La révélation de Claire – saison 2 de L’initiation de Claire (1)

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Érotique, BDSM, hot.

Résumé : C’est indéniable, pour Claire : Mathieu la fascine, la trouble, éveille en elle des désirs ardents et des sentiments oubliés. Pourtant, Mathieu reste dur et elle n’est pas sûre de pouvoir le suivre, pas sûre de pouvoir lui offrir ce dont il a besoin, surtout avec l’arrivée de la Nuit Noire et la présence de plus en plus oppressante de la Maîtresse au-dessus d’eux. Claire parviendra-t-elle à se libérer, tant sexuellement que sentimentalement ? Et surtout : y trouvera-t-elle enfin l’épanouissement ?

Roman sorti en numérique aux éditions Harlequin, et bientôt en papier ici ! Vous pouvez lire toute la première partie de ce roman (20%). Profitez-en !

Première partie

Avachi sur le canapé, Mathieu observait Claire. Elle était celle qu’il entraînait dans ses déviances. Celle dont les parts d’ombre répondaient aux siennes.

Elle releva le visage, et il observa l’arc que décrivaient ses longs cils, son regard, vague sur les premières secondes, qui se réaffirmait progressivement, alors qu’elle sortait de ses pensées, la forme de sa bouche, tandis qu’elle refermait ses lèvres bombées… Tout le captivait et l’intriguait. Tout éveillait en lui le besoin, sombre, de la mettre à l’épreuve.

Elle but quelques gorgées dans la tasse qu’elle serrait de ses deux mains, puis la posa sur la table basse qui les séparait. Ses doigts fins calèrent une mèche de sa chevelure ébène derrière son oreille. Puis elle plongea les yeux dans les siens. L’affrontant. Témoignant de son acceptation de se plier à ses envies, mais pas seulement : il décelait quelque chose de plus, dans son regard. Une forme de confiance qui le perturbait, probablement parce qu’il ne l’imaginait pas autrement qu’éphémère.

Il répéta sa question :

– Comment tu te sens ?

– Ça va.

Olivier remua sur le canapé, attirant son attention. Il se tenait à ses côtés, soutien autant que maître de cérémonies : le fait que l’acte qui se préparait se déroule dans son appartement le désignait comme tels. L’affection qu’il commençait à ressentir pour Claire jouait aussi, Mathieu ne pouvait l’ignorer.

Quand Olivier se pencha en avant, prenant appui de ses coudes sur ses genoux pour se rapprocher de Claire, son regard se fit incisif.

– Tu n’as pas peur ?

– Si, répondit-elle sans hésiter.

Il y avait quelque chose de provocant dans la manière d’agir de Claire. Mathieu aimait ça : qu’elle soit capable de reconnaître sa crainte sans s’y appesantir, témoignant simplement de son existence. Rares étaient les personnes qui y parvenaient. L’envie de la soumettre se mit à le tenailler plus durement.

Il appuya la tête sur le dossier du canapé. Un instant, il observa les détails du salon d’Olivier. Il connaissait cet appartement par cœur. Avant même qu’Oliv’ ne s’y installe, ils avaient pris l’habitude d’y venir, tous deux, quand il n’était pas loué par les parents d’Olivier. Entre deux baux. Parfois même durant les vacances des locataires. Ils avaient fait tellement de conneries, dans leurs plus jeunes années, qu’il en oubliait. Mais ça, c’était avant qu’il rencontre le BDSM.

Il avait toujours été captivé par le luxe de cet appartement, parce que très éloigné de ce qu’il possédait lui-même.

Il reporta son attention sur Claire. Elle semblait s’être de nouveau laissé envahir par ses pensées, mais elle se reprit rapidement. Il appréciait sa contenance, sa façon de se tenir sur un fil, à mi-chemin entre deux gouffres, et en même temps d’y rester droite, fière. C’était ce qui lui donnait toujours le plus envie de l’éprouver. De la faire vaciller. L’idée de la pousser à user de ses safewords l’effleura. Il avait rejeté ce désir, depuis qu’il lui avait demandé d’en choisir, mais il revenait par intermittence, toujours aux moments les plus dangereux. Sans doute avait-il été trop sage, ces derniers temps. Il s’était tant refréné ; il avait besoin d’ouvrir les vannes, de se lâcher. Et ce n’était pas forcément une bonne chose. Du moins, pour ce qui allait se passer.

– Et malgré tout, ça ne te freine pas ? insista Olivier.

– Non.

Le calme de Claire donna envie de sourire à Mathieu.

Olivier, lui, s’adossa au canapé en soupirant.

– Tu aurais dû l’exercer avant, dit-il à son intention.

Mathieu haussa les épaules.

– Peut-être…

Olivier soupira de nouveau, profondément, mais n’insista pas.

Il comprenait son anxiété. Il avait rencontré Claire deux mois plus tôt, à une soirée SM où elle s’était pointée comme une fleur dans une forêt épineuse. Elle n’avait rien eu à faire là, il n’avait eu aucune raison de s’occuper d’elle, pourtant, ils avaient fini, lui, son sexe profondément enfoncé dans sa bouche, elle, attachée, à sa merci. Elle avait remis en cause la légèreté avec laquelle il vivait les rapports de domination. Elle avait transformé un jeu sans conséquence en une obsession.

– Vous vous êtes mis d’accord sur combien de coups ? demanda Olivier.

– Cinq.

« Mis d’accord » n’était pas tout à fait exact. Il avait énoncé le compte, Claire avait accepté, c’était tout. Elle avait accepté malgré ses doutes, il le savait. Elle avait accepté parce qu’elle avait décidé de lui faire confiance. À chaque instant, elle pourrait pourtant tout arrêter.

– Bien, commenta Olivier.

Mathieu en eut un bref sourire.

Olivier avait toujours été plus rigoureux que lui. La discipline qu’il observait avec sa soumise, Vanessa, en témoignait. Pour lui, pratiquer la flagellation avec Claire, alors qu’elle n’en avait eu qu’une unique expérience, et ce, deux mois auparavant, était une aberration. Certainement avait-il raison, mais Mathieu ne s’était pas embarrassé de scrupules avec elle, la première fois, alors pourquoi le ferait-il ce coup-ci ? S’il partageait avec Oliv’ la fascination de voir de belles lignes rouges strier une peau lisse, Vanessa était plus portée sur les châtiments corporels que sur le sexe, il était donc normal qu’il donne la primauté à ces pratiques. Claire était différente. Et Mathieu ne la considérait pas comme sa soumise. De soumise, il n’en avait jamais vraiment eu, d’ailleurs, ou du moins pas de soumise régulière, et n’en voulait pas. Claire était juste Claire… Celle qui avait renversé tout ce qu’il avait cru stable ou persistant dans sa vie, celle qui suscitait chez lui le besoin de la protéger et de la tester, de la mener à ses limites, de la voir les franchir et lui céder. Il était curieux de découvrir si elle y trouverait la même libération que lui, la même perte de soi, dans ses désirs les plus viscéraux, les plus profonds…

Il ferma les yeux, conscient des turpitudes de son esprit. Olivier, lui, était moins torturé par rapport à ça. Il éprouvait moins de besoins, aussi. Ils ne vivaient pas de la même manière la domination.

Nerveux, il se leva. Il avait été trop calme, ces derniers temps, trop dans la réserve.

– Cinq coups, lui rappela Olivier d’un ton ferme.

– Oui.

Ils en avaient parlé avant qu’il ne prenne une décision à ce sujet. Il préférait suivre ses impulsions ; planifier, programmer le gonflait, quel que soit le domaine concerné, mais plus encore lorsqu’il s’agissait de sa vie sexuelle – et la domination en faisait partie –, pourtant Oliv’ avait été catégorique. Non seulement la séance se passerait chez lui, mais il s’était assez pris d’affection pour Claire, pour vouloir la protéger. Même s’il ne l’avait pas exprimé verbalement, Mathieu l’avait compris. Il en était amusé et s’était plié à sa demande en conséquence.

– Elle y arrivera, dit-il. Et puis, elle connaît déjà la canne.

– Ce n’est pas le même objet, objecta Oliv’.

– Ce n’est pas si différent.

Sur le plan de l’intensité, du moins. Celui qu’il allait utiliser offrait d’autres possibilités.

Voir Olivier lever les yeux au ciel ne fut pas loin de le faire rire. Son pote ne laissait que rarement passer ses légèretés.

– Tu n’avais pas frappé pour la marquer.

– Exact.

Olivier avait raison : en ce sens, oui, c’était différent.

– En quoi est-ce que ça change ? demanda Claire.

Elle était restée assise dans le fauteuil en face d’eux et buvait lentement son thé. Son calme le captivait. Il avait pris le temps de lui expliquer avec quel instrument il allait procéder à ces marques, mais Olivier faisait naître de nouvelles interrogations avec ses interventions.

Il réfléchit avant de lui répondre :

– La première fois, combien de temps as-tu gardé des traces sur la peau ?

Il la vit chercher dans sa mémoire.

– Trois-quatre jours.

– Celles-ci dureront plus longtemps.

Le regard de Claire ne vacilla pas.

Il ajouta :

– Dans quatre jours, elles seront parfaites.

Du moins, c’était ce qu’il voulait : des lignes sombres, dénuées de boursouflures, juste tracées comme un coup de pinceau.

– En plus du fait qu’il y en aura moins, ajouta-t-il. La différence est dans l’intention. On peut décider de frôler, de marquer des percussions…

Il repensa à la manière dont elle était parvenue à l’orgasme, la première fois, avec la canne. Il eut envie de l’y conduire de nouveau, mais il savait que ce serait différent.

– On peut décider d’apposer de jolies marques, également.

Il sourit, provocateur, et se pencha vers la table basse pour saisir son café et en boire quelques gorgées. Claire serrait toujours les doigts sur sa tasse ; l’acuité de son regard témoignait de l’attention qu’elle portait sur eux.

Pas une fois, depuis sa décision de l’accompagner de nouveau au club, elle n’était revenue dessus, même s’il n’avait cessé de penser qu’elle se défilerait. Elle l’avait assez fait, auparavant. Il en avait été étonné. Il savait qu’elle n’était pas sûre d’elle, ou ne l’était pas encore assez. Mais qui l’était jamais vraiment, dans cette sexualité ?

Il contempla son expression, cette façon qu’elle avait de sembler s’introduire dans l’esprit de ceux qu’elle regardait.

– Vas-y doucement, le mit de nouveau en garde Oliv’.

– Je sais, dit-il.

Seulement, il n’en avait pas envie.

Il fixa la lanière de cuir qu’il avait posée plus loin, sur une desserte. Sa simple vision nourrit un peu plus le feu qui grandissait en lui. Il devait passer à l’acte.

– Tu es prête ? demanda-t-il brusquement à Claire, tout à ses pensées.

– Oui, répondit-elle sans hésiter.

– Tes safewords ?

Elle les répéta, stoïque.

Même si elle avait décidé de lui faire confiance, elle pourrait revenir sur cette décision. Elle aimait la manière dont il prenait possession de son corps, dont il usait d’elle, la rudesse de ses gestes… Il voyait clairement l’excitation qu’elle en retirait. Mais, si ce n’était la fessée qu’il lui avait donnée entre-temps, elle n’avait pas goûté à ses coups depuis sa séance au donjon.

– Je vais avoir mal ? demanda-t-elle soudain.

La question le surprit. Qu’attendait-elle donc, en la posant ? Elle connaissait déjà la réponse ; elle ne pouvait pas chercher une simple confirmation. Il la savait plus fine que ça.

Olivier fut plus transparent dans sa réaction.

– Oui…

S’il ne laissa pas passer un mot, Mathieu comprit l’interrogation de Claire. Elle l’observait pour voir dans ses yeux à quel point la douleur serait forte. Ceux d’Oliv’ s’étaient suffisamment plissés pour lui en donner une idée.

Il ajouta :

– Mathieu frappe fort.

Claire acquiesça. Ce n’était pas une révélation pour elle.

Mathieu éprouva la nécessité de prendre le pouvoir. Immédiatement.

– Finis ton thé, dit-il d’un ton sec.

Elle but ses dernières gorgées. Olivier le seconda aussitôt ; lorsqu’il s’adressa à elle, son attitude ne laissait plus place à la contradiction.

– Lève-toi !

Elle obéit. Oliv’ se leva à son tour.

– Enlève ta jupe et ta culotte.

Elle déboutonna peu à peu la première, mais, ce faisant, elle tourna le visage vers Mathieu, et il put voir, dans son regard, à quel point elle se battait contre elle-même pour s’en remettre ainsi à ses mains, à quel point elle était dans le doute encore, bien qu’elle ait décidé de passer outre. Le trouble qu’il éprouvait en fut majoré.

Oliv’ dut se rendre compte de son malaise, puisqu’il intervint.

– Mathieu ?

– Qu’est-ce que tu attends de cette séance, Claire ? demanda-t-il brusquement.

Elle lui adressa un regard étonné. Après quelques secondes, elle fit glisser sa jupe sur ses cuisses, avant de la retirer.

– De voir… De voir si je peux l’endurer. De voir si c’est vraiment ce que je veux. De voir si…

Elle marqua une pause, puis reprit :

–… Si ça va me faire le même effet que la première fois.

– C’est-à-dire ?

Les mots qui suivirent, elle sembla se les arracher.

– Si ça va m’exciter de nouveau.

Elle saisit les bords de sa culotte et la fit descendre lentement le long de ses cuisses, exposant son bassin dénudé.

– Développe ! exigea-t-il.

Elle inspira profondément. Elle prenait sur elle, il le voyait.

– Je ne suis pas encore revenue du fait d’avoir joui avec ça. Je me demande même si je n’ai pas rêvé, parfois, si ce n’est pas mon esprit qui a construit cette idée et…

– Tu ne jouiras pas juste avec cinq coups.

– Je le sais.

Elle suçota sa lèvre inférieure.

– Je ne peux toujours pas dire si c’est ce que je veux vraiment, reprit-elle.

– Mais la fessée, oui, remarqua-t-il.

– Oui, confirma-t-elle.

Elle avait aimé ça. Il le savait. Il la détailla un moment. Ses confidences lui donnaient envie de la rassurer en la serrant contre lui. D’envoyer balader les limites posées par Oliv’. De la pousser dans ses retranchements, de la voir basculer, puis de lui écarter les fesses et de s’enfoncer profondément en elle. De coller son front à son cou et de se ressourcer au contact de sa peau. Que de contradictions… Il ne savait pas toujours que faire des multiples sentiments que Claire suscitait en lui, sinon constater qu’elle le remuait.

Il adressa un regard à Olivier, qui semblait suivre leur échange avec beaucoup d’attention. Ils n’étaient pas encore entrés véritablement dans la séance.

Oliv’ remarqua :

– Ça t’avait donc excitée, la première fois.

– Oui.

– Et maintenant ?

Elle haussa une épaule, façon sans doute de chercher le point sur ce qu’elle éprouvait.

– Il y a une part de ça, souffla-t-elle.

Elle ajouta :

– Et d’innombrables parts d’autres choses.

Mathieu se doutait bien de ce que pouvaient être toutes ces « autres choses ».

Dans une impulsion, il franchit la maigre distance les séparant et lui saisit la nuque aussitôt qu’il fut contre elle. Il la sentit vaciller à son contact. Il s’empara de sa bouche, y épanchant le besoin qu’il avait d’elle en un baiser dévorant qui lui tourna la tête et le laissa pantelant, bien qu’il se garde de le montrer. Il n’était pas encore habitué à l’émoi qu’elle provoquait en lui. Quand il la relâcha, il la vit placer les mains dans son dos pour s’appuyer, étourdie, à l’arrière du fauteuil, et en eut un sourire amusé. Il se dirigea vers l’endroit où la lanière était posée et essaya de modérer le trouble qui était monté en lui et qui persistait à lui être étranger.

– Mathieu ? souffla-t-elle.

– Oui ?

Il saisit l’objet. Claire le fixait et il voyait presque les rouages de son esprit tourner : ce besoin qu’elle avait de comprendre, toujours, avant de se laisser aller. Fille curieuse qui le perturbait perpétuellement dans ses convictions.

La question ne tarda pas.

– Qu’est-ce que tu cherches dans la domination ?

Il entendit : « Pourquoi est-ce que tu veux me frapper ? »

Durant un temps de silence, il la fixa, conscient de se montrer peu avenant. Cependant, puisqu’elle se livrait, pourquoi ne pas le faire aussi ? Il n’y avait rien d’étonnant à ce que cette question survienne maintenant.

– L’accomplissement d’une pulsion, répondit-il.

La mise en œuvre de son anormalité.

Il évacua aussitôt la gêne qu’il éprouva à cette idée.

Il s’appuya d’une fesse à la desserte où s’était trouvée la lanière, peu avant. Oliv’ était resté devant la table du salon. Rêveusement, Mathieu caressa le cuir entre ses doigts, en éprouva le contact souple, conscient de ce que ça lui coûtait d’ouvrir à Claire les aspects les plus obscurs de son esprit.

– Il n’y a pas que le plaisir sexuel, reprit-il. Il n’y a pas que la douleur, même si l’envie de dominer, de contrôler, est toujours sexuelle, bien sûr.

Il prit un temps avant de préciser :

– Il y a la fascination que suscite la possession de l’autre.

Il plongea les yeux dans le regard de Claire.

– Il y a quelque chose à faire sortir, quelque chose de viscéral, ce qui ne veut pas dire que je perds de vue la limite : pas le moindre instant, elle ne me sort de l’esprit. Ça peut paraître bizarre, je le sais. C’est une pulsion extrêmement puissante, qui a besoin de s’exprimer, mais que je vis pourtant dans un calme absolu. Le contrôle est toujours là. Et puis…

Un sourire sombre, qu’il savait provocant, fleurit sur sa bouche.

–… Il y a aussi la notion de pouvoir. Il m’a fallu un moment pour assumer mes pulsions dominantes et sadiques. Le masochisme, contrairement à ce qu’on pourrait penser, est nettement plus aisé. Prendre du plaisir à souffrir, c’est quelque chose. En prendre à infliger de la douleur…

Il s’arrêta.

–… Mais tu savais déjà que je n’étais pas normal, asséna-t-il enfin.

Il n’attendait pas de réaction à cette déclaration. Le temps des confidences venait de se tarir et il en avait dit bien assez.

– Allez, mets-toi en position ! exigea-t-il.

Elle le fixa un moment, comme si elle cherchait à lire dans ses pensées. Puis elle suivit Oliv’ jusqu’à l’espace du salon situé sous l’anneau fixé dans le plafond. Elle leva les yeux.

– Enlève ton haut aussi.

Olivier lui adressa un regard chargé de reproches. Il n’y prêta pas attention, tout à l’observation de Claire, dont l’expression traduisait un désarroi qu’elle tâchait de contenir.

Il déclara alors :

– Il y aura un sixième coup.

Claire marqua une hésitation, comme si elle attendait de lui des explications, comme si elle se demandait si, cette fois encore, elle lui accorderait sa confiance sans poser davantage de questions. Il aurait dû lui donner plus d’informations. Il ne le fit pas. Ce n’était pas qu’il ne le voulait pas, seulement, mettre des mots dessus lui coûtait. Il exigeait trop d’elle en lui demandant de le suivre les yeux fermés, de lui donner ce « tout » qu’il attendait… Mais c’était justement ce qu’il voulait d’elle, à s’en vriller l’esprit : tout.

Elle ne le lâcha pas des yeux, tandis qu’elle faisait passer son débardeur au-dessus de sa tête, puis dégrafait son soutien-gorge. Il savait à quoi elle songeait : elle avait pris la décision d’aller au bout et s’y raccrochait avec force. Il laissa son regard courir sur son corps.

Olivier, de son côté, arborait une moue de désapprobation. Mathieu décida de ne pas s’en soucier. Oliv’ glissa la corde dans l’anneau le surplombant. Lorsqu’il fut sur le point d’y attacher les deux poignets de Claire, Mathieu l’interrompit.

Sa voix claqua.

– Non !

Il ajouta :

– Laisse-la s’y accrocher d’elle-même. Qu’elle s’y tienne et soit libre ainsi de la lâcher à tout instant.

Claire saisit alors les extrémités de la corde, les enroulant autour de ses paumes pour mieux s’y soutenir, les deux bras tendus au-dessus d’elle. Ils avaient discuté de toutes ces étapes et elle avait accepté chacune d’elles. Même s’il savait qu’elle appréciait le fait d’être attachée, il ne voulait pas de ça, cette fois-ci : il voulait qu’elle puisse lâcher la corde si elle en avait besoin.

Il se concentra sur la lanière qui reposait dans ses mains. Le temps qu’il s’exerce à la mouvoir, Claire avait fermé les yeux. Elle paraissait d’un calme rare. Son corps pâle, dénué de toute trace, s’étendait dans son entière nudité.

Il s’approcha d’elle et repoussa les longs cheveux ébène qui retombaient sur ses épaules, dévoilant son cou. L’attrait de sa chair le saisit aussitôt, lui faisant fermer les paupières. Il posa le front contre elle et, doucement, murmura :

– Dis-moi si tu es prête.

– Je le suis.

Il retint son envie de lui baiser le cou et recula. Durant quelques secondes, il contempla cette chair vierge qui lui faisait face, ce livre aux pages blanches s’offrant à lui pour qu’il y inscrive les lignes de sa volonté.

Alors, il annonça d’une voix calme… si calme, si maîtrisée :

– Tes fesses.

La lanière de cuir fendit l’air, puis claqua sur la chair, faisant trembler Claire qui gémit presque en simultané. Elle s’accrocha aux cordes comme s’il s’agissait là du seul élément qui l’empêchait de sombrer. Le bruit de sa respiration rapide emplit la pièce, chargée des doutes qu’il pouvait entendre dans la moindre de ses expirations hachées.

– Tes cuisses.

Il les marqua d’une ligne rouge, puis en dessina une deuxième, parfaitement parallèle, assez bas pour laisser entre les deux une bande de chair intouchée. Il fut retourné en voyant Claire aller presque à la rencontre de la lanière, bien qu’elle ne semble pas s’en rendre compte… Elle avait des réactions si ambiguës, parfois. Sa manière de paraître à la fois se défiler devant ses coups et se tordre pour venir à leur rencontre le décontenançait, tout en l’excitant profondément.

Ça faisait trois coups.

Il la contourna.

Elle avait enfoui le visage dans le creux de son coude à demi plié et respirait avec force. Son corps nu, exposé à sa vue, ses paupières fermées, ses cheveux épars, collés en partie à ses joues qui commençaient à s’humidifier, ses lèvres entrouvertes… Elle était belle dans le don, fascinante dans l’offrande sans réserve de sa confiance, bouleversante dans l’émoi qu’elle manifestait.

– Tes cuisses. Devant, maintenant.

S’il la vit se raidir, il ne retint pas son geste et frappa la zone annoncée, la marquant à son tour, la faisant sienne, peignant une nouvelle ligne sur sa chair, sur le corps qu’il voulait modeler, l’âme dans laquelle il voulait se perdre, où, peut-être, il se perdait déjà. Il n’avait pas besoin de savoir. Son cœur battait lentement, mais puissamment, et sa tête était pleine de l’acte qui s’effectuait, pleine de Claire, pleine d’eux. Il dessina une seconde marque sur l’avant de ses cuisses.

Claire se tordit, geignit, paraissant de plus en plus fragile, ses réserves balayées, toute velléité de se protéger rendue caduque par la force de ce qui se produisait.

Il savait, à ses lèvres serrées et à ses yeux humides, qu’elle se retenait de toutes ses forces de prononcer ses safewords, qu’elle allait puiser au fond d’elle des ressources auxquelles elle n’avait pas l’habitude de faire appel… Il voyait à quel point elle s’offrait. Il lui caressa la joue. Elle s’y pressa instantanément, cherchant le réconfort de la main qui, pourtant, était la raison du bouleversement qu’elle éprouvait.

Il ne restait qu’un coup.

Il regarda ses seins : cette zone si riche en vaisseaux sanguins qui garderait la marque la plus nette, la plus visible… Celle qu’il était recommandé d’éviter de toucher, en temps normal, parce que plus fragile que la chair souple des fesses ou des cuisses. La plus innervée.

Il connaissait les risques. Il avait choisi volontairement un outil souple et savait qu’il était capable de gérer. Il serra fortement la lanière, obnubilé par l’endroit qu’il visait. Il ignorait comment réagirait la peau de Claire : si les marques resteraient aussi longtemps qu’il l’estimait, s’il ne s’était pas trompé en prévoyant le délai les séparant de la prochaine nuit au club, cette Nuit Noire dédiée au fétichisme, dont ils attendaient la venue.

La lanière partit comme d’elle-même, toucha juste à l’endroit qu’il avait choisi, claqua, revint. Sur le coup, Claire ne cria même pas. Elle ouvrit juste des yeux humides, des yeux surpris, et les referma ensuite pour drainer la douleur, l’accepter et la laisser la traverser… avant qu’elle ne parte, ne s’évanouisse et ne laisse plus que le souvenir de ce qu’ils avaient vécu. Les marques.

– Oliv’…

Sa propre voix lui parut extérieure, lointaine, comme si elle ne lui appartenait plus.

– Tu peux nous laisser ?

Olivier hocha peut-être la tête ou dit « oui ». Il ne le vit pas. Seule Claire captait son attention.

La porte de l’appartement claqua, résonnant dans le silence. Claire respirait fortement. Il contempla son travail, ces longues lignes rouges qui, sur sa peau, le fascinaient. Il la contourna pour voir celles qu’il lui avait faites sur les fesses et l’arrière des cuisses. Alors, il jeta la lanière et, doucement, posa les mains sur les hanches de Claire. Le contact de sa peau l’électrisa. Cette fois, il ne résista pas à lui embrasser le cou : cette chair, là, si accessible, dans laquelle il crevait du besoin de se verser…

Un hamburger, des frites et mon cœur avec (5)

Chapitre 5

Dimanche

Le corps de Mathieu s’enfonça un peu plus dans la couette comme il se détendait. Nu sur son lit, il savourait les effets de son orgasme, fermant les yeux pour prolonger un peu plus longtemps le plaisir qu’il avait ressenti. Ce n’était pas vraiment comparable avec le fait de s’envoyer en l’air avec quelqu’un mais la masturbation permettait aussi de se plonger plus facilement dans ses fantasmes. Il n’avait encore jamais eu besoin de penser à un autre pendant qu’il couchait avec quelqu’un, préférant pour cela les plaisirs solitaires. Il considérait que lorsqu’on en était là, c’est qu’il y avait un problème. Enfin, sans doute que certains avaient de bonnes raisons et chacun voyait midi à sa porte. En ce qui le concernait, celui qu’il aurait aimé voir à la sienne était Ludovic. La petite conversation du vendredi n’avait cessé de tourner dans son esprit et plus que cela, la façon dont il s’était approché de lui. Il avait cru à un moment qu’il allait tenter de l’embrasser et, bureau ou pas, il n’était pas certain qu’il l’en aurait empêché.

Il était clair que fermer la porte n’avait guère été une bonne idée. Il l’avait fait au départ pour ne pas déranger ses collègues mais la relative protection qu’elle offrait et le charme de Ludovic avait suffi à avoir raison de lui, très rapidement. Sans doute beaucoup trop rapidement. Ils commençaient à manquer de discrétion et si personne ne suspectait quoi que ce soit, Sonia s’était quand même amusée à lui faire une réflexion, profitant qu’ils soient seuls dans son bureau. Il avait démenti mais son visage avait affiché une expression clairement dubitative avant qu’elle n’enchaine sur un : « N’empêche, s’il était gay, je suis sûre que tu craquerais et, si ça se trouve, il l’est. Il l’est ? ». Il avait répondu ne rien en savoir et ne pas avoir abordé ce genre de thèmes très personnels avec lui. Elle n’avait eu l’air que moyennement convaincue et il lui avait alors rappelé que cette chère Emeline – paix à son âme, avait complété sa collègue, elle admettait être une vraie langue de pute quand elle le voulait – pensait avoir toutes ses chances. Cela avait paru d’apaiser un peu les soupçons de Sonia. Et fort heureusement pour lui, une fois son repas avalé et la pause-café arrivée, les misères de Nadia du service paie avaient assez occupé son amie pour qu’elle ne revienne pas sur le sujet.

Quoi qu’il en soit, il lui faudrait être plus discret et plus distant, physiquement en tout cas. L’avoir là, sur le coin de son bureau, à porter de mains et de bouche était beaucoup trop tentant. Suffisamment pour que l’idée de balancer tout ce qui se trouvait dessus pour le rapprocher de lui et le prendre là sans autre forme de procès lui effleure l’esprit plusieurs fois au cours de leurs vingt minutes de conversation. C’était beaucoup en si peu de temps. Dans la réalité, il ne l’aurait jamais fait, bonjour le boulot de tri pour récupérer les pièces comptables qui jonchaient son espace de travail. Il fondait littéralement sur son physique, mais aussi sur son esprit et sa capacité à rebondir sur ce qu’il lui disait. L’espèce de petit ping-pong auquel ils jouaient lui plaisait particulièrement. C’était sans doute ce qui l’avait retenu de renchérir quand Ludovic avait parlé de dégustation. Et en soi, le dialogue avait été à ce point amusant qu’il ne le regrettait pas. Mais, il savait aussi qu’il ne tiendrait plus très longtemps et qu’un lapsus finirait par passer ses lèvres. Il était certain que Ludovic ne serait pas surpris, et qu’il savait à quoi s’en tenir quant à son attirance envers lui. Il lui semblait être terriblement transparent dans leurs échanges. Heureusement pour lui, il ne restait que trois jours à résister, après quoi, il pourrait l’inviter tout à loisir à dîner et pourrait l’attirer jusqu’à son lit.

Et cette idée, terrible idée l’avait titillé sans cesse au cours du week-end. Même son footing matinal n’était pas parvenu à faire redescendre son excitation et si tôt sorti de sa douche, il s’était retrouvé sur son lit, son sexe fermement en main à penser au jeune homme et à tout ce qu’il aimerait lui faire et il y avait beaucoup de choses.

Il poussa un soupir de satisfaction. Au moins, se sentait-il maintenant rassasié. Il tendit paresseusement le bras et attrapa un des mouchoirs se trouvant sur sa table de nuit pour essuyer sa main et son ventre, après quoi, il le lança nonchalamment à côté de ses camarades propres. Il le jetterait plus tard, pour l’heure, il voulait savourer la petite brise qui pénétrait par sa fenêtre ouverte.

Il s’était presque endormi lorsqu’on sonna à sa porte. Il grogna. Qui pouvait bien venir chez lui à près de midi ? La sonnerie retentit de nouveau et son visage se ferma. D’un bond, il sauta du lit et passa rapidement un jean et un polo, avant de se rendre à sa porte. La sonnette avait déjà retenti pour la troisième fois quand il y parvint et il savait déjà qui il allait y trouver. Et l’envie de ne pas répondre était forte mais il l’ouvrit quand même.

– Bonjour, madame Rochas !

Son regard se baissa pour voir l’horrible vieille, qui portait à son habitude une de ses tuniques immondes.

– Il faudrait baisser votre musique, c’est insupportable, c’est tous les dimanches, hein ! C’est quand même incroyable ça. Vous n’êtes pas tout seul…

Mains sur les hanches, elle se lança dans sa diatribe sur le boucan de cette musique de fous et le respect qu’on devait avoir en collectivité. Avant qu’elle ne puisse enchainer sur le « Vous, les homos, vous ne respectez rien, même pas le mariage » qui la démangeait sûrement, il l’arrêta.

– Madame Rochas, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, trop occupée que vous êtes à parler, il n’y a aucune musique dans mon appartement. Je la plains d’avance, mais je crois que le bruit provient de la jeune étudiante du studio. Alors, je vous laisse régler vos comptes avec elle et la musique imaginaire qui monte chez vous, hein ! alors que personnellement je n’entends rien une fois ma porte close.

Et il referma ladite porte. Non, parce qu’il voulait bien être poli, mais il y avait des limites quand même.

Et il ne voulait pas être poli de toute façon.

L’initiation de Claire – saison 1 (4)

– C’est bien, la complimenta-t-il de nouveau.

Cette fois, elle se rendit vaguement compte de l’attention qui lui était portée, relevant le visage pour scruter l’expression de Mathieu. Elle sentit ses mains parcourir ses hanches, et elle soupira tandis qu’il la caressait en des gestes lents et enveloppants, avec respect. Elle aima se laisser conquérir par cette sensation apaisante. Elle avait le besoin d’être soutenue.

Lorsqu’il effleura sa poitrine, elle sentit son souffle s’accélérer, puis ses paupières se crispèrent quand une paume se referma sur l’un de ses seins. Les doigts qui firent ensuite rouler son mamelon l’échauffèrent de nouveau. Puis, il se pencha pour baiser tendrement son cou et elle s’abandonna au contact de ses lèvres. La sensation était tellement douce, contrastant avec ce qu’elle avait ressenti auparavant et lui rappelant, bien malgré elle, qu’avant de décider d’en faire le deuil, se sentir serrée avec autant d’attention était tout ce qu’elle avait rêvé de ses relations. Lentement, les larges mains glissèrent le long de ses hanches, l’une passant sur son aine avant de revenir doucement se refermer sur son entrejambe. Le contact possessif la força à laisser retomber sa tête contre l’épaule devant elle et elle y étouffa un gémissement lourd quand la pression s’intensifia sur son clitoris, se transformant en véritable pincement.

– Couleur ? demanda-t-il en continuant à la maintenir fermement.

Elle retint son souffle. La main de Mathieu stimulait son organe le plus sensible, renvoyant des décharges d’excitation dans son corps encore meurtri par la frustration précédente. Perdue, elle se laissa aller plus intensément contre lui, la sensation de son corps solide, massif, lui donnant l’envie de se blottir contre lui. Elle avait tant repoussé son besoin de tendresse que se retrouver dans une situation de domination aussi intense la poussait à rechercher ce qui lui manquait si profondément. Reprendre son souffle lui fut impossible, pas tant qu’il continuait à la toucher ainsi, à stimuler son endroit le plus intime.

Ce ne fut que lorsqu’il la relâcha qu’elle put essayer de répondre. Elle prit quelques respirations plus lentes. Que devait-elle lui dire ? Sa raison se heurtait aux stimuli contradictoires que lui renvoyait son corps. « Rouge » était trop fort. Même « orange » ne reflétait pas véritablement ce qu’elle ressentait. Bien qu’elle doive faire un effort en elle-même pour l’admettre, elle savait qu’elle n’avait eu que très peu à endurer encore.

– Vert, décida-t-elle, bizarrement consciente qu’elle l’incitait ainsi à aller plus loin.

***

– Bien.

Mathieu passa la main dans la chevelure de Clara, caressant doucement ses ondulations brunes en gardant sa tête contre son torse.

Tout à l’écoute de sa respiration, il parcourut de nouveau son flanc des doigts, plissant le tissu de son corset. Le souffle de Clara s’était calmé, maintenant, prenant un rythme plus régulier. Bien malgré lui, il se rendait compte que la jeune femme appuyée contre son torse le troublait. Sous un caractère qu’il avait senti fort, il découvrait une personne sensible, fragile, sa façon de se serrer contre lui témoignant de son besoin comme d’une étonnante acceptation, trop forte pour une première fois… trop enivrante pour lui.

Après un temps d’hésitation, il enroula les doigts autour de l’un des tétons de Clara. Un frémissement se fit, ses paupières se fermant dans l’excitation. Il observa plus qu’attentivement ses réactions. Lorsqu’il augmenta la pression, elle se contracta, jusqu’à émettre une faible plainte quand la torsion s’intensifia encore. Elle ne fit cependant rien pour s’y soustraire et haleta ensuite de plaisir quand il retourna s’emparer de son sexe sans pour autant soulager son mamelon. Elle enfouit son visage dans son épaule, comme pour oublier la brûlure sur sa poitrine. Alors, il la relâcha. Un temps, il posa les lèvres sur la peau blanche à sa portée, en humant la fragrance durant un moment de réflexion. Il devait faire attention, lui-même, à ce qu’il faisait, plus encore qu’il n’en avait l’habitude.

Sa main passa, en une caresse apaisante, dans la chevelure de Clara. Celle-ci ne vit pas le sourire tendre de Mathieu, ses paupières étant restées fermées. Puis il se pencha sur son visage, sa voix se chargeant d’une langueur érotique.

– Je vais t’attacher, souffla-t-il dans son oreille.

La promesse la fit frémir.

– Je vais lier tes bras à ton buste et puis… je t’allongerai sur le lit. Là-bas.

Elle redressa le visage et leva vers lui des yeux brillants. Son état de trouble était flagrant.

– On s’occupera de ces jolies fesses, poursuivit-il avec envie. Je te donnerai quelques coups. À ma convenance. Tu auras mal… et plus tu auras mal, plus tu aimeras. Tu aimeras plus que tu ne peux l’imaginer. Si tu le veux, je te mettrai un bâillon. Et enfin, si tu es sage, si tu joues bien ton rôle et si le spectacle que tu m’offres me plaît, je te prendrai. Je t’écarterai les cuisses, j’enfoncerai mon sexe entre tes jambes et je te baiserai pendant que tu seras encore attachée.

Il la vit déglutir.

– C’est OK ?

***

Claire ne sut comment réagir. En plongeant dans le regard de Mathieu, elle se rendit cependant compte que ce dernier n’attendait pas forcément de réponse de sa part. Ces paroles étaient seulement une façon de lui rappeler que rien de ce qui se passait ici n’était fait sans son consentement, qu’elle pouvait toujours choisir et qu’elle le pourrait à tout instant.

Puis il s’éloigna, se dirigeant vers le meuble où il avait préparé son matériel. Cette fois encore, elle refusa d’observer les objets qui y avaient été posés.

Lorsqu’il revint avec une corde nouée de coton rouge, elle la fixa attentivement. Si son ventre se crispa, elle ne sut s’il s’agissait d’appréhension ou bien d’envie.

– Ne t’inquiète pas, souffla-t-il dans son oreille, avant de la lécher doucement.

Elle commença à se languir du contact de ses lèvres contre les siennes.

– Tu connais le « shibari » ? enchaîna-t-il.

Elle secoua la tête. Puis elle se reprit, pour préciser à voix haute :

– Non.

– C’est l’art de ligoter à la japonaise.

Quelques images, imprécises, vinrent à son esprit. Elle le vit se retourner pour poser un instant ses cordages sur une barre de fer horizontale située derrière lui, avant d’ôter son T-shirt d’un geste, la captivant par la vision de ses muscles roulant sous sa peau. Sa carnation était légèrement mate, plus dorée que réellement foncée. Chaque parcelle du corps qui lui était donnée à découvrir l’attirait décidément curieusement… Chaque trait de sa personnalité également, chaque sourire, chaque intonation sombre de sa voix.

– Tu as déjà dû en voir des photos, expliqua-t-il.

En se retournant vers elle, il passa un premier pan de la corde dans le creux du dos de Claire, s’en servant pour l’attirer contre sa poitrine.

– C’est très esthétique, lui souffla-t-il ensuite, se mordant la lèvre inférieure dans un sourire à la gourmandise contrôlée.

Si la tension sexuelle n’avait pas été si intense, elle aurait pu s’amuser de ses attitudes espiègles. Elle n’en fut que troublée. Elle le vit défaire les attaches de son corset puis l’enlever, exposant intégralement son buste à son regard, et elle se sentit plus dénudée encore, qu’elle ne l’était avant, la situation faisant naître en elle un regain de pudeur qu’elle tâcha toutefois de ne pas montrer. Puis, les cordes se croisèrent sur sa poitrine et elle soupira discrètement. Elle observait les gestes de Mathieu, naviguant du regard entre les mains qui passaient sur son corps et les mèches blondes autour de son visage, retournant régulièrement fixer le torse solide devant elle dont les deux tétons étaient d’un rose un peu foncé.

Docilement, elle le laissa réaliser son ouvrage, consciente qu’il s’agissait là de quelque chose qu’elle avait accepté.

Se faire manipuler ainsi était étonnant. Là où elle imaginait un acte de possession presque primaire, le bondage demandait en fait une réelle participation de sa part. Elle devait accepter ce que le dominateur lui faisait, sans pour autant savoir comment il voulait l’attacher, garder ses membres dans la position exacte dans laquelle il les plaçait, les y maintenir. La soumission se révélait ainsi cérébrale, en plus d’être physique, atteignant là son paroxysme : celle de se plier soi-même aux gestes que l’autre désirait.

La technique demandait une réelle expérience, autant dans les entrelacements savants que dans les précautions évidentes qu’il prenait. Elle le voyait mettre parfois les doigts devant sa peau pour ne pas la brûler avant de faire glisser la corde, se passer à d’autres moments de cette protection, le coton tressé frottant alors cruellement au niveau de ses points sensibles, prendre le temps d’éprouver la tension avant de resserrer les liens, ne déplacer ses membres qu’avec douceur, cherchant le meilleur angle, celui qui l’empêcherait de bouger sans la tordre dans une position qu’elle ne pourrait supporter suffisamment longtemps. L’acte apparaissait alors terriblement sensuel.

En observant le visage de Mathieu, elle sentit son esprit s’égarer un instant. À quoi avait bien pu ressembler son initiation à lui, quand il avait 18 ans ? Comment avait-il découvert ce milieu, et pourquoi s’était-il passé plusieurs années, ensuite, avant qu’il n’y revienne régulièrement ? Ce devait être bien jeune pour vivre une telle expérience. Avait-il été dominateur ? Elle ne le croyait pas. Assumer ce rôle demandait d’avoir de réelles connaissances. Un temps, elle s’interrogea sur ce qu’avait pu être sa première expérience, en tant que soumis.

– Tu te poses des questions par rapport à moi ? intervint-il avec un regard amusé.

Elle sortit aussitôt de ses pensées, se retrouvant prise au dépourvu, comme en faute. Elle chercha à savoir que répondre.

– Tu n’as pas de raison de t’inquiéter, anticipa-t-il, avant de prendre un ton plus froid : ne te pose pas de questions.

Puis, un mouvement sec fit remonter ses poignets noués dans son dos, lui coupant un instant le souffle. Elle tâcha de retrouver sa contenance. Se laisser attacher ainsi était réellement surprenant. Le coton tressé rampait sur sa peau comme autant de mains qui y seraient passées, les pans de corde se faisaient autant maintiens que soutiens, l’enserrant, parcourant sa chair en des mouvements chaque fois impossibles à anticiper, parfois trop lents, parfois trop rapides à se resserrer, l’excitant malgré elle à chaque sensation de tension. Fermement maintenus dans son dos, ses bras se retrouvaient désormais immobilisés, tout le haut de son corps lacé dans un corset aux mailles démesurément larges. Des losanges de tailles différentes se formaient sur sa poitrine, passant autour de ses seins. Quel que soit l’angle depuis lequel on l’observait, l’ouvrage se révélait superbe, la couleur rouge du coton mettant en valeur celle laiteuse de sa peau.

Une fois le bondage terminé, il recula d’un pas pour la détailler. Sous son regard, elle se sentit incroyablement désirable. Alors qu’elle essayait de mouvoir ses membres, se rendre compte à quel point elle était vulnérable, soudain, provoqua cependant en elle une certaine angoisse et elle leva des yeux humides vers lui dans un appel à l’aide, sa respiration s’accélérant. Mais il posait déjà les mains sur ses épaules dans un geste rassurant. Son souffle s’apaisa, tandis qu’elle se laissait aller à la sensation de la peau chaude la caressant. Les lèvres qui se posèrent de nouveau dans son cou l’étourdirent légèrement.

– Calme, chuchota-t-il.

Elle expira longuement.

Il passa les doigts sur la peau fine de sa poitrine, s’accrochant aux cordages, faisant se plisser son mamelon dans une expression de fascination. Puis, il glissa les doigts sous deux coins de corde rouge au niveau de ses côtes et l’attira vers lui. De surprise, elle rouvrit les paupières, et l’espace d’un instant, elle eut l’impression qu’il la regardait comme s’il était sur le point de la serrer contre lui. Cela ne dura pas. La lueur dans ses yeux se transforma en autre chose. De plus espiègle.

– Maintenant, on va s’occuper de ces jolies fesses, mademoiselle Clara.

Puis il la fit lentement reculer, sans pour autant cesser de la fixer.

La distance qui les séparait du lit, derrière les voiles sombres, ne fut pas longue à parcourir.

Une fois qu’ils y furent parvenus, elle s’y laissa pousser avec complaisance, tombant étendue sur le dos au milieu d’un matelas dont la fermeté la surprit. Puis, il posa un genou à côté d’elle, la contemplant avec un petit sourire en coin. L’instant suivant, il la retournait brusquement sur le ventre. Elle expira de surprise tandis que sa poitrine s’écrasait contre le matelas, les draps d’un noir profond se révélant rêches contre sa peau sensible. Naturellement, son visage se tourna sur le côté, tandis qu’elle sentait Mathieu retirer son sous-vêtement, la laissant uniquement vêtue de ses bas.

Maintenant qu’elle était allongée, l’angoisse se dissipait. Elle ferma les paupières dans l’abandon. Par les nœuds et les cordes frottant contre sa chair, elle avait l’impression de percevoir encore les mains de Mathieu sur son corps, comme s’il s’agissait de lui qui la frôlait, qui la touchait, la faisant prendre conscience de la façon dont elle se sentait prête, désormais, pour ce qui allait suivre. Au bout d’un moment, elle se demanda pourquoi il restait si longuement immobile derrière elle, lui donnant l’impression qu’il l’observait comme s’il hésitait sur ce qu’il allait faire, qu’il avait du mal à prendre une décision.

Quand il repartit vers le placard, elle ne s’inquiéta cependant pas de savoir ce qu’il avait choisi. Elle ne réagit pas plus en voyant une canne se faire déposer sur le matelas devant son visage. « Des coups », avait-il dit. « Des coups. » Bien que l’objet qu’il venait de sortir n’ait rien de rassurant, bien qu’il ne s’agisse vraisemblablement pas de ce qu’il avait préparé initialement, elle ne s’en soucia pas. Elle savait qu’elle allait avoir mal, il l’en avait avertie.

Lorsqu’il s’assit près d’elle, sa présence sembla l’envelopper. Puis, un produit froid tomba sur ses fesses, la surprenant suffisamment pour la faire frissonner.

– C’est une canne anglaise, expliqua-t-il en glissant un doigt juste entre ses deux globes de chair, y étalant le lubrifiant.

Sentir Mathieu convoiter clairement l’espace le plus intime de son anatomie la fit trembler d’étonnement, en plus de l’exciter dangereusement. Elle se demanda pourquoi il s’intéressait désormais à cette partie de son corps, mais il ne lui laissa pas le temps de se poser plus de questions, lui écartant soudain largement les cuisses. D’envie, elle pressa le visage contre le matelas. Il aurait pu les ouvrir plus encore ; elle n’aurait rien fait pour l’en empêcher. Elle aurait peut-être voulu même qu’il les étire jusqu’à leur paroxysme.

– C’était utilisé avant pour punir les servantes… ce genre de choses, reprit-il. À toi de choisir maintenant si tu veux que je te bâillonne. Je ne voudrais pas que tu te retiennes de crier si tu en as besoin.

Ce disant, il relâcha ses fesses pour attraper un objet posé juste à côté d’elle, la faisant se raidir en en sentant soudainement la matière plastique se presser au niveau de son entrée de chair. Elle essaya de se détendre et enfouit le visage entre les draps du lit, l’angoisse l’étreignant. Elle ignorait de quoi il s’agissait, s’il voulait réellement la pénétrer ainsi… Elle ne s’était pas attendue à un tel geste de sa part, surtout après la manière dont il l’avait caressée auparavant. D’une certaine façon, ce lui sembla cependant logique, c’était un acte tellement dominateur. Qu’il soit associé au rapport qu’ils entretenaient alors n’était pas dénué de sens. Elle se sentait cependant tellement serrée…

Des mouvements rotatifs se firent au niveau de l’entrée de son corps, légers d’abord puis de plus en plus présents, couvrant progressivement l’objet de lubrifiant et, en même temps, lui faisant prendre conscience de sa taille. Bien que cette dernière fût inquiétante, la sensation restait profondément agréable et même de plus en plus tentante, au fur et à mesure que le contact s’intensifiait. Petit à petit, elle commença à se languir de le sentir plonger en elle. Inconsciemment, elle inclina les reins, ignorante de la façon dont le regard de Mathieu s’alluma. Elle pressa son front contre le matelas, sa nuque s’étirant. Puis, enfin, la tension se fit plus forte. De par sa forme, elle comprit qu’il s’agissait d’un plug, le bout de faible diamètre entrant facilement en elle… les premières secondes, alors que l’élargissement qu’imposait le corps de l’objet devenait juste ensuite trop massif. Elle essaya alors de contrôler sa respiration. D’une certaine manière, elle se sentait trop envahie, se retrouvant à la limite de la douleur ; de l’autre, c’était du plaisir que pareille intrusion provoquait en elle, la laissant incapable de savoir ce qu’elle devait ressentir.

Lentement, très lentement, il poussa l’objet dans son corps, l’ouvrant millimètre après millimètre, s’arrêtant parfois pour lui permettre de s’adapter, observant ses paupières serrées, poursuivant juste ensuite. Le dernier passage, plus large, avant que l’objet ne se resserre à son bout la fit étouffer un gémissement. Il fallut une bonne minute pour que la sensation de brûlure s’estompe, mais pourtant, au fond d’elle, elle apprécia d’être ainsi emplie. Elle se sentait comblée, entièrement offerte aux mains de l’homme à qui elle avait décidé de se donner.

Durant tout ce temps, il était resté à détailler son visage, curieux de ses réactions et, d’une manière plus large, de son attitude face à cette session.

Puis la main de ce dernier passa dans la chevelure brune, doucement, et il se leva.

– Je vais te mettre un bâillon, décida-t-il.

Elle se rendit alors compte que, pas une fois, elle n’avait laissé le moindre son sortir de sa bouche. Elle en était même essoufflée.

Lorsque Mathieu revint, le poids de son corps sur le matelas fit bouger autant le plug que le drap qui s’était plissé sous son clitoris lors de l’introduction de ce dernier, la stimulant vivement. Le pouce qu’il glissa entre ses lèvres se fit aussitôt aspirer avec envie. S’il avait mis son sexe dans sa bouche, elle l’aurait sucé avidement ; elle aurait aimé qu’il le fasse : qu’il baise encore sa bouche, comme il l’avait fait précédemment. Puis elle laissa sa mâchoire se faire abaisser. Un mouchoir y fut enfoncé, la surprenant tandis qu’il prenait place au fond de sa gorge. La boule qui suivit, soutenue par un lien de cuir qu’il attacha aussitôt derrière son crâne, finit de la bâillonner.

– Essaye de respirer calmement, indiqua-t-il en glissant un objet rond de taille moyenne entre ses doigts.

Il lui referma la main doucement.

– C’est une sphère de métal, expliqua-t-il. Ouvre la main pour la lâcher et je m’arrêterai. C’est ton safeword, prononça-t-il sur un ton marquant l’importance de l’information.

Elle serra la boule qui lui avait été donnée, en éprouvant le poids. À chaque instant, l’attention que Mathieu lui portait la touchait, la faisant se sentir plus précieuse qu’elle ne l’avait jamais été. Elle aimait tout autant cette attitude que sa manière de la brusquer, d’éprouver ses limites, à chaque seconde. Ce n’était pas raisonné.

En sentant les doigts masculins glisser entre ses fesses jusqu’à la base de l’objet qu’il y avait glissé, elle se crispa. Une légère pression s’y exerça, l’objet plongeant plus profondément à l’intérieur d’elle et elle réagit en se cambrant, le frottement de son sexe contre les draps rêches provoquant en elle une violente décharge d’excitation. À cause du tissu et de la boule gênant le passage de l’air au niveau de sa bouche, elle se retrouva tout de suite à bout de souffle, devant prêter attention à respirer correctement par le nez. Puis il lui écarta plus encore les cuisses et elle gémit sous son bâillon, les draps se plissant de nouveau sous son corps comme elle s’y raidissait. Une seconde, elle faillit lâcher la sphère qu’il lui avait donnée et s’y agrippa de toutes ses forces, perturbée juste ensuite par l’inquiétude qu’elle avait ressentie à l’idée de la faire tomber. Son inclination à se soumettre au plaisir torve que cet homme lui avait promis, la façon dont cette situation l’excitait… tout la dépassait.

– Clara…

Entendre ainsi le nom qu’elle s’était choisi la ramena vers des pensées plus calmes. Elle lâcha un profond soupir. Il passa le doigt sur sa tempe comme s’il devinait ce qui la perturbait.

– Tu n’as pas à réfléchir, poursuivit-il. Tout ce dont il est question ici, c’est de mon plaisir. C’est moi qui aime te voir attachée comme cela. C’est moi qui me plais à te faire gémir dans ton bâillon.

Ce disant, il attrapa du bout des doigts la base du plug pour le faire ressortir presque entièrement, lui envoyant une décharge de douleur mêlée de plaisir plus forte quand la partie la plus large passa son orifice, puis l’y replongea pour y pratiquer quelques allers-retours. Elle se tordit, pantelante.

– C’est moi qui veux te voir, les fesses rougies, craindre autant que désirer mes coups, c’est moi qui veux goûter à ton expression dans ces moments-là. Toi, tu acceptes, tu te plies, tu me laisses jouer avec toi tel que j’en ai envie. Tu t’abandonnes. C’est mon plaisir… et puis le tien aussi, bien sûr. Le tien. Il suffit de te laisser aller. Simplement de te laisser aller.

Puis il poussa plus fortement l’objet la pénétrant, la faisant presser le bassin contre le matelas tandis que le plaisir la lançait brutalement.

– Garde les jambes écartées, indiqua-t-il finalement en se relevant.

Elle ne fut que trop prête à obéir. Le lit bougea encore un peu.

Le bruit rapide qui fendit ensuite l’air la fit à peine réagir. Elle tourna le visage, observant Mathieu manier la canne de rotin dans le vide, en éprouvant la force, l’ampleur du geste et la précision. Sous la lumière rouge pâle de la pièce, ses muscles se contractaient et se tendaient dans une vision superbe, pleine de puissance. Elle n’eut même pas peur de ce qui allait venir. Elle retourna attendre calmement, la tête appuyée sur le matelas.

D’un coup, l’objet tomba en travers de ses fesses.

Le premier impact la surprit. Il avait frappé fort ! Ou alors était-ce la sensation que la canne provoquait ? Elle ne le savait pas, mais elle n’avait pas imaginé quelque chose d’aussi intense pour une première fois. « Rien de trop poussé », avait-il dit. La douleur se révéla toutefois bien inférieure à ce que la force du coup avait suggéré : plus proche d’une piqûre brève que de quoi que ce soit de lancinant. Un instant, elle eut l’impression que l’apparence de l’objet l’avait trompée, que l’acte ne serait pas si difficile à supporter… puis la brûlure, secondaire, perverse, commença à s’étendre, la prenant au dépourvu, se diffusant impitoyablement autour de l’endroit où la canne s’était abattue. Ça faisait mal… Elle lâcha un murmure étouffé par son bâillon.

– Bien, commenta-t-il, l’encourageant à ne pas se retenir.

Elle se força à respirer calmement, de toutes ses forces. La douleur n’atteignit son apogée qu’au bout de plusieurs interminables secondes durant lesquelles elle pensa être incapable de soutenir d’autres coups. Elle ne savait même pas s’il avait vraiment frappé de manière si intense ou s’il ne s’agissait que d’une impression.

Quand elle sentit enfin la brûlure sur le point de redescendre, elle se prépara à se relaxer un peu, mais le deuxième coup tomba juste à ce moment, à peine plus bas, marquant l’arrondi de ses fesses d’une autre zébrure nette. Elle resserra la main sur la sphère métallique, un gémissement sortant de sa gorge.

Plusieurs secondes passèrent, le même nombre, dans une parfaite exactitude, que celui qui avait séparé le deuxième coup du premier.

Puis la canne s’abattit une troisième fois et, de nouveau, elle geignit, son visage se crispant.

Elle ne sut même pas pourquoi elle persista à tenir avec autant d’insistance l’objet que lui avait donné Mathieu. Elle aurait pu le lâcher, à tout instant, rien n’aurait été plus simple : desserrer les doigts et exposer ses mains ouvertes au jeune homme derrière elle. Elle savait qu’il s’arrêterait aussitôt. Rien ne lui en donna pourtant réellement envie, non pas que la souffrance ne fût pas vive, elle était même au-delà de ce à quoi elle s’était attendue, mais il y avait aussi la fierté, l’indicible plaisir de se plier à la volonté de cet homme, la joie de le contenter dans son envie de la voir ainsi. Elle voulait qu’il l’estime pour sa capacité à supporter ce qu’il lui faisait ; elle savait que son désir n’en serait que plus fort. La prendre dans cette position même, écarter sa chair marquée pour y plonger son sexe… C’était ce qu’il lui avait promis. Et chaque coup, chaque décharge douloureuse qu’elle endurait ne l’en rapprochaient que plus. Son corps se serrait autour de l’objet qui y avait été enfoncé, son excitation ne faisant que grandir. Quant à la souffrance qu’elle endurait, elle lui apportait aussi quelque chose d’inestimable, d’indescriptible…

Au fur et à mesure des retombées de la canne, le lien entre elle et Mathieu se tissait. Jamais elle n’avait eu à soutenir pareille épreuve, jamais elle n’y avait été accompagnée avec tant d’attention. Elle était, en cet instant, le monde à elle toute seule, tout tournait autour de ses gémissements et de ses paupières plissées, de sa volonté, de sa force, de la façon dont la sueur perlait au niveau de son front, de l’humidité naissant au coin de ses yeux. Bien qu’une partie d’elle la poussât à réagir contre ce qu’elle était en train de subir, une autre l’acceptait avec délectation, ses pensées s’y diluant.

À chaque coup, elle se déchargeait de toutes les craintes et angoisses qu’elle avait accumulées, de toutes les questions qu’elle s’était trop posées, de toutes ses incompréhensions. La voix obscurcie par les objets enfoncés dans sa bouche, elle n’avait pas besoin d’en retenir les plaintes. La canne était à la fois douleur et libération, lui permettant de se laisser aller : de crier, de haleter et de gémir sous les sensations contradictoires qui se faisaient en elle, chaque impact envoyant des vibrations dans tout le bas de son corps, se répercutant jusqu’au creux de son sexe, tandis que son orifice se resserrait autour de l’objet qui y était plongé. Ce qu’elle ressentait était plaisir autant que souffrance, les deux mêlés de façon inextricable. En elle, l’incroyable était en train de se produire, la longue cadence des impacts se succédant la laissant le cœur battant, soumise, offerte, heureuse de l’être, fière, des picotements parcourant son épiderme comme autant de décharges électriques. Au bout d’un moment, elle ne sentit plus vraiment les coups. Ses fesses étaient une masse bouillante, son corps devenu lourd du plaisir et de la douleur ressentie. Elle ne se rendit même pas compte des larmes qui s’écoulaient maintenant en un mince filet de ses yeux. Elle n’était plus que sens exacerbés. Elle était sensualité, elle était délivrance, elle était corps offert, prêt à être pris. L’objet introduit en elle lui rappelait sa présence en permanence, son clitoris devenu brûlant des frottements contre les draps du lit, lui faisant prendre conscience d’à quel point l’acte auquel elle s’adonnait avec Mathieu était sexuel… Comme s’il lui faisait l’amour. Curieuse et déviante impression. Curieuse…

Puis, d’un coup, comme ça, parce que les miracles existent et que ce qu’il se passait était au-delà de l’explicable, elle sentit l’orgasme se former en elle. Elle ne comprit pas.

Ses cils humidifiés se décollèrent. Sa vision resta floue.

Le dernier impact de la canne. La dernière vibration, la douleur s’étendant… L’objet à l’intérieur de son corps. Son sexe trop stimulé. Sa chair devenue brûlante, le regard de Mathieu juste derrière elle et la sensation forte de sa présence.

Un coup, encore, plus rapproché cette fois, la prenant totalement au dépourvu, et la jouissance déferla, la faisant se raidir alors que son corps se contractait, la brûlait, envoyant des décharges de plaisir dans chacun de ses nerfs. Parce que le bâillon le lui permit, elle gémit sans entraves, le plaisir fulgurant la laissant épuisée, perdue…

Plus rien ne s’abattit sur ses fesses. Seul un murmure parvint à ses oreilles.

– Clara…

Dans la façon dont il souffla son nom, il y eut tout l’éblouissement, l’estime, la fascination liée au fait de l’avoir vue jouir ainsi… de la voir maintenant, son corps pâle étendu sur les draps, lasse, vidée, plus libre qu’elle ne l’avait jamais été dans ses liens et son bâillon. Ses lèvres se posèrent sur sa nuque, la faisant s’abandonner entièrement à leur douceur. Il y avait quelque chose de pervers dans le fait de penser que les mains qui la réconfortaient étaient les mêmes que celles qui l’avaient châtiée. Tout au besoin qu’elle ressentait de la présence de Mathieu, cela lui semblait pourtant curieusement naturel. En cet instant, il était tout pour elle et elle n’avait besoin de rien savoir d’autre.

Un hamburger, des frites et mon cœur avec (4)

Chapitre 4

Vendredi

– Encore un hamburger et des frites ! Sérieusement ?

La remarque provoqua un éclat de rire chez Mathieu. Il détourna le regard de son écran d’ordinateur pour le reporter à la porte de son bureau où se tenait Ludovic.

– Quoi ?

– Vous le faites exprès ? Vous avez perdu un pari ? Quelque chose ?

– Absolument pas.

– Vous avez conscience que c’est hyper mauvais pour la santé !! s’exclama le jeune homme en s’avançant jusqu’à son bureau où il déposa néanmoins ledit repas.

– Vous faites partie de la brigade anti-graisse saturée ou quoi ?

– Exactement !

– C’est moi où vous vous faites enrôler dans toutes les organisations possibles ?

– Je fais aussi partie des témoins de Jéhovah, je ne vous l’avais pas dit ?

Une fois de plus, Mathieu rit, avant de secouer négativement la tête. C’était idiot, mais c’était agréable cette petite pause dans la journée. En un peu plus d’une semaine, il en était venu à attendre Ludovic avec un intérêt croissant. Apprendre que le jeune homme était cent pour cent homo lui avait permis de le voir sous un autre jour, ou plutôt, il était tout d’un coup devenu accessible. Et cette accessibilité était terriblement tentante.

Néanmoins et, comme il le lui avait dit, il ne désirait pas afficher ouvertement son attirance au boulot. Aussi essayait-il de se montrer amical mais sans aller vraiment plus loin.

Autant l’admettre… c’était clairement compliqué : ce type était vraiment craquant.

Ce jour-là, la grisaille parisienne avait fait troquer à son livreur son pantacourt pour un jean droit mais qui mettait incroyablement bien ses fesses en valeur, comme il avait pu le constater à l’instant. La chemise et le pull qu’il portait changeaient aussi son apparence et il perdait un peu de son côté vadrouilleur, mais conservait quand même son charme. Charme auquel il était difficile de résister.

Il n’était pas le seul, d’ailleurs. Ses collègues étaient folles de lui. Même le départ d’Emeline, que tout le monde s’était accordé à trouver malheureusement normal, n’avait pas entaché ce nouveau petit rituel : surveiller la venue de Ludovic. Il avait honte de l’admettre, mais c’était Sonia qui lui avait appris le prénom du jeune homme. Au milieu de leurs courts échanges et de leurs plaisanteries, il n’avait pas pensé une seule fois à lui demander avant que l’information ne lui soit rapportée. Reconnaissons qu’elles parlaient beaucoup de lui. Il avait le sentiment que Ludovic monopolisait le sujet de conversation de onze à quinze heures.

C’était d’ailleurs hallucinant l’importance qu’il avait prise en si peu de temps. Les filles guettaient son arrivée comme dans cette vieille pub pour Coca-cola, où le gars vidait sa bouteille comme si c’était le truc le plus sexy qu’un type puisse faire. Il avait vraiment l’impression d’assister à une sorte de remake tous les midis.

Et s’il ne poussait pas les mêmes soupirs énamourés, il n’était pas mieux. Sa porte était ouverte sur le coup des douze heures, et il surveillait lui aussi le passage de Ludovic qui ne manquait jamais de lui faire un coucou avant de venir le rejoindre une fois débarrassé de sa petite cour. Le plus drôle était sans doute de constater que certaines de ses collègues qui insistaient sur le fait de déjeuner à l’extérieur au moins un jour sur deux ne décollaient plus. Même leur patron avait fini par s’intéressait au cas Ludovic et s’en était beaucoup amusé, demandant ce que ce jeune homme avait de si particulier, question reprises par deux de ses collègues masculins. Mathieu s’était bien gardé de participer à cette conversation là.

La seule qui s’était permis d’insister à ce sujet était Sonia, un matin dans son bureau, la porte bien fermée, car aussi curieuse qu’elle ait été, elle savait respecter son choix. Mais elle avait quand même remarqué que ça rigolait bien le midi quand Ludovic passait le voir. Néanmoins, et aussi sympathique que soit leur relation, il avait gentiment coupé court à la conversation par un :

– Je refuse de m’engager dans cette voie, Sonia. Je ne veux pas me retrouver à potiner avec toi.

– Parce que ce n’est pas déjà ce que tu fais devant Thérèse peut-être.

– Je t’écoute débiner l’ensemble de nos collègues, tout en savourant mon café, nuance !

– Salaud ! lui avait-elle lancé. Je suis certaine qu’une partie de toi est jalouse de ne plus être le centre des discussions entre filles, hein !

– Absolument pas.

– Ouais, tu devrais te méfier, maintenant qu’on a viré super gourdasse, je ne serais pas surprise que Virginie choisisse un autre mec, rien que pour te faire chier.

Mathieu avait repoussé la menace d’un vague geste de la main.

– Qu’elle fasse, qu’elle fasse. De toute façon, je sais qu’elle me garde un chien de sa chienne.

Sonia avait hoché la tête. La jeune femme n’avait pas digéré la façon dont Mathieu lui avait parlé, pas plus que le jugement qu’il avait porté sur son travail et ses qualités de recruteuse. C’était d’autant plus mal passé que tout le monde s’était accordé à dire qu’Emeline était mauvaise, même si certaines avaient nuancé par des « Il lui aurait sans doute fallu plus de temps ». Et le fait que Patrick tranche en faveur de Mathieu sur les prochains recrutements, l’avait encore plus agacée. Du coup, elle ne lui adressait la parole que du bout des lèvres et affichait un air pincé en permanence. Si ça pouvait lui faire plaisir, franchement, il avait d’autres chats à fouetter.

– Quoi qu’il en soit, si vous prenez un autre type, tu n’auras plus ton poulailler personnel ?! continua Sonia.

– Tu as conscience que tu es incluse dedans ?

– Non ! pas de sexe au bureau, c’est ma religion, tu le sais très bien.

– Parce que tu ne baves pas sur notre nouveau livreur.

Sonia avait affiché un sourire amusé.

– C’est différent. Il est trop jeune pour moi et je ne me verrais pas lui demander son numéro ou lui proposer de sortir boire un verre au milieu de nos collègues. Mais ça ne me dit pas ce que tu en penses.

Mathieu avait attrapé le dossier qu’elle était venue chercher et le lui avait tendu.

– Tiens de quoi t’occuper !

– Rabat joie, s’était-elle plainte avec une moue.

Quoi qu’il en soit, ce qu’elle avait dit résumait parfaitement bien les pensées de Mathieu, même s’il songeait de plus en plus à inviter Ludovic, il le repousserait au dernier jour. Ce serait plus simple. Ludovic était déjà tellement tentant sans y avoir goûté qu’il n’imaginait pas ce que cela donnerait si c’était le cas. Et puis, parviendraient-ils, l’un comme l’autre, à maintenir une façade de simple camaraderie s’ils savaient qu’ils allaient se voir. Franchement, avec ce que lui avait balancé Ludovic le premier jour et les regards qu’ils se lançaient de temps en temps, il était évident que ça aboutirait forcément dans un lit. Il ne pourrait pas en être autrement. Il fallait être réaliste.

Il n’était pas un grand spécialiste de l’approche en douceur. C’était un des avantages d’être gay pour lui, pouvoir se montrer direct et ouvert sur ses envies. Quand il voulait tirer un coup, il se trouvait un mec et le faisait. Si cela débouchait sur plus, il n’était pas contre, bien sûr. Et franchement, avec Ludovic, c’était peut-être une possibilité. Il appréciait de plus en plus leurs petites conversations dont il était évident qu’elles duraient toujours plus longtemps à chaque nouvelle journée. Et ils n’en étaient, fort heureusement, pas restés à ses choix alimentaires. La veille, ils avaient parlé cinéma parce que Ludovic arborait un tee-shirt du Seigneur des anneaux. La discussion avait rapidement dérivé sur les romans adaptés sur grand écran, ceux qu’ils jugeaient réussis et les ratés.

Et si Ludovic était clairement baisable, leurs échanges lui montraient qu’il était aussi beaucoup plus intéressant que ça. Qu’il y avait bien plus à découvrir avec lui qu’un un joli petit cul. A commencer par sa répartie et son humour. Et aujourd’hui ne semblait pas vouloir faire exception.

 – Vous allez essayer de me convertir ? demanda-t-il, rebondissant sur la réplique de Ludovic sur son appartenance aux témoins de Jéhovah.

– Ah non, je ne mélange jamais deux missions ! Et je ne vante les mérites et la gloire de Jéhovah qu’au domicile des gens.

Il pouffa à nouveau.

– Ah oui, au bureau, c’est lutte contre la malbouffe !

– Je ne vous permets pas de dire que mon cousin fait de la malbouffe.

– C’est vous qui critiquez mon alimentation.

– Oui parce que vous pourriez changer.

– J’ai pris des pâtes vendredi dernier et mercredi aussi ! se défendit Mathieu.

– Deux jours de pâtes, huit jours de hamburger, je suis épaté par tant de diversité.

– Ce n’est pas le même tous les jours.

– Et les légumes ?

– Y’en a dedans. Salade, tomates, céréales, protéines, un repas parfaitement équilibré. Je vous accorde que les frites, on peut faire mieux.

– Vous avez conscience que vous ne vous défendriez pas autant si vous jugiez qu’il n’y avait aucun problème avec vos repas !

– Absolument pas ! insista-t-il.

Ludovic secoua négativement la tête, avant de poser une fesse sur le coin du bureau de Mathieu. C’était la place qu’il s’était attribué ces derniers temps. La place qu’il attendait de prendre chaque matin. S’il avait pensé que Mathieu n’était pas intéressé le lundi précédent, les jours passant tendaient à mettre à mal ses certitudes. Mathieu soufflait le chaud et le froid. Ce n’était pas tant dans ce qu’il disait, même s’ils plaisantaient beaucoup, c’était plus dans les regards qu’il lui lançait et dont, peut-être, il ne semblait pas toujours avoir conscience. Il avait l’impression d’y lire une gourmandise, une envie qui était clairement sexuelle. Il s’était vu détaillé plusieurs fois, comme lors de leur première rencontre et, il voulait bien ne pas se faire de films, mais toutes les fois où il s’était fait mater de cette façon, cela s’était fini dans un lit, quand le gars lui plaisait bien évidemment.

Et franchement, il aurait dit oui tout de suite. Il avait conscience que Mathieu n’était sans doute pas aussi sexy que l’impression qu’il en avait, pas aussi beau non plus. S’il était objectif, il aurait reconnu qu’il avait déjà vu mieux, seulement son objectivité était passée par la fenêtre depuis belle lurette ou plus réalistement, elle s’était envolée avec la fumée de cette satanée cigarette dont il ne s’était pas remis. Est-ce qu’on pouvait tomber amoureux juste sur une connerie comme celle-là ? Y avait-il un évènement marquant comme ça, un truc qui faisait basculer ? Il n’en savait rien. Et honnêtement, il n’aurait pas non plus dit qu’il était amoureux, mais clairement, il était obsédé. Il n’arrêtait pas de penser à lui. Le matin, il s’effrayait du temps qu’il lui fallait pour choisir sa tenue, quelque chose qui soit suffisamment confortable pour jouer les livreurs mais qui le mette en valeur. Et il constatait que ses efforts n’étaient pas vains. La veille, son pantacourt fétiche, celui qui lui moulait vraiment bien les fesses lui avait valu sa part de regards appuyés. Soit dit en passant, il avait noté qu’il n’y avait pas que chez Mathieu que cela avait fait son petit effet. Les filles l’avaient zieuté encore plus que d’habitude même si elles avaient essayé de le faire le plus discrètement possible. Elles n’étaient pas très douées pour ça et il soupçonnait certaines de ne pas chercher à l’être réellement. Aucune d’elles n’avait osé lui demander d’aller boire un verre ou de se voir à l’extérieur mais les questions sur sa vie sentimentale avaient fusé. Il était volontairement resté discret.

Bien sûr, il avait plaisanté avec Mathieu à ce sujet, pour caser, l’air de rien, qu’il était parfaitement célibataire. Parce que s’il ne désirait pas qu’elles soient informées de cela, il escomptait bien que celui qui l’intéressait le soit. Mathieu n’avait pas vraiment eu de réactions, si ce n’était d’aller dans son sens, par rapport à ses collègues. Il n’avait pas cherché à insister davantage. Il avait compris que cela ne servait à rien. Mathieu réorientait toujours la conversation pour la maintenir dans le cadre de la virile camaraderie. Malgré cela, et surtout parce que Mathieu avait reconnu de lui-même le lundi ne pas souhaiter exposer son orientation sexuelle au travail, il supposait qu’il y avait de cette volonté de discrétion dans ses réactions. Du moins, était-ce ce qu’il pensait la plupart du temps mais par moment le doute le prenait et il se disait qu’il analysait mal les regards dont le gratifiait son beau comptable.

N’empêche que s’il en jugeait par celui qu’il recevait pour l’heure, il lui plaisait. Une fois de plus, il hésita à lui proposer discrètement d’aller boire un verre. L’idée le tentait de plus en plus. Il avait même failli le faire le mercredi, ne serait-ce que pour arrêter de s’interroger, de savoir si oui ou non il l’intéressait, mais ils avaient été interrompus juste comme il ouvrait la bouche. Il l’avait de nouveau envisagé la veille, mais… en fait, aussi contradictoire que cela était, il aimait bien cet état, ignorer exactement sur quel pied danser et quoi dire ou faire. S’il posait la question, il n’aurait plus le loisir d’analyser, de se prendre la tête, d’imaginer. Et, il adorait ces moments, il adorait se sentir envahi de la sorte par quelqu’un, avoir l’impression de le croiser dans la rue, de le voir dans une silhouette, se surprendre à penser à lui en plein milieu de la journée, et l’utiliser pour ses petits plaisirs du soir… Il se laissait aller à imaginer ce que cela ferait de défaire complètement cette cravate, de déboutonner cette chemise, de passer ses mains le long du torse qu’il trouverait en dessous, d’y déposer sa bouche, sa langue, d’y naviguer jusqu’à descendre au pantalon. Empressé de le sentir poursuivre plus bas, Mathieu le déferait rapidement et il pourrait s’agenouiller devant ce fauteuil de bureau, entre ses jambes et découvrir son sexe, le voir tendu d’excitation pour lui, par lui. Le toucher du bout des doigts serait ce qu’il ferait en premier, avant de faire glisser le long de sa paume, d’entendre les soupirs que cela provoquerait chez Mathieu, et puis de porter sa langue dessus, de le taquiner juste un peu, juste assez pour qu’il en demande plus, pour qu’il murmure son prénom. Et après, il le prendrait en bouche et le sucerait avidement, goûterait sa texture, sa douceur, sa forme autrement que par ses yeux et ses mains, le dévorerait et s’arrêterait juste à temps, juste au moment où Mathieu serait prêt à jouir. Il le forcerait ensuite à reprendre cette attitude qui l’avait tant excité quand il était sorti de ce bureau en colère, se ferait attraper, déshabiller et poser sur ce bureau, embrasser avec passion alors que les mains désireuses de Mathieu dévoreraient son corps de leurs caresses et l’envahiraient d’une toute autre façon, satisfaisante d’une toute autre manière. Enfin, ils feraient l’amour sur ce bureau, avec ses collègues, toutes ces femmes qui fantasmaient sur lui et sans aucun doute sur Mathieu aussi, à deux pas d’eux, ignorantes du plaisir qu’ils s’offraient l’un et l’autre, n’imaginant à aucun moment que ces deux mâles soient en train de prendre leur pied derrière cette porte fermée, maigre rempart qui protégerait leur intimité. Et il jouirait, jouirait en ayant Mathieu en lui, fermement ancré dans son corps, se collerait à lui, l’enserrerait de ses bras tandis qu’il surferait sur la vague de son plaisir, tairait son orgasme contre sa bouche, son épaule, son cou, aspergerait son ventre de sa semence tandis que la sienne se répandrait en lui, chose qu’il n’avait jamais fait dans la réalité, mais à laquelle son fantasme lui permettait de s’adonner sans aucune culpabilité, risques ou autre chose. Et l’idée finissait de l’achever.

– Ludovic ?

– Hein ?

Mathieu éclata de rire.

– Je ne sais pas où vous êtes parti, mais je vous ai perdu là ! se moqua-t-il.

– Oui, désolé, je pensais à… enfin… j’étais ailleurs.

– Vous cherchiez comment me convaincre d’abandonner mon régime alimentaire malsain ?

– C’est ça. Je vais dire à mon cousin de mettre plus de légumes et moins de frites.

– Allez, je vous fais une promesse, lundi, je commande un truc sain.

– Et je gagne quoi si vous perdez ?

– Je ne perdrai pas.

– Vous êtes bien sûr de vous.

– En même temps, j’en suis à commander des légumes, hein ! pas à tenter la traversée de la Manche à la nage.

Ludovic éclata de rire.

– Oui, c’est vrai. Mais vous ne devriez pas sous-estimer votre addiction au hamburger.

– Il y a bien d’autres choses auxquelles il me serait plus difficile de renoncer.

– La cigarette ?

Mathieu oscilla légèrement du chef.

– Oui et non. Mais, certains jours au boulot, c’est difficile de ne pas s’en griller au moins une.

– Pas le week-end.

– Jamais le week-end.

– Même en soirée ?

– Rarement, en fait.

Dommage, pensa Ludovic, l’idée de pouvoir le voir fumer de nouveau suffisait à l’émoustiller. Sérieusement, peut-être devrait-il envisager de consulter s’il en était à se dire qu’il encouragerait presque Mathieu à fumer.

– Donc pas la cigarette, continua-t-il. L’alcool ?

– Non plus, même si j’aime boire comme tout le monde et que parfois, c’est sans doute un peu trop. Encore que tout dépend pour combien de temps je dois m’en passer, en fait, s’amusa-t-il ensuite.

– OK, donc, j’ai un alcoolique en face de moi, le taquina Ludovic.

– Non, mais un bon plat avec un bon vin, c’est quand même agréable et sur certains fromages, c’est juste un sacrilège de boire de l’eau.

– Ah, je sens qu’on s’approche de quelque chose là : fromage ?

Mathieu lui adressa un grand sourire.

– Oui, définitivement, là ce serait vraiment, vraiment difficile.

– Connaisseur ?

– C’est un de mes péchés mignon, en réalité. J’ai mon fromager attitré et jamais, je dis bien jamais vous ne me verrez manger un truc acheté au supermarché ou sous vide !

– Pas de babybel ? se moqua Ludovic, lui-même adepte de ces fromages de son enfance.

– Autant ronger un Tupperware si vous voulez manger du plastique.

Il éclata de rire, à tel point qu’une tête passa par la porte du bureau pour voir ce qu’il se passait.

– C’est malin, on est en train de se faire repérer, le réprimanda gentiment Mathieu alors qu’il se levait pour fermer la porte.

– Je vous fais perdre votre statut de chef méchant ?

– Non, quand même pas.

– Bien, donc le fromage, reprit Ludovic tandis que Mathieu regagnait sa place.

Et puisqu’il était incapable de ne pas s’embarquer sur cette voie qui paraissait bien tentante, et qu’ils étaient seuls tous les deux, avec cette fameuse porte pour les protéger, il enchaina avec :

– Le sexe ?

Le sourire qu’afficha alors Mathieu gagna jusqu’à son regard. Il avait cette expression qui semblait vouloir dire qu’il s’attendait parfaitement à ce que la conversation en vienne là et qu’il était, en fait, amusé d’y être parvenu. Peut-être était-ce pour cela qu’il avait fermé la porte d’ailleurs. Et l’idée que cela en soit la cause, excita un peu plus Ludovic. Ses petits fantasmes pourraient-ils trouver prise dans la réalité ?

– Ce sera un nouveau « définitivement difficile » mais là encore, ça dépend sur combien de temps, répondit Mathieu.

– Si je vous suis, plus difficile de vous passer de fromage que de sexe ?!

 – L’un est plus facile à trouver que l’autre.

– Oh, vraiment ?

Mathieu haussa les épaules.

– Ca dépend, commença-t-il en s’accoudant un peu plus près de lui.

Quand il plongea son regard dans le sien, avec une lueur chaude, et en même temps sérieuse, Ludovic ne résista pas à s’approcher lui aussi. Dire qu’il suffirait de se pencher pour capturer ses lèvres. Il était certain que Mathieu ne le laisserait pas faire mais comme il était tentant de l’envisager. Le petit silence que ce dernier laissa planer emballa son imagination. Allait-il enfin saisir la perche qu’il lui tendait ? Oserait-il ? Avait-il envie qu’il le fasse ? Oui ? Non ?

– Certains bons fromages sont difficiles à obtenir, continua Mathieu.

Il sourit mais ne se démonta pas. Si Mathieu s’amusait visiblement à botter en touche, lui s’ingéniait à le ramener en terrain glissant. Le jeu auquel ils s’adonnaient tous les deux était plaisant. Il se pencha, Mathieu ne bougea pas, le fixant. Il lui serait facile de reculer à n’importe quel moment, mais il le laissa faire, le laissa s’avancer vers lui. Il choisit volontairement de s’approcher de son visage. Dieu qu’il l’embrasserait bien ! Il sentit son ventre se contracter d’envie et de désir de céder, mais il dévia. Il vint coller sa bouche à son oreille, inspira, l’air de rien, son parfum et son odeur.

– Certains bons amants aussi, chuchota-t-il, son sourire devenant taquin.

Le regard que Mathieu lui adressa alors qu’il se reculait tout doucement suffit à le faire bander cette fois. C’était exactement comme cela qu’il avait envie d’être regardé, c’était avec cette expression qu’il voulait que l’autre lui fasse l’amour. La porte fermée était en train de leur faire complètement perdre les pédales.

 – C’est ce qu’on dit, mais c’est plus difficile d’avoir un morceau pour la dégustation, s’amusa Mathieu.

– Ca dépend. Il suffit parfois de demander.

Mathieu allait-il répondre ou allait-il se retirer de la conversation et si oui, comment ?

 – Vous croyez ?

Moi, je dirais oui. C’était tentant de lui répondre ça mais en même temps, beaucoup trop facile. Plus tard, il s’en voudrait probablement mais pour l’heure, leur jeu de séduction demandait autre chose.

– J’en suis certain. Une belle gueule et un peu de politesse, ça ouvre bien des portes, affirma-t-il.

– En tout cas, ça m’a déjà ouvert celle de nombreuses caves d’affinage.

– Rassurez-moi, ce n’est pas vraiment dans une cave que vous espérez obtenir du sexe ?

– Vous savez que ça existe, n’est-ce pas ?

Ludovic opina positivement du chef.

– Mais non, à ce niveau, poursuivit Mathieu et rien qu’à son expression, il sut que c’était à ce moment qu’il allait ramener la conversation dans le droit chemin, je me passe des années d’affinage et de l’odeur !

Ludovic grimaça. Ce type allait le rendre fou.

– Vous me rassurez. Je ne vous voyais pas adepte des partenaires vieux et odorants.

– Je préfère la chair fraîche, comme pour mes hamburgers, conclut-il avec un clin d’œil.

Il réfléchit à ce qu’il allait répondre. Se proposer en tant que chair fraîche à dévorer ? Il y avait un certain nombre de très mauvais jeux de mots qu’il aurait pu sortir mais avant qu’il n’ait pris sa décision, on frappa à la porte.

– Oui ? lança Mathieu alors qu’il reculait légèrement mais suffisamment son siège.

 La porte s’ouvrit sur Sonia, si Ludovic ne se trompait pas.

– Ça rigole bien là-dedans.

– On ne s’ennuie pas, en effet.

– J’en conclus que tu n’as pas encore déjeuné.

– Non, mon hamburger est encore bien au chaud dans son emballage. Quoi ? demanda-t-il en voyant l’expression de Sonia.

– Rien, toi et tes hamburgers.

Ludovic pouffa gentiment.

– Je lui ai justement fait promettre de commander autre chose lundi, vous êtes témoin.

– Je commanderai pour lui, lança la comptable avec un clin d’œil.

– La confiance règne, remarqua Mathieu.

– Complètement. Tu me rejoins pour un café après ?

– Tu as des commérages à faire ?

– Des tas !

Ludovic sentit qu’il était temps de les laisser poursuivre leur journée. Il observa une dernière fois Mathieu. Mercredi prochain, pensa-t-il. Je lui donne mon numéro et je l’invite en toute discrétion, sauf si… la situation s’y prête avant.

– Je vais vous laisser à vos papotages alors, dit-il.

– Hé, je ne voudrais pas vous faire fuir.

– Ce n’est pas le cas mais il faut bien que j’y aille.

Il adressa un grand sourire à Mathieu.

– Je compte sur vous pour les légumes lundi donc ! sinon, vous aurez droit à un gage.

– Vendu !

– Bonne fin de journée, lança-t-il aux deux comptables alors qu’il passait la porte.

L’initiation de Claire – saison 1 (3)

Lentement, le sexe de Mathieu l’envahit, ce dernier poussant des reins jusqu’à parvenir aussi loin qu’il le pouvait. En le sentant cogner contre l’arrière de sa gorge, elle serra les poings contre ses cuisses, les mains cependant proches de plonger vers son entrejambe tant elle sentit son bas-ventre se crisper. Le soupir de contentement que poussa Mathieu l’échauffa dangereusement. Bien qu’elle en fût tentée, elle se garda de toucher le corps se dressant devant elle, ne voulant pas risquer de l’entraver dans ses mouvements. Qu’il prenne sa bouche l’excitait. En percevant une légère vibration contre le mur où elle était adossée, elle ouvrit les yeux pour se rendre compte que Mathieu venait d’y poser le front, les paupières étroitement fermées dans une expression de plaisir. Puis, son membre se retira, doucement, parvenant presque à la sortie de ses lèvres avant de retourner s’enfoncer en elle, y pénétrant assez profondément pour toucher de nouveau le fond de l’espace qu’elle lui offrait. Un autre souffle de plaisir émana de Mathieu. Malgré la gêne, malgré la sensation massive, malgré la conscience, bien que lointaine, des autres présences autour d’elle, elle eut envie de glisser la main sur sa poitrine, le long de son ventre… entre ses jambes ; curieusement. Elle pencha le visage de côté pour percevoir différemment, contre son palais et l’intérieur de ses joues, le frottement qui se mit en place. Ça lui avait toujours plu de sentir un sexe dans sa bouche, la caresse sur ses lèvres, les mouvements de va-et-vient, la douce sensation d’envahissement… C’était excitant et érotique, autant par la stimulation ressentie que par tout ce que cet acte suscitait dans son esprit.

Des mouvements suivirent, longs et incroyablement lents. Claire accepta, supporta, aima la façon dont Mathieu utilisa sa bouche, son corps s’en échauffant impitoyablement.

Soudain, une main se posa sur le côté de son crâne, dans un contact dont la douceur la surprit. La caresse inconsciente trancha totalement avec l’attitude dominatrice qu’avait eue Mathieu jusque-là, ses déhanchements se faisant cependant plus vifs alors que le plaisir grimpait en lui. Le contraste se révélait incroyable. Le trouble, le fait d’être à ce point offerte cumulé à la sensation à l’intérieur de sa bouche… Tout faisait s’enflammer son corps. Les soupirs de Mathieu se firent plus audibles, les mouvements de bassin plus saccadés, plus rapides. Elle avait envie qu’il poursuive ce qu’il faisait, qu’il prenne encore son plaisir à l’intérieur d’elle et qu’il jouisse tout au fond de sa gorge. Les paupières closes, elle appuya le visage contre la main chaude posée sur elle. Les doigts masculins se resserrèrent sur ses cheveux. Elle attendit de sentir la substance tiède l’envahir. Puis, d’un coup, la décharge arriva. Un gémissement léger lui succéda, presque inaudible si elle n’en avait pas été aussi proche. Mathieu crispa la main tandis qu’il se mouvait encore, en des gestes plus hachés, plus imprécis, finissant de drainer son orgasme. Claire déglutit tant qu’il le fallut, attendant patiemment qu’il daigne ressortir de ses lèvres.

Lorsque celui-ci s’immobilisa, elle leva les yeux. Le front de Mathieu reposait contre le mur, ses mèches claires tombant vers le sol alors que son regard fatigué par la force de la jouissance se baissait sur elle.

L’image qu’elle lui offrait, le regard fasciné et les lèvres ouvertes autour de sa verge, eut l’air de l’exciter encore un peu plus. Puis il ferma les paupières.

Son membre mollissant glissa hors de la bouche de Claire, et un ordre lui parvint aux oreilles :

– Ne t’essuie pas.

Elle suspendit son geste, les yeux écarquillés d’incompréhension. Elle sentit le liquide blanc qu’elle n’avait pas entièrement avalé humidifier la commissure de ses lèvres. Même s’il peinait à reprendre son souffle, Mathieu s’était déjà détourné d’elle pour refermer son pantalon. Elle parcourut la pièce du regard, surprise de ne pas se sentir tant gênée en redécouvrant les autres membres. Hormis la femme agenouillée, tous observaient Mathieu avec une désapprobation manifeste.

– Je sais ! coupa-t-il, l’air énervé.

L’instant suivant, il attrapait son carnet noir, n’en feuilletant les pages que plus vivement qu’il ne l’avait fait auparavant. Un crayon qui traînait par là finit entre ses mains.

– Merde, fut tout ce qu’il marmonna alors qu’il barrait d’un grand trait tous les noms qui y figuraient, déchirant le papier tant son geste avait été brusque.

Isabelle fit un pas vers lui.

– Tu ne peux pas !

– Si ! Trouve-leur quelqu’un d’autre !

– Mathieu !

Le cahier atterrit sur la table, y glissant avant de finir son trajet par terre. Perdue, Claire vit Mathieu lui tendre la main, le regard encore hésitant et pourtant doux en se posant sur elle.

Si la façon dont il l’aida à se relever fut vive, il ne la retint ensuite contre son torse qu’avec une attention déconcertante. Puis, lentement, il s’approcha de son visage, humant la peau de son cou et de ses joues, avant de pencher soudain la tête de côté et de nettoyer d’un coup de langue le rebord de ses lèvres. L’ébauche de baiser étourdit légèrement Claire. Les doigts qui enlacèrent ensuite étroitement les siens achevèrent de la troubler. Elle y resserra la main dans un réflexe.

– Viens, murmura Mathieu dans une expression pleine de promesses.

Elle se laissa entraîner hors de la pièce.

Le couloir qui suivait défila rapidement, marqué seulement du son de leurs pas. Au bout d’un moment, Mathieu s’arrêta devant une porte éloignée. Toutes celles qui étaient ici se ressemblaient. Il fouilla dans ses poches. L’endroit était totalement désert et seul le son du trousseau qu’il extirpa brisa le silence. Le sourire que Mathieu lui adressa alors fut aussi radieux que ceux qu’elle lui avait parfois déjà vus. La différence entre cette attitude et celle froide et dominatrice qu’elle avait découverte auparavant la frappa de nouveau.

Elle se laissa accompagner à l’intérieur de la salle. La lourde porte claqua, résonnant longtemps derrière eux.

Le trousseau atterrit sur un meuble disposé contre le mur. Elle observa la pièce tandis que Mathieu soupirait, passant les doigts d’un air las sur son front.

En se tournant pour regarder son visage, elle se rendit compte que le changement s’était de nouveau opéré dans l’autre sens. Malgré le trouble qu’il affichait, il se dégageait de lui la même assurance froide que lorsqu’il l’avait provoquée : celle d’un homme qui savait parfaitement ce qu’il était en train de faire.

Ainsi, elle sut que la session qu’elle avait demandée était sur le point de commencer.

Troisième partie

Troisième partie

– Tu as un safeword ? demanda Mathieu.

Claire eut l’air perdue.

– Non. Bien sûr, poursuivit-il en se frottant les paupières.

Elle le vit se diriger vers un placard. Elle observa le mobilier de la salle, pour beaucoup identique à la chambre aux chaînes suspendues au plafond qu’elle avait vue précédemment, bien que l’atmosphère y soit plus intime. Le métal et le bois dominaient, à l’exception du cuir rouge de quelques meubles et du rideau de voile isolant un large lit tout au fond de la pièce.

– Tu connais le code des couleurs ? reprit-il.

– Non.

– Tu ne connais rien, en fait ?

– Oui.

– Qu’est-ce que tu fais ici alors ?

Comme il s’était tourné vers elle avec une expression d’incompréhension, elle prit quelques secondes pour lui répondre. Elle se décolla du mur où elle avait pris appui et déambula dans la salle. Son regard se porta sur une chaîne pendue un peu plus loin.

– Je veux connaître.

Il eut un sourire. Un son métallique plana tandis que la chaîne qu’elle venait de toucher oscillait lentement.

– Vert, pour ta zone de confort. Ensuite orange, puis rouge si c’est trop pour toi. Quand on te pose la question, tu dis dans quelle zone tu te sens.

Elle prit le temps d’assimiler ces informations. Elle hocha la tête.

– On considère que l’orange est la bonne zone, poursuivit-il avec un sourire plein de sous-entendus.

Après un regard vers lui, elle acquiesça de nouveau. Ni dans sa zone de confort, ni au-dessus de ce qu’elle était prête à tolérer, donc. Elle essaya d’intégrer ce que cette notion impliquait, tandis qu’elle poursuivait sa découverte de la pièce.

Du plafond au sol, plusieurs anneaux étaient fixés. Elle commençait à mieux comprendre ce qui se pratiquait ici. Le banc haut, identique à celui qui l’avait intriguée lors de son exploration de l’étage, l’attira. Elle en examina l’agencement, ainsi que les boutons métalliques qui retenaient l’assise de cuir beige au socle de bois. Puis, elle se pencha en avant de manière à y appuyer le buste et en éprouver le confort.

– Le cheval-d’arçons t’intéresse ? remarqua Mathieu avec un certain amusement.

Suavement, dans une provocation volontaire, elle y grimpa de manière à s’y allonger. Ses genoux et ses coudes trouvèrent place sur les petits appuis situés en dessous de l’assise, ses cheveux noirs retombant sur la matière fraîche où reposait sa joue. Elle tourna la tête vers lui. Il contemplait sa chute de reins et la courbe de ses fesses, si accessibles dans une telle position.

– Tu aimes cette position ?

– Oui.

– Tant que ça ?

Elle eut un moment de réflexion, faisant de nouveau glisser la peau de son visage contre le cuir.

– Je crois que j’ai toujours eu des tendances de soumise.

Puis elle ajouta, sans bouger de sa posture lascive :

– Même si j’ai encore un peu de mal à voir clair dans tout ça.

Mathieu s’interrompit dans ses préparatifs pour se tourner vers elle. Elle s’interdit de regarder les objets qu’il avait commencé à réunir.

– C’est donc quelque chose que tu as remarqué récemment.

– Oui. Enfin, ça ne fait pas bien longtemps que j’y pense sérieusement mais, en réalité, c’est plus ancien. Du moins, je crois. Je ne sais pas.

– Et tu as ?

– Vingt-trois ans.

– Comme moi.

À ce point de la conversation, elle songea que la séance n’était pas encore commencée. Ils en étaient à faire connaissance, à se découvrir.

– Tu es venue seule ?

– Oui.

– Pas de compagnon ou d’amant ?

– Non. Plus, ou pas de façon sérieuse. Je ne suis pas quelqu’un d’« aimable », de toute façon, ajouta-t-elle avec une indifférence feinte.

Elle regretta aussitôt de s’être laissée aller ainsi à la confidence. L’amertume lui était remontée à la gorge. Consciencieusement, elle repoussa cette dernière, puis elle le scruta pour essayer de deviner ce qu’il pensait. En vain. Elle se permit alors de lui poser une question.

– Ça fait longtemps que tu pratiques ce genre de choses ?

Il leva les yeux au plafond, prenant le temps de réfléchir.

– J’ai eu quelques expériences de ce type, quand j’avais 18 ans. C’est jeune, ajouta-t-il en riant à moitié. Mais ça ne fait qu’un an que je le fais plus régulièrement.

– En tant que dominateur.

– En tant que switch.

Elle écarquilla les yeux.

– Ça existe ?

– Bien sûr.

Les traits de Mathieu s’étaient adoucis.

– Pour être sincère, je suis essentiellement dominateur, mais j’aime les deux. C’est différent. L’avantage de pratiquer les deux, c’est de pouvoir facilement se mettre à la place de l’autre, suivant ce que l’on fait, d’anticiper ses réactions… Un bon dominateur devrait d’ailleurs toujours savoir se soumettre. Mais avec toi, ce sera dom’.

Malgré le calme de la conversation et le ton tranquille, elle se sentit soudain gênée. La façon dont le regard de Mathieu s’était assombri était flagrante. Elle se releva du cheval-d’arçons. Il lui semblait avoir commis une faute en s’y étant étendue d’elle-même.

– Déshabille-toi, ordonna-t-il.

Alors, elle obéit. Si aisément. Il lui fut étonnant de constater à quel point elle était prête, désormais, à se remettre entre ses mains, combien elle désirait même lui faire confiance. Du moment où ils s’étaient retrouvés seuls tous les deux, l’atmosphère avait changé. La tension qui avait régné entre eux dans la salle précédente s’était dissipée, laissant plus d’amplitude à la curiosité mutuelle qui était née dès leur rencontre. Elle voulait lui montrer qu’il avait eu raison de la prendre avec lui, qu’elle serait capable de se plier à ses ordres et qu’il n’aurait, à aucun moment, à regretter son choix.

Lentement, ses mains naviguèrent sur le devant de son chemisier, en défaisant les boutons. Elle fit descendre le vêtement de ses épaules, éprouvant la sensation de fraîcheur sur sa peau. Comme elle ne savait pas où le déposer, elle leva les yeux sur Mathieu, et vit qu’il la contemplait avec un intérêt non dissimulé. D’un mouvement de tête, il lui indiqua un meuble bas situé dans un coin. Son chemisier se plissa sur le bois sombre ; sa jupe suivit. Lorsqu’elle fut sur le point de retirer les bas fixés à ses cuisses, un geste l’interrompit : Mathieu avançait d’un pas décidé vers elle. Il détailla le corset court qu’elle portait. Puis, il lissa le rebord fin du tissu recouvrant sa poitrine et glissa son doigt dessous pour en extirper chacun de ses seins, la faisant frémir sous ce contact. Il recula ensuite pour contempler son œuvre, la laissant à demi dénudée dans la trop grande pièce, son corps exposé à l’air comme au regard posé sur elle. Jamais, pourtant, elle ne s’était sentie autant désirable, auparavant. Lorsqu’elle planta le regard dans celui de Mathieu, elle ne fit rien pour lui cacher ce qu’elle éprouvait. Qu’il voie en elle sa volonté et, en même temps, sa fragilité. Qu’il sache qu’elle était prête à s’ouvrir entièrement à lui.

Il resta immobile, la détaillant sans la moindre gêne et, en même temps, avec une pointe d’amusement. La situation semblait particulièrement lui plaire. Il se dirigea ensuite vers un large fauteuil. Ses doigts se posèrent sur les accoudoirs, son corps s’enfonçant dans le cuir mou dont le rouge vif tranchait avec le noir de ses vêtements. Enfin, il lui fit signe d’approcher. Sa voix grave s’éleva quand elle parvint à quelques pas de lui.

– À terre. Jambes écartées. Bras en arrière.

Elle se figea de surprise. Elle tâcha de rester le regard fixé dans celui de Mathieu. Lentement, et comme son cœur battait fortement dans sa poitrine, ses genoux se plièrent. Ses cuisses s’éloignèrent l’une de l’autre. En prenant appui de ses mains derrière elle, elle se rendit compte qu’elle se retrouvait dans une position précaire, son corps se cambrant, sa poitrine tendue et sa respiration faisant monter et redescendre ses mamelons durcis par le froid et l’excitation.

– Préférences ? l’interrogea-t-il, la tête appuyée sur son poing dans une mimique appréciatrice.

Puis il précisa :

– Je n’ai pas eu le temps de lire ta fiche.

Elle refusa de le laisser voir à quel point la situation la perturbait. Après un instant de réflexion, elle tenta :

– Plaisir ?

– Tout n’est que plaisir ici, coupa-t-il avec un rire bref. Tu devrais le savoir. Sexe ?

– Oui.

Le regard de Mathieu s’adoucit.

– Liens, bâillon, bandeau ?

Elle prit une seconde pour répondre. Elle observa le corps du jeune homme assis devant elle et la façon dont ses mèches blondes traversaient l’encre de ses yeux.

– Pas de bandeau.

Puis, après un court instant, elle ajouta :

– Pas de masque non plus.

Il écarta les mains pour lui rappeler qu’il n’avait pas le sien avec lui.

– Tu ne crains ni de te faire attacher, ni de te faire bâillonner ?

Elle aurait voulu éviter de répondre à cette question. Néanmoins, l’attitude autoritaire de Mathieu la convainquit de ne pas persister dans cette voie.

– Il en faut plus pour me faire peur.

Ce n’était pourtant que fanfaronnade. Si elle avait été sincère, elle aurait reconnu que l’idée l’effrayait. Si elle avait été totalement honnête avec elle-même, elle aurait avoué qu’elle l’excitait.

– Pas de marques persistantes, reprit-il. Pas de trucs crades. Rien de trop poussé pour toi puisque c’est la première fois. Si tu sens que ça ne va plus, tu dis « rouge ». À n’importe quel moment. Quoi que l’on fasse. Si je te pose la question sur les couleurs, tu ne me mens pas. Si tu es bâillonnée, je te donnerai quelque chose pour que tu puisses t’exprimer.

Puis il baissa le visage dans une expression plus sombre, empreinte d’une forme de goguenardise.

– Maintenant, il ne t’est plus permis de bouger.

Et le sourire qui se dessina à cet instant sur les lèvres de Mathieu fut autant séduisant que, d’une certaine manière, effrayant.

***

Claire resta coite. L’appréhension, l’inquiétude, la curiosité de savoir ce qu’il se passerait ensuite… Tout faisait battre son cœur, provoquant en elle un émoi inhabituel. Elle le regarda se lever et se diriger vers le meuble proche où il avait réuni son matériel. En le voyant revenir avec une paire de ciseaux, elle eut un moment d’angoisse. Une respiration ample souleva sa poitrine.

– Calme, souffla-t-il en se penchant à son oreille.

Puis il s’agenouilla lentement devant elle. Avec précaution, il réajusta l’emplacement de son corset, le descendant légèrement de manière à ce que le tissu qui avait voilé peu avant sa poitrine ne risque pas de remonter. Il se saisit ensuite de sa culotte pour la tirer et y pratiquer, avec prudence, une fente en son milieu, tandis qu’elle se raidissait avec inquiétude. Puis il se leva pour éloigner la paire de ciseaux. Elle soupira. Quoi qu’il se passe désormais, elle devrait rester avec ce sous-vêtement découpé le restant de la soirée…

Il revint se positionner devant elle, lui adressant un petit sourire en coin, tout en faisant dériver ses doigts sur la courbe de sa gorge, l’arrondi de sa poitrine, le relief de l’un de ses tétons… Puis il descendit progressivement jusqu’à glisser lentement la main au niveau de l’espace humide du bas de son corps. De surprise, elle lâcha un infime son de la gorge et faillit bouger mais s’évertua aussitôt à maintenir la position dans laquelle il lui avait dit de rester. Elle le fixa ensuite, son visage si proche du sien, dans l’attente et la curiosité. Puis, en sentant son index et son majeur s’enfoncer brusquement en elle, elle ferma les paupières. Bien que son sexe soit déjà lubrifié, le geste avait été soudain et la tension forte.

– Garde les yeux ouverts.

Elle obéit, déglutissant en fixant les traits de Mathieu à quelques centimètres seulement de son visage, son regard l’embrasant.

Lorsqu’il ressortit ses doigts pour les faire lentement remonter jusqu’à son grain de chair érigé, elle se mordit la lèvre, fermant de nouveau les yeux sous l’afflux soudain de plaisir, avant de les rouvrir aussitôt, consciente de son erreur. L’ordre se révélait plus difficile à respecter qu’il ne l’avait paru. Étonnamment, son corps se montrait excessivement réceptif, plus qu’il ne l’aurait dû aux prémices de ses caresses. Bien qu’il n’ait encore qu’effleuré son clitoris en quelques mouvements glissants, elle sentait déjà ses cuisses se contracter, son bassin se relever et une boule de chaleur se former dans son bas-ventre. Curieusement, qu’il la touche ainsi lui paraissait pourtant plus anormal que s’il s’était servi de son corps pour son propre plaisir ou que s’il lui avait administré des coups. Il lui semblait qu’il n’avait pas à la caresser, qu’elle aurait dû être celle lui procurant ce type de soins, qu’elle n’était pas à sa place. La totale passivité qu’il avait exigée d’elle ne lui permettait, de plus, aucune porte de sortie. Si elle restait seule à éprouver du plaisir, elle manquait à son rôle et, si elle essayait d’inverser la situation, ce ne pourrait être qu’en fautant gravement puisqu’elle ne respecterait alors pas la consigne qu’il lui avait donnée. À l’arrivée, la situation la perturbait autant que, bien malgré elle, l’excitait. Elle ne s’était pas attendue à un tel acte. Il aurait tant été aisé pour elle de jouer à refuser les gestes de Mathieu, de faire semblant d’être forcée et, plus encore, ne pas avoir à se rendre compte combien chacune de ses paroles et chacun de ses gestes l’affolaient.

Le visage penché, ses mèches blondes masquant en partie la noirceur de son regard, celui-ci semblait se délecter de la vision cruellement érotique qu’elle lui offrait.

Gênée, elle détourna le menton. Il le ramena aussitôt face à lui en le saisissant fermement.

Elle commençait à percevoir ce qu’induisait cet état de soumission. Quoi qu’elle espère, elle ne pouvait pas avoir la maîtrise de ce qu’il se passait, quelle que soit la force avec laquelle elle aurait voulu se convaincre du contraire. Quant au regard posé sur elle, il l’enflammait. Les gestes de Mathieu se firent plus précis. La chaleur enfla entre ses cuisses, et elle ouvrit la bouche plus largement. Les mouvements au niveau de son sexe devinrent plus appuyés. Bien que la gêne restât présente, elle ne pouvait plus le quitter des yeux. Elle sentait encore le goût du liquide âpre avalé au fond de sa gorge, avait toujours l’impression de percevoir la masse qui s’était déplacée contre son palais. Que Mathieu use ainsi de sa bouche l’avait considérablement excitée, l’envie de se toucher qu’elle en avait ressentie la laissant plus sensible qu’elle ne l’avait cru. Au fond d’elle, elle songea à la manière dont ses larges mains pourraient se saisir de ses hanches, la courber, quelle sensation lui procurerait son épais membre en s’enfonçant à l’intérieur de son corps. Qu’il la prenne. Qu’il l’ouvre. Qu’il entre en elle. Elle en avait tellement envie…

Sa tête se renversa en arrière et elle dut lutter pour ne pas fermer les paupières ; ses yeux s’humidifièrent ; sa nuque commença à se raidir tant elle s’arquait. Petit à petit, elle se mit à trembler. La chaleur en elle s’intensifia, quelques contractions s’opérant au niveau de son bas-ventre. Inconsciemment, elle écarta plus largement les cuisses, lui offrant l’entier spectacle de l’émoi de son corps. De discrets gémissements commencèrent à s’évader de sa bouche. Les premiers signes annonciateurs de l’orgasme se firent plus présents, la sensation d’une boule de pur plaisir se constituant dans son ventre, montant… montant irrépressiblement…

Puis, au moment où elle fermait les yeux dans l’arrivée de la jouissance, tout s’arrêta. La présence de Mathieu s’évanouit. Son corps partit presque imperceptiblement en avant comme s’il avait voulu maintenir son contact. Elle rouvrit les paupières aussitôt, s’attendant à ce qu’il reprenne ce qu’il faisait, mais qu’il soit déjà en train de se relever la laissa perdue. Oh non, elle n’avait pas compris avant en quoi constituerait réellement cette session et elle se sentit faible, soudain. Ses muscles étaient encore en train de se raidir, ses cuisses se contractant, tout son être s’élevant en protestation contre cet arrêt inopiné. Son regard se chargea de désarroi. Pas un instant, elle ne rompit cependant la position de soumission dans laquelle son dominateur lui avait dit de rester.

– Bien, commenta-t-il.

Elle ne perçut même pas le ton de félicitation, toute à la souffrance de cet orgasme que son corps ne voulait pas laisser refluer. Elle se sentait bouleversée.

Lentement, douloureusement, ses nerfs attisés finirent par se calmer, la laissant excessivement sensible. Pourtant, la satisfaction d’avoir été capable de supporter ce qu’il venait de lui infliger, de l’accepter, de le subir et d’être encore là, présente et forte, ne viendrait pas encore.

– Lève-toi maintenant.

Elle prit appui sur le sol de ses mains, évitant de le regarder, tant elle était encore confuse. À cause de la position dans laquelle elle s’était tenue et des prémices de l’orgasme, ses jambes étaient devenues faibles, elle ne se sentait qu’à peine la force de s’y hisser. Progressivement, en des gestes mesurés, elle se mit debout, tâchant de trouver son équilibre.

Quelque part en elle, Claire ressentit le besoin d’être réconfortée, rassurée par rapport à cette session qui était en train de se dérouler et qu’elle avait pourtant voulue. Le corps solide qu’elle sentit soudainement contre son buste lui donna envie de s’y appuyer. Lorsqu’il posa les mains sur sa taille, elle se laissa aller entièrement à son contact, à cette présence autant rassurante qu’elle pouvait être grisante.

Un hamburger, des frites et mon cœur avec (3)

Chapitre 3

Deuxième semaine

Lundi

Lundi matin filait comme à son habitude et l’heure avait déjà bien avancé lorsque Mathieu poussa un long soupir de soulagement. Il venait d’enregistrer sa dernière déclaration de TVA.

– Fait, souffla-t-il.

Fait et débarrassé jusqu’au mois prochain, pensa-t-il alors en s’étirant. Un coup d’œil sur l’heure et il réalisa qu’il était un peu tard pour aller se prendre un café, aussi tentante que soit l’idée. Il rangea ses dossiers, prêt à attaquer la suite. Il y avait toujours des choses à faire. Heureusement pour lui, le week-end écoulé lui avait permis de recharger ses batteries et d’en vider d’autres, s’amusa-t-il.

Il était sorti le samedi soir, après avoir profité de la matinée pour faire une monstrueuse grasse mat. Son bar préféré lui avait donné l’occasion de lever un beau petit lot. Il l’avait ramené chez lui et si le sexe n’avait pas été extraordinaire, il n’avait pas été mal, suffisamment pour lui vider aussi un peu la tête et passer un bon moment. Et bonus non négligeable, il s’était beaucoup amusé de la tronche qu’avait tirée cette chère Madame Rochas quand elle les avait croisés le matin alors qu’il le raccompagnait en bas. Il faut reconnaitre que la tenue de son coup d’un soir était plutôt parlante. En tout cas, clairement étiquetée gay. Le jean laissait voir bien trop de peau, le tee-shirt était trop court. Quant au tatouage qui recouvrait une grande partie de ses bras, il ne faisait pas homo mais suffisamment voyou pour qu’elle soit au bord de la syncope. Pas assez pour qu’elle en fasse vraiment une, dommage. En tout cas, il en avait bien ri.

Un petit coup retentit à sa porte et le sortit de ses pensées.

–  Oui.

– Coucou, le salua Sonia alors qu’elle pénétrait dans son bureau. On va commander à manger pour midi. Tu déjeunes là, je suppose ?

Mathieu sourit avant de soupirer.

– Oui. J’ai fini mes TVA, mais il faut que j’attaque le dossier Emerick Conseil.

C’était le nouveau client dont il avait désormais la charge. Un petit client certes, mais intéressant pour la boite et qui allait leur rapporter pas mal de pognon. Ils avaient hérité de toute la compta, mais aussi de tout leur volet social. Et s’ils étaient aussi bien organisés sur ce second point, il souhaitait bien du courage à la cellule sociale. Lui avait trois mois de compta complète à enregistrer et, vu la tête de celle que leur client avait jugé bon de faire lui-même au premier trimestre, il aurait aussi vite fait de tout reprendre à zéro. Au moins ne manquait-il pour l’heure aucune pièce et, si leur gourdasse de nouvelle avait bien fait son boulot, il n’aurait qu’un travail de vérification et cela pourrait aller relativement vite. Suffisamment pour pouvoir analyser tout ça et proposer des solutions plus adaptées à leur client : la partie qu’il préférait.

–  C’est ce que tu as donné à Emeline hier ?

– Espérons qu’elle m’ait fait gagner du temps. Elle t’a posé des questions ?

– Non, elle a eu l’air de se débrouiller toute seule.

– Je crains le pire.

– Franchement, si elle n’est pas fichue de faire de la simple saisie, le b-a-ba de notre métier, il faut qu’elle change de voie.

La remarque le fit sourire.

– Tu ne l’aimes pas, hein ! s’amusa-t-il.

Sonia éclata de rire.

– Parce que toi, tu la portes dans ton cœur peut-être ?

– Oh non !

– Entre nous, elle use ma patience et tu sais à quel point je suis patiente.

C’était vrai. Sonia était toujours une crème avec les stagiaires et les nouveaux. Mathieu était admiratif. Lui n’avait aucun sens de la pédagogie. Il était incapable d’expliquer plusieurs fois quelque chose qui lui paraissait évident. Et les « Mais vous êtes stupide ? » lui venaient bien trop rapidement. Du coup, il ne s’occupait jamais de ça. Sonia le lui avait même interdit. Elle, au contraire, pouvait reprendre trois fois, quatre fois une explication, de manière différente sans jamais perdre son calme. Il ne savait pas comment elle arrivait à faire ça.

– Je sais, tu aurais dû être prof.

– Je devrais. Quoi qu’il en soit, elle…

Sonia soupira.

– Je ne comprends pas.

– Moi non plus. J’ai presque envie de faire un courrier à son école pour leur dire tout le bien que je pense de leurs étudiants et de leur niveau et aussi qu’il faudrait voir à augmenter leurs critères d’attribution de diplômes.

– En même temps, elle est peut-être l’exception qui est passée entre les mailles du filet.

– J’aurais aimé qu’elle passe au travers de ceux de Virginie.

Sonia hocha la tête positivement.

–  En attendant, je te prends quoi ?

– Comme d’hab.

– OK.

– Tu sais qu’elle pourrait se charger de ça, ça doit quand même être dans ses cordes de passer une commande, plaisanta-t-il.

– Tu es fou ! Je veux être sûre de ce que je mange, moi !

Il sourit.

– Tu n’as pas tort, elle serait capable de me prendre un hamburger végétarien.

– Elle le ferait peut-être exprès pour se venger de tes remarques blessantes.

– J’évite de lui parler, je ne vois pas ce qu’elle peut me reprocher.

Même s’il imaginait bien que parfois son visage parlait pour lui.

– Et il n’y a qu’avec toi que je la surnomme la gourdasse, continua-t-il. Je te fais suffisamment confiance pour que cela reste entre nous.

Sonia acquiesça.

– Evidemment et tu n’es pas le seul à lui donner des noms doux ne t’inquiète pas.

– Je m’en doute.

– Allez, j’y vais. Avec un peu de chance, on aura le même livreur qu’en fin de semaine.

Elle appuya son commentaire d’un clin d’œil.

– Tu aimerais !

– Nous aimerions toutes ! Tu as vu comme il est mignon. Emeline craque totalement, je crois qu’elle veut lui demander son numéro.

– Espérons pour elle qu’elle soit plus douée avec les hommes qu’avec les chiffres.

– Il lui a fait quelques compliments qui lui ont mis des étoiles dans les yeux. Peut-être qu’elle a ses chances. En tout cas, c’est ce qu’elle pense.

Définitivement bi, donc, regretta Mathieu. Dommage.

– Allez, je m’y remets, lança-t-il.

Sonia était une des rares avec laquelle il s’offrait le loisir d’une pause. La plupart de ses collègues étaient agréables et il était facile d’échanger avec elles, mais avec Sonia, ils partageaient de nombreux points communs, des goûts qu’eux seuls semblaient avoir et elle était unique, voilà tout. Il leur arrivait même de se voir en dehors du travail, même si c’était assez sporadique. Mais, elle l’avait plusieurs fois invité à diner chez elle et Mathieu y avait toujours passé un très agréable moment. Victor son mari était amusant et d’excellente compagnie.

– N’en fais pas trop, après le boss ne va jamais nous croire quand on lui dit qu’il faut embaucher.

Mathieu sourit. Il en faisait beaucoup, c’était vrai. Il était celui qui partait le plus souvent en dernier ? Encore que leur boss était lui aussi un adepte des journées à rallonge. Il débarquait bien souvent vers sept heures du matin et il n’était pas rare de le voir rester jusqu’à plus de vingt heures. Comme il le disait parfois en plaisantant : au moins n’avait-il pas le temps de se disputer avec sa femme ! En réalité, l’homme prenait régulièrement les vacances scolaires pour profiter de sa famille. Mathieu aimait travailler pour lui. Il leur demandait peut-être beaucoup mais il n’était pas injuste, reconnaissait les efforts et les récompensait. Par ailleurs, Mathieu pouvait se permettre ce genre d’efforts parce qu’il était célibataire, n’avait et n’aurait jamais d’enfants et il reconnaissait avoir beaucoup d’ambition. Et, s’il devait faire carrière, c’était maintenant. Il avait pour objectif de devenir expert-comptable, il commençait à préparer le concours tranquillement pour le passer l’année suivante. Après ça, il deviendrait associé du cabinet, celui-là ou un autre si les opportunités ne se présentaient pas assez vite. Patrick, leur patron et fondateur de la boite, était parfaitement au courant et la paye qu’il touchait à la fin du mois prouvait qu’il reconnaissait ses capacités et son engagement. C’était donnant-donnant. Ce n’était pas non plus pour rien qu’il avait hérité de la supervision du service à peine un an et demi après son arrivée, personne n’avait protesté à cette nomination, en tout cas pas devant lui.

– Je crois qu’il sait très bien à quoi s’en tenir.

– Oui, mais fais quand même gaffe à ne pas accepter plus que tu ne peux gérer.

– Ne t’inquiète pas.

Un clin d’œil plus tard, Sonia sortait de son bureau et lui se plongeait sur le dossier de son nouveau client.

– Putain ! cria-t-il à peine une demi-heure après s’être mis au boulot.

Cette fois, c’était trop. Il allait virer cette conne et il allait la virer aujourd’hui. Foi de Vasseur, sa patience avait des limites, de sérieuses limites certainement mais là, là… Elle avait juste fait n’importe quoi !

– C’est pas possible, putain de merde, jura-t-il à nouveau en serrant les poings.

Il savait qu’il avait ce qu’on appelait du tempérament, avec une tendance à être colérique mais au boulot, il prenait sur lui la plupart du temps. Mais là, il pouvait sentir la colère bouillir en lui. S’il ne se rendit pas directement auprès d’Emeline pour la pourrir, ce ne fut qu’au prix d’un gros effort. Au lieu de ça, il se leva, le visage fermé et prit la direction du bureau de Virginie. Les deux collègues qui le croisèrent l’observèrent bizarrement et se décalèrent.

Il ne poussait pas souvent de gueulante mais quand c’était le cas, les autres rasaient généralement les murs. Patrick disait que c’était ce qui faisait de lui un bon meneur. Lui-même haussait le ton une fois de temps en temps, suffisamment fort pour que tout le monde s’en souvienne, assez rarement pour que cela marque encore plus les esprits. Mathieu était exactement comme lui, et les quelques fois où cela lui était arrivé, jamais Patrick ne lui avait donné tort. Et franchement, il était tellement énervé à cet instant qu’il se fichait ouvertement de savoir s’il aurait ou non l’aval de son patron.

Quand il ouvrit la porte de Virginie sans y avoir frappé, elle sursauta et poussa même un petit cri de surprise. Il ne lui laissa pas le temps de comprendre qu’il était déjà devant elle.

– Cette fois-ci, ça a assez duré, commença-t-il, tu me prépares ses papiers, sa période d’essai c’est fini ! ordonna-t-il en mimant un couperet.

– De que… qui ? bredouilla-t-elle.

– Emeline ! cracha-t-il. Je veux ses putains de papier sur mon bureau dans une heure maximum, elle ne passera pas une journée de plus ici.

A l’entente du prénom de la nouvelle, Virginie reprit légèrement contenance. Elle se redressa sur son siège.

– Ecoute, elle est là depuis quatre semaines, ce n’est…

– C’est largement suffisant et j’ai autre chose à foutre que de rattraper ses conneries.

Elle n’allait quand même pas essayer de la sauver ? Pour Mathieu, les choses étaient claires, nettes et ce n’était plus l’heure de discuter. Virginie s’était plantée, point, ça arrivait à tout le monde mais il était grand temps qu’elle répare son erreur. Cette dernière se leva pour aller fermer la porte de son bureau.

– Je crois que tu es trop dur, elle a un excellent dossier et m’a fait très bonne impression, la défendit-elle, en reprenant sa place.

– Elle est idiote, incapable et totalement empotée. Excuse-moi mais si c’est tout ce que tu es fichue d’embaucher, j’en viens à me poser des questions sur tes capacités en terme de recrutement.

– Je ne te permets absolument pas de remettre en question mes capacités ! Tu es peut-être un bon comptable mais les RH c´est ma spécialité ! répliqua-t-elle en haussant le ton.

– Hormis que moi, j’ai besoin de comptables, de gens qui sont capables de faire de la saisie sans me coller n’importe quel chiffre n’importe où. Il serait peut-être bon que tu envisages de leur poser des questions de comptabilité quand tu fais passer des entretiens !

Il savait que Virginie avait les compétences pour son poste, mais ce n’était pas la première fois qu’il jugeait ses recrutements en dessous de leurs besoins. Patrick lui-même l’avait déjà remarqué, et elle avait promis d’être plus attentive. Le seul hic était qu’elle faisait trop confiance à ses feelings et que si le contact passait bien, elle semblait capable d’être aveugle sur d’autres points. Il avait déjà demandé à pouvoir rencontrer les candidats, mais elle ne voulait pas lâcher la main sur le recrutement et avait réussi à s’en tirer en prétextant qu’il avait trop de travail.

– Pardon ?

– Tu m’as très bien compris ! Maintenant, je ne te demande pas ton avis. Tu me fais ces putains de papiers. Je la convoque à quatorze heures dans mon bureau !

– Ce n’est pas à toi de…

Sa paume claqua de nouveau sur le bureau.

– Mon service, mon choix ! Tu es spécialiste RH, alors fais ton boulot et prépare-moi ces papiers !

*************

Ludovic sortit de l’ascenseur, guilleret. C’était sans doute idiot de se mettre en joie parce qu’il allait croiser Mathieu, mais il était content. Durant le week-end, il avait pensé plusieurs fois à lui et plus il le faisait, plus il avait envie de le revoir, de plaisanter de nouveau avec lui et même plus si affinités et si bien sûr Mathieu se révélait intéressé par lui. Mais même en cas contraire, il avait vraiment apprécié leurs échanges et il se faisait une joie d’en avoir de nouveau.

Il sonna et entra directement dans les locaux. Il avait à peine refermé la porte, fait quelques pas dans le couloir qu’il sentit que quelque chose clochait. Les employés semblaient terrés derrière leurs ordinateurs et comme il s´approchait du coin détente, il entendit les sons étouffés d’une dispute. Il tourna la tête en direction du bureau concerné et son visage afficha une petite moue. Ne cherchant pas plus, son attention s’en détourna et il pénétra dans la salle.

Cela lui était déjà arrivé plusieurs fois d’avoir cette impression très nette de tomber comme un cheveu sur la soupe et c’est exactement ce qu’il ressentit à cet instant. Dans un coin, vers la fenêtre se tenaient trois employées qui discutaient à voix basse. Il y reconnut une des plus âgées – celle qui avait été la première à se lancer dans les compliments à son égard. Elle et l’autre femme entouraient Evelyne, s’il se souvenait bien ou peut-être était-ce Emeline. S’il en jugeait par sa mine décomposée et les larmes au bord de ses yeux, elle semblait en avoir besoin.

– Bonjour, dit-il après s’être raclée la gorge.

– Oh bonjour, Ludovic, l’accueillirent les deux plus âgées.

Emeline, ou Evelyne, essaya de rependre contenance et le salua avec un petit sourire. Il le lui rendit. Quoiqu’il soit en train de se passer, elle avait clairement le moral dans les chaussettes. Il préféra ne pas se lancer dans son badinage habituel. Ce n’était pas le moment.

– Je vous pose tout ça là, précisa-t-il comme il commençait à sortir les emballages individuels.

– Oui, merci.

Un éclat de voix plus fort que les autres leur parvint et elles se raidirent toutes. Ludovic se demanda bien ce qu’il se passait et qui pouvait les mettre dans cet état, probablement leur patron. A vue de nez, il aurait parié qu’il était en train de passer un savon à quelqu’un, quelqu’un qui ne se laissait pas faire s’il en jugeait par le peu qu’il entendait. Sans même le vouloir, il accéléra le rythme et il ne resta bientôt dans la glacière que le plat de Mathieu. Celui-là, il se le réservait. Il sursauta lorsqu’une porte s’ouvrit avec fracas et se crispa un peu, gagné par la tension qui régnait tout autour de lui.

– Quatorze heures, Virginie, sinon je les prépare moi-même !

Il reconnut cette voix, même si en cet instant elle possédait des accents particulièrement rageurs. Les trois femmes se courbèrent et se concentrèrent sur leur tâche du moment : trier les plats qu’il avait posé. Curieux, il jeta un coup d’œil dans le couloir. Mathieu y fit son apparition. Il marchait rapidement et son visage était fermé, pour ne pas dire crispé. Il se détendit très légèrement quand il l’aperçut.

– J’ai votre déjeuner, l’informa-t-il

Un hochement de tête lui répondit. Mathieu scruta la salle de repos.

– Emeline, je veux vous voir dans mon bureau à deux heures.

Si la jeune femme répondit, Ludovic ne l’entendit pas. Il la vit se tendre et se réfugier derrière ses deux autres collègues.

Le visage de Mathieu se referma un peu plus et de l’agacement, peut-être même du dégoût se mêla à son expression colérique. Quand son regard se porta sur Ludovic, il possédait une telle intensité que ce dernier se sentit frémir. Il y avait quelque chose de furieusement sexy dans ce qui émanait de Mathieu à cette minute. Quelque chose d’animal et de dominateur qu’il aimait trouver dans ses partenaires. Il adorait les mecs capables d’agir de la sorte, capables d’avoir ce genre de facette très forte et virile, dans la vie et surtout dans un lit. Son esprit ne résista pas à lui envoyer des images de Mathieu le dominant avec cette passion, cette volonté. Il savait qu’il s’y serait soumis avec délectation. Il savait aussi que c’était une pensée bien malvenue à cet instant.

D’un nouveau mouvement de tête, Mathieu lui signifia de le suivre. Il acquiesça avec empressement. Et tandis qu’il lui emboîtait le pas dans le couloir, ses yeux détaillèrent, dévorèrent la silhouette devant lui, la rigidité que la colère conférait à son dos et ses épaules, la véhémence de sa démarche, les muscles de ses fesses quand ils se contractaient. Il réalisa que l’homme était décidemment tout ce qu’il aimait.

Une fois dans son bureau, Mathieu attrapa un stylo et cela sans aucune douceur. Sa brusquerie l’alluma encore un peu plus.

– Je vous signe votre reçu.

– Oui, bien sûr.

Ludovic sortit le plat et son document et les déposa devant Mathieu. Il pouvait presque sentir la colère vibrer à l’intérieur de son interlocuteur. Ce dernier parapha énergiquement, jeta plus qu’il ne lâcha son stylo, avant de fouiller dans la poche de sa veste posée sur sa chaise. Il y prit un paquet de clopes.

– Je vous raccompagne en bas, faut que je m’en grille une, là.

– Oui, avec plaisir.

Ludovic lui sourit et Mathieu sembla faire un effort pour le lui rendre. Il ne le prit pas contre lui. L’homme tentait visiblement de reprendre le contrôle sur son énervement. Ils sortirent du bureau en silence. La seule employée qu’ils croisèrent baissa le regard et Ludovic aurait parié qu’elle essayait de disparaitre dans le mur. Il avait bien compris que Mathieu avait un poste d’une certaine importance dans la boite, mais à cet instant, il aurait presque juré que c’était lui le boss. Et pourtant, il savait que ce n’était pas le cas. Quoi qu’il en soit, il était impressionnant.

Dans l’ascenseur, Mathieu n’ouvrit pas la bouche, le regard dans le vide. On voyait qu’il ruminait encore et Ludovic se demanda ce qu’il avait bien pu arriver pour qu’il soit dans cet état et que l’ambiance générale soit aussi mauvaise, même s’il avait deviné que cela devait avoir un rapport avec Emeline. Elle allait visiblement passer un sale quart d’heure. S’il jugeait Mathieu affreusement attirant, il n’aurait pas aimé être celui qui lui ferait directement face.

Ils marchèrent rapidement jusqu’à la porte de l’immeuble.

– Vous êtes garé où ? l’interrogea-t-il.

– Juste là.

– OK.

Mathieu avança jusqu’à se retrouver au niveau de sa mobylette et s’adossa au mur avant de sortir une cigarette. Ludovic s’appuya à la barrière séparant le trottoir de la rue. Ses yeux suivirent les mains de Mathieu quand il secoua d’un mouvement du poignet son paquet pour en extraire une clope qu’il porta à sa bouche. Il y avait un côté très habituel dans ces gestes. Il lui tendit le paquet, mais Ludovic déclina d’un mouvement de tête. De la main gauche, Mathieu alluma sa cigarette. Le léger grésillement qui accompagnait le rituel rompit le vague silence de la rue. Mathieu ferma les yeux alors qu’il prenait une longue inspiration, faisant rougeoyer le bout de sa cigarette. Il l’éloigna à peine de sa bouche, retenant sa respiration comme s’il savourait cette première taffe. Quand il expira lentement, une longue volute de fumée s’échappa de ses lèvres.

Ludovic était littéralement captivé, suivant chaque geste, analysant chaque expression qui passait sur le visage de Mathieu. Observer quelqu’un fumer ne lui avait jamais paru particulièrement passionnant, mais il y avait quelque chose dans la façon de faire de Mathieu qui retenait son attention. Il avait cet air cool qui motivait les gamins à se mettre à la cigarette comme si le simple geste faisait de vous un homme et, dans son cas, c’était vrai. Il avait l’air encore plus masculin, là, adossé à son mur. Il renversa la tête en arrière et Ludovic suivit la ligne de sa trachée pour remonter jusqu’à sa mâchoire. L’envie de parcourir le même chemin de sa langue, l’audace qu’il faudrait pour le faire, la tentation d’y céder lui vrillèrent le bas-ventre. A un autre moment, sans doute se serait-il senti ridicule à s’exciter tout seul comme ça, devant ce type qui regardait le ciel en s’empoisonnant les poumons. Finalement, Mathieu reporta son attention sur lui.

– Désolé, dit-il, je ne sais pas comment sont vos collègues mais putain…

Il ne termina pas sa phrase et replaça la cigarette entre ses lèvres. Ludovic aurait pu regarder ça pendant des heures.

– Je n’ai pas à me plaindre, en tout cas pour ceux que je vais avoir au CAMPS que j’intégrerai fin août.

– Vous quittez votre boulot de livreur ?

Mathieu ferma de nouveau les yeux alors qu’il prenait une autre taffe.

– Je ne fais que dépanner mon cousin jusqu’à mercredi prochain, en fait.

Mathieu hocha la tête. Il semblait plus calme mais il n’avait pas encore retrouvé la jovialité de leurs échanges habituels.

– Mes collègues vont être déçues d’apprendre ça.

Ludovic sourit.

– Qu’elles ? ne put-il retenir.

Il espérait bien entendre un « moi aussi ». Après tout, en dehors de toute attirance potentielle – il n’était pas réellement parvenu à déterminer de quel bord était Mathieu – leurs conversations avaient été plutôt sympathiques. Il n’était peut-être que le livreur avec lequel on est poli, mais il avait quand même la nette impression qu’il y avait plus, même si ce n’était qu’une certaine camaraderie.

– Vous aussi peut-être, répondit Mathieu. Encore que si vous vouliez choper Emeline, je vous conseille de remonter chercher son numéro parce que je la vire tout à l’heure.

– Qu’est-ce qu’elle a fait ? demanda-t-il.

– Elle est incompétente, précisa Mathieu alors qu’il reportait son regard vers le ciel.

Ludovic jugea bon de ne pas commenter ce dernier point. Au lieu de ça, il contempla son expression pensive. Qu’il vire Emeline n’avait rien d’étonnant compte tenu de ce qu’il avait observé et entendu. C’était même une des hypothèses qu’il avait envisagé. Par contre, les propos de Mathieu sur le fait de récupérer son numéro le surprenaient déjà davantage. Il ne voyait pas bien ce qu’il avait pu faire pour lui laisser supposer qu’il était : de une attiré par les femmes (est-ce qu’un hétéro lâchait à un autre homme qu’il le trouvait sexy ?), de deux : attiré par Emeline en particulier. Peut-être était-ce simplement parce que c’était celle qui semblait le plus proche de son âge. Quoi qu’il en soit, cela répondait sans doute à sa question. Mathieu était tellement hétéro qu’il n’imaginait naturellement pas que lui ne soit pas de son bord.

 – Je comprends. Mais je ne suis pas intéressé. Je ne sais pas ce qui vous l’a fait croire.

Une nouvelle taffe avant que Mathieu ne réponde.

– On m’a rapporté qu’elle en avait l’impression.

Il hocha la tête.

– Elle aura mal compris, je suis branché par les hommes si je n’avais pas été assez clair quand je vous ai dit que vous étiez sexy.

Il ne désirait pas être lourd. Mathieu avait l’air d’être à des kilomètres d’avoir envie de se faire draguer, surtout par un gay si lui ne l’était pas, en tout cas la pensée l’effleura, mais puisqu’il n’était pas vraiment certain, il préféra bien recadrer les choses. Il fut toutefois incapable d’analyser l’expression de Mathieu, qui semblait toujours à moitié perdu dans la dégustation de sa clope qui se consumait doucement.

– En fait, je pensais que vous étiez bi.

– Pas du tout.

Mathieu hocha la tête et reporta son attention sur lui. Il eut cette étrange impression que l’autre l’étudiait ou le voyait sous un autre jour. Mais peut-être était-ce lui qui se faisait des idées, sans doute d’ailleurs. Mathieu détourna finalement le regard.

– Et qu’allez-vous faire dans ce CAMPS, quoi que cela puisse être ?

Ludovic ressentit une vive frustration en voyant qu’une fois de plus, Mathieu bottait en touche et changeait de sujet. Et cela d’autant plus que cela ne faisait que confirmer son hypothèse sur la sexualité de Mathieu. C’était agaçant, énervant même. Ce n’était pas qu’il avait du mal à trouver des mecs qui lui plaisait mais autant, c’était déjà plus rare. Ses sensations étaient probablement plus fortes en raison de l’excitation qu’il avait ressentie et éprouvait encore face à lui. C’était comme avoir un super plat devant soi et avoir interdiction d’y goûter. Il n’aimait pas devoir se priver. Il retint son soupir de dépit.

– Centre d’Action Médico-Sociale Précoce. Je suis psychomotricien. J’ai obtenu mon diplôme ce mois-ci et comme j’ai effectué mon dernier stage là-bas et que ça s’est très bien passé, ils m’ont proposé le poste qui se libérait. Et voilà.

Une fois de plus, Mathieu se contenta d’un hochement de tête. Il jeta son mégot dans le caniveau d’une pichenette.

– Psychomotricien, c’est de la rééducation donc ?

– Oui et un peu plus que ça au final. Il faut de la technique mais aussi beaucoup d’écoute et d’imagination pour s’adapter aux patients. On peut utiliser la danse, les arts plastiques, c’est vraiment top !

 La remarque fit sourire Mathieu.

– Ca vous plait ?

– Oui, j’adore mon métier.

Mathieu hocha de nouveau la tête. Il attrapa une seconde cigarette, l’observa, hésita et la reposa dans son paquet.

– Et pourquoi psychomotricien, alors ?

– Parce que gamin j’y ai eu recours et que ça m’a sauvé la vie. J’ai été en échec scolaire très tôt, je savais lire couramment en entrant en CP mais j’écrivais toujours horriblement mal arrivé en CE2. J’étais assez associable et je fichais le bazar en cours. C’est la directrice de l’école qui a orienté mes parents vers une de ses amies psychomotriciennes qui a rapidement déterminé que j’étais un enfant à haut potentiel.

Ce n’était pas la première fois qu’il faisait son petit laïus. Avec le temps, il parlait plus facilement de ses capacités sans avoir l’impression de se vanter, sentiment qu’il avait longtemps éprouvé. Il savait que les gens s’ouvraient difficilement sur ce genre de choses, si ce n’était dans des groupes spécialisés. Mais après des années de travail sur lui, il avait appris à passer outre son appréhension et la peur des réactions des autres. Après tout, il était aujourd’hui un de ceux qui devait aider certains gamins dans son cas et d’autres avec des handicaps à mettre des mots sur leurs maux, à accepter par leur corps mais aussi par leur esprit qui ils étaient et non ce qu’ils étaient. Il aurait donc été malvenu que lui-même n’y parvienne pas.

Mathieu fronça les sourcils.

– Précoce ? demanda-t-il en guise de confirmation.

– On ne parle plus d’enfants précoces de nos jours mais oui, c’est ça. Les séances m’ont changé la vie, mettre des mots là-dessus c’était… libérateur.

Ludovic se souvenait très bien de la sensation de renaître qu’il avait éprouvée au fur et à mesure des séances, celle de s’ouvrir, de prendre le contrôle qu’il avait tant de mal à ne pas avoir. Il se remémorait à quel point cela avait été bon d’avoir un interlocuteur qui lui parlait enfin comme s’il n’était pas un idiot qui ne comprenait rien, qui lui proposait des choses intéressantes à faire, même si pour certaines il les avait trouvées débiles à l’époque. Maintenant qu’il était de l’autre côté, il savait combien ces activités qu’il avait jugées stupides avaient été essentielles dans sa réhabilitation, dans sa reconstruction. Sans doute que, comme de nombreux enfants dans son cas, il serait retombé sur ses pieds mais tout aurait été tellement plus difficile, l’adolescence, la découverte de son homosexualité.

Quand il avait commencé à comprendre qu’il n’était pas attiré par les femmes, cela avait été dur. Il avait eu la violente sensation de revenir en arrière, d’être de nouveau différent. Mais le travail qu’il avait effectué jusque-là, celui qu’il poursuivait, lui avait permis de passer outre ces difficultés, d’accepter plus facilement qu’une fois de plus, il était autre.

Mathieu perdit visiblement la bataille contre son envie de nicotine et sortit cette seconde cigarette.

– Toujours pas ?

– Non merci.

– Vous avez raison. Je ne devrais pas non plus, mais…

Il fit une pause pour allumer sa clope et, de nouveau, Ludovic suivit ses gestes avec attention.

– Elle m’a tellement énervé que je ne vais pas tenir si je ne retrouve pas pleinement mon calme et je n’ai pas envie de la voir fondre en larmes dans mon bureau. Chose qu’elle serait capable de faire si je me mettais à hausser la voix.

– Vous avez l’air de leur faire peur. Et j’avoue que vous étiez plutôt impressionnant, ajouta Ludovic avec un petit sourire.

Cela fit rire Mathieu.

– Il parait que c’est une qualité, commenta-t-il en tirant une taffe. En tout cas, c’est ce que me dit mon boss.

– Si c’est le chef qui le dit, il faut le croire.

Ludovic s’appuya un peu plus contre la barrière, hypnotisé une nouvelle fois par les mains et les mouvements de Mathieu. Ce type avait un don pour transformer un geste pourtant banal en truc le plus sexy du monde : hallucinant.

– Si je suis bien, j’ai donc un petit génie devant moi.

Cette fois, ce fut à son tour de laisser échapper un léger rire.

– Pas un génie non, je n’ai pas non plus le QI d’Einstein, mais je n’ai jamais eu besoin de beaucoup travailler pour avoir de bonnes notes, enfin après mon début de primaire désastreux. Et puis, je me suis intéressé à beaucoup de choses à côté pour me nourrir. On va dire ça comme ça.

– Longues études pour devenir psychomotricien ? interrogea Mathieu, sa voix légèrement modifiée par la présence de fumée dans sa bouche.

– Non. J’ai effectué ma PACES d’abord et…

– Votre quoi ?

– PACES, c’est la première année d’étude commune aux études de santé. Donc, avec les futurs médecins, kiné, etc. que j’ai validé tout de suite. Et puis, j’ai passé le concours et j’ai été pris à la Pitié-Salpêtrière. Après ça, c’est trois ans et un autre concours à la fin pour devenir psychomot’ et voilà.

Mathieu hocha la tête.

– Je vais vous poser une question, c’est juste de la curiosité, ne le prenez surtout pas mal mais…

Nouvelle pause pour une taffe.

– Quitte à avoir fait la première année et à l’avoir réussie, et tout le monde sait à quel point c’est difficile du premier coup, même les gens comme moi qui n’ont pas du tout fait ce genre d’études, pourquoi ne pas avoir fait kiné ou médecin ? Vous aviez visiblement les capacités.

Ludovic éclata de rire.

– Pitié, j’ai l’impression d’entendre mon père et son laïus sur mon potentiel gâché.

– Hum, les pères, soupira Mathieu.

– Vous avez des problèmes avec le vôtre ? se permit-il, car son ton le laissait clairement supposer.

Mathieu tira une nouvelle taffe, très longue.

– Oui, on ne se parle plus.

– J’en suis désolé.

Mathieu haussa les épaules. Une façon de dire que c’était la vie sans doute, mais son expression, son ton montraient qu’il n’était pas aussi détaché qu’il voulait le laisser paraitre.

– Le mien ne me parle plus vraiment non plus. Ma mère oui, mais lui… entre mes études et mon orientation sexuelle, il estime que je gâche ma vie et visiblement une partie de la sienne. Il a continué à m’aider financièrement mais ça ne va pas plus loin. Il a toujours ce regard dépité quand il me voit. Je crois qu’il aurait accepté ma carrière mais être gay en plus, c’était trop pour lui. Au moins n’avez-vous pas ça.

Un moment Ludovic se demanda pourquoi il racontait sa vie comme ça et s’il n’allait pas mettre Mathieu mal à l’aise. Mais ce dernier l’observait, comme s’il le jaugeait.

– En l’occurrence, c’est exactement pour cela qu’il ne me parle plus.

Ludovic hocha la tête, camouflant sa surprise. Voilà qui répondait à la question et pour le coup, il n’avait même pas volontairement tendu la perche à ce sujet. Et si Mathieu était gay alors son manque de réactions à ses compliments ne pouvait que signifier son désintérêt. Sans doute qu’il ne lui plaisait pas. Il ne savait pas si c’était plus frustrant que de se dire que c’était seulement une histoire de genre. Mais, c’était la vie, comme on le disait si bien.

– Je suis désolé, répéta-t-il. C’est difficile quand on vous reproche quelque chose contre lequel on ne peut rien.

– Hum.

Nouvelle taffe.

– Sa réaction n’était pas une surprise. C’est un connard homophobe, je le savais, alors avoir un fils pédé comme il le dit si bien, ce n’était pas envisageable. Je crois qu’il me considère comme mort ou quelque chose comme ça.

– Ca n’en est pas plus facile à accepter.

– Sans doute. En tout cas, vous êtes courageux de lui avoir annoncé pendant vos études. Personnellement, j’ai attendu de gagner ma vie et d’être installé pour le faire. J’ai eu raison. Ils m’auraient coupé les vivres et j’aurais dû me démerder pour terminer mes études sans leur appui financier. Ça aurait été faisable mais bien plus compliqué.

– C’est sûr. Je crois que j’ai pas réfléchi à tout ça. Mais peut-être parce qu’il n’était pas ouvertement homophobe.

– Hum. Je pars du principe qu’il vaut toujours mieux se méfier. Aujourd’hui, sans dissimuler mon homosexualité, j’évite de l’étaler. Au boulot aussi, continua-t-il, désignant le bâtiment derrière lui d’un mouvement de tête.

– Je comprends. J’avoue que je ne m’en cache pas pour le moment, j’ai pas envie de me prendre la tête à réfléchir à ce que je dois dire ou non.

– J’ai remarqué, s’amusa Mathieu. Vous savez que certains types accepteraient très mal qu’un autre mec leur avoue les trouver sexy.

Ludovic sourit, presque malgré lui, content de voir Mathieu se détendre enfin. Il haussa les épaules.

– Je prends le risque, des fois le jeu en vaut la chandelle.

– C’est une philosophie. Personnellement, je choisis les endroits pour l’afficher. Dans mon immeuble par exemple, on a une vieille peau homophobe, je ne dirais pas que j’étale volontairement mon orientation mais si je dois sortir de chez moi avec un mec, je le fais sans me poser la moindre question.

Ludovic hocha la tête. En soi, Mathieu avait raison. On ne savait jamais trop sur qui on pouvait tomber et sans doute, ferait-il mieux de ne pas exposer ses choix sexuels avec ses patients ou leurs parents.

Mathieu jeta son nouveau mégot.

– Je devrais y retourner, dit-il finalement.

– Votre hamburger va être froid !

– Ouais, ce serait dommage. Elle m’a déjà gâché ma matinée, je ne vais pas la laisser en faire autant avec mon déjeuner.

Ils se sourirent. Étonnement, la petite conversation qu’ils venaient de tenir, en plein milieu de la rue (tu parles d’un endroit approprié pour ce genre de confidences), ne les mit nullement mal à l’aise.

– Et puis, j’ai appris des choses sur la psychomotricité. C’était intéressant.

– Je suis à votre service pour vous en dire plus.

Mathieu hocha la tête.

– A suivre demain, alors, conclut-il.

– Oui.

Un nouvel échange de sourires et Mathieu se détacha du mur avant de reprendre le chemin de l’immeuble, avec un signe de main.

Ludovic remit son casque. Il poussa un petit soupir. C’était vraiment dommage qu’il ne lui plaise pas, mais il devait reconnaitre que la façon de faire de Mathieu avait une certaine classe. Au moins, ne se sentait-il pas mal à l’aise et puisqu’ils devaient se voir une fois par jour pendant un peu plus d’une semaine, c’était sans doute pour le mieux.

A un stade du plaisir – Scène coupée

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : M/M/M/M, romance, érotique, rugby.

Ceci est une scène coupée du roman A un stade du plaisir, sorti aux éditions Harlequin.

Lorsque j’ai écrit cette histoire, j’ai commencé par faire plusieurs versions, et voici une version abandonnée. La scène était partie dans une direction que je ne voulais pas : relativement sombre, mais ça c’est quelque chose que j’aime écrire, mais surtout allant dans une relation où le consentement du personnage était, certes, réel, mais… bof, quoi. Limite, tout de même. Et ce n’était pas ce que je voulais. Ces 3 personnages sont restés présents dans la version finale, mais dans une relation très différente de celle que l’on voit ici, et le deuxième héros, soit celui avec qui Josh vivra une romance, n’apparait pas encore. Cette scène de douche a cependant fait un bon effet sur plusieurs amies qui l’ont lue, et je l’aime bien, aussi.

Note : Le texte qui suit est écrit du point de vue du héros, soit Josh.

A un stade du plaisir - Scène coupée

Juan tourna le visage vers Angélo.

— Tu devrais le laisser tranquille, dit-il.

— Pourquoi ?

La main d’Angélo naviguait sur son torse et son regard était fixé sur son bas-ventre, là où — Josh le savait — son propre membre ne cessait de se relever au fur et à mesure que ses doigts descendaient vers lui.

Josh appuya plus fortement la tête contre le carrelage, derrière lui, et leva les yeux au plafond. Le désir pulsait violemment à l’intérieur de lui, dangereux. Positionné sur sa gauche, en opposition à Angélo, Juan ne le touchait pas. Seulement, il l’observait, comme s’il cherchait à lire dans son regard, à décrypter ce qui se jouait sous le grain de sa peau.

— Tu veux ?

Il ne répondit pas à cette question de Juan. Il se serra juste plus intensément contre le mur, y plaqua les mains et, lorsque celle d’Angélo parvint sur son membre tendu, ferma vivement les paupières en relâchant un souffle tremblant. L’excitation explosa avec tant de force en lui qu’il se rendit compte que, si, au lieu de s’enrouler simplement autour de sa chair, les doigts s’étaient mis à le caresser, il aurait pu jouir dans l’instant.

Alors, il rouvrit le regard, fixa Juan, un temps, puis osa le diriger sur Angélo, inquiet de ce qu’il allait y voir. Curieusement, celui-ci n’affichait pas l’une de ses expressions méprisantes, mais plutôt attentive, bien que supérieure, comme toujours.

— Tu vois ? dit Angélo à Juan.

— Oui.

— Je te le disais.

Et Josh eut à peine le temps d’intégrer ces paroles que la main d’Angélo se mit en mouvement sur son sexe tandis que son souffle se rapprochait de son cou, le caressant et tirant des décharges de plaisir de son corps. De réflexe, il tendit le cou en arrière, haleta, se raidit, conscient au fond de lui que, malgré toute la crainte qu’il éprouvait, ce qu’il se passait était exactement ce qu’il avait voulu, ce qu’il désirait au plus profond de lui-même. Sa tête retomba sur le côté et il fut surpris en rencontrant celle de Juan qui le laissa pourtant s’appuyer contre sa pommette. Étonné, il rouvrit les paupières tandis que les doigts d’Angélo se mouvaient toujours sur son sexe, le faisant frôler la jouissance, et ne put voir l’expression du visage de Juan, celui-ci étant trop proche de lui, mais put le sentir tourner légèrement la tête. Et lorsque sa main se posa sur son torse, et que ses doigts se saisirent de son mamelon, et qu’ils le firent rouler doucement, la chaleur qui grondait déjà dans son ventre explosa et il se répandit sur la main chaude qui l’enserrait, le faisant se vider en longues saccades alors que son corps entier tremblait sous la force de l’orgasme éprouvé.

Un temps, il resta pantelant, toujours appuyé contre le mur froid de la douche de laquelle plus rien ne coulait. Seules quelques gouttes, un peu plus loin, apportaient un résonnement régulier qui renforçait l’atmosphère de silence et de vide de la salle.

Puis Josh vit Angélo et Juan se faire un signe de tête avant de commencer tous deux à se déshabiller.

***

Quand il contempla les corps d’Angelo et de Juan devant lui, Josh aurait pu se trouver devant une image connue : il les avait déjà vus nus dans l’intimité des vestiaires. Il aurait pu se trouver devant quelque chose d’effrayant : leurs sexes étaient tendus et il ne savait pas ce qu’ils voulaient faire de lui. Ce qu’il éprouva le plus fortement fut pourtant de l’excitation. Sa verge vidée collait à sa cuisse mais tout son organisme vibrait encore d’un brasier inconnu, puissant au point de rendre secondaire toutes les pensées qu’il pouvait bien avoir et qui, pourtant, comportaient un certain nombre de signaux d’alarme.

Il se laissa glisser au sol, suivant le carrelage dans son dos, sans réfléchir, captivé par la vision qui se dressait en face de lui. Surtout, il regarda Juan. Juan chez qui, bien malgré lui, tous ses fantasmes se concentraient. Juan qui resta en arrière alors qu’Angélo s’approchait de lui. Comme si la configuration avait été faite pour qu’ils se trouvent à ce moment-ci exactement dans cette position, son sexe se présenta devant son visage, proche, si proche, alors qu’Angélo prenait appui des deux mains contre le mur.

— C’est bien ce que tu veux, non ?

Josh leva les yeux sur son visage, le trouvant haut au-dessus de sa tête. Encore une fois, et contrairement à ce dont il avait l’habitude, l’expression d’Angélo n’était pas agressive, juste pressante et invasive, comme s’il le sondait par ces paroles. Il évita de répondre. Juan s’accroupit à ce moment auprès de lui et Josh fut tellement troublé par cette présence soudaine qu’il en manqua une expiration. Il sombra alors dans son regard, dans ces yeux qui le captivaient si aisément.

— Si tu ne le veux pas, dis-le, lui chuchota-t-il.

Et Josh se laissa envahir par ces paroles, touché qu’elles lui soient adressées.

— Joshua, l’appela Angélo.

Celui-ci usait toujours de son prénom complet le concernant. Après un temps de silence, il répéta pourtant en corrigeant :

— Josh.

Le changement soudain attira son attention et il releva la tête vers ce dernier, le trouvant de nouveau penché sur lui, son sexe à quelques centimètres de ses lèvres.

Juan se redressa à ce moment-là.

— Angélo… Je ne suis pas sûr qu’il veuille.

— Avec toi, il veut.

L’annonce fit à Josh l’effet d’un coup de poignard, la manière dont le fixa Juan à ce moment-là aussi. Angélo lisait visiblement avec beaucoup de clarté en lui.

Juan échangea un regard avec ce dernier, un regard qui, s’il ne le confirma, ne s’opposa pas à ce qu’il avait dit.

— Dis-le, exigea alors Angélo, et Josh vit dans ses yeux émaner soudain quelque chose de sombre. Quelque chose à quoi il ne s’était pas attendu. Quelque chose qui l’excita vivement, malgré lui.

— Je vais y aller, souffla-t-il avec empressement en commençant à se relever pour tenter de se défiler, mais Juan ne le laissa pas faire.

D’un coup, il se saisit de ses cheveux et il plaqua la tête contre le mur, le faisant se cogner au carrelage.

— Dis.

Son cœur battait à toute allure et il voyait le sexe de Juan se présenter devant lui, ce sexe auquel il avait tant fantasmé auparavant, qu’il avait imaginé plusieurs fois entrer dans sa bouche, franchir la barrière de ses lèvres et… plus bas encore, l’écarter.

— Oui, avoua-t-il et, pour confirmer son aveu, et alors que sa poitrine abritait des battements plus vifs encore, il ferma les yeux et ouvrit les lèvres.

Si la sensation du sexe de Juan ne l’avait pas violemment excité, le son du soupir que celui-ci lâcha en franchissant la barrière de sa bouche aurait pu le faire à lui seul. Josh se positionna plus confortablement sur ses genoux, laissant la chair désirée glisser sur la surface offerte de ses lèvres jusqu’à ce qu’elle prenne sa place en lui. Là, Juan s’immobilisa et Josh leva la main pour la placer sur sa hanche solide, avant que l’autre la rejoigne de l’autre côté. Il sentait les muscles puissants sous ses paumes : ceux des cuisses à la lisière de ses poignets, ceux des fesses à l’extrémité de ses doigts, là où il brûlait de les glisser, de toucher les globes puissants, de s’y agripper. Mais il les laissa juste en place et s’en servit pour repousser le corps de Juan, juste assez pour lui laisser l’amplitude suffisante pour revenir de lui-même dans sa bouche.

L’initiation de Claire – saison 1 (2)

Deuxième partie

Claire jeta un coup d’œil autour d’elle. Peu d’autres personnes s’étaient aventurées dans cette partie de la cour et aucune n’avait prêté attention aux agissements du trio. Doucement, elle déambula le long de la piscine, tout en scrutant le lieu où les trois jeunes gens avaient disparu. En s’en approchant, elle constata que, si elle n’avait pas été en train de les observer au moment où ils y étaient entrés, elle aurait sûrement ignoré l’existence de ce passage. Il aurait fallu qu’elle traverse la cour extérieure, et encore, il était si bien dissimulé dans un coin d’ombre qu’on ne pouvait guère le repérer qu’une fois parvenu à ses pieds. Là, une faible lumière, jaune pâle, en éclairait la voie. En haut se dressait une porte noire sans aucune inscription de derrière laquelle émanait une musique assourdie, à la rythmique sensuelle.

Claire resta, un moment, immobile.

Puis elle gravit les marches, les doigts glissant sur la pierre sèche au fur et à mesure de son avancée. Son pouls battait de curiosité et d’appréhension.

Derrière la porte, un couloir exigu lui apparut, éclairé de façon intermittente par la blancheur hypnotique de stroboscopes. Des hommes et des femmes s’appuyaient le long de ses murs, certains se parlant à l’oreille, d’autres s’embrassant avidement. Claire se rendit compte qu’elle devrait les frôler si elle voulait progresser. Les basses du morceau diffusé se répercutaient dans sa poitrine, les stroboscopes lui faisant apparaître les images fugaces de lèvres les unes contre les autres, du galbe d’une jambe dénudée, d’un visage enfoui dans la courbure d’un cou et des ondulations, troublantes, de hanches masculines entre deux cuisses relevées. Si l’atmosphère précédente avait été empreinte de sensualité, celle-ci s’avérait clairement sexuelle.

Lentement, elle se glissa entre les corps lui faisant face, les regards se posant sur elle et les souffles éraillés effleurant sa peau tandis qu’elle les dépassait. Lorsqu’une main se glissa entre ses jambes, elle se retourna pour reculer d’un pas, ne sachant comment réagir. Puis elle poursuivit son chemin.

Plus elle s’enfonçait à l’intérieur du mas, plus la décoration changeait. Plus sombre. Plus sexuelle. Des ouvertures sans porte donnaient sur différentes pièces où de grands lits trônaient, occupés pour la plupart. Certaines chambres possédaient de grands écrans vidéo, d’autres des miroirs sur chacun de leurs murs… une, des chaînes terminées par des bracelets pendant au plafond. Curieuse, elle pénétra dans cette dernière. Celle-ci ne comportait aucun lit mais était meublée, en son centre, par un banc sans dossier sur lequel elle devina que l’on pouvait s’allonger. Le meuble était suffisamment haut pour que le corps de la personne étendue soit au niveau du bassin de celle restant debout ; une assise rembourrée, qui semblait confortable, le recouvrait et de petits appuis, situés plus bas en ses quatre coins, permettaient d’y poser les genoux et les coudes. À côté se dressait une grande croix de saint André, anneaux et lanières fixés à ses extrémités. Ailleurs, une sorte de hamac de cuir était suspendu au plafond par des chaînes. De grands placards, fermés seulement par des grilles, laissaient apercevoir des objets qui attiraient son regard. Elle voulut approcher, mais un bruit sec retint son attention. Il s’agissait d’un son provenant d’une pièce attenante. Le gémissement étouffé qui suivit l’interloqua.

Avançant encore un peu plus, elle découvrit une salle où, derrière une ligne de barreaux, des êtres aux poignets ligotés au mur étaient en train de se faire fouetter, certains très doucement, d’autres plus fort. Quelques personnes regardaient tranquillement, murmurant parfois à l’oreille des uns et des autres. L’aspect de la scène lui donna l’impression d’un spectacle.

Un moment, elle resta, elle aussi, appuyée aux barreaux à observer ce qu’il se passait, étonnée de s’en laisser tant captiver. Elle n’avait jamais vu quoi que ce soit de tel. Ceux maniant les lanières de cuir portaient tous un masque, hommes et femmes. Ceux soumis l’étaient jusqu’au regard des autres. Une curieuse alchimie s’opérait cependant entre ces derniers et leurs dominateurs, donnant à Claire l’impression qu’aucun d’eux n’était là pour le public mais, au contraire, qu’en les observant ainsi, c’était elle-même qui attisait leur jeu. Soudain, un gémissement plus fort lui fit tourner la tête, quelque peu effrayée. La façon dont le responsable s’approcha alors de celui qui venait de crier l’étonna, sa main caressant son dos légèrement strié avant de passer tendrement dans ses cheveux pour lui tourner le visage… L’expression de plaisir mêlé de reconnaissance de ce dernier alors qu’il atteignait soudain l’orgasme la perturba violemment. Gênée, elle se détourna de ce spectacle qu’elle ne comprenait pas.

Tandis qu’elle repartait, songeuse, elle se rendit compte que la durée pendant laquelle elle était restée à observer cette scène lui échappait. Elle ne savait même pas depuis quand elle déambulait dans cette partie du bâtiment. Elle avait l’impression de s’être laissé emporter par l’atmosphère des lieux au point d’en perdre la notion du temps. Un rire la sortit alors de ses pensées. En relevant le visage, elle découvrit, sortant d’une pièce devant laquelle s’amassait un certain nombre de personnes, la femme qu’elle avait observée plus tôt. Quand celle-ci tourna la tête, sa chevelure rousse fendit l’air, puis sa main se leva pour placer devant ses yeux un masque identique à ceux que Claire avait remarqués auparavant.

Elle s’immobilisa, sa respiration s’accélérant. Un coup d’œil rapide aux êtres rassemblés dans cette partie du couloir lui fit repérer le jeune homme à la démarche nonchalante. Le cœur battant, elle jeta un œil dans la salle proche. Si elle y découvrit un nombre plus important encore de personnes conversant à voix basse, comme s’ils venaient eux aussi d’assister à une scène et échangeaient leurs impressions à ce sujet, le troisième homme, celui qu’elle avait vu avec le masque, n’y figurait pas… ou plus ; elle l’ignorait. Elle tâcha de recouvrer ses esprits, surprise de se sentir autant troublée par ce petit événement.

À peine eut-elle reculé qu’une voix l’interpella. Décontenancée, elle considéra la femme à la tenue de cuir rouge qui se tenait à quelques mètres d’elle, l’allure clairement dominatrice. Plus loin, elle reconnut le serveur du bar avec lequel elle avait brièvement conversé, venu la désigner depuis la dernière marche d’un escalier dérobé.

Claire cligna des paupières. La femme la détailla des pieds à la tête, avant d’élever la voix :

– Vous avez demandé une session au donjon. Suivez-moi.

Il fallut quelques secondes à Claire pour réagir. Le serveur était déjà en train de redescendre. La femme portait, elle aussi, un masque vénitien. Lorsque celle-ci tourna les talons, Claire la regarda repartir dans le couloir, troublée par ce qui était désormais une certitude : l’homme qu’elle avait aperçu au bord de la piscine devait, lui aussi, être un dominateur de l’établissement. Puis, elle lui emboîta le pas, son regard partant dans chaque salle qu’elles croisèrent tandis qu’elle se demandait vers quoi exactement elle se dirigeait. Et ce qu’elle cherchait, aussi. Ce qu’elle cherchait, tout au fond d’elle.

Dans aucune de ces salles, elle ne vit l’homme au masque.

Au bout du couloir, un lourd rideau bordeaux marquait la transition vers un lieu interdit aux autres clients. Lorsque la dominatrice le retint pour inviter Claire à la suivre, celle-ci tâcha de ne pas montrer son appréhension. Derrière, un petit vestibule à peine éclairé lui apparut, précédant plusieurs portes, toutes noires et sans inscription. Les murs, ici, se dressaient vides d’une quelconque décoration. Un geste l’invita à ouvrir l’une des portes. Malgré sa gêne, Claire y posa la main, poussant lentement.

Le premier visage qui lui apparut fut celui de la jeune femme aux cheveux roux qu’elle avait aperçue auparavant. Elle était hissée sur un tabouret haut, et ses jambes croisées laissaient visible la couture de ses bas. Elle tenait plusieurs feuilles de papier entre les doigts. Son masque était posé sur une tablette derrière elle.

– Clara ?

– Oui, répondit Claire, puisqu’il s’agissait du pseudo qu’elle s’était choisi.

Son attention fut aussitôt attirée par la femme nue qui était agenouillée plus loin, la tête basse et un harnais en cuir ceinturant sa poitrine. Un homme, affalé dans un fauteuil, les pieds sur une table où traînaient des verres vides et un tas de documents, tenait une cravache. De temps en temps, il jetait un œil à la femme, immobile, à ses côtés. En se rendant compte que les fesses de cette dernière étaient marquées de zébrures rouges, Claire se sentit perdue, comme distancée par ce qu’elle découvrait.

– Préférence : homme, cita la femme assise sur le tabouret.

Claire dut expirer profondément pour reprendre ses esprits. Elle observa celle qui venait de prendre la parole, découvrant que ce qu’elle tenait à la main était le questionnaire qu’elle avait rempli en arrivant, et qu’elle était en train de le lire.

– Olivier est occupé pour l’instant, enchaîna-t-elle.

Claire hocha la tête, l’esprit embrumé. Son regard repartit vers la soumise dont les yeux ne quittaient pas le sol. Même si l’homme assis dans le fauteuil ne lui adressait presque aucun regard, il était évident que toute son attention était focalisée sur la femme agenouillée auprès de lui.

– On peut avoir une session toutes les trois, Isabelle et moi, indiqua la dominatrice à la tenue de cuir rouge.

Puis elle précisa :

– Sans caractère sexuel. On manque de membres masculins ce soir. Ou tu peux attendre qu’un autre dom’ soit libre. Cain devrait bientôt être là.

Ce nom fit tiquer Claire. Elle se sentait mal à l’aise. Si, à l’origine, elle n’avait considéré cette session que comme une éventualité, certes inquiétante, mais à l’attrait de laquelle elle n’avait pas eu envie de résister, elle se rendait désormais compte à quel point elle avait présumé de sa propre audace. Le contraste entre ses fantasmes et la réalité était, de plus, flagrant. Elle ne savait plus si elle serait capable d’affronter un tel univers, si elle serait même prête à en faire l’essai.

Perturbée, elle ne vit s’ouvrir la porte située de l’autre côté de la salle que dans un brouillard cérébral. Le jeune homme qui pénétra à son tour dans la pièce, le masque à la main et un large sourire sur le visage, ne fit qu’embrouiller un peu plus ses repères. Un temps, la présence de la femme au sol, les marques sur ses fesses et l’attitude hautaine des deux dominatrices devinrent floues dans son esprit. Même le nouvel arrivant eut un temps d’hébétude, son sourire s’évaporant en découvrant Claire.

Du jeune homme qui venait d’entrer se dégageait un charme surprenant, captivant de bien des manières. Si la vision que Claire avait eue de lui, au bord de la piscine, avait suscité son intérêt, elle se sentait plus intriguée encore en le découvrant soudain devant elle. L’incroyable légèreté qu’il affichait tranchait avec l’image qu’elle avait d’un dominateur ; ses cheveux blonds en bataille lui donnaient un air de débauche et son sourire contrastait avec les expressions froides qui avaient accueilli Claire jusque-là. Quant à son attitude, elle était fraîche et espiègle, comme si tout ce qui se tramait en ces lieux reculés ne représentait, pour lui, qu’un jeu très distrayant. Seul l’aspect sombre de son regard rappelait qu’il n’avait certainement rien d’un simple garçon turbulent.

– Lui, c’est Mathieu, l’informa Isabelle. Et son planning est complet pour toute la soirée.

Claire accusa le coup. Durant quelques secondes, elle avait cru qu’il s’agissait du Cain qu’on lui avait annoncé. Perdue, elle tourna le visage vers la femme qui venait de lui parler, ne se rendant pas compte de la façon dont elle la dévisagea, faisant s’offusquer tous ceux qui l’entouraient, tant elle parut irrespectueuse. Seul ledit Mathieu, dont le regard était en train de descendre le long de la silhouette de Claire, en eut un sourire amusé.

Claire reporta son attention sur lui, tâchant de démêler les fils de son esprit.

Tant d’événements s’étaient succédé pour elle ces derniers temps : sa rupture avec Thomas, sa prise de conscience de la façon dont elle s’était laissé cloîtrer par cette relation, les propos du type lui ayant remis le flyer et la manière dont elle s’était laissé partager entre lui et un autre homme, comme s’il s’était agi de la place qu’elle devait occuper. Sa fascination pour la manière dont d’autres se faisaient attacher… De tous ces éléments, elle avait pu tirer une conclusion, une seule : elle ne se connaissait pas. Elle n’avait jamais été dénuée de caractère, stupide ou incapable de se révolter. Elle avait des convictions, des envies, et la façon dont elle gérait ses études, dans le cursus difficile qu’elle avait choisi, témoignait de la volonté dont elle pouvait faire preuve. Durant sa relation avec Thomas, elle s’était pourtant montrée tellement soumise… et elle n’avait guère agi différemment lors de sa dernière soirée. S’il y avait un élément, dans tout le trouble qu’elle avait ressenti depuis, qui pouvait encore avoir du sens, c’était qu’elle avait besoin de se trouver. Elle ne voulait plus laisser les autres décider de ce qui advenait d’elle, et certainement pas s’engager dans une session avec ces deux dominatrices dont l’attitude autoritaire la mettait mal à l’aise.

Inconsciemment, elle s’appuya contre le mur de pierre, scrutant le jeune homme aux cheveux clairs dans un temps de réflexion.

– Tout le monde veut toujours Mathieu, se moqua ensuite l’homme enfoncé dans le fauteuil.

– Pourquoi toujours, hein ? protesta celui-ci sur un ton de plaisanterie.

Puis il se pencha pour attraper un gros cahier noir posé sur la table. Claire le regarda s’adosser au mur et en feuilleter les pages d’un air blasé.

– Tu n’as pas rempli la partie « expériences », poursuivit Isabelle à l’intention de Claire. Tu en as déjà eu au moins ?

Mathieu releva la tête avec beaucoup d’intérêt. L’ombre séductrice, joueuse, qui s’alluma dans son regard mit Claire mal à l’aise. Elle appuya la joue sur la pierre du mur, à côté d’elle, en recherchant la fraîcheur et, d’une certaine façon, le soutien. Elle ne voulait pas se laisser écraser par ce groupe de dominateurs.

– Oui, mentit-elle finalement.

– Et en vrai ? enchaîna aussitôt Mathieu.

Un sourire amusé jouait au coin de ses lèvres.

La poitrine de Claire se souleva. Elle eut un instant d’hésitation.

– Non, corrigea-t-elle.

Si elle parvint à garder une voix froide, elle sentit cependant le creux de son ventre se contracter. L’expression de Mathieu, qu’elle aurait imaginée moqueuse, ne fut pourtant marquée que de plus de regrets. Il tourna les pages suivantes de son cahier avec tant de théâtralité, dans son dépit, qu’il aurait pu les arracher. L’homme enfoncé dans le fauteuil se mit à rire. Claire ne lâchait plus Mathieu des yeux.

Au bout d’un moment, celui-ci lança un regard interrogatif à sa collègue.

– Clara, lui indiqua-t-elle. Inscrite dans la soirée.

Il acquiesça pensivement, avant de retourner examiner son carnet. Puis, il releva le visage vers elle, comme gêné par son regard. Elle le fixait avec trop d’attention, témoignant de son attente d’un acte de sa part. Il eut un rire bref, nerveux.

– Je ne peux pas, finit-il par lâcher.

Claire ne comprit pas. Elle avait entendu ce qu’on lui avait expliqué mais son esprit embrouillé ne parvenait pas à l’intégrer. Elle avait vécu les années précédentes dans l’acceptation de tout ce que les hommes ayant partagé sa vie avaient voulu d’elle ; pourquoi fallait-il que, pour une fois qu’elle tâchait de décider elle-même de ce qui lui arrivait, ce lui soit refusé ? Nerveusement, elle passa les doigts sur les ailes de son nez, paupières fermées.

– Que faut-il que je fasse ? dit-elle finalement.

Cette question était tout ce qui lui était venu à l’esprit. Elle se sentait encore amère de ses déceptions passées, révoltée contre la vie qui se montrait si complaisante à l’enfoncer dans des situations qu’elle ne gérait pas, mais si rude lorsqu’elle tentait d’en maîtriser le cours.

– Et puis une première fois, ça ne se fait pas comme ça, poursuivit Mathieu comme s’il ne l’avait pas entendue mais, plus encore, comme s’il pouvait ainsi se convaincre. Il faut s’y préparer, prendre le temps de discuter et… il n’est pas conseillé du tout, de toute façon, de pratiquer tout ce qui est sexuel tout de suite et puis…

L’attention de Claire se porta particulièrement sur ces derniers mots, évoqués si soudainement, alors qu’elle n’avait fait aucune demande à ce sujet, et… comme à regret. Elle retrouva un semblant de contenance.

– Que faut-il que je fasse ? répéta-t-elle.

***

Mathieu eut un rire nerveux. Il referma brusquement son carnet qui claqua dans sa main. Il n’y avait rien de fréquent dans le fait de voir se présenter seule, comme Clara était en train de le faire, une novice, et encore moins une femme dont l’apparence attirante se combinait à une attitude aussi irrévérencieuse que la sienne. Tout en elle se trouvait aux antipodes du comportement que devrait avoir une soumise. Tout en elle semblait pourtant si prêt à y sombrer… L’idée d’être le premier à la mener parasitait ses pensées.

– T’inscrire à l’avance, soupira-t-il. Revenir une autre fois en prenant rendez-vous plusieurs jours avant.

– Je ne suis pas d’ici.

– Et alors ? Moi non plus.

Cette dernière remarque eut l’air de faire réagir la jeune femme. Comme si elle avait failli oublier que, sortis de ce lieu et de leurs artifices, les êtres qui l’entouraient n’étaient guère plus que ses semblables.

– Que faut-il que je fasse ? insista-t-elle de nouveau.

Agacé, Mathieu jeta son cahier sur la table. Sa tête se renversa en arrière, son regard partant au plafond. La jeune femme face à lui n’avait décidément rien de l’attitude qui convenait à une soumise. Pourtant, son comportement le séduisait plus qu’il n’avait envie de se l’avouer. Il avait toujours trop aimé le combat. Ses paupières se fermèrent, l’image nue de la jeune femme, entièrement offerte à son regard comme à sa volonté, s’y substituant.

Quand il reposa les yeux sur elle, une lueur plus sombre, joueuse, y avait pris place, emplie de défi.

– Montre-moi de quoi tu es capable.

***

Claire ne s’était pas attendue à ce tournant. La demande lui fit l’effet d’un choc. Quelque chose avait changé dans l’attitude du jeune homme, quelque chose qui n’avait plus rien à voir avec ses mimiques amusées. Désormais se trouvait en face d’elle un dominateur, autoritaire. Inflexible. Un petit sourire aux lèvres, il la dévisageait avec une provocation évidente. Elle se tourna vers les autres membres de la pièce. Tous observaient silencieusement leur échange, les visages fermés. La femme au sol ne bougeait toujours pas.

– Alors ? la relança Mathieu.

Elle se passa la main dans les cheveux, décontenancée. Le regard qu’elle adressa ensuite à Mathieu fut alors empli d’autant de certitudes, quant à ce qu’elle avait décidé de vivre, que de révolte. Elle savait ce qu’elle voulait. Elle ne pouvait cependant pas deviner elle-même comment agir. Dans un mouvement de bravade, elle se décolla du mur, puis avança jusqu’à un mètre de lui. Il ne bougea pas, se contenant de lui faire signe de s’approcher encore. Elle n’eut qu’une seconde d’hésitation. Lorsqu’elle parvint enfin à ses côtés, elle détourna le visage, penchant la tête vers son épaule en laissant la présence de cet homme électriser son cou.

– Tu ne sais pas, hein ? lui fit-il remarquer.

Son souffle survola la peau de Claire, celle-ci en ressentant l’obscure sensualité.

– Non, soupira-t-elle.

– Regarde la femme agenouillée au sol.

Elle obéit. Elle ne voyait qu’une situation choquante.

– Tu comprends ce qu’il se passe ?

– Non.

Et, dans l’aveu, elle releva les yeux vers Mathieu en une expression qui ne masquait rien du trouble que leur soudaine intimité lui provoquait. Elle le vit sourire. Il ne lui fit cependant aucune grâce, s’éloignant pour s’adosser nonchalamment contre le mur avant de la fixer de nouveau avec une provocation manifeste.

– Alors ?

Elle expira profondément. Si elle savait parfaitement ce qu’elle avait demandé en sollicitant cette session, elle n’était pas encore prête à ployer ainsi la nuque. Mathieu lui avait cependant lancé un défi et il était hors de question qu’elle le laisse continuer à la prendre pour une pauvre fille perdue dans un univers qu’elle était incapable d’assumer. Et ceci était aussi valable pour les autres qui l’entouraient, surtout les deux dominatrices dont l’attitude hautaine lui déplaisait.

Lorsque l’une d’entre elles interpella Mathieu pour lui demander d’abandonner, Claire l’interrompit d’un mouvement de main, le regard empli de détermination. Elle allait faire ce qui lui était demandé. Il n’était plus utile pour eux d’intervenir.

Lentement, elle franchit la distance la séparant de Mathieu, avant de s’arrêter un moment face à lui. Puis, elle s’agenouilla. Une fois au sol, elle posa les mains sur l’avant de ses cuisses et dirigea le regard vers le côté, son expression tel un mélange de provocation et de soumission, tandis que l’une de ses mèches brunes tombait le long de son visage. Plus personne n’éleva la voix à l’intérieur de la pièce.

D’une curieuse manière, le sentiment d’humiliation que Claire s’était attendue à ressentir ne survint pas, laissant la place à une fierté inhabituelle, pour ce qu’elle était en train d’accomplir, pour être capable de répondre à ce qui lui avait été demandé tout en ne s’écrasant pas. Se retrouver au centre de toute leur attention suscitait, de plus, un sentiment inhabituel en elle. La situation se révélait infiniment troublante. Tout lui restait cependant inconnu. Comment devait-elle se comporter ? Quelles étaient les règles ? Personne ne la guidait. Personne ne l’aidait dans ce domaine dont elle ignorait les lois.

Impitoyablement, le temps s’étira, aucun mot, aucune action ne venant la tirer de sa situation.

Au bout d’un moment, relever le regard devint une nécessité. Elle n’osa pas chercher celui de Mathieu, si haut au-dessus d’elle. Seulement, elle contempla ce qui lui faisait face, le corps de cet homme dont le bassin était si proche, désormais, juste devant son visage, et dont l’entrejambe se révélait légèrement gonflé. Elle en était si près. Durant quelques instants, elle songea à la manière dont elle devait agir, mais fut incapable de trier les fils emmêlés de son esprit. Alors, elle pensa à ce qu’elle-même voulait. Elle.

Progressivement, ses doigts se levèrent et elle se mit à défaire les premiers boutons du pantalon devant elle. Au moins s’agissait-il de quelque chose qu’elle maîtrisait, et puis elle en avait envie ; c’était tout ce à quoi elle pensait. À chaque instant, elle s’attendait à se faire repousser. « Pas de pratiques sexuelles », avaient-ils tous dit. Pas la première fois, en tout cas. Personne ne la retint cependant dans ses gestes. Personne ne l’encouragea non plus. Elle tâcha d’oublier les visages tournés vers elle.

Le sexe qu’elle extirpa du vêtement de cuir était déjà à demi levé. Sous son regard, il se durcit un peu plus. Claire le contempla un moment, surprise d’en découvrir la taille et l’épaisseur. Plus affolante encore lui parut la manière dont son propre corps s’en réchauffa.

Lentement, très lentement, elle approcha le visage, désireuse de percevoir la sensation de cette chair à l’intérieur de sa bouche. Elle passa la langue sur les bourses durcies. Le membre se contracta, provoquant en elle une décharge plus forte d’envie. Sa main se posa sur la cuisse juste à côté, s’accrochant à la matière du pantalon. Appuyé d’une main contre le mur et le visage baissé vers elle, Mathieu ne bougea pas. Elle remonta doucement le long de la chair tendue, léchant, la caressant de ses lèvres.

Alors que sa bouche glissait sur la peau douce du gland pour l’envelopper à peine, Mathieu posa la main à l’arrière de son crâne, lui faisant marquer un temps d’arrêt. La prise sur elle était à la fois douce et ferme. Il s’agissait de la première invitation à continuer qui lui était adressée. Elle ne regarda pas le visage au-dessus d’elle. Elle ouvrit simplement la bouche, plus largement, et y fit entrer profondément le sexe de Mathieu. Quand elle leva enfin le regard, elle vit le désir dans ses yeux, la curiosité, l’envie de savoir jusqu’où elle irait ayant succédé à la provocation. Le défi était encore là. Claire fit ressortir doucement son membre, s’accordant une seconde pour respirer plus lentement. Pas un instant, elle ne regretta son geste. Elle retourna faire glisser le long de son palais l’axe de chair qui l’attirait.

Alors qu’elle commençait à pratiquer quelques va-et-vient mesurés, une main se posa soudain sur son épaule. La façon brusque dont elle se fit repousser la surprit, la chair humide sortant de sa bouche tandis que son dos se retrouvait plaqué contre le mur. Abasourdie, elle ne put que cligner des yeux.

– Ce n’est pas comme ça qu’on s’y prend.

Le ton était autant dur qu’explicatif.

– Si tu le fais, fais-le bien.

Claire essaya de reprendre ses esprits. En redressant le visage vers celui de Mathieu, elle le découvrit avec la respiration accélérée et les yeux légèrement vitreux. Les doigts qui se saisirent de son épaule la firent se raidir, la laissant interdite.

Quand Mathieu se rapprocha pour positionner de nouveau son sexe devant ses lèvres, elle comprit cependant aussitôt. Son crâne s’appuya contre le mur derrière elle. Parce qu’elle n’avait pas l’habitude d’un tel membre, elle avait évité de le prendre trop profondément dans sa bouche. Ses paupières se fermèrent. Elle ouvrit la mâchoire. Elle attendit que la verge encore luisante de salive glisse à l’intérieur d’elle. Elle en avait envie. Bien malgré elle, elle se rendit compte de l’incroyable excitation que faisait naître en elle cette situation.

Un hamburger, des frites et mon cœur avec (2)

Chapitre 2

Jeudi

Mathieu bâilla devant sa tasse de café dont il ne restait qu’une gorgée à avaler. Elle ne l’avait pas aidé à être plus réveillé que la douche qu’il avait prise en se levant vingt minutes plus tôt. Ce n’était guère étonnant. Arès tout, il était rentré à vingt-deux heures passées chez lui et avait dîné de restes avant de comater devant la télé. Il était habitué à ce genre de rythme, il l’acceptait parce que ce n’était pas toute l’année et qu’il avait aussi la paye qui allait avec. Un coup d’œil à l’horloge du micro-onde lui indiqua qu’il était temps de se mettre en route. Un détour par la salle de bains, un lavage de dents et il attrapa sa veste.

Ses clefs dans la poche, sa sacoche à la main, il sortit de son appartement et décida volontairement d’éviter l’ascenseur au profit de l’escalier. Il y poussa un long soupir. Une fois de plus, une sale odeur de soupe aux poireaux y régnait. C’était à croire que cette vieille peau de voisine en cuisinait à longueur de journée et qu’elle se levait exprès à cinq heures du matin pour être sûre de ne rater personne. Elle devait y prendre un malin plaisir. Mathieu l’imaginait se frotter les mains avec un sourire pervers tandis qu’elle ouvrait en grand sa porte pour que les odeurs se répandent partout. Et s’il n’y avait eu que cela…

Madame Rochas de son petit nom, cette foldingue ne laissait pas une semaine s’écouler sans venir le faire chier parce qu’il n’y avait pas d’autres termes. Visites, petits mots dans la boite aux lettres, dans le hall, elle persécutait l’ensemble des locataires. Elle était un cliché vivant à elle toute seule, et cela allait de ses blouses, issues des pages trois cent et quelques de la Redoute, au bruit de ses chaussures orthopédiques grinçant sur le carrelage, pour finir par ses vieilles mains fripées qui s’accrochaient à la rambarde quand elle descendait à deux à l’heure les escaliers. Il avait aperçu une ou deux fois une lueur meurtrière dans les yeux de ses voisins lorsqu’ils y croisaient la vieille peau. Lui-même avait plusieurs fois été tenté de la pousser quand elle lui lâchait des « Faut penser à poser vos chaussures quand vous rentrez, surtout à des heures pareilles » de sa voix aiguë et désagréable. La sale emmerdeuse, il vivait à l’étage du dessous, comme si elle pouvait l’entendre ! Les plus à plaindre étaient, bien sûr, le couple avec enfants qui habitaient au-dessus. D’un autre côté, depuis plusieurs mois, ils prenaient un malin plaisir à faire courir leurs bambins sur le parquet entièrement débarrassé des tapis qui auraient pu assourdir les bruits. Il va s’en dire que l’absence de tapis et moquette n’était qu’une préférence d’ordre esthétique, bien sûr. C’était la petite guerre que chacun lui menait. Lui se faisait une joie de la laisser galérer avec ses sacs de courses quand l’ascenseur était en panne. Il ne pouvait cacher son sourire à la voir peiner. Elle était à ce point insupportable qu’elle parvenait à réduire à zéro toute tentative de gentillesse. Si, il y avait bien sa voisine, Hélène, qui s’acharnait à rester aimable. Cette fille était une sainte ou complètement à la masse, il n’avait pas encore tranché. Lui n’avait aucune pitié. De toute façon, il n’était qu’un dégénéré qui préférait les hommes et après s’être pris quelques remarques particulièrement déplacées et homophobes quand elle l’avait croisé avec un de ses amants, il avait été définitivement vacciné.

Il faut dire que les homos, les PD, les tantouzes, Madame Rochas n’aimait pas ça et quand elle le prenait à partie pour lui parler du mariage gay, il avait parfois la terrible envie de l’encastrer dans sa boite aux lettres. Il se retenait et tentait de l’ignorer, quitte à être tout à fait impoli. Il n’était pas le pire. Yohan et David, qui vivaient au même étage qu’elle, n’y allaient pas mollo. Enfin, surtout David. Celui-ci l’envoyait paitre, exposait volontairement son homosexualité et s’il pouvait rouler une pelle à son homme, option « je te colle au mur » quand la vieille faisait son apparition, il ne s’en privait jamais. Mathieu s’en réjouissait toujours et ne cachait même pas son rire devant les expressions outrées qui s’affichaient alors sur le visage de leur chère voisine. Elle était d’autant plus horrifiée que le frère de David et sa femme, la fameuse Hélène, vivaient aussi dans l’immeuble et que, si cette dernière ne cautionnait pas le comportement de son beau-frère, son mari, lui, l’encourageait clairement en ce sens. Ils se tapaient parfois de bons fous-rire tous ensembles. Quoiqu’il en soit, ce matin-là, c’était elle qui l’emportait. Il soupira une fois de plus, espérant ne pas la croiser. Il n’était pas d’humeur.

Au bureau, un peu plus de quatre heures plus tard, son esprit n’était plus du tout à son horripilante voisine et tout aux chiffres qu’il traitait. Son client gérait tous les taux de TVA possibles et avec de l’import et de l’export, un vrai plaisir. Et pour couronner le tout, il était joyeusement bordélique, autant dire qu’avoir la totalité de ses factures tenait presque du miracle. Et ça gavait sérieusement Mathieu, ce n’était pas son taf à lui, mais ils étaient en sous-effectifs et il fallait bien que quelqu’un s’y colle et c’était pas l’autre tanche qui allait les sortir d’affaire.

Il soupira et ferma les yeux un instant. Ils fatiguaient à force d’être rivés sur l’écran. Des lignes, des colonnes encore et encore, à tel point que parfois, il ne parvenait plus à les distinguer. Il lui arrivait de les voir la nuit, option j’ai joué à Tetris toute la journée. Il s’étira légèrement et enregistra son fichier.

Un coup d’œil sur la droite pour constater que sa pile de boulot n’avait pas vraiment baissé. Il soupira. Un « toc » retentit à la porte de son bureau.

– Entrez, lança-t-il, s’accordant encore quelques secondes avant de relever le regard vers sa visiteuse, qui s’avéra à sa surprise être un visiteur.

Il lui fallut bien deux secondes pour atterrir avant qu’un sourire ne naisse sur ses lèvres. À la porte de son bureau se tenait le même livreur que la veille. Même livreur mais tenue plus sexy, ne put-il s’empêcher de remarquer. Le jeune homme avait troqué le pantacourt baggy pour un autre plus près du corps et le tee-shirt aussi s’était resserré, mettant en valeur un torse musclé, un ventre plat et de belles épaules, autant de choses qu’il avait notées la veille mais qui étaient ici bien plus visibles. Dans d’autres circonstances, il l’aurait sans doute dragué très ouvertement. Mais pas au boulot et s’il était franc, le côté bisexuel était un frein aussi. Pourtant et malgré ses résolutions, il ne put s’empêcher de lancer la conversation sur un ton badin.

–  Livré à même le bureau, vous avez le sens du service. Je suis impressionné !

– C’est pour compenser le retard d’hier, répondit le livreur.

– Vraiment ?

– Bien sûr !

L’expression sérieuse ne resta présente que le temps d’une respiration et rapidement les traits migrèrent vers un sourire amusé en réponse à la moue dubitative que Mathieu affichait.

– Non, en réalité, vos collègues m’ont informé que c’était vous qui signiez mon bordereau de livraison. Je n’avais pas d’autre choix que de venir vous débusquer.

Mathieu ne put s’empêcher de rire.

– Je me disais aussi !

Ludovic sourit. Il n’y avait pas à dire, il trouvait ce Mathieu tout aussi craquant que la veille. Un autre costume, une chemise bleu clair, une cravate mais négligemment relâchée, ce qu’il trouvait terriblement sexy et toujours ces deux boutons défaits et ce petit triangle de peau et de poils qui lui donnaient envie d’en découvrir plus, beaucoup plus. Là, maintenant, ce qu’il souhaitait, c’était lui faire le rentre-dedans du siècle.

– Je serais passé quand même, vous savez, répondit-il.

Ne serait-ce que pour me rincer l’œil, pensa-t-il très fort mais il se retint. Ce n’était pas moins direct que son « sexy » de la veille mais il préféra s’abstenir pour l’heure.

– Je ne voudrais pas que vous mouriez de faim sous le joug de votre boss, je suis pour le bien-être au boulot, choisit-il.

La remarque lui gagna un sourire.

– Vous faites partie d’une association ou un truc comme ça ?

– C’est ça le… Front de libération des employés opprimés !

– Le… FLEO… waouh. Vous êtes bien sûr du nom ?

Ludovic éclata de rire.

– Reconnaissez que ça a le mérite d’être clair !

– C’est certain.

– Donc votre acte militant à vous, ce n’est pas la lutte pour les trente-cinq heures et les avantages sociaux.

– Non, c’est surfait tout ça, confirma Ludovic. Le marché est déjà saturé !

Mathieu se recula dans son siège, secoué d’un léger rire que Ludovic trouva encore plus craquant. Il s’était approché du bureau, sur lequel il avait posé la nourriture et où ses mains s’appuyaient.

– Vous avez raison, la livraison en main propre, c’est nettement moins répandu. Un peu petit joueur si vous me le permettez !

– Hé comme vous y allez ! J’arrive à peine dans votre boite, laissez-moi un peu de temps pour mettre mon plan en action. Je ne peux pas tout révolutionner en un jour.

– Vous avez carrément un plan ?

– Un peu oui ! D’ici la fin de semaine, je vous force tous à manger dans votre coin détente, sans vos ordinateurs et sans vos dossiers.

Il appuya la déclaration d’un vif mouvement de tête.

– Ouh là, c’est ambitieux.

– Le début d’une révolution vous voulez dire !

Une fois de plus, ils échangèrent un regard complice et amusé.

– Notez, si mes collègues vous ont fait le même accueil qu’hier quand elles ont réalisé qu’elles avaient de la chair fraîche et jeune sous la main, je ne doute pas que vous parveniez à les scotcher dans la zone détente.

– Je ne sais pas si je dois vous remercier pour la comparaison avec de la garniture de saucisse.

– De la chair, on peut en mettre dans les tomates.

– Et les courgettes aussi si on joue à ça.

Et l’espace d’un instant, Ludovic jugea toutes ces analogies bien phalliques et se demanda s’il y avait un message inconscient là-dedans. De sa part en tout cas, il n’était que très, très moyennement inconscient en réalité.

– Quoi qu’il en soit, concernant vos collègues, il n’y a que des femmes ? remarqua-t-il au passage, j’avoue avoir réussi à en sortir plusieurs de leurs bureaux.

Et en effet, comme la veille, il avait été suivi par plusieurs d’entre elles et s’était amusé de les voir s’étonner que ce soit de nouveau lui qui vienne les livrer et d’à quel point c’était agréable. Et est-ce que ce serait toujours lui dorénavant ? avaient-elles ajouté. Parce que si elles avaient leur mot à dire, elles prenaient un abonnement. Une fois de plus, il s’était montré charmeur et  les avait fait glousser. Il aimait bien ça et sans doute était-ce facile parce qu’il n’y avait aucun enjeu. Aucune de ces femmes ne l’attirerait jamais. Il n’avait pas l’impression de devoir justifier de sa virilité auprès d’elles. Et elles jouaient le jeu elles aussi, c’était certain. La moitié devait être en couple mais c’était amusant. Et pendant qu’il paradait (et se récoltait un nouveau pourboire fort sympathique) il avait surveillé la porte. Il avait été déçu de ne pas voir son beau comptable pointer le bout de son nez. D’autant que la présence du même hamburger/frites que la veille lui avait fait espérer qu’il serait là. Ce qui était idiot vu qu’il y avait d’autres hamburgers dans la commande ce jour-là. Mais, il n’avait pas eu la possibilité de voir s’il était dans son bureau en passant devant, ce dernier n’était pas vitré et la porte était fermée. Ludovic avait donc été ravi quand une des jeunes femmes s’était proposée pour aller le prévenir. Il s’était empressé de l’interrompre en disant que c’était sur le chemin du retour et qu’il allait s’y arrêter. L’idée de pouvoir discuter, de nouveau, en tête à tête avec le charmant Mathieu  n’était pas faite pour lui déplaire, bien au contraire. C’était plus simple pour tâter le terrain, encore que là, la conversation avait sérieusement dévié.

– Il y a une majorité de femmes en effet, répondit Mathieu, et je ne doute pas une minute de votre réussite à les attirer hors de leurs bureaux, confirma-t-il en le détaillant de la tête aux pieds.

Ludovic sentit une agréable chaleur le parcourir sus ce regard.

– Merci, je prends ça pour un compliment. Ca rattrape la chair à saucisse.

– Mais je ne vous ai pas traité de chair à saucisse, vous déformez mes propos.

– Si vous le dites !

– J’insiste même !

Ils se sourirent et Ludovic pensa que ce type avait le sourire le plus craquant qui soit.

– En tout cas, reprit-il, je trouve flatteur de plaire à ses dames, pas vous ?

– C’est toujours bon pour l’égo en effet, acquiesça Mathieu.

Pas de « mais », un mais qui aurait pu ouvrir la voie à un « je suis déjà en couple », quand bien même Ludovic n’avait remarqué aucune photo de famille ou de femme dans le bureau, mais tout le monde n’affichait pas forcément sa vie privée au boulot. Ca aurait pu être aussi  un « je ne suis pas attiré par les femmes » qui lui aurait beaucoup plu et qui aurait bien collé avec les regards gourmands que Mathieu lui envoyait et qu’il avait du mal à analyser autrement que comme une attirance. Et puisqu’il avait bien envie d’avoir une réponse, il enchaina par un très subtil :

– Votre femme n’est pas jalouse de vous voir entourer de toute cette gente féminine ?

Ou l’art de pas y aller par quatre chemins.

– Je ne suis pas marié.

– Oui, enfin, femme, conjointe, copine,… ajouta-t-il l’air de rien.

Un petit sourire en coin éclaira le visage de Mathieu. Visiblement, sa pêche aux informations ne passait pas inaperçue. Il n’avait pas forcément prévu de s’en cacher.

– Je suis célibataire, donc pas de jalousie.

Une réponse sur deux, c’était pas mal. Et il avait la sensation que Mathieu n’irait pas au-delà. Et puisqu’il ne cherchait pas à le mettre mal à l’aise ou à le forcer à dire quelque chose qu’il cachait peut-être au bureau, il préféra s’arrêter là.

– Bon, je vais peut-être y aller. Je ne voudrais pas vous empêcher de manger.

– Je croyais que votre but était de nous forcer à faire une pause.

Le ton et le sourire de Mathieu était toujours avenant et Ludovic en fut rassuré au moins ne l’avait peut-être pas gêné avec ses questions.

– C’est déjà fait. Maintenant, je dois peaufiner mon plan de révolution.

– Et moi, finir ma tonne de boulot, répondit Mathieu en indiquant d’un mouvement de tête la pile de chemises à côté de lui.

– Vous en avez pour un moment.

– Oui ! Je vous signe votre reçu.

– Oh oui, j’allais oublier.

– Trop pris par vos plans de révolution ?

– Ca doit être ça, s’amusa Ludovic tout en pensant plans de séduction plutôt.

Il tendit le document à Mathieu qui le signa d’un geste habituel, rapide et sûr. Cela lui plut.

– En tout cas, bon peaufinage de plans, reprit Mathieu en le lui rendant. Je suis curieux de voir ce que vous allez mettre en œuvre pour demain.

– Vous verrez, vous verrez. J’ai…

Mais le téléphone sonna à cet instant.

– Ah, dit-il.

– Hum.

Mathieu décrocha.

– Mathieu Vasseur, dit-il alors qu’il posait le combiné contre son oreille. Oui, je vous écoute.

Il repoussa légèrement l’appareil.

–  Bonne fin de journée, chuchota-t-il.

– Vous aussi, répondit Ludovic.

– J’ai ça juste là, attendez.

Mathieu commença à fouiller dans une de ses piles de dossiers et Ludovic se résigna à le quitter. Il lui adressa un petit signe de main que Mathieu lui rendit, avant de prendre sa glacière. Il s’arracha à regret du bureau. Il le verrait le lendemain et au moins l’homme avait l’air curieux de le revoir lui aussi. C’était mieux que rien.

L’initiation de Claire – saison 1 (1)

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Érotique, BDSM, hot.

Résumé : Mais que fait-elle ici ? À peine est-elle entrée dans le club très privé que Claire se demande ce qui lui a pris de venir dans cet endroit. Pourtant, elle se sent irrésistiblement attirée par ce mystérieux « donjon » et ses alcôves aux mille promesses indécentes. Et lorsqu’elle croise le regard de Mathieu, elle comprend. Elle comprend que c’est ici qu’elle pourra enfin se révéler. Elle comprend que c’est lui qui l’initiera au côté sombre du désir…

Roman sorti en numérique aux éditions Harlequin. Et très bientôt en papier ici !
Vous pouvez découvrir toute la première partie de ce roman ici. Profitez-en !

Première partie

D’une main, Claire attrapa le flyer qu’elle avait déposé sur le siège passager. Ses cheveux lui battaient le visage tandis que la musique diffusée par la radio s’échappait des fenêtres ouvertes de son véhicule. Elle jeta un œil au plan dessiné au dos du tract, avant de le retourner. Brièvement, elle observa la photographie représentant une grande demeure de pierre de couleur chaude, perdue au milieu de champs dorés. Il s’agissait bien de la bâtisse vers laquelle elle se dirigeait. L’établissement n’était pas visible depuis la route mais, depuis le petit chemin qu’elle était en train de remonter, on pouvait le reconnaître. Le soleil déclinant éclairait la façade d’une lumière orangée, tandis que les quelques arbres l’entourant se paraient d’un vert plus soutenu.

La terre crissa lorsqu’elle se gara sur le parking situé en contrebas. Claire s’étira, les bras appuyés au volant, tout en examinant les véhicules déjà stationnés ; au milieu du luxe environnant, sa Mini d’étudiante détonnait complètement. Tant pis, décida-t-elle en ouvrant la portière. Elle n’était pas venue ici pour faire un concours de la plus belle voiture.

Une fois dehors, elle examina la large demeure. Les hauts murs la ceinturant ne laissaient rien deviner de ce qu’ils cachaient, mais elle avait pu apercevoir, depuis la route, les différents bâtiments la composant. Plus loin se dressaient quelques collines à l’herbe séchée par le soleil et aux genêts en fleur, bercées par le chant des cigales. On aurait pu se croire dans un lieu de villégiature estival, à la porte d’un mas restauré pour accueillir les touristes en mal de tranquillité. Pourtant, malgré l’aspect chaleureux des lieux, elle ne parvenait pas à se sentir tout à fait à l’aise. Elle n’avait décidé de venir qu’au tout dernier moment et, elle le savait, il lui faudrait plus d’audace qu’elle n’en avait déjà eue pour en franchir l’entrée…

Presque sans y penser, elle défit le premier bouton de son chemisier. En cette période caniculaire, la chaleur restait forte une bonne partie de la nuit. Son attention fut soudain attirée par un jeune couple qui venait de se garer un peu plus loin et qui la regardait. Par réflexe, elle cala plus nettement son dos contre la portière derrière elle : dans leur regard, elle avait vu une lueur d’intérêt s’allumer. Elle les suivit des yeux tandis qu’ils s’éloignaient. La soirée n’était pas encore amorcée ; elle avait encore le temps de réfléchir à ce qu’elle s’apprêtait à faire.

Lorsque le couple s’engagea dans une courte allée menant à l’entrée de l’établissement, elle reporta son attention sur le parking avant de s’allumer une cigarette d’un geste plus nerveux qu’elle ne l’aurait voulu. L’odeur de la fumée se mêla à celle des herbes sèches, provoquant en elle un certain apaisement. Puis, elle jeta de nouveau un œil sur le flyer qu’elle tenait en main, relisant les informations qui y figuraient, et notamment le « tenue correcte exigée » inscrit sous la mention « établissement très select ». Bien qu’il s’agisse de son plus bel ensemble, il lui parut soudain certain que le chemisier noir et la jupe courte qu’elle avait revêtus ne suffiraient pas.

Elle inhala longuement une bouffée de tabac avant de la relâcher dans l’air, observant ses volutes se délayer dans le bleu-gris du ciel.

Aussi loin qu’elle se souvienne, elle n’avait jamais eu besoin de séduire, du moins volontairement. Attirer un regard comme celui du couple qu’elle venait de croiser n’avait donc pas de quoi la surprendre, seulement de quoi la faire hésiter, étant donné la nature du lieu dans lequel elle s’apprêtait à pénétrer. Mais au fond d’elle, elle en était consciente, elle n’hésitait pas vraiment. Non. Elle savait qu’elle ne reviendrait pas sur ses pas désormais. Même si elle aurait été bien en peine d’expliquer rationnellement ce qui l’avait tant attirée dans un tel endroit…

Les inscriptions sur le papier glacé qu’elle tenait à la main dansaient devant ses yeux : « soirées libertines », « restaurant », « piscine », « sauna », « hammam » et surtout ce mot à la tonalité inquiétante, « donjon ». Claire n’avait pas manqué le sourire du type qui le lui avait donné quand il lui avait dit que, vu ses tendances, l’endroit pourrait lui plaire. « Vu ses tendances »… Elle n’avait même pas songé à s’offusquer de ces propos. Que savait-il d’elle, après tout ? En y repensant plus tard, elle s’était cependant demandé s’il y avait eu un fond de vérité dans ces paroles.

De lui et de l’autre homme qui l’avait abordée ce soir-là, elle n’avait pas retenu les noms ; ce n’était pas ce qui l’avait marquée. Elle se souvenait surtout de leur souffle contre sa bouche, du poids de leurs corps sur le sien et de la pression de leurs doigts sur ses hanches s’intensifiant. Elle avait connu pour la première fois la sensation d’avoir un sexe dans sa bouche et un autre entre ses cuisses et, quoi qu’elle ait pu en penser ultérieurement, elle avait aimé être prise de cette façon. Elle l’avait aimé infiniment. Elle s’était sentie unique en voyant celui qui avait été au fond de sa gorge se déplacer derrière ses fesses pour la prendre à son tour. Se faire désirer ainsi l’avait excitée bien plus qu’elle ne l’aurait imaginé.

Les jours suivants, elle avait tellement tourné et retourné le tract entre ses doigts, allongée sur son lit, qu’elle en savait désormais chaque ligne par cœur. Les promesses et les mystères de ce lieu ouvert seulement aux initiés l’avaient totalement obsédée.

Le pourtour de sa cigarette émit un crépitement alors qu’elle inhalait sa dernière bouffée. Elle l’écrasa sous la pointe de son escarpin, puis elle jeta un œil au couple qui l’avait dépassée. Ils attendaient dans l’allée menant à l’entrée. Alors elle se décida.

Elle allait les rejoindre. Quelles que puissent être ses incertitudes et ses appréhensions, il n’était plus temps de reculer.

***

En approchant, Claire découvrit une lourde porte noire à laquelle un cœur en tissu molletonné était accroché. Juste à côté, une petite fenêtre de verre dépoli laissait deviner un intérieur dont les couleurs dominantes se déclinaient en des nuances de rouge et de violet. Aucun écriteau n’indiquait le nom des lieux. Lorsqu’un cliquetis parvint à ses oreilles, elle s’arrêta, le cœur battant. La porte s’entrouvrit juste assez pour qu’un homme au corps massif et à la tenue distinguée y apparaisse. Ses yeux étaient d’un bleu si pâle qu’ils en rendaient son regard troublant.

– C’est pour la soirée ? demanda-t-il poliment.

Le couple hocha la tête. Claire remarqua que l’homme se crispa et que la femme retint sa respiration.

– Je suis profondément désolé, poursuivit le portier. Une autre fois, peut-être.

Son ton était resté parfaitement cordial. Claire fut réellement étonnée par ce refus. Elle regarda le couple partir, la déception visible sur leurs visages. Alors que le regard du portier se posait soudain sur elle, elle eut un instant de gêne. Comme pour se protéger, elle porta le flyer devant ses lèvres. L’homme l’observa plus intensément.

– Entrez, je vous prie, décida-t-il enfin.

Il fallut une seconde à Claire pour intégrer le sens de la phrase et retrouver un semblant de contenance. La porte s’ouvrit devant elle, dévoilant un couloir aux pierres identiques à celles de l’extérieur, décoré çà et là de quelques photos de la campagne attenante. Après une brève expiration, elle se recomposa une attitude assurée pour avancer. Une musique d’ambiance, à la rythmique calme et sensuelle, lui parvenait en sourdine d’une pièce adjacente.

– Vous avez un vestiaire juste après la caisse, l’informa l’homme en désignant une ouverture dans le couloir.

Quand il referma la porte, Claire croisa les bras par réflexe sur sa poitrine.

– Le couple ? s’enquit-elle en voyant l’homme se diriger vers le comptoir d’entrée.

– Nous choisissons notre clientèle en fonction de la soirée.

La réponse la laissa perplexe, mais le sourire que le portier lui adressa fut tellement empli de charme qu’elle n’osa pas le laisser paraître. Que les responsables de ce club soient à ce point difficiles l’intriguait. Si les gens qui venaient d’être refusés ne méritaient pas d’être admis ici, à quoi ressemblaient ceux qui obtenaient ce privilège ?

Lorsqu’elle fut introduite dans la salle sur laquelle débouchait le couloir, le spectacle qui s’offrit à elle lui fit oublier un instant cette dernière interrogation.

Sous le ciel pâle de la nuit naissante se dressait un vaste bar à moitié couvert où le calme rustique des pierres se mêlait à un mobilier moderne au goût raffiné. Des éclairages, alternant entre des nuances de rouge, de rose et de violet, balayaient de luxueux fauteuils recouverts de cuir coloré. Plus loin, une volée de marches descendait vers une piste de danse occupée en son centre par une gigantesque piscine, d’où s’élevaient trois podiums de hauteur différente. Quelques groupes de clients à l’allure distinguée s’étaient déjà installés, accoudés au bar ou perchés sur des tabourets surélevés, parfois alanguis dans les canapés qui entouraient de larges tables. Les robes à la coupe parfaite succédaient aux tenues de marque, élégantes mais décontractées, les bas crissant sur les jambes croisées bien haut, les dentelles noires dévoilant la naissance de poitrines délicates tandis que les chemises masculines laissaient deviner des dos agréablement musclés. Si les couleurs de la salle étaient vives et sensuelles, celles des tenues se déclinaient majoritairement en des teintes de noir et de blanc, tout autant érotiques.

Claire baissa les yeux sur le document qui lui avait été donné à l’entrée. Elle s’approcha du comptoir pour l’examiner plus consciencieusement. Il s’agissait de plusieurs feuilles agrafées où était écrit en en-tête : « Charte de l’établissement sur les règles et les précautions d’usage ». Le barman, un jeune homme à la beauté androgyne et aux yeux aussi clairs que ceux de celui qui l’avait introduit, lui tendit un stylo avec un sourire.

– Pour la dernière partie, si vous le voulez, il faudra indiquer votre pseudo pour la personne là-bas.

En se tournant pour suivre son mouvement de tête, elle découvrit une femme d’une quarantaine d’années. Entièrement vêtue d’une tenue semblant sortie des ateliers des plus grands créateurs, elle buvait un verre en compagnie d’un homme du même âge à une table non éloignée. Son visage, maquillé avec savoir, mettait parfaitement en valeur sa beauté glaciale.

– La maîtresse des lieux ?

– « Les », précisa le serveur. Ce sont tous les deux les propriétaires.

Claire hocha la tête. Un temps, elle se demanda quelle vie un tel couple pouvait bien mener pour partager la gestion de ce genre d’établissement.

– C’est la première fois que vous venez ? l’interrogea le barman en lui tendant un verre.

– Oui.

Petit à petit, la salle se remplissait. La nuit entièrement tombée, les éclairages se faisaient plus présents. L’air était encore chaud. Au-dessus de sa tête, les premières étoiles faisaient leur apparition. De jeunes gens aux tenues classieuses et aux chevelures arrangées avec soin traversaient la salle avant de s’installer. Certains avaient une allure ouvertement sexuelle, portant des tenues en vinyle ou en cuir, sans qu’à aucun moment elles ne paraissent pourtant d’une quelconque vulgarité. Un groupe de trois femmes aux poitrines nues sous de simples voilages traversa l’espace en souriant avec assurance. D’autres riaient ensemble. Quelques masques vénitiens ajoutaient une touche de mystère à certaines figures.

Si Claire n’était jamais entrée dans un établissement comme celui-ci, elle ne pouvait pas dire que ce qui s’y déroulait lui était totalement inconnu. La dernière soirée à laquelle elle s’était laissé emmener et qui s’était conclue par elle, à quatre pattes en train de se faire prendre par deux inconnus tandis que d’autres se faisaient attacher ailleurs, lui en avait donné un aperçu.

D’une certaine manière, cela n’avait pas été une révélation pour elle. Plus jeune, elle avait déjà lu, avec la curiosité et les battements de cœur de ceux qui accèdent à l’interdit, certaines des œuvres de Sade et le roman Emmanuelle. L’été, elle avait aimé s’allonger, bras nus, dans l’herbe du parc de sa ville pour s’abandonner aux curieuses sensations que suscitait en elle cette littérature. Plus tard, seulement, elle s’était rendu compte que le désir qu’elle lisait, elle-même pouvait le susciter ; la manière dont certains hommes, plus mûrs, s’étaient soudainement mis à la regarder l’avait alors légèrement perturbée. C’était à ce moment de sa vie qu’elle avait commencé à avoir des petits amis. Aucun n’avait cependant duré, tant les jeunes gens de son âge lui paraissaient fades, inconsistants et sans intérêt. Une aventure singulière s’était alors produite. Un homme d’une dizaine d’années de plus qu’elle l’avait abordée, se montrant tellement charmant qu’elle avait accepté sa proposition de lui offrir un verre, le suivant naïvement chez lui jusqu’à ce qu’elle le découvre adepte d’un type de sexualité qui, s’il avait abondamment peuplé ses fantasmes, l’avait cependant effrayée. Aujourd’hui encore, elle ignorait ce qu’il se serait passé si elle n’avait prétexté une excuse idiote pour s’enfuir. Probablement rien, après tout, mais les événements récents avaient éveillé ce souvenir.

Puis, à l’aube de ses 17 ans, elle avait rencontré Thomas. Cette fois encore, une dizaine d’années les séparaient et Claire s’était tant laissé conquérir par son esprit et son humour qu’elle était tombée éperdument amoureuse de lui. Oh ! elle avait bu toutes ses paroles, acquiescé à chacun de ses avis, l’admirant comme seule une adolescente de 10 ans sa cadette l’aurait pu. Thomas était déjà plein de certitudes, mais elle y avait vu du savoir, de la maturité qui lui manquaient, et n’avait eu de cesse d’essayer de s’élever à sa hauteur. Lorsqu’elle avait appris ensuite qu’il était déjà marié, elle l’avait même accepté sans trop de difficultés. Cependant, peu à peu, tous ses espoirs de parvenir à vivre une vraie vie de couple avec lui s’étaient taris. Cent fois, elle avait songé à le quitter. Cent fois, elle en avait été incapable ou était revenue sur son choix. Puis, le temps était passé et toutes les promesses stériles de Thomas l’avaient lassée. Probablement était-elle devenue moins naïve, également ; elle avait fini par grandir. Lorsqu’elle s’était décidée à poser un regard objectif sur sa vie, elle avait constaté qu’elle avait gâché les meilleures années de sa jeunesse à attendre un homme qui ne quitterait jamais son épouse pour elle ; elle avait alors 22 ans. Un soir, elle avait ressenti le besoin de savoir si, dans le désastre de son existence, elle pourrait tout de même encore séduire et avait trouvé sa réponse dans le premier bar dans lequel elle était entrée.

Depuis, elle avait la sensation d’être incapable de revenir à la réalité. Aux rêves d’amour dans lesquels elle avait tant vécu auparavant s’était substituée une soif de vivre tout ce à côté de quoi elle avait eu le sentiment d’être passée. Elle n’avait répondu à aucun appel ou message de Thomas, elle sortait facilement tous les soirs ou, au moins, un soir sur deux, fréquentait les bars ou les boîtes de rencontres, n’approfondissait aucun contact, cherchait seulement un corps, des mains, un sexe, surtout rien qui ressemblait à des sentiments. Draguer, séduire, elle n’avait alors jamais à le faire d’elle-même. Au plus, si elle voulait un homme en particulier, il lui suffisait de s’asseoir dans son champ de vision de manière à se montrer disponible. Elle n’avait que peu à le regarder ; il viendrait. Elle interrompait toujours rapidement les tentatives de conversation pour en venir aux faits. Ils avaient des relations sexuelles là où le type le voulait, que ce soit dans un lieu public proche ou bien chez ce dernier, jamais dans son propre appartement par contre.

Son entourage pensait qu’il s’agissait d’une passade, lui assurait qu’elle était encore jeune, qu’elle avait le temps de rencontrer quelqu’un de bien ; elle n’y croyait pas. Thomas n’avait jamais rien ressenti d’autre pour elle que du désir et elle savait qu’il en était de même de tous ceux dont elle avait partagé le lit. Qu’elle puisse avoir des chances de tomber de nouveau amoureuse lui paraissait improbable. Quant à celle qu’elle avait de susciter de tels sentiments, elle préférait ne même pas y penser. Au point où elle en était parvenue, elle ne savait même plus s’il y avait quoi que ce soit d’« aimable » en elle. Ce à quoi avaient accédé un jour la plupart des autres êtres humains lui avait été refusé ; comment aurait-elle pu continuer à rêver ? Et puis, elle avait encore besoin de se chercher et, surtout, de se comprendre. La petite adolescente qui s’était éveillée au fond d’elle lui avait rappelé qu’avant son existence soumise, elle avait été une jeune fille extravertie, ouverte et pleine de curiosité. Désormais, l’envie de vivre tout ce dont elle avait le sentiment d’avoir été privée la tenaillait.

Elle feuilleta lentement le document en portant à ses lèvres le verre qui lui avait été offert. Jusque-là, rien ne l’avait choquée. La page qui suivait attira davantage son attention. Il s’agissait d’une demande annexe de session au donjon associée à un questionnaire sur ses préférences.

Longtemps, elle resta le stylo à la main.

Ces trois mots : « session au donjon », la fascinaient.

Il s’agissait de la raison pour laquelle elle avait tant retourné le flyer entre ses doigts, les jours précédents. Elle ignorait cependant si elle aurait suffisamment de cran pour se présenter à la porte d’un monde si particulier, si elle était même prête à céder à sa curiosité sur ce sujet. En définitive, elle ne savait pas vraiment ce qu’elle faisait : face à la vie si effacée qu’elle avait menée auparavant, son soudain besoin de s’émanciper lui paraissait totalement disproportionné. Probablement aurait-elle dû se contenter de déambuler dans ce lieu, avant de faire, peut-être, une rencontre ; une seule aurait été raisonnable. Ce n’était cependant pas ce qu’elle était venue chercher. Malgré la crainte qu’elle éprouvait, elle voulait découvrir le donjon ; c’était là la raison de son entrée dans ce lieu. Et ce qui ressemblait ici à une formule lui étant proposée tombait idéalement. Le questionnaire concernant ses préférences s’avérait précis et, si elle oubliait certains termes pouvant être effrayants, presque rassurant dans la mesure où il comportait suffisamment de détails pour qu’elle ait le sentiment de pouvoir gérer ce qu’elle était prête à accepter ou non.

Au bout d’un moment, elle se décida à remplir cette partie, la main hésitante avant d’apposer le premier trait d’encre sur le papier. Son pouls battait tellement fort dans ses tempes qu’elle avait du mal à se concentrer et elle repoussa consciencieusement toutes les interrogations relatives à sa santé mentale qui auraient pu lui venir. De temps en temps, ses doigts se levaient pour se poser sur son front, les questions qui lui étaient posées la renvoyant à des actes qu’elle peinait à imaginer. Elle signa enfin du pseudo qu’elle s’était choisi. Le stylo finit par rouler sur la surface brillante du comptoir, tandis qu’elle se redressait déjà, les mains plaquées sur le document. Elle prit une longue inspiration.

– Je peux visiter les lieux ? demanda-t-elle en poussant le questionnaire vers le serveur.

– Bien sûr.

Elle se tourna vers le reste de la salle. Le regard d’un homme au corps fin et aux cheveux courts glissa sur elle si directement qu’elle s’en sentit gênée. Quand ils furent proches de se croiser, elle se contenta de s’écarter. Lentement, elle descendit les marches menant à la piste de danse. La musique calme baignant la pièce accompagnait ses pas.

Tout en ce lieu la fascinait. Sa condition d’étudiante ne lui avait jamais permis d’entrer dans un établissement aussi luxueux et elle doutait avoir l’occasion de le faire une deuxième fois. Sur son passage, des visages se tournaient, certaines conversations s’estompant un instant. Parvenue devant la piscine, elle s’arrêta. Des éclairages illuminaient l’eau de l’intérieur, la rendant bleu azur. Un temps, elle se laissa captiver par cette couleur, troublée par l’érotisme sombre des lieux.

Dans cette partie de la salle, seules quelques personnes dansaient. Les autres conversaient, accoudées au bar situé au fond de la pièce, buvaient un verre assis au bord de la piscine ou encore contemplaient les femmes ondulant dans les demi-cages disposées autour de la pièce. Celles-ci étaient si belles, avec leurs masques, leurs guêpières noires et leurs bas, que Claire passa quelques instants à les admirer. Une autre femme, plus loin, observait les allées et venues. Elle aussi portait un masque vénitien. Claire commença à se demander si cet attribut était lié aux membres attachés à l’établissement.

Plus loin, un espace à découvert l’attira. Le sol, recouvert de la même terre, presque sableuse, que la route par laquelle elle était arrivée, accueillait un mobilier composé de chaises longues et de tables basses en fibres tressées qui donnait l’impression d’une plage privée. Tout au fond de la cour, on apercevait une autre piscine, plus grande, éclairée de l’intérieur par une lumière rouge vif. Quelques hêtres offraient de petits éclats de verdure rappelant la nature proche. Encore au-delà, un restaurant aux lourds tissus accrochés au plafond projetait ses lumières roses et violacées sur le sol de la terrasse ouverte, bordant les feuilles des arbres de ses couleurs artificielles.

Elle s’approcha de la piscine. Curieuse, elle s’assit sur le bord, pour y plonger la main, et fut presque surprise de la voir rester aussi pâle que d’ordinaire. Qu’avait-elle dans la tête pour imaginer une seconde qu’elle puisse rougir, elle aussi ? L’eau était chaude. Il y avait dans l’air quelque chose de profondément sensuel. Ce soir, tout était permis. Elle avait franchi une ligne derrière laquelle il n’y avait plus de limite.

Alors qu’elle redressait la tête, elle aperçut, plus loin, un groupe de trois personnes, conversant de manière décontractée, contre le mur extérieur de la cour. Sous la brise extérieure, des mèches blondes voletaient, captant les éclairages de la nuit, alors qu’un loup noir dissimulait le haut du visage qu’elles traversaient.

Lentement, elle retira sa main humide de l’eau. Quelques gouttes tombèrent depuis le bout de ses doigts.

De là où elle était, elle ne pouvait pas apercevoir ces trois jeunes gens en détail, mais elle remarqua que la manière dont l’homme au masque s’appuyait contre le mur de pierre témoignait d’une assurance bien différente de la sienne, transpirant la sensualité. Le regard de Claire glissa sur ses bras, ainsi que sur les muscles de son épaule que le T-shirt sans manches qu’il portait laissait apparaître. La vision lui parut particulièrement belle du fait de la distance et des lumières changeantes ; de l’espace qui les séparait.

Puis, la femme avec laquelle les deux hommes conversaient fit quelques pas et Claire remarqua l’escalier dissimulé dans un coin d’ombre vers lequel elle se dirigeait. Seul le faible éclairage de la nuit lui permit d’en apercevoir les premières marches, les suivantes disparaissant sous une voûte sombre. Quand la femme se retourna et glissa contre le mur comme pour inviter à la suivre, sa chevelure rousse s’accrocha aux reliefs de la paroi. L’autre homme la rejoignit en une démarche nonchalante, avant de se laisser enlacer et de l’embrasser à pleine bouche. Claire le vit caresser la cuisse féminine dont le bas fut traversé de lumières roses et rouges quand il remonta légèrement sa jupe. Tous deux gravirent ensuite les marches, avant d’adresser un regard à l’homme au masque qui leur sourit, roulant contre le mur avant de se relever d’un mouvement de bassin. La façon dont il leur emboîta alors le pas en s’éclipsant à son tour sous la voûte de pierre parut, à Claire, emplie de mystères.

Pensive, elle se releva doucement.