Quitte ou double (3)

Chapitre 3

La fraîcheur matinale et les premiers rayons de soleil ont raison de son envie de traîner au lit. Matthias remarque la place vide à ses côtés et se blottit davantage dans les bras qui l’enlacent. Le corps derrière lui réagit en resserrant son étreinte et il entend un bâillement qui se termine en grognement. Toni n’a jamais été du matin, quand bien même il a eu son compte de sommeil. Matthias retient sa moquerie et se tourne pour lui faire face sans se déloger de son embrassement. Il glisse une jambe entre ses cuisses et le bras autour de sa taille. Alors que Matthias s’apprête à parler, son ami le fait taire en lui collant le front contre son torse. Docile, il reste ainsi de longues minutes, avant de commencer à paniquer. Seuls dans le lit de Justin, les draps encore souillés de leurs ébats nocturnes — même s’ils ne se sont pas réveillés pour recommencer —, leur nudité ranime d’autres désirs à mesure que les images de la nuit lui reviennent en mémoire.

— Toni ?

— Tout va bien, rendors-toi, répond son ami à son ton affolé.

Il est bien tenté de le croire : il ne s’est jamais senti autant en confiance que dans les bras de Toni. Que ce soit quand il l’enlaçait pour le rattraper d’une chute, chaque fois qu’il essayait de tenir sur des patins, ou quand il le consolait après ses ruptures et autres disputes avec Justin. Pourtant, il a besoin d’éclaircir ce qu’il s’est passé. Surtout maintenant que les doigts de son ami frôlent la peau de son dos en des arabesques auxquelles son corps répond de manière obscène.

— Pourquoi Justin t’a demandé à toi ? Pourquoi tu as accepté ?

— Il ne revient que vers midi, on a le temps d’en parler, repose-toi, soupire Toni.

— Dors si tu veux, je me lève, décrète Matthias en se libérant de l’étreinte.

Il est surpris du froid qui l’agresse quand il pose les pieds au sol et lutte contre l’envie de retourner au creux de l’enveloppe chaude qu’était le corps de son ami. Toni s’étire bruyamment et se redresse sur un coude :

— D’accord, commence-t-il. Justin en a marre de vos jeux et est persuadé que tu craques pour moi. C’est son pari : quitte ou double. Soit tu te contentes de lui, soit tu romps et on finit tous les deux.

— Quoi ? Mais il n’a jamais…

— Et moi, le coupe Toni, si j’ai accepté sa proposition, c’est parce que j’y ai vu une bonne opportunité.

Matthias en perd la voix et se borne à afficher un air offusqué. Toni doit le trouver amusant puisqu’il ricane avant de reprendre :

— Ne le prends pas mal, mais Justin n’a jamais caché qu’il trouvait notre relation ambiguë, non ?

— C’est vrai, admet Matthias. La première fois que je l’ai abordé, il a cru qu’on était en couple et que je lui proposais un plan à trois.

Le souvenir lui provoque un sourire, mais l’écho entre cette rencontre et leur situation actuelle crée une sorte de malaise. C’est comme si, toutes ces années, Justin était resté sur cette impression.

— J’avoue, reprend Toni, que je me suis toujours demandé ce que ça donnerait nous deux si on dépassait le stade amical. Pas toi ?

— Je…

— Ne nie pas, le coupe à nouveau Toni, avant d’ajouter : pas après ta réaction d’hier.

— L’idée m’a déjà effleuré l’esprit, est obligé de concéder Matthias.

D’ailleurs, il a du mal à soutenir le regard de son ami pendant qu’il se confesse et lui est reconnaissant de leur épargner cette épreuve en se remettant sur le dos pour observer le vide. Ainsi, il peut détailler Toni à loisir sans avoir la crainte du jugement :

— J’ai eu un tas de fantasmes sur toi et c’était encore mieux en vrai, mais si Justin ne s’en était pas mêlé, je n’aurais jamais fait quoi que ce soit qui puisse gâcher ce qu’on a. Est-ce que, ajoute Matthias, en hésitant, quand il le voit se raidir, notre amitié ne te suffit plus ?

— Bien sûr que si, le rassure Toni, le troublant davantage.

Perplexe, Matthias attrape la bouteille d’eau ramenée pendant la nuit et en boit quelques gorgées, appréciant que la sensation pâteuse du réveil quitte sa bouche. Il remonte dans le lit et ramène le drap sur lui. La question qui lui brûle les lèvres l’effraie et il espère un signe de Toni qui lui éviterait de la poser. Toutefois, ce dernier laisse le silence s’étirer, les yeux rivés au plafond. Matthias prend une longue inspiration pour rassembler son courage :

— Je dois choisir entre toi et Justin ?

— Nous deux, ça serait du tonnerre, argumente Toni sans se détourner du point imaginaire qu’il fixe depuis tout à l’heure. On se connaît par cœur. Je n’envisage pas de gâcher quoi que ce soit, sans compter que tout le monde nous prend déjà pour un couple. Et puis, on a démontré hier que le sexe est génial.

Matthias ne sait plus ce qu’il doit dire. Il ne peut rien réfuter, sans pour autant oser accepter l’évidence. Doucement, il sent poindre de la colère : Toni est injuste de lui laisser porter la responsabilité de ce choix, surtout quand il semble si soudain et définitif.

— Tu exagères ! s’emporte-t-il. Hier, je me retrouve devant le fait accompli et là, tu me balances presque un ultimatum. C’est facile pour toi…

— J’ai rencontré quelqu’un, l’interrompt Toni en daignant enfin le regarder.

Le moins que Matthias puisse dire, c’est qu’il est soufflé. Toute cette comédie commence à ressembler à une farce. Il n’est plus sûr d’en comprendre l’enjeu, toutefois. S’il accepte la proposition de Toni, il blesse Justin et perd en quelque sorte son meilleur ami. Mais s’il refuse, il doute de pouvoir continuer à fréquenter Toni aussi régulièrement sans avoir l’impression de trahir à la fois son petit-ami et celui, potentiel, de son ami. Il déglutit et tente de paraître nonchalant :

— Comment il s’appelle  ?

— Nicolas. Il travaille dans l’une des succursales de ma boîte. On est sur le même projet depuis plusieurs mois et l’attirance est mutuelle. Je crois que je lui ai envoyé des signaux plus que confus parce qu’au début, je ne me gênais pas pour flirter. Et puis, Justin m’a appelé pour m’expliquer ce qu’il avait prévu. Il a dit vrai, tu sais : j’ai accepté sans hésiter. Après coup, j’ai réalisé que je ne pouvais pas continuer sur la même lancée avec Nicolas si je finissais avec toi. Je l’ai un peu évité depuis.

Les informations sont difficiles à digérer en quelques secondes alors qu’il s’agit d’une décision qui va affecter leurs vies. D’autant plus que Toni ne lui a pas donné un avis tranché sur la question.

— Au final, ça veut dire quoi ?

— Que nous deux, c’est naturel. Sans effort. Notre couple serait peut-être un cliché ambulant, mais il marcherait. Ceci dit, si tu aimes toujours Justin, il mérite une vraie chance. Lui et moi, on ne s’entendra jamais si bien que ça, mais je comprends mieux son attitude. Si cette idée lui trotte dans la tête depuis votre rencontre, je pense qu’il a intériorisé beaucoup de choses à ton égard. Et j’ai Nicolas qui devrait se remettre du chaud et froid que je lui ai soufflé ces dernières semaines. Il habite loin, ne te connaît pas encore. Ce sera plus facile de construire quelque chose avec lui sans l’ombre de notre amitié.

Matthias trouve un intérêt soudain à la contemplation du plafond et il comprend mieux, lui aussi, le comportement de Toni. Ce dernier attend sa décision, mais ne le presse pas ; il lui laisse le temps d’y réfléchir. Il pourrait encore se plaindre de la lâcheté de son ami, cependant il se rend compte que celui-ci ne veut pas lui arracher un accord. Leurs options sont exposées et Toni est prêt à suivre Matthias quelle que soit celle qu’il préfère.

— Et si ça ne marche pas ? le relance Matthias.

— C’est plus risqué pour moi que pour toi. Justin m’a l’air bien décidé à te garder si tu restes.

— On va se voir beaucoup moins.

Ce constat fait réaliser à Matthias que son choix est fait. Toni et lui se sont toujours aimés et il serait aisé de tomber amoureux. Pourtant, Justin a aussi une place particulière dans son cœur et, malgré les crises qu’ils ont traversées, Matthias n’est pas prêt à tourner cette page de sa vie.

— Ça demandera une période d’ajustement, lui répond Toni. Justin finira par nous faire confiance. Surtout si je ne joue plus l’éternel meilleur ami célibataire. Quant à Nicolas, il ne saura rien de cette nuit et je ne te le présenterai que si c’est vraiment sérieux.

— Tu sais ce qui craint ?

— D’avoir un plan de secours en cas de rupture ? ironise Toni.

— Ouais, ça aussi. En fait, la seule chose à laquelle je pense, c’est que j’ai loupé l’occasion de goûter à tes talents en matière de fellation. Justin avait l’air aux anges.

L’éclat de rire à ses côtés l’étonne puis le rassure : leur relation est trop solide pour s’entacher de gêne après cet écart. Sa surprise ne s’arrête toutefois pas là puisque Toni soulève le drap pour venir s’agenouiller entre ses cuisses. Matthias l’interroge du regard et sursaute quand les doigts de son ami s’enroulent autour de son sexe. Son érection matinale, fanée depuis un moment, reprend de la vigueur. Un rapide baiser est déposé sur ses lèvres.

— Sans regret, tu n’auras aucune excuse pour foirer les choses avec Justin.

La réponse de Matthias s’étouffe dans un gémissement quand la langue de Toni s’attaque à son aine. Ce dernier navigue d’ailleurs longuement de son pubis à ses testicules en ignorant la verge qui réclame son attention. Matthias tâche de le convaincre en glissant les doigts dans ses mèches brunes et l’encourage d’une pression dès qu’il le sent frôler son gland. Il finit par se cogner l’arrière du crâne dans le mur devant l’entêtement de son ami à nier son désir.

Un soupir stupéfait lui échappe quand les lèvres se referment enfin sur son membre et coulissent en douceur jusqu’à sa base. La tête monte et descend à un rythme lent entre ses cuisses. Toni lui offre un souvenir d’une incroyable douceur. Matthias se noie dans ces sensations et baisse le regard sur Toni pour graver le moindre détail dans sa mémoire. La combinaison de ces stimulations le met en sueur. Il écarte davantage les jambes et se crispe sous l’affluence du plaisir. Soulagé, Matthias laisse échapper ce qui ressemble à un sanglot lorsque l’orgasme le terrasse enfin, plus puissant que ceux qu’il a connus suite à d’autres fellations. Son sperme gicle contre le palais et la langue de Toni, trace amère de leur secret matinal.

Il s’est douché, les draps sont changés et le repas a refroidi. Matthias vérifie la pendule pour constater que Justin a près de deux heures de retard. Comme il est chez son petit-ami, il se doute bien qu’il a juste à patienter pour le voir revenir, mais l’attente se fait longue. Surtout que Toni est parti en avance pour ne pas risquer de le croiser. Leur séparation n’a pas été différente de leur habitude : ils se sont promis de se revoir bientôt, même s’ils savent que plusieurs mois vont s’écouler avant de pouvoir tenir parole. Durant ce laps de temps, ils se contenteront de communiquer par technologies interposées.

La porte s’ouvre enfin et Matthias se tourne vers l’entrée. C’est bref, mais Justin se détend soudain en le voyant : ses épaules retombent légèrement et ses paupières se ferment une seconde de trop tandis qu’il laisse échapper un soupir de soulagement. Ce constat serre un peu le cœur à Matthias ; il n’imaginait pas combien il avait causé de souci à son petit-ami. Justin est le deuxième homme de sa vie et Matthias est déterminé à faire en sorte que leur relation fonctionne cette fois. Il se lève et se dirige vers la cuisine :

— Tu as faim ? J’ai préparé des pâtes, je peux te les faire réchauffer ou…

Deux bras qui l’enlacent par derrière lui coupent le souffle.

— J’ai envie de toi, murmure Justin d’une voix tremblante.

Matthias lui saisit les mains pour lui faire desserrer sa prise et se retourne pour l’embrasser. Le geste de réconfort qu’il veut tendre devient presque rageur alors que Justin le pousse et tente de le faire basculer sur le canapé, sans y parvenir.

— Attends, on va au lit, lui propose Matthias.

Puis, voyant le regard hésitant que jette Justin vers la chambre, il ajoute :

— J’ai changé les draps.

À ces mots, les réticences de Justin semblent s’apaiser et il se laisse entraîner puis déshabiller avant de s’étendre en travers du matelas. Après leur soirée et sa séance matinale, Matthias craint de ne pas pouvoir achever ce qu’il entreprend, cependant il tient à faire plaisir à son compagnon. D’autant que le voir si fragile, lui qui respire habituellement l’assurance, est assez perturbant — et touchant, il se doit de l’admettre. Matthias a l’impression de découvrir une nouvelle facette de son petit-ami, bien loin de l’aplomb insolent dont il faisait preuve la veille. Cela lui donne envie de le réconforter et il se demande depuis quand Justin peut bien masquer ses véritables sentiments. Malgré une pulsion protectrice, Matthias ne veut pas lui faire de promesses vaines. Déjà, ils doivent repartir sur des bases saines. À son tour, il ôte ses vêtements et s’allonge tout contre le corps offert, le recouvrant en partie. De ses mains, il prodigue des caresses qu’il espère apaisantes pour calmer l’affolement du rythme cardiaque qu’il sent sous ses lèvres quand il embrasse le cou de Justin. Celui-ci est crispé. Sa respiration est hachée, comme s’il se retenait de l’étreindre à l’en étouffer. Ou de pleurer. Matthias pose un doigt sur sa mâchoire et le force à le regarder. Les cernes et les yeux rouges lui confirment que son petit-ami est épuisé.

— Est-ce que tu as dormi ?

— À ton avis ?

Au regard fuyant de Justin, Matthias comprend ce qu’entendait Toni quand il lui a dit que son petit-ami méritait une vraie chance. Celui-ci lui a donné une opportunité de le quitter, d’en choisir un autre que lui et s’est rendu malade à l’idée de rentrer dans un appartement vide. Certes, il s’en est fallu de peu pour que ce soit le cas et Justin doit en être conscient. Le risque est qu’il se montre hostile envers Toni, ou qu’il cède à tous les caprices de Matthias de peur de le pousser dans les bras de son prétendu rival. Or, Matthias veut éviter cette attitude à tout prix. Il a quelques remords à l’idée de mentir à Justin, mais il doit calmer ses craintes pour que sa relation avec Toni ne soit plus considérée comme une épée de Damoclès.

— Toni et moi, on se connaît depuis des années et je sais que notre complicité peut paraître ambiguë. Mais, entre nous, il n’y a jamais eu le moindre malentendu. On est de très bons amis, mais ça ne dépasse pas ce stade. Je n’avais jamais eu envie de coucher avec lui et je n’ai pas l’intention de recommencer.

— C’est ce qu’il a dit aussi.

Matthias devine à la façon amère dont Justin s’exprime qu’il n’est pas si naïf. Si Matthias ou Toni n’avaient jamais eu de désir latent, l’un d’entre eux aurait refusé cette soirée. Et ils n’y auraient certainement pas pris autant de plaisir. Justin a bien vu leurs réactions et Matthias sait qu’il n’est pas dupe. Cependant, Matthias fait mine de rien et reprend ses caresses pour distraire Justin. Ce dernier encourage ses attouchements en posant une main sur la sienne, la forçant à descendre plus bas. Là où son petit-ami est impatient, lui préférerait prendre son temps et le persuader de sa sincérité.

— Dépêche-toi, Matt, je veux te sentir en moi.

— On n’est pas pressés. Tu peux te reposer. Je reste là.

Les mots rassurants n’ont aucun effet : Justin ne l’entend pas de cette oreille et écarte les jambes, se collant de son mieux contre lui. Matthias finit par céder, se plaçant plus confortablement entre ses cuisses. Néanmoins, il n’a pas le lubrifiant à portée de main et son érection est bien trop timide pour lui permettre de pénétrer son petit-ami, aussi se contente-t-il de simuler l’acte, faisant frotter, l’un contre l’autre, leurs sexes en un rythme brutal. Sous les coups de reins secs et rapides, Justin semble satisfait et se jette sur sa bouche. Au bout de plusieurs minutes, le baiser se fait moins violent, tout comme les déhanchements de Matthias. Leurs corps moites s’apaisent, même si la jouissance leur restera interdite pour l’heure, et c’est haletant que Justin pose ses conditions :

— Il n’y a pas qu’Antonin. C’est devenu trop difficile et je ne peux plus faire semblant de m’en moquer quand je te vois avec un autre homme, Matt.

— J’ai compris le message, ne t’en fais pas. Finis les plans foireux, je m’en tiens à toi.

Il n’ajoute pas que Justin aurait dû lui en parler plus tôt, parce qu’il n’est pas évident que sa réponse aurait été la même avant leur aventure de la veille ou sa discussion avec Toni de ce matin. Ils roulent l’un contre l’autre, Justin cherchant le contact de sa peau. Malgré la chaleur qui irradie de leurs corps, Matthias rabat la couette sur eux et se colle un peu plus contre Justin. Les yeux mi-clos, il joue avec les boucles blondes et sent leurs respirations ralentir, tous deux plongeant lentement vers le sommeil. Un reniflement amusé lui fait hausser les sourcils.

— Je déteste cet appartement, avoue soudain Justin.

La remarque peut sembler innocente, mais Matthias comprend que c’était vraiment un moyen qu’avait trouvé Justin pour le tenir éloigné de chez lui. Il se contente de répondre d’un simple « Moi aussi ».

Ils échangent un regard complice et Matthias voit le coin de la bouche de son petit-ami se relever en un demi-sourire, faisant poindre cette fossette taquine qu’il affectionne tant. Malgré des semaines à venir qui risquent d’être compliquées, Matthias est confiant. Certes, des ajustements sont à faire et il sait qu’ils ne seront pas à l’abri de disputes teintées de ressentiment. Toutefois, quand Justin dépose un baiser léger sur son torse et repose la tête sur son épaule, Matthias resserre son étreinte dans un réflexe protecteur. Sentir le poids familier contre son corps est plaisant et il réalise qu’il s’en est fallu de peu pour qu’il perde Justin. Savoir Toni disponible pour le consoler n’est pas si rassurant au final. À chaque souffle de Justin sur sa peau, Matthias est conforté dans son choix. Le nez plongé dans les boucles blondes, il finit par s’endormir à son tour.

Quitte ou double (2)

Chapitre 2

Un bruit de plastique crépite non loin de son oreille, mais il n’en comprend la nature qu’un instant après. Le poids de Justin sur lui se décale légèrement et Matthias sursaute à la sensation froide qui enveloppe soudain son sexe bandé. Malgré tout, la lingette que son petit-ami utilise pour le nettoyer ne suffit pas à calmer ses ardeurs. Son orgasme n’a en rien soulagé sa tension à ce niveau ; le lent mouvement de bassin de Justin lui fait prendre conscience qu’il est déjà fin prêt à recommencer. Il écarte les cuisses pour permettre à Justin de se caler entre elles, mais il obtient l’effet inverse. La main sur son sexe le relâche, le corps se soulève et Matthias gémit sa frustration. Toutefois, il n’a pas le temps de geindre davantage : Justin joue de sa langue et de ses lèvres pour suçoter son gland. Alors, Matthias lève les bras au-dessus de sa tête et soupire d’aise, se cambrant pour inciter son petit-ami à le satisfaire sans le taquiner davantage. À nouveau, il est déçu et se redresse vivement sur ses coudes pour exprimer sa façon de penser à son bourreau. Ses arguments — sa colère, même — meurent au bord de ses lèvres quand il manque de percuter la tête de Toni. Soudain, Matthias ne ressent plus l’urgence entre ses jambes. Le contact de l’épaule de son ami contre la sienne et la main que ce dernier vient de poser sur sa hanche laissent entrevoir une perspective autrement plus palpitante. Cette proximité inédite l’étourdit autant qu’elle l’embarrasse.

— Tourne-toi.

Le son rauque l’enveloppe et il n’est pas certain de savoir qui lui a donné l’ordre. En revanche, son corps ne semble pas disposé à obéir : il se trouve bien où il est. Du bout des lèvres, Matthias découvre le cou de Toni. Sa clavicule. Sa pomme d’Adam. Quand il arrive à son menton, il ne se contente plus de chastes baisers : il lèche sa peau et trépigne à l’idée de sa langue contre la sienne. Une sorte de grognement et les doigts qui tirent sur son bassin le font sortir de sa transe.

— Mets-toi sur le côté.

C’est donc la voix de Toni qui prend des accents aussi graves. À contrecœur, Matthias s’exécute. L’espace d’un instant, il panique quand son ami descend du lit, mais Justin lui lance un petit regard moqueur avant de reprendre sa tâche précédente. Matthias ne peut que gémir en signe d’approbation maintenant que son petit-ami se fait pardonner son attitude de la plus délicieuse des manières. Lorsque les doigts lubrifiés de Toni viennent caresser son orifice, il hoquette de surprise. Plaçant un bras sous sa tête pour être bien installé, il se fait quasiment dorloter par les deux autres hommes. Justin le suce avec un plaisir évident tandis que Toni s’applique à détendre son muscle anal. Au vu de son excitation du moment, il doute que son ami ait fort à faire ; il est même tenté de l’inviter à le prendre sur l’instant. Toutefois, Matthias trouve agréable de les observer. C’en est apaisant et cela va peut-être lui permettre de tenir plus longtemps. Sa sérénité est rompue quand son regard accroche celui de Toni. Il n’est pas nécessaire de le connaître pour y lire de la pure concupiscence. Matthias l’a déjà vu draguer, quasiment faire l’amour sur une piste de danse ou même ressortir des toilettes d’un bar après avoir tiré un coup ; jamais, pourtant, il n’a vu cette intensité dans son regard. Savoir qu’il est celui — avec Justin ? — qui provoque cette réaction le rend fébrile. Une vague de chaleur le submerge et il sent ses testicules se durcir. Toute stimulation supplémentaire est à bannir s’il ne veut pas jouir dans la seconde.

— Vas-y, souffle-t-il à Toni, tout en tirant en arrière la tête de Justin.

Le premier ne se fait pas prier, ôte les doigts de son corps et prend appui sur sa fesse pour avancer son membre couvert à l’entrée de son orifice. Quant à Justin, il saisit son genou pour lui lever la jambe et embrasser l’intérieur de ses cuisses. À cet instant, Matthias ne peut se focaliser que sur le sexe qui le pénètre et la langue qui chatouille son aine. Quand Toni est entièrement en lui, Justin revient lécher la pointe de sa verge. Et lorsque celui-ci fait glisser ses lèvres pour l’avaler sur toute sa longueur, l’autre se recule de quelques centimètres pour revenir taper de son bassin contre ses fesses une poignée de secondes après. Les sensations sont trop extrêmes pour lui et le rythme a tout juste le temps d’accélérer que Matthias perçoit l’orgasme sourdre en lui. Demander à ses amants de ralentir pour qu’il puisse se retenir devient impossible et ses émotions débordent. Un coup de reins un peu plus prononcé et un de langue sur son gland trop sensibilisé et Matthias étouffe un sanglot en jouissant. Les mouvements en lui, sans se stopper, ralentissent et, malgré ses yeux humides, il constate que Justin s’essuie le visage de sa semence. La panique envahit alors Matthias. Pouvoir passer de l’extase à la catastrophe en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire est étonnant, mais il fixe tour à tour ses ami et petit-ami, cherchant à deviner ce qu’ils pensent de lui.

— Désolé… Désolé, Justin, je…, bégaie-t-il avant de tourner ses excuses vers Toni. Je tiens plus longtemps normalement. Je sais pas pourquoi aujourd’hui…

Ses propos incohérents sont interrompus par une morsure sur son mamelon. La douleur est brève, mais elle a le mérite de lui faire oublier momentanément ses craintes. Celle d’avoir agacé Justin qui n’apprécie en aucun cas les éjaculations faciales. Celle de paraître ridicule auprès de Toni à cause de ce manque d’endurance — surtout après avoir déjà joui quelques instants auparavant. Il retrouve un semblant de clarté dans ses idées quand le sexe de Toni s’échappe hors de lui :

— Non  ! Continue.

Malgré sa supplique, son ami secoue la tête et tend le bras vers le pied du lit. Matthias est affolé, mais Justin le plaque sur le dos et vient se placer à quatre pattes au-dessus de lui. Cette fois, Matthias redoute vraiment de l’avoir mis en colère. Le baiser lui coupe le souffle autant qu’il le surprend. Justin rompt leur embrassade aussi vite qu’il s’est jeté sur ses lèvres :

— Quelle honte, lui reproche-t-il, laissant Matthias perplexe.

— Je sais que je suis pitoyable. Tu m’aides pas vraiment, là.

— Tu rigoles ? Putain, c’est un des trucs les plus chauds que j’ai vus. Je pourrais m’habituer à te voir pleurer de plaisir.

— T’es dérangé.

— Peut-être, admet Justin dans un sourire avant de regarder par-dessus son épaule et de faire un signe de tête à Toni.

Matthias se penche sur le côté juste à temps pour voir un nouvel emballage de préservatif plonger vers le sol, puis entend le sifflement d’inconfort de son petit-ami. A priori, ce dernier n’a droit ni à une courte préparation ni à une pénétration en douceur. Matthias se demande si Toni est impatient à cause de sa frustration ou si c’est une façon de leur faire comprendre que sa présence n’est qu’une faveur pour Matthias. Celui-ci prend Justin en pitié et capture ses lèvres tout en passant une main entre eux pour aller le masturber.

Bientôt, la chambre est emplie des soupirs satisfaits des deux hommes et du bruit de leurs peaux qui claquent. Si Matthias n’est pas encore d’attaque pour se joindre à eux, il ne boude pas son plaisir. Du regard, il dévore le corps de Toni en pleine action, sans savoir s’il pourra un jour être rassasié de cette vision. Un peu jaloux de Justin qui supporte bien mieux que lui les assauts de Toni, il aime cependant sentir son petit-ami tremblant contre lui, l’embrassant à perdre haleine. La langue de celui-ci ralentit et il se recule, la bouche entrouverte et le souffle suspendu, puis pousse un râle, presque animal. Matthias sent le membre pulser sous sa paume et le sperme se répandre entre eux. Ils échangent un nouveau baiser, mais son autre poignet est saisi, ce qui le fait se détourner au bout de quelques secondes. Toni s’est rapproché et enroule leurs mains autour de sa verge. Elle est encore chaude d’avoir été en Justin, malgré la fine protection. Matthias laisse son ami imposer le rythme pour sa libération, fasciné par la façon dont leurs doigts s’entrelacent sur ce morceau de chair qu’il n’aurait jamais imaginé toucher. Matthias se penche de côté pour approcher son visage et Justin en profite pour venir lui faire un suçon dans le cou. Il ne se crispe qu’un instant, mais la pression involontaire de sa main a raison de Toni, qui n’évite de projeter sa semence sur ses joues qu’en s’appuyant contre les draps dès la première giclée.

Matthias peine à reprendre son souffle bien qu’il n’ait pas fait tant d’efforts ; son cœur cogne dans sa poitrine d’une cadence affolée. Justin se laisse rouler sur le côté et s’étire contre son flanc tandis que Toni s’étale à leurs pieds, en travers du matelas. L’ambiance enfiévrée semble se calmer à mesure que leurs respirations se font moins laborieuses et Matthias laisse la somnolence de la satisfaction l’emporter.

La torpeur lui permet de récupérer des forces sans pour autant négliger les présences qui l’entourent. Matthias perd la notion du temps, mais la brume dans laquelle baigne son esprit se dissipe. S’il est persuadé de ne pas s’être endormi, sa peau se couvre de frissons et il remarque que la nuit commence à tomber ainsi qu’ils ont tous trois retrouvé un souffle paisible. Au moins trois heures se sont donc écoulées depuis son arrivée. La réalisation de leur situation menace de balayer son calme, comme la vague de désir a brisé ses faibles résistances de départ. Savoir les deux autres si sereins après ce qu’il vient de se passer est assez perturbant ; Matthias ne saurait dire si c’est un signe de bon ou mauvais augure. Quand Toni lui chatouille les orteils, Matthias retient un rire nerveux et ramène les genoux vers le bord du lit pour se lever :

— Qui a soif  ?

— Laisse, j’y vais, l’arrête Toni.

Matthias veut insister, mais Justin l’a de nouveau attiré contre lui et promène les mains sur sa taille tout en léchant sa nuque. Sortir de la pièce aurait pu lui aérer l’esprit et il soupçonne les deux autres d’agir de la sorte afin d’éviter qu’il ne se sauve. Justin n’a aucun souci à lui vider la tête de toutes ces réflexions ; il le connaît trop bien et chacune de ses caresses vise ses points sensibles. Le dos contre le torse derrière lui, Matthias se détend et tourne la tête pour caler son visage dans le cou de Justin et respirer son parfum.

Du bout des doigts, son petit-ami frôle sa peau et Matthias ferme les yeux sous ce toucher léger. Il y a bien longtemps qu’il ne s’est plus senti aussi serein dans les bras de Justin. Il y a bien longtemps que ce dernier ne s’est pas montré aussi tendre avec lui. C’est un peu comme s’il redécouvrait le corps de Matthias. Celui-ci lève paresseusement un bras pour passer la main dans les boucles qui viennent lui flatter le front. Justin se penche à son oreille et sa respiration a un accroc : comme s’il voulait lui dire quelque chose, mais il s’abstient et préfère lui grignoter le lobe. Alors que les minutes s’égrènent, que les mains de Justin réchauffent son corps nu, la même scène se répète. Matthias sait qu’il y a un malaise derrière cette tentative chaque fois avortée de communiquer, mais il n’a pas envie d’y faire face dans l’immédiat. L’absence de Toni est soudain pesante et il prie pour un rapide retour. C’est d’ailleurs étrange qu’il s’éternise tant dans la cuisine.

— Toni  ! l’appelle-t-il.

Derrière lui, Justin se raidit et enfonce les doigts dans ses hanches. Un instant après, une troisième main vient prendre sa joue en coupe :

— Je suis là, lui souffle son ami. Je vous laissais juste un peu d’intimité.

Les appliques au-dessus de la tête de lit ont été allumées et Matthias fixe Toni avec surprise. Il n’avait même pas remarqué sa présence dans la chambre, mais sa rapidité à lui répondre prouve qu’il était tout proche. Sous une impulsion, il passe les bras autour du cou de Toni et le force à approcher son visage. Son ami ne se défend pas — ne prend pas d’initiative non plus. Ils ne sont plus qu’à un souffle de s’embrasser et Toni ne semble pas vouloir combler l’espace. Décider et assumer ce choix lui reviennent donc et Matthias hésite. Ce n’est pas l’envie qui lui manque, au contraire. Un peu plus tôt, si Toni ne l’avait pas distrait, il l’aurait fait sans même y penser ; cependant la chaleur des sens est quelque peu retombée. Et s’il cède et se penche, Matthias ne pourra plus prétexter s’être laissé entraîner par les deux autres. Le regard de Toni, obscurci par le désir, le fait craquer et, d’une simple pression de ses lèvres, il sent son univers basculer. Quand leurs langues s’enroulent, ses certitudes volent en éclat.

Justin passe un doigt le long de sa colonne, le griffant gentiment par endroits, tandis que Toni s’occupe de son ventre et de ses cuisses, ne faisant qu’effleurer son entrejambe. Matthias gémit dans la bouche de son ami ; il aime être au centre de leurs attentions et se cambre sous leur toucher. Il se complaît dans ce rôle d’intermédiaire. Justin et lui ne partagent pas un amant occasionnel : c’est lui qui se partage entre son petit-ami et son meilleur ami.

L’excitation renaît et son désir s’enflamme une nouvelle fois. Ses hanches reprennent vie, frottant son sexe à celui de Toni. Un râle rauque roule dans sa gorge, lui donnant l’impression de ronronner, quand Justin le pénètre de deux doigts et que Toni capture leurs verges dans son poing. Matthias a les yeux fermés, mais il ne doute pas que les deux autres ont trouvé un moyen de communiquer pour s’assurer une telle synchronisation. Il savoure les sensations qui le submergent. D’un côté, il est caressé doucement et embrassé avec l’hésitation et la passion de la nouveauté. De l’autre, il semble être marqué sur sa peau et dans sa chair par les dents et les doigts de son petit-ami, douleur exquise infligée par celui qui connaît son corps par cœur. Les stimuli sont efficaces et Matthias a depuis longtemps oublié qu’il pouvait se servir de ses mains autrement que pour s’accrocher au cou de Toni.

Toujours sans paroles, celui-ci et Justin s’accordent sur leur prochain mouvement et Matthias se laisse déplacer à l’envi. Il n’est plus qu’une vulgaire poupée de chiffon soumise à leur volonté et s’en trouve comblé. Justin s’assoit contre le mur, en haut du lit, et l’attire vers lui. Matthias s’avance à quatre pattes et honore la demande non formulée quand, de son pouce, Justin lui dessine le contour des lèvres tout en lorgnant vers son propre sexe. Alors, Matthias s’abaisse et prend conscience des différences entre son petit-ami et Toni. Il n’y a pas prêté attention plus tôt et songe vaguement qu’il va regretter de s’être précipité jusque-là. De sa langue, il humidifie le membre bandé, s’amuse à sucer et faire glisser entre ses dents la peau du prépuce, puis engloutit le pénis sur presque toute sa longueur, la toison blonde lui chatouillant le nez. C’est à ce moment qu’il s’aperçoit qu’il était trop focalisé sur ses sentiments contradictoires pour vraiment profiter des sensations. Il ne se souvient déjà plus du poids du sexe circoncis de Toni contre sa langue, de la douceur surprenante de son pubis rasé. Une exclamation de plaisir au-dessus de lui le ramène à l’instant présent et les mains flattant ses hanches et ses fesses lui rappellent qu’il peut encore se créer d’autres souvenirs plus précis.

Les baisers de Toni dans le bas de son dos et les mains de Justin qui jouent avec ses cheveux le distraient du gland qui fait pression sur son anus. Son muscle n’est plus si détendu, mais la mémoire du corps fait son œuvre et, bientôt, Matthias sent toute résistance s’effacer pour autoriser le membre engorgé à fondre en lui. La brûlure de la friction du latex est présente lors des premières poussées, puis s’estompe jusqu’à ce qu’il ne reste plus que le plaisir. Sans que Matthias ne parvienne à décider ce qui est le meilleur : sentir ses chairs s’étirer ou ce sexe se mouvoir en profondeur ? La pénétration rendue douce par le lubrifiant ou la force appliquée sur son bassin pour le garder immobile ? La satisfaction d’avoir une autre verge à sucer en rythme ou la frustration de ne pouvoir se soulager lui-même ?

La cadence de Toni s’accélère brusquement et Matthias ne peut plus poursuivre sa caresse buccale sans craindre de s’étouffer ou de donner un malheureux coup de dents. Il se redresse sur ses bras pour offrir davantage de résistance aux va-et-vient de son ami, mais aussi pour éviter de s’écraser contre Justin. Celui-ci se masturbe lentement et se penche en avant pour l’embrasser dans le cou. Matthias rejette la tête en arrière, permettant à son petit-ami d’accéder plus librement avec sa langue aux zones qui lui font du bien, tandis que derrière lui les coups de reins se saccadent. Prenant appui sur l’épaule de Justin, Matthias se relève presque à genoux et pose son autre main sur le haut de la cuisse de Toni ; il se régale de l’intensité de l’orgasme qui se prépare. Une poignée de secondes plus tard, son ami trouve son plaisir en lui et Matthias crispe les doigts sur cette peau en sentant le membre pulser contre ses parois.

Quand Toni se retire, il émet une plainte : la jouissance n’est plus très loin et il désespère d’être soulagé à la hauteur de son excitation. Maintenant que le poids et la chaleur de son ami ont disparu de son dos, Justin le fait basculer en arrière pour continuer l’exploration de sa clavicule puis de son torse. Matthias ne peut nier combien ces attentions sont agréables, toutefois il préférerait une action plus directe au sud de son anatomie. D’un coup de hanches, il tente d’interpeller l’un des deux hommes sur son urgence du moment, mais il ne s’attire qu’un clin d’œil malicieux de Justin. Qui a décidé de le priver de toute possibilité de chercher Toni du regard puisqu’il se hâte de revenir lui sucer la langue tout en le forçant d’une main à abaisser les paupières. Matthias commence à regretter que Toni et Justin aient enfin trouvé un terrain d’entente à son détriment. D’habitude, ils se considèrent avec défi et ne s’estiment pas vraiment, mais il semble que le mettre au supplice ait réussi à créer un lien entre eux.

Justin le libère à temps pour que Matthias voie son ami faire couler du lubrifiant au creux de sa main. Cela lui permet d’éviter un sursaut trop brutal quand son amant déroule un préservatif sur son sexe, puis que Toni entreprend d’y étaler le produit. Il se cambre pour l’encourager à poursuivre son œuvre en une caresse moins superficielle. Cependant, son ami glisse ses doigts de son gland à son ventre, le laissant une fois de plus aux portes de la délivrance. Il veut se rebeller, mais Justin saisit ses poignets et les bloque au-dessus de sa tête tandis que Toni prend appui sur son torse et vient s’agenouiller autour de sa taille. Matthias se calme aussitôt, son intérêt soudain décuplé par la perspective. Néanmoins, il ne s’interdit pas quelques mouvements de bassin contre les fesses de Toni pour montrer son impatience et est récompensé par un haussement de sourcil allumeur.

Après quelques instants à tâtonner pour trouver une position confortable, Toni s’assoit sur son sexe et Matthias profite d’être pleinement en lui, avant de le sentir se soulever à nouveau. La prise sur ses poignets se desserre et il remarque que Justin a repris sa masturbation silencieuse. De la part de son petit-ami, une telle discrétion est presque inquiétante et Matthias craint de l’avoir trop négligé jusqu’alors. Il glisse un bras entre ses genoux et, d’un doigt, s’amuse à frôler la peau sensible de son périnée. Son initiative lui récolte quelques murmures appréciateurs. Encouragé, il s’enhardit à tourner autour de l’orifice de Justin. Les gémissements sont plus sincères et Matthias retourne son attention vers Toni, rassuré. Celui-ci a les paupières plissées sous l’effort et se mordille nerveusement la lèvre. Matthias sait qu’une pénétration juste après un orgasme est une souffrance exquise et voir son ami sautiller sur ses hanches — lutter contre le besoin de se reposer — n’attise que d’autant plus son désir. Il remue le bassin de manière à augmenter l’amplitude des allées et venues ainsi que la force avec laquelle il prend possession de Toni. Soudain, la jouissance le rattrape et Matthias ferme les yeux. Sans le prévenir, il introduit deux doigts en Justin et le spasme en réponse lui confirme que cela a suffi pour le faire céder au plaisir. Lui-même ne cherche plus à se retenir et la vague de bien-être se propage jusque dans ses aines avant de se déverser en courts jets dans le corps qui l’a accueilli. Le poids de Toni se pose sur sa poitrine tandis que celui de Justin fait pression contre lui. Des lèvres s’emparent des siennes et il répond au baiser mécaniquement, sans chercher à savoir lequel l’embrasse, lequel le débarrasse de la protection souillée ; il n’aspire qu’à succomber au sommeil qui semble vouloir engourdir tout son être. Et, peut-être, plus tard, profiter encore.

Quitte ou double (1)

Autrice : Magena Suret.

Genres : M/M/M, hot, contemporain.

Résumé : Plutôt que de continuer à se déchirer à causes de leurs infidélités, Matthias et Justin ont décidé de devenir un couple ouvert. Cela leur permet de retrouver la passion des débuts et de surmonter les disputes sans avoir à discuter de leurs problèmes. Pour pimenter encore leur nouvelle vie, ils veulent franchir une étape en organisant un plan à trois… Mais un couple déjà fragilisé par des mois de non-dits peut-il survivre lorsque ses secrets pas forcément cachés sont révélés au grand jour ?

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Chapitre 1

Le choc du sac dans son genou lui fait étouffer un juron. Matthias lève les yeux de son téléphone, prêt à maudire l’imbécile qui vient de le bousculer pour fendre la foule sitôt les portes du métro ouvertes, mais ses insultes ne franchissent pas la barrière de ses lèvres. L’adolescent coupable lui fait un signe d’excuse tout en courant pour rejoindre une jeune fille. Sa colère retombe aussi vite et Matthias se surprend à regarder le couple s’éloigner, leur sac sur l’épaule, vers ce qui ressemble à un premier rendez-vous. Une certaine nostalgie l’envahit devant cette innocence depuis longtemps oubliée. La sonnerie prévenant le départ de la ligne le rappelle à l’ordre et il se précipite sur le quai avant de se faire enfermer dans la rame.

Après quelques minutes de marche, il arrive à destination. Le choix de Justin de venir habiter dans ce quartier paraît toujours aussi incompréhensible à Matthias. Quand ils avaient décidé que vivre ensemble était prématuré et qu’ils feraient mieux de reprendre chacun un appartement, Matthias ne s’était pas attendu à voir son petit-ami déménager à l’autre bout de la ville. Une heure de transports en commun, avec trois changements, semble un peu excessif. D’autant que Justin s’est aussi éloigné de son travail et de sa famille pour s’installer dans une rue qui ressemble davantage à une zone commerciale qu’à une résidence. La seule raison logique à laquelle Matthias a pu songer est justement que lui-même n’aime pas venir ici, ce qui rend ses visites plutôt rares. Et c’est plutôt révélateur quant à l’état de leur relation.

Toutefois, aujourd’hui, il est reconnaissant de pouvoir profiter des toilettes du commerce voisin pour se rafraîchir avant de rejoindre les étages. Ce n’est pas une étape habituelle, mais il réalise en pénétrant dans le hall combien il a besoin d’un moment d’isolement pour calmer sa nervosité. Matthias s’enferme dans les toilettes réservées aux handicapés afin de bénéficier d’un espace plus confortable et d’une vraie solitude.

Il ôte sa veste et ouvre son sac. Celui-ci est presque vide ; Matthias n’a emmené que le strict nécessaire pour se rendre plus présentable après son expédition dans le métro. Il se remet du déodorant sous les aisselles puis se brosse les dents. Ensuite, il s’asperge le visage d’eau et glisse ses doigts mouillés dans ses longues mèches, les plaquant vers l’arrière. Les mains appuyées sur le bord du lavabo, Matthias s’observe un instant dans le miroir. Ses cheveux humidifiés paraissent presque bruns et rendent plus visibles encore ses taches de rousseur. Celles-ci s’étendent de part et d’autre de son nez, rehaussant ses pommettes, et sont suffisamment nombreuses pour l’avoir complexé durant son adolescence. Néanmoins, c’est un vieux souvenir : il sait maintenant qu’elles sont un atout auquel beaucoup d’hommes succombent. Il remarque alors ses lèvres pincées, preuve qu’il a des difficultés à se détendre. Pourtant, il ne devrait pas être aussi angoissé : Justin et lui sont habitués à ce genre de jeu. À un détail près, cependant : ils n’y ont jamais participé en même temps.

Les premières infidélités, Matthias se souvient qu’il les a vécues comme de véritables trahisons. Trois années de relation et à peine une de vie commune qu’ils en étaient déjà à papillonner à droite et à gauche. Si Justin a été le premier à admettre qu’il l’avait trompé, Matthias sait que lui-même avait déjà commis quelques incartades auparavant. Au final, il ignore lequel des deux a commencé ces tromperies et ne voit pas grand intérêt à le savoir. Toujours est-il qu’imaginer son amant dans les bras d’un autre l’avait blessé dans son amour-propre et, aussi hypocrite cela peut-il sonner, peu lui importait à l’époque qu’il ait fait de même de son côté.

Les mois suivant l’aveu de Justin avaient été chaotiques, entre séparations et réconciliations. À aucun moment Matthias n’avait envisagé de rupture définitive et la facilité avec laquelle Justin lui retombait dans les bras l’avait conforté dans l’idée que ni l’un ni l’autre ne souhaitait mettre un terme à leur histoire. Néanmoins, aucun ne parvenait à accorder son pardon et le désir de vengeance était toujours trop présent. L’équilibre précaire de leur situation n’aurait pas pu durer bien longtemps. Ils avaient fini par trouver un compromis sans vraiment en avoir discuté. Un jour, peut-être trop ivre pour avoir pleine conscience de ses actes, Matthias avait laissé un message à Justin pour le prévenir qu’il ramenait un homme chez eux. Après coup, il avait réalisé combien c’était stupide et sûrement un peu cruel pour son petit-ami, mais il ne parvenait pas à le regretter. Alors qu’il venait de jouir quelques secondes auparavant, Justin était arrivé pour virer le pauvre mec qui n’avait pas dû comprendre ce qui lui arrivait. Puis Justin avait décidé de se venger en abusant du corps encore trop sensible de Matthias.

Après cette soirée, les règles ont rapidement évolué. Toujours en couple, pas vraiment libertins, Matthias et Justin avaient rassuré leur famille en expliquant que reprendre chacun un appartement ne signifiait pas qu’ils rompaient. Au contraire, Matthias pouvait jurer qu’il était plus heureux que jamais avec Justin. Ces faux flagrants délits d’adultère donnaient une autre dimension à leurs propres ébats. Depuis, le sexe entre eux était encore meilleur ; comme si ces incartades, parfois trop bien orchestrées, leur permettaient de retrouver la passion de la nouveauté.

Cependant, la rencontre qu’ils ont organisée aujourd’hui marque une étape. Matthias inspire par le nez et souffle longuement, conscient que sa décision est déjà prise malgré ses doutes. Il libère les toilettes, puis se rend à l’ascenseur qui l’emmène à l’étage de Justin. La main sur la poignée, son cœur semble vouloir quitter sa poitrine. Juste derrière cette porte, Matthias sait que Justin a trouvé un homme d’accord pour partager leur lit le temps d’une soirée. Cependant, Matthias ignore s’il y a un protocole à suivre dans ce genre de situation. Vont-ils l’avoir attendu pour faire connaissance  ? Va-t-il les trouver déjà nus  ? Ou même en pleine action  ?

La réponse à ses questions lui saute aux oreilles dès qu’il ouvre la porte. Des gémissements lui parviennent de la chambre. Il sourit : Justin a toujours aimé exagérer son plaisir. Il ne s’agit pas de le simuler, mais son amant adore s’entendre —  un aphrodisiaque avéré pour lui, un brin narcissique tout de même. Tranquillement, Matthias se déleste de son sac, prend soin de verrouiller derrière lui, puis ôte ses chaussures et les balance contre le mur. Rester silencieux ne lui semble pas primordial ; pour une fois qu’il est vraiment attendu, il éprouve même un petit plaisir à laisser entendre qu’il est arrivé. Il traverse le salon et pousse le battant entrouvert.

La scène sur le lit le fait s’arrêter un instant.  Les volets de la fenêtre sont à moitié tirés et la lumière qui filtre par les interstices donne une atmosphère tamisée à la pièce. Justin est à genoux, face à l’entrée, les bras en appui sur les oreillers derrière lui et les jambes écartées pour laisser toute latitude à la tête entre ses cuisses de manœuvrer sur son sexe. Malgré les années passées ensemble, Matthias se laisse encore surprendre par la beauté atypique de son amant  : des yeux en amande qui donnent l’impression d’un noir trop intense, des cheveux bouclés trop blonds pour avoir l’air naturels, un nez trop fin et retroussé pour un adulte et une fossette au coin de la lèvre qui accentue son côté malicieux dès qu’il sourit. Pourtant, tout son visage est harmonieux et sa personnalité enjouée éclipse souvent ceux qui l’entourent, y compris Matthias qui, sans manquer de confiance en lui, se trouve bien fade lorsqu’il se compare à Justin.

—  Oui, juste là… Continue, souffle Justin.

Le murmure est censé encourager le brun qui lui fait la fellation, à quatre pattes devant lui, mais Justin ancre son regard dans celui de Matthias tandis qu’il se penche en avant pour doigter l’anus de leur partenaire. L’invitation est claire et l’idée de baiser un mec dont il ne connaît même pas le visage a quelque chose de terriblement excitant. De cet homme, outre ses fesses tendues vers lui, Matthias ne devine que peu de choses  : quelques mèches corbeau, une peau claire peu exposée au soleil, des cuisses serrées — certainement pour comprimer son sexe bandé contre son bas-ventre — et des orteils crispés par l’excitation. Sa silhouette est familière et commune à la fois. Les jeux d’ombre sur sa peau empêchent Matthias de rechercher le moindre signe distinctif, mais il ne s’en inquiète pas pour l’instant. D’un coup de menton, Justin lui désigne le pied du lit ; Matthias y voit le lubrifiant, une boîte de préservatifs et des lingettes pour bébés. Le message, limpide, lui provoque un nouveau sourire : Justin ne veut pas d’interruption, pas même pour un détour par la salle de bains. Matthias se déshabille en toute hâte et Justin lui adresse un rictus entendu en découvrant son sexe déjà à demi érigé. Tout en ignorant la moquerie, Matthias les rejoint, le matelas s’affaissant légèrement sous son poids quand il monte dessus. L’inconnu s’arrête alors un court instant puis, sans épargner un regard à Matthias, il reprend ses succions avec plus d’entrain encore.

Matthias pose les mains sur les fesses du brun qui va l’accueillir sous peu et les écarte pour y plonger la bouche. Du bout de la langue, il lèche autour du doigt de Justin. Deux gémissements résonnent à ses oreilles et Matthias camoufle un léger rire moqueur en reniflement. Avec ardeur, Matthias découvre l’inconnu, dont la saveur est encore empreinte du parfum d’une douche récente. Le temps d’une seconde, il s’imagine qu’il recommencera peut-être plus tard, quand le goût de leurs corps sera imprégné de la moiteur du sexe. En attendant, l’index de Justin s’enfonce plus profondément et ses exclamations de plaisir se font plus bruyantes encore. Matthias se redresse, enfile un préservatif sur son membre désormais tendu, puis l’enduit de lubrifiant. Tout en se masturbant doucement, il donne une tape sur la main de son petit-ami pour qu’il lui laisse la place. Justin cède sans réfléchir et ses doigts vont aussitôt se perdre dans les mèches brunes du troisième homme alors qu’il semble faire un effort intense pour retenir ses coups de reins. Matthias gémit à ce constat et espère pouvoir vite goûter au talent de cette bouche.

Pour l’instant, il a la primeur de la pénétration et compte bien la savourer. Matthias encercle sa verge d’une main et pose l’autre au creux des reins du brun. De son pouce, il écarte un peu l’une de ses fesses et y glisse son membre lubrifié. Se mouvoir le long de la raie est déjà une torture et il est impatient de s’engouffrer dans le corps chaud qui s’offre à lui. Pourtant, il se fait languir en retardant ce moment. À chaque passage de son gland sur l’orifice, Matthias exerce une pression plus prononcée que la précédente. Bientôt, rien ne pourra plus l’empêcher de s’y introduire mais, tant qu’il maîtrise sa raison, il veut la faire perdre aux deux autres. Justin, toujours aussi vocal dans son plaisir, se passe la langue sur les lèvres de manière compulsive dès qu’il croit que Matthias va vraiment entrer en jeu, tandis que leur compagnon tente, par une légère poussée, de le prendre en lui sitôt qu’il sent ses chairs s’étirer.

Finalement, Matthias ne peut se retenir davantage ; il incite le troisième homme à écarter un peu plus les jambes pour s’installer confortablement à genoux entre elles. Il n’a pas à forcer pour franchir la barrière du muscle anal et sa satisfaction trouve un écho agréable dans le gémissement venant de son inconnu. Il baisse les yeux pour regarder son sexe se faire lentement aspirer puis achève de pénétrer son nouvel amant d’un coup de reins plus sec. Le jeune homme se tend de tout son être et Matthias se demande un instant s’il n’a pas été trop brusque. Cependant, il est vite rassuré quant à son innocence dans ce frisson lorsqu’il aperçoit les sillons rouges sur les omoplates de l’inconnu : Justin a eu davantage de difficultés à se contenir et vient de le griffer. Matthias sourit et décide de faire oublier la brutalité de son petit-ami en amorçant un rythme lent et peu profond, supplice nécessaire s’il ne veut pas jouir prématurément. Ondulant du bassin, il ne quitte la gaine que de quelques centimètres avant d’y replonger. Y être enserré est délicieux et Matthias émet des murmures appréciateurs quand il sent l’anus se détendre autour de son sexe, lui permettant de s’enfouir plus profondément, ou se contracter, l’obligeant à imprimer ses mouvements plus fortement pour s’autoriser le passage.

Matthias remarque que Justin ne tiendra plus longtemps : les yeux fermés, il se soutient d’une main à la tête de lit tandis que la seconde est passée entre ses cuisses. Le connaissant, Matthias devine que son petit-ami se caresse les testicules, voire le périnée. Lui maintient sa cadence. Il ignore combien de temps avant son arrivée ils ont débuté, mais il veut profiter encore de prendre son plaisir dans un corps inconnu. Justin prévient de sa jouissance dans un murmure incompréhensible, mais le brun saisit l’avertissement et abandonne le sexe, le dépouillant de sa protection d’un geste rapide et précis. Puis il pose la joue contre la cuisse de Justin pour assister à son éjaculation. Maintenant qu’il a vu son visage, Matthias sait qu’il est perdu. Dans une dernière tentative pour se contenir, il essaie de se concentrer sur le sperme de Justin qui gicle sur les draps, ou même sur la lèvre que celui-ci se mordille sous l’intensité de son orgasme, mais ses efforts sont vains. Les traits de son ami d’enfance occultent le reste et, s’il aimerait pouvoir prétexter que la surprise ruine son excitation, celle-ci s’enflamme bien trop pour qu’il puisse être hypocrite et il perd le contrôle. Le rythme saccadé auquel il soumet soudain son ami lui vaut une douce plainte de ce dernier, mais cela ne dure pas et, bientôt, un simple «  Toni  » murmuré pour tout avertissement, il remplit le préservatif de sa jouissance.

Matthias n’avait jamais gémi ce surnom et la sensualité sur ses lèvres se dispute à la culpabilité d’avoir profané leur amitié. Il n’a pourtant pas le temps de pousser sa réflexion plus loin puisque Justin l’a déjà rejoint et s’empare de sa bouche. Le baiser est pressant et a le goût amer de la trahison — à la fois de l’adultère et du mauvais tour qu’il lui a joué. Matthias cède vite sous cet assaut alors qu’il devrait le repousser, furieux, mais il ferait n’importe quoi pour oublier l’autre présence. Son vœu n’est cependant pas exaucé et il est attiré par le mouvement à leurs côtés. Toni s’est tourné pour s’étendre sur le dos et leur présente son sexe suintant de liquide séminal. Cette vision à elle-seule suffirait à faire renaître son désir, toutefois il semble que Toni cherche à le faire se consumer sur place. Il lance à Matthias un regard brûlant ; ses pupilles dilatées hurlent son insatisfaction. Matthias sait qu’il doit prendre une décision. La plus sensée serait d’arrêter là ce manège, tant que la ligne n’a été que mordillée. Mais ce serait renier un désir refoulé depuis des années et il ne se sent plus capable de se raisonner. Franchir cette satanée ligne est si alléchant. Si facile. Si risqué. La bouche de Justin quitte la sienne et, de la langue, ce dernier trace un chemin sur sa joue, jusqu’à son oreille. Lui reste pantelant, les lèvres entrouvertes dans une tentative désespérée pour reprendre son souffle.

— Tu ne comptes pas le soulager, Matt ? lui chuchote Justin, tout en le débarrassant de sa protection usagée. Si c’est pour le laisser souffrir, je m’occupe de lui moi-même.

— Enfoiré.

— Donc, je suce Antonin ? le taquine-t-il.

Matthias repousse son petit-ami avec un regard agacé. Voir Justin dans d’autres bras que les siens ne l’émeut pas outre-mesure ; c’est même plutôt excitant. En revanche, imaginer les mains ou la bouche de son amant sur Toni l’irrite au plus haut point. Rien que l’entendre prononcer ce prénom, pourtant détesté par son ami, le contrarie. Il n’a pas envie d’analyser ce sentiment ; il veut juste faire en sorte de limiter les contacts entre les deux hommes. Alors, Matthias se penche vers leur partenaire d’un soir, faisant taire son conflit intérieur. Toni l’accueille avec un plaisir non dissimulé en écartant davantage les cuisses. Matthias ferme les yeux et capture le sexe entre ses lèvres sans préambule : il n’est plus temps d’attiser le désir, il doit juste apaiser cette tension. Sous l’assaut de sa bouche, son ami se tend et accroche les doigts dans ses cheveux pour l’inciter à poursuivre.

Alors qu’il goûte la saveur de l’interdit, il sent la paume de Justin en bas de son dos. Les premières caresses le long de sa colonne ne sont que des encouragements mais, au fur et à mesure que les gémissements de Toni se transforment en plaintes réclamant sa libération, la main remonte entre ses omoplates, puis dans sa nuque. Toni relâche soudain sa prise sur sa chevelure et — s’il en croit le froissement qu’il entend — agrippe les draps de ses poings. Son prénom soufflé par cette voix familière, dans un timbre si étranger, intime à Matthias de s’écarter. Toutefois, Justin le maintient en place quand il essaie de se redresser. Son cerveau a du mal à traiter cette nouvelle information et il ne saisit l’ordre silencieux de Justin qu’en sentant le membre de Toni pulser contre sa langue. Matthias plisse les paupières, soudain pris de remords de ne pas avoir pensé au préservatif, et se prépare à recueillir la jouissance de son ami d’enfance. Au premier jet, il déglutit de surprise ; le sperme qui s’écoule dans sa gorge lui donne l’impression d’avaler les flammes de l’enfer. La giclée suivante frappe son palais alors qu’il est en pleine inspiration. Avide, il se surprend à emprisonner fermement le sexe entre ses lèvres pour s’assurer de ne pas perdre une goutte de ce plaisir : le péché a un goût d’encore. La pression sur sa nuque s’efface à ce moment, Justin doit être satisfait de voir ses barrières céder. Ce dernier se colle tout contre lui et vient mordiller le lobe de son oreille. De nouveau, il murmure pour n’être entendu que de Matthias :

— Tu aimes ma surprise, pas vrai  ? Et pas la peine de faire des simagrées, ajoute-t-il alors que Matthias libère enfin le sexe de sa bouche pour protester. Antonin a accepté sans même réfléchir. Je me demande si je devrais être jaloux…

Matthias fait taire son amant d’un baiser sauvage, n’hésitant pas à lui râper les lèvres de ses dents. Justin apprécie visiblement le traitement puisqu’il lui répond avec autant d’enthousiasme. Matthias tente un regard vers son ami, sans savoir ce qu’il y cherche. Peut-être pour s’assurer qu’il est bien là et va y rester ? Lui, maintenant qu’il y a goûté, veut profiter de cette nuit avec les deux hommes de sa vie. Pour essayer de comprendre pourquoi il a accepté de se joindre à eux alors que Toni n’a jamais caché qu’il désapprouvait leur conception du couple ? Ou juste pour calmer tous les doutes qui le traversent ? En effet, si quelqu’un peut l’aider à aborder cet instant de façon pragmatique, c’est bien Toni. Tente-t-il de deviner si les sous-entendus de Justin ne sont qu’une façon de déchirer un peu plus leur amitié ? Pourtant lui et Toni avaient ri en se révélant mutuellement leur homosexualité et s’étaient promis de ne pas tomber dans le cliché des meilleurs amis devenant amants. Matthias soupire dans le baiser encore plus impatient de Justin et se laisse aller quand ce dernier le pousse en arrière. Étendu sur le dos, son petit-ami vient couvrir son corps du sien, puis Matthias clôt les paupières avant de risquer de croiser le regard de Toni qui commence à se redresser : après tout, un simple coup d’œil ne suffirait pas pour lui fournir les réponses à ses interrogations.

Mémoires d’un Olympien (2)

Chapitre 2

L’équipe suisse avait encore trois matchs à jouer et Damien mit de côté ses réserves pour aller soutenir les joueurs. La première rencontre fut remportée sans difficulté et il retrouva plusieurs de ses coéquipiers de championnat près des accès pour les athlètes. Un bref soulagement l’envahit en apprenant qu’Ivan leur avait fait faux bond pour la soirée. Les heures suivantes, il abusa de l’alcool, se laissa séduire par un groupe de snowboardeuses anglaises qui se moquèrent gentiment de son accent et échangea quelques regards insistants avec un Espagnol dont il n’était plus certain s’il pratiquait le curling ou le ski de fond. Néanmoins, Damien retourna seul dans sa chambre et mit deux longues heures avant de succomber à sa fatigue. Tout ce temps, il se demanda avec qui Ivan avait bien pu finir sa soirée.

À son réveil, l’esprit encore brumeux de ses songes, il tâtonna sous les draps pour se saisir de son sexe tendu qui lui hurlait son insatisfaction. Il n’ouvrit les yeux qu’un court instant pour s’assurer que le lit voisin était toujours aussi vide que la veille, puis sa main s’activa sur son membre engorgé. Pour la première fois depuis six ans, il ignora la pointe de culpabilité familière et ne lutta pas contre les images qui alimentèrent son fantasme. Ses souvenirs se déformèrent jusqu’à oublier la présence de Stella entre eux pour ne plus que sentir le poids d’Ivan au-dessus de son corps, leurs verges juste séparées par le tissu de leurs sous-vêtements. Contre sa paume, son sexe eut un sursaut de plaisir et il plissa les paupières pour garder cette image en mémoire. Pantelant, il imagina le souffle d’Ivan sur ses lèvres, le goût qu’aurait eu sa langue si l’un d’eux avait osé approfondir ce baiser. Son dos se cambra et il se répandit entre ses doigts. La respiration courte, il décréta qu’il n’était pas en état d’affronter la vie au village ou la simple amitié d’Ivan. Le service d’étage et le filtrage de ses appels suffiraient à l’isoler pour deux jours.

La demi-finale, où l’équipe d’Ivan rencontrait celle de Finlande, le pays organisateur, attira les spectateurs et il se retrouva dans des gradins bondés. Pour quelqu’un qui venait de passer quarante-huit heures reclus dans sa chambre d’hôtel, le bruit était assourdissant. Cependant, Damien s’estimait heureux de pouvoir se fondre au milieu de cette foule : pas un instant, il n’avait imaginé rater cette demi-finale, mais il ne tenait pas à être repéré par Ivan ou l’un de ses coéquipiers.

C’était sans compter sur les deux premiers tiers temps où la Finlande prit la tête de justesse. La défense finlandaise n’était pourtant pas parfaite et, à trois reprises, la Suisse put remercier la règle du dégagement interdit, sans laquelle l’écart de points n’aurait pas été rattrapable. Durant le dernier arrêt de jeu, Damien attendit de voir la surfaceuse pénétrer sur la glace, puis il quitta son siège et se précipita vers l’accès aux vestiaires. Toujours en courant, il bifurqua pour rejoindre le banc de l’équipe suisse et fut accueilli par la voix de leur entraîneur. Les ordres aboyés ne lui manquaient pas et il prit soin de rester en retrait pour ne pas se faire remarquer et ne pas subir les foudres du coach. Toutefois, leur capitaine, Marcus, le repéra et donna un coup de coude discret à Ivan pour attirer son attention.

Lorsque son ami releva la tête, Damien eut un choc. Il était habitué aux cheveux ébouriffés par le casque, mais pas aux traits tirés par la fatigue. Pourtant, l’équipe avait passé des nuits blanches à fêter des victoires ou des heures à s’épuiser sur la glace, mais jamais il n’avait vu cet abattement sur le visage d’Ivan. Leurs regards se croisèrent et il sentit son cœur s’accélérer. Garder ses distances avait été une mauvaise idée. Non seulement il n’avait pas réussi à enfouir de nouveau ses désirs, mais il avait aussi blessé son ami. Alors qu’Ivan avait insisté pour que rien ne change entre eux, lui-même l’avait fui. Il s’obligea à sourire de manière rassurante et fit un signe de main à ses coéquipiers qui l’avaient repéré.

L’entraîneur termina son laïus et s’approcha d’Ivan, certainement pour lui donner des informations sur la défense finlandaise et des conseils pour reprendre l’avantage. Damien n’aurait donc pas l’occasion de motiver lui-même son ami, mais Marcus en profita pour le rejoindre.

« On croyait que tu avais disparu. »

Le ton était gentiment moqueur, mais Damien grimaça de culpabilité.

« J’avais besoin d’un peu de solitude. Le principal, c’est que je sois là pour vous soutenir.

— T’avais plutôt intérêt, sinon je t’aurais fait souffrir au prochain entraînement. »

Le sourire gourmand de Marcus lui confirma que son capitaine regrettait de ne pas pouvoir mettre à exécution sa menace. L’entraîneur rappela ses joueurs pour se préparer à retourner sur la glace.

« Tu viens avec nous ce soir, réclama Marcus en se retournant pour rejoindre son équipe.

— Seulement si vous gagnez ! » lui cria-t-il.

Quelques têtes se tournèrent vers lui et Ivan lui adressa un sourire en coin avant d’enfiler son casque et de rentrer sur la patinoire. Damien les observa se placer face à l’équipe adverse et décida de rester où il était pour regarder la fin du jeu.

Le jeu suisse était plus agressif tandis que l’équipe finlandaise accusait la fatigue des premiers tiers temps. Les deux camps étaient à égalité et il commençait à craindre les tirs de fusillade pour la qualification en finale. À quatre minutes de la fin, Ivan reçut un coup dans le dos alors qu’il s’apprêtait à marquer un but. Le palet changea de trajectoire à cause du déséquilibre et Damien se redressa, alerte, en attendant la décision de l’arbitre. Ce dernier siffla la faute et mit les bras en croix au-dessus de sa tête. Un murmure désapprobateur s’éleva des gradins, mais les joueurs des deux équipes rejoignirent leur banc, laissant Ivan face au gardien finlandais pour le tir de pénalité.

Damien se crispa alors qu’Ivan prenait position. S’il marquait ce but, son équipe était garantie de remporter une médaille. Les pieds écartés, Ivan prit appui sur sa crosse. Sitôt qu’il toucha le palet, le gardien adverse s’avança sur lui pour le contrer. Cependant, Ivan avait un regain d’énergie depuis le début de ce tiers temps et il contourna avec aisance l’autre hockeyeur, évitant le contact et s’offrant une ouverture face au but. Le point fut validé et les joueurs des deux équipes revinrent sur la patinoire. Les dernières minutes s’écoulèrent dans une ambiance tendue : la Finlande tentait de ramener le score au match nul pour gagner une nouvelle opportunité aux tirs de fusillade tandis que la Suisse concentrait tous ses efforts dans sa défense pour s’assurer la victoire. Le coup de sifflet annonçant la fin du match fut accueilli par une majorité de cris déçus depuis les gradins. Les joueurs suisses, euphoriques, jouaient des coudes pour quitter la glace et Damien s’éclipsa pour laisser l’équipe retourner au vestiaire pour savourer leur victoire.

La fête battait déjà son plein quand il franchit les portes et il repéra plusieurs hockeyeurs visiblement déjà prêts à rentrer cuver leurs bières. Marcus en soutenait un, l’aidant à avancer vers la sortie. Il s’arrêta à hauteur de Damien et lui posa une main sur l’épaule :

« Je ramène celui-là dans sa chambre. Et crois-moi, il va me le payer. En attendant que je revienne, surveille-les pour moi.

— Je suis pas ta baby-sitter », se plaignit-il, mais Marcus l’ignora et continua son chemin.

Malgré tout, Damien se retrouva à empêcher plusieurs de ses coéquipiers de championnat de commander davantage d’alcool. À quelques tables d’eux, Ivan trinquait avec de parfaits inconnus et il tenta de garder un œil sur lui également. Il essaya d’oublier la sensation des lèvres d’Ivan sur les siennes chaque fois qu’il croisait son regard et d’ignorer sa propre jalousie chaque fois que son ami souriait à quelqu’un d’autre. En vain.

Lorsque Marcus franchit à nouveau la porte, Damien n’attendit même pas son accord pour abandonner la table. À peine avait-il fait quelques pas qu’Ivan lui attrapa la main et le guida vers un endroit plus tranquille. Damien observa leurs mains et se demanda si le contact avait toujours été aussi facile entre eux. La réponse était oui. Elle était aussi vraie pour quelques autres joueurs dont il se sentait proche. Néanmoins, il avait l’impression de trahir la confiance de son ami. Si un tel geste était banal auparavant, il savait que ce n’était plus le cas en ce qui le concernait. Le couloir où Ivan les conduisit était désert et cela ne fit rien pour calmer ses nerfs. Celui-là libéra sa main pour lui faire face :

« Je suis désolé.

— Quoi ? s’étonna-t-il. Pourquoi ?

— Je ne pensais pas te mettre mal à l’aise à ce point-là. Tu n’es pas obligé d’éviter l’équipe à cause de moi…

— Arrête ! l’interrompit-il, un rire nerveux au bord des lèvres. Tu n’y es pour rien. C’est moi qui… C’est intense ces Jeux, d’accord ? J’avais juste besoin d’un peu de temps pour assimiler tout ça. »

Ivan le fixa d’un air curieux et Damien ne put pas lui en vouloir. La défaite de son équipe avant même d’avoir une chance de médaille ou le manque de sommeil à force de faire la fête et de s’entraîner n’avaient rien à voir avec son angoisse des derniers jours. Mais s’il pouvait s’en sortir avec cette explication, il préférait éviter d’aborder le vrai problème.

« OK, finit par céder Ivan. Tout va bien entre nous, alors ?

— Aucun malaise », mentit-il.

Trois jours plus tard, la fin des Jeux approchait. Damien avait peu vu l’équipe suisse dont les créneaux d’entraînement s’étaient multipliés pour préparer la finale contre le Canada. Les rares moments qu’il avait passés avec eux avaient été calmes et il avait fait de son mieux pour ne pas paraître trop absorbé par la présence d’Ivan. Cependant, il n’était pas convaincu de son succès. Le moindre geste d’Ivan attirait son attention et il croisa son regard bien plus souvent qu’avec la totalité des autres joueurs présents. il cherchait à décrypter l’attitude d’Ivan, au point de se demander si ses propres désirs ne l’incitaient pas à interpréter comme bon lui semblait chaque sourire ou chaque contact.

La finale se déroula dans le calme et sans réelle surprise. Peu de spectateurs avaient fait le déplacement puisque l’issue du match était prévisible. Le Canada tentait sa quatrième médaille d’or d’affilée ; malgré la motivation de l’équipe suisse, leurs adversaires prirent l’avantage dès le second tiers temps sans leur laisser la possibilité de remonter au score. Avec sept points d’écart, le Canada remporta la victoire et la Suisse grimpa sur le podium pour recevoir la médaille d’argent.

Damien ne parvint pas à rejoindre ses amis après la remise des médailles et dut patienter jusqu’au soir pour espérer les retrouver à la cérémonie de clôture. La délégation française passait en huitième position, ce qui lui laissait quelques minutes pour essayer de voir les équipes suisses. Il repéra ses coéquipiers de championnat et se précipita sur eux pour les féliciter de leur médaille. Marcus et les autres retournèrent sa brève accolade, mais Ivan le garda contre lui deux ou trois secondes de trop pour son confort. Quand il put enfin s’écarter, ce fut pour sentir Marcus lui ébouriffer les cheveux en un geste paternaliste :

« Profite bien de tes vacances en France et sois en forme pour ton retour. Je vais vous en faire baver. »

La Marseillaise résonna dans le stade et Damien abandonna l’idée de répondre à son capitaine. Avec un dernier geste de la main, il se précipita pour rejoindre sa délégation et faire ses adieux aux Jeux Olympiques.

Le retour en Suisse pour la reprise du championnat fut compliqué. Son séjour chez ses parents l’avait reposé et il avait fait ce qu’il maîtrisait encore plus que le hockey : ignorer ses problèmes. Et il géra plutôt mal de se retrouver confronté à Ivan.

Les incidents lors des entraînements se multiplièrent. Aux yeux des supporters ou des journalistes, présents pour suivre une partie de l’équipe olympique médaillée d’argent, les erreurs pouvaient être attribuées à la fatigue des joueurs ou à des difficultés à retrouver le rythme habituel. Mais Damien percevait la tension qui régnait entre lui et Ivan et savait qu’il en était le seul responsable.

C’était peut-être le plus vexant, d’ailleurs, de savoir qu’Ivan était capable de garder la tête froide. Pour lui, rien n’avait changé : il ne s’interdisait aucun contact, ne baissait pas le regard dès qu’il entrait dans le vestiaire, ne cherchait pas à l’épargner quand ils étaient sur la glace ou ne trouvait pas une excuse pour se défiler à chaque soirée d’équipe. Damien redoutait le moindre frôlement, avait peur que son corps ne le trahisse. Il craignait aussi de s’enivrer et de finir par demander à Ivan s’il pensait bien ce qu’il lui avait dit aux JO : que, si c’était avec lui, il serait prêt à tout envisager. Et ses désirs obscurcissaient tant son jugement qu’il interprétait l’attitude d’Ivan, dans chacun de ses détails, pour nourrir ses fantasmes.

L’entraînement s’était terminé depuis un moment, mais le capitaine les avait retenus sur la glace, lui et Ivan. Marcus progressait lentement sur la patinoire, leur faisant des passes molles avec le palet.

« D’abord, je dois vous dire que je ne tiens pas à savoir ce qu’il s’est passé au village olympique, mais je suis certain que le malaise vient de là. Je suis juste inquiet pour l’équipe. Alors, soit vous réglez ça entre vous, soit je serai obligé d’intervenir. Et ça ne fera plaisir à personne. »

Damien déglutit à l’idée de devoir expliquer la source de la tension entre lui et Ivan. Un coup d’œil à ce dernier lui confirma que son ami préférait aussi éviter d’entrer dans les détails avec Marcus. Surtout en sachant que celui-ci n’avait pas vraiment de limites quand il s’agissait de maintenir la cohésion dans l’équipe.

« On va régler ça, promit-il.

— C’est dans votre intérêt, menaça Marcus. Je ne veux plus entendre parler d’un transfert dans ces conditions. »

Leur capitaine, satisfait, quitta la glace. Damien chercha le regard d’Ivan pour dissiper son incompréhension mais, pour la première fois depuis leur soirée avec Stella, ce fut son coéquipier qui l’évita. Ivan poussa sur ses patins et se lança dans un exercice de vitesse en entraînant le palet de sa crosse. Sans hésiter, Damien fit demi-tour pour rejoindre les vestiaires. Il pouvait bien être lâche quelques minutes de plus et laisser à Ivan l’espace dont il avait besoin.

Marcus était dans les douches quand il arriva dans le vestiaire. Il prit son temps pour ôter son équipement, enroula une serviette à sa taille et s’assit sur son banc habituel, dos au mur. Son capitaine était déjà en train de sécher. Il contourna Damien pour récupérer ses affaires propres dans son casier, mais tous deux gardèrent le silence. Pour Marcus, la question était réglée et Damien ne l’entendrait plus mentionner l’incident si lui et Ivan parvenaient à surmonter ce malaise. Quelques instants plus tard, il se retrouva seul dans les vestiaires et ferma les yeux dans l’espoir de trouver une façon d’aborder le sujet avec Ivan.

Il fut interrompu dans ses pensées par le claquement de la porte. Sans un mot, Ivan traversa la pièce pour ouvrir son casier. Ses gestes trahissaient son agacement et Ivan sortit ses affaires pour la douche avant de se déshabiller et fourrer sa tenue dans son sac. Alors que son coéquipier se retrouvait nu, Damien regretta de ne pas avoir profité de sa solitude pour se doucher et s’habiller. Il était un peu trop conscient de sa propre semi-nudité. De peur de rompre le silence, Damien resta immobile et observa son ami, maintenant appuyé contre les casiers. Le corps offert à sa vue ressemblait à une invitation dont Damien n’était pas sûr qu’elle soit réelle ou le fruit de son imagination.

Un soupir agacé d’Ivan alors qu’il ramassait sa serviette le fit réagir. La boule au ventre, il se lança :

« C’est quoi cette histoire de transfert ? »

Ce n’était peut-être pas le sujet principal, mais il était satisfait d’avoir pu adresser la parole à Ivan sans se décomposer ou laisser sa voix le trahir. Le hockey était un sujet sauf ; ils pourraient se lancer au cœur du problème plus tard.

« Ça ne va pas se faire, Marcus va y veiller. Je pensais que ce serait plus simple pour toi comme ça, admit Ivan sans lui accorder un regard.

— Pour moi ? répéta-t-il, incrédule. Comme si te voir quitter l’équipe allait me consoler d’être incapable de gérer la situation sans rendre les choses bizarres.

— C’est moi qui ai créé la situation et l’équipe en pâtit déjà. Mon jeu et le tien sont perturbés. Alors, oui, j’étais prêt à changer de club si ça pouvait t’aider à oublier ma décision.

— Je t’ai dit que ce n’était pas ta faute.

— Ah non ? s’agaça Ivan. Alors, explique-moi. On passe une heure avec Stella, je t’embrasse, tu disparais pendant deux jours et, depuis, c’est à peine si tu oses être dans la même pièce que moi. »

Damien grimaça en réfléchissant à la façon de formuler sa réponse, mais Ivan chercha son regard et l’accrocha un instant, avant de secouer la tête et de retrouver un semblant de sourire :

« Je sais que j’ai été égoïste, mais je n’ai pas songé aux conséquences. Je croyais pouvoir avoir ce moment avec toi et conserver notre amitié. Évidemment, je me suis trompé. »

Ivan soupira tandis que Damien tentait de remettre de l’ordre dans ses idées.

« Ne m’attends pas pour partir, j’ai encore ma douche à prendre.

— Je n’ai pas pris la mienne non plus, rétorqua-t-il, le cœur battant. Si tu veux bien qu’on partage. »

Ivan s’arrêta à cette proposition et recommença à le jauger du regard. De peur de perdre sa contenance, Damien baissa les yeux pour rompre le contact et examiner ses pieds nus. Ceux d’Ivan entrèrent dans son champ de vision. Le bruit de leurs respirations résonnait dans le vestiaire et il savait que ses joues étaient en feu. Doucement, il releva la tête, laissant son regard s’égarer sur les courbes dénudées d’Ivan qui étaient à la fois familières et intrigantes. Avant de croiser le regard de son ami, il eut un sursaut d’audace et tendit la main, mais Ivan saisit son poignet pour arrêter son geste. Il leva alors un regard interrogateur et Ivan lui tira sur le bras pour le hisser à sa hauteur.

« Si tu me touches maintenant, tu vas te retrouver plaqué contre ces casiers. »

L’idée était plus que séduisante s’il en croyait la bouffée de chaleur qui l’envahit, mais terrifiante aussi. Pourtant, il força contre la poigne qui le retenait et posa sa paume à plat sur les pectoraux d’Ivan. La peau sous la sienne était encore moite de sueur, les muscles saillants et l’envie de marquer cette chair de ses ongles le surprit par sa violence.

Cependant, Ivan tint sa promesse et l’attrapa par les hanches pour le repousser contre les casiers. Le métal froid dans son dos ne l’empêcha pas de sentir son bas-ventre en feu alors qu’Ivan dénouait sa serviette pour la laisser s’échouer au sol. Les cinq centimètres que Damien avait sur son ami semblaient dérisoires alors qu’Ivan le maintenait en place, piégé entre ses mains et ses jambes. Leur nudité ne l’inquiétait même plus. Le regard intense d’Ivan sur sa bouche et son cou, en revanche, lui faisait perdre ses moyens.

Il caressa le torse d’Ivan et remonta jusqu’à accrocher sa nuque, puis l’attira à lui pour poser la bouche sur la sienne. Le contact était aussi léger que la première fois, quand Stella l’avait demandé à Ivan, mais celui-ci maintint la pression plus longtemps. L’hésitation était inutile vu leur position, aussi Damien entrouvrit-il les lèvres. D’abord incertain, le baiser s’enflamma rapidement. Le dos plaqué aux casiers, il sentit le métal s’enfoncer dans sa peau à mesure qu’Ivan s’appuyait davantage sur lui.

De sa main libre, il s’accrocha à l’omoplate d’Ivan et y laissa de profondes marques d’ongles quand celui-ci enroula les doigts autour de son sexe. Les mouvements sur sa verge étaient secs et presque douloureux à cause du peu d’espace qu’avait Ivan pour bouger sa main. Néanmoins, le simple fait de savoir qu’un autre homme — Ivan — le caressait et l’embrassait lui suffit pour perdre le contrôle. Son orgasme le cueillit par surprise et il abandonna la bouche d’Ivan pour observer son sperme qui coulait sur les doigts de son coéquipier. Ce dernier relâcha son membre sensible et se recula légèrement.

« On devrait prendre cette douche, maintenant. »

Damien entendit l’eau couler avant de sortir de sa stupeur et se précipita pour le rejoindre. Le corps d’Ivan était tel qu’il l’avait toujours connu, tel qu’il le voyait dans ses fantasmes : l’érection insatisfaite l’interpellait, mais il se trouvait bien plus embarrassé par son inexpérience dans la réalité.

« On devrait s’occuper de toi aussi, proposa-t-il en pointant l’évidence.

— Mets-toi face au mur », lui demanda Ivan.

Malgré sa nervosité, il obtempéra. Sous le jet d’eau, il prit appui sur le carrelage et essaya de se détendre. Aucun de ses fantasmes ne l’avait préparé à cette réalité. Ne plus refouler ses envies, avec quelqu’un en qui il avait confiance, était exaltant ; toutefois, l’angoisse de l’inconnu le paralysait. Le bruit du bouchon du flacon de gel douche le fit sursauter. Ivan se rapprocha de lui, accrocha une main sur sa hanche et Damien sentit l’érection frotter le haut de sa cuisse. Ivan posa son autre main dans son dos pour le savonner. Le massage dura un moment et Ivan insista avec son pouce pour dénouer ses points de tension.

Plusieurs minutes de ce traitement lui firent oublier sa vigilance. Sa tête retombait entre ses bras et il s’était cambré sous les caresses d’Ivan. Puis celui-ci glissa sa main savonneuse entre ses cuisses. Il taquina son périnée avant de masser ses testicules et d’agacer son sexe repu. Damien essaya de rester docile mais, lorsque la main remonta entre ses fesses, l’appréhension eut raison de son excitation. Il tendit un bras en arrière pour bloquer le poignet d’Ivan. Pour tout ce qu’il avait testé en se masturbant, il ne doutait pas d’y trouvera son plaisir, mais il n’envisageait pas sa première fois avec un homme ainsi. Sinon, il aurait depuis longtemps cédé à ses pulsions dans l’anonymat d’un club.

« Je ne veux pas gâcher ton plaisir, mais mon expérience avec les hommes se résume à ce qu’on vient de faire, alors je ne suis pas sûr d’être vraiment prêt. Mais je ne suis pas contre tenter n’importe quoi avec toi. Plus tard. »

Ivan resta immobile et embrassa son épaule, puis mordit la peau délicate à la base de sa nuque ; les genoux de Damien fléchirent sous la décharge de plaisir.

« Ne me donne pas des idées, grogna Ivan. Et détends-toi, on n’a pas de préservatif.

— Donc, ce n’est pas pour ce soir. »

Alors qu’il était inquiet un instant auparavant, il se trouva ridicule en entendant la déception dans sa propre voix. Ivan retira la main d’entre ses jambes et attrapa la sienne pour la poser contre le carrelage. La verge tendue d’Ivan glissa entre ses cuisses et il sentit l’érection coulisser le long de son périnée et cogner dans ses testicules à la cadence de ses courts va-et-vient.

« Resserre un peu les cuisses, murmura Ivan contre son omoplate. Et sinon, tu décides du rythme. On a tout notre temps et j’ai de quoi nous occuper en attendant. »

Les coups de rein s’intensifièrent, comme si Ivan imaginait déjà tout ce qu’ils allaient pouvoir tester. La jouissance de Damien était trop récente pour lui en permettre une nouvelle si tôt, mais cela ne priva pas son sexe de faire un effort pour tenter de répondre à la stimulation. Les doigts d’Ivan s’enfoncèrent à sa taille et il sentit le membre pulser entre ses cuisses. La curiosité attira son regard plus bas, mais l’eau de la douche nettoyait déjà la preuve de leur plaisir.

Ils passèrent le week-end chez lui. Ivan se révéla insatiable et Damien plus qu’heureux de se plier à ses désirs.

À l’entraînement suivant, malgré ses muscles endoloris, ils n’esquivèrent aucun contact entre eux deux pour prouver à leur capitaine que le problème était résolu. Et peut-être pour profiter de chaque excuse pour plaquer l’autre contre une paroi. Leur relation allait pimenter le jeu.

Quatre ans plus tard

La sonnerie lui annonça l’arrivée d’un nouveau message et Damien roula au-dessus d’Ivan pour attraper son téléphone sur la table de nuit. Leurs médailles s’entrechoquèrent, provoquant un rire chez son partenaire. Damien se laissa retomber sur le dos et Ivan en profita pour poser le menton sur son torse.

« Qui ose nous interrompre ? s’indigna Ivan.

— Marcus.

— Dis-lui de nous oublier, il n’est plus capitaine.

— Libre à toi d’envoyer bouler l’assistant de l’entraîneur, mais tu ne me feras pas plonger avec toi.

— Et moi qui croyais que tu m’aimais », soupira Ivan.

Damien leva les yeux au ciel sans le gratifier d’une réponse et pianota un message pour Marcus avant de reposer le téléphone. Ivan faisait rouler entre ses doigts la médaille de bronze de Damien :

« Qu’est-ce qu’il voulait ?

— Qu’on range nos médailles avant de fêter nos titres olympiques.

— Trop tard ! » s’amusa Ivan.

En effet, ils s’étaient sauvés des soirées avec leurs équipes dès que possible pour rejoindre la chambre d’Ivan. Le programme était simple : se retrouver nus, avec leurs médailles — une de bronze pour lui et deux d’argent pour Ivan — pour seuls vêtements et autant de sexe que possible avant la cérémonie de clôture le lendemain.

« Il va nous tuer au prochain entraînement, se plaignit-il.

— Il n’est pas obligé de savoir.

— Il m’a écrit que sa sœur lui prêterait la lumière noire de son labo pour vérifier les traces. Comment on nettoie le sperme à ton avis ?

— Aucune idée. Mais on peut essayer de noyer les tâches en recouvrant la surface. Ça devrait lui passer l’envie de nous déranger. »

Ivan l’embrassa pour l’empêcher de répliquer ou de se lancer dans un débat stérile. Damien oublia ses protestations lorsqu’il le sentit s’agenouiller de part et d’autre de sa taille. Depuis les derniers J.O., ils avaient réussi à trouver leur équilibre pour rester discret sur leur relation et ne pas la laisser interférer avec l’équipe et leur jeu. Mais les semaines au village olympique, où ils défendaient des couleurs différentes, leur permettaient d’oublier ces règles.

Les médailles tintèrent les unes contre les autres quand Ivan se redressa dans un soupir satisfait. Damien empoigna ses hanches pour imposer son rythme et le faire jouir sur son ventre. Sur sa médaille. Peut-être que dans quatre ans, ils seraient encore sélectionnés. Peut-être que la France renouvellerait l’exploit de grimper sur le podium et que la Suisse parviendrait à détrôner le Canada pour ajouter l’or à leur collection. Peut-être qu’Ivan et lui fêteraient ces titres d’un nouveau marathon dans leur chambre d’hôtel. Damien ne pouvait qu’espérer le meilleur.

Mémoires d’un Olympien (1)

Autrice : Magena Suret.

Genres : Sport, M/F/M + M/M, hot.

Résumé : Damien, joueur de hockey sur glace, participe à sa première sélection nationale aux Jeux Olympiques. Mais, entre la pression de la compétition et la débauche de plaisirs au village olympique, des désirs longtemps enfouis refont surface.

Liens vers les différents chapitres

Chapitre 1Chapitre 2

Chapitre 1

Sur la patinoire, les joueurs adverses prenaient leur place. Damien observa se positionner devant leur gardien les cinq opposants qu’ils allaient rencontrer pour ce premier tiers temps. Sa seule surprise fut de ne pas voir Ivan pénétrer sur la glace. Depuis le début des Jeux, six jours plus tôt, tous deux avaient attendu ce match. En championnat, ils évoluaient comme coéquipiers ; pour la première fois, avec les sélections nationales, la compétition les opposerait. Damien avait vibré d’impatience à l’idée de jouer contre lui, mais il n’allait pas laisser sa déception le déconcentrer.

Les Jeux Olympiques représentaient l’un de leurs rêves depuis le début de leur carrière, mais aucun des deux hockeyeurs n’avait imaginé que la pression serait si forte. L’annonce de leur sélection par leurs pays respectifs avait déclenché un intérêt auquel ils n’étaient pas habitués. Les périodes de championnat étaient intenses, pourtant rien ne les avait préparés à cette excitation permanente. Depuis l’officialisation de sa participation aux J.O. dans l’équipe française et celle d’Ivan pour la suisse, les journalistes sportifs ne se focalisaient plus que sur leur supposée concurrence. Après chaque match, on leur pointait la moindre erreur dans leur jeu ou leur communication qui était censée prouver une animosité nouvelle. Ivan et lui avaient failli entrer dans leur petit manège avant de réaliser qu’ils ne faisaient qu’alimenter leurs prétendues discordes. Alors, ils avaient décidé de se montrer unis avant de rejoindre chacun leur délégation. Cela ne leur avait pas demandé beaucoup d’efforts puisqu’ils s’étaient entendus dès leur rencontre pour devenir de vrais amis au cours des trois dernières années. Damien n’allait pas ruiner leur relation en devenant trop compétitif et il savait qu’Ivan serait aussi respectueux.

Leur arrivée au village olympique s’était faite par délégation, mais Ivan avait réussi à le retrouver à peine deux heures plus tard. Damien l’avait alors écouté lui raconter toutes les anecdotes des J.O. précédents qu’il avait entendues durant le voyage et avait ri, incrédule.

Néanmoins, avec la fête qui avait suivi la cérémonie d’ouverture, ils avaient rencontré les autres athlètes et il était vite devenu clair que les rumeurs colportées au sujet du sexe facile lors des Jeux Olympiques n’étaient pas infondées. En une semaine, aucun des deux n’avait passé une journée sans utiliser au moins l’un des préservatifs fournis gracieusement par les organisateurs. Que ce soit pour se détendre avant une épreuve ou pour fêter une victoire, tous les prétextes étaient bons. Ivan en avait fait un jeu pour voir combien de nationalités différentes il pourrait épingler à son tableau de chasse. Quant à lui-même, il avait joué la carte de la brute timide : alors qu’il était resté seul quelques minutes le premier soir, une skieuse de fond l’avait abordé et, en un rien de temps, ils avaient terminé dans les toilettes, la tête de la jolie Suédoise cognant contre la porte au rythme de ses coups de reins. Après cette soirée, Ivan et lui s’étaient lancé des défis en fonction des résultats des différentes équipes.

La performance de l’équipe de France en hockey sur glace face à celle de Suisse était pour le moins incertaine. Les pronostics jouaient en la faveur de la Suisse, mais il n’était pas impossible de les battre. Aussi Ivan avait-il l’avantage et Damien s’étonnait de ne pas le voir entrer en jeu immédiatement, surtout que son ami lui avait promis un rendez-vous avec deux Allemandes s’il parvenait à bloquer au moins trois de ses attaques. Il allait perdre ce pari et sa récompense parce que son adversaire fuyait la confrontation. Le coup de sifflet annonçant l’engagement le força à oublier ce manque de fair-play et à plonger dans le jeu.

L’avance de la Suisse était confortable ; Ivan ne rejoignit son équipe que pour le dernier tiers temps – après avoir ignoré tous les regards noirs qu’avait pu lui lancer Damien depuis son côté de la patinoire lors des interruptions de jeu. Alors, Damien mit toute sa rage dans sa défense à chaque fois qu’Ivan se présentait face à lui. La France avait peut-être perdu sa chance de gagner cette rencontre, mais lui pouvait encore montrer à son ami qu’il ne se laisserait pas abattre si facilement. Et bloquer la crosse d’Ivan ou le plaquer contre le plexiglas de la patinoire était curieusement jouissif.

Le retour au vestiaire se fit dans une ambiance morose. Même si les pronostics jouaient contre eux, ne pas ramener de médaille était un coup dur pour l’équipe de hockey. En particulier pour ceux dont c’était la dernière sélection. Au moins, Damien pouvait viser les prochains Jeux, dans quatre ans. Et, à plus court terme, il comptait bien rappeler à Ivan sa promesse, puisqu’il avait au moins remporté leur défi personnel, et profiter d’une soirée de consolation aux petits soins de deux Allemandes. Quand il quitta la douche et commença à s’habiller, il reçut un message d’Ivan. Celui-ci, plutôt que de l’avoir attendu pour l’accompagner, lui demandait de le rejoindre à son hôtel dans le village olympique. Son ami n’avait visiblement pas compris que retarder leurs retrouvailles ne changerait en rien son agacement, bien au contraire.

Devant la porte d’Ivan, Damien sortit la carte magnétique que lui avait confiée le joueur partageant la chambre de son ami. Le trajet du retour avait eu le temps de calmer ses nerfs et il fut alors étonné de sentir la nostalgie des derniers jours s’installer : il restait la cérémonie de clôture, mais les Jeux étaient finis pour lui et son équipe. À peine franchit-il le seuil qu’il se retrouva dans les bras d’Ivan :

« Je te féliciterais bien pour le match, mais je tiens à la vie, se moqua celui-ci.

— Tu ferais mieux de t’abstenir, oui », répondit-il en rompant leur embrassade. « Et de me dire que j’ai deux jolies Allemandes qui m’attendent dans cette chambre. Et qu’elles parlent un minimum français. »

Damien était incapable de retenir davantage que quelques ordres dans une langue étrangère et il était ravi de laisser ses coéquipiers lui traduire tout le reste. Néanmoins, Ivan le regarda d’un air coupable et il sut que la suite n’allait pas lui plaire.

« Désolé, mes biathlètes nous ont fait faux bond. »

Damien sentit son irritation redoubler, avant qu’Ivan ne poursuive :

« Mais j’ai une jolie patineuse italienne.

— Et elle n’a pas peur que je l’abîme pour ses épreuves ? »

S’il avait appris une chose des patineuses artistiques qu’il avait tenté de draguer, c’était qu’elles ne trouvaient que rarement de l’attrait à un sport aussi violent que le hockey sur glace. En théorie, elles appréciaient le physique des hockeyeurs, leur force brute. Et elles-mêmes prenaient des risques énormes lors des entraînements dans l’espoir de réaliser une combinaison qui les distinguerait. Mais tous ces efforts physiques passaient presque inaperçus lorsqu’elles glissaient avec grâce sur la glace dans leurs tenues délicates tandis que les hockeyeurs étaient renforcés de protections diverses qui rendaient leur déplacement moins fluide. Damien avait trop souvent entendu des patineuses se plaindre de leur manque de finesse. Il ne doutait pas qu’elles appliquaient le même genre de préjugés quand elles les imaginaient au lit.

« Même pas. Stella est furieuse après son partenaire qui lui en a fait baver depuis des mois en l’empêchant d’avoir la moindre relation avec un homme, alors que c’est lui qui a gâché leur chance de médaille aujourd’hui en chutant. Du coup, elle compte bien – et je la cite – se faire défoncer. Elle n’attend plus que nous. »

La satisfaction qui avait envahi Damien à cette idée s’évanouit en un instant lorsqu’il assimila la fin de la sentence.

« Nous ? s’étrangla-t-il. Tu m’expliques comment on est passé d’un plan à trois entre moi et deux biathlètes allemandes à un plan à trois de deux hockeyeurs avec une patineuse ? »

Ivan ne répondit pas aussitôt ; il lui passa plutôt le bras autour des épaules, le faisant se crisper sous ce contact, et l’accompagna vers la chambre. Damien découvrit Stella debout près de la fenêtre. Sa tenue de gala tout juste abandonnée au sol, les cheveux retenus en chignon, elle leur lançait un regard aguicheur alors que l’une de ses mains avait déjà trouvé le chemin de son clitoris et qu’elle leur proposait des préservatifs de l’autre. Le souffle d’Ivan lui chatouilla l’oreille. Soudain, l’idée de faire demi-tour et aller retrouver son équipe lui parut judicieuse. Baigner dans la morosité de la défaite était peut-être préférable aux risques qu’il prenait dans cette pièce. La proximité d’Ivan le perturbait et il craignait d’être trahi par son propre corps. Il avait appris à contrôler son attirance pour les hommes à force de partager des vestiaires, mais l’intimité de cette situation menaçait de ruiner ses efforts.

« À toi de voir, mais ce serait dommage de laisser passer l’occasion. Ça fait à peine un quart d’heure qu’elle est là et elle m’a déjà tellement chauffé qu’elle pourrait me demander de te sucer sans souci », annonça Ivan d’un air sérieux.

L’image qui vint à Damien après cette confession lui contracta le bas-ventre, le laissant entre désir et crainte. Néanmoins, il était assez coutumier des attitudes d’Ivan pour reconnaître sa bravade pour ce qu’elle était : un moyen de se donner de la contenance face à une situation qui l’excitait vraiment. Il réagit alors de la seule manière adaptée : il leva les yeux au ciel et donna une tape amusée à son ami. Celui-ci l’abandonna aussitôt pour rejoindre leur partenaire du soir. Damien hésita encore un instant, mais l’occasion d’avoir une patineuse dans son lit et l’envie de faire plaisir à Ivan l’emportèrent sur ses craintes les plus secrètes.

Lorsqu’il se décida, Stella venait de plaquer Ivan contre le mur et l’embrassait avec passion. Même si son ami s’était laissé faire, Damien admirait la fougue dont faisait preuve la jeune femme. En deux enjambées, il les rejoignit et profita d’être derrière Stella pour redessiner les courbes de son corps, s’attardant sur les zones qui la faisait frissonner. Nue alors qu’eux deux étaient toujours habillés, Stella semblait décidée à réparer cette injustice : elle se dégagea de leur étreinte et les laissa face à face en indiquant, d’un mouvement de menton, leurs vêtements.

Damien jaugea Ivan du regard et ôta son t-shirt, aussitôt imité par son ami. Se rapprochant de lui, Stella déboutonna son jean et il sentit soudain Ivan dans son dos, ses doigts le frôlant pour aider la patineuse à le délester de son pantalon. Le contact, pourtant léger, provoqua en lui une sensation inédite, mais il ne tenait pas à l’analyser dans l’immédiat. Afin d’éviter une réaction inappropriée, il s’écarta et se chargea lui-même de son boxer, tentant d’ignorer Ivan qui se mettait à nu près de lui. Ce n’était pas la première fois qu’ils se voyaient ainsi puisque les douches communes étaient un bon remède contre la pudeur entre sportifs, mais les circonstances étaient différentes et la gêne revenait, teintée d’une culpabilité dont il pensait s’être défait avec la fin de son adolescence.

Toutefois, le malaise passa rapidement puisque Stella l’entraîna vers le lit et s’allongea sur le dos. Battu par Ivan pour goûter les seins menus de la jeune femme, il s’agenouilla entre les pieds de celle-ci. En accord avec ses intentions, elle écarta les cuisses et il commença par l’embrasser au-dessus des genoux. D’une oreille distraite, il perçut le craquement d’une pochette de préservatif puis, alors qu’il arrivait au niveau de l’aine de Stella, Ivan lâcha un gémissement plus rauque. Le bruit de succion qui suivit ne demandait pas beaucoup d’imagination et Damien préféra éviter de relever la tête : la vue du fessier de son ami accroupi au-dessus de la poitrine de leur partenaire n’était pas celle qu’il désirait avoir pour l’instant. Son imagination lui en fournissait déjà une suffisamment détaillée.

D’un coup de langue assuré, il chercha à déconcentrer Stella. Lécher autour de son clitoris ne la fit pas réagir, mais quand il aspira les grandes lèvres l’une après l’autre, il dut maintenir les cuisses de la jeune femme pour qu’elle ne puisse pas les refermer. Alors, elle abandonna le sexe d’Ivan pour parler à ce dernier. Sans réussir à s’intéresser à leur conversation puisqu’elle avait lieu en italien, il resta concentré sur le plaisir qu’il voulait donner à Stella, sur celui qu’il ressentait entre les jambes d’une femme. Cependant, Stella lui échappait, se redressant dans le lit. Quand il leva la tête, Ivan lui tendit un préservatif et une petite bouteille de lubrifiant. Le tout assorti d’un clin d’œil complice :

« Allez, mets-toi sur le dos, enfile ça, sois généreux sur le lubrifiant, écarte un peu les jambes et laisse la demoiselle descendre à son rythme. »

Damien avait l’impression de ne pas pouvoir obéir assez vite : sa dernière copine avait mis des mois avant d’accepter de tester la sodomie et l’expérience avait été unique, aussi ne s’attendait-il pas à cette agréable surprise. Stella ne perdit pas de temps non plus et s’installa dos à lui, les pieds de part et d’autre de ses cuisses. Avec une main pour soutenir la hanche de Stella et l’autre pour garder son sexe en place, il la guida en douceur. Toutefois, Stella le prit de court en s’abaissant soudain, son gland capturé par le muscle anal.

« Oh, putain ! s’exclama-t-il.

– Ouais, elle m’a dit qu’il lui arrivait de garder un plug toute la journée, renchérit Ivan, la voix rêveuse.

– La ferme ! » le rabroua-t-il.

Son ami était à leurs pieds, son sexe en main, se masturbant avec lenteur. Stella ignora leurs enfantillages et continua, sans s’interrompre, à prendre sa verge en elle. La pénétration était constante et la pression délicieuse. Malgré son instinct qui le réclamait, Damien retint ses coups de reins. Quand les fesses de Stella rencontrèrent enfin son bassin, il s’autorisa de légers mouvements et apprécia la facilité avec laquelle le corps de la patineuse s’adaptait à l’intrusion. Le buste de Stella fut toutefois vite repoussé vers lui, jusqu’à ce que son dos repose sur le torse de Damien. Et Ivan s’empressa de s’agenouiller entre leurs cuisses.

D’abord de deux doigts, il pénétra dans le vagin de Stella. Damien s’étonna du contact : serré dans l’anus, il ne s’attendait pas à ressentir autant sa présence La fine paroi entre les deux orifices ne servirait pas vraiment de barrière entre eux et si Ivan n’avait pas eu les doigts recourbés à la recherche du fameux point G, il aurait pu croire que les caresses lui étaient destinées. Il se mordit la langue pour forcer son esprit à quitter cette voie glissante et ne pas se perdre dans le fantasme. Un murmure appréciatif de Stella l’y aida, puis elle débita une phrase en italien à destination d’Ivan. Des encouragements, que son ami s’empressa de suivre, puisqu’il ôta ses doigts ; Damien sentit le matelas s’affaisser et les genoux de son ami cogner l’intérieur de ses cuisses, autant de sensations électrifiant le moindre point de contact. Puis le sexe d’Ivan glissa en Stella, coulissant contre le sien. Il s’inquiéta un instant pour la jeune femme entre eux : la pression seule menaçait de le faire basculer vers la jouissance sans même avoir eu à se mouvoir, il se demandait donc comment elle faisait pour supporter leur intrusion à tous deux. Un soupir de plaisir le rassura.

Puis les déhanchements familiers débutèrent. Plus libre de ses mouvements, Ivan donnait d’amples coups de reins quand Damien se contentait d’un court va-et-vient et leurs corps s’accordèrent vite sur le rythme à tenir. Stella s’abandonnait entre leurs bras et reposa bientôt la tête sur son épaule. Le cou de la jeune femme dégagé, il en profita pour mordiller la peau sensible de cet endroit tandis qu’Ivan reprenait ses assauts sur les mamelons à présent durcis. Les cheveux de son ami lui chatouillaient parfois le nez. Damien choisit de concentrer son attention sur ce détail agaçant plutôt que sur la pression des genoux d’Ivan à l’arrière de ses cuisses. Puis il ferma les yeux et s’oublia dans son propre plaisir.

Sa poigne se raffermit à la taille de Stella alors qu’il sentait l’orgasme se rapprocher. Il se fichait bien de finir le premier et ne chercha pas à retarder le moment. Une contraction du muscle anal autour de son sexe et le frottement de l’autre verge l’achevèrent et son sperme gicla dans la protection. Stella se cambra dans sa jouissance et lança un nouvel ordre en italien. Damien crut comprendre qu’elle réclamait un baiser, aussi s’écarta-t-il du cou de la jeune femme pour lui permettre d’embrasser Ivan. Toutefois, une main sur sa nuque lui fit ouvrir les yeux pour rencontrer le regard contrit d’Ivan. Puis, tout en continuant à chercher sa propre délivrance, ce dernier se pencha sur lui et s’empara de ses lèvres. Le contact humide fut bref, mais il le surprit et intensifia le plaisir de Stella dont le corps sembla soudain convulser pour une seconde ou deux sous celui d’Ivan. Jusqu’à ce que ce dernier se recule, visiblement satisfait à son tour.

Les peaux moites se rafraichissaient et Damien n’avait plus la moindre envie de bouger, parce qu’il lui faudrait réfléchir à ces derniers instants dès qu’il quitterait le lit. Stella fut la première à briser l’accalmie pour se lever et enfiler sa tenue. S’il avait été dans sa chambre, il lui aurait proposé au moins une douche, mais la jeune femme semblait déterminée à démontrer quelque chose à son partenaire olympique. Et rentrer encore suintante de l’odeur du sexe faisait apparemment partie de son programme. Stella se pencha pour déposer un baiser sur sa joue, puis Damien tira le drap sur lui dans un sursaut de pudeur. Le lit grinça et Ivan se leva pour raccompagner Stella. Bercé par le son de leurs voix, Damien cessa de lutter pour maintenir ses yeux ouverts et laissa la torpeur engourdir son esprit.

La porte claqua et, un instant plus tard, le matelas s’affaissa à ses côtés. Ivan prit appui contre lui et Damien sentit les doigts de son ami frôler ses côtes au rythme de ses inspirations. Une fois de plus, il tenta d’ignorer l’effet que ce genre de contact provoquait en lui. Cette excitation nerveuse qu’il pensait oubliée depuis longtemps revenait se venger avec force. Si la refouler davantage était impossible, il aurait préféré qu’elle choisisse une autre cible pour se manifester, quelqu’un qu’il n’aurait pas regretté de perdre quand la situation lui échapperait. Malgré son envie d’ignorer la réalité, une tape amicale sur ses pectoraux le força à ouvrir les yeux. Ivan, assis à quelques centimètres de lui, toujours aussi nu, le fixait avec un sourire en coin et un air indéchiffrable.

« On partage la douche ? » lui proposa Ivan.

Damien se mit à rire et ses propres oreilles reconnurent une note d’hystérie dans son hilarité. S’attarder dans cette chambre ne servirait qu’à inciter sa confusion. Pourtant, lui et Ivan restaient coéquipiers et partageraient à nouveau des vestiaires dans quelques semaines. Le groupe l’aiderait à garder ses distances, mais il ne voulait pas créer de malaise avec son ami. Il décida donc de briser toute tension par l’humour :

« Ça va aller, merci, je verrai ça dans ma chambre. Tu pourrais finir par me violer.

– T’exagères », ronchonna Ivan en s’éloignant pour entrer dans la salle de bains, tout comme Damien l’avait espéré.

Cependant, son ami fit volte-face et prit appui sur le chambranle.

« C’est elle qui m’a demandé qu’on s’embrasse et j’ai voulu lui faire plaisir, mais je n’aurais peut-être pas dû. Pas si ça rend les choses bizarres entre nous.

– C’était juste un baiser », le rassura-t-il tout en essayant de se convaincre de l’innocence du geste. « Elle aurait pu demander des choses bien pires.

– Avec toi ? le taquina Ivan de son air charmeur. Tout ce qu’elle voulait. »

La porte de la salle de bains se referma sans lui laisser la possibilité de répondre et il lui fallut quelques secondes pour assimiler ce que venait de dire Ivan. Son corps semblait partagé entre l’espoir de voir ses désirs assouvis et la terreur d’y céder pour être déçu. Face à ces émotions contradictoires, il se redressa trop vite sur le bord du lit et la nausée le prit. La tête penchée entre les genoux, il tenta de retrouver son calme. Plusieurs minutes s’écoulèrent durant lesquelles il se força à ignorer le bruit de la douche pour s’empêcher d’imaginer le corps que l’eau caressait. Puis le silence résonna à ses oreilles et il se fit violence pour se mettre en mouvement. Il enfila ses vêtements en toute hâte et s’échappa de la chambre.

La femme de l’ombre

Autrice : Magena Suret.

Genres : Masturbation féminine, femme seule, soft.

Résumé : « Ce n’est pourtant pas la première fois que leurs projets sont contrariés. Elle est habituée à être la femme de l’ombre, à ne pas avoir la priorité. »

La femme de l'ombre

Alors que la porte se referme dans son dos, elle lâche sa valise au sol. Elle l’abandonne au milieu du passage, n’ayant aucune envie de la vider, puis l’enjambe pour aller découvrir sa chambre. Du regard, elle fait le tour de la pièce. C’est un lieu impersonnel, typique des hôtels. Il y a un bureau et une chaise pliante sous la fenêtre ; au mur est fixée une télévision. Et les lits jumeaux sont identiques, bordés de manière presque militaire. Dormir seule dans un grand lit lui paraissait insupportable quelques minutes auparavant quand elle avait demandé ce changement à la réception, toutefois elle doit réviser son jugement. L’impression d’être dans un dortoir est encore pire. Sa présence ici est censée lui faire oublier son quotidien, pas renforcer sa solitude.

Elle se retourne et s’agenouille pour ouvrir sa valise. Elle laisse ses doigts courir un instant sur ses tenues, effleurant les différentes étoffes. D’une poignée nerveuse, elle écarte le satin et la dentelle de sa lingerie puis attrape sa trousse de toilette. Dans la salle de bains, elle ôte ses vêtements, les laisse choir au sol. Un coup d’œil dans le miroir lui confirme ce qu’elle pressentait. Le regard fuyant des employés avait été une bonne indication sur sa mine défaite.

Malgré sa tentative de démaquillage dans les toilettes de l’aéroport, il lui reste des traces de mascara. Ses yeux sont bouffis des larmes qu’elle a versées en silence durant le vol. Ce n’est pourtant pas la première fois que leurs projets sont contrariés. Elle est habituée à être la femme de l’ombre, à ne pas avoir la priorité. Mais la raison de l’annulation de dernière minute la rend malade. Elle se souvient de leur conversation téléphonique, du moment de l’annonce, de la joie dans sa voix plus forte que le remords de la laisser partir seule. Un bébé. Elle ne peut pas lutter contre cette grossesse, le bonheur d’un couple.

Elle nettoie rageusement le contour de ses yeux, le faisant rougir pour effacer le noir, puis s’asperge le visage d’eau. Maintenant qu’elle est nue, elle n’a plus le courage de prendre sa douche. Elle est juste épuisée de son voyage et de sa déception. Elle dénoue ses cheveux, laissant ses boucles brunes retomber sur ses épaules et retourne dans la chambre. Elle a un regard désolé pour sa lingerie éparpillée au sol. Même s’il fait frais dans la pièce, elle préfère ne rien enfiler. Elle n’a pas envie d’être séduisante, elle n’a personne à charmer. Elle n’a pas plus envie de se glisser entre ces draps et s’allonge simplement sur le dessus de lit aux losanges horripilants. Les paupières à présent closes, elle ne peut s’empêcher de penser à ce qu’il se passerait si elle était accompagnée, des images s’incrustant dans son esprit.

Un corps assis près du sien, une main dans ses cheveux, une bouche dans son cou, des rires coquins et des mots d’amour susurrés. Elle sent sa gorge se serrer, l’idée la fait souffrir autant qu’elle échauffe ses sens. Elle tourne la tête vers la fenêtre, vers l’autre lit où l’absence devient cuisante. D’un doigt, elle descend de sa clavicule à la naissance de son décolleté, du côté de son cœur. Elle sent ses mamelons pointer ; la peau autour, tendue par la faible température de la pièce, la tiraille légèrement et lui donne l’impression qu’elle va se craqueler. Elle s’efforce d’oublier qu’elle s’inflige elle-même cet effleurement, imagine que c’est une autre main que la sienne qui prend son sein en coupe. Elle le masse doucement, égarant son pouce sur le sommet sensible. Elle se mord la lèvre, retenant un soupir. C’est peut-être le soleil qui tape contre la vitre ou son fantasme, toujours est-il que la tiédeur l’envahit.

Elle ne veut pas perdre cette sensation de tranquillité et repousse de toute sa volonté les doutes, se concentre sur l’étincelle que le désir éveille en elle. Sa main poursuit sa route, la faisant frissonner quand elle chatouille délicatement son flanc. Elle arrive à sa hanche, dessine la ligne au bas de son ventre, comme si elle se glissait sous l’élastique d’une culotte. Son sexe commence à s’humidifier, lui réclame une jouissance apaisante. Elle replie son genou gauche, espérant rencontrer un obstacle de chair sur le lit voisin. Elle refuse d’ouvrir les yeux quand elle ne fait que fendre l’air, elle n’a pas besoin de rompre sa digression en visualisant la réalité. Pour elle, il y a une autre personne qui n’attend que le bon moment pour venir écraser son corps de son poids. La jambe écartée, elle dirige ses doigts vers son intimité, recueille quelques gouttes de son excitation et s’amuse à taquiner ses lèvres gonflées par l’attente.

Son souffle se fait plus court, chargé d’élans de contentement et d’angoisse. Elle a envie de resserrer ses cuisses, d’interdire l’accès à ses doigts. Son esprit commence à se rebeller ; elle ne veut pas de ce bien-être solitaire et amer dont son corps se languit. Affirmant sa contradiction, elle place sa main droite sur son aine, fait pression pour rester ouverte. Tout comme on la forcerait à augmenter la puissance de sa satisfaction plutôt que de la brimer. Elle se résigne, accepte de soulager, ne serait-ce que physiquement, sa peine. Son index droit rejoint son clitoris déjà érigé ; elle reçoit une décharge de plaisir au premier cercle qu’elle dessine au-dessus. De son autre main, elle taquine son entrée humide, plonge doucement ses appendices pour caresser sa paroi intérieure.

L’agréable enivrement efface finalement la froide réalité. Dans son imaginaire, ce n’est plus elle qui se masturbe. Ce sont d’autres membres qui la pénètrent, une langue gourmande qui la déguste et lui fait tourner la tête. Elle, si réticente au départ, n’aspire plus qu’à se libérer rapidement. Ses mouvements se font plus rapides et imprécis à mesure que ses hanches se soulèvent et s’écrasent contre le matelas sous elle. Elle sent cet embrasement dans ses entrailles, recherche l’instant du ravissement. Soudain, elle se cambre légèrement, suspend tous ses gestes. Elle retient un gémissement entre ses dents et se régale de cette délicieuse brûlure qui semble se répandre à travers son corps. Elle accueille l’orgasme et la torpeur qu’il entraîne avec bienveillance. Elle sait que cela ne durera pas. Cette sensation est toujours trop brève, pourtant elle veut la mettre à profit pour céder à la somnolence.

Comme elle s’en doutait, le flottement est vite interrompu. D’abord par la chair de poule qui recouvre sa peau déjà refroidie, puis par la mélodie de son téléphone. Elle se lève à regret et fouille dans son sac pour répondre.

« Marie ? »

Le ton est tendre. Elle sent ses larmes se former. Simplement l’entendre prononcer son prénom lui provoque un bouleversement. C’est doux et violent à la fois.

« Tu es fâchée ?

— Non, assure-t-elle, bien sûr que non.

— Tu sais que ça ne changera rien entre nous. »

Elle a un rire déçu. Évidemment que tout va changer. Cela leur était déjà difficile de se voir ailleurs que sur leur lieu de travail, un bébé à naître ne fera que compliquer leur situation. L’enfant aura la priorité. Sur son couple et sur elle. Elle ne peut pourtant pas lui reprocher de préférer cette vie, de privilégier sa famille. En revanche, elle lui en veut de la bercer d’illusions. Leur histoire n’a pas d’avenir. Elle n’en a jamais eu et n’en aura jamais.

« Je crois, commence-t-elle, qu’être ta maîtresse ne me suffit plus.

— Marie, on en a déjà parlé. Tu ne peux pas me demander de choisir.

— C’est ma décision. Même si ça me déchire le cœur, c’est mieux pour nous deux.

— Non, c’est juste un contretemps. À ton retour, on…

— Félicitations pour ton bébé, Audrey. »

Elle raccroche tant qu’elle a encore de la volonté. Il vaut vraiment mieux qu’elles cessent dès maintenant. Elle ne supportera pas de voir ce ventre s’arrondir de jour en jour, de savoir qu’elle a été incapable de combler chaque désir de la femme qu’elle aime. La distance est la meilleure solution, elle peut se faire muter dans un autre établissement pour la rentrée. Audrey aura sa famille pour se consoler. Dans quelques années, elle ne songera à elle que comme une parenthèse dans vie. Quant à elle, elle espère avoir tiré les leçons de sa tristesse. La prochaine fois qu’elle aimera, ce sera à la lumière du jour.

Ulcère et belles dentelles

Autrice : Magena Suret.

Genres : Duo M/M, tranche de vie, soft.

Résumé : La première fois qu’il avait envisagé qu’Alex ait un intérêt autre que professionnel concernant la lingerie féminine, Lionel avait balayé l’idée d’un sourire amusé.

Ulcère et belles dentelles

La première fois qu’il avait envisagé qu’Alex ait un intérêt autre que professionnel concernant la lingerie féminine, Lionel avait balayé l’idée d’un sourire amusé. Certes son conjoint passait davantage de temps sur les compositions de ces pages de catalogues que sur d’autres, mais peut-être était-ce que le sujet l’inspirait moins. En tant qu’infographiste indépendant, Alex était contacté pour différents travaux, de la création d’un site intranet à la conception de catalogues, et il disait souvent que le plus compliqué était de respecter le cahier des charges tout en obtenant un résultat alléchant pour le consommateur. Lionel en avait donc conclu qu’en homme gay, Alex prêtait deux fois plus d’attention à ce genre de réalisation parce qu’il était bien plus en proie au doute sur un domaine qu’il ne connaissait qu’en théorie.

La seconde fois que Lionel avait eu un doute, ils regardaient une émission de reportages au thème évocateur, les dessous de la mode. Son concubin avait été agité durant un passage sur un défilé de lingerie ; Lionel avait cru à une simple impatience avant de le voir se lever brusquement puis annoncer qu’il allait se coucher. Encore aujourd’hui, il ne pourrait pas en jurer, mais il était convaincu d’avoir deviné une érection sous son pyjama. Dix ans plus tôt, il aurait sûrement poursuivi Alex jusque dans la chambre pour en avoir le cœur net et en profiter, mais l’expérience lui avait appris la réserve et il n’était pas certain de vouloir une réponse à ses questions. Aussi était-il resté sur leur canapé à tenter de trouver une explication logique à cette réaction.

La troisième fois n’avait plus laissé la place aux peut-être, mais plutôt à savoir qui était concerné par ce fantasme. Était-ce Alex qui souhaitait se travestir ou voulait-il voir Lionel dans ces tenues ? Ce dernier procédait au classement annuel de leurs photos sur un disque dur quand il avait ouvert un fichier nommé « Divers Alex », sans se douter qu’il tomberait sur une série de clichés d’hommes en lingerie féminine. Inquiet de la réaction d’Alex – et s’il pensait que l’incident était volontaire ? –, Lionel n’avait pas osé aborder le sujet.

Alors, il avait entrepris de réaliser ce fantasme. Lionel n’avait pas pu avoir de lingerie adaptée aux hommes : leur ville n’avait pas de boutique proposant ce genre d’articles et les commander en ligne était hors de question. Puisque Alex travaillait de la maison, il aurait sans doute été celui qui réceptionnerait le colis ; et si Lionel savait que son compagnon n’aurait jamais ouvert le paquet, il n’était pas sûr, quant à lui, d’avoir pu garder le secret. Il avait donc mis au placard ses hésitations pour trouver son bonheur dans un magasin de prêt-à-porter.

D’abord, il avait pris soin de s’y rendre pendant sa pause-déjeuner en sachant que le personnel était moins nombreux à ce moment-là, afin d’éviter de devoir présenter ses articles à une vendeuse à l’entrée des cabines d’essayage. Trouver quelque chose de sexy qui lui allait avait été le véritable défi. A trente-huit ans, il se trouvait encore en forme – si l’on exceptait les petites poignées d’amour qui empâtait sa taille depuis deux années et dont il ne parvenait pas à se délester. Pourtant Lionel avait dû se résoudre à faire sa sélection parmi les plus grandes tailles. Après un premier essayage, il avait d’emblée éliminé les guêpières : même si c’était un élément récurrent sur les photos qu’il avait fait défiler, elles n’étaient vraiment pas adaptées aux hommes et à leur absence de poitrine.

Lionel avait fini par se décider pour un ensemble de nuit en satin, composé d’un caraco et d’une simple culotte qu’il avait pris une taille au-dessus, en espérant être assez à l’aise. Dans un premier temps, il avait opté pour une tenue blanche, mais en avait finalement acheté une rose. Quitte à le faire, il voulait être le plus affriolant possible et, les pommettes en feu, il avait complété le tout d’un porte-jarretelles en dentelle rouge et de bas noirs. L’ensemble rose lui paraissait donc plus approprié – s’il osait mettre un jour son plan en action.

Un mois plus tard, Lionel s’était lancé.

Et voilà comment il en était arrivé là. Planqué dans les toilettes d’un restaurant à tenter de retrouver un peu de contenance, hésitant à ôter ces sous-vêtements et à les abandonner ici-même. L’estomac noué par la nervosité depuis le début du repas, il n’avait pas eu à forcer le trait pour s’excuser quelques minutes parce qu’il ne se sentait pas bien. Si le stress au travail ne lui déclenchait pas l’ulcère promis par son médecin, cette soirée pourrait y remédier. De plus, le serveur n’allait plus tarder à amener leurs desserts et, si Alex n’avait pas encore perçu son attitude étrange, Lionel serait démasqué car il serait incapable d’avaler une bouchée de la forêt noire qu’il aimait tant. Il avait été stupide de penser pouvoir passer une soirée à l’extérieur ainsi sans en être embarrassé. Tout le chemin, tandis qu’Alex conduisait, il avait serré les dents, priant pour qu’ils n’aient pas d’accident ; il n’aurait certainement pas survécu à l’humiliation si les secours avaient découvert ce qu’il portait sous son jean et sa chemise.

Une fois de plus, Lionel se fustigea d’avoir agi sur une impulsion. En sortant de la douche pour se préparer, il avait juste repensé au paquet soigneusement caché dans son armoire, derrière un tas de linge qu’ils n’utilisaient plus que pour de rares occasions. Dans son élan, il avait abandonné son boxer et ses chaussettes pour enfiler ces sous-vêtements plus sexy. Ensuite, il avait passé un long moment devant le miroir, à apprécier la différence de texture sous son jean, le frottement moins rugueux contre ses cuisses, l’élastique de la culotte qui mordait ses aines – il était moins à l’aise qu’il ne l’avait espéré. En s’observant une fois habillé, Lionel s’était demandé si quelqu’un pourrait deviner ce que camouflaient ses vêtements. La pensée avait failli le pousser à remiser la lingerie dans sa cachette, mais Alex l’avait appelé d’un ton pressant : ils allaient perdre leur réservation au restaurant s’ils ne partaient pas dans l’instant.

La porte des sanitaires grinça et un « Lionel ? » inquiet résonna. Il se tassa dans la cabine individuelle, tentant de rassembler son courage pour affronter Alex. Lionel regrettait plus que jamais de ne pas avoir gardé cette expérience pour chez eux, à l’abri dans leur intimité. Au moins, si son compagnon devait être furieux que Lionel ait fouiné dans ses affaires, il aurait pu le laisser claquer la porte et aller bouder. En tout cas, il n’aurait pas été mortifié à l’idée de devoir se justifier en public. Et, dans l’éventualité où Alex le trouverait ridicule, Lionel aurait pu ravaler sa fierté pour le laisser rire, quitte à ce que cela devienne un sujet de taquinerie quand il serait moins sensible. Mais non, il avait fallu que Lionel choisisse de se travestir ce soir. Quand il posa la main sur le verrou pour quitter son refuge et rassurer son conjoint, il savait qu’il allait tout lui avouer.

Lorsqu’il ouvrit la porte, Lionel se retrouva nez-à-nez avec son compagnon et, avant même de le laisser lui poser la moindre question, il souleva sa chemise et entrouvrit son jean, faisant apparaître un aperçu de satin rose et de dentelle rouge. Sous les yeux stupéfaits d’Alex, il se rhabilla en hâte et profita de son choc ébahi pour justifier son comportement. Son discours sortit sans vraiment avoir de sens. Lionel parla des photos, expliqua qu’il n’avait pas cherché à être indiscret, qu’ils pouvaient se parler de tout, qu’il ne jugerait pas les fantasmes d’Alex, quand bien même il ne pourrait pas l’aider à tous les assouvir, qu’il avait pensé lui faire plaisir, mais qu’il était effrayé de sa réaction… Il aurait pu poursuivre encore longtemps s’il n’avait pas relevé la tête et découvert le regard dur d’Alex. Soudain, le silence était préférable, aucun argument ne semblait plus pouvoir faire le poids ; le visage fermé, Alex avait l’air furieux. Seulement Lionel ignorait où résidait le problème et comment désamorcer la situation. Si au moins, il avait réussi à rester calme et exposer les faits un par un, il aurait su à quel moment son compagnon avait craqué.

Alex dut le prendre en pitié puisqu’il ferma les yeux et soupira avant de lui demander de revenir à table ; ils régleraient ça de retour chez eux. Le silence sur la fin du repas fut pesant et, même si Lionel gardait la tête baissée honteusement, il sentait sur lui le regard perçant de son conjoint. Quand ce dernier régla l’addition, l’attente parut interminable. Et lorsque Lionel prit son courage à deux mains et tenta d’en glisser une dans celle d’Alex, celui-ci s’écarta brusquement, comme brûlé par le contact. Penaud, Lionel essaya de se remémorer une fois où il avait vexé à ce point Alex – en quinze ans, il avait bien eu le temps de faire pire –, mais n’en trouva pas. Par conséquent, il n’avait pas la moindre idée par où commencer pour se faire pardonner. Ne rien dire et attendre la suite lui semblait une bonne défense dans l’immédiat.

Arrivés chez eux, Lionel attendit que la porte soit verrouillée, se préparant à la dispute monumentale à venir. Cependant, Alex resta face à la porte, comme s’il refusait même sa présence. Face à ce mur, Lionel s’avoua vaincu ; leur conversation était remise à plus tard. Un peu lâchement, et même si cela signifiait une mauvaise nuit à passer, il devait reconnaître qu’il était soulagé. Peut-être que demain matin, ils pourraient en rire. Alors qu’il se tournait pour monter les escaliers, Alex lui attrapa le poignet et, ignorant ses protestations, fit sauter les boutons de sa chemise pour en écarter les pans. Ses joues s’enflammèrent quand le regard de son compagnon se posa sur le tissu du caraco tendu sur ses pectoraux et la dentelle du porte-jarretelles – qu’il avait placé un peu haut sur sa taille pour camoufler ses poignées d’amour. Puis il sentit des mains tremblantes tracer le contour du décolleté puis des bretelles et ce ne fut plus la gêne qui lui donna chaud.

Soudain, Lionel réalisa que la froideur d’Alex n’était pas de la colère mais de la retenue. Qu’ils n’arriveraient pas au lit et que sa lingerie si péniblement acquise avait peu de chances de survivre à la soirée. Tout cela lui était égal. Il se sentait bien plus léger et plutôt fier de pouvoir encore obtenir une telle réaction. Alex entreprit de lui ôter son jean, tout en bredouillant comme lui un peu plus tôt au restaurant. Des propos sur une surprise agréable, qu’il n’en avait pas cru ses yeux, que Lionel l’avait échappé belle dans les toilettes, qu’il était magnifique en rose… Lionel savait qu’il regretterait de ne pas s’en souvenir, mais il ne parvenait pas à prêter attention aux mots : il pouvait lire le désir dans les yeux de son compagnon et cela suffisait à nourrir sa propre excitation. Il se pencha sur l’homme à genoux devant lui et l’embrassa sans retenue. Alex remonta les mains le long de ses bas, provoquant des sensations nouvelles, puis l’attira au sol avec lui, lui répétant combien il était désolé mais qu’il allait certainement déchirer cette culotte en la lui arrachant. Lionel répondit dans un sourire de ne pas s’en faire, qu’ils rachèteraient de la lingerie ensemble.

Pour la prochaine fois.

Un fiancé presque parfait

Autrice : Magena Suret.

Genres : Érotique, M/F, hot.

Résumé : « Tu m’évites. »
[…]
« Oui, admet-il. Constant t’a demandé en mariage et tu as accepté.
— Et alors ?
— Et alors, je me suis dit que tu avais peut-être besoin d’entraînement avant de lui jurer fidélité. »

Un fiancé presque parfait

Comme chaque matin, devant le miroir de la salle de bains, il apporte la touche finale à sa tenue. Il enroule la cravate autour de son cou et sa respiration se fait tout de suite plus rapide. Les extrémités satinées sont nouées de ses mains légèrement tremblantes. Le nœud glisse vers sa gorge et sa bouche s’assèche. La cravate serrée et ajustée, il la lisse de sa paume et se fait violence pour arrêter son geste à l’endroit où attacher la pince. Il a envie de poursuivre plus bas, comme à son habitude, et de s’occuper de son érection.

Les bruits d’agitation qui proviennent du salon l’en dissuadent. Il a un peu trop traîné au lit et s’est fait griller la priorité dans la salle de bains par ses colocs. Bientôt Constant quittera l’appartement pour aller travailler et laissera Fred seul avec Nadia alors qu’il a réussi à éviter le face-à-face depuis près de trois semaines. Le fil de ses pensées le fait sourire : jusqu’au mois dernier, il aurait pris son temps en espérant qu’elle le rejoigne et le trouve ainsi, la main rapide sur sa queue, essoufflé, déjà rouge d’avoir une cravate trop serrée à son cou. Nadia l’a initié à l’asphyxie érotique, et l’a rendu accro. Pourtant, il ne devrait plus y jouer avec elle, même si l’acte est moins savoureux en solitaire.

La porte d’entrée claque. Fred sait qu’il devrait quitter la pièce, simuler qu’il est en retard, se dépêcher de ramasser ses affaires pour quitter l’appartement. Néanmoins, il préfèrerait éviter de parader au milieu de leur salon avec la bosse évidente qui déforme son pantalon. Il se presse un peu plus contre le rebord du lavabo dans l’espoir de calmer son excitation. Ces quelques instants d’hésitation sont suffisants pour ruiner ses résolutions. La porte de la salle de bains coulisse dans son dos et, dans le miroir, Fred voit Nadia s’appuyer contre le chambranle et le détailler de la tête au pied. Il ne se prive pas d’en faire autant – prend note de sa nuisette qui joue sur la transparence, si courte qu’il devine la naissance de son sexe et l’absence même d’une culotte.

Il mentirait s’il prétendait que la situation ne le fait pas frissonner de désir.

« Tu m’évites. »

L’accusation met quelques secondes à prendre son sens tant Fred est perdu dans sa contemplation. Il se retourne pour lui faire face et prend appui sur le lavabo. La position rend son érection encore plus évidente et il s’amuse du bref moment où le regard de Nadia s’y égare. Elle frotte doucement ses cuisses l’une contre l’autre.

« Oui, admet-il. Constant t’a demandé en mariage et tu as accepté.

— Et alors ?

— Et alors, je me suis dit que tu avais peut-être besoin d’entraînement avant de lui jurer fidélité. »

Nadia a un rire léger, comme s’il venait de faire un lapsus à la fois adorable et embarrassant. Elle fait un pas en avant et refait coulisser le panneau pour les enfermer dans la pièce. Fred s’imagine qu’il devrait se sentir menacé, mais le regard gourmand qu’arbore Nadia éveille bien d’autres souvenirs et sensations en lui. Elle s’approche et Fred la laisse s’arrêter à un souffle de son visage. Il ne ressent pas la pression de son corps contre le sien, mais il ne s’en faut que d’un petit pas. Il est certain que le tissu de son pantalon frôle la peau de Nadia et qu’elle ne cherche qu’à tester sa détermination.

Du bout des doigts, elle joue avec sa cravate, la caressant doucement tout en remontant vers sa gorge. Fred déglutit de façon audible lorsqu’elle en ajuste le nœud, la resserrant encore un peu sous sa pomme d’Adam. La pression n’est pas désagréable – loin de là si l’on devait se fier à son érection – mais il ne peut plus l’ignorer.

« Tu as des problèmes avec ta conscience ? Parce que moi pas. Constant est sans aucun doute l’homme idéal pour me marier. Il est romantique, je suis folle amoureuse de lui et mes parents l’adorent.

— Tes parents m’adorent aussi.

— On pourrait presque croire que tu es jaloux », s’amuse Nadia.

Fred se contente d’un bref geste négatif de la tête. Nadia et lui sont amis depuis trop longtemps pour confondre leur alchimie sexuelle avec de l’amour. Et il pourrait renchérir sur la perfection de Constant. Il se redresse, achevant de coller son corps à celui de Nadia et passe un bras autour de sa taille. Alors qu’il fait glisser sa main sous ses fesses, elle se cambre pour lui faciliter l’accès. Du bout des doigts, il atteint son vagin et le caresse un court instant avant d’enfoncer les premières phalanges de son index et de son majeur. La position n’est certainement pas confortable pour Nadia, mais elle pousse un grognement satisfait.

« Tu es encore trempée, remarque Fred. Tu viens de t’envoyer en l’air avec lui, ça ne t’a pas suffi ? »

Alors qu’il cherche à repérer la serviette la plus proche pour s’essuyer la main, Nadia se dépêche de saisir son poignet pour l’en empêcher. Puis, en un geste agressif, elle porte ses doigts à la bouche et les suce brièvement.

« Il m’a fait l’amour, oui. Mais, même si j’apprécie son côté romantique, j’ai besoin de me faire baiser. »

Fred finit de se redresser et, de sa main libre, saisit Nadia à la taille avant de la faire pivoter pour inverser leurs positions. Il aperçoit une légère grimace de douleur sur son visage lorsqu’il la plaque contre le lavabo, mais elle se remet vite de sa surprise et passe la langue sur ses lèvres tout en poussant un soupir ravi.

« Tu pourrais simplement lui proposer. »

Malgré sa suggestion, il glisse déjà sa main droite entre les cuisses de Nadia jusqu’à son genou, puis la soulève pour l’asseoir sur le meuble. Il la sent se contracter à cause du froid de la surface contre sa peau brûlante ; elle se détend néanmoins rapidement, écartant les jambes pour permettre à Fred de se caler entre. Sans ménagement, il plonge trois doigts en elle et accompagne le va-et-vient sec de sa main de coups de rein prometteurs. Nadia lui caresse la nuque et Fred est certain que, si elle le pouvait, elle ronronnerait de contentement. Toutefois, elle n’est pas encore ivre de plaisir, pas encore réduite à de simples gémissements, et se décide à lui répondre :

« Parce qu’un mec adepte du missionnaire, qui trouve que notre vie sexuelle est pimentée quand je le suce deux fois la même semaine ou qui ne doit même pas savoir que l’anus est une zone érogène va très bien accepter mes requêtes ? »

Vexé qu’elle soit encore si loquace, Fred place sa main gauche au creux des reins de Nadia et l’attire vers lui. Elle se retrouve les fesses presque dans le vide et le dos courbé, avec sa tête appuyée contre le miroir. Il sort les doigts de son autre main de sa chatte et les fait glisser le long de son périnée. Il profite du liquide vaginal qui enduit ses phalanges pour forcer son majeur dans l’anus de Nadia. Dans le reflet du miroir, il voit ses orteils qui se contractent tandis qu’elle gémit de plaisir :

« Putain, ce que ça me manque…

— Dis-le-lui.

— Quoi donc ? Que je veux qu’il me force à me mettre à quatre pattes comme une chienne et qu’il m’encule, qu’il me traite de salope ? Ou que j’adorerais l’attacher et qu’il me laisse l’étrangler quand il jouit ? »

Fred acquiesce sans vraiment y réfléchir. Nadia lui a déjà dit tout ça, et bien plus. Ils ont déjà fait tout ça, et bien plus. Il sait de première main que Constant n’est pas si innocent qu’elle le croit et qu’il pourrait la combler s’ils osaient simplement se parler et tomber les masques. En attendant, il ne va pas se priver de cette opportunité.

« Tu gardes des préservatifs par ici ? »

Il a lâché Nadia pour tenter de déboutonner son pantalon, mais il n’est pas gaucher et il se sent maladroit. La pause un peu trop longue sans réponse lui fait relever les yeux vers Nadia qui le regarde d’un air surpris.

« Tu as couché avec quelqu’un depuis la dernière fois ?

— Un mec, avoue-t-il en s’efforçant de rester vague. On s’est protégés, mais toi et Constant… »

Il s’arrête, surpris à son tour, en réalisant que, malgré son inspection profonde, il n’a pas trouvé la moindre trace de sperme en Nadia.

« Ne me dis pas que vous attendez le mariage pour virer les capotes ? »

Nadia lève les yeux au ciel et le relance :

« Tu veux continuer à jouer les conseillers matrimoniaux ou tu comptes me baiser comme j’en ai envie ? »

Fred sait reconnaître un ton de défi et a bien l’intention de le relever. Il se contente d’ouvrir sa braguette, d’abaisser l’élastique de son boxer et de libérer son sexe. Il s’en saisit d’une main et marque une courte pause, le regard baissé entre leurs corps, alors que son gland repose à l’entrée du vagin de Nadia. Son côté sadique a envie de la torturer un peu, de glisser entre les lèvres, de chatouiller son clitoris et de la faire supplier. Mais il a déjà assez résisté et l’idée de la baiser sans plus tarder l’emporte. D’un mouvement de hanches, il s’enfonce en elle jusqu’à la garde et lui impose aussitôt un rythme rapide.

Pendant deux ou trois minutes, il n’entend que les claquements de leurs corps, les hoquets de plaisir de Nadia et le bruit d’un flacon qui roule au sol. Nadia a les yeux fermés, savourant chaque instant. Elle ressentira les effets de cette baise pendant plusieurs jours : sa tête cogne contre le miroir, le bas de son dos doit frotter le bord du lavabo à chaque mouvement et Fred sent les parois de sa chatte se détendre sous la violence de ses coups de reins.

Alors qu’il va bientôt jouir, ses fesses se contractent et il perd peu à peu le rythme qu’il imposait. Il voit Nadia ouvrir les yeux et le jauger. Elle soulève le haut de son corps et accroche d’une main l’épaule de Fred. Il est obligé d’ajuster leur position, pliant les genoux pour permettre à Nadia de s’asseoir davantage.

Dès qu’il la sent prête, il reprend ses va-et-vient, le besoin de jouir devenant pressant. À peine quelques secondes plus tard, il sent les mains de Nadia caresser sa cravate. Elle s’arrête au niveau de la pince. Fred baisse la tête juste à temps pour la voir la détacher et la jeter au sol. Il s’était habitué à la pression contre sa gorge et se crispe lorsqu’elle se fait plus forte. Nadia fait tourner la cravate pour qu’elle pende dans son dos, entre ses omoplates. Le frottement lui laisse l’impression qu’on lui brûle le cou. Le coude de Nadia se soulève à trois reprises et le tissu comprime de plus en plus sa trachée. Pour l’avoir vu faire de nombreuses fois, Fred sait que Nadia vient d’enrouler la cravate autour de son poing et qu’elle va s’en servir pour l’étrangler. Il espère que Nadia est assez baisée à son goût parce que son propre orgasme est imminent.

Le souffle de plus en plus court à chaque mouvement, Fred chasse son plaisir. Et Nadia est redevenue volubile :

« En fait, tu ne t’inquiètes pas pour mon couple, le nargue-t-elle. Tu aimes quand on s’envoie en l’air mais, si Constant était partant, je suis sûre que tu t’imagines bien entre nous deux. »

L’air se fait rare, précieux, et Fred sent ses jambes flageoler, ses yeux rouler sous ses paupières, mais a encore assez de présence d’esprit pour acquiescer. Constant lui a aussi fait ce genre de remarques et il visualise, en effet, parfaitement la scène : debout, comme à cet instant, avec Constant, les doigts enroulés autour de son cou, qui impose la cadence à laquelle Fred pourrait baiser Nadia. Ou attaché à leur lit avec Nadia et Constant se servant de sa bouche à tour de rôle…

Nadia relâche la tension de la cravate un bref instant, permettant à Fred d’avaler une goulée d’air. Il en profite pour augmenter la rapidité de ses allées et venues. Sous lui, Nadia se tend dans un long gémissement, enfin rassasiée par un orgasme. Le mouvement la fait s’agripper à la cravate et Fred halète sous l’intensité de la pression contre sa gorge. À son tour, il jouit, enfonçant les ongles dans la peau des fesses de Nadia, puis se laisse retomber contre elle.

Ils restent ainsi quelques instants, à reprendre leur souffle. Quand Fred relève la tête, il aperçoit son reflet dans le miroir, le visage rouge et les yeux brillants de larmes. Nadia détend ses doigts restés trop contractés sur la cravate, les serrant en poing avant de les desserrer à plusieurs reprises. Puis il se détache d’elle, lui permettant de descendre de son assise peu confortable.

Fred laisse son pantalon lui tomber sur les chevilles et s’en extirpe du mieux possible. Il se débarrasse de sa cravate et s’attaque alors à sa chemise tout en allant dans le salon pour trouver son téléphone. Tandis qu’il fait défiler ses contacts, Nadia le rejoint. Sa nuisette lui colle à la peau, elle a un sein qui s’en est échappé et il est presque certain que la trace humide qu’il devine sur le haut de sa cuisse est son sperme qui s’écoule déjà. Ou peut-être que Nadia a plongé ses doigts en elle avant de s’essuyer négligemment ici. Fred la renverserait bien sur le canapé pour plonger la tête entre ses cuisses et la nettoyer de sa langue. Mais la tonalité du téléphone l’aide à se concentrer sur ses priorités.

« Tu appelles qui ?

— Mon boulot. Pour prévenir que je ne viendrais pas aujourd’hui.

— On va baiser toute la journée ? »

Son ton émerveillé et ses yeux écarquillés le font sourire. Même si la perspective est tentante, il décide d’être plus raisonnable. Il passe son appel sans répondre à Nadia ou la quitter des yeux. Quand il en a terminé, il s’avance vers elle et la sent pratiquement vibrer d’excitation. Il lui tend son téléphone :

« Je vais prendre une douche. Profites-en pour appeler Constant. Dis-lui de rentrer après son cours et de ne pas déjeuner au lycée, les autres profs peuvent se passer de lui.

— Tu vas vraiment insister pour que je lui dise tout ? s’indigne Nadia. Très bien. Mais ce sera ta faute si ça brise mon couple. »

Fred lève les yeux au ciel, mais se retient de pointer en quoi elle serait aussi fautive. Ça n’en vaut pas la peine. Et si la conversation entre Nadia et Constant se déroule comme il l’imagine, ce ne sera qu’à son propre avantage. Ces deux-là se sont bien trouvés. Ils n’ont qu’à descendre l’autre de son piédestal… Fred s’arrête sur le pas de la salle de bains et se tourne pour faire face à Nadia, l’air satisfait par anticipation :

« Laisse-lui une chance puisque c’est le mec parfait, selon toi. Commence déjà par le sexe anal. La semaine dernière, en tout cas, ça n’avait pas l’air de le déranger de me bouffer le cul ou d’y plonger sa queue. »

Le Boudoir 4.0

Autrice : Magena Suret.

Genres : Érotique, M/M, SF, hot.

Résumé : Bien que réticent, Matthieu a cédé aux demandes de son amant. Puisque les mois de séparation leur pèsent, ils décident d’avoir recours aux services de la société « Le Boudoir 4.0 ».
Matthieu est donc sur le point de vivre sa première expérience sexuelle technologiquement assistée.

Le boudoir 2.0

Arrivé devant le bâtiment, Matthieu hésite à en franchir la porte. C’est ridicule puisqu’il sait qu’il ne fera pas demi-tour : son rendez-vous est payé d’avance et Nordine doit déjà l’attendre. Ça n’empêche pas que l’idée le rebute. Certes, les six mois sans voir son amant commencent à lui peser aussi, surtout en sachant qu’il ne rentrera pas chez eux avant dix autres longues semaines, mais de là à recourir aux services de cette société ? Il n’en est pas sûr.

Le Boudoir 4.0 est un exemple parfait d’entreprise qui a détourné une innovation technologique à but thérapeutique pour son profit – ou celui de ses actionnaires.  Alors qu’il s’était promis de ne jamais y recourir, même quand la perte de son pucelage tardait, Nordine a su le convaincre. Certains arguments sont plus objectifs que d’autres, comme le fait qu’ils ont épuisé leur crédit-carbone pour voyager ou que racheter des autorisations est beaucoup trop coûteux pour leur budget. Bien plus qu’une séance dans la Mecque du sexe virtuel. Matthieu est donc sur le point de vivre sa première expérience sexuelle technologiquement assistée. Il a envie de rire de sa nervosité, de la tourner en dérision pour dédramatiser, mais son appréhension est juste renforcée par les nombreux témoignages catastrophiques qu’il a lus durant la nuit sur les forums.

La crainte de faire attendre Nordine le pousse à avancer et les portes automatiques s’ouvrent devant lui. Le hall de l’entreprise est vaste, circulaire et dépourvu de toute décoration hormis les écrans dont sont ornés les murs et qui diffusent différentes publicités. Matthieu préfère de loin l’ambiance animée que permettent les bureaux, à l’abri du jugement des clients ; il sait que passer ses journées en solitaire serait un brin angoissant pour lui et il a une pensée compatissante pour la réceptionniste qui l’accueille avec le sourire :

« Bonjour, que puis-je pour vous ?

— J’ai un rendez-vous au nom de Bodet », explique-t-il d’une voix qu’il espère assurée.

La jeune femme fait glisser ses doigts sur l’écran devant elle et Matthieu l’observe avec l’espoir un peu idiot qu’elle ne trouve pas sa réservation. Cependant, elle accède à un nouveau fichier et elle lui pose quelques questions visiblement de routine. Matthieu y répond de façon distraite. La réceptionniste lui tend ensuite une carte magnétique dont il se saisit, puis elle lui désigne une porte sur sa gauche :

« Ma collègue vous attend de l’autre côté pour vous installer. Le badge vous servira à confirmer l’activation du programme. Je vous souhaite une agréable séance. »

Sentant le rouge lui monter aux joues face à l’insinuation, Matthieu la remercie et s’éclipse dans la direction indiquée. Encore une fois, la porte s’ouvre dès qu’il s’en approche et il traverse en quelques enjambées un étroit couloir. Au bout de celui-ci, il pénètre dans une pièce et découvre une femme, plus âgée que la réceptionniste, en pleine conversation avec Nordine. Elle s’interrompt dès qu’elle aperçoit Matthieu.

« Je vais vous faire patienter un instant, votre partenaire vient d’arriver. »

Matthieu entend le soupir de soulagement de son amant au travers des haut-parleurs. C’est certain qu’avec les trois mille kilomètres qui les séparent, Nordine n’avait pas de moyen infaillible pour le contraindre à venir, mais c’est un peu vexant de constater ce manque de confiance. La technicienne attire son attention en lui tendant la main :

« Monsieur Bodet, je suis Sarah, je vais vous installer pour la séance. L’humanoïde de votre compagnon est prêt, il ne reste plus qu’à vous connecter au vôtre. Je vais avoir besoin d’accéder à votre implant, vous pouvez vous asseoir par ici. »

Sarah lui désigne un siège et Matthieu s’empresse d’y aller, ne serait-ce que pour soulager ses jambes flageolantes. Il lui tourne le dos, incline la tête et dégage les cheveux de sa nuque pour qu’elle puisse scanner la puce sous-cutanée et s’y connecter. En quelques mouvements fluides, il voit la technicienne sélectionner les options.

La leçon que lui a donnée Nordine lui revient et lui occupe l’esprit quelques instants. Les choix sont variés, avec plusieurs combinaisons possibles, mais le Boudoir 4.0 propose trois principales offres : le tout virtuel, héritage des premières recherches médicales, qui plonge le client dans un état semi-hypnotique afin de créer les sensations uniquement par stimulation via l’implant cérébral. Ensuite est venue l’ère de la réalité augmentée, pour laquelle l’implant active toujours les zones de plaisir grâce aux impulsions envoyées au cerveau, mais l’environnement géré par ordinateur permet toutes les fantaisies – la plus populaire étant de s’offrir une partie de jambes en l’air avec sa célébrité favorite. Et, dernière innovation, les androïdes. Ceux-là ont évolué depuis leurs débuts, mais ils restent ceux qui proposent les séances les plus réalistes. Pas besoin de stimulation neurologique, l’androïde est connecté à l’implant de l’utilisateur et reproduit tous ses gestes. Les couples sont donc la principale cible de cette option, mais il arrive que le Boudoir 4.0 organise des soirées entre célibataires où des paires ou groupes sont formés. Des partouzes qui n’en ont juste pas le nom.

Sarah le tire de ses pensées en lui demandant de lever une main puis de taper du pied. Matthieu fait ce qui est requis, puis entend la confirmation que tout est en ordre. Il réalise alors que c’est la personne avec Nordine qui testait la connexion. Une fois satisfaite de ses réglages, Sarah se tourne vers lui :

« Comme il était spécifié dans la demande, vos êtres artificiels sont versatiles sur le plan sexuel. Cette pièce vous est réservée pour deux heures. Nous avons une salle de contrôle depuis laquelle nous supervisons les fonctions des humanoïdes, mais il n’y a aucune vidéosurveillance pour ne pas violer votre intimité. Si vous avez un souci quelconque ou quand vous aurez terminé, appuyez sur ce bouton d’appel et l’un des techniciens arrivera. Vous avez des questions ? »

La tirade récitée sans pause lui donne le tournis et, malgré la dizaine d’interrogations qui se pressent, Matthieu secoue négativement la tête. La jeune femme en profite pour s’éclipser sans un regard et il se retrouve seul face à un androïde.  Un androïde dont le visage est une représentation criante de vérité de celui de Nordine. Matthieu tend la main pour lui prendre la joue en coupe et est légèrement surpris que la peau artificielle soit tiède ; il avait imaginé une machine au métal froid mais, sous sa paume, il retrouve un toucher familier.  En fermant les yeux, songe-t-il, l’illusion serait parfaite.

« Tu m’as fait peur, lui reproche Nordine, sur un ton malicieux. J’ai bien cru devoir négocier avec Sarah pour qu’elle me trouve un autre partenaire.

— Tu m’aurais remplacé si facilement ?

— Vu la somme que j’ai déboursée, je comptais bien en avoir pour mon argent. Et si tu n’avais pas ramené ton cul réfractaire au progrès… »

Matthieu sourit de la menace latente. Il sait que son amant n’en pense pas un mot, mais qu’il aurait été déçu que Matthieu se défile. Peut-être que ce dernier aurait même eu droit à quelques semaines d’ignorance punitive à son retour.

« En parlant de réfractaire, Sarah m’a expliqué que les robots étaient versatiles, mais je n’ai pas vraiment envie d’avoir ce truc trop proche de mes bijoux de famille, sans parler de le laisser me prendre.

— Et tu pensais faire quoi, du coup ? s’agace Nordine. Jouer à la belote ? » Puis il poursuit sans lui donner l’opportunité de répondre : « Franchement, tu m’expliques en quoi c’est différent d’un gode ?

— Un gode, c’est un jouet, je le contrôle, pas ce truc qui bouge seul.

— Ce truc est contrôlé par ton petit ami, je te signale. Et tu as juste peur de l’inconnu.

— Qu’est-ce que tu proposes alors ? capitule Matthieu.

— Au pire, on s’assoit chacun sur une chaise et on se masturbe. Mais on aurait pu le faire gratos avec la webcam. Sinon, tu continues à faire ta tête de lard, alors je devrai te basculer sur la console de contrôle et me frotter contre tes fesses jusqu’à ce que je jouisse ou que tu appelles un technicien à l’aide.

— Pas de troisième option, remarque Matthieu quand son amant ne lui laisse que ces deux choix à contempler.

— Ou tu te rappelles qu’on peut s’amuser sans pénétration, tu te fous à poil, tu fermes les yeux si ça t’aide et t’imagines que je suis dans la pièce. »

Pour la première fois depuis qu’il est face à la machine, Matthieu réalise que l’androïde est nu. Il est d’ailleurs déçu de constater que sa verge est au repos. Nordine ne semble pas affecté par son petit laïus quand lui commence à ressentir l’excitation de leur situation. Avec un air de défi, tranquillement, il entreprend d’ôter ses vêtements en restant à distance de l’androïde. Nordine reste stoïque et fait mine de ne pas être impressionné par ce strip-tease imprévu, mais Matthieu ne l’entend pas de cette oreille et redouble d’efforts pour le faire réagir.

A présent nu, il plonge le regard dans celui de son amant et prend en main son sexe à demi-érigé. Pas vraiment d’humeur à jouer – et surtout de peur de retrouver soudain la raison – il cherche à allumer Nordine. Lui faire perdre la tête. L’être artificiel serre les doigts et penche la tête sur le côté ; Matthieu y reconnaît les signes qui signifient que la patience de son compagnon s’amenuise. Il y a trop longtemps qu’ils n’ont pas été dans la même pièce, le manque est palpable. Alors, de son autre main, Matthieu vient masser ses testicules et pousse un long gémissement – plus par provocation que plaisir, pour l’instant. L’effet obtient le résultat escompté.

En un instant, Nordine est à ses côtés et se colle à lui pour l’embrasser, entravant ses mouvements. La sensation du baiser est étrange. Les lèvres sont souples mais plutôt sèches et Matthieu les humidifie de sa langue. Il retrouve ses repères et se laisse aller, ferme les yeux. Libérant à regret son sexe, il découvre sous ses paumes le corps de l’androïde. Toujours cette impression de chaleur, mais des épaules un peu plus hautes que celles de Nordine. D’ailleurs, Matthieu réalise qu’il a le menton bien plus levé qu’à l’habitude pour embrasser son partenaire. Comme s’il était avec un autre. La pensée l’excite autant qu’elle le perturbe et il entrouvre les paupières, juste pour se rassurer. Nordine doit percevoir cette hésitation et s’écarte un instant, lui demandant si tout va bien. Quand Matthieu acquiesce, il avoue aussi qu’il a presque l’impression d’enlacer un autre homme, ce qui lui vaut une tape sur la fesse avant que son amant ne reprenne où ils en étaient.

Leurs érections se frôlent et, dans un grognement satisfait, Nordine l’attire un peu plus contre lui. La poigne de l’être artificiel est plus ferme, plus possessive ; leur rapport de force physique est faussé et Matthieu se réjouit de ce léger changement. A mesure que le baiser s’enflamme, il se laisse repousser à travers la pièce. Il s’imaginait déjà jeté sur le lit, dans le coin, quand ses cuisses heurtent la console de contrôle. Étonné, il se libère de l’étreinte de Nordine et remarque son sourire ravi.

« Je fais juste ce que j’ai promis.

— Mais je n’ai pas fait ma tête de lard, rétorque Matthieu tout en réalisant combien sa réplique est puérile.

— Non, mais l’idée me plaît. »

Et Matthieu doit admettre qu’elle le tente aussi. Face à l’absence d’objection, Nordine pose une main sur sa hanche et l’incite à se retourner. En quelques secondes, Matthieu se retrouve penché en avant, les mains en appui sur la console et le cœur battant à l’idée de laisser un robot le manipuler ainsi. Il sursaute au contact des doigts entre ses omoplates, puis frissonne quand ils dessinent le long de sa colonne. Mais ce n’est rien comparé à la sensation de ces membres se frayant un chemin entre ses fesses. Une brève appréhension le saisit tandis que Nordine tâtonne autour de son anus ; toutefois, un soupir de soulagement, puis de plaisir, lui échappe tandis que l’index lubrifié le pénètre. En quelques allers-retours, Nordine a trouvé sa prostate et étalé assez de produit pour qu’un simple index ne suffise plus à le combler. Matthieu n’a pas honte de demander davantage. Son amant a un reniflement amusé :

« Je croyais que tu n’avais pas confiance en cet humanoïde.

— Robot ou pas, halète Matthieu, tu pourrais bien te retrouver célibataire. Il a des doigts magiques. »

Pour cette moquerie, il récolte une morsure au niveau de l’épaule et un second doigt s’introduit en lui sans rencontrer la moindre résistance. Des coups de reins accompagnent à présent les va-et-vient et Matthieu commence à espérer que Nordine a oublié sa promesse de ne pas le pénétrer. Son menton retombe contre son torse, il écarte davantage les jambes et se cambre en une invitation peu subtile. Les doigts quittent son corps et il sent une caresse sur son flanc, un baiser entre ses omoplates. Puis une présence plus imposante contre son anus et une voix rauque qui exige une confirmation. Matthieu secoue la tête. Oui. Non. Il ne sait plus vraiment, il en a envie, mais n’est peut-être pas encore assez ivre de désir pour ignorer ses craintes. La pression s’efface immédiatement et Nordine empoigne sa hanche d’une main tandis que, de l’autre, il se saisit du sexe de Matthieu.

Son amant balance alors doucement le bassin, sa verge coulissant entre ses fesses, à la faveur du lubrifiant. Dos à Nordine, Matthieu laisse son imagination se débrider. Les râles de plaisir et les petits mots d’encouragement familiers contrastent avec le toucher étranger sur son corps. Il lui est aisé de penser à son compagnon assis dans un coin, se délectant de son abandon entre les bras d’un autre. La cadence s’accélère et les mouvements sont moins fluides, moins précis. A plusieurs reprises, Nordine bute contre son anus ; à chaque fois, son muscle se contracte – d’impatience ou de réticence, il ne parvient pas à le déterminer – et, chaque fois, Matthieu manque de jouir.

Et puis, le rythme sur son sexe augmente encore, les doigts qui s’enfonçaient dans sa hanche libèrent leur emprise et reviennent jouer avec sa prostate. En quelques instants, son excitation monte et il reconnaît les signaux qui annoncent qu’il n’est plus très loin. Nordine se frotte toujours contre lui et le muscle anal de Matthieu se resserre autour des doigts du robot tandis qu’il se répand sur la console sous lui.

Son amant le caresse plus lentement, le laissant savourer un orgasme prolongé mais, bientôt, la stimulation de sa prostate et son gland trop sensible ramènent Matthieu à l’instant présent. D’une légère tape, il écarte le poignet de Nordine. Celui-ci ne s’en plaint pas et, si Matthieu ne s’en était pas déjà douté, les coups rapides contre ses fesses auraient confirmé ses soupçons : la main s’active furieusement sur le sexe de l’androïde et, très vite, le corps derrière lui se tend dans l’extase. Matthieu perçoit la chaleur réconfortante des gouttes qui parsèment dorénavant son dos et il se trouve bien ridicule d’avoir autant redouté ce rendez-vous. Le souffle court, il se redresse et se remet face à Nordine. Du bout des doigts, il ose enfin effleurer la verge encore dure du robot, puis dirige sa main sous ses testicules, mais son amant le retient :

« Il va falloir me laisser un peu de temps, là. Il nous reste un peu plus d’une heure, t’as intérêt de ne pas faire les choses à moitié ce coup-ci. »

Une fois de plus, Matthieu sourit du ton menaçant, songeant que cela ressemble davantage à une supplique. Au lieu d’apaiser le manque, ils ont ajouté à la frustration de ne pas s’être touchés durant des mois.

Charmeur, il entraîne l’androïde vers le lit et commence à taquiner tous les points qu’il sait sensibles chez son amant. Dans une quinzaine de minutes – dix s’il se débrouille bien –, Nordine montrera les premiers signes d’impatience et lui ordonnera d’arrêter ses simagrées. Et Matthieu compte bien découvrir si l’intérieur de cet être artificiel se lubrifie aussi à la demande. Le plaisir anticipé le fait frissonner. Sous lui, l’humanoïde semble prendre vie, animé du désir de son partenaire. Même s’il était réticent, Matthieu sait qu’ils recommenceront. Il faut qu’il pense à se renseigner si le Boudoir 4.0 propose des formules d’abonnement.

Au nom d’Épicure

Autrice : Magena Suret.

Genres : Duo M/F, tranche de vie, soft.

Résumé : Les yeux rivés sur le livre, Théo faisait de son mieux pour ignorer Marion. Elle détestait ça.

Au nom d'épicure

Les yeux rivés sur le livre, Théo faisait de son mieux pour ignorer Marion. Elle détestait ça.

— Théo, chantonna-t-elle.

— Non.

Son ton, plus sec qu’il ne l’avait voulu, ne sembla pas la décourager : son chemisier atterrit sur l’oreiller près de lui, bientôt suivi par son soutien-gorge. Théo les ramassa de sa main libre pour les jeter au sol, comme s’il n’était pas intéressé. Il fit semblant de réajuster ses lunettes pour détourner un instant le regard de sa lecture, mais s’y replongea vite lorsqu’il aperçut Marion, la tête renversée en arrière, une main sur sa gorge et deux doigts de l’autre titillant un mamelon. Il allait lui prouver qu’il pouvait être plus têtu qu’elle.

— Allez, j’ai envie de me coucher.

— Rien ne t’en empêche, rétorqua-t-il en tapotant l’espace vide à côté de lui.

— Épicure me fait penser le contraire. Ce qui est un comble, si tu y réfléchis.

— Pas tant que ça. Si on ne souffrait pas un peu, on ne tirerait aucun plaisir du reste.

Théo retint un sourire en levant le nez de son livre : l’agacement de Marion était visible, mais il n’était pas prêt à céder. Elle aussi semblait déterminée à lui faire abandonner sa lecture puisqu’elle se reprit vite et le gratifia d’un sourire narquois. Puis elle profita d’avoir son attention : elle se déhancha doucement pour faire glisser sa jupe et sa culotte. Théo la regarda alors qu’elle enjambait les tissus et venait s’asseoir près de ses pieds.

— Je dois finir ce chapitre, Marion, lui dit-il d’une voix plus suppliante. Je ne peux pas arriver demain en cours sans l’avoir au moins lu.

— Les élèves adorent avoir des remplaçants pour ne pas avoir à suivre le programme. Amène-leur des coloriages.

— À des terminales ? s’exaspéra Théo.

Marion haussa les épaules et se laissa basculer en arrière, en appui sur ses coudes. Théo se força à retourner à sa lecture, mais sa concentration était perdue. Il n’était même plus sûr de savoir où il s’était interrompu. Les mots n’avaient plus de sens.

Ses abdominaux se contractèrent au contact des orteils glacés et il dut se retenir pour rester impassible. Malgré la surprise, il sentait sa résolution vaciller. Marion retenait de plus en plus son attention. À chaque fois que son regard glissait des lignes d’écriture aux courbes de ses jambes, son excitation devenait palpable. Il plia un genou pour camoufler son érection, mais son geste ne lui attira qu’un nouveau « Théo », soupiré plus sensuellement.

— Donne-moi dix minutes, okay ?

Il était à deux doigts de gémir de frustration quand Marion acquiesça. Son soulagement fut néanmoins de courte durée : il n’avait pas lu un paragraphe qu’elle poussait un nouveau soupir, empli de contentement. Une fois de plus, Théo oublia Épicure pour contempler Marion.

À l’autre bout du lit, juste hors de sa portée, elle en avait eu assez de l’attendre et avait décidé de commencer sans lui. Elle avait les yeux fermés et, devant ses lèvres, deux doigts qu’elle s’amusait à lécher d’une langue de chat. La main de Théo se crispa sur le livre. Il imaginait son sexe à la place de ces doigts. Marion devait y penser aussi. C’était un jeu commun entre eux : qu’elle affole le bout sensible de sa verge et qu’il la prive du poids de son sexe sur sa langue. Au premier qui craquerait. Théo n’avait pas honte d’admettre qu’il était souvent celui qui s’impatientait ; Marion avait bien plus de volonté que lui dans ces cas-là.

Le frottement du talon sur son érection le ramena à l’instant présent. De sa main libre, il saisit la cheville de Marion et l’obligea à rester immobile. Elle ouvrit les yeux et le fixa :

— Tu ne lis plus ?

Elle voulait se moquer, mais son souffle était plus court. Théo ne lui répondit pas, se contenta d’observer la main qu’elle avait glissée entre ses cuisses. Le rythme de ses caresses sur son clitoris était calme. Pour l’instant. Ils s’étaient déjà regardés se masturber à plusieurs reprises. Et il avait toujours ressenti un mélange de fierté et de jalousie à la voir maîtriser ainsi son propre plaisir : elle était capable de le faire monter très vite, de le faire durer de longues minutes ou d’atteindre l’orgasme en quelques mouvements de poignet lorsqu’elle l’avait décidé.

— Si tu ne te dépêches pas, je vais jouir sans toi, menaça-t-elle.

— Tu n’oserais pas me laisser m’endormir frustré, non ?

Il avait toujours Épicure entre les mains, mais sa lecture était bel et bien oubliée. La lueur malicieuse dans le regard de Marion lui rappela un peu tard qu’elle n’était pas du genre à refuser de relever un défi.

— Si tu finis tes devoirs, tu pourrais me convaincre de te sucer. Ou tu pourrais te branler sur mes seins.

Les deux le tentaient. Sa poigne se desserra de la cheville et il remonta la main le long du tibia de Marion. Celle-ci en profita pour faire de nouveau pression sur son érection.

— Maintenant, tu veux que je lise ? s’amusa-t-il, d’un ton faussement irrité. Alors que tu es vulgaire et que tu mériterais que je te renverse sur mes genoux pour te donner une fessée ?

La perspective sembla plaire à Marion : son majeur s’activa davantage sur son clitoris tandis qu’elle suçait avec avidité deux doigts de sa main gauche. À peine quelques secondes plus tard, il la vit entrouvrir les lèvres, trop proche de l’orgasme pour réussir à se concentrer sur son autre tâche. Avec son index en guise de marque-page, il referma le livre et se concentra sur la respiration de Marion. Le souffle se faisait plus saccadé, les gémissements s’intensifiaient et Théo se redressa légèrement, puis abattit le livre sur la cuisse de Marion. Un petit cri de surprise lui échappa alors qu’elle se cambrait dans sa jouissance. Théo apprécia la vue un moment, puis se réinstalla contre son oreiller et rouvrit Épicure, comme s’il n’était pas affecté par le spectacle.

Distrait, il caressait le mollet de Marion, créant une friction agréable contre son sexe insatisfait. Il ne resterait pas longtemps ainsi, juste les quelques minutes dont avait besoin Marion pour savourer son orgasme.

Il n’avait plus qu’une demi-page à lire quand la jambe se fit moins docile entre ses doigts et un rire léger retentit du pied du lit. Un instant plus tard, Marion l’avait rejoint au niveau des oreillers :

— Je te dis bonne nuit ? ricana-t-elle, en déposant un baiser sur son épaule.

Théo repoussa la couette et lui désigna son érection :

— J’aimerais autant que tu m’embrasses ici.

— Avec la langue ?

Il leva les yeux au ciel, mais soupira vite d’aise quand Marion s’installa entre ses cuisses et enroula les doigts autour de sa verge.

— Rends-moi juste un service, Théo : même si tu as fini, garde le livre, ça m’excite.

Elle lui fit un clin d’œil et le prit aussitôt dans sa bouche. D’une main tremblante, il s’agrippa à son livre : il n’avait pas cédé, mais Marion avait eu le dernier mot. Encore une fois. Et il s’en moquait bien.