, associé à la douceur de son regard, avait un quelque chose de touchant.

Le sens de ses paroles peina à pénétrer mon cerveau. Puis je soufflai « oui », et regardai Loïc pendant une seconde.

Le voir nous observer en attendant son tour restait perturbant.

Je me mis en position, à quatre pattes, exposant mon cul à Chris.

– Non, comme ça.

Il me fit pivoter, de manière à ce que je sois face au dossier du canapé et lui debout derrière moi, me surprenant dans sa manière de me manipuler pour me positionner comme il le voulait.

Puis il me saisit les reins et me pénétra, avant de commencer à aller et venir en moi, mais avec une vigueur toute autre. Je dus m’appuyer de mes coudes au dossier du canapé, et pousser de toutes mes forces contre lui pour résister à ses à-coups. Ce fut nettement plus intense, du fait de sa position debout. Ou peut-être parce qu’il le voulait : me baiser plus vivement, désormais. Ses mains me tenaient fermement et ses va-et-vient créaient des vibrations dans tout mon corps, m’envoyaient des décharges de plaisir, me donnant même l’impression que j’allais jouir comme ça, que je pourrais jouir comme ça, et peut-être y serais-je parvenue si Chris n’atteignit pas l’orgasme avant.

Haletante, je le sentis se retirer, et fus proche de m’écrouler je n’avais pas su, et perçu à quel point je le désirais, que Loïc allait prendre sa suite.

Je le cherchai des yeux et remarquai, en tournant la tête, son sexe dressé, alors qu’il finissait de dérouler une capote dessus.

Puis ce regard hautain, toujours. Avec cet air de me juger. « Cette fois, c’est à mon tour de te baiser », semblait-il dire. Et je ressentis, avec une égale intensité, tout l’agacement et toute l’envie que cette attitude me faisait éprouver.

Lui ne me posa pas de questions, ne me demanda pas si j’étais OK pour qu’il me baise aussi, si j’étais capable de continuer ou quoi que ce soit qu’il aurait bien pu dire. Je n’attendais rien de sa part, de toute façon, sinon qu’il me pénètre à son tour et qu’il se comporte exactement comme il le faisait.

Ses mains se posèrent sur mes hanches. J’en frémis.

Quand il entra en moi, mon corps déjà ouvert le laissa entrer avec facilité. Je m’agrippai au canapé. Et je m’y agrippai plus vivement encore, car il y alla avec une force plus importante encore que celle de Chris. Je ne sus pas pourquoi. Connerie de la rivalité, peut-être, besoin de montrer qu’il pouvait me traiter plus rudement. Et il me baisa, dans le sens le plus pur du terme, prenant son plaisir en moi, et me martela tant que j’en eus du mal à soutenir ses à-coups, et que mes yeux s’humidifièrent, et que je me sentis sur le point de jouir, chacun de mes nerfs incendiés, à vif. Mais je n’atteignis pas ce point-là. Il me relâcha après avoir atteint son propre orgasme, qu’il draina en de longs coups de reins et un souffle lourd, qui me laissa tremblante, tout mon être pulsant, tandis qu’il s’écartait.

Cette fois, je tombai sur le canapé.

Mes yeux ne voyaient plus rien. J’étais le brouillard, le flou, la perte de repères complète.

J’essayai de faire le tri en moi : entre l’exaltation puissante de mon corps, l’imminence de l’extase qui y sinuait encore, et cette curieuse image qui m’était renvoyée, soudain, et dans laquelle je me voyais en train de me faire baiser par ces deux mecs. Aucun des deux n’avait cherché à me donner du plaisir. Ils avaient juste pris le leur.

Mais peut-être n’était-ce que ce que j’avais voulu, dans le fond.

Ce que j’avais attendu.

Là aussi, je ne le savais pas.