Autrices : Valéry K. Baran et Hope Tienfenbrunner.
Genres : Érotique, M/M, humour, hot.
Résumé : Florian est à la limite du burn out à cause de son boulot pour lequel, en plus de classer des vidéos 18+ pour un site de VOD, il se retrouve à devoir trier des films boy’s love. S’il est déjà lassé par son boulot, cette nouvelle mission le rend fou : comment déterminer ce qui est porno et érotique là-dedans ? Heureusement pour lui, son boss terriblement sexy, Juan, est tout prêt à l’aider dans sa mission.
Du porno ? Définitivement !
Le couple à l’écran se sépara, le temps de changer de position. La femme, une belle blonde à la poitrine refaite, se plaça à quatre pattes sur le lit qui servait de terrain de jeu. La caméra zooma sur son arrière-train qu’elle caressa un instant, n’épargnant aux spectateurs aucun détail de son anatomie largement mise en valeur par une épilation intégrale. Ses doigts aux longs ongles vernis naviguèrent parmi les diverses possibilités qu’elle offrait, s’attardant largement sur son clitoris brillant. Après un nouveau gros plan, l’angle de vue se décala pour ne rien perdre de la large verge qui se dirigea vers son vagin avant de s’y enfoncer.
Un premier va-et-vient, un second, encore un autre où le pénis ressortit entièrement et rebelote. Avant, arrière, une fois, deux fois, trois fois…
Florian soupira profondément devant son écran, renversant même sa tête en arrière, avant de se décider à passer la suite en accéléré. À sa gauche, sur un second écran, deux gros gaillards, option cuir, faisaient son affaire à une brune qui semblait en avoir trop vu, trop fait, trop… tout en fait. Il grimaça. Comment des personnes pouvaient décemment choisir de regarder ce genre de porno ? Il ne comprendrait jamais. Au moins dans le premier film, l’actrice comme l’acteur étaient bien foutus. Certes le mec avait une gueule pas terrible, mais ce n’était pas franchement ce qu’on lui demandait. Et puis, pour ce qu’on la voyait, de toute façon…
Un coup d’œil à sa montre lui apprit qu’une petite heure s’était écoulée depuis qu’il s’était mis au boulot, bien trop tôt pour un café. Oui ? Non ? Allez, encore trente minutes, s’encouragea-t-il. Ce qui voulait dire, en pratique : trente minutes de pénétrations, de fellations et… À peine releva-t-il les yeux sur l’écran que le retour du gros plan de la mort qui tue qu’il se prit en pleine tronche ne fut pas loin de lui faire abandonner ses bonnes résolutions. Quant à la scène qui suivit, la seule considération hautement philosophique et profonde qui lui vint à l’esprit fut :
— Beurk.
OK… Il allait peut-être s’arrêter là, en fait ! Il n’avait pas forcément besoin d’en voir plus. Et puis il ne restait que trente minutes de vidéo, de toute façon. Il se pencha sur son bureau pour saisir la tablette qui lui servait d’outil de travail et cocha l’ensemble des catégories correspondant au film, et il y en avait ! Il n’aurait jamais pensé qu’il pouvait exister autant de façons de classer un porno, ni qu’il se retrouverait un jour à devoir regarder des films qui lui feraient mettre des croix quasi dans toutes (gonzo, fist fucking et autres joyeusetés). Enfin, comme tous les mecs, il en avait maté auparavant : pas ceux en mode Guinness des records qu’il devait désormais se taper, certes, mais des plus basiques. Comme beaucoup de femmes, aussi : toutes ne l’assumaient pas, mais l’industrie pornographique ne prospérait pas uniquement sur la libido masculine, il fallait arrêter de se voiler la face. En tout cas, elle ne vivrait plus grâce à lui. C’était bon, non seulement il avait sa dose, mais il avait fait le plein pour toute une vie et même pour les dix suivantes !
Un nouveau regard sur la team cuir et blousons cloutés le désespéra. Il ferma quelques secondes les paupières, comme si ce geste pouvait faire apparaître autre chose devant ses yeux lorsqu’il les rouvrirait. Ce ne fut pas le cas…
Quand il avait déniché ce boulot de « Classeur officiel de vidéos pornos pour le compte d’une boîte de VOD », il avait trouvé ça trop fort. Tellement qu’il en avait fait un post sur son mur Facebook pour narguer tous ses amis :
Je vais être payé à mater des pornos #JobEnOr. #SoyezPasTropDegLesGars.
Cela lui avait valu plus de comm’ et de like que toutes les conneries qu’il avait pu y poster jusque-là, et ce n’était pas peu dire. Six mois plus tard, il ne faisait plus le malin. Plus le malin du tout. Franchement, il n’était pas prude, mais il en avait tellement vu de toutes les couleurs, de toutes les tailles, de toutes les formes, masculines comme féminines, et il ne parlait même pas de tout ce qu’il aurait préféré ne jamais avoir à connaître, au point que, si ça continuait, il allait virer allergique au sexe, en mode éruption nerveuse à la moindre vue d’un attribut sexuel en gros plan. Pour contrebalancer, il avait découvert quelques trucs à tester plus tard. Enfin, quand il ne serait plus en overdose de sexe…
Heureusement pour lui, il ne se coltinait pas que les films pornos, il avait aussi droit aux films érotiques même si, par moments, la différence entre les deux était vraiment légère. Au moins avait-il la chance d’y voir un peu moins d’organes génitaux en action et ça, c’était déjà un soulagement. Il était d’ailleurs certain que c’était uniquement pour qu’il ne pète pas un câble que son boss les lui faisait aussi classer. Il y avait des limites à ce qu’une personne pouvait endurer en une journée et il frôlait déjà les siennes en permanence. Il en était à se demander comment pouvaient bien faire les professionnels de ce milieu… Quoique, à bien y réfléchir, ils en voyaient sans doute moins que lui.
À l’écran lui faisant face, la blonde peroxydée et son cavalier en étaient à la sodomie. Il soupira encore une fois. Sérieusement, ne pourraient-ils pas varier un peu ? La pensée eut à peine le temps de lui traverser l’esprit que ses alarmes y résonnèrent. Noooon, en fait, il savait trop bien que oui : ils pouvaient changer, mais que ce n’était pas forcément une bonne chose. Blasé, il enclencha un autre film sur le deuxième PC et continua à avancer en mode rapide sur le premier.
Un nouveau coup d’œil à sa montre s’ensuivit, un geste de lassitude de la main dans les cheveux, une légère hésitation… Vingt-cinq minutes s’étaient écoulées. Après tout, il n’était pas payé à la tâche, non ?
Oui café, pensa-t-il.
Il sortit de la pièce dans laquelle il travaillait ou, comme il l’appelait parfois, son placard. En réalité, c’était abusé de le décrire ainsi, même s’il bénéficiait de peu de place, mais c’était son ressenti. Meublé d’un bureau un peu large sur lequel trônaient trois ordis, dont l’un datait tellement qu’il mettait trois plombes à démarrer et sur lequel il n’avait mis encore aucun film ce matin-là (deux, déjà, ça allait bien pour sa tension nerveuse). Et puis, il plantait de toute façon une fois sur deux quand il lançait un visionnage en accéléré. Du coup, il l’utilisait la plupart du temps pour les pornos gay. Au moins était-ce plus agréable, compte tenu de sa propre orientation sexuelle, que l’action y passe à un rythme normal. Enfin, ça dépendait de quel genre de porno gay on parlait. Parce que, là encore, il y avait vraiment de tout. Il atteignait d’ailleurs un niveau de lassitude qui le désespérait à ce sujet aussi. Il allait finir asexuel, ce n’était pas possible autrement.
Pour le reste, il n’avait pas à se plaindre, le fauteuil était confortable, la vue par la fenêtre n’était pas déplaisante et le petit courant d’air qui en provenait rafraîchissait agréablement l’atmosphère de la pièce. Il fallait bien qu’il y ait des côtés sympas. Paraissait-il qu’ils avaient du mal à garder les gens très longtemps à ce poste. La bonne blague… Ce n’était pas lui qui aurait du mal à comprendre pourquoi. Dès qu’il le pourrait, il ferait une demande de mutation vers un autre secteur, d’ailleurs. Action, aventures ? Il prendrait même les comédies romantiques si on les lui proposait. Meg Ryan, Hugh Grant et cie, il signerait direct. Il se réjouirait de voir des ersatz de Buffy contre les vampires pour étudiants attardés… Tout et n’importe quoi, en fait. Il passerait juste son tour sur les films d’horreur : pour ce qui était des films 18+, il avait assez donné.
Se munissant de sa carte, il fit « pause » sur les vidéos en cours ; s’il n’avait pas été plus consciencieux, il les aurait laissé continuer en son absence, pas faute d’en être tenté… Prenant à droite en sortant de son bureau, il remonta le couloir d’un pas lent. Ce job était en train de le transformer en fonctionnaire de bas étage qui perdait son temps en pauses-café, commençait son heure de déjeuner cinq minutes en avance et la terminait avec un quart d’heure de retard.
Il salua une de ses collègues d’un petit sourire et tourna dans la pièce où se trouvait la rangée de machines. Café, thé, cappuccino, soupe, similimélange à la Starbucks, il y en avait pour tous les goûts. L’endroit était désert et c’était très bien comme ça. Sans être asocial, les conversations bateau avec ses collègues ne le passionnaient pas vraiment, et puis il y avait des moments comme celui-ci où il avait juste envie d’être seul.
Une fois sa carte dans l’une des machines à disposition, il choisit un café long et sucré dont le gobelet atterrit dans sa main une petite minute plus tard. Il se recula jusqu’à s’adosser au mur à côté de la fenêtre et laissa son regard vagabonder sur l’open space qui se trouvait au centre du bâtiment. Mis à part son « placard », les autres bureaux donnaient toutes par des baies vitrées sur cet espace où se rassemblait le plus gros des employés. L’ambiance y était studieuse, chacun à son poste, travaillant ou donnant le change sur son ordinateur. Peut-être que ça faisait mauvais genre d’être là à touiller le sucre de son café alors que les autres taffaient ? Qu’ils aillent se coltiner son boulot et on en reparlerait. Tout en soufflant sur sa boisson, il poursuivit son petit tour d’horizon jusqu’au bureau de son boss : Juan Horcas.
Juan Horcas. À prononcer à l’espagnole, comme pour Juan Pablo Montoya, le pilote automobile.n roulant les « r » sur le « J » du prénom : Juan.
Le type qui aurait dû être en train de poser sur des magazines à moitié nu plutôt qu’en costard-cravate dans un bureau. Juan avec sa belle gueule d’hidalgo et son accent à faire fondre l’iceberg du Titanic. Juan et ses chemises qui laissaient bien trop (ou pas assez) deviner ses épaules et son torse et ses saletés de pantalons à pince qui moulaient bien trop son cul. Juan qui lui donnait l’impression d’être en mode Robin de How I’ve met your mother à son retour de son trip argentin quand elle se radine à New York avec son amant « ibérique » et qu’il imaginait bien trop facilement lui susurrer un « savoure ta nourriture » tout en le nourrissant du bout des doigts. Bref, Juan sur lequel il fantasmait un peu trop à son goût.
Mais bon, qu’y pouvait-il ? D’une, il avait toujours eu un faible pour les accents et sa façon de prononcer « tou » au lieu de « tu » était tout à fait craquante même quand il passait une soufflante à quelqu’un. Encore qu’il préférait que ça ne soit pas à lui parce que, même si Juan était sympa et ouvert, quand il demandait que quelque chose soit fait, il fallait que ça le soit, point. De deux, parce qu’il était sexy à en crever et que c’était bien trop pour un type qui restait quand même son patron. Et de trois, parce qu’avec le merveilleux #JobEnOr qu’il se tapait, malgré tout son désespoir à ce sujet, son esprit était en permanence envahi d’images sexuelles dans lesquelles, bien contre son gré, Juan avait parfois tendance à apparaître. #MaVieProfessionnelleEstUneMisère. #TuezMoi. Du coup, il préférait éviter de se retrouver en tête à tête avec lui et faisait ce qu’il fallait pour que Juan n’ait rien à dire à son sujet, en mal comme en bien, au point que, la dernière fois que l’homme les avait rejoints, lui et ses collègues, pour une pause-café, il s’était cramé le palais et la langue en avalant trop vite sa boisson pour partir aussitôt se remettre au boulot.
#LaLoose.
Il ignorait si Juan se rendait compte qu’il le fuyait, mais si c’était le cas, il supposait que celui-ci l’analysait seulement comme une attitude classique d’un employé envers son patron et non pas comme le fait qu’il voulait juste s’éloigner de son crush du moment. Du moins le souhaitait-il parce qu’il avait parfois l’impression d’être terriblement transparent quand il ne parvenait pas à s’arracher à sa contemplation, comme maintenant : quand il le suivait du regard, l’observait se pencher au-dessus d’un bureau, quand ses yeux s’égaraient un peu trop longtemps sur les appétissants reliefs de son corps. Il espérait aussi que Juan n’avait jamais remarqué le rougissement qu’il sentait lui réchauffer les joues quand leurs regards se croisaient. D’un autre côté, Juan devait être habitué à ce genre d’attention. Et Florian était beaucoup, beaucoup, beaucoup (oui, tout ça) plus discret que certaines de ses collègues qui flirtaient ouvertement avec Juan #BourreauDesCœurs. Alors, oui, sans doute que son boss n’avait rien relevé et c’était très bien ainsi.
Ce n’était pas quelque chose d’inhabituel pour lui, en même temps. Le passé le lui avait bien appris : il se débrouillait systématiquement pour être attiré pile-poil par la personne avec qui il ne fallait pas, et ce avec une régularité absolument effrayante. Que ce soit son professeur de philosophie au lycée, le frère marié de sa meilleure amie, son ancien boss et le mec chelou en attente de procès pour vol de voiture qui l’avait pris en stop au retour de ses dernières vacances, il se retrouvait toujours dans ce cas de figure. Et pour avoir craqué avec deux d’entre eux (et il ne dirait jamais lesquels !), il était bien placé pour savoir que ça n’était pas une bonne idée.
D’une longue gorgée, il vida la quasi-totalité de son gobelet et en observa pensivement le fond pour arrêter de mater Juan et se concentrer sur autre chose… Et cette autre chose était qu’il allait falloir s’y remettre malgré sa motivation toujours aussi proche de zéro. Un long soupir lui échappa : un nouveau long soupir… Il aurait presque été tenté de prendre un second café, mais les enchaîner lui collait généralement des palpitations.
— Ah, Florian, l’homme que je voulais voir !
Il sursauta à cette exclamation (raté pour les palpitations !) et releva la tête vers Juan, accoudé nonchalamment contre le chambranle de la porte de la salle de repos, en mode photo pour Calvin Klein et il le faisait exprès, non ? Il ne pouvait que le faire exprès, ce n’était pas possible. Personne ne pouvait être aussi sexy comme ça naturellement ! Il avait dû travailler ça devant sa glace ou… Toujours est-il qu’il sentit aussitôt les battements de son cœur s’accélérer. Du coup, il fut incapable de retenir son expression de surprise à le voir là. Et puis comment était-il arrivé ici aussi rapidement ? Il n’avait pas eu un blanc si long que ça à essayer de se motiver pour retourner auprès de ses pornos, non ? Y’avait-il eu une faille spatio-temporelle ? S’il remarqua sa perplexité (et il ne doutait pas que ce fût le cas), Juan n’en laissa rien paraître. Le sourire qu’il lui décocha à cet instant fit juste se contracter son ventre qui vira en mode chamallow fondant, et il se retrouva à détailler du regard chaque trait et chaque courbe de son visage ô combien séduisant.
— Huhum ? lança-t-il, au maximum de ses capacités d’élocution.
— Tu vas bien ? l’interrogea Juan.
— Euh oui, oui. Je… j’y retournais, annonça-t-il en allant jeter son gobelet vide.
— Je voulais te parler, tu reprends un café ?
— Euh… Oui, oui.
Enfin, la réponse aurait dû être « non » (et ses palpitations ?), mais il n’était plus en mesure de faire mieux sur le coup.
— Tu sais dire autre chose ? s’amusa Juan, son rire rendant sa voix encore plus sexy.
C’était tout de même incroyable qu’il ait pu en arriver à ce que des dizaines de queues sur écran ne lui fassent plus aucun effet quand un simple roulement de « r » et un rire rauque suffisaient à lui coller la trique. Il ouvrit la bouche, prêt à répéter un nouveau « Euh, oui, oui » qu’il retint à peu près pour le transformer en un baragouinage pire encore :
— Euhou…
La vie le détestait. Et il se détestait encore plus. Il tenta de se reprendre :
— Bien sûr.
Il allait finir par rougir avec ces conneries. Il était un mec, merde ! Il n’allait pas se laisser décontenancer comme ça. Un nouveau petit rire s’échappa de Juan et Florian l’observa s’approcher de la machine à café d’une démarche prédatrice ou, du moins, ce fut son impression. Le regard profond que lui adressa Juan lui fit se racler la gorge, mal à l’aise, et détourner le sien. Quand il le ramena de nouveau sur son patron, celui-ci fixait la machine devant lui.
— Je te prends quoi ? Café, chocolat, thé.
— Un café avec du sucre.
— Tu ne veux pas changer, pour une fois ?
Florian fronça les sourcils. Les yeux noirs de Juan se posèrent sur lui comme il reportait son attention dans sa direction. Son visage légèrement penché vers le bas renforçait un peu plus l’impression de virilité qui se dégageait de lui.
— Co… comment sais-tu que je prends toujours ça ? demanda-t-il, surpris et sur la défensive.
— Je t’observe.
Florian en resta coi. Juan aurait dû dire… Un patron aurait dû dire : « je suis observateur », et non pas cette étrange tournure de phrase. Le fait qu’ils se trouvent dans un bureau vitré, soit un endroit où les autres employés pouvaient les voir discuter, même s’ils ne les entendaient pas, ne contribuait pas à le mettre à l’aise, mais avant qu’il puisse réfléchir davantage aux propos de Juan, celui-ci enchaîna.
— Tu n’aimes pas t’essayer à quelque chose de nouveau ?
« T’essayer ? » et pas « essayer » tout court ? C’était bizarre ça aussi comme tournure de phrase, non ?
— Euh…, répondit-il très intelligemment.
Pour sa défense, cette conversation, bien que potentiellement anodine, le perturbait. Il y avait quelque chose chez Juan qui était différent de son habitude, quelque chose de subtil… Une once de charme et peut-être de domination qu’il n’avait pas l’impression d’avoir vue avant.
Sa main passa nerveusement dans sa chevelure, tandis qu’il cherchait à se persuader qu’il s’imaginait des choses. Tous ces pornos où les acteurs se sautaient dessus pour n’importe quelle raison lui montaient à la tête, c’était évident. Il ne manquait plus que son attirance naturelle pour Juan s’y ajoute pour qu’il se fasse des films.
— Pourquoi pas ? répondit-il à sa proposition.
— Je choisis, alors.
Florian ne chercha pas à savoir ce qu’il lui prenait et se contenta de le remercier quand il lui tendit son gobelet. Un gobelet plus grand que celui de son café ordinaire. Il porta la boisson à son nez, humant une odeur sucrée de caramel et de café.
Un souffle chaud sur son visage lui fit de nouveau relever brusquement la tête pour se trouver à quelques centimètres de Juan. Il fallait qu’il arrête de regarder dans son verre si ce type se rapprochait comme ça à chaque fois. Ou alors, il fallait qu’il recommence… Il ne savait plus.
— Goûte.
OK, il se faisait sans doute des films, mais Juan n’était vraiment pas loin du « savoure ta nourriture » là, non ?
Il souffla sur la boisson avant d’en prendre une très légère gorgée, ses yeux toujours ancrés dans ceux de Juan. Le frisson qui le parcourut à cet instant fut forcément visible, mais Juan ne dit rien.
— Alors ? Tu aimes ?
Bon sang qu’elle était sexuelle, cette conversation !
— Oui, c’est bon, très sucré, mais bon.
Juan hocha la tête, visiblement satisfait, et se recula d’un pas. Florian eut la sensation bizarre de pouvoir mieux respirer.
— Je savais que tu aimerais.
— Pourquoi ?
— Je le trouve très bon aussi, et j’ai dans l’idée que nous avons des goûts en commun.
Il essaya d’évacuer de son esprit le fait qu’il avait entendu dans un premier temps « je te trouve très bon » et jeta un regard bref vers l’open space pour confirmer que personne ne les observait. Il était fatigué. Ce devait être ça. Pourtant, était-ce de la connivence qu’il avait l’impression de lire dans les yeux de Juan ? Il choisit de ne pas rebondir sur ce qui lui venait réellement à l’esprit, du genre que Juan lui faisait comprendre qu’il était gay lui aussi. Après tout, il n’avait jamais rien dit de sa propre orientation, même si sa manière de traiter les pornos gay avait de quoi le trahir. Quant à Juan, il n’en savait strictement rien et il s’était retenu autant que possible, jusque-là, d’émettre la moindre hypothèse à ce sujet. C’était bien mieux pour sa santé mentale, il fantasmait déjà suffisamment sur lui comme ça sans avoir besoin d’ajouter de l’eau à son moulin.
— Ah, j’aurais dit que tu prenais ton café noir, se permit-il de lâcher à Juan.
— Pourquoi ?
— Je sais pas, le côté…
Mâle, viril, corsé… aucun des mots qui lui venaient à l’esprit ne pouvait dignement être balancé à son boss.
— Enfin, je sais pas, c’était une idée comme ça. Tu voulais me parler ?
Changer de sujet, revenir sur quelque chose de cadré, comme discuter boulot.
— Oui, je voulais te dire que nous allions avoir un nouveau genre de films à partir de mercredi.
Florian ne retint pas une grimace. À quoi devait-il s’attendre si Juan venait lui en parler en personne ?
— Rien d’affreux, rassure-toi, s’amusa ce dernier. Ce sera une catégorie de films Boy’s love. Tu vois ce que c’est ?
— Absolument pas. Même si le nom donne une image.
Limite, dit comme ça, ça paraissait même plus anodin, mais il se méfiait de tout, au point où il en était.
— Nous voulons essayer de toucher un certain public féminin avec quelques-uns de ces films, tout en attirant également les hommes adeptes de ce genre de scénarios. Néanmoins, ils s’étalent de l’érotique au pornographique, on aura donc besoin de les classer comme les autres. Tu devrais en avoir une vingtaine pour commencer. On verra si ça fonctionne.
— D’accord.
Il peinait toujours à ne pas grimacer, mais il devait être un peu traumatisé par ce boulot, de toute façon. Et puis, surtout, il ne voulait pas prolonger la conversation avec Juan. Il s’envoya d’un coup le restant de son café/mocha/truc sucré dans la gorge, ce qui ne manqua pas de la lui brûler, forcément. #MaVieEstUnEnfer. Et il pivota sur ses talons.
— Florian ?
Lorsqu’il tourna la tête, Juan le fixait d’un regard beaucoup trop incisif à son goût. Ce type devrait absolument faire des photos pour Dolce & Gabbana : celles de Tom Ford, bien sexe et transgressives.
— Je compte sur toi, ajouta-t-il.
Florian hocha la tête, trop décontenancé pour émettre le moindre mot, puis fila loin de la machine à café, loin de Juan, loin de son crush incontrôlable… Plus près de ses vidéos pornos.
Une pensée suffisante pour lui faire voûter les épaules.
Alors qu’il traversait les couloirs, il ne put s’empêcher de s’interroger sur l’attitude de Juan.
***
Trois fois.
Florian laissa tomber son front sur le bureau face à lui et l’y frappa trois fois.
Il. Allait. Mourir.
Déjà, et ça Juan s’était bien gardé de le lui dire, les Boy’s Love, ce n’était pas des « films ». Ou pas seulement, en fait. Il y avait bien quelques films assez light et franchement, il avait été content. Rien de traumatisant, des mecs un peu efféminés pour certains, des jeunes hommes avec des histoires très romantiques qui lui auraient fait lever les yeux au ciel un an plus tôt, mais qu’il avait accueillies avec bonheur. C’était peut-être un peu niais par moments, mais les scènes de sexe étaient plutôt agréables à regarder même s’il n’était pas attiré par les physiques asiatiques. Mais en toute franchise, il avait senti une certaine excitation le gagner et ça faisait longtemps que ça ne lui était plus arrivé devant des vidéos de son taf. Mais, parce qu’il y avait un mais, ce n’était pas uniquement des films… oh non, il y avait aussi des « animes », ce qui voulait dire que :
Primo, on ne trouvait pas de vrais mecs dedans, mais des personnages dessinés dont les physiques se déclinaient de la crevette anorexique aux longs cheveux et cils chez qui on cherchait désespérément où pouvaient bien être les attributs masculins, aux gros warriors aux poils aussi nombreux que les muscles hypertrophiés, même à des endroits où, normalement, il n’aurait pas dû y en avoir, et avec des sexes si imposants qu’en vrai ce serait un handicap d’en avoir un comme ça.
Et deuxio, que tout, même le plus improbable physiquement, le plus extrême, le plus dégueulasse, tout y était possible !
Au départ bien sûr, il s’était dit que ce serait OK. Le premier qu’il avait lancé l’avait mis en confiance : Sensitive pornograph. C’était soft, une suite de petites histoires qu’il aurait qualifiées de mignonnes en soi, même si la deuxième était un peu limite niveau consentement. Il ne voyait pas bien en quoi cela pouvait viser une clientèle féminine, mais Juan lui avait expliqué devant un autre café (et il se faisait peut-être des films, mais il avait trouvé une fois de plus que la conversation avait des allures étranges, et il s’était de nouveau brûlé) que certaines femmes aimaient les films mettant en scène des relations sexuelles entre hommes. Florian avait bugué sur l’idée, avant de buguer sur la langue de Juan venue lécher sa lèvre pour ramasser le café qui s’y trouvait. Geste qui aurait pu être anodin s’il n’avait été accompagné par un de ces regards dont il se demandait de plus en plus s’il ne signifiait pas que Juan lui faisait des avances. Après ça, il avait de nouveau fui vers son bureau pour enchaîner sur son boulot. Et comme il l’avait regretté… Après le soft des premières vidéos, c’était parti en live total. Il avait même eu droit à du tentacle porn – alors, celui-ci, il avait dû carrément demander à ce que cette charmante catégorie soit ajoutée aux autres tant il ne voyait pas, sinon, où classer la vidéo concernée !
Et puis, en plus, comment faire pour distinguer l’érotique du porno, là-dedans ? Il la classait où, la vidéo dans laquelle le mec qui ressemblait à une fille poussait des cris aigus en se faisant pénétrer sans qu’aucun détail ne soit visible, soit de manière totalement suggestive par un tentacule du diamètre de son bras ? Il en faisait quoi des cinq types aux muscles et aux verges surdimensionnés qui partouzaient dans les vestiaires, mais en se susurrant tout le long des mots d’amour ? Et elle était où, au fait, la corde pour qu’il se suicide ? Est-ce que les gars en haut lieu s’étaient dit que c’était plus acceptable parce qu’il ne s’agissait pas de films avec des personnes réelles ? Eh bien, grande nouvelle, la réponse était non, NON, NON et NON !
— Rien d’affreux, râla-t-il devant la scène qui se déroulait face à lui. Rien d’affreux.
C’était ce que lui avait dit Juan, il s’en souvenait parfaitement bien. Si ça se trouvait, il avait essayé de lui faire vaguement du charme pour qu’il le croie et pas du tout parce qu’il avait une quelconque attirance envers lui. Il hocha la tête à cette pensée. Oui, c’était tout à fait possible, ça. Juan avait peut-être remarqué, malgré ses efforts pour le cacher, qu’il avait un faible pour lui et en avait lâchement profité. Quoi qu’il en soit, c’était du foutage de gueule, oui madame ! La seule chose qui le consolait était de se dire qu’un autre type (ou une nénette) s’était coltiné les mêmes films que lui pour en faire la traduction. Surtout que franchement, c’était quoi ces dialogues mélangeant mots crus et mots d’amour ? L’association des deux le laissait plus que perplexe.
De plus, tout cet ensemble soulevait de vraies questions quant au classement qu’il devait opérer. Il ne pouvait décemment pas mettre la vidéo qu’il était en train de se taper dans la même catégorie que les softs où, certes, on voyait les détails de pénétrations et où les dialogues pouvaient être tout aussi mièvres, mais qui restaient beaucoup plus romantiques et consensuels.
Il poussa un interminable soupir de lassitude… De la longueur du Mississippi, au moins. Devrait-il en parler à Juan ? Son patron pourrait peut-être être de bon conseil. Il le lui avait dit d’ailleurs, de ne pas hésiter à venir le voir s’il avait des questions… juste avant de poser sa main sur son épaule dans un geste de virile camaraderie avant que sa paume ne glisse avec douceur le long de son bras et que des frissons lui remontent tout le long de l’échine. #LifeSucks.
Aller lui parler, en voilà une idée qu’elle était bonne ou… Il y réfléchit un instant. Non, non, non, non, non, mauvaise idée. C’était bien trop dangereux. D’autant que, s’il était parvenu à fuir Juan au cours des mois précédents, il lui semblait que cela devenait de plus en plus compliqué. À croire que celui-ci lui avait collé un radar de manière à être alerté à chaque fois qu’il se pointait dans la salle de repos. Il avait même failli s’asseoir à côté de lui au self ! Et si jusque-là, il avait réussi à contrôler ses pensées et potentiels sentiments à son égard, ça, ajouté à leurs derniers échanges, risquait grandement de mettre en péril l’équilibre dans lequel il s’était complu.
Non, il décida qu’il devait rester coûte que coûte dans son bureau. Il passa donc à un autre film. Il lui restait quelques bons vieux pornos des familles de l’avant Boy’s love à traiter, ce serait parfait pour sa fin de journée.