Un hamburger, des frites et mon cœur avec (1)

Autrice : Hope Tiefenbrunner

Genres : MM, contemporain, novella.

Résumé : Quand Ludovic accepte au pied levé de gâcher son premier jours de vacances pour dépanner son cousin, c’est juste pour un jour. Jusqu’à ce qu’il aille livrer un cabinet comptable où il tombe sur Mathieu. Peut-être qu’il va faire un jour de plus finalement !

Le petit mot de l’autrice : Voici le début d’une petite novella MM, j’espère qu’elle va vous plaire! Pour ceux qui ont lu Une bière, des mangas et un sourire charmant, vous pourrez croiser Yohan & David qui en sont les héros. Vous y aviez d’ailleurs déjà croisé Mathieu.

Liens vers les différents chapitres

Chapitre 1 –  Chapitre 2Chapitre 3Chapitre 4Chapitre 5Chapitre 6Chapitre 7Chapitre 8Chapitre 9 (fin)

Chapitre 1

Première semaine

Mercredi

Mercredi matin, un matin comme tant d’autres à Paris, entre grisaille et pollution, coups de klaxon et injures balancées d’une fenêtre à peine entrebâillée. Paris, la capitale de l’amour et du glamour… Ludovic s’en amusa en entendant le « Va te faire foutre, connasse, si tu sais pas conduire, faut pas prendre ta voiture ». Il passa son chemin alors que la connasse en question répliquait de façon très imagée. Ces deux-là étaient partis pour égayer le quartier pour quelques minutes.

Il adorait cela. La nature humaine l’avait toujours fasciné et observer ses contemporains s’était révélé une source inépuisable de divertissement. Les mains dans les poches de son pantacourt, il se décala pour éviter un minet, le nez plongé dans son téléphone et qui ne le remarqua même pas. Il tourna à droite et poursuivit quelque temps sur le boulevard avant de parvenir en vue du restaurant de son cousin. Ce dernier avait monté son affaire depuis cinq ans maintenant et, s’il travaillait comme un forçat, il était heureux. Devant la simple devanture, deux mobylettes attendaient sagement l’heure de la livraison. C’était, dixit Bruno, ce qui lui avait permis de survivre à la première année. Ludovic était content pour lui, il avait suffisamment trimé avant d’avoir gagné assez pour devenir son propre patron. Il vivait essentiellement grâce aux employés du quartier qui venaient déjeuner chez lui ou commandaient pour le bureau quand ils n’avaient pas l’occasion de sortir et, visiblement, ils étaient nombreux dans le coin.

Il passa la porte du restaurant et fut accueilli par d’alléchantes odeurs. La salle était déjà bien remplie de costumes cravates et de tailleurs occupés à combler leurs estomacs, entre autres. Certains riaient entre collègues, d’autres continuaient à travailler, smartphones, ordinateurs ou tablettes dégainés à côté du repas. Ludovic sourit, ravi de ne jamais appartenir à cet univers. Au comptoir, l’activité battait son plein, Marie et Fatima ne ménageaient pas leur peine pour servir le plus vite possible leur clientèle, le sourire bien ancré sur les lèvres. Il nota que Ludivine était au téléphone, sans doute à enregistrer une nouvelle commande.

Ludovic dépassa la queue et traversa la barrière invisible qui délimitait la zone autorisée au personnel. Fatima lui adressa un petit coucou avant de reprendre la constitution du plat à emporter de son client. Encore une porte à franchir et Ludovic pénétra dans le cœur du restaurant : sa cuisine. L’activité y était dense mais tout était réglé comme sur du papier à musique. Bruno savait tenir son affaire. Il avait bien réfléchi à son concept et l’avait peaufiné pour gérer au mieux. Pourtant, Ludovic fut surpris de ne pas le découvrir à son poste habituel, derrière les fourneaux.

– Dans son bureau, lui indiqua Henrique, son plus fidèle appui. Il va être content de te voir.

Ludovic hocha la tête, ne cherchant rien de particulier dans ces propos. Il ouvrit la porte du bureau de son cousin pour le trouver occupé à feuilleter frénétiquement les pages d’un carnet.

– Hello, je te ramène tes… waouh, ça n’a pas l’air d’être la grande forme, commenta-t-il devant l’expression dépitée du maître des lieux.

Ce dernier poussa un long soupir.

– C’est rien, c’est juste la cata.

La tournure de phrase amusa Ludovic.

– Etonnamment, moi quand je parle de cata, c’est rarement parce que ce n’est rien.

– Non, mais ce n’est pas la fin du monde, mais Nordine est en vacances et Jerem vient de m’appeler. Il a la jambe dans le plâtre. Arrêté pour au moins trois semaines et je suis gentil.

– Et il ne te prévient que maintenant ?

– Il sort juste des urgences, il y est depuis sept heures ce matin et tu sais comment c’est, tu sais quand tu y rentres jamais quand tu en sors.

– N’empêche qu’il aurait peut-être pu te prévenir quand il y est allé, non ?

De nouveau, Bruno poussa un long soupir.

– Oui, je sais, un texto pour que je puisse m’organiser ça aurait été le minimum. Mais…

Il leva les mains en l’air de dépit.

– On n’peut pas vraiment compter sur lui. Quoi qu’il en soit, ça n’aurait pas changé grand-chose. J’ai cinq commandes en attente de livraison. Les deux autres font le max, mais à un moment donné, ils ne sont pas magiciens et moi non plus. Deux gars en moins, je ne peux pas faire face, c’est clair.

– Ca veut dire que ça tourne bien.

– C’est sûr. En attendant, les clients commencent à appeler pour savoir ce qu’il se passe. On n’a jamais eu de retard comme ça. J’ai bien contacté deux, trois potes, mais ils bossent ou…

– T’as essayé Tom ?

– Tom, une mob, Paris ! Y’a pas un truc qui te fait peur là-dedans ?

Ludovic ne retint pas un sourire. Tom était un autre de leurs cousins…

– Ouais, non, c’était pas une bonne idée… je… j’ai le cerveau fatigué, en mode relâche depuis que j’ai fini.

Le visage de Bruno s’éclaira tout à coup.

– Hé, c’est vrai, t’es en vacances. Tu commences pas ton boulot avant au moins deux mois ?

– Euh… Moi, une mob, Paris ?

– Tu t’es planté une fois, OK, le scoot n’a pas survécu mais c’était il y a longtemps. Tu conduis bien, maintenant. Et franchement, ça me sauverait la vie. S’il te plaît ?

Bruno accompagna sa demande d’un beau regard de cocker. Ludovic leva les yeux au ciel. Comment voulait-il qu’il lui dise non ?

– OK, soupira-t-il. Mais seulement pour aujourd’hui, précisa-t-il.

L’expression de soulagement et de joie qui passa sur le visage de son cousin suffit à finir de le convaincre. Il avait pris la bonne décision.

– Super, c’est cool, c’est cool, commenta celui-ci comme il se levait pour lui offrir une accolade. Tu es génial, tu me sauves la vie.

– Je sais, tu me l’as dit !

– Allez viens, je vais te donner les clefs, un casque et je t’accorde même dix minutes supplémentaires pour faire ton itinéraire.

– Waouh, vous êtes trop généreux, mon bon prince.

La claque qu’il se prit sur l’épaule le fit sourire.

– Je te pose tes DVD là, en attendant, indiqua-t-il avant de sortir.

— Oui, merci. J’ai notre sauveur, lança Bruno en passant devant la cuisine.

Le regard que lui adressa Henrique lui fit penser qu’il savait depuis le départ que Bruno lui proposerait de jouer les livreurs d’un jour et que bien sûr, il accepterait. Etaient-ils aussi prévisibles que ça ? Il haussa les épaules. Peu importait en fait.

***

Mathieu aspira une nouvelle taffe de sa clope, savourant le plaisir de la nicotine et accessoirement de toutes les autres saloperies que les fabricants de cigarettes jugeaient bon de coller dedans pour vous rendre accro.

Accro, il ne l’était pas. Il fumait occasionnellement, mais sans doute trop  régulièrement pour ne pas se considérer comme un fumeur, mais jamais il n’allumait la moindre cigarette le week-end et il lui arrivait parfois de ne pas toucher à son paquet pendant plusieurs jours. Sauf les fins de mois. Elles mettaient toujours à mal sa consommation, et certains auraient dit ses résolutions, mais Mathieu n’avait jamais prétendu vouloir arrêter. Et des jours comme celui-ci, il savait que c’était inutile, pas avec la tonne de boulot qu’il avait à abattre, pas avec le stress, pas avec son boss qui était à cran et pas avec les heures sup à gogo qu’il s’enfilait.

Une nouvelle taffe, un regard sur les deux autres types en train de se pourrir les poumons eux aussi. Il ne se souvenait pas les avoir déjà vus. D’un autre côté, il était rare qu’il fume juste avant le déjeuner mais ce satané livreur se faisait franchement attendre. Un coup d’œil à sa montre lui apprit qu’il était treize heures dix-huit, plus d’une heure qu’ils avaient passé leur commande. Sérieusement ? Il était parti la chercher en Chine leur bouffe ou quoi ?

Une nouvelle taffe.

S’il n’y avait eu que la faim, il n’aurait pas ressenti le besoin de venir se détendre mais bon Dieu, la gourdasse, parce qu’il n’y avait pas d’autres mots, qu’on venait d’affecter à son service commençait très sérieusement à lui taper sur les nerfs. Franchement, il se demandait bien comment elle avait obtenu son fichu BTS de compta en étant aussi conne. Même Sonia, d’ordinaire si calme, perdait le sien face à autant de bêtises et pourtant c’était toujours elle qui s’occupait des stagiaires. Elle avait l’habitude des débutants qui devaient tout apprendre, qui ne savaient pas forcément où se mettre et quoi faire. Mais là…

Il soupira, des volutes de fumée franchirent ses lèvres.

Il faudrait qu’il aille voir Virginie des RH pour lui en toucher deux mots. Elle lui demanderait sans doute de lui laisser sa chance mais pour lui l’affaire était pliée. Ils étaient dans un cabinet d’experts-comptables pas dans une école, hors de question de seulement renouveler sa période d’essai et si ça n’avait tenu qu’à lui, elle aurait dégagé aussi sec. Il avait trop de boulot pour devoir s’occuper de passer derrière quelqu’un. Une dernière taffe… Son ventre grogna… Il était temps de retourner dans l’arène. Comme il écrasait son mégot, son téléphone sonna. Il le sortit de sa poche et quitta la courette où tous les fumeurs du bâtiment se retrouvaient.

Un SMS de Sonia : Elle a pété la photocopieuse !!! #grosboulet #jevaislatueroufilermadem.

Mathieu éclata de rire, gagnant un regard curieux de la jeune femme qu’il croisa. Il textota rapidement en retour.

Quelle conne ! Cette aprem, on la colle au café.

Il venait de pénétrer dans le hall quand la réponse lui parvint.

NOON !!! je ne survivrai pas sans Thérèse ! #ineedmycoffee

Mathieu sourit. Le besoin qu’avait Sonia de conclure tous ses SMS par des hashtags l’amusait autant que sa manie de prénommer les choses. Soi-disant que ça rendait le cadre de travail plus agréable. Il ne voyait pas vraiment la différence mais se pliait de bonnes grâces aux lubies de sa collègue, tant qu’il pouvait lui refiler les stagiaires, ça lui convenait parfaitement bien.

Il releva le nez de son portable et son sourire augmenta encore d’un cran. Devant le bureau d’accueil où l’hôtesse était en ligne, patientait un livreur. Reconnaissable à son casque et surtout à la glacière qui trônait à ses pieds. Faites qu’il soit là pour nous, pensa-t-il. Ils étaient nombreux dans l’immeuble à commander dans un des restos du coin. Encore qu’eux avaient désormais trouvé leur cantine. Leur boss, royal, avait carrément ouvert un compte là-bas. C’était plus simple que les chèques déj, plus facile que de courir après des notes de frais et ça convenait à tout le monde. Les végétariens pouvaient commander des salades, et autres plats légumineux, lui se régalait plutôt de leurs viandes, leurs hamburgers étaient juste une tuerie. Et son patron, grand carnivore devant l’éternel, en faisait tout autant. Ils n’étaient pas naïfs non plus, il savait très bien que la pause au bureau durait bien moins longtemps que s’ils déjeunaient à l’extérieur, quand ils ne dévoraient pas leur repas face à leurs ordis, ce qui serait probablement le cas aujourd’hui. Encore une petite semaine à ce rythme et les choses se tasseraient un peu avant le mois prochain.

 Il s’approcha de lui en quelques grandes enjambées.

– Vous venez pour JHP ? demanda-t-il.

Le livreur se retourna vers lui.

– Oui, acquiesça-t-il, ses yeux bruns pétillants.

Beau regard, pensa alors Mathieu et belle gueule aussi.

– Suivez-moi, je vous guide, l’invita-t-il d’un petit mouvement de tête.

– OK.

D’un léger geste de la main, il indiqua à l’hôtesse que tout était bon et qu’il se chargeait du livreur. Cette dernière lui offrit un sourire en retour et poursuivit sa conversation. Sans plus attendre, Mathieu se mit en route, direction l’ascenseur et le huitième étage.

Ludovic observa le type devant lui. Beau cul, pensa-t-il en reluquant son postérieur bien mis en valeur dans un pantalon de costume gris. Il remonta le long de son dos, clairement musclé, il pouvait le deviner malgré la chemise blanche dont la coupe était suffisamment cintrée pour souligner ce genre de détails. La nuque dégagée était agréable à regarder. Il souriait quand il pénétra dans l’ascenseur.

Il posa sa glacière, ne conservant à la main que son casque qu’il avait ôté en entrant dans le bâtiment, question d’éducation, trouvait-il, même s’il comprenait que certains livreurs ne prennent pas la peine de perdre du temps. Mais hé, ce n’était pas son métier et ce n’était pas comme si Bruno allait exiger de lui d’être le plus diligent possible. Quand il releva le nez, il constata qu’il était en train de se faire détailler des pieds à la tête. Ça ne le dérangeait pas, surtout quand le type était pas mal, pas mal du tout en réalité, aussi bien côté pile que face. La chemise mettait en valeur des pectoraux, ni trop, ni pas assez développés, l’absence de cravate lui plaisait bien aussi et les quelques poils qu’on devinait par son dernier bouton ouvert attiraient son attention. Il poursuivit son petit tour d’observation par le visage qu’il trouvait tout à fait charmant. Il aimait bien son nez un peu fort, ses lèvres charnues, ses joues impeccablement rasées, la mâchoire était peut-être une chouille un peu trop marquée mais elle se mélangeait très bien à l’ensemble. Il lui sourit.

Mathieu répondit naturellement à son sourire par un autre. C’était toujours étrange d’être enfermé dans un ascenseur avec un inconnu, encore que la plupart du temps l’observation mutuelle se faisait plus discrète mais il trouvait que, le temps passant, les mecs se reluquaient davantage. Il n’y avait pas forcément une question d’attirance sexuelle, il matait parfois d’autres types parce qu’il les jugeait bien fringués ou que leurs pompes lui plaisaient. Des choses futiles mais l’apparence avait sa petite importance dans le monde d’aujourd’hui. Bon, là, le style n’était pas du tout le sien. Le pantacourt baggy, le tee-shirt avec un Yoda à lunettes roses était fun mais il n’aurait jamais porté ça. Mais ça collait au look décontract et moderne et s’assortissait au crâne presque rasé qu’arborait le livreur.

Ses pensées furent chassées par un incongru bruit de ventre qui lui rappela qu’il avait sérieusement les crocs. Il remarqua que l’autre s’en amusait.

– Faim ? lança celui-ci.

– Oui, je commençais à me demander quand vous alliez arriver, on est toujours livré assez vite mais là…

Le livreur lui offrit un grand sourire et Mathieu ne put s’empêcher de penser qu’il était décidément craquant ce garçon. Il ne se souvenait pas l’avoir déjà vu, pas qu’il ait vraiment enregistré le visage des autres. Il était souvent bien plus occupé par le fait de prendre sa bouffe et, s’il y avait toujours des mercis et des banalités échangées, ça n’allait pas plus loin. Et pourtant, c’était lui qui signait le papier de livraison à chaque fois, mais les gars étaient généralement pressés, leurs casques bien ancrés sur la tête.

– Désolé pour ça, on a des absents et j’ai accepté de filer un coup de main au pied levé d’où le retard. Et puis, je connais le quartier mais pas super bien non plus. Je me suis perdu ! avoua le jeune homme avec amusement.

Le timbre de voix attira une nouvelle fois l’attention de Mathieu. Il avait toujours eu quelque chose pour les voix un peu graves comme celle-ci.

–  Je commençais à me dire que vous étiez parti chercher les plats en Chine, plaisanta-t-il.

– Je dis ça, je dis rien mais Pékin/Paris en mob… waouh ! Perso, je passe mon tour ! J’aime bien l’aventure mais y’a des limites.

Il allait répondre quand son téléphone sonna. Sonia de nouveau : Check pour le livreur #onaladalle #onvaluisauterdessus.

Mathieu sourit.

–  Vous êtes attendu, annonça-t-il en tendant son smartphone afin que l’autre puisse y lire.

– Ouh là, c’est pas dangereux au moins ? Vos collègues ne vont pas vraiment me sauter dessus ?

Mathieu précéda sa réponse d’une petite moue.

–  Tout est possible. Mais…

Il indiqua le 8 sur l’écran de l’ascenseur.

–… je suis navré de vous annoncer que c’est trop tard !

Le livreur laissa échapper un petit rire.

– Je peux encore faire demi-tour en me jetant sur le bouton du rez-de-chaussée.

 Mathieu remua négativement la tête.

– J’ai trop faim pour vous laisser partir.

– Non, mais je peux vous donner la glacière, s’il n’y a que ça.

– Pas sûr que votre patron soit d’accord. Surtout sans ma précieuse signature qui lui permettra de se faire payer !

– C’est mon cousin. Mais je pense qu’il ne serait pas ravi, en effet.

Mathieu retint la porte qui menaçait de se refermer sur eux. Le livreur poussa un soupir théâtral.

– Je n’ai plus qu’à prendre mon courage à deux mains alors.

– Je crois qu’il ne vous reste que ça.

Ils échangèrent un regard amusé, presque complice.

Ludovic empoigna sa glacière et suivit son charmant guide. Le palier sur lequel ils débouchèrent desservait trois portes. Ils empruntèrent la seconde. Il observa les lieux, curieux. C’était distrayant de faire cette petite plongée dans le monde des entreprises. Ils parcoururent un long couloir, croisant quelques bureaux vitrés où des employées avaient pour la plupart les yeux rivés sur leur écran d’ordinateur ou le nez dans des piles de papiers. Pourtant leur passage leur faisait redresser la tête et même se lever. La faim devait avoir raison d’eux, pensa-t-il, car ils avaient déjà trois personnes sur les talons quand ils parvinrent en vue de l’espace détente.

–  C’est juste là, l’informa son guide.

– OK.

Ludovic posa la glacière.

– Ah enfin la nourriture ! s’enthousiasma une jeune femme qui l’avait suivi.

– J’ai super faim, s’exclama une autre.

Et avant qu’il n’ait compris ce qu’il se passait, il se retrouva entouré par une dizaine de demoiselles et dames de tout âge occupées à se servir directement dans sa glacière, regardant les notes et distribuant. On aurait dit une nuée de moineaux devant des miettes de sandwich. La scène était cocasse, la cacophonie ambiante tellement drôle et inattendue qu’il éclata de rire.

Mathieu qui se tenait légèrement en retrait reporta son attention, comme toutes dans la pièce, sur leur livreur qui se bidonnait au milieu d’eux.

Il le trouva encore plus craquant. Il n’était pas le seul. Ses collègues connurent un blanc, réalisant tout à coup qu’il y avait un beau mec, juste là, sous leur nez et de l’avis de Mathieu sans doute tout aussi appétissant que la nourriture qu’il amenait, surtout lorsqu’il avait les yeux brillants d’amusement.

– Désolé, s’excusa le livreur, mais on dirait que vous n’avez pas mangé depuis des lustres. On vous affame ici ou quoi ?

– Non mais vous savez travailler ça creuse, se justifia l’une.

– C’est vrai que… on vous a un peu sauté dessus, rit une autre.

– C’est rien, je comprends. En tout cas, je transmettrai au chef votre enthousiasme à l’arrivée de ses plats !

– C’est vrai qu’ils sont bons.

– Oh et puis, un beau garçon comme vous, vous devez avoir l’habitude ! renchérit Françoise, cinquante-cinq ans, trois enfants et deux petits-enfants au compteur.

Le livreur sourit mais joua les modestes qui se fit rapidement contredire.

Mathieu s’adossa à un pan de mur et s’amusa de voir son petit poulailler personnel roucouler pour un autre. Il n’était pas le seul homme du cabinet, même si la gent féminine était très largement majoritaire, mais il était l’unique célibataire, celui dont elles ignoraient totalement les penchants, si ce n’était Sonia, parce qu’il la connaissait depuis longtemps, qu’elle était sans doute plus observatrice et maline que les autres et qu’il lui faisait confiance. C’était sa politique, de ne pas afficher son homosexualité, même s’il ne comptait pas non plus en faire un secret d’État. Mais ce n’était pas si difficile à garder pour soi. Passé un certain âge, ce serait sans doute plus complexe. On se demanderait pourquoi il n’était pas marié, pourquoi il n’avait pas d’enfants. Pour l’heure, il était épargné par ce genre de considérations. L’inconvénient était qu’il était la cible des flirts de ses collègues, même s’il faisait rapidement comprendre qu’il n’était pas intéressé et ne souhaitait pas de relations autres que professionnelles. Mais ça n’empêchait pas les conversations et les « minaudages » comme les qualifiait parfois Sonia, qui présentement ne faisait pas mieux que ses petites camarades.

 Mathieu savait avoir du charme. Il n’avait pas non plus un physique à faire tomber les filles. Mais, il avait parfois cette impression très simpliste et qu’il reconnaissait limite machiste que pour peu que vous ayez une gueule potable et que vous soyez grand – il mesurait un mètre quatre-vingt-quatre, cinq selon la pièce d’identité que vous consultiez, ayant gagné un centimètre à l’établissement de son passeport – vous faisiez déjà craqué une bonne moitié des minettes. Le côté rassurant de sa taille et de sa carrure exploitant l’Œdipe que beaucoup de demoiselles n’avaient pas réglé. Simpliste donc, un peu insultant sans doute, mais pas complétement faux.

Une chose était certaine, s’il plaisait, il n’était pas le seul. Leur livreur savait y faire : ça riait, ça plaisantait, ça rougissait même un peu devant certains compliments et comme par enchantement, un premier pourboire finit par arriver, qu’il refusa poliment mais qu’on lui remit dans la main de force.

En retrait, Mathieu ne ratait rien des regards gourmands de ses collègues, ni de leur communication muette. Même l’autre greluche semblait avoir découvert un terrain d’entente avec Sonia, car elles échangèrent un sourire complice quand le coursier les gratifia d’un compliment. Mathieu trouvait tout cela très drôle, peut-être plus s’il avait pu récupérer sa commande.

Finalement, il jugea qu’il était temps que tout le monde se remette au travail et libère ce pauvre garçon.

– Ce n’est pas le tout, mesdames, mais l’heure tourne et je suis certain que vous avez encore du boulot et ce jeune homme aussi.

– Oh c’est vrai !

– En effet.

Les unes et les autres attrapèrent leurs plats et se dirigèrent vers leurs bureaux.

– Rabat-joie, lui lâcha Sonia comme elle passait à côté de lui.

Il lui offrir une petite courbette.

– Vous êtes un vrai bourreau, remarqua le livreur. Vous les forcez à bosser en mangeant !

L’indignation paraissait réelle sous le ton de la plaisanterie.

– Hé ! Ne m’accusez pas, se défendit-il en levant ses deux mains en l’air en signe d’apaisement, c’est notre boss. Je dois lui rendre des comptes à la fin et plus vite nous nous y remettons, moins tard nous resterons ce soir. Elles me remercieront toutes en fin de journée.

– Vous savez qu’on a aboli l’esclavage depuis 1848, précisa son interlocuteur.

– Le monde moderne est une autre forme d’esclavagisme.

– Hum, philosophe en plus d’être… Vous êtes quoi, au fait ?

Mathieu éclata de rire.

– Comptable.

– Sérieux ?

– Oui, pourquoi ?

– Je ne voyais pas les comptables aussi…

– Jeune ? proposa-t-il.

Encore que du haut de ses trente et un ans, il ne se jugeait pas forcément si jeune que ça.

– Sexy.

Et le regard brun prit une lueur appréciative. Waouh, direct, pensa Mathieu.

– Merci, répondit-il, légèrement décontenancé.

Ce type draguait homme comme femme, en fait. Cela le mit mal à l’aise. Il avait un problème avec les bi, le côté je pioche dans les deux le dérangeait. Lui-même n’était absolument pas attiré par les femmes et aussi intolérant que cela était, il en avait bien conscience, mais il ne prétendait pas être ouvert sur tous les sujets, il ne comprenait pas qu’on puisse coucher avec les deux sexes. Il y avait un choix à faire là-dedans, un positionnement à prendre.

 – Il me reste donc un hamburger et des frites, je suppose que c’est pour vous, continua le livreur comme si de rien n’était.

– En effet.

– Moins diététique que vos collègues.

– Je laisse la salade à ces dames, acquiesça-t-il. Et ne vous y fiez pas, elles ne mangent pas aussi léger tous les jours, les hamburgers sont souvent légions.

– Un truc contre la verdure, s’amusa le livreur après un hochement de tête.

Il sourit, s’approcha et prit son plat des mains propres qui le lui tendait.

 –  Absolument rien, mais j’assume mon côté carnivore !

La façon dont le comptable lâcha cela eut, pour Ludovic, un petit quelque chose de terriblement attirant, un côté « je mords dans la vie à pleines dents » qui alluma son bas-ventre. S’ils avaient été dans un autre cadre, s’il avait été certain de son orientation, il lui aurait sans doute fait des avances directes, enfin suffisamment directes pour ne pas avoir à tourner autour du pot. Mais ce n’était pas parce que le type l’avait détaillé des pieds à la tête qu’il pouvait sauter aux conclusions. D’un autre côté, il n’avait pas non plus eu l’air choqué par le « sexy » qu’il lui avait balancé juste avant, mais heureusement tous les hétéros ne s’offusquaient pas quand on les complimentait.

–  Ça vous réussit, lui lança-t-il alors.

– Je fais du sport à côté, ça compense.

– C’est une bonne façon de pratiquer.

– Ca me permet de manger ce que je veux.

– C’est sûr.

Ils se sourirent et un petit silence tomba dans la pièce. Il fut interrompu par le portable du comptable.

Mathieu s’excusa et le sortit. Il éclata de rire quand il lut le message.

Arrête de draguer le livreur et va bosser toi aussi #fauxcul.

– On dirait que je suis rappelé à l’ordre, moi aussi, précisa-t-il sans prendre la peine de répondre à Sonia.

– Il faut reconnaitre que ça parait injuste de les renvoyer au travail et de rester à papoter, s’amusa le livreur.

– Je finirai plus tard.

– Vous devriez parler à votre patron, ce n’est pas sain de se tuer au boulot.

– Je vais faire ça, un jour. Je vous signe votre reçu en attendant.

– Oui.

Le livreur le lui tendit et Mathieu y apposa sa signature après avoir cherché un stylo pendant une bonne trentaine de secondes.

– Eh bien, je vous souhaite bon courage alors, lui lança le livreur quand il eut récupéré son dû.

– Vous aussi.

– J’ai fini. Vous étiez ma dernière livraison.

La der des ders, pensa Ludovic. Et c’était presque dommage. Un instant, il fut tenté de proposer au type de se revoir, mais… il chassa cette idée. C’était le hasard des rencontres qui ne débouchaient sur rien, des gens que vous croisiez, qui attiraient votre attention mais avec lesquels rien ne se passaient par manque de temps ou d’autres choses.

–  Alors bonne fin de journée, conclut le comptable.

– Merci, vous aussi.

Ils se saluèrent d’un petit mouvement de la tête. Ludovic reprit sa glacière et le casque qu’il avait posé. Le billet de vingt euros qu’on lui avait mis de force dans les mains bien au chaud dans sa poche, il se laissa raccompagner jusqu’au bureau de son guide, accrocha son nom au passage : Mathieu Vasseur et poursuivit son chemin direction l’ascenseur.

Quand il revint au restaurant de Bruno, il avait encore ce nom en tête. Le type lui plaisait vraiment bien.

– Ca s’est bien passé ? lui lança Fatima.

– Comme un chef. A qui je donne mes reçus et mon argent ?

– Directement au big boss, l’informa-t-elle d’un mouvement de tête.

Il se rendit donc de l’autre côté. Un coup d’œil dans la cuisine lui apprit que Bruno avait repris les commandes.

– J’ai tes sous, annonça-t-il.

– Ah super. Va dans le bureau, je te rejoins.

– OK.

Ludovic s’assit dans le siège qui faisait face au bureau de Bruno, déposant les trois reçus et l’argent qui lui avait été remis, pas tant que ça au final, puisque son cousin évitait au maximum le paiement à la livraison.

– Ca s’est bien passé ? lui demanda Bruno comme il rentrait dans la pièce en s’essuyant les mains sur un torchon d’un blanc immaculé.

– Nickel. Et toi ?

– Sauvé pour aujourd’hui, grâce à toi.

Il se posa lourdement et soupira.

– Tu es sûr que tu ne veux pas me dépanner jusqu’au retour de Nordine dans vingt jours ? Je te fais un CDD si tu veux ou au black. Je suis sérieux !

Ludovic sourit.

– J’imagine, mais bon… Tu n’as pas de solution ?

– Si, j’ai un gars qui devrait pouvoir me dépanner, mais je préférerais que ce soit toi, au moins tu es revenu entier et la mob avec !

Ludovic laissa échapper un petit rire.

– Enfin bref, merci pour aujourd’hui en tout cas.

– De rien, la famille est là pour ça comme on dit.

– Ouais, ça tu sais ce que j’en pense.

Ludovic lui sourit, avant de réfléchir un instant. Il n’avait pas vraiment envisagé de bosser pendant ses vacances. Il avait même plutôt prévu de souffler avant de « rentrer dans la vie active » comme on le disait. Tout juste diplômé de l’institut de formation en psychomotricité, il avait tout de suite trouvé un boulot au sein d’un Centre d’Action Médico-Sociale Précoce privé où il avait réalisé son dernier stage. Le contact était incroyablement bien passé avec le directeur et l’ensemble de l’équipe, tout comme avec la patientèle et, puisqu’il y avait une place à prendre suite au départ d’un de leurs membres, on le lui avait naturellement proposé. Il avait accepté immédiatement, même si le poste était à pourvoir à la fin de l’été. Avec sa formation, trouver un emploi n’était pas bien difficile, mais là, ça avait été encore plus simple qu’il ne l’avait imaginé. Il adorait bosser avec les enfants, c’était pour ça qu’il avait cherché un stage dans ce type d’environnement et non dans des structures plus généralistes ou orientées vers la gériatrie. Alors quand on lui avait parlé du poste, il avait sauté sur l’occasion. Il pourrait tenir avec l’argent qu’il avait jusque-là.

Du coup, il s’était dit qu’il profiterait de ces quelques semaines pour se reposer, récupérer la tonne de bouquins qu’il avait en retard et déménager. Ça, c’était le petit truc qu’il n’avait pas prévu. Son colocataire lui avait annoncé une semaine plus tôt qu’il comptait s’installer avec sa chère et tendre. Heureusement pour lui, la demoiselle en question lâchait son logement et s’était arrangée avec son proprio qui avait été ravi de lui accorder l’absence de préavis si elle trouvait quelqu’un pour reprendre à sa place. Ludovic avait visité le studio qui lui avait plu. L’immeuble était sympa, bien entretenu, l’appart propre, le loyer et les charges tout à fait décents et il paraissait que le voisin était gay et sexy ! Il ne l’avait pas vu. Quoi qu’il en soit, quand il avait présenté son contrat de travail et avec la caution de ses parents, c’était passé comme une lettre à la poste.

Toujours était-il qu’un déménagement, c’était nécessairement des frais donc un peu d’argent en rab, ça pourrait lui évitait de bouffer des pâtes pendant tout un mois derrière. Et puis…

– Ils commandent souvent le truc d’expert-comptable ?

– JHP ? Oui, quasi tous les jours, je peux te dire que je suis super content d’avoir réussi à les choper. Prélèvement en fin de mois, c’est un vrai bonheur et ça m’a permis d’en faire signer d’autres après ça.

Ludovic hocha la tête.

– Tu sais quoi ! je ne vais pas te laisser dans la merde quand tu en as besoin. Après tout, Nordine revient dans deux semaines et demie comme tu l’as dit, ce n’est pas le bout du monde. Je peux dépanner, va.

– Sérieux ?

– Oui. Vraiment.

Le sourire de Bruno grimpait jusqu’à ses oreilles.

– A une condition néanmoins.

– Laquelle ?

– Je me réserve les livraisons pour J machin.

Ce coup-ci, le sourire fut accompagné d’un petit rire à la fois pervers et amusé.

– Ah oui ? Et pourquoi donc ?

Ludovic se leva.

– Comme ça.

– Et tu crois que je vais avaler ça.

– Non, mais on n’est pas des gonzesses, on va pas se raconter nos petites histoires.

Bruno balaya l’objection d’un mouvement de main.

– Y’a un mec qui t’a tapé dans l’œil, affirma-t-il.

– Tu te doutes bien que je ne me suis pas pris de passion pour la comptabilité tout à coup.

Bruno acquiesça.

– Je te vois demain, lança Ludovic.

– Ouais, onze heures tapantes.

– Onze heures tapantes, répéta Ludovic.

Quand il sortit du restaurant, ses lèvres affichaient un sourire satisfait. Il ignorait totalement où cela mènerait et si ça mènerait même quelque part, mais il était curieux et pas mécontent d’avoir une chance de revoir ce charmant Mathieu.

Reflets et forces occultes

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Hétéro, romance, érotique, fantasy.

Résumé : Quand Romar trouve enfin le miroir magique qu’il a ramené de ses études, Line est surexcitée. Quand, au lieu de créer un simple double de lui-même, il se retrouve en dix versions aux caractères tous différents, elle rigole beaucoup moins. Mais c’est bien toujours lui, non ? C’est bien ce qu’il lui a dit : ces mains, ces sexes, ces lèvres qui s’emparent de son corps, c’est toujours lui ?

Reflets et forces occultes

D’un geste paresseux, Line étendit la main depuis le lit où elle se reposait pour caresser la pierre de Loamsdaün qui trônait sur la table de nuit. En réaction, l’objet fit sortir quelques fines branches qui s’enroulèrent autour de sa main, avant de se rétracter lentement. Line roula sur le dos, amusée, et étira son corps engourdi par les endorphines du sexe, avant de jeter un œil à son compagnon.

– Alors ? Tu le trouves ?

Romar leva les yeux de la malle qu’il était en train de vider, nu de l’autre côté de la pièce, sans perdre son expression concentrée.

– Non…

Il posa par terre une série de rouleaux au papier jauni et saisit un vieux sac de jute dont il examina le contenu.

Line s’étira, rêvassant.

Le logement de Romar était à l’image de son apprentissage : surchargé, plein de livres, de manuscrits, de fioles et d’objets tous plus curieux les uns que les autres. Certains étaient animés d’une vie propre, d’autres immobiles, mais dégageant une forte tension, d’autres encore invisibles aux non-initiés, mais son amant en parlait comme s’ils faisaient partie de leur environnement, ce qui l’amusait plus souvent que la surprenait. Par ennui, Line saisit la pierre de Loamsdaün à pleines mains et hoqueta de surprise quand celle-ci étendit ses branches jusqu’à les entourer autour de son corps et même en glisser une à l’orée de son sexe, caressant les fins poils clairs qui le dissimulaient. Elle se pinça les lèvres, attendant, mais l’intrusion qu’elle appréhendait ne se produisit pas, seules quelques branches restant accrochées à ses bras, sa taille et son cou. Elle contempla l’objet qui reposait au creux de ses paumes, s’interrogeant sur la manière dont Romar et elle pourraient l’utiliser dans leurs rapports sexuels. Ils avaient déjà testé un bon nombre d’artefacts, de techniques et de potions que son compagnon rapportait régulièrement de ses études, mais pas encore celui-ci. Parfois, elle se demandait comment réagiraient ses professeurs s’ils apprenaient l’usage qu’ils en faisaient dans l’intimité… Mal, sans hésitation. Les sanctions auxquelles ils s’exposaient, en particulier, l’interrogeaient. Lorsque la pierre de Loamsdaün fit sortir une nouvelle branche dont l’extrémité se dirigea vers sa bouche, Line ouvrit ses lèvres pour l’accueillir, mais fut prise d’hilarité en la sentant entrer dans sa narine. Mauvais endroit ! Elle la reposa sur la table de nuit, tandis que ses fines branches la relâchaient progressivement.

Une exclamation de victoire émana de Romar.

– Ah !

Le corps redressé, il tenait un miroir, dont le cadre d’un bleu luisant n’était guère plus grand que les livres de la pièce, et sur lequel sinuaient des nervures, comme d’infimes serpents se mouvant les uns à la suite des autres.

– C’est celui-ci.

Line se mit à quatre pattes sur le lit, sautillant d’excitation.

– Alors ! Alors !

Romar lui adressa un regard rieur.

– Bon, on va dire que je vais y arriver, hein ?

Un large sourire étira les lèvres de Line. Celui-ci se dissipa toutefois alors que Romar commençait à réciter ses formules, parce que l’air se chargea d’une tension qui, si elle lui était habituelle, lui faisait à chaque fois prendre conscience de la puissance des forces avec lesquelles ils s’amusaient. Jeu dangereux. Les cheveux et les poils du corps de son amant se redressèrent et la brume qu’elle savait être associée à l’appel des forces occultes se leva, engloutissant peu à peu son image dans une opacité blanche. Elle ferma les paupières.

Au bout de quelques minutes, comme la voix de Romar se tut, elle rouvrit les yeux. Lentement, le nuage qui avait envahi tout l’espace commença à s’effacer.

Lorsque apparurent non pas deux silhouettes, soit celles de Romar et de son reflet, comme il le lui avait prédit, mais près d’une dizaine, elle se recula sur le matelas, paniquée.

– Euh… Romar ?

– Oui ?

Misère, ils avaient été au moins quatre à répondre en même temps ! Elle s’adossa à la tête de lit, serrant ses pieds l’un contre l’autre et ses genoux sur sa poitrine en attendant que la brume se dissipe. Dès que celle-ci permit de distinguer les visages des hommes qui se trouvaient face à elle, ceux-ci se mirent à parler :

– On ne devait pas être juste deux ?

– Non, mais tu n’as pas lu la formule comme il le faut, ce n’est pas possible !

Et trois Romar s’arrachaient le miroir, quatre autres parlaient ensemble, deux se disputaient… Et Line chercha, parmi tous ces hommes, lequel pouvait bien être son véritable amant. Elle remarqua alors des différences : s’ils étaient tous identiques sur le plan physique, des distinctions pouvaient se voir dans leurs regards, dans leurs attitudes, comme si chaque facette du caractère de son compagnon avait été séparée des autres de sorte que ses répliques en avaient chacune hérité d’un différent. Elle les observa attentivement. L’un semblait doux et apaisant, un autre distant, un autre plus rieur, un autre possessif… Elle détailla les expressions de chacun, essayant de reconnaître celle qui, de toutes, présentait suffisamment de variétés pour lui permettre de retrouver qui était son amant, mais bloqua sur l’un des hommes qu’elle remarqua adossé au mur tout au fond de la pièce, à l’écart des autres et dont le regard sombre l’inquiéta autant que l’intrigua.

– Line.

Ce fut le Romar rieur qui s’avança le premier sur le lit.

– Ça ne te va pas ?

– Euh…

C’est qu’ils étaient un petit peu nombreux, quand même, hein ? Et puis il y en avait certains, elle ne savait pas vraiment comment ils pouvaient agir ! Mais le sourire avec lequel le Romar qui la surplombait tira sur ses jambes pour la rallonger sur le matelas était celui qui la faisait le plus craquer chez lui. Troublée, elle savoura les lèvres qui capturèrent les siennes et resserra ses bras autour de son cou lorsqu’il s’allongea sur son corps.

– Eh oh, ne garde pas tout pour toi !

Le Romar rieur adressa un regard très amusé à l’autre homme qui s’assit à ce moment-là à côté d’eux, et Line retint un geste de recul en en voyant deux autres faire de même. Un Romar au regard doux glissa la main dans ses cheveux et approcha sa bouche de son oreille.

– Eh, Line, chuchota-t-il : c’est moi. Qui que ce soit autour de toi, c’est toujours moi…

– Romar ? l’interrogea-t-elle.

Mais, s’il répondit « oui » avec un sourire chaleureux, cela ne lui permit pas de distinguer s’il s’agissait de son véritable amant : n’importe lequel de ses reflets lui aurait dit la même chose. Elle examina ses gestes, cherchant à déterminer s’il agissait en tant que gaucher ou en tant que droitier, mais en fut incapable. Elle s’attarda alors sur son visage. Romar ne lui avait pas dit si son double se présenterait selon une vision opposée à la sienne, comme dans un miroir, et rien ne lui apparaissait comme différent, physiquement, de l’homme qu’elle aimait.

D’autres corps se rapprochèrent d’elle et elle frissonna quand une bouche timide se posa dans son cou, frémit quand une autre plus avide aspira la pointe de l’un de ses seins et se tendit quand une main dure et possessive s’empara de son entrejambe. En voyant un sexe s’approcher de ses lèvres, elle leva les yeux pour essayer d’apercevoir l’expression de l’homme auquel il appartenait, mais n’en eut pas le temps et songea à ce que le Romar qui avait chuchoté à son oreille lui avait dit : « c’est moi », « c’est toujours moi ». Les paupières closes, elle laissa alors cette chair chaude envahir sa bouche, glisser entre ses lèvres et s’enfoncer dans l’espace qu’elle lui offrit.

– Line…

Elle ne sut lequel de ces hommes soupira son nom, mais ne s’en soucia pas. N’était-ce pas Romar, à chaque fois ? En réalité, elle peinait à le définir, incapable de savoir si elle avait encore un rapport sexuel avec un homme qu’elle connaissait ou si seuls des inconnus l’entouraient. La séparation de leurs caractères, surtout, la perturbait. Romar ne lui avait-il pas dit qu’il ne ferait que créer un double de lui ? Ne devrait-il pas être exactement à son image ? Les mains qui se pressaient sur elle ne lui laissaient guère la possibilité de réfléchir, la verge qui s’enfonçait dans sa bouche gardait captive sa conscience et, au moment où un doigt s’introduisit dans son sexe, elle perçut une excitation si forte, à être ainsi l’objet du désir de tous ces hommes, que toute autre considération que celle de la chair apparut subsidiaire. De plaisir, alors que des mains écartaient plus largement ses cuisses et qu’un autre doigt s’insinuait en elle, elle aspira plus fort le membre à l’intérieur de sa bouche, provoquant un soupir qui se mêla aux souffles chauds qui naviguaient autour d’elle.

Puis une main agrippa ses cheveux, la faisant échapper la hampe qu’elle suçait jusque-là pour tourner la tête de l’autre côté et elle en découvrit une autre se présentant à elle. La même, ou la même forme, la même couleur, le même aspect, sinon non encore recouverte de salive, prête à réclamer son dû. Elle releva les yeux. Un Romar dominant la surplombait, son regard comme possessif, mais pas pour autant aussi sombre que l’homme qu’elle avait vu au fond de la pièce et qui, lui semblait-il, ne les avait pas encore rejoints. Elle n’eut la possibilité de le vérifier. La poigne sur ses cheveux était solide et le Romar qui la tenait poussa à ce moment sa verge dans sa bouche, ne s’arrêtant qu’une fois parvenu à sa gorge.

Elle garda les lèvres ouvertes alors qu’il faisait des va-et-vient en elle, consciente de s’offrir à des envies que son homme ne lui exprimait pas, généralement. Toutes les attentions dont elle faisait l’objet, les plus douces comme les plus rudes, l’excitaient profondément.

– Tu aimes ? demanda l’homme ayant pris possession de sa bouche.

Sa voix était chaude et exigeante, comme parfois l’était celle de son amant, mais de manière moins marquée. Sentir qu’il possédait cette part-là en lui-même la surprenait. Lui plaisait. Éveillait en elle des désirs trop obscurs pour qu’elle se soit allée précédemment à les lui exprimer.

– Que je baise ta bouche, précisa-t-il.

Elle ne put répondre, à aucun instant la verge dure ne cessant de faire des va-et-vient entre ses lèvres, mais elle perçut son excitation monter sous ses paroles. Peut-être devrait-elle le dire plus tard à Romar : l’effet que lui faisait cette part possessive, en lui.

Lorsqu’un troisième doigt s’ajouta à ceux qui allaient et venaient déjà en elle, elle se tendit et seuls les baisers tendres qui parcoururent sa cuisse lui permirent de rester calme. Elle se sentait désormais entièrement ouverte, comme si un sexe épais la pénétrait, et n’entendit que dans un brouillard de confusion l’altercation qui se déroula en bas du lit.

– Moi.

– Non moi d’abord.

– Toi, laisse la place.

Pour elle, ce fut sans importance : quel que soit le premier comblant l’espace offert entre ses cuisses, ne serait-ce pas toujours Romar ? Et tous la voudraient, de toute façon. La perspective l’attirait autant qu’elle l’effrayait. L’homme qui prenait sa bouche se fit éjecter au profit d’un autre corps qui y revendiqua aussitôt sa place. À son tour, elle l’accueillit en elle. Un autre attrapa sa main pour enrouler ses doigts autour de son propre membre, s’y mouvant de lui-même tandis qu’un autre faisait de même de l’autre côté. Toutes les sollicitations auxquelles elle était soumise l’empêchaient d’être active, mais ça n’avait pas d’importance. Elle était à Romar, comme il était à elle. Qu’il prenne son corps autant et comment il le voulait puisque tout en elle lui appartenait.

Des bouches se succédaient sur sa peau, des langues, des baisers, des morsures, des poignes solides, des doigts dans sa chair et des sexes qui, progressivement, prenaient possession de tous les espaces de son corps et qui, aussi nombreux qu’ils puissent être exploités, resteraient insuffisants pour tous les satisfaire.

D’un coup, ses reins furent soulevés et une verge entra en elle. Elle gémit, malgré celle qui entravait sa voix. Des déhanchements suivirent, puissants. Elle ferma fortement les paupières, prise dans le plaisir qui la traversa. Son bas-ventre se mit à la chauffer alors que d’infimes piques s’évadaient vers ses aines et le haut de son buste. Des mains se pressèrent sur ses hanches, ses seins, ses fesses, serrant ses hanches et pliant ses genoux pour l’offrir plus intensément à la hampe qui s’enfonçait en elle. Puis il s’opéra une rotation curieuse : une verge sortit de ses lèvres, une autre lui succéda, les chairs qui emplissaient ses mains la quittèrent dans des entrelacs de membres avant qu’elles soient remplacées, et même les coups de reins qui la comblaient devinrent différents, plus lents parfois et, à d’autres moments, plus raides.

Petit à petit, elle perdit le fil de tous les corps et sexes qui se succédèrent, qui pénétrèrent sa bouche, qui sondèrent son bas-ventre, qui prirent le relai entre ses doigts…

Enfin, elle le savait, cela arriva. Plusieurs mains la soulevèrent, la positionnèrent à quatre pattes, un corps chaud sous elle, et d’autres — plein — qui continuèrent à la caresser, à embrasser chaque recoin de sa peau, à câliner tendrement son crâne d’un côté et à baiser avidement sa bouche de l’autre, à frotter leurs sexes sur sa joue, ses seins, ses bras, ses mains… Ces chairs toutes connues, toutes embrassées tant de fois, toutes aimées, et toutes comme inhabituelles, pourtant.

Aucun ne retourna à ce moment entre ses cuisses. Elle savait parfaitement pourquoi. Son amant ne s’intéressait que rarement à cet acte, mais qu’en était-il pour une part plus particulière de lui-même ?…

La poigne dure qui appuya sur ses reins lui apporta une réponse, l’échauffant autant que lui faisant appréhender ce qui allait suivre. Elle profita de l’accalmie qui fut offerte à sa bouche pour tourner le visage et découvrir celui qu’elle attendait : l’homme au regard sombre, dur et chaud, où semblait se refléter tout ce qu’il y avait d’obscur en son amant.

– Romar ? souffla-t-elle, dans le besoin de savoir s’il s’agissait toujours de lui.

– Oui, confirma-t-il d’une voix rauque.

Oui. C’était ce qu’elle attendait.

Elle inclina les reins, frissonnante, et sentit déjà son sexe plonger dans son entrejambe trempé, en ressortir lubrifié pour… oui… pousser là où aucun, encore, de ces autres hommes ne l’avait pénétrée. Et l’ouvrir lentement sur son passage.

La longue intrusion la fit se raidir et elle apprécia les baisers qui se posèrent sur son cou, les caresses sur sa chevelure et les regards aimants qu’elle discerna autour d’elle.

– Line…

Un murmure commun, issu de plusieurs voix, prononcé par elle ne savait exactement lesquels d’entre eux.

Les mains dures de l’homme qui l’avait pénétrée passèrent sur ses hanches, ses reins, son flanc, sa nuque, avant d’agripper finalement ses cheveux. D’un coup, il me mit à faire des va-et-vient, longs et puissants, qui la firent haleter. Les autres ne la délaissèrent pas pour autant. Les uns après les autres, ils reprirent possession de sa bouche, de ses mains, d’elle dans son entièreté… Puis l’homme qui était allongé sous elle chercha à retourner dans son vagin et elle se crispa en réaction. C’était trop à la fois, elle ne pourrait le soutenir, mais aucun d’eux n’eut pitié d’elle et, d’abord l’un dans l’humidité de son entrejambe, puis l’autre dans son orifice le plus intime, ils s’emparèrent des espaces qu’elle leur donnait, ne s’y trouvant jamais en même temps, alternant leurs passages, jusqu’à ce que peu à peu, son corps s’étire tellement et qu’elle soit tellement leur, et qu’elle soit tellement prête, que, d’un geste en parfait accord, ils y entrèrent enfin tous deux. Alors, elle se sentit offerte à son amant de toute son âme, de tout son corps, de toute sa peau, et du moindre de ses orifices.

De puissants déhanchements suivirent, l’ensorcelant et la comblant aussi profondément qu’elle se sentait aimée, choyée, et que le plaisir grondait dans son ventre, et que des lames de feu parcouraient tout son corps.

Elle finit en criant, geignant, gémissant, la jouissance la mettant plus encore à nu qu’elle ne l’était déjà, alors que les corps qui l’entouraient continuaient à prendre ce qu’ils voulaient en elle. Ne la laissant pas se reposer, réclamant encore, encore.

Encore.

***

– Line ?

Elle parvenait à peine à reprendre ses esprits lorsque Romar, le seul et celui en qui se concentraient toutes les facettes qu’elle aimait, se pencha sur elle. Une brume fine planait encore dans la pièce. Le miroir était abandonné, plus loin. Elle le fixant, elle constata qu’il était brisé en plusieurs morceaux, peut-être une dizaine, comme les hommes qui l’avaient entourée…

– Ça va ? Ça n’a pas marché, c’est ça ? Qu’est-ce qui t’arrive ?

Elle le regarda avec incrédulité.

– Ne me dis pas que tu ne te souviens pas.

– Euh… Si : j’ai récité la formule, les forces se sont réveillées, mais…

Il s’arrêta. Une expression de stupeur venait de s’afficher sur son visage. Line vit distinctement son regard passer sur son corps, détaillant les substances corporelles qui le parsemaient.

– Line ?

Elle eut un rire idiot et rassembla le peu de forces qui lui restaient — pas grand-chose, vraiment pas grand-chose — pour essayer de se redresser, mais en fut incapable et retomba sur le lit.

– Mais, enfin, c’est toi. Juste… plein de toi. Vraiment, tu ne te rappelles de rien ?

Ce que disait Romar confirmait ce dont elle avait eu le sentiment auparavant : qu’aucun, parmi les hommes qui l’avaient entourée, n’avait été réellement son amant ; seules des fractions de lui. Seul l’ensemble de ces êtres avait constitué son véritable lui.

– Non, confirma-t-il. Mais alors, si j’ai été exclu de ce qui s’est passé, j’ai…

Il la fixa avec interrogation.

– J’ai été scindé ?

Elle hocha lentement la tête. Au moins, lui semblait avoir une idée de ce qu’il s’était passé. Romar s’assit à côté d’elle sur le lit, pensif.

– Bon, ce n’est pas grave. Ça veut juste dire que les souvenirs vont tous me revenir maintenant, avec les sensations associées et… oh ! s’exclama-t-il avec surprise.

Il tomba sur le dos, ses yeux écarquillés témoignant des premières images et des premiers retours de plaisir qui devaient parcourir son corps.

Elle le vit trembler.

Puis « oh ! » gémit-il alors qu’il se tendait brusquement. Et « oh ! », cria-t-il plus fort. « Oh ! », « Ha !!! ».

En le voyant jouir de tous ses orgasmes à la fois, Line ne put s’empêcher de pouffer et pressa son visage contre son cou dans un sourire, savourant son contact, unique, contre sa peau.

Sa propre normalité

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : M/F, sexualité de groupe.

Résumé : La première fois qu’elle a un rapport sexuel à trois, c’est sa première fois tout court, et elle songe déjà à quel point elle dévie de la normalité.

Sa propre normalité

La première fois qu’elle a un rapport sexuel à trois, c’est sa première fois tout court, et elle songe déjà à quel point elle dévie de la normalité. Elle se demande ce qu’en diraient Natacha et Stella, et surtout cette commère de Stéphanie, si elles savaient. Alors elle n’en parle pas et elle les laisse continuer à se lamenter sur son caractère effacé et à essayer à l’occasion de la « décoincer » en lui présentant divers garçons de son lycée. À chaque fois, elle se montre trop réservée pour laisser naître chez ces derniers le moindre espoir à son sujet, ce qui lui convient parfaitement. Elle a déjà Johan et, si elle préfère cacher sa relation avec lui de peur que les autres la salissent de leur curiosité, elle n’a besoin de personne d’autre pour se sentir heureuse.

La première fois qu’elle recommence, ils sont un de plus, et elle se rend compte qu’il s’agit déjà pour elle de sa propre normalité. Ils n’en ont jamais parlé auparavant avec Johan et ils ont eu raison de ne pas le faire. Pour lui comme elle, ça paraît juste simple, tout comme pour l’ami de Johan la fois précédente et ces deux-là maintenant. Aucun ne se pose d’ailleurs de questions et elle en fait autant. Elle est présente, elle a leur attention à tous, et leurs baisers sur le grain de sa peau suffisent amplement à lui engourdir l’esprit et à la faire se tendre vers chacun de leurs gestes. Certains penseraient, en la voyant ainsi, qu’elle est manipulée, qu’elle est trop jeune, qu’elle ne devrait pas se laisser traiter ainsi, mais elle ne trouve pas qu’elle « se laisse » ni même qu’elle est « traitée ». Et tous les qualificatifs que les gens ont tendance à attribuer aux filles comme elle ne lui semblent pas la concerner. Si elle reste silencieuse, ce n’est qu’un trait de sa personnalité et sa passivité ne vient que d’un manque d’habitude trop important pour lui permettre de prendre des initiatives. Mais elle se sent pourtant parfaitement à sa place, entre eux trois. Et puis, ils sont gentils ces garçons qui l’entourent. Leurs bouches sont chaudes et ils lui sourient, et leurs mains passent tendrement dans sa chevelure et ils lui disent qu’elle est belle, elle qui s’est toujours trouvée insipide, et ils s’intéressent tous à elle, elle qui s’est toujours cachée dans l’ombre des autres. Et lorsque c’est fini, ils recommencent à s’attrouper autour de la table basse pour décapsuler des bières et bavarder de tout sauf de ce qu’il vient de se passer, mais ils la traitent encore comme une reine. Quant aux baisers amoureux de Johan dans son cou, elle a le sentiment que rien de plus doux ne pourrait lui arriver en ce monde.

La première fois qu’elle entre dans un club échangiste, il y a déjà quelque temps qu’elle n’est plus avec Johan, et c’est un autre homme, Philippe, qui l’accompagne. Elle a pris l’habitude d’aller d’un bras à l’autre. Lorsque son histoire avec Johan se termine, elle se retrouve naturellement chez l’un des amis de celui-ci. D’abord. Puis d’autres se succèdent. Étienne la présente à Adrien, Adrien à Fabienne et, au gré de leurs soirées, à tous les habitués de l’appartement du 23 rue Montgallet. Puis d’autres résidences, d’autres cercles le remplacent. Philippe n’est, lui aussi, qu’un bras autour duquel elle enroule le sien pour une période limitée. Elle prend le temps de saluer la gérante et répond poliment aux quelques questions que celle-ci lui pose, mais remarque rapidement une femme allongée sur une table. Contre elle, se presse un groupe d’hommes, l’un au niveau de son visage, un autre fermement installé entre ses cuisses, et les suivants sont trop nombreux autour pour qu’elle puisse voir plus en détail la scène, mais elle se sent cependant jalouse de ne pas être à la place de cette femme. Elle n’a jamais eu de rapport en tête à tête avec Philippe ; elle n’en verrait d’ailleurs pas l’intérêt. Le temps passant, elle s’est tellement habituée à ne jamais s’offrir à moins de deux hommes différents qu’elle n’imagine pas un instant vivre autrement sa sexualité. Elle finit par se détourner, appuie ses avant-bras sur le comptoir du bar pour commander une boisson, et laisse Philippe se faire séduire par une belle quarantenaire. Elle-même scrute les invités l’entourant, en attendant. Bientôt, elle le sait, ce sera elle qui sera allongée sur le dos, un sexe dans sa bouche, un autre entre ses jambes et, si elle sait se montrer invitante, deux autres entre ses mains. Et elle oubliera très vite de s’amuser à compter tous ceux qui la désireront.

La première fois qu’elle revoit Johan après toutes ces années, c’est sur le pas de sa porte. Il n’a que légèrement changé. Ses traits ont mûri, l’angle de sa mâchoire est devenu plus prononcé, mais le charme qui se dégage de son sourire gêné lui apparaît plus adorable encore que dans ses souvenirs. Elle lui offre une bière et tous deux s’asseyent sur son canapé, elle ses jambes repliées sous elle comme elle le faisait souvent quand ils étaient lycéens, lui une main perdue dans les mèches rebelles qui bouclent sur son front.

Et ils parlent des années passées.

Ils racontent tout ce qu’ils sont devenus, les amis, la famille, le travail, et ne peuvent rapidement plus cesser d’être curieux l’un envers l’autre, mais n’abordent à aucun moment le chapitre de leur vie sexuelle. Curieusement. Ou non. Elle ne se pose que brièvement la question, incapable de savoir qu’en penser. Puis, lorsqu’un silence se fait finalement entre eux et se prolonge, rien ne lui semble plus naturel que de rester ainsi, à se regarder tous deux et à se sourire. Et lorsque Johan se penche lentement vers elle, elle ferme les yeux et s’avance imperceptiblement vers lui. Leur baiser est lent, si lent qu’elle ne pense plus à quoi que ce soit d’autre qu’à la sensation unique de sa bouche sur la sienne. Ses mains sur elle sont chaudes, les mouvements avec lesquels il fait descendre sa jupe merveilleusement doux, comme s’ils ne s’étaient jamais éloignés l’un de l’autre. Comme s’ils étaient restés tout le temps amoureux. Et son esprit est tellement plein de lui et de sa présence, et de ses baisers sur sa peau, et de son odeur, et du poids de son corps sur le sien, qu’elle ne réalise même pas quand sa bière se renverse au sol et se répand sur le tapis de son salon.

Seulement, après, lorsqu’ils sont tous deux allongés l’un sur l’autre, sa chemise à lui trempée par la bière déversée au sol, sa culotte à elle juchée sur le haut du dossier du canapé, elle songe qu’ils viennent d’avoir un rapport sexuel à deux seulement et que ça aussi, avec Johan, ça lui a finalement semblé complètement naturel.

Et que c’était la première fois.

Expérience vidéoludique

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Bi, M/M/F, SF, trio.

Résumé : Lorsqu’Ixe, joueur ultramédiatisé d’un sport violent de son époque, entre dans une maison close, tout ce dont il a envie est d’oublier un moment ce qui fait son existence.

Expérience vidéoludique

– Ixe, enregistra l’hôtesse, derrière son écran d’ordinateur suspendu.

Le joueur acquiesça. Il prit appui du coude sur le comptoir d’accueil tandis que la femme pianotait rapidement sur son clavier. À l’extérieur du bâtiment, la lumière du soleil brillait vivement, mais celle intérieure était passée en mode « crépuscule », teintant les murs d’un bleu tirant sur le violet.

– Sous quel mode désirez-vous participer ? poursuivit son interlocutrice.

Pehène lui avait expliqué les différentes options : la payante qui lui permettrait de choisir qui il voulait comme partenaire parmi les employés de l’établissement, et son opposée qui le plaçait, lui, temporairement dans la position du « prestataire de services » — Ixe adorait l’expression — et lui permettait une séance gratuite, mais moyennant le fait qu’il se laisse choisir par un client. Et puis il y avait la troisième : la vidéoludique, qui n’était proposée que très rarement et combinait les deux options précédentes dans la mesure où il pouvait coucher avec des membres de l’établissement, mais à condition que ce soit ceux-ci qui le choisissent, lui et les pratiques associées. Dans ce cas, les clients étaient directement les abonnés à la chaîne, la séance y étant retransmise intégralement. Prostitution ou pornographie, donc.

L’hôtesse effectua quelques calculs rapides sur son écran.

– Étant donné votre notoriété, je vous propose la vidéoludique. Votre côte est d’un pour mille ! Ce qui veut dire que…

Ixe l’écouta distraitement. Il tourna la tête vers la femme qui observait leur conversation, plus loin, le pied posé contre le mur derrière elle. Elle portait une robe fendue sur le côté dont l’ouverture montait jusqu’au-dessus de son aine. Un grand homme, vêtu d’un justaucorps matelassé et d’un pantalon large porté bas sur les hanches, s’arrêta devant elle. Ils échangèrent quelques mots à voix basse avant de tourner leurs visages en même temps vers Ixe.

Le joueur sourit, amusé par l’évidence de leur intérêt.

– Va pour la vidéoludique, alors.

Qui moins que lui avait besoin d’argent ? Cependant, la perspective de faire s’étrangler de colère son entraîneur en s’offrant à son public ainsi lui apparaissait comme merveilleusement divertissante, et n’était-il pas justement là pour cela ? Quant à se faire filmer, il en avait suffisamment l’habitude, avec les courses de discball et ces insupportables caméras volantes qui le poursuivaient jusque dans les vestiaires, après les matchs, dans l’infirmerie, dans les entraînements, les meetings, soit dans quatre-vingt-dix pour cent de son existence. Il avait déjà tant montré de lui, que pouvait bien lui importer d’afficher aussi ses fesses ? L’hôtesse avait raison : en plus de le voir régulièrement se massacrer réciproquement avec les autres joueurs, au sens figuré comme au sens propre, le public adorerait le voir se faire baiser.

Ixe sourit quand la femme à la jupe fendue se décolla du mur pour s’approcher de lui en une démarche invitante. Elle avait une longue chevelure noire et un tatouage en forme de Yi-King qui lui descendait du dessous de l’œil jusqu’au milieu de la joue.

– On joue ? lui susurra-t-elle en s’appuyant paresseusement sur le comptoir de l’accueil.

Sous la soie bleue de sa robe, se devinait une chute de reins plongeante. Quant à sa façon de taquiner son index de la pointe de ses dents, Ixe en adora le caractère mutin. Il laissa tomber son visage sur le côté, étirant les lèvres avec amusement.

– Avec plaisir.

Il constata ensuite l’arrivée de l’homme au justaucorps de cuir, qui vint se caler juste de l’autre côté de lui, un peu trop près pour que son geste soit anodin. Leur carnation était typique des habitants de Centrale : ambrée, conséquence de siècles de mélanges ethniques, quand celle d’Ixe affichait la pâleur de la population de la périphérie dont il était issu. Ce dernier savoura le fait d’être ainsi désiré par ceux qui, habituellement, se faisaient acheter.

– Petit joueur de discball a envie de se mêler aux oubliés de la société ? ironisa l’homme.

– Petit joueur de discball a juste envie de s’envoyer en l’air, rit Ixe. C’est que les moments de détente ne sont pas ce que je pratique le plus souvent.

Malgré son ton badin, il savait au fond de lui qu’il en avait juste marre. Marre d’être en représentation constante. Marre de ces fans qui l’adulaient même lors de ses actes les plus répréhensibles. Marre de devoir toujours être ce que le public attendait de lui. Ils le faisaient chier, tous.

– Sonja, se présenta la prostituée.

– Ixe.

Sonja leva les yeux au ciel en éclatant de rire.

– Non, mais qui ne le sait pas ?

Puis elle se dirigea vers l’étage dans un clignement d’œil. L’homme, Mose, comme il se présenterait ensuite dans la cabine de désinfection précédant l’entrée dans la chambre, l’invita à les suivre dans un sourire.

Lorsqu’Ixe découvrit la pièce qui abriterait leurs ébats, sa grandeur fut le premier élément qu’il remarqua. La multitude d’écrans flottants fut le suivant. Il ne voyait s’activer que quelques caméras volantes, mais leur entrée à tous trois était reflétée sous tant d’angles différents que d’autres devaient truffer les divers recoins de la pièce. Dans l’angle supérieur des écrans, Ixe pouvait voir la montée déjà exponentielle des spectateurs se connectant. « Séduit le public », ne cessait de lui répéter son entraîneur. « Fais parler de toi », « crée l’intérêt autour de toi ». Montrer son cul ne faisait certainement pas partie des évènements auxquels songeait celui-ci, mais Ixe trouvait pour sa part délectable d’appliquer ainsi ses recommandations. La société voulait faire de son existence une téléréalité ? Il allait leur donner ce qu’ils voulaient. Mais selon un mode qui ne serait pas celui auquel ils s’attendaient.

D’un pas vers l’arrière, il se laissa plaquer contre le montant du lit à baldaquin quand Sonja s’agenouilla devant lui pour lui défaire son pantalon. Une main passa dans ses cheveux, s’y agrippa, lui fit tourner la tête. Son regard pâle plongea dans deux yeux noirs dans lesquels l’amusement se confondait avec un appétit clairement palpable. Le beau Mose voulait le posséder. Ixe inhala brusquement alors que la bouche de Sonja l’engloutissait d’un coup, mais celle de Mose se posa aussi vite sur la sienne. Le joueur ferma les paupières. Le compteur de spectateurs s’emballa si fortement qu’il n’était plus possible de voir que ses deux premiers chiffres, tant les suivants défilaient rapidement. Mose passa la main sur le torse du joueur, commençant à défaire lentement les attaches métalliques de sa chemise. Celui-ci haletait déjà, le plaisir de la bouche chaude léchant, enveloppant et aspirant son sexe se cumulant à l’excitation de la vision des différentes vidéos de la scène. Sonja avait des lèvres rouges, et les mèches ébène qui bouclaient joliment sur sa joue rehaussaient la beauté de la vue.

Mose écarta d’un coup les deux pans de la chemise d’Ixe, révélant son torse glabre et rayé de cicatrices. Ce dernier exhala alors que Sonja glissait une main derrière ses fesses. En la voyant parcourir leur rondeur, puis s’égarer plus loin entre elles, Mose souffla à l’oreille du joueur :

– C’est ce que tu veux ?

– Je croyais que ce n’était pas à moi de choisir le détail des évènements, se contenta de répondre Ixe, la respiration déjà un peu rapide à cause des caresses de Sonja.

L’expression du grand homme à la peau ambrée n’en fut que plus amusée. Il saisit le joueur par les épaules et le décolla du montant du lit pour l’y faire tomber, ce que ce dernier accepta avec complaisance. La jeune femme attrapa aussitôt le reste des vêtements d’Ixe pour finir de les lui retirer, le laissant seul nu dans la pièce, la pâleur de sa peau tranchant avec le noir des draps, et la clarté de sa chevelure s’y étalant. Une langue darda malicieusement entre les dents de la femme et elle grimpa à quatre pattes au-dessus de lui. De réflexe, Ixe remonta vers le haut du lit, prenant ses aises tout en savourant l’attitude féline avec laquelle elle le dominait. Les doigts de cette dernière passèrent lentement sur le torse du joueur, en éprouvant la douceur et suivant le liseré crémeux des cicatrices que ses années de discball lui avaient laissées. Lorsqu’il leva les mains pour caresser ses hanches, cette dernière les chassa d’une claque, souriant largement quand Mose se mit de la partie en s’asseyant plus haut pour saisir les poignets d’Ixe et les relever au-dessus de lui. Une fois qu’il fut maintenu ainsi, Sonja se mit à rire doucement.

– C’est vraiment ce que tu veux montrer à ton public ? s’amusa-t-elle.

– Peut-être…

Il n’avait pas la tête à y penser sérieusement. Son visage était faiblement tourné sur le côté, ses mèches tombant sur son front dans une image provocante. Tandis qu’il observait Sonja, il se demanda quelle pouvait être son existence. La loi Boran avait institué le droit de chaque prostitué de choisir ses conditions de travail, mais il n’avait pas le sentiment que cela ait eu grande incidence sur leur situation. Quant à ce qu’elle pensait de lui, l’enviait-elle ? Autour d’eux, les écrans flottants faisaient toujours défiler à toute vitesse leurs compteurs de spectateurs. Ixe tendit les lèvres vers celles, rouges, qui se baissèrent vers lui. Doucement, elles se saisirent, leur surface rebondie ne se lâchant que pour revenir se prendre sous un autre angle. Quand Sonja releva finalement la tête, il souleva la sienne vers son cou, lui mordillant la peau.

Mose choisit cet instant pour resserrer les mains sur ses poignets et se pencher à l’envers sur son visage. Lentement, les lèvres de ce dernier prirent les siennes tandis que Sonja descendait sur son torse, faisant frissonner sa peau sur son passage. La poigne de Mose était forte. Ixe appréciait. Les longs doigts de Sonja parcoururent ses bourses, dures, et la chair fine de sa hampe. Lorsqu’elle enroula sa paume autour de cette dernière pour l’y faire glisser, Ixe se détacha des lèvres de Mose, sa nuque se raidissant sous le plaisir montant. Sonja sourit. Rapidement, elle se positionna à califourchon sur lui. Ixe ouvrit le regard, l’observant faire passer la soie bleue de sa robe au-dessus de sa tête. Deux petits seins aux pointes tendues en émergèrent. Un deuxième tatouage, identique au premier, s’étalait du dessous de l’un d’eux jusqu’au bord de son nombril. Sonja prit ensuite appui sur le ventre du joueur, en appréciant la fermeté des abdominaux, puis elle releva ses hanches pour enfourcher sa verge. Progressivement, elle la fit glisser en elle. Ixe se raidit de plaisir. Le sexe de la jeune femme était chaud et son sourire espiègle. Lorsqu’elle commença à se mouvoir, Ixe déplia sa nuque vers l’arrière, offrant sa courbe blanche à Mose qui s’empressa d’y poster la bouche, les lèvres, les dents. Puis le prostitué relâcha les poignets du joueur qui glissèrent par réflexe sur la taille de Sonja, ses doigts s’y resserrant.

– Laisse-le-moi, exigea enfin Mose.

– Pourquoi ? haleta la jeune femme en poursuivant ses longues montées et descentes sur ses cuisses.

Mose ne répondit pas, mais passa la main le long de la mâchoire d’Ixe, sur l’arrondi de ses lèvres, puis plus bas, le long des courbes de son torse pâle, de la dureté de son ventre… jusqu’à s’enrouler autour de la base de son sexe, bloquant Sonja dans ses mouvements. Elle fit la moue.

– Allez, pousse-toi ! rit Mose en se déplaçant pour la bousculer doucement.

La jeune femme lui claqua une main joueuse sur l’épaule.

– Eh !

Puis elle tapa un coup plus fort, mais Mose n’en rit que plus clairement, tout en ôtant rapidement son justaucorps de cuir, offrant à la vision des caméras et au reflet des écrans son torse massif. Dans son regard brillait le désir, le besoin de posséder. Ixe s’y égara un instant, ressentant à quel point il voulait lui-même cette perte de contrôle.

Les doigts de Mose glissèrent dans les cheveux d’Ixe. Ses cuisses puissantes encadrèrent les épaules de ce dernier. Son pantalon large se baissa. Son sexe se dressa, tendu, à l’orée des lèvres du joueur qui ne se fit pas prier pour en profiter. La main d’Ixe partit, se posa sur la fesse ferme en la poussant vers lui, et il ferma les paupières. Sonja escalada le dos de Mose en lui mordillant la nuque, curieuse du va-et-vient que faisait le sexe de son collègue à l’intérieur de la bouche du joueur.

– Affreux, ce que ça m’excite ! gémit-elle en se mordant la lèvre. Tu veux que je te le prépare ?

Tout à la fascination de son membre allant et venant entre ces deux chairs roses, Mose parvint à répondre. Sa main caressa doucement la joue d’Ixe.

– Oui.

Sonja bondit à côté du joueur. D’un coup, elle lécha langoureusement la joue de ce dernier, bifurquant au passage pour joindre sa bouche et remonter le long de la hampe qui s’y mouvait. Puis elle sauta, légère, au pied du lit et écarta les cuisses du jeune homme pour plonger les doigts entre ses fesses. De réflexe, le poing de ce dernier se resserra sur les draps noirs. Mose se releva avec un petit coup d’œil sur l’activité de sa partenaire. Il ôta son pantalon.

– Comment il est ?

– Serré. Juste comme tu aimes.

Puis elle se mit à genoux pour enduire largement ses doigts d’un produit lubrifiant. Ixe se raidit quand elle poussa au niveau de son endroit le plus intime. Durant quelques instants, Mose observa ces deux membres roses aller et venir dans le corps du joueur, la manière dont les abdominaux de ce dernier s’en contractaient et la vision fascinante de son visage détourné dont quelques mèches en bataille en rehaussaient la sensualité. Alors que Sonja donnait un petit coup de langue sur le bout du sexe de ce dernier, le corps d’Ixe eut un tressautement, le faisant rire. Il se redressa alors soudain pour enlacer Sonja en roulant sur lui-même dans le mouvement. Elle se retrouva sur le dos, Ixe la dominant avec un sourire amusé.

Puis doucement, celui-ci descendit sur son corps, embrassa les pointes roses de ses seins, y fit rouler ses doigts, baisa lentement chaque ligne de son tatouage, tandis que Mose s’emparait du pot de lubrifiant pour en enduire son sexe. Les minuscules caméras volantes de la pièce tournèrent, cherchèrent le bon angle. La langue d’Ixe pénétra entre les deux petites lèvres, lécha doucement. Sonja lâcha un miaulement retenu, ses doigts cherchant l’appui du matelas. Puis Mose, pesamment, posa les deux genoux derrière Ixe, baisa sa nuque, glissa les mains sous son ventre pour relever son bassin. Une fois les fesses de ce dernier juste à bonne hauteur, il plaça son membre dur à leur entrée et poussa longuement. Un souffle émana des lèvres d’Ixe. Son crâne s’enroula vers le matelas, faisant frôler ses mèches claires contre le drap. Plus vive qu’un chat, Sonja lui échappa, se retournant pour lui présenter son arrière-train. Durant un moment, elle regarda les deux hommes s’activer, les mouvements lents du bassin de Mose, ses cuisses qui se contractaient, le plaisir évident, massif, d’Ixe à chacune des poussées qui se faisaient en lui. Puis elle fit un clin d’œil à son partenaire et celui-ci saisit brusquement Ixe par les épaules, le redressant en le tirant vers lui. Enfin, Sonja recula pour s’empaler sur le sexe libéré de ce dernier.

Cette fois, Ixe gémit profondément. Les paupières fermées, il posa une main sur les hanches de Sonja, l’autre derrière lui, sur la tête de Mose qui dévorait son cou.

– Merde, haleta-t-il.

Il ne s’était pas attendu à une telle combinaison. Chacun des membres de ce trio était en train de perdre ses moyens : Sonja, pantelante, une main entre ses cuisses pour se caresser en accord avec ses mouvements de bassin. Mose dont la tête se tendait vers l’arrière, Ixe dont tout le corps était devenu tremblant, les muscles faibles et dont les gémissements s’envolaient sans plus aucune retenue dans la pièce.

Puis, lorsqu’il fut évident que ce dernier était sur le point de jouir, la voix de Sonja s’éleva.

– Mose ! l’avertit-elle, dans l’urgence.

– Oui.

Les mouvements de ce dernier se firent plus rapides, plus rapprochés, plus violents. Sonja se cala automatiquement sur son rythme, donnant de brusques coups de reins vers l’arrière exactement en même temps que Mose lançait ses hanches vers l’avant. Ixe perçut la jouissance monter, monter… Le visage de Sonja se plaqua contre le drap dans le plaisir, sa main se resserrant contre son clitoris tandis que son corps se contractait et soudain tout devint blanc. Le plaisir explosa. Ixe s’effondra sur elle tandis que les affres de la jouissance le dévoraient et que Mose continuait à aller et venir fortement en lui, cherchant son propre orgasme, majorant celui du joueur et, enfin… enfin, il les rejoignit en quelques mouvements non retenus.

Lorsqu’Ixe rouvrit les paupières, il était allongé sur le dos, le visage de Sonja sur sa poitrine et Mose accoudé à ses côtés, les yeux fixés sur les écrans flottants de la pièce.

– Regarde, dit ce dernier.

Les écrans s’étaient figés, cessant d’afficher les images de leurs ébats pour faire apparaître un total de chiffres dont plusieurs clignotaient en rouge. Ixe se rendit compte qu’il s’agissait du bilan du nombre de spectateurs et de la part réciproque que cette partie de jambe en l’air leur avait permis de remporter.

Il se sentit pris de vertige.

Connerie de la vie. Il venait de gagner plus d’argent en une heure qu’à chaque fois qu’il risquait sa peau dans un nouveau match de discball.

La femme de l’ombre

Autrice : Magena Suret.

Genres : Masturbation féminine, femme seule, soft.

Résumé : « Ce n’est pourtant pas la première fois que leurs projets sont contrariés. Elle est habituée à être la femme de l’ombre, à ne pas avoir la priorité. »

La femme de l'ombre

Alors que la porte se referme dans son dos, elle lâche sa valise au sol. Elle l’abandonne au milieu du passage, n’ayant aucune envie de la vider, puis l’enjambe pour aller découvrir sa chambre. Du regard, elle fait le tour de la pièce. C’est un lieu impersonnel, typique des hôtels. Il y a un bureau et une chaise pliante sous la fenêtre ; au mur est fixée une télévision. Et les lits jumeaux sont identiques, bordés de manière presque militaire. Dormir seule dans un grand lit lui paraissait insupportable quelques minutes auparavant quand elle avait demandé ce changement à la réception, toutefois elle doit réviser son jugement. L’impression d’être dans un dortoir est encore pire. Sa présence ici est censée lui faire oublier son quotidien, pas renforcer sa solitude.

Elle se retourne et s’agenouille pour ouvrir sa valise. Elle laisse ses doigts courir un instant sur ses tenues, effleurant les différentes étoffes. D’une poignée nerveuse, elle écarte le satin et la dentelle de sa lingerie puis attrape sa trousse de toilette. Dans la salle de bains, elle ôte ses vêtements, les laisse choir au sol. Un coup d’œil dans le miroir lui confirme ce qu’elle pressentait. Le regard fuyant des employés avait été une bonne indication sur sa mine défaite.

Malgré sa tentative de démaquillage dans les toilettes de l’aéroport, il lui reste des traces de mascara. Ses yeux sont bouffis des larmes qu’elle a versées en silence durant le vol. Ce n’est pourtant pas la première fois que leurs projets sont contrariés. Elle est habituée à être la femme de l’ombre, à ne pas avoir la priorité. Mais la raison de l’annulation de dernière minute la rend malade. Elle se souvient de leur conversation téléphonique, du moment de l’annonce, de la joie dans sa voix plus forte que le remords de la laisser partir seule. Un bébé. Elle ne peut pas lutter contre cette grossesse, le bonheur d’un couple.

Elle nettoie rageusement le contour de ses yeux, le faisant rougir pour effacer le noir, puis s’asperge le visage d’eau. Maintenant qu’elle est nue, elle n’a plus le courage de prendre sa douche. Elle est juste épuisée de son voyage et de sa déception. Elle dénoue ses cheveux, laissant ses boucles brunes retomber sur ses épaules et retourne dans la chambre. Elle a un regard désolé pour sa lingerie éparpillée au sol. Même s’il fait frais dans la pièce, elle préfère ne rien enfiler. Elle n’a pas envie d’être séduisante, elle n’a personne à charmer. Elle n’a pas plus envie de se glisser entre ces draps et s’allonge simplement sur le dessus de lit aux losanges horripilants. Les paupières à présent closes, elle ne peut s’empêcher de penser à ce qu’il se passerait si elle était accompagnée, des images s’incrustant dans son esprit.

Un corps assis près du sien, une main dans ses cheveux, une bouche dans son cou, des rires coquins et des mots d’amour susurrés. Elle sent sa gorge se serrer, l’idée la fait souffrir autant qu’elle échauffe ses sens. Elle tourne la tête vers la fenêtre, vers l’autre lit où l’absence devient cuisante. D’un doigt, elle descend de sa clavicule à la naissance de son décolleté, du côté de son cœur. Elle sent ses mamelons pointer ; la peau autour, tendue par la faible température de la pièce, la tiraille légèrement et lui donne l’impression qu’elle va se craqueler. Elle s’efforce d’oublier qu’elle s’inflige elle-même cet effleurement, imagine que c’est une autre main que la sienne qui prend son sein en coupe. Elle le masse doucement, égarant son pouce sur le sommet sensible. Elle se mord la lèvre, retenant un soupir. C’est peut-être le soleil qui tape contre la vitre ou son fantasme, toujours est-il que la tiédeur l’envahit.

Elle ne veut pas perdre cette sensation de tranquillité et repousse de toute sa volonté les doutes, se concentre sur l’étincelle que le désir éveille en elle. Sa main poursuit sa route, la faisant frissonner quand elle chatouille délicatement son flanc. Elle arrive à sa hanche, dessine la ligne au bas de son ventre, comme si elle se glissait sous l’élastique d’une culotte. Son sexe commence à s’humidifier, lui réclame une jouissance apaisante. Elle replie son genou gauche, espérant rencontrer un obstacle de chair sur le lit voisin. Elle refuse d’ouvrir les yeux quand elle ne fait que fendre l’air, elle n’a pas besoin de rompre sa digression en visualisant la réalité. Pour elle, il y a une autre personne qui n’attend que le bon moment pour venir écraser son corps de son poids. La jambe écartée, elle dirige ses doigts vers son intimité, recueille quelques gouttes de son excitation et s’amuse à taquiner ses lèvres gonflées par l’attente.

Son souffle se fait plus court, chargé d’élans de contentement et d’angoisse. Elle a envie de resserrer ses cuisses, d’interdire l’accès à ses doigts. Son esprit commence à se rebeller ; elle ne veut pas de ce bien-être solitaire et amer dont son corps se languit. Affirmant sa contradiction, elle place sa main droite sur son aine, fait pression pour rester ouverte. Tout comme on la forcerait à augmenter la puissance de sa satisfaction plutôt que de la brimer. Elle se résigne, accepte de soulager, ne serait-ce que physiquement, sa peine. Son index droit rejoint son clitoris déjà érigé ; elle reçoit une décharge de plaisir au premier cercle qu’elle dessine au-dessus. De son autre main, elle taquine son entrée humide, plonge doucement ses appendices pour caresser sa paroi intérieure.

L’agréable enivrement efface finalement la froide réalité. Dans son imaginaire, ce n’est plus elle qui se masturbe. Ce sont d’autres membres qui la pénètrent, une langue gourmande qui la déguste et lui fait tourner la tête. Elle, si réticente au départ, n’aspire plus qu’à se libérer rapidement. Ses mouvements se font plus rapides et imprécis à mesure que ses hanches se soulèvent et s’écrasent contre le matelas sous elle. Elle sent cet embrasement dans ses entrailles, recherche l’instant du ravissement. Soudain, elle se cambre légèrement, suspend tous ses gestes. Elle retient un gémissement entre ses dents et se régale de cette délicieuse brûlure qui semble se répandre à travers son corps. Elle accueille l’orgasme et la torpeur qu’il entraîne avec bienveillance. Elle sait que cela ne durera pas. Cette sensation est toujours trop brève, pourtant elle veut la mettre à profit pour céder à la somnolence.

Comme elle s’en doutait, le flottement est vite interrompu. D’abord par la chair de poule qui recouvre sa peau déjà refroidie, puis par la mélodie de son téléphone. Elle se lève à regret et fouille dans son sac pour répondre.

« Marie ? »

Le ton est tendre. Elle sent ses larmes se former. Simplement l’entendre prononcer son prénom lui provoque un bouleversement. C’est doux et violent à la fois.

« Tu es fâchée ?

— Non, assure-t-elle, bien sûr que non.

— Tu sais que ça ne changera rien entre nous. »

Elle a un rire déçu. Évidemment que tout va changer. Cela leur était déjà difficile de se voir ailleurs que sur leur lieu de travail, un bébé à naître ne fera que compliquer leur situation. L’enfant aura la priorité. Sur son couple et sur elle. Elle ne peut pourtant pas lui reprocher de préférer cette vie, de privilégier sa famille. En revanche, elle lui en veut de la bercer d’illusions. Leur histoire n’a pas d’avenir. Elle n’en a jamais eu et n’en aura jamais.

« Je crois, commence-t-elle, qu’être ta maîtresse ne me suffit plus.

— Marie, on en a déjà parlé. Tu ne peux pas me demander de choisir.

— C’est ma décision. Même si ça me déchire le cœur, c’est mieux pour nous deux.

— Non, c’est juste un contretemps. À ton retour, on…

— Félicitations pour ton bébé, Audrey. »

Elle raccroche tant qu’elle a encore de la volonté. Il vaut vraiment mieux qu’elles cessent dès maintenant. Elle ne supportera pas de voir ce ventre s’arrondir de jour en jour, de savoir qu’elle a été incapable de combler chaque désir de la femme qu’elle aime. La distance est la meilleure solution, elle peut se faire muter dans un autre établissement pour la rentrée. Audrey aura sa famille pour se consoler. Dans quelques années, elle ne songera à elle que comme une parenthèse dans vie. Quant à elle, elle espère avoir tiré les leçons de sa tristesse. La prochaine fois qu’elle aimera, ce sera à la lumière du jour.

Encore

Encore

La porte claqua contre le mur, alors que les lèvres de Colin se trouvaient sur les siennes et ses mains sous son t-shirt.

Victor chercha un appui sur le rebord du meuble de cuisine attenant, faisant chuter le porte-clés qui s’y trouvait tandis que Colin refermait d’un coup de pied la porte de son appartement. À aucun moment, leurs bouches ne se quittèrent. Son t-shirt fut enlevé d’un geste empressé, tomba au sol, les lèvres de Colin se retrouvèrent contre sa clavicule. Victor tendit la tête en arrière, pantelant, et crispa les doigts sur les épaules de Colin. En le sentant descendre pour embrasser son torse, il frémit, résista à le pousser plus bas avec ses mains, vu mille images de Colin avec son sexe entre ses lèvres… Iraient-ils jusque-là ? Alors qu’ils traversaient la ville dans sa voiture, Colin lui avait avoué qu’il se doutait depuis un moment de son homosexualité. Il en avait même parlé avec d’autres joueurs. Victor n’avait su qu’en penser. Alors que ses tétons se faisaient aspirer l’un après l’autre, il haleta.

D’après ce que Colin lui avait dit, ce n’était pas tout à fait sa première fois. Il avait déjà eu quelques expériences penchant du côté de l’homosexualité, mais jamais abouties : du voyeurisme, surtout. Une fois, un autre type qu’il avait laissé le sucer, rien de plus. Victor se demandait, si les deux autres joueurs n’étaient pas entrés dans la douche, s’il se serait contenté de ça : décharger dans sa bouche, et puis plus rien. Mais Colin l’avait embrassé, caressé, fait jouir, et manifestait désormais le désir de le pénétrer. Pourquoi lui ? Il ne le savait pas. Colin était l’archétype de l’hétéro curieux : le genre de type à satisfaire une curiosité tout en sachant qu’il n’irait jamais plus loin. Il en avait déjà connu des comme ça. Sur le moment, il s’en moquait pourtant : qu’il se serve de lui, s’il le voulait. Il le désirait tellement qu’il s’en foutait totalement.

Il accueillit le retour des lèvres de Colin sur les siennes avec envie. Celui-ci ne le prendrait donc pas dans sa bouche, il s’en était douté.

Avec empressement, il lui retira à son tour ses vêtements, se laissa pousser plus loin dans la pièce, butant contre la table de la cuisine. Lorsque Colin l’y retourna, il ne fit rien pour retenir ses gestes, s’agrippant simplement au meuble de bois, et il se crispa quand son pantalon fut descendu. Il entendit le bruit qu’il espérait, celui qui annonçait la suite à venir : la fermeture éclair du jean de Colin, et qui lui parut être le son le plus érotique qui pouvait parvenir à ses oreilles. Puis il sentit sa verge, si dure, si ferme, entre ses fesses. L’excitait-il à ce point pour qu’il veuille si vite le pénétrer ? Était-ce dû à ce qu’il avait vu dans les douches ? Le voir se faire posséder par ces autres joueurs lui avait-il tant plu ?

Le sexe de Colin frotta contre ses muscles, glissant entre ses lobes de chair, stimulant à chaque passage l’entrée fine de son corps, celle dans laquelle Victor voulait tant qu’il se glisse. Sa voix grave s’éleva :

– Tu en as envie ?

En réponse, Victor poussa des fesses contre lui, tremblant.

– Oui.

Mais Colin ne le pénétra pas pour autant. Seulement continua-t-il à se masturber entre ses fesses, les pétrissant et les resserrant contre son sexe. Puis il s’arrêta enfin et étira ses muscles de manière à dégager son orifice.

Victor lâcha une brusque expiration. Il voulait le sentir en lui. Il le voulait si fort.

– Là ?

– Oui, souffla Victor. Oui, là.

L’excitation rendait son souffle erratique et sa respiration laborieuse.

Alors, Colin écarta plus encore sa chair et s’enfonça en lui. Victor se raidit. La sensation de sa verge l’emplissant l’excita si fortement qu’il fut comme proche de jouir. De réflexe, il retira l’une des mains avec laquelle il se tenait à la table et la glissa devant ses cuisses. En enserrant son membre, il tourna toutefois la tête vers Colin. Celui-ci acquiesça.

– Tu peux, lui confirma-t-il, comme s’il avait compris la question silencieuse qu’il lui adressait du regard.

Puis il se recula et, lorsqu’il s’enfonça de nouveau en lui, Victor lâcha un profond gémissement. Il avait fantasmé sur plusieurs de ses coéquipiers, mais avec aucun d’autre autant qu’avec Colin. Il avait désiré sa chair en lui, ses coups de reins, il s’était caressé tellement de fois en l’imaginant en train de le pénétrer… Le vivre soudain rendait l’acte comme irréel, le plaisir irradiant de manière si forte, en lui, qu’il doutait de pouvoir résister longtemps. Même sa main sur son sexe lui semblait être de trop : il se contentait de le tenir, n’y faisant que de rares va-et-vient tant il craignait de jouir trop vite. Seuls ses gémissements laissait-il s’exprimer sans entrave, sa voix s’élevant au fur et à mesure que Colin se mouvait en lui, témoignant de son plaisir alors que son visage se pressait contre la table et que ses yeux s’humidifiaient.

Puis Colin commença à claquer plus rapidement contre ses fesses et Victor gémit plus fort. Son corps entier tremblait, le sexe de Colin frottant à chaque fois contre l’endroit le plus sensible de son corps, créant des décharges qui envahissaient puissamment ses nerfs, et il se sentit proche de succomber lorsque, soudain, les coups de reins cessèrent.

Colin se retira et, pendant un instant, Victor eut peur qu’il ait joui. Il ne s’en était pas rendu compte, pourtant. Ou qu’il ne veuille plus continuer.

Mais il le tira simplement par la main puis le positionna sur bord du canapé. Sur le dos. En s’allongeant, Victor fut décontenancé en se rendant compte que, dans cette position, il ne pourrait plus rien lui cacher de sa masculinité. Il laissa un coussin se faire placer sous ses hanches, et finit de relever lui-même son bassin en attrapant ses cuisses. Colin posa alors les mains juste au niveau de la pliure de ses genoux, l’exposant plus encore et, d’un coup, alors qu’il se penchait pour s’emparer de ses lèvres, il le pénétra de nouveau.

Immédiatement, Victor gémit, enserra sa nuque en l’embrassant plus ardemment, sentant sa verge aller et venir à l’intérieur de lui. La tête lui tournait et le plaisir incendiait si vivement son corps qu’il ne parvenait presque plus à trouver son souffle. En de longues poussées, Colin le prit, comblant sa chair, claquant contre la peau devenue sensible de ses fesses et le faisant s’enfoncer à chaque fois plus profondément dans le coussin.

Le rythme s’accéléra, leurs gémissements se mêlèrent puis, d’un coup, en de longs va-et-vient plus secs et nerveux, Colin atteint l’orgasme, se déversant en lui avec force.

Allongé, Victor n’osa plus bouger. Il n’avait pas joui, mais ça lui parut sans importance, tant ce qu’il venait de vivre avait été fort. Toujours à l’intérieur de lui — il pouvait sentir sa verge l’emplir et encore pulser — Colin se redressa alors, et il enserra son membre. L’instant suivant, il se mit à le caresser avec tant de vivacité que Victor se raidit et qu’il n’eut besoin que de quelques mouvements pour se répandre à son tour. L’orgasme l’envahit, le faisant se resserrer contre le sexe de Colin et il entendit gémir alors que sa verge se contractait de nouveau en lui.

Enfin, il resta pantelant, couvert de sa propre substance et le bas du corps ouvert tandis que Colin se redressait.

Il ferma les paupières.

Il restait désormais à savoir ce que Colin voudrait faire de lui : le mettre dehors, probablement. Lorsqu’il rouvrit les yeux, il vit que, sur ses lèvres, un petit sourire en coin s’était de nouveau affiché. Toujours allongé, Victor le regarda aller vers le frigo, en sortir une bière, puis une deuxième, lui en montrer une.

– Tu en veux ?

– Oui.

Il n’osa pas se redresser, de peur de salir le canapé.

Colin parut le comprendre car il lui lança une serviette après s’en être servi en premier pour se nettoyer.

– Tu peux l’utiliser.

Victor acquiesça.

Colin se posa lourdement à côté de lui tandis qu’il s’essuyait.

– Tu…

Victor le sentit passer les mains dans les cheveux sur son front, le caressant doucement. Il leva le regard sur lui, profitant de l’instant. Lorsqu’il s’assit, il attrapa la bière qu’il lui tendit. Un baiser suivit aussitôt, long et langoureux, au goût de malt.

– Tu veux recommencer ? dit Colin dans un sourire.

Victor rit brièvement. Il but une gorgée.

– Oui.

– Oui, confirma Colin.

– Pas tout de suite, modéra Victor.

Colin acquiesça, avant de lui caresser le crâne, doucement.

– Oui. Après la bière, juste.

Et le sourire qu’il lui adressa revêtit, au-delà de son ambiguïté habituelle, une forme de complicité.

Ulcère et belles dentelles

Autrice : Magena Suret.

Genres : Duo M/M, tranche de vie, soft.

Résumé : La première fois qu’il avait envisagé qu’Alex ait un intérêt autre que professionnel concernant la lingerie féminine, Lionel avait balayé l’idée d’un sourire amusé.

Ulcère et belles dentelles

La première fois qu’il avait envisagé qu’Alex ait un intérêt autre que professionnel concernant la lingerie féminine, Lionel avait balayé l’idée d’un sourire amusé. Certes son conjoint passait davantage de temps sur les compositions de ces pages de catalogues que sur d’autres, mais peut-être était-ce que le sujet l’inspirait moins. En tant qu’infographiste indépendant, Alex était contacté pour différents travaux, de la création d’un site intranet à la conception de catalogues, et il disait souvent que le plus compliqué était de respecter le cahier des charges tout en obtenant un résultat alléchant pour le consommateur. Lionel en avait donc conclu qu’en homme gay, Alex prêtait deux fois plus d’attention à ce genre de réalisation parce qu’il était bien plus en proie au doute sur un domaine qu’il ne connaissait qu’en théorie.

La seconde fois que Lionel avait eu un doute, ils regardaient une émission de reportages au thème évocateur, les dessous de la mode. Son concubin avait été agité durant un passage sur un défilé de lingerie ; Lionel avait cru à une simple impatience avant de le voir se lever brusquement puis annoncer qu’il allait se coucher. Encore aujourd’hui, il ne pourrait pas en jurer, mais il était convaincu d’avoir deviné une érection sous son pyjama. Dix ans plus tôt, il aurait sûrement poursuivi Alex jusque dans la chambre pour en avoir le cœur net et en profiter, mais l’expérience lui avait appris la réserve et il n’était pas certain de vouloir une réponse à ses questions. Aussi était-il resté sur leur canapé à tenter de trouver une explication logique à cette réaction.

La troisième fois n’avait plus laissé la place aux peut-être, mais plutôt à savoir qui était concerné par ce fantasme. Était-ce Alex qui souhaitait se travestir ou voulait-il voir Lionel dans ces tenues ? Ce dernier procédait au classement annuel de leurs photos sur un disque dur quand il avait ouvert un fichier nommé « Divers Alex », sans se douter qu’il tomberait sur une série de clichés d’hommes en lingerie féminine. Inquiet de la réaction d’Alex – et s’il pensait que l’incident était volontaire ? –, Lionel n’avait pas osé aborder le sujet.

Alors, il avait entrepris de réaliser ce fantasme. Lionel n’avait pas pu avoir de lingerie adaptée aux hommes : leur ville n’avait pas de boutique proposant ce genre d’articles et les commander en ligne était hors de question. Puisque Alex travaillait de la maison, il aurait sans doute été celui qui réceptionnerait le colis ; et si Lionel savait que son compagnon n’aurait jamais ouvert le paquet, il n’était pas sûr, quant à lui, d’avoir pu garder le secret. Il avait donc mis au placard ses hésitations pour trouver son bonheur dans un magasin de prêt-à-porter.

D’abord, il avait pris soin de s’y rendre pendant sa pause-déjeuner en sachant que le personnel était moins nombreux à ce moment-là, afin d’éviter de devoir présenter ses articles à une vendeuse à l’entrée des cabines d’essayage. Trouver quelque chose de sexy qui lui allait avait été le véritable défi. A trente-huit ans, il se trouvait encore en forme – si l’on exceptait les petites poignées d’amour qui empâtait sa taille depuis deux années et dont il ne parvenait pas à se délester. Pourtant Lionel avait dû se résoudre à faire sa sélection parmi les plus grandes tailles. Après un premier essayage, il avait d’emblée éliminé les guêpières : même si c’était un élément récurrent sur les photos qu’il avait fait défiler, elles n’étaient vraiment pas adaptées aux hommes et à leur absence de poitrine.

Lionel avait fini par se décider pour un ensemble de nuit en satin, composé d’un caraco et d’une simple culotte qu’il avait pris une taille au-dessus, en espérant être assez à l’aise. Dans un premier temps, il avait opté pour une tenue blanche, mais en avait finalement acheté une rose. Quitte à le faire, il voulait être le plus affriolant possible et, les pommettes en feu, il avait complété le tout d’un porte-jarretelles en dentelle rouge et de bas noirs. L’ensemble rose lui paraissait donc plus approprié – s’il osait mettre un jour son plan en action.

Un mois plus tard, Lionel s’était lancé.

Et voilà comment il en était arrivé là. Planqué dans les toilettes d’un restaurant à tenter de retrouver un peu de contenance, hésitant à ôter ces sous-vêtements et à les abandonner ici-même. L’estomac noué par la nervosité depuis le début du repas, il n’avait pas eu à forcer le trait pour s’excuser quelques minutes parce qu’il ne se sentait pas bien. Si le stress au travail ne lui déclenchait pas l’ulcère promis par son médecin, cette soirée pourrait y remédier. De plus, le serveur n’allait plus tarder à amener leurs desserts et, si Alex n’avait pas encore perçu son attitude étrange, Lionel serait démasqué car il serait incapable d’avaler une bouchée de la forêt noire qu’il aimait tant. Il avait été stupide de penser pouvoir passer une soirée à l’extérieur ainsi sans en être embarrassé. Tout le chemin, tandis qu’Alex conduisait, il avait serré les dents, priant pour qu’ils n’aient pas d’accident ; il n’aurait certainement pas survécu à l’humiliation si les secours avaient découvert ce qu’il portait sous son jean et sa chemise.

Une fois de plus, Lionel se fustigea d’avoir agi sur une impulsion. En sortant de la douche pour se préparer, il avait juste repensé au paquet soigneusement caché dans son armoire, derrière un tas de linge qu’ils n’utilisaient plus que pour de rares occasions. Dans son élan, il avait abandonné son boxer et ses chaussettes pour enfiler ces sous-vêtements plus sexy. Ensuite, il avait passé un long moment devant le miroir, à apprécier la différence de texture sous son jean, le frottement moins rugueux contre ses cuisses, l’élastique de la culotte qui mordait ses aines – il était moins à l’aise qu’il ne l’avait espéré. En s’observant une fois habillé, Lionel s’était demandé si quelqu’un pourrait deviner ce que camouflaient ses vêtements. La pensée avait failli le pousser à remiser la lingerie dans sa cachette, mais Alex l’avait appelé d’un ton pressant : ils allaient perdre leur réservation au restaurant s’ils ne partaient pas dans l’instant.

La porte des sanitaires grinça et un « Lionel ? » inquiet résonna. Il se tassa dans la cabine individuelle, tentant de rassembler son courage pour affronter Alex. Lionel regrettait plus que jamais de ne pas avoir gardé cette expérience pour chez eux, à l’abri dans leur intimité. Au moins, si son compagnon devait être furieux que Lionel ait fouiné dans ses affaires, il aurait pu le laisser claquer la porte et aller bouder. En tout cas, il n’aurait pas été mortifié à l’idée de devoir se justifier en public. Et, dans l’éventualité où Alex le trouverait ridicule, Lionel aurait pu ravaler sa fierté pour le laisser rire, quitte à ce que cela devienne un sujet de taquinerie quand il serait moins sensible. Mais non, il avait fallu que Lionel choisisse de se travestir ce soir. Quand il posa la main sur le verrou pour quitter son refuge et rassurer son conjoint, il savait qu’il allait tout lui avouer.

Lorsqu’il ouvrit la porte, Lionel se retrouva nez-à-nez avec son compagnon et, avant même de le laisser lui poser la moindre question, il souleva sa chemise et entrouvrit son jean, faisant apparaître un aperçu de satin rose et de dentelle rouge. Sous les yeux stupéfaits d’Alex, il se rhabilla en hâte et profita de son choc ébahi pour justifier son comportement. Son discours sortit sans vraiment avoir de sens. Lionel parla des photos, expliqua qu’il n’avait pas cherché à être indiscret, qu’ils pouvaient se parler de tout, qu’il ne jugerait pas les fantasmes d’Alex, quand bien même il ne pourrait pas l’aider à tous les assouvir, qu’il avait pensé lui faire plaisir, mais qu’il était effrayé de sa réaction… Il aurait pu poursuivre encore longtemps s’il n’avait pas relevé la tête et découvert le regard dur d’Alex. Soudain, le silence était préférable, aucun argument ne semblait plus pouvoir faire le poids ; le visage fermé, Alex avait l’air furieux. Seulement Lionel ignorait où résidait le problème et comment désamorcer la situation. Si au moins, il avait réussi à rester calme et exposer les faits un par un, il aurait su à quel moment son compagnon avait craqué.

Alex dut le prendre en pitié puisqu’il ferma les yeux et soupira avant de lui demander de revenir à table ; ils régleraient ça de retour chez eux. Le silence sur la fin du repas fut pesant et, même si Lionel gardait la tête baissée honteusement, il sentait sur lui le regard perçant de son conjoint. Quand ce dernier régla l’addition, l’attente parut interminable. Et lorsque Lionel prit son courage à deux mains et tenta d’en glisser une dans celle d’Alex, celui-ci s’écarta brusquement, comme brûlé par le contact. Penaud, Lionel essaya de se remémorer une fois où il avait vexé à ce point Alex – en quinze ans, il avait bien eu le temps de faire pire –, mais n’en trouva pas. Par conséquent, il n’avait pas la moindre idée par où commencer pour se faire pardonner. Ne rien dire et attendre la suite lui semblait une bonne défense dans l’immédiat.

Arrivés chez eux, Lionel attendit que la porte soit verrouillée, se préparant à la dispute monumentale à venir. Cependant, Alex resta face à la porte, comme s’il refusait même sa présence. Face à ce mur, Lionel s’avoua vaincu ; leur conversation était remise à plus tard. Un peu lâchement, et même si cela signifiait une mauvaise nuit à passer, il devait reconnaître qu’il était soulagé. Peut-être que demain matin, ils pourraient en rire. Alors qu’il se tournait pour monter les escaliers, Alex lui attrapa le poignet et, ignorant ses protestations, fit sauter les boutons de sa chemise pour en écarter les pans. Ses joues s’enflammèrent quand le regard de son compagnon se posa sur le tissu du caraco tendu sur ses pectoraux et la dentelle du porte-jarretelles – qu’il avait placé un peu haut sur sa taille pour camoufler ses poignées d’amour. Puis il sentit des mains tremblantes tracer le contour du décolleté puis des bretelles et ce ne fut plus la gêne qui lui donna chaud.

Soudain, Lionel réalisa que la froideur d’Alex n’était pas de la colère mais de la retenue. Qu’ils n’arriveraient pas au lit et que sa lingerie si péniblement acquise avait peu de chances de survivre à la soirée. Tout cela lui était égal. Il se sentait bien plus léger et plutôt fier de pouvoir encore obtenir une telle réaction. Alex entreprit de lui ôter son jean, tout en bredouillant comme lui un peu plus tôt au restaurant. Des propos sur une surprise agréable, qu’il n’en avait pas cru ses yeux, que Lionel l’avait échappé belle dans les toilettes, qu’il était magnifique en rose… Lionel savait qu’il regretterait de ne pas s’en souvenir, mais il ne parvenait pas à prêter attention aux mots : il pouvait lire le désir dans les yeux de son compagnon et cela suffisait à nourrir sa propre excitation. Il se pencha sur l’homme à genoux devant lui et l’embrassa sans retenue. Alex remonta les mains le long de ses bas, provoquant des sensations nouvelles, puis l’attira au sol avec lui, lui répétant combien il était désolé mais qu’il allait certainement déchirer cette culotte en la lui arrachant. Lionel répondit dans un sourire de ne pas s’en faire, qu’ils rachèteraient de la lingerie ensemble.

Pour la prochaine fois.

Maintenant

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : PWP, foursome, M/M/M/M, érotique, romance.

Résumé : Des douches des vestiaires. Ou de la nécessité de suivre ses pulsions lorsque, après avoir consciencieusement veillé à ne jamais montrer son homosexualité dans le milieu du sport, l’on voit son coéquipier se diriger vers les douches avec un clin d’œil significatif à son intention.

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MaintenantEncore

Maintenant

Les plastrons et les épaulettes claquèrent tandis que Victor pénétrait dans les vestiaires avec les membres de son équipe. Le public criait toujours au-dehors, hurlait, acclamait. La sueur coulait sous leurs casques. Il se posa lourdement sur le banc, ôta lentement ses protections et, plus progressivement encore, commença à se dévêtir, prenant son temps, marquant des pauses. Les autres se bousculaient en s’amusant et l’euphorie de la victoire les rendait plus surexcités qu’ils ne l’avaient été avant le match. Victor, lui, resta à l’écart de ça.

Petit à petit, il les vit se déshabiller, passer les uns les autres à la douche, remettre leurs vêtements de ville, puis sortir. D’autres équipes avaient pris leur suite, dehors, comme en attestaient les applaudissements des spectateurs et les appels au micro du commentateur. Seul Victor resta assis, encore en short, tandis que ses coéquipiers quittaient la pièce. Il attendait toujours de se retrouver seul avant de se laver. Ce n’était pas quelque chose qu’il se laissait aller à faire avec les autres. Il réagit à leurs boutades habituelles concernant sa pudeur présumée en faisant semblant de s’en amuser. Colin, cependant, n’était pas encore sorti. Il tâcha de faire comme s’il ne voyait pas son corps nu. Il fixa ses pieds, attendant.

Il détestait les passages aux vestiaires comme d’autres haïssent les fêtes de fin d’année, ou tous ces autres moments pour lesquels il était attendu un état d’esprit. Ce qu’il aurait dû éprouver, il le savait : l’impatience, la peur, l’exaltation, la franche camaraderie, les effusions viriles, frappes sur l’épaule, et l’amitié tellement dénuée du moindre sous-entendu qu’on pouvait se palper les fesses sans qu’il y ait là de geste déplacé. Pourtant, chez lui, tout était déplacé : ses pensées, lorsque son regard se posait sur les corps nus de ses camarades, ses réactions physiques lorsque ceux-ci le touchaient, ses perceptions lorsque l’un d’eux lui souriait d’une manière qui aurait pu signifier toute autre chose qu’une simple expression d’affection… Surtout avec Colin. Colin dont les sourires en coin semblaient toujours porter en eux un second degré, Colin qui ignorait la pudeur, Colin qui devait être le seul type au monde capable de faire des étirements, entièrement à poil, à l’intérieur des vestiaires, Colin qui était resté seul, dans la pièce encore saturée d’odeur de sueur alors que les clameurs du public noyaient toute possibilité de conversation dans un désordre sonore.

Puis Colin se redressa et, lorsqu’il se positionna debout face à lui, Victor put voir que son sexe affichait un début d’érection. Surpris, il releva le visage, reconnut l’un de ses habituels sourires en coin, alla jusqu’à chercher son regard… Et patienta.

Soudain, l’attente ne fut plus si pénible. Elle était devenue fébrilité, ferveur, instant suspendu dans le temps où tout était possible, où le moindre acte serait porteur d’une signification plus forte que tout ce qui avait pu se produire précédemment : provocation ou moquerie… invitation, peut-être. La porte des vestiaires s’ouvrit à ce moment et, si Colin attrapa sa serviette pour s’en entourer rapidement le bassin, il ne se dirigea vers les douches qu’après lui avoir lancé un clin d’œil.

Victor eut un temps d’hésitation. Il le regarda passer derrière la paroi carrelée, plus loin.

Alors, aussi négligemment que l’imposait l’arrivée de leurs collègues, il se leva. Son regard effleura le sol, se releva lentement vers les deux hommes qu’il salua de la tête, se dirigea vers l’endroit où Colin avait disparu. Il sentait son pouls battre si distinctement dans ses tempes que sa tête lui tournait.

Une fois arrivé à l’entrée de la douche, il se posa contre le mur pour profiter du spectacle qu’il découvrit. Adossé au carrelage au fond de la pièce, Colin avait renversé la tête sous l’eau chaude et son sexe était, cette fois, entièrement dressé. Un nuage de vapeur commençait à se diffuser au sol et les cris du public assourdissaient jusqu’au tapotement des gouttes à ses pieds, les isolant. Victor n’hésita pas. Sa respiration s’était accélérée et son esprit n’était plus fixé que sur le corps qui se dressait face à lui. Le sexe tendu qui l’appelait. D’un pas mesuré, il marcha vers lui, ôta en chemin son short qui ne dissimula plus sa propre érection puis, une fois parvenu à sa hauteur, d’un coup, il tomba à genoux. Comme en extase. Et prit sa hampe dans sa bouche. C’était ce qu’il voulait, ce qu’il avait crevé de faire toutes les fois où il l’avait vu nu devant lui. Les doigts de Colin entrèrent dans sa chevelure, s’y serrèrent, et il enfourna profondément sa verge, suça, aspira, se gava de cette chair chaude qu’il désirait en lui, la faisant glisser sur les parois de sa bouche, la surface de ses lèvres, la possédant comme il aurait aimé qu’elle le possède. Ses mains se crispaient sur les fesses de son partenaire, palpaient les muscles à sa portée, y enfonçaient les doigts, tandis qu’il continuait à aller et venir le long de son sexe et que l’eau leur tombait toujours dessus.

Il aurait aimé prendre sa propre verge dans sa main, mais il ne savait pas s’il pouvait se le permettre. Peut-être que Colin n’avait besoin que de drainer l’excitation née de leur match, peut-être qu’il n’acceptait sa bouche que parce qu’elle lui procurait ce qu’une femme aurait pu lui offrir ; il ignorait si le voir dans sa masculinité, avec ses gestes et ses besoins d’homme, risquerait de le faire fuir. Il ne se posa pas plus de questions. La chair dans sa bouche l’échauffait profondément et il accéléra ses allées et venues, jusqu’à ce que Colin resserre les doigts sur son crâne et jouisse dans un mouvement de hanches et une avancée plus vive des reins. Au comble de l’excitation, il avala ce qui se présenta à lui, conscient que son propre sexe pulsait d’envie. Lorsqu’il relâcha celui de Colin pour relever le visage, il fut surpris de le voir regarder ailleurs : derrière lui, avec un sourire amusé. Aussitôt, il se retourna. Les deux hommes qui étaient entrés dans les vestiaires — deux joueurs d’une autre équipe — se tenaient à l’entrée de la douche, nus également, et ils le fixaient avec une inclinaison particulière des lèvres.

Leurs sexes, à eux aussi, étaient dressés.

Alors, Victor sut ce qui allait se passer. Et l’attendit avec une profonde fébrilité. Le premier avança, lui présenta sa verge, comme il était encore à genoux devant celle de Colin. Et, puisqu’il ne désirait rien de plus, il s’empressa de la prendre dans sa bouche, tandis qu’il tendait la main pour caresser dans le même temps celle du deuxième joueur. Longuement, il aspira, conscient au fond de lui-même qu’il était en train d’enfreindre toutes les règles qu’il s’était fixées durant toutes ses années dans le milieu du sport : celle de ne jamais coucher avec un autre joueur, celle de ne jamais montrer son homosexualité… Les autres membres de son équipe, de plus, n’étaient pas loin. Il ignorait ce que pourrait raconter Colin après un tel évènement, il ignorait ce qu’il pourrait se produire si d’autres entraient. Sur le moment, pourtant, il s’en moquait. L’excitation, violente, embrumait son cerveau et il suça avec délectation, passa d’une verge à l’autre, les prenant chacune leur tour dans sa bouche, caressant l’autre pendant ce temps… Colin se tenait à côté de lui, passant par moment les doigts dans les mèches trempées de ses cheveux, descendant sur sa joue, en des gestes si doux et si troublants qu’il finit par lâcher la hampe qu’il aspirait pour presser son visage dans sa paume, se gavant de son contact.

Un signe le fit alors se relever et il suivit l’invitation de son partenaire à s’appuyer contre le mur. Sans le lâcher du regard, il y posa les deux mains, inclina les reins et écarta les cuisses. Son excitation était à son paroxysme et son sexe si tendu qu’il le sentait pulser. Il laissa tomber son visage vers l’avant et ferma les paupières, dans l’attente et l’envie. Des mains se posèrent sur ses hanches, le faisant haleter et pousser de réflexe vers l’arrière. La première verge qui s’enfonça à l’intérieur de lui, aidée par l’eau qui persistait à s’écouler sur eux, le fit gémir. Il voulait ça, oui, c’était tout ce à quoi il avait toujours rêvé lors de ces temps de silence dans les vestiaires, lors de ses contemplations discrètes des corps nus de ses camarades, lorsqu’il les voyait partir se laver en se débrouillant toujours pour être trop lent ou trop rapide pour les y croiser… Il serra les dents sur ses lèvres alors que le sexe qui le pénétrait coulissait dans son corps, frottait contre sa prostate, provoquant en lui des éclairs de plaisir qui éclataient en d’innombrables piques qui se propageaient jusqu’à l’intérieur de son ventre. Les va-et-vient suivirent, s’intensifiant et le faisant presser de plus en plus fortement les mains contre le carrelage pour ne pas glisser, serrer ses lèvres l’une contre l’autre pour s’empêcher de gémir, retenir parfois sa respiration. Il ne savait toujours pas s’ils le voulaient en tant qu’homme ou en tant que corps à leur disposition et craignait que toute manifestation trop nette de sa virilité — sa voix comprise — casse ce qui était en train de se produire. Alors, il retint ses manifestations d’extase tant qu’il le put, jusqu’à ce que le plaisir pulse même à l’intérieur de sa tête, jusqu’à ce qu’en de longs coups de reins, plus hachés et plus rudes, l’homme qui se trouvait derrière lui atteigne la jouissance…

Lorsqu’il se retira, il ne bougea pas de posture. Pas le moindre instant, il ne resserra les cuisses ou redressa son torse. Seulement, il attendit. Son sexe gouttait d’excitation et tout son corps était tendu dans l’attente et le désir de ce qui allait suivre.

Enfin, un autre homme le prit : le deuxième joueur qui était entré dans la douche. Il le comprit en voyant Colin s’approcher de son visage. Il releva le sien vers lui, le fixa malgré la force de son trouble. Lorsque Colin s’empara de ses lèvres, il se versa entièrement dans leur baiser, tordant le cou pour rester au plus proche de lui, pour en avoir plus, pour garder plus longtemps son contact. Et il gémit quand celui-ci se rompit, autant de frustration que de plaisir parce que le sexe qui le pénétrait venait de se presser contre la partie la plus sensible de son anatomie et que des décharges d’extase le lançaient dans tout son corps. Le rythme s’intensifia et il haleta, souffla, frémit tandis que les poussées se faisaient plus rapides. Son sexe était dressé à son plus haut niveau, si dur, presque douloureux tant il avait envie de jouir. Il aurait voulu l’empoigner, lui offrir la caresse qui lui manquait pour se propulser vers la jouissance, mais il craignait de se permettre ce geste et il peinait de toute façon tellement à se maintenir sur le carrelage glissant qu’il ne risquait pas de s’y appuyer d’une seule main. Les coups de reins se firent plus rapides, percutant à chaque fois la masse de son corps qui lui procurait le plus de plaisir, et il serra les dents alors que son partenaire progressait vers l’orgasme. Quand il sentit une main s’enrouler autour de son sexe, il rouvrit des yeux embués pour découvrir le visage de Colin auprès de lui, surpris qu’il le caresse soudain.

Quelques mouvements suivirent, aussi rapides et puissants que ceux en lesquels l’homme derrière lui le pénétrait et, d’un coup, il jouit. Violemment. Le plaisir explosa dans tout son corps, l’emplissant des traînées incendiaires de l’extase, et le vidant en même temps : de sa semence, de son énergie… Au point qu’il ne parvint à rester appuyé contre le mur que parce que l’homme derrière lui le maintint en place.

Lorsque celui-ci eut atteint son orgasme à son tour, Victor glissa au sol, finit étendu sur le carrelage, l’eau tombant toujours sur sa peau et lavant son corps comme les traces de leur étreinte, emportant tout dans un tourbillon liquide.

En sentant l’eau s’arrêter de se répandre sur son visage, Victor rouvrit les yeux. Colin venait de fermer le robinet et il se tenait au-dessus de lui, des gouttes tombant de sa chevelure et sinuant sur sa chair. Une brume de chaleur persistait dans la salle, enveloppant son corps comme un halo. Elle ne tarderait pas à se dissiper. Un petit sourire en coin était revenu sur les lèvres de son coéquipier et, de nouveau, son sexe affichait un début d’érection. Victor songea qu’il était le seul à ne pas l’avoir pénétré. À cause du brouhaha persistant, Colin s’accroupit pour lui parler à l’oreille.

– Tu veux rentrer ?

– Où ?

– Chez moi.

Victor apprécia la promesse de ces paroles, la laissa entrer dans son corps et réchauffer autant son bas-ventre que l’intérieur de sa poitrine.

– Maintenant ?

– Oui.

– Maintenant, alors, confirma-t-il.

Il n’avait pas envie d’attendre, puisque Colin le voulait en tant qu’homme.

Maintenant.

Un fiancé presque parfait

Autrice : Magena Suret.

Genres : Érotique, M/F, hot.

Résumé : « Tu m’évites. »
[…]
« Oui, admet-il. Constant t’a demandé en mariage et tu as accepté.
— Et alors ?
— Et alors, je me suis dit que tu avais peut-être besoin d’entraînement avant de lui jurer fidélité. »

Un fiancé presque parfait

Comme chaque matin, devant le miroir de la salle de bains, il apporte la touche finale à sa tenue. Il enroule la cravate autour de son cou et sa respiration se fait tout de suite plus rapide. Les extrémités satinées sont nouées de ses mains légèrement tremblantes. Le nœud glisse vers sa gorge et sa bouche s’assèche. La cravate serrée et ajustée, il la lisse de sa paume et se fait violence pour arrêter son geste à l’endroit où attacher la pince. Il a envie de poursuivre plus bas, comme à son habitude, et de s’occuper de son érection.

Les bruits d’agitation qui proviennent du salon l’en dissuadent. Il a un peu trop traîné au lit et s’est fait griller la priorité dans la salle de bains par ses colocs. Bientôt Constant quittera l’appartement pour aller travailler et laissera Fred seul avec Nadia alors qu’il a réussi à éviter le face-à-face depuis près de trois semaines. Le fil de ses pensées le fait sourire : jusqu’au mois dernier, il aurait pris son temps en espérant qu’elle le rejoigne et le trouve ainsi, la main rapide sur sa queue, essoufflé, déjà rouge d’avoir une cravate trop serrée à son cou. Nadia l’a initié à l’asphyxie érotique, et l’a rendu accro. Pourtant, il ne devrait plus y jouer avec elle, même si l’acte est moins savoureux en solitaire.

La porte d’entrée claque. Fred sait qu’il devrait quitter la pièce, simuler qu’il est en retard, se dépêcher de ramasser ses affaires pour quitter l’appartement. Néanmoins, il préfèrerait éviter de parader au milieu de leur salon avec la bosse évidente qui déforme son pantalon. Il se presse un peu plus contre le rebord du lavabo dans l’espoir de calmer son excitation. Ces quelques instants d’hésitation sont suffisants pour ruiner ses résolutions. La porte de la salle de bains coulisse dans son dos et, dans le miroir, Fred voit Nadia s’appuyer contre le chambranle et le détailler de la tête au pied. Il ne se prive pas d’en faire autant – prend note de sa nuisette qui joue sur la transparence, si courte qu’il devine la naissance de son sexe et l’absence même d’une culotte.

Il mentirait s’il prétendait que la situation ne le fait pas frissonner de désir.

« Tu m’évites. »

L’accusation met quelques secondes à prendre son sens tant Fred est perdu dans sa contemplation. Il se retourne pour lui faire face et prend appui sur le lavabo. La position rend son érection encore plus évidente et il s’amuse du bref moment où le regard de Nadia s’y égare. Elle frotte doucement ses cuisses l’une contre l’autre.

« Oui, admet-il. Constant t’a demandé en mariage et tu as accepté.

— Et alors ?

— Et alors, je me suis dit que tu avais peut-être besoin d’entraînement avant de lui jurer fidélité. »

Nadia a un rire léger, comme s’il venait de faire un lapsus à la fois adorable et embarrassant. Elle fait un pas en avant et refait coulisser le panneau pour les enfermer dans la pièce. Fred s’imagine qu’il devrait se sentir menacé, mais le regard gourmand qu’arbore Nadia éveille bien d’autres souvenirs et sensations en lui. Elle s’approche et Fred la laisse s’arrêter à un souffle de son visage. Il ne ressent pas la pression de son corps contre le sien, mais il ne s’en faut que d’un petit pas. Il est certain que le tissu de son pantalon frôle la peau de Nadia et qu’elle ne cherche qu’à tester sa détermination.

Du bout des doigts, elle joue avec sa cravate, la caressant doucement tout en remontant vers sa gorge. Fred déglutit de façon audible lorsqu’elle en ajuste le nœud, la resserrant encore un peu sous sa pomme d’Adam. La pression n’est pas désagréable – loin de là si l’on devait se fier à son érection – mais il ne peut plus l’ignorer.

« Tu as des problèmes avec ta conscience ? Parce que moi pas. Constant est sans aucun doute l’homme idéal pour me marier. Il est romantique, je suis folle amoureuse de lui et mes parents l’adorent.

— Tes parents m’adorent aussi.

— On pourrait presque croire que tu es jaloux », s’amuse Nadia.

Fred se contente d’un bref geste négatif de la tête. Nadia et lui sont amis depuis trop longtemps pour confondre leur alchimie sexuelle avec de l’amour. Et il pourrait renchérir sur la perfection de Constant. Il se redresse, achevant de coller son corps à celui de Nadia et passe un bras autour de sa taille. Alors qu’il fait glisser sa main sous ses fesses, elle se cambre pour lui faciliter l’accès. Du bout des doigts, il atteint son vagin et le caresse un court instant avant d’enfoncer les premières phalanges de son index et de son majeur. La position n’est certainement pas confortable pour Nadia, mais elle pousse un grognement satisfait.

« Tu es encore trempée, remarque Fred. Tu viens de t’envoyer en l’air avec lui, ça ne t’a pas suffi ? »

Alors qu’il cherche à repérer la serviette la plus proche pour s’essuyer la main, Nadia se dépêche de saisir son poignet pour l’en empêcher. Puis, en un geste agressif, elle porte ses doigts à la bouche et les suce brièvement.

« Il m’a fait l’amour, oui. Mais, même si j’apprécie son côté romantique, j’ai besoin de me faire baiser. »

Fred finit de se redresser et, de sa main libre, saisit Nadia à la taille avant de la faire pivoter pour inverser leurs positions. Il aperçoit une légère grimace de douleur sur son visage lorsqu’il la plaque contre le lavabo, mais elle se remet vite de sa surprise et passe la langue sur ses lèvres tout en poussant un soupir ravi.

« Tu pourrais simplement lui proposer. »

Malgré sa suggestion, il glisse déjà sa main droite entre les cuisses de Nadia jusqu’à son genou, puis la soulève pour l’asseoir sur le meuble. Il la sent se contracter à cause du froid de la surface contre sa peau brûlante ; elle se détend néanmoins rapidement, écartant les jambes pour permettre à Fred de se caler entre. Sans ménagement, il plonge trois doigts en elle et accompagne le va-et-vient sec de sa main de coups de rein prometteurs. Nadia lui caresse la nuque et Fred est certain que, si elle le pouvait, elle ronronnerait de contentement. Toutefois, elle n’est pas encore ivre de plaisir, pas encore réduite à de simples gémissements, et se décide à lui répondre :

« Parce qu’un mec adepte du missionnaire, qui trouve que notre vie sexuelle est pimentée quand je le suce deux fois la même semaine ou qui ne doit même pas savoir que l’anus est une zone érogène va très bien accepter mes requêtes ? »

Vexé qu’elle soit encore si loquace, Fred place sa main gauche au creux des reins de Nadia et l’attire vers lui. Elle se retrouve les fesses presque dans le vide et le dos courbé, avec sa tête appuyée contre le miroir. Il sort les doigts de son autre main de sa chatte et les fait glisser le long de son périnée. Il profite du liquide vaginal qui enduit ses phalanges pour forcer son majeur dans l’anus de Nadia. Dans le reflet du miroir, il voit ses orteils qui se contractent tandis qu’elle gémit de plaisir :

« Putain, ce que ça me manque…

— Dis-le-lui.

— Quoi donc ? Que je veux qu’il me force à me mettre à quatre pattes comme une chienne et qu’il m’encule, qu’il me traite de salope ? Ou que j’adorerais l’attacher et qu’il me laisse l’étrangler quand il jouit ? »

Fred acquiesce sans vraiment y réfléchir. Nadia lui a déjà dit tout ça, et bien plus. Ils ont déjà fait tout ça, et bien plus. Il sait de première main que Constant n’est pas si innocent qu’elle le croit et qu’il pourrait la combler s’ils osaient simplement se parler et tomber les masques. En attendant, il ne va pas se priver de cette opportunité.

« Tu gardes des préservatifs par ici ? »

Il a lâché Nadia pour tenter de déboutonner son pantalon, mais il n’est pas gaucher et il se sent maladroit. La pause un peu trop longue sans réponse lui fait relever les yeux vers Nadia qui le regarde d’un air surpris.

« Tu as couché avec quelqu’un depuis la dernière fois ?

— Un mec, avoue-t-il en s’efforçant de rester vague. On s’est protégés, mais toi et Constant… »

Il s’arrête, surpris à son tour, en réalisant que, malgré son inspection profonde, il n’a pas trouvé la moindre trace de sperme en Nadia.

« Ne me dis pas que vous attendez le mariage pour virer les capotes ? »

Nadia lève les yeux au ciel et le relance :

« Tu veux continuer à jouer les conseillers matrimoniaux ou tu comptes me baiser comme j’en ai envie ? »

Fred sait reconnaître un ton de défi et a bien l’intention de le relever. Il se contente d’ouvrir sa braguette, d’abaisser l’élastique de son boxer et de libérer son sexe. Il s’en saisit d’une main et marque une courte pause, le regard baissé entre leurs corps, alors que son gland repose à l’entrée du vagin de Nadia. Son côté sadique a envie de la torturer un peu, de glisser entre les lèvres, de chatouiller son clitoris et de la faire supplier. Mais il a déjà assez résisté et l’idée de la baiser sans plus tarder l’emporte. D’un mouvement de hanches, il s’enfonce en elle jusqu’à la garde et lui impose aussitôt un rythme rapide.

Pendant deux ou trois minutes, il n’entend que les claquements de leurs corps, les hoquets de plaisir de Nadia et le bruit d’un flacon qui roule au sol. Nadia a les yeux fermés, savourant chaque instant. Elle ressentira les effets de cette baise pendant plusieurs jours : sa tête cogne contre le miroir, le bas de son dos doit frotter le bord du lavabo à chaque mouvement et Fred sent les parois de sa chatte se détendre sous la violence de ses coups de reins.

Alors qu’il va bientôt jouir, ses fesses se contractent et il perd peu à peu le rythme qu’il imposait. Il voit Nadia ouvrir les yeux et le jauger. Elle soulève le haut de son corps et accroche d’une main l’épaule de Fred. Il est obligé d’ajuster leur position, pliant les genoux pour permettre à Nadia de s’asseoir davantage.

Dès qu’il la sent prête, il reprend ses va-et-vient, le besoin de jouir devenant pressant. À peine quelques secondes plus tard, il sent les mains de Nadia caresser sa cravate. Elle s’arrête au niveau de la pince. Fred baisse la tête juste à temps pour la voir la détacher et la jeter au sol. Il s’était habitué à la pression contre sa gorge et se crispe lorsqu’elle se fait plus forte. Nadia fait tourner la cravate pour qu’elle pende dans son dos, entre ses omoplates. Le frottement lui laisse l’impression qu’on lui brûle le cou. Le coude de Nadia se soulève à trois reprises et le tissu comprime de plus en plus sa trachée. Pour l’avoir vu faire de nombreuses fois, Fred sait que Nadia vient d’enrouler la cravate autour de son poing et qu’elle va s’en servir pour l’étrangler. Il espère que Nadia est assez baisée à son goût parce que son propre orgasme est imminent.

Le souffle de plus en plus court à chaque mouvement, Fred chasse son plaisir. Et Nadia est redevenue volubile :

« En fait, tu ne t’inquiètes pas pour mon couple, le nargue-t-elle. Tu aimes quand on s’envoie en l’air mais, si Constant était partant, je suis sûre que tu t’imagines bien entre nous deux. »

L’air se fait rare, précieux, et Fred sent ses jambes flageoler, ses yeux rouler sous ses paupières, mais a encore assez de présence d’esprit pour acquiescer. Constant lui a aussi fait ce genre de remarques et il visualise, en effet, parfaitement la scène : debout, comme à cet instant, avec Constant, les doigts enroulés autour de son cou, qui impose la cadence à laquelle Fred pourrait baiser Nadia. Ou attaché à leur lit avec Nadia et Constant se servant de sa bouche à tour de rôle…

Nadia relâche la tension de la cravate un bref instant, permettant à Fred d’avaler une goulée d’air. Il en profite pour augmenter la rapidité de ses allées et venues. Sous lui, Nadia se tend dans un long gémissement, enfin rassasiée par un orgasme. Le mouvement la fait s’agripper à la cravate et Fred halète sous l’intensité de la pression contre sa gorge. À son tour, il jouit, enfonçant les ongles dans la peau des fesses de Nadia, puis se laisse retomber contre elle.

Ils restent ainsi quelques instants, à reprendre leur souffle. Quand Fred relève la tête, il aperçoit son reflet dans le miroir, le visage rouge et les yeux brillants de larmes. Nadia détend ses doigts restés trop contractés sur la cravate, les serrant en poing avant de les desserrer à plusieurs reprises. Puis il se détache d’elle, lui permettant de descendre de son assise peu confortable.

Fred laisse son pantalon lui tomber sur les chevilles et s’en extirpe du mieux possible. Il se débarrasse de sa cravate et s’attaque alors à sa chemise tout en allant dans le salon pour trouver son téléphone. Tandis qu’il fait défiler ses contacts, Nadia le rejoint. Sa nuisette lui colle à la peau, elle a un sein qui s’en est échappé et il est presque certain que la trace humide qu’il devine sur le haut de sa cuisse est son sperme qui s’écoule déjà. Ou peut-être que Nadia a plongé ses doigts en elle avant de s’essuyer négligemment ici. Fred la renverserait bien sur le canapé pour plonger la tête entre ses cuisses et la nettoyer de sa langue. Mais la tonalité du téléphone l’aide à se concentrer sur ses priorités.

« Tu appelles qui ?

— Mon boulot. Pour prévenir que je ne viendrais pas aujourd’hui.

— On va baiser toute la journée ? »

Son ton émerveillé et ses yeux écarquillés le font sourire. Même si la perspective est tentante, il décide d’être plus raisonnable. Il passe son appel sans répondre à Nadia ou la quitter des yeux. Quand il en a terminé, il s’avance vers elle et la sent pratiquement vibrer d’excitation. Il lui tend son téléphone :

« Je vais prendre une douche. Profites-en pour appeler Constant. Dis-lui de rentrer après son cours et de ne pas déjeuner au lycée, les autres profs peuvent se passer de lui.

— Tu vas vraiment insister pour que je lui dise tout ? s’indigne Nadia. Très bien. Mais ce sera ta faute si ça brise mon couple. »

Fred lève les yeux au ciel, mais se retient de pointer en quoi elle serait aussi fautive. Ça n’en vaut pas la peine. Et si la conversation entre Nadia et Constant se déroule comme il l’imagine, ce ne sera qu’à son propre avantage. Ces deux-là se sont bien trouvés. Ils n’ont qu’à descendre l’autre de son piédestal… Fred s’arrête sur le pas de la salle de bains et se tourne pour faire face à Nadia, l’air satisfait par anticipation :

« Laisse-lui une chance puisque c’est le mec parfait, selon toi. Commence déjà par le sexe anal. La semaine dernière, en tout cas, ça n’avait pas l’air de le déranger de me bouffer le cul ou d’y plonger sa queue. »

Le Boudoir 4.0

Autrice : Magena Suret.

Genres : Érotique, M/M, SF, hot.

Résumé : Bien que réticent, Matthieu a cédé aux demandes de son amant. Puisque les mois de séparation leur pèsent, ils décident d’avoir recours aux services de la société « Le Boudoir 4.0 ».
Matthieu est donc sur le point de vivre sa première expérience sexuelle technologiquement assistée.

Le boudoir 2.0

Arrivé devant le bâtiment, Matthieu hésite à en franchir la porte. C’est ridicule puisqu’il sait qu’il ne fera pas demi-tour : son rendez-vous est payé d’avance et Nordine doit déjà l’attendre. Ça n’empêche pas que l’idée le rebute. Certes, les six mois sans voir son amant commencent à lui peser aussi, surtout en sachant qu’il ne rentrera pas chez eux avant dix autres longues semaines, mais de là à recourir aux services de cette société ? Il n’en est pas sûr.

Le Boudoir 4.0 est un exemple parfait d’entreprise qui a détourné une innovation technologique à but thérapeutique pour son profit – ou celui de ses actionnaires.  Alors qu’il s’était promis de ne jamais y recourir, même quand la perte de son pucelage tardait, Nordine a su le convaincre. Certains arguments sont plus objectifs que d’autres, comme le fait qu’ils ont épuisé leur crédit-carbone pour voyager ou que racheter des autorisations est beaucoup trop coûteux pour leur budget. Bien plus qu’une séance dans la Mecque du sexe virtuel. Matthieu est donc sur le point de vivre sa première expérience sexuelle technologiquement assistée. Il a envie de rire de sa nervosité, de la tourner en dérision pour dédramatiser, mais son appréhension est juste renforcée par les nombreux témoignages catastrophiques qu’il a lus durant la nuit sur les forums.

La crainte de faire attendre Nordine le pousse à avancer et les portes automatiques s’ouvrent devant lui. Le hall de l’entreprise est vaste, circulaire et dépourvu de toute décoration hormis les écrans dont sont ornés les murs et qui diffusent différentes publicités. Matthieu préfère de loin l’ambiance animée que permettent les bureaux, à l’abri du jugement des clients ; il sait que passer ses journées en solitaire serait un brin angoissant pour lui et il a une pensée compatissante pour la réceptionniste qui l’accueille avec le sourire :

« Bonjour, que puis-je pour vous ?

— J’ai un rendez-vous au nom de Bodet », explique-t-il d’une voix qu’il espère assurée.

La jeune femme fait glisser ses doigts sur l’écran devant elle et Matthieu l’observe avec l’espoir un peu idiot qu’elle ne trouve pas sa réservation. Cependant, elle accède à un nouveau fichier et elle lui pose quelques questions visiblement de routine. Matthieu y répond de façon distraite. La réceptionniste lui tend ensuite une carte magnétique dont il se saisit, puis elle lui désigne une porte sur sa gauche :

« Ma collègue vous attend de l’autre côté pour vous installer. Le badge vous servira à confirmer l’activation du programme. Je vous souhaite une agréable séance. »

Sentant le rouge lui monter aux joues face à l’insinuation, Matthieu la remercie et s’éclipse dans la direction indiquée. Encore une fois, la porte s’ouvre dès qu’il s’en approche et il traverse en quelques enjambées un étroit couloir. Au bout de celui-ci, il pénètre dans une pièce et découvre une femme, plus âgée que la réceptionniste, en pleine conversation avec Nordine. Elle s’interrompt dès qu’elle aperçoit Matthieu.

« Je vais vous faire patienter un instant, votre partenaire vient d’arriver. »

Matthieu entend le soupir de soulagement de son amant au travers des haut-parleurs. C’est certain qu’avec les trois mille kilomètres qui les séparent, Nordine n’avait pas de moyen infaillible pour le contraindre à venir, mais c’est un peu vexant de constater ce manque de confiance. La technicienne attire son attention en lui tendant la main :

« Monsieur Bodet, je suis Sarah, je vais vous installer pour la séance. L’humanoïde de votre compagnon est prêt, il ne reste plus qu’à vous connecter au vôtre. Je vais avoir besoin d’accéder à votre implant, vous pouvez vous asseoir par ici. »

Sarah lui désigne un siège et Matthieu s’empresse d’y aller, ne serait-ce que pour soulager ses jambes flageolantes. Il lui tourne le dos, incline la tête et dégage les cheveux de sa nuque pour qu’elle puisse scanner la puce sous-cutanée et s’y connecter. En quelques mouvements fluides, il voit la technicienne sélectionner les options.

La leçon que lui a donnée Nordine lui revient et lui occupe l’esprit quelques instants. Les choix sont variés, avec plusieurs combinaisons possibles, mais le Boudoir 4.0 propose trois principales offres : le tout virtuel, héritage des premières recherches médicales, qui plonge le client dans un état semi-hypnotique afin de créer les sensations uniquement par stimulation via l’implant cérébral. Ensuite est venue l’ère de la réalité augmentée, pour laquelle l’implant active toujours les zones de plaisir grâce aux impulsions envoyées au cerveau, mais l’environnement géré par ordinateur permet toutes les fantaisies – la plus populaire étant de s’offrir une partie de jambes en l’air avec sa célébrité favorite. Et, dernière innovation, les androïdes. Ceux-là ont évolué depuis leurs débuts, mais ils restent ceux qui proposent les séances les plus réalistes. Pas besoin de stimulation neurologique, l’androïde est connecté à l’implant de l’utilisateur et reproduit tous ses gestes. Les couples sont donc la principale cible de cette option, mais il arrive que le Boudoir 4.0 organise des soirées entre célibataires où des paires ou groupes sont formés. Des partouzes qui n’en ont juste pas le nom.

Sarah le tire de ses pensées en lui demandant de lever une main puis de taper du pied. Matthieu fait ce qui est requis, puis entend la confirmation que tout est en ordre. Il réalise alors que c’est la personne avec Nordine qui testait la connexion. Une fois satisfaite de ses réglages, Sarah se tourne vers lui :

« Comme il était spécifié dans la demande, vos êtres artificiels sont versatiles sur le plan sexuel. Cette pièce vous est réservée pour deux heures. Nous avons une salle de contrôle depuis laquelle nous supervisons les fonctions des humanoïdes, mais il n’y a aucune vidéosurveillance pour ne pas violer votre intimité. Si vous avez un souci quelconque ou quand vous aurez terminé, appuyez sur ce bouton d’appel et l’un des techniciens arrivera. Vous avez des questions ? »

La tirade récitée sans pause lui donne le tournis et, malgré la dizaine d’interrogations qui se pressent, Matthieu secoue négativement la tête. La jeune femme en profite pour s’éclipser sans un regard et il se retrouve seul face à un androïde.  Un androïde dont le visage est une représentation criante de vérité de celui de Nordine. Matthieu tend la main pour lui prendre la joue en coupe et est légèrement surpris que la peau artificielle soit tiède ; il avait imaginé une machine au métal froid mais, sous sa paume, il retrouve un toucher familier.  En fermant les yeux, songe-t-il, l’illusion serait parfaite.

« Tu m’as fait peur, lui reproche Nordine, sur un ton malicieux. J’ai bien cru devoir négocier avec Sarah pour qu’elle me trouve un autre partenaire.

— Tu m’aurais remplacé si facilement ?

— Vu la somme que j’ai déboursée, je comptais bien en avoir pour mon argent. Et si tu n’avais pas ramené ton cul réfractaire au progrès… »

Matthieu sourit de la menace latente. Il sait que son amant n’en pense pas un mot, mais qu’il aurait été déçu que Matthieu se défile. Peut-être que ce dernier aurait même eu droit à quelques semaines d’ignorance punitive à son retour.

« En parlant de réfractaire, Sarah m’a expliqué que les robots étaient versatiles, mais je n’ai pas vraiment envie d’avoir ce truc trop proche de mes bijoux de famille, sans parler de le laisser me prendre.

— Et tu pensais faire quoi, du coup ? s’agace Nordine. Jouer à la belote ? » Puis il poursuit sans lui donner l’opportunité de répondre : « Franchement, tu m’expliques en quoi c’est différent d’un gode ?

— Un gode, c’est un jouet, je le contrôle, pas ce truc qui bouge seul.

— Ce truc est contrôlé par ton petit ami, je te signale. Et tu as juste peur de l’inconnu.

— Qu’est-ce que tu proposes alors ? capitule Matthieu.

— Au pire, on s’assoit chacun sur une chaise et on se masturbe. Mais on aurait pu le faire gratos avec la webcam. Sinon, tu continues à faire ta tête de lard, alors je devrai te basculer sur la console de contrôle et me frotter contre tes fesses jusqu’à ce que je jouisse ou que tu appelles un technicien à l’aide.

— Pas de troisième option, remarque Matthieu quand son amant ne lui laisse que ces deux choix à contempler.

— Ou tu te rappelles qu’on peut s’amuser sans pénétration, tu te fous à poil, tu fermes les yeux si ça t’aide et t’imagines que je suis dans la pièce. »

Pour la première fois depuis qu’il est face à la machine, Matthieu réalise que l’androïde est nu. Il est d’ailleurs déçu de constater que sa verge est au repos. Nordine ne semble pas affecté par son petit laïus quand lui commence à ressentir l’excitation de leur situation. Avec un air de défi, tranquillement, il entreprend d’ôter ses vêtements en restant à distance de l’androïde. Nordine reste stoïque et fait mine de ne pas être impressionné par ce strip-tease imprévu, mais Matthieu ne l’entend pas de cette oreille et redouble d’efforts pour le faire réagir.

A présent nu, il plonge le regard dans celui de son amant et prend en main son sexe à demi-érigé. Pas vraiment d’humeur à jouer – et surtout de peur de retrouver soudain la raison – il cherche à allumer Nordine. Lui faire perdre la tête. L’être artificiel serre les doigts et penche la tête sur le côté ; Matthieu y reconnaît les signes qui signifient que la patience de son compagnon s’amenuise. Il y a trop longtemps qu’ils n’ont pas été dans la même pièce, le manque est palpable. Alors, de son autre main, Matthieu vient masser ses testicules et pousse un long gémissement – plus par provocation que plaisir, pour l’instant. L’effet obtient le résultat escompté.

En un instant, Nordine est à ses côtés et se colle à lui pour l’embrasser, entravant ses mouvements. La sensation du baiser est étrange. Les lèvres sont souples mais plutôt sèches et Matthieu les humidifie de sa langue. Il retrouve ses repères et se laisse aller, ferme les yeux. Libérant à regret son sexe, il découvre sous ses paumes le corps de l’androïde. Toujours cette impression de chaleur, mais des épaules un peu plus hautes que celles de Nordine. D’ailleurs, Matthieu réalise qu’il a le menton bien plus levé qu’à l’habitude pour embrasser son partenaire. Comme s’il était avec un autre. La pensée l’excite autant qu’elle le perturbe et il entrouvre les paupières, juste pour se rassurer. Nordine doit percevoir cette hésitation et s’écarte un instant, lui demandant si tout va bien. Quand Matthieu acquiesce, il avoue aussi qu’il a presque l’impression d’enlacer un autre homme, ce qui lui vaut une tape sur la fesse avant que son amant ne reprenne où ils en étaient.

Leurs érections se frôlent et, dans un grognement satisfait, Nordine l’attire un peu plus contre lui. La poigne de l’être artificiel est plus ferme, plus possessive ; leur rapport de force physique est faussé et Matthieu se réjouit de ce léger changement. A mesure que le baiser s’enflamme, il se laisse repousser à travers la pièce. Il s’imaginait déjà jeté sur le lit, dans le coin, quand ses cuisses heurtent la console de contrôle. Étonné, il se libère de l’étreinte de Nordine et remarque son sourire ravi.

« Je fais juste ce que j’ai promis.

— Mais je n’ai pas fait ma tête de lard, rétorque Matthieu tout en réalisant combien sa réplique est puérile.

— Non, mais l’idée me plaît. »

Et Matthieu doit admettre qu’elle le tente aussi. Face à l’absence d’objection, Nordine pose une main sur sa hanche et l’incite à se retourner. En quelques secondes, Matthieu se retrouve penché en avant, les mains en appui sur la console et le cœur battant à l’idée de laisser un robot le manipuler ainsi. Il sursaute au contact des doigts entre ses omoplates, puis frissonne quand ils dessinent le long de sa colonne. Mais ce n’est rien comparé à la sensation de ces membres se frayant un chemin entre ses fesses. Une brève appréhension le saisit tandis que Nordine tâtonne autour de son anus ; toutefois, un soupir de soulagement, puis de plaisir, lui échappe tandis que l’index lubrifié le pénètre. En quelques allers-retours, Nordine a trouvé sa prostate et étalé assez de produit pour qu’un simple index ne suffise plus à le combler. Matthieu n’a pas honte de demander davantage. Son amant a un reniflement amusé :

« Je croyais que tu n’avais pas confiance en cet humanoïde.

— Robot ou pas, halète Matthieu, tu pourrais bien te retrouver célibataire. Il a des doigts magiques. »

Pour cette moquerie, il récolte une morsure au niveau de l’épaule et un second doigt s’introduit en lui sans rencontrer la moindre résistance. Des coups de reins accompagnent à présent les va-et-vient et Matthieu commence à espérer que Nordine a oublié sa promesse de ne pas le pénétrer. Son menton retombe contre son torse, il écarte davantage les jambes et se cambre en une invitation peu subtile. Les doigts quittent son corps et il sent une caresse sur son flanc, un baiser entre ses omoplates. Puis une présence plus imposante contre son anus et une voix rauque qui exige une confirmation. Matthieu secoue la tête. Oui. Non. Il ne sait plus vraiment, il en a envie, mais n’est peut-être pas encore assez ivre de désir pour ignorer ses craintes. La pression s’efface immédiatement et Nordine empoigne sa hanche d’une main tandis que, de l’autre, il se saisit du sexe de Matthieu.

Son amant balance alors doucement le bassin, sa verge coulissant entre ses fesses, à la faveur du lubrifiant. Dos à Nordine, Matthieu laisse son imagination se débrider. Les râles de plaisir et les petits mots d’encouragement familiers contrastent avec le toucher étranger sur son corps. Il lui est aisé de penser à son compagnon assis dans un coin, se délectant de son abandon entre les bras d’un autre. La cadence s’accélère et les mouvements sont moins fluides, moins précis. A plusieurs reprises, Nordine bute contre son anus ; à chaque fois, son muscle se contracte – d’impatience ou de réticence, il ne parvient pas à le déterminer – et, chaque fois, Matthieu manque de jouir.

Et puis, le rythme sur son sexe augmente encore, les doigts qui s’enfonçaient dans sa hanche libèrent leur emprise et reviennent jouer avec sa prostate. En quelques instants, son excitation monte et il reconnaît les signaux qui annoncent qu’il n’est plus très loin. Nordine se frotte toujours contre lui et le muscle anal de Matthieu se resserre autour des doigts du robot tandis qu’il se répand sur la console sous lui.

Son amant le caresse plus lentement, le laissant savourer un orgasme prolongé mais, bientôt, la stimulation de sa prostate et son gland trop sensible ramènent Matthieu à l’instant présent. D’une légère tape, il écarte le poignet de Nordine. Celui-ci ne s’en plaint pas et, si Matthieu ne s’en était pas déjà douté, les coups rapides contre ses fesses auraient confirmé ses soupçons : la main s’active furieusement sur le sexe de l’androïde et, très vite, le corps derrière lui se tend dans l’extase. Matthieu perçoit la chaleur réconfortante des gouttes qui parsèment dorénavant son dos et il se trouve bien ridicule d’avoir autant redouté ce rendez-vous. Le souffle court, il se redresse et se remet face à Nordine. Du bout des doigts, il ose enfin effleurer la verge encore dure du robot, puis dirige sa main sous ses testicules, mais son amant le retient :

« Il va falloir me laisser un peu de temps, là. Il nous reste un peu plus d’une heure, t’as intérêt de ne pas faire les choses à moitié ce coup-ci. »

Une fois de plus, Matthieu sourit du ton menaçant, songeant que cela ressemble davantage à une supplique. Au lieu d’apaiser le manque, ils ont ajouté à la frustration de ne pas s’être touchés durant des mois.

Charmeur, il entraîne l’androïde vers le lit et commence à taquiner tous les points qu’il sait sensibles chez son amant. Dans une quinzaine de minutes – dix s’il se débrouille bien –, Nordine montrera les premiers signes d’impatience et lui ordonnera d’arrêter ses simagrées. Et Matthieu compte bien découvrir si l’intérieur de cet être artificiel se lubrifie aussi à la demande. Le plaisir anticipé le fait frissonner. Sous lui, l’humanoïde semble prendre vie, animé du désir de son partenaire. Même s’il était réticent, Matthieu sait qu’ils recommenceront. Il faut qu’il pense à se renseigner si le Boudoir 4.0 propose des formules d’abonnement.