Porn ? What Porn ? – C’est du porno ! (1)

Auteur : Hope Tiefenbrunner.

Genre : Érotique, M/M, humour, fluff.

Résumé : Lucas, écrivain en herbe et scénariste de films pornographiques pour gagner sa vie, a besoin du coup de main de son compagnon, Nathan, pour la scène  sur laquelle il bloque. Et oui, c’est du porno !

C'est du Porno !

D’un rapide « contrôle S », Nathan enregistra son fichier et soupira. Il s’étira, son dos craquant au passage avant de poser les mains sur ses épaules qu’il massa légèrement tout en faisant rouler sa tête d’avant en arrière pour détendre sa nuque. Les tensions dans ses muscles, conséquence de plusieurs heures passées sur l’ordinateur, diminuèrent légèrement. Un nouveau soupir et il baissa les yeux sur le rapport auquel il travaillait depuis maintenant plus de trois heures. C’était la partie de son boulot qu’il détestait le plus. Il aimait être sur le terrain, pas coincé chez lui à rédiger des pages et des pages qui ne seraient lues par personne, mais qu’il avait obligation de pondre.

Il finissait de relire son précédent paragraphe lorsqu’il aperçut une ombre à la porte de son bureau. Il leva le nez pour découvrir son compagnon. Son œil parcourut rapidement l’harmonieuse silhouette de Lucas, habilement mise en valeur dans un jean foncé et un simple t-shirt blanc, avant de s’arrêter sur sa main qui tenait un petit paquet de feuilles.

— Non, dit-il en ramenant son regard sur l’écran.

— Quoi non ?

— Non, c’est tout.

— Mais je n’ai encore rien dit ?

— Pas la peine, je sais ce que tu veux et c’est non.

— Allez, j’ai besoin de finir ce scénario pour demain au plus tard. Ça fait une heure que je tourne en rond, je n’arrive à rien.

— Non.

Lucas fronça les sourcils et s’avança jusqu’à son bureau.

— Nath, chouina-t-il.

Mais ce dernier avait reporté son attention sur son travail et ses doigts commencèrent à se remettre en mouvement sur le clavier. Lucas grogna. Nathan avait parfaitement conscience que son compagnon ne supportait pas de se faire ignorer de la sorte. Le plus discrètement possible, il l’observa du coin de l’œil passer la main dans ses cheveux blonds, replaçant une mèche derrière son oreille et se pencher. La mèche, bien sûr, se sauva et vint taquiner sa joue. Lucas la laissa faire, habitué à cette bataille perdue d’avance.

— Allez, bébé, aide-moi, reprit-il et Nathan reporta toute son attention sur son écran, ses doigts n’interrompant pas leur cliquetis.

— Naaaaatttthhhh.

Il ferma un instant les yeux avant d’inspirer un grand coup. Il ne répondrait pas, non, il ne le ferait pas.

— Aide-moi, aide-moi, aide-moi, ai…

— Lucas ! cria-t-il en tapant légèrement du poing sur son bureau, parce qu’il voulait bien l’ignorer, mais il y avait des limites à ce qu’il pouvait endurer.

Son compagnon se recula, juste un peu.

— Moi aussi, j’ai du travail, rétorqua-t-il, prenant sur lui pour maîtriser son ton.

— Mais tu as encore plus d’une semaine pour rendre ton rapport alors que moi…

— Non.

— Allez, je suis bloqué.

— Va au vidéoclub.

Lucas laissa échapper un petit rire.

— Tu sais bien que Mathieu n’est pas gay, bébé.

Nathan leva le regard sur lui et le fixa droit dans les yeux.

— Justement, il sera de bien meilleur conseil que moi.

— Il ne voudra pas m’aider et tu le sais très bien.

Oui, il le savait, mais il s’en foutait royalement. Ce qu’il voulait lui, c’était boucler cette saleté de rapport.

— Va te louer un film alors. Ils en ont des tonnes, lâcha-t-il.

— Mais, c’est inutile, je veux juste tester une scène. Y’en aura pas pour plus de dix minutes. Tu peux quand même m’accorder dix minutes de ton temps. Moi, je m’ar…

— Me culpabiliser ne servira à rien, Lucas, quand le comprendras-tu ?

Il retint le « Ce n’est pas parce que tes parents t’ont élevé à la culpabilité qu’il faut croire que ça marche sur tout le monde » qui lui chatouillait les lèvres. Ç’aurait été cruel de le lui balancer, d’autant qu’il n’était qu’en partie la source de son agacement.

— Mais heu…

— Et tes répliques dignes d’un gamin de dix ans non plus.

— Oh, je t’assure que ce que j’ai là, répondit Lucas en agitant ses feuilles, aucun enfant de dix ans ne peut l’écrire.

Nathan put l’entendre penser : « Et heureusement », rien qu’à voir son expression amusée. Le regard qu’il lui adressa en réponse aurait pu se traduire par « je demande à voir ». Lucas réagit par une moue, mais n’abandonna pas pour autant. Personne ne pourrait dire de son compagnon qu’il n’était pas plein de ressources, se désespéra Nathan.

Adoptant une démarche féline qui, c’était vrai, lui réussissait la plupart du temps, Lucas fit le tour du bureau, se plaça derrière lui et posa ses mains sur ses épaules, massant doucement. De prime abord, Nathan sentit ses muscles se contracter, mais l’habileté de son amant les força à se détendre. Celui-ci se pencha alors à son oreille.

— Humm, tu es tout tendu, ça te fait du bien ?

Nathan, même s’il appréciait grandement ce petit massage improvisé, n’était pas dupe.

— On n’est pas dans un de tes films.

— Tu vois vraiment le mal partout, toi.

— Bah, tiens.

Il continua encore un peu, espérant de toute évidence l’amadouer.

— Lucas ! cria-t-il en chassant la langue qui venait de titiller son cou.

Le regard noir de Nathan se fit meurtrier et il recula un peu. Son visage adopta de nouveau une petite moue déçue, essayant de l’apitoyer : peine perdue.

— Rhôo, t’es vraiment pas sympa, tu sais.

— Retourne sur ton ordinateur et laisse-moi travailler maintenant !

Lucas croisa les bras sur sa poitrine et, tirant la tronche, sortit de la pièce tout en marmonnant des « Injuste… moi, je me plie en quatre pour lui et demande-lui quelque chose… son idée à la base… ».

Nathan n’entendit pas la fin. Il soupira. S’il avait le pouvoir de remonter dans le temps, il se rendrait directement à ce jour fatidique de l’année précédente quand il avait suggéré à un Lucas déprimé et ne trouvant pas de travail d’accepter la proposition délirante que Pôle emploi lui avait fait suivre. Après tout, quand il s’agissait de manger, scénariste de films pornos, c’était toujours de l’écriture. C’était mieux que rien et en attendant, c’était ça de pris, c’était du moins ce qu’il lui avait dit pour le convaincre. Il n’aurait jamais cru que son compagnon serait doué pour ça, suffisamment pour qu’on lui en redemande.

Il s’écoula peut-être dix minutes avant que celui-ci ne repointe le bout de son nez par la porte. Nathan remarqua tout de suite qu’il portait son blouson.

— Je sors, annonça ce dernier.

Aussitôt, son minois disparut et Nathan entendit ses pas dans le couloir.

— Tu vas au vidéoclub ?

— Non.

Il haussa un sourcil. Il avait un mauvais pressentiment.

— Où, alors ? cria-t-il.

— Chez Guillaume.

Les mains de Nathan s’arrêtèrent, son majeur toujours sur la touche « i ». Guillaume ? Il avait bien entendu Guillaume, là ?

Il se leva brusquement et sortit de la pièce, emprunta rapidement le petit couloir qui menait au salon. Lucas était assis sur une des deux marches qui séparaient ce dernier de l’entrée et était en train de nouer sa seconde basket.

— Pourquoi tu vas chez lui ?

— C’est son jour de repos, il voudra sûrement bien m’aider.

— Et qu’est-ce qu’il y connaît ?

— C’est un mec hétéro, il a déjà vu des pornos dans sa vie, tu sais.

C’était vrai, mais Nathan n’était pas objectif dès qu’il s’agissait de Guillaume.

— Oui, enfin, ça ne fait pas de lui un spécialiste surtout que nous savons tous les deux quel genre de porno il aimerait regarder en vrai et avec qui et…

Lucas serra son lacet et releva la tête vers lui.

— Écoute, Nath, tu ne veux pas m’aider, soit. Maintenant, je suis bloqué. Tu m’as dit de me débrouiller, eh bien, c’est ce que je vais faire. De quoi te plains-tu ?

— Je ne me plains pas, se défendit-il.

— Mouais.

Lucas se leva, attrapa ses clefs sur la console de l’entrée et se dirigea vers la porte.

— Att…

— Quoi ?

Lucas observa son visage. Nathan savait bien qu’il devait être fermé, comme toujours lorsqu’il s’apprêtait à capituler, ses lèvres étaient pincées, ses sourcils se fronçaient juste un petit peu et ses yeux se plissaient légèrement. Lucas le lui avait mimé une fois qu’ils en discutaient tous les deux. Le truc, c’est qu’il avait une sainte horreur de céder et que ça se voyait sur lui. Il n’y pouvait rien.

— Tu as bien dit qu’il n’y en aurait que pour dix minutes ?

De son côté, Lucas arborait un grand sourire, fier et satisfait. La jalousie marchait toujours avec Nathan. Il suffisait de prononcer le prénom « Guillaume » et hop, il faisait ce qu’il voulait de son mec.

Son ami n’était même pas gay, mais Nathan était persuadé qu’il se rabattait sur les femmes uniquement parce qu’il n’avait pas pu avoir Lucas. « Ses fesses crient prends-nous à chaque fois qu’il te voit. Il est toujours en train de se pencher pour te les montrer ». Voilà le genre de propos que Nathan tenait sur Guillaume. Oh bien sûr, lui-même entretenait cette jalousie en déclarant ledit postérieur tout à fait appétissant, ce qui n’était d’ailleurs pas faux. Il était difficile de ne pas succomber au charme de son meilleur ami. Il était beau garçon, bien fait, cultivé, gagnait bien sa vie et quand il connaissait suffisamment les gens, se révélait très drôle. Mais Guillaume n’était pas de ce bord, définitivement pas. Il n’y avait bien que Nathan pour en douter. Toujours est-il que grâce à lui, il allait une fois de plus obtenir ce qu’il voulait. Et il adorait ça.

— Oui, un quart d’heure, grand maximum, confirma-t-il.

Nathan soupira et maudit Guillaume et peut-être sa jalousie, mais seulement « peut-être » alors.

— Bon, on va où ? La chambre ?

— Non, la cuisine, le contredit Lucas en se débarrassant de sa veste et en reprenant ses papiers.

Nathan lui jeta un œil suspicieux, mais ne chercha pas plus. Il traversa leur salon pour rejoindre la pièce, Lucas sur ses talons.

— Et maintenant, on fait quoi ?

Son compagnon ne parvint pas à cacher son sourire. Il lui tendit un paquet de feuilles et posa son double du scénario, observant la pièce du regard.

— J’avais pensé à la table, mais en fait, c’est trop cliché.

Nathan se contenta de lever les yeux au ciel. Trop cliché dans le porno ? Il aurait tout entendu.

— Oui, voilà, tu vas te mettre là, reprit Lucas en le poussant jusqu’à l’asseoir sur le plan de travail.

Cela fait, il ratura sa feuille. Nathan l’observa écrire consciencieusement. Il avait toujours admiré la rapidité avec laquelle Lucas était capable de se concentrer. Vous l’abandonniez cinq minutes et à votre retour il sursautait comme s’il était dans sa bulle depuis deux heures, complètement coupé du monde. C’était exactement comme cela qu’il l’avait rencontré, dans un bar, bondé de types hurlant devant le match de foot qu’il ne fallait pas rater. Comme lui, il avait été traîné là par des amis. Les siens avaient prétexté que ce n’était pas parce qu’il était gay qu’il ne pouvait pas apprécier un bon sport viril. Ce à quoi, il leur avait répondu qu’on voyait dans un match bien plus de mecs se coller les uns aux autres que dans un bar gay. Cela lui avait valu des « ah, sacrilège » et autres idioties du genre. Le truc, c’est qu’il n’aimait pas suivre du sport à la télé et n’avait jamais compris l’intérêt de passer une heure et demie ou plus de son temps à regarder des types en shorts moches courir après un ballon. Mais il avait fait l’effort. Autant dire qu’il ne le regrettait pas.

Lucas avait été là, assis à une table avec un agité braillant à ses côtés, ne prêtant attention à rien autour de lui, passionné par ce qu’il était en train d’écrire dans un cahier. Nathan n’avait pas réussi à détacher son regard de lui et de l’aura de calme qu’il dégageait. Ce n’était pas le plus beau petit lot du bar. Contrairement à lui, Lucas était plutôt commun, en tout cas tant que son sourire chaleureux n’éclairait pas son visage, tant que ses yeux ne se teintaient pas de cette lueur qui vous donnait l’impression d’être unique et merveilleux.

Lui avait un visage dont la symétrie, la finesse et, disait-on, l’élégance lui avaient toujours attiré aussi bien des femmes que des hommes. Autant dire qu’il n’avait jamais vraiment eu d’efforts à faire pour trouver des partenaires. Tant mieux, car draguer n’était pas son fort. Et sans doute que si ses regards persistants avaient réussi à attirer l’attention de Lucas, n’aurait-il rien eu à faire. Mais il était rapidement devenu évident que le fixer n’aurait aucun effet. Alors après deux pintes, il avait finalement rassemblé suffisamment de courage pour l’aborder. Le bond que Lucas avait fait quand il lui avait tapoté l’épaule l’avait fait sursauter lui aussi. Un éclat de rire, une présentation et un verre plus tard, ils s’étaient éclipsés, abandonnant avec plaisir les hurlements de colère des supporters déçus autour d’eux. Depuis, ils ne s’étaient plus quittés. Enfin… pour ainsi dire. La vie n’avait pas été rose, loin de là. Nathan avait rapidement découvert que sous sa jovialité et son apparent calme Lucas avait un caractère de cochon et qu’il pouvait s’emporter très facilement. Il reconnaissait lui-même ne pas être facile, avec des tendances colériques qu’il maîtrisait particulièrement mal. Autant dire que les disputes étaient arrivées très rapidement, parfois pour des broutilles, un mot plus haut qu’un autre, une exaspérante manie de laisser traîner son linge sale, cette lenteur à manger, …, parfois pour des sujets plus lourds.

Nathan pouvait ajouter à ses propres défauts une jalousie excessive, trait renforcé par l’attachement qu’il avait tout de suite ressenti pour Lucas. Il n’était pas comme les autres et la peur de le perdre avait au départ bien souvent obscurci son jugement. Il voyait des rivaux partout et avec le caractère enjoué de Lucas et sa manie de toucher les autres, c’était difficile de ne pas réagir, voire surréagir. Il s’était amélioré avec le temps malgré ses réactions toujours épidermiques en ce qui concernait Guillaume, mais personne ne parviendrait à lui prouver qu’il avait tort sur ce point.

Quoi qu’il en soit, Lucas, d’un naturel confiant, avait eu beaucoup de mal à supporter sa possessivité et ses remarques, tout comme ses regards suspicieux. Cela avait engendré de longues disputes, une ou deux séparations également : de quelques heures, parfois d’un jour ou deux. Elles n’avaient jamais été plus longues, mais elles avaient été fréquentes, accompagnées de « si c’est comme ça, je crois que nous n’avons rien à faire ensemble » où l’autre acquiesçait ou renchérissait par un « parfait, casse-toi ». Les mots s’étaient faits blessants, jouant sur les faiblesses qu’ils découvraient au fur à mesure, appuyant où cela faisait mal, le regrettant amèrement ensuite.

Pourtant, ils étaient toujours revenus l’un vers l’autre, à grand renfort d’excuses, de « plus jamais » et de « je t’aime ».

L’amour…

Il n’avait jamais été aussi amoureux de quelqu’un que de Lucas. Même cinq ans plus tard, il lui arrivait encore d’avoir le cœur qui battait bêtement la chamade et de ressentir des papillons dans le ventre quand ils se rejoignaient quelque part. Il y avait aussi ces petits moments, surprenants, imprévisibles, où ils se baladaient ensemble, regardaient un film ou s’occupaient chacun de ses petites affaires dans la même pièce, où la certitude qu’à cet instant précis, il était pleinement et totalement heureux le frappait. Cette minute où le temps se suspendait suffisamment longtemps pour qu’il puisse graver ce moment et cette plénitude en lui.

Il n’était pas le type le plus romantique de la terre, mais il avait le bon goût de reconnaître que Lucas était l’homme de sa vie. Et s’il l’oubliait parfois, pris dans le quotidien, son travail et les petits soucis qui s’accumulaient de-ci de-là, il y avait toujours quelque chose pour le rappeler à l’ordre.

Bien sûr, tout n’était pas parfait. Il travaillait parfois trop, s’enfermait trop longtemps dans son bureau et Lucas se plaignait de ne pas le voir, de vivre à côté de lui et non avec lui. Lucas, le cœur sur la main, se faisait embarquer dans des plans foireux par certains de ses amis, acceptait sans réfléchir toujours aux conséquences, et les tensions renaissaient au fil des jours.

Mais, avec le temps, des compromis, beaucoup de compromis, les choses s’étaient naturellement calmées. Ils avaient appris à parler plus et à crier moins. Ils avaient compris qu’il fallait faire avec leurs différences, avec leurs histoires et leurs passifs et cela malgré les écarts qu’il y avait parfois entre eux.

Ils ne venaient pas du tout du même milieu socioculturel, et si Lucas avait compensé ses modestes origines autant par une soif d’apprendre et de lire qu’une vive intelligence, il y avait parfois des incompréhensions entre eux, de sérieux ajustements à entreprendre. Un exemple parmi d’autres était leurs habitudes de vacances. Lucas n’était que rarement parti et toujours en mode économie : tente et camping, mais il adorait cela. Nathan était définitivement allergique à la vie en communauté et à l’absence d’un minimum de confort. Cela se reflétait également dans leur goût en matière de décoration. Lucas se fichait bien un peu de l’endroit où il vivait et de la tête que cela avait. Nathan avait le besoin de se recréer un petit cocon où il se sentait bien et chez lui, d’avoir un canapé confortable dans lequel se vautrer, et quand sa mère leur avait offert l’énorme plaid en fausse fourrure qui y trônait maintenant, Lucas s’était foutu de lui, mais lui en avait été enchanté. Il n’en prêtait un bout que parce que sa mère avait insisté pour dire que c’était un présent commun et non uniquement pour lui.

Leur famille était justement une autre de ces grosses différences avec laquelle il avait fallu apprendre à composer. Si la sienne avait accepté son homosexualité, non sans quelques grincements de dents, celle de Lucas n’avait jamais voulu le comprendre ou l’admettre. Ce n’était pas tant un rejet qu’une incapacité à comprendre que cela ne changerait jamais, qu’il n’y avait pas là une histoire de passage et de jeunesse et que non, leur fils ne finirait pas par leur ramener une belle-fille et les abreuver de petits enfants. Ce n’était pas non plus une maladie dont il pouvait se soigner avec un petit effort.

Et les remarques incessantes que Lucas recevait chez eux l’avaient poussé à ne presque plus y mettre les pieds. Lui-même ne les avait rencontrés que deux fois et cela n’avait jamais été volontaire. Et il avait alors été le bouc émissaire parfait, celui qui empêchait désormais leur fils de revenir dans le droit chemin. S’il avait eu la politesse de se taire, ce n’était que par respect pour Lucas, mais il avait eu du mal, tellement que son dédain et sa colère avaient transpiré par tous les pores de sa peau. Évidemment, Lucas souffrait de la situation, mais il avait trouvé dans sa famille à lui une acceptation qu’il lui enviait, mais qui lui faisait aussi le plus grand bien.

— Tu me rappelles déjà sur quel film tu travailles ?

— Cochonnes en cuisine.

Un éclat de rire retentit dans la pièce.

— Pardon ?

— Cochonnes en cuisine.

— Non mais, c’est quoi ce titre ?

— Oh, ça va, ça va, c’est du porno, hein ? et puis, c’est pas moi qui l’ai choisi, je fais le deux là.

— Parce qu’il y a un numéro un.

— Eh bien oui, monsieur !

Lucas prit une mine renfrognée et se dirigea vers le frigo. Nathan leva les yeux au ciel. Pourquoi avait-il accepté de l’aider, déjà ?

Ah oui, Guillaume !

Pourtant, il s’était juré qu’il ne serait plus jaloux de cet homo refoulé et aussi, ah oui, qu’il n’assisterait plus Lucas lorsque celui-ci avait besoin de tester ses cochonneries.

Mais voilà… il avait encore échoué.

Il soupira, appuya l’arrière de sa tête contre le placard et ferma les yeux. Il ne voulait même pas savoir ce qu’il y avait sur la feuille que Lucas avait entre les mains.

— Alors, que se passe-t-il dans cette scène ?

— Et bien Roberta…

— Non !

— Quoi ?

— Roberta ?

— Je t’ai déjà dit que c’est la suite. Moi, je n’y suis pour rien, répondit Lucas en se penchant en arrière pour pouvoir le voir malgré la porte du frigo. Et puis, je te le rappelle, c’est du porno !

Nathan se passa la main sur le front.

— OK ! Donc, Roberta ?

— Et bien, elle est dans la cuisine.

— Et c’est une cochonne.

Un gros soupir retentit.

— Si c’est pour faire des commentaires désobligeants sans arrêt, ce n’est pas la peine.

— Excuse-moi.

— Donc, Roberta est dans la cuisine et se fait un petit plaisir.

— Huhum.

Le bruit du frigo qu’on refermait attira son attention sur Lucas. Il ouvrit de grands yeux en voyant ce que son compagnon posait sur la table.

— Oh là, oh là ! Minute ! Qu’est-ce que tu espères me faire faire avec ça ?

— Ben, je viens de te dire…

— Il est hors de question que cette carotte ou ce concombre s’approchent de moi et de mon…

Lucas leva les yeux au ciel.

— Ce que tu peux être prude !

— Tu plaisantes, j’espère. Je crois que tes histoires de cul te montent à la tête.

Lucas s’arrêta un instant, une petite moue sur les lèvres.

— Mouais, peut-être. Bref, est-ce que tu peux faire semblant ? De toute façon, je n’attendais pas que tu le fasses pour de vrai.

Nathan soupira et attrapa la carotte que lui tendait son compagnon.

— Alors ?

— Tu prends la page cinq, quatrième scène.

Il tourna les quatre premiers feuillets.

— Bien, dit-il.

Il fit une sale tête en lisant les premières lignes, se demandant encore pourquoi il avait proposé d’aider Lucas.

« Scène quatre : La scène s’ouvre directement sur Roberta dans la cuisine, assise sur la table, elle se pénètre avec les légumes. Gros plan sur son visage et on descend pour découvrir ce qu’elle fait.

Roberta : Hum, oh, c’est bon, ah.

C’est alors que Paul entre dans la pièce. Roberta ne le remarque pas et continue à se masturber. Paul se déshabille et commence à en faire autant.

Paul : Hum, je vois que tu t’amuses bien.

Il s’avance.

Paul : Regarde, j’ai un gros concombre pour toi. Si tu veux, je te laisserai jouer avec, petite cochonne. »

Oh mon Dieu, mais c’était quoi ce dialogue ? pensa-t-il avant de continuer.

« Roberta : — Dialogue à trouver.

À trouver : que fait Roberta avant de laisser Paul la sauter ? »

Et il était payé pour… ça ? Nathan n’en revenait tout simplement pas. C’était nul ! En même temps, il avait rarement regardé des pornos hétéros, mais quand même. D’un autre côté, les pornos gay n’étaient pas vraiment plus glorieux.

— J’ai écrit tout le reste de la scène, précisa Lucas, c’est le départ qui me pose problème, alors si tu pouvais me montrer ce que ça donne pour que je voie si… enfin…

— Je refuse de…

— Je sais, juste, fais semblant.

Nathan soupira et ses yeux se posèrent de nouveau sur les pages qu’il tenait. Il y eut un silence, qui se prolongea.

— C’est quand tu veux, Nath ! grogna Lucas.

— Oui, oh, ça va, hein ?

Il soupira encore une fois, fusilla Lucas du regard. Il garda la carotte à la main, la posa sur son entrejambe et ne fit rien de plus. Il était hors de question qu’il mime l’acte.

— Hum, oh, c’est bon, ah, dit-il d’une voix monocorde et sans aucun enthousiasme, le tout en roulant des yeux pour bien montrer ce qu’il pensait de cette scène.

Il fut surpris lorsque les feuilles furent arrachées de ses mains et que Lucas sortit en trombe de la cuisine. Il sauta en bas du plan de travail et rejoignit son compagnon dans le salon. Celui-ci venait de reprendre sa veste.

— Quoi ? cracha-t-il.

— Écoute, si c’est pour y mettre aussi peu de bonne volonté, ce n’est pas la peine, franchement.

Il sentit la tension monter en lui, ses poings commencèrent à se serrer.

— Mais qu’est-ce que tu veux, bon Dieu ?

— Oh rien, Nath, laisse tomber.

— Mais putain, tu veux quoi ? Que je me mette cette carotte dans le cul et que je gémisse comme une nympho en manque ? demanda-t-il en brandissant le légume sous le nez de Lucas.

Il y eut un nouveau silence.

Laisser un commentaire