L’initiation de Claire – saison 1 (2)

Deuxième partie

Claire jeta un coup d’œil autour d’elle. Peu d’autres personnes s’étaient aventurées dans cette partie de la cour et aucune n’avait prêté attention aux agissements du trio. Doucement, elle déambula le long de la piscine, tout en scrutant le lieu où les trois jeunes gens avaient disparu. En s’en approchant, elle constata que, si elle n’avait pas été en train de les observer au moment où ils y étaient entrés, elle aurait sûrement ignoré l’existence de ce passage. Il aurait fallu qu’elle traverse la cour extérieure, et encore, il était si bien dissimulé dans un coin d’ombre qu’on ne pouvait guère le repérer qu’une fois parvenu à ses pieds. Là, une faible lumière, jaune pâle, en éclairait la voie. En haut se dressait une porte noire sans aucune inscription de derrière laquelle émanait une musique assourdie, à la rythmique sensuelle.

Claire resta, un moment, immobile.

Puis elle gravit les marches, les doigts glissant sur la pierre sèche au fur et à mesure de son avancée. Son pouls battait de curiosité et d’appréhension.

Derrière la porte, un couloir exigu lui apparut, éclairé de façon intermittente par la blancheur hypnotique de stroboscopes. Des hommes et des femmes s’appuyaient le long de ses murs, certains se parlant à l’oreille, d’autres s’embrassant avidement. Claire se rendit compte qu’elle devrait les frôler si elle voulait progresser. Les basses du morceau diffusé se répercutaient dans sa poitrine, les stroboscopes lui faisant apparaître les images fugaces de lèvres les unes contre les autres, du galbe d’une jambe dénudée, d’un visage enfoui dans la courbure d’un cou et des ondulations, troublantes, de hanches masculines entre deux cuisses relevées. Si l’atmosphère précédente avait été empreinte de sensualité, celle-ci s’avérait clairement sexuelle.

Lentement, elle se glissa entre les corps lui faisant face, les regards se posant sur elle et les souffles éraillés effleurant sa peau tandis qu’elle les dépassait. Lorsqu’une main se glissa entre ses jambes, elle se retourna pour reculer d’un pas, ne sachant comment réagir. Puis elle poursuivit son chemin.

Plus elle s’enfonçait à l’intérieur du mas, plus la décoration changeait. Plus sombre. Plus sexuelle. Des ouvertures sans porte donnaient sur différentes pièces où de grands lits trônaient, occupés pour la plupart. Certaines chambres possédaient de grands écrans vidéo, d’autres des miroirs sur chacun de leurs murs… une, des chaînes terminées par des bracelets pendant au plafond. Curieuse, elle pénétra dans cette dernière. Celle-ci ne comportait aucun lit mais était meublée, en son centre, par un banc sans dossier sur lequel elle devina que l’on pouvait s’allonger. Le meuble était suffisamment haut pour que le corps de la personne étendue soit au niveau du bassin de celle restant debout ; une assise rembourrée, qui semblait confortable, le recouvrait et de petits appuis, situés plus bas en ses quatre coins, permettaient d’y poser les genoux et les coudes. À côté se dressait une grande croix de saint André, anneaux et lanières fixés à ses extrémités. Ailleurs, une sorte de hamac de cuir était suspendu au plafond par des chaînes. De grands placards, fermés seulement par des grilles, laissaient apercevoir des objets qui attiraient son regard. Elle voulut approcher, mais un bruit sec retint son attention. Il s’agissait d’un son provenant d’une pièce attenante. Le gémissement étouffé qui suivit l’interloqua.

Avançant encore un peu plus, elle découvrit une salle où, derrière une ligne de barreaux, des êtres aux poignets ligotés au mur étaient en train de se faire fouetter, certains très doucement, d’autres plus fort. Quelques personnes regardaient tranquillement, murmurant parfois à l’oreille des uns et des autres. L’aspect de la scène lui donna l’impression d’un spectacle.

Un moment, elle resta, elle aussi, appuyée aux barreaux à observer ce qu’il se passait, étonnée de s’en laisser tant captiver. Elle n’avait jamais vu quoi que ce soit de tel. Ceux maniant les lanières de cuir portaient tous un masque, hommes et femmes. Ceux soumis l’étaient jusqu’au regard des autres. Une curieuse alchimie s’opérait cependant entre ces derniers et leurs dominateurs, donnant à Claire l’impression qu’aucun d’eux n’était là pour le public mais, au contraire, qu’en les observant ainsi, c’était elle-même qui attisait leur jeu. Soudain, un gémissement plus fort lui fit tourner la tête, quelque peu effrayée. La façon dont le responsable s’approcha alors de celui qui venait de crier l’étonna, sa main caressant son dos légèrement strié avant de passer tendrement dans ses cheveux pour lui tourner le visage… L’expression de plaisir mêlé de reconnaissance de ce dernier alors qu’il atteignait soudain l’orgasme la perturba violemment. Gênée, elle se détourna de ce spectacle qu’elle ne comprenait pas.

Tandis qu’elle repartait, songeuse, elle se rendit compte que la durée pendant laquelle elle était restée à observer cette scène lui échappait. Elle ne savait même pas depuis quand elle déambulait dans cette partie du bâtiment. Elle avait l’impression de s’être laissé emporter par l’atmosphère des lieux au point d’en perdre la notion du temps. Un rire la sortit alors de ses pensées. En relevant le visage, elle découvrit, sortant d’une pièce devant laquelle s’amassait un certain nombre de personnes, la femme qu’elle avait observée plus tôt. Quand celle-ci tourna la tête, sa chevelure rousse fendit l’air, puis sa main se leva pour placer devant ses yeux un masque identique à ceux que Claire avait remarqués auparavant.

Elle s’immobilisa, sa respiration s’accélérant. Un coup d’œil rapide aux êtres rassemblés dans cette partie du couloir lui fit repérer le jeune homme à la démarche nonchalante. Le cœur battant, elle jeta un œil dans la salle proche. Si elle y découvrit un nombre plus important encore de personnes conversant à voix basse, comme s’ils venaient eux aussi d’assister à une scène et échangeaient leurs impressions à ce sujet, le troisième homme, celui qu’elle avait vu avec le masque, n’y figurait pas… ou plus ; elle l’ignorait. Elle tâcha de recouvrer ses esprits, surprise de se sentir autant troublée par ce petit événement.

À peine eut-elle reculé qu’une voix l’interpella. Décontenancée, elle considéra la femme à la tenue de cuir rouge qui se tenait à quelques mètres d’elle, l’allure clairement dominatrice. Plus loin, elle reconnut le serveur du bar avec lequel elle avait brièvement conversé, venu la désigner depuis la dernière marche d’un escalier dérobé.

Claire cligna des paupières. La femme la détailla des pieds à la tête, avant d’élever la voix :

– Vous avez demandé une session au donjon. Suivez-moi.

Il fallut quelques secondes à Claire pour réagir. Le serveur était déjà en train de redescendre. La femme portait, elle aussi, un masque vénitien. Lorsque celle-ci tourna les talons, Claire la regarda repartir dans le couloir, troublée par ce qui était désormais une certitude : l’homme qu’elle avait aperçu au bord de la piscine devait, lui aussi, être un dominateur de l’établissement. Puis, elle lui emboîta le pas, son regard partant dans chaque salle qu’elles croisèrent tandis qu’elle se demandait vers quoi exactement elle se dirigeait. Et ce qu’elle cherchait, aussi. Ce qu’elle cherchait, tout au fond d’elle.

Dans aucune de ces salles, elle ne vit l’homme au masque.

Au bout du couloir, un lourd rideau bordeaux marquait la transition vers un lieu interdit aux autres clients. Lorsque la dominatrice le retint pour inviter Claire à la suivre, celle-ci tâcha de ne pas montrer son appréhension. Derrière, un petit vestibule à peine éclairé lui apparut, précédant plusieurs portes, toutes noires et sans inscription. Les murs, ici, se dressaient vides d’une quelconque décoration. Un geste l’invita à ouvrir l’une des portes. Malgré sa gêne, Claire y posa la main, poussant lentement.

Le premier visage qui lui apparut fut celui de la jeune femme aux cheveux roux qu’elle avait aperçue auparavant. Elle était hissée sur un tabouret haut, et ses jambes croisées laissaient visible la couture de ses bas. Elle tenait plusieurs feuilles de papier entre les doigts. Son masque était posé sur une tablette derrière elle.

– Clara ?

– Oui, répondit Claire, puisqu’il s’agissait du pseudo qu’elle s’était choisi.

Son attention fut aussitôt attirée par la femme nue qui était agenouillée plus loin, la tête basse et un harnais en cuir ceinturant sa poitrine. Un homme, affalé dans un fauteuil, les pieds sur une table où traînaient des verres vides et un tas de documents, tenait une cravache. De temps en temps, il jetait un œil à la femme, immobile, à ses côtés. En se rendant compte que les fesses de cette dernière étaient marquées de zébrures rouges, Claire se sentit perdue, comme distancée par ce qu’elle découvrait.

– Préférence : homme, cita la femme assise sur le tabouret.

Claire dut expirer profondément pour reprendre ses esprits. Elle observa celle qui venait de prendre la parole, découvrant que ce qu’elle tenait à la main était le questionnaire qu’elle avait rempli en arrivant, et qu’elle était en train de le lire.

– Olivier est occupé pour l’instant, enchaîna-t-elle.

Claire hocha la tête, l’esprit embrumé. Son regard repartit vers la soumise dont les yeux ne quittaient pas le sol. Même si l’homme assis dans le fauteuil ne lui adressait presque aucun regard, il était évident que toute son attention était focalisée sur la femme agenouillée auprès de lui.

– On peut avoir une session toutes les trois, Isabelle et moi, indiqua la dominatrice à la tenue de cuir rouge.

Puis elle précisa :

– Sans caractère sexuel. On manque de membres masculins ce soir. Ou tu peux attendre qu’un autre dom’ soit libre. Cain devrait bientôt être là.

Ce nom fit tiquer Claire. Elle se sentait mal à l’aise. Si, à l’origine, elle n’avait considéré cette session que comme une éventualité, certes inquiétante, mais à l’attrait de laquelle elle n’avait pas eu envie de résister, elle se rendait désormais compte à quel point elle avait présumé de sa propre audace. Le contraste entre ses fantasmes et la réalité était, de plus, flagrant. Elle ne savait plus si elle serait capable d’affronter un tel univers, si elle serait même prête à en faire l’essai.

Perturbée, elle ne vit s’ouvrir la porte située de l’autre côté de la salle que dans un brouillard cérébral. Le jeune homme qui pénétra à son tour dans la pièce, le masque à la main et un large sourire sur le visage, ne fit qu’embrouiller un peu plus ses repères. Un temps, la présence de la femme au sol, les marques sur ses fesses et l’attitude hautaine des deux dominatrices devinrent floues dans son esprit. Même le nouvel arrivant eut un temps d’hébétude, son sourire s’évaporant en découvrant Claire.

Du jeune homme qui venait d’entrer se dégageait un charme surprenant, captivant de bien des manières. Si la vision que Claire avait eue de lui, au bord de la piscine, avait suscité son intérêt, elle se sentait plus intriguée encore en le découvrant soudain devant elle. L’incroyable légèreté qu’il affichait tranchait avec l’image qu’elle avait d’un dominateur ; ses cheveux blonds en bataille lui donnaient un air de débauche et son sourire contrastait avec les expressions froides qui avaient accueilli Claire jusque-là. Quant à son attitude, elle était fraîche et espiègle, comme si tout ce qui se tramait en ces lieux reculés ne représentait, pour lui, qu’un jeu très distrayant. Seul l’aspect sombre de son regard rappelait qu’il n’avait certainement rien d’un simple garçon turbulent.

– Lui, c’est Mathieu, l’informa Isabelle. Et son planning est complet pour toute la soirée.

Claire accusa le coup. Durant quelques secondes, elle avait cru qu’il s’agissait du Cain qu’on lui avait annoncé. Perdue, elle tourna le visage vers la femme qui venait de lui parler, ne se rendant pas compte de la façon dont elle la dévisagea, faisant s’offusquer tous ceux qui l’entouraient, tant elle parut irrespectueuse. Seul ledit Mathieu, dont le regard était en train de descendre le long de la silhouette de Claire, en eut un sourire amusé.

Claire reporta son attention sur lui, tâchant de démêler les fils de son esprit.

Tant d’événements s’étaient succédé pour elle ces derniers temps : sa rupture avec Thomas, sa prise de conscience de la façon dont elle s’était laissé cloîtrer par cette relation, les propos du type lui ayant remis le flyer et la manière dont elle s’était laissé partager entre lui et un autre homme, comme s’il s’était agi de la place qu’elle devait occuper. Sa fascination pour la manière dont d’autres se faisaient attacher… De tous ces éléments, elle avait pu tirer une conclusion, une seule : elle ne se connaissait pas. Elle n’avait jamais été dénuée de caractère, stupide ou incapable de se révolter. Elle avait des convictions, des envies, et la façon dont elle gérait ses études, dans le cursus difficile qu’elle avait choisi, témoignait de la volonté dont elle pouvait faire preuve. Durant sa relation avec Thomas, elle s’était pourtant montrée tellement soumise… et elle n’avait guère agi différemment lors de sa dernière soirée. S’il y avait un élément, dans tout le trouble qu’elle avait ressenti depuis, qui pouvait encore avoir du sens, c’était qu’elle avait besoin de se trouver. Elle ne voulait plus laisser les autres décider de ce qui advenait d’elle, et certainement pas s’engager dans une session avec ces deux dominatrices dont l’attitude autoritaire la mettait mal à l’aise.

Inconsciemment, elle s’appuya contre le mur de pierre, scrutant le jeune homme aux cheveux clairs dans un temps de réflexion.

– Tout le monde veut toujours Mathieu, se moqua ensuite l’homme enfoncé dans le fauteuil.

– Pourquoi toujours, hein ? protesta celui-ci sur un ton de plaisanterie.

Puis il se pencha pour attraper un gros cahier noir posé sur la table. Claire le regarda s’adosser au mur et en feuilleter les pages d’un air blasé.

– Tu n’as pas rempli la partie « expériences », poursuivit Isabelle à l’intention de Claire. Tu en as déjà eu au moins ?

Mathieu releva la tête avec beaucoup d’intérêt. L’ombre séductrice, joueuse, qui s’alluma dans son regard mit Claire mal à l’aise. Elle appuya la joue sur la pierre du mur, à côté d’elle, en recherchant la fraîcheur et, d’une certaine façon, le soutien. Elle ne voulait pas se laisser écraser par ce groupe de dominateurs.

– Oui, mentit-elle finalement.

– Et en vrai ? enchaîna aussitôt Mathieu.

Un sourire amusé jouait au coin de ses lèvres.

La poitrine de Claire se souleva. Elle eut un instant d’hésitation.

– Non, corrigea-t-elle.

Si elle parvint à garder une voix froide, elle sentit cependant le creux de son ventre se contracter. L’expression de Mathieu, qu’elle aurait imaginée moqueuse, ne fut pourtant marquée que de plus de regrets. Il tourna les pages suivantes de son cahier avec tant de théâtralité, dans son dépit, qu’il aurait pu les arracher. L’homme enfoncé dans le fauteuil se mit à rire. Claire ne lâchait plus Mathieu des yeux.

Au bout d’un moment, celui-ci lança un regard interrogatif à sa collègue.

– Clara, lui indiqua-t-elle. Inscrite dans la soirée.

Il acquiesça pensivement, avant de retourner examiner son carnet. Puis, il releva le visage vers elle, comme gêné par son regard. Elle le fixait avec trop d’attention, témoignant de son attente d’un acte de sa part. Il eut un rire bref, nerveux.

– Je ne peux pas, finit-il par lâcher.

Claire ne comprit pas. Elle avait entendu ce qu’on lui avait expliqué mais son esprit embrouillé ne parvenait pas à l’intégrer. Elle avait vécu les années précédentes dans l’acceptation de tout ce que les hommes ayant partagé sa vie avaient voulu d’elle ; pourquoi fallait-il que, pour une fois qu’elle tâchait de décider elle-même de ce qui lui arrivait, ce lui soit refusé ? Nerveusement, elle passa les doigts sur les ailes de son nez, paupières fermées.

– Que faut-il que je fasse ? dit-elle finalement.

Cette question était tout ce qui lui était venu à l’esprit. Elle se sentait encore amère de ses déceptions passées, révoltée contre la vie qui se montrait si complaisante à l’enfoncer dans des situations qu’elle ne gérait pas, mais si rude lorsqu’elle tentait d’en maîtriser le cours.

– Et puis une première fois, ça ne se fait pas comme ça, poursuivit Mathieu comme s’il ne l’avait pas entendue mais, plus encore, comme s’il pouvait ainsi se convaincre. Il faut s’y préparer, prendre le temps de discuter et… il n’est pas conseillé du tout, de toute façon, de pratiquer tout ce qui est sexuel tout de suite et puis…

L’attention de Claire se porta particulièrement sur ces derniers mots, évoqués si soudainement, alors qu’elle n’avait fait aucune demande à ce sujet, et… comme à regret. Elle retrouva un semblant de contenance.

– Que faut-il que je fasse ? répéta-t-elle.

***

Mathieu eut un rire nerveux. Il referma brusquement son carnet qui claqua dans sa main. Il n’y avait rien de fréquent dans le fait de voir se présenter seule, comme Clara était en train de le faire, une novice, et encore moins une femme dont l’apparence attirante se combinait à une attitude aussi irrévérencieuse que la sienne. Tout en elle se trouvait aux antipodes du comportement que devrait avoir une soumise. Tout en elle semblait pourtant si prêt à y sombrer… L’idée d’être le premier à la mener parasitait ses pensées.

– T’inscrire à l’avance, soupira-t-il. Revenir une autre fois en prenant rendez-vous plusieurs jours avant.

– Je ne suis pas d’ici.

– Et alors ? Moi non plus.

Cette dernière remarque eut l’air de faire réagir la jeune femme. Comme si elle avait failli oublier que, sortis de ce lieu et de leurs artifices, les êtres qui l’entouraient n’étaient guère plus que ses semblables.

– Que faut-il que je fasse ? insista-t-elle de nouveau.

Agacé, Mathieu jeta son cahier sur la table. Sa tête se renversa en arrière, son regard partant au plafond. La jeune femme face à lui n’avait décidément rien de l’attitude qui convenait à une soumise. Pourtant, son comportement le séduisait plus qu’il n’avait envie de se l’avouer. Il avait toujours trop aimé le combat. Ses paupières se fermèrent, l’image nue de la jeune femme, entièrement offerte à son regard comme à sa volonté, s’y substituant.

Quand il reposa les yeux sur elle, une lueur plus sombre, joueuse, y avait pris place, emplie de défi.

– Montre-moi de quoi tu es capable.

***

Claire ne s’était pas attendue à ce tournant. La demande lui fit l’effet d’un choc. Quelque chose avait changé dans l’attitude du jeune homme, quelque chose qui n’avait plus rien à voir avec ses mimiques amusées. Désormais se trouvait en face d’elle un dominateur, autoritaire. Inflexible. Un petit sourire aux lèvres, il la dévisageait avec une provocation évidente. Elle se tourna vers les autres membres de la pièce. Tous observaient silencieusement leur échange, les visages fermés. La femme au sol ne bougeait toujours pas.

– Alors ? la relança Mathieu.

Elle se passa la main dans les cheveux, décontenancée. Le regard qu’elle adressa ensuite à Mathieu fut alors empli d’autant de certitudes, quant à ce qu’elle avait décidé de vivre, que de révolte. Elle savait ce qu’elle voulait. Elle ne pouvait cependant pas deviner elle-même comment agir. Dans un mouvement de bravade, elle se décolla du mur, puis avança jusqu’à un mètre de lui. Il ne bougea pas, se contenant de lui faire signe de s’approcher encore. Elle n’eut qu’une seconde d’hésitation. Lorsqu’elle parvint enfin à ses côtés, elle détourna le visage, penchant la tête vers son épaule en laissant la présence de cet homme électriser son cou.

– Tu ne sais pas, hein ? lui fit-il remarquer.

Son souffle survola la peau de Claire, celle-ci en ressentant l’obscure sensualité.

– Non, soupira-t-elle.

– Regarde la femme agenouillée au sol.

Elle obéit. Elle ne voyait qu’une situation choquante.

– Tu comprends ce qu’il se passe ?

– Non.

Et, dans l’aveu, elle releva les yeux vers Mathieu en une expression qui ne masquait rien du trouble que leur soudaine intimité lui provoquait. Elle le vit sourire. Il ne lui fit cependant aucune grâce, s’éloignant pour s’adosser nonchalamment contre le mur avant de la fixer de nouveau avec une provocation manifeste.

– Alors ?

Elle expira profondément. Si elle savait parfaitement ce qu’elle avait demandé en sollicitant cette session, elle n’était pas encore prête à ployer ainsi la nuque. Mathieu lui avait cependant lancé un défi et il était hors de question qu’elle le laisse continuer à la prendre pour une pauvre fille perdue dans un univers qu’elle était incapable d’assumer. Et ceci était aussi valable pour les autres qui l’entouraient, surtout les deux dominatrices dont l’attitude hautaine lui déplaisait.

Lorsque l’une d’entre elles interpella Mathieu pour lui demander d’abandonner, Claire l’interrompit d’un mouvement de main, le regard empli de détermination. Elle allait faire ce qui lui était demandé. Il n’était plus utile pour eux d’intervenir.

Lentement, elle franchit la distance la séparant de Mathieu, avant de s’arrêter un moment face à lui. Puis, elle s’agenouilla. Une fois au sol, elle posa les mains sur l’avant de ses cuisses et dirigea le regard vers le côté, son expression tel un mélange de provocation et de soumission, tandis que l’une de ses mèches brunes tombait le long de son visage. Plus personne n’éleva la voix à l’intérieur de la pièce.

D’une curieuse manière, le sentiment d’humiliation que Claire s’était attendue à ressentir ne survint pas, laissant la place à une fierté inhabituelle, pour ce qu’elle était en train d’accomplir, pour être capable de répondre à ce qui lui avait été demandé tout en ne s’écrasant pas. Se retrouver au centre de toute leur attention suscitait, de plus, un sentiment inhabituel en elle. La situation se révélait infiniment troublante. Tout lui restait cependant inconnu. Comment devait-elle se comporter ? Quelles étaient les règles ? Personne ne la guidait. Personne ne l’aidait dans ce domaine dont elle ignorait les lois.

Impitoyablement, le temps s’étira, aucun mot, aucune action ne venant la tirer de sa situation.

Au bout d’un moment, relever le regard devint une nécessité. Elle n’osa pas chercher celui de Mathieu, si haut au-dessus d’elle. Seulement, elle contempla ce qui lui faisait face, le corps de cet homme dont le bassin était si proche, désormais, juste devant son visage, et dont l’entrejambe se révélait légèrement gonflé. Elle en était si près. Durant quelques instants, elle songea à la manière dont elle devait agir, mais fut incapable de trier les fils emmêlés de son esprit. Alors, elle pensa à ce qu’elle-même voulait. Elle.

Progressivement, ses doigts se levèrent et elle se mit à défaire les premiers boutons du pantalon devant elle. Au moins s’agissait-il de quelque chose qu’elle maîtrisait, et puis elle en avait envie ; c’était tout ce à quoi elle pensait. À chaque instant, elle s’attendait à se faire repousser. « Pas de pratiques sexuelles », avaient-ils tous dit. Pas la première fois, en tout cas. Personne ne la retint cependant dans ses gestes. Personne ne l’encouragea non plus. Elle tâcha d’oublier les visages tournés vers elle.

Le sexe qu’elle extirpa du vêtement de cuir était déjà à demi levé. Sous son regard, il se durcit un peu plus. Claire le contempla un moment, surprise d’en découvrir la taille et l’épaisseur. Plus affolante encore lui parut la manière dont son propre corps s’en réchauffa.

Lentement, très lentement, elle approcha le visage, désireuse de percevoir la sensation de cette chair à l’intérieur de sa bouche. Elle passa la langue sur les bourses durcies. Le membre se contracta, provoquant en elle une décharge plus forte d’envie. Sa main se posa sur la cuisse juste à côté, s’accrochant à la matière du pantalon. Appuyé d’une main contre le mur et le visage baissé vers elle, Mathieu ne bougea pas. Elle remonta doucement le long de la chair tendue, léchant, la caressant de ses lèvres.

Alors que sa bouche glissait sur la peau douce du gland pour l’envelopper à peine, Mathieu posa la main à l’arrière de son crâne, lui faisant marquer un temps d’arrêt. La prise sur elle était à la fois douce et ferme. Il s’agissait de la première invitation à continuer qui lui était adressée. Elle ne regarda pas le visage au-dessus d’elle. Elle ouvrit simplement la bouche, plus largement, et y fit entrer profondément le sexe de Mathieu. Quand elle leva enfin le regard, elle vit le désir dans ses yeux, la curiosité, l’envie de savoir jusqu’où elle irait ayant succédé à la provocation. Le défi était encore là. Claire fit ressortir doucement son membre, s’accordant une seconde pour respirer plus lentement. Pas un instant, elle ne regretta son geste. Elle retourna faire glisser le long de son palais l’axe de chair qui l’attirait.

Alors qu’elle commençait à pratiquer quelques va-et-vient mesurés, une main se posa soudain sur son épaule. La façon brusque dont elle se fit repousser la surprit, la chair humide sortant de sa bouche tandis que son dos se retrouvait plaqué contre le mur. Abasourdie, elle ne put que cligner des yeux.

– Ce n’est pas comme ça qu’on s’y prend.

Le ton était autant dur qu’explicatif.

– Si tu le fais, fais-le bien.

Claire essaya de reprendre ses esprits. En redressant le visage vers celui de Mathieu, elle le découvrit avec la respiration accélérée et les yeux légèrement vitreux. Les doigts qui se saisirent de son épaule la firent se raidir, la laissant interdite.

Quand Mathieu se rapprocha pour positionner de nouveau son sexe devant ses lèvres, elle comprit cependant aussitôt. Son crâne s’appuya contre le mur derrière elle. Parce qu’elle n’avait pas l’habitude d’un tel membre, elle avait évité de le prendre trop profondément dans sa bouche. Ses paupières se fermèrent. Elle ouvrit la mâchoire. Elle attendit que la verge encore luisante de salive glisse à l’intérieur d’elle. Elle en avait envie. Bien malgré elle, elle se rendit compte de l’incroyable excitation que faisait naître en elle cette situation.

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