Un corps qui danse

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Hétéro, érotique, romance, photo, capoeira.

Résumé : Liz est subjuguée. Au point d’en oublier de prendre les photos. Mais c’est plus fort qu’elle, dès que ce jeune danseur de capoeira est apparu, elle a été envoûtée. Par la puissance gracieuse de ses mouvements, par les perles de sueur sur sa peau dorée, par son corps ciselé…Il s’appelle Flávio, et il embrase ses sens comme aucun homme avant lui. Alors, quand elle demande une autre séance photo avec la troupe de danseurs et que le responsable lui annonce que seul Flávio est volontaire pour servir de modèle, le cœur de Liz se serre d’excitation et d’appréhension. Mais le danseur a posé une condition : qu’elle porte une jupe…

Nouvelle sortie en numérique aux éditions Harlequin et en papier dans le recueil « OMG that’s hot ! ». En accord avec Harlequin, toute la première partie (20%) est publiée ici. Profitez-en pour découvrir le si sexy Flávio et sa relation avec Liz !

Un corps qui danse

Les conversations avaient repris depuis une bonne minute, mais Elise était encore figée, l’index crispé sur le déclencheur de son appareil. La voix de Paul lui fit soudain reprendre contact avec la réalité.

– Alors, Liz, ces photos ?

Elle tourna vers lui un regard qu’elle savait perdu. Le berimbau et l’atabaque avaient beau s’être tus et les musiciens être en train de ranger leur matériel, il lui semblait entendre encore leurs sons résonner à ses oreilles.

– Tu as pu faire ce que tu voulais ? insista-t-il.

Hagarde, Elise baissa les yeux vers son appareil photo. Son doigt était toujours en alerte, prêt à appuyer sur le déclencheur.

– Euh…

Puis, comme elle n’en avait aucune idée, elle émit un simple « oui ». C’était faux. Elle ne parvenait même pas à se souvenir quand elle avait pris sa dernière photo. Elle reporta son attention sur le plus jeune danseur. Tourné vers les autres membres de la compagnie, il avait posé la main sur sa poitrine et était encore en train de reprendre son souffle. Sous les éclairages de la pièce, sa transpiration luisait, accentuant la multitude de reliefs de son torse d’une manière non moins fascinante que lorsqu’il avait bougé. Elle entendit d’une oreille distraite le chorégraphe poser une question :

– L’exposition sera prévue pour quand ?

– Pour l’ouverture de la biennale de la danse, répondit Paul. Liz a l’habitude de travailler avec nous. Ça fait… quoi ? Six ans que tu couvres l’événement ?

– Oui, confirma-t-elle, incapable de détacher son regard du danseur.

– Ses dernières expositions ont eu énormément de succès. Tu prendras aussi des photos du défilé, je pense ?

Cette fois, Elise se força à pivoter vers eux, consciente que son esprit restait ailleurs.

– Oui ?

Elle pinça les lèvres : la note interrogative qui s’était glissée dans sa voix montrait trop nettement ses difficultés à reprendre ses esprits. Elle regarda le chorégraphe :

– Vous… Vous venez de Rio, c’est ça ?

– Oui.

– La troupe de Mike fera l’ouverture de la biennale, expliqua Paul.

Elle acquiesça, rêveuse. Quel spectacle aurait pu être plus parfait pour l’introduction d’un événement aussi prestigieux ?

Elle essaya d’imprimer le prénom du chorégraphe : Mike. Paul le lui avait présenté comme un Franco-Américain avec qui il avait travaillé à l’époque où il ne dirigeait pas encore l’opéra de Lyon. Mike avait depuis émigré au Brésil où il s’était spécialisé dans l’exploration des liens entre danse et arts martiaux. La démonstration de capœira à laquelle elle venait d’assister lors de cette répétition toute en puissance et en fluidité en offrait un témoignage stupéfiant.

Pensive, elle reporta son attention sur les danseurs. Ils étaient cinq, tous aussi impressionnants les uns que les autres, d’un âge et d’une morphologie proches, mais l’un d’eux se distinguait clairement des autres. Il était différent. Elle ne voyait guère d’autre mot pour le décrire, si ce n’était l’amas de superlatifs qui se pressaient dans sa tête et qui lui semblaient tous inadaptés, trop banals, trop communs pour qualifier le jeune homme qu’elle avait devant elle. Alors qu’il s’étirait, elle observa le roulement des muscles de son dos.

– Il y a combien de représentations de prévues ?

– Quatre, répondit Paul.

Une misère pour un spectacle aussi extraordinaire.

– Et après, vous allez à Paris ? reprit-il à l’intention de Mike.

– Oui. Puis l’Allemagne, l’Angleterre… On fera aussi un passage à Vienne.

Songeuse, elle se laissa aller à penser à voix haute :

– Quatre jours…

C’était si court ! Elle sentit la main de Paul se poser sur son épaule.

– Il t’intéresse ?

Elle regarda le danseur. Il n’était pas nécessaire de préciser de qui ils parlaient.

– Oui.

L’affirmation était sincère, et elle se sentit presque mise à nu. Elle avait toujours été franche avec Paul.

– C’est de lui que je t’ai parlé, chuchota Mike en lançant un regard entendu à ce dernier. Tu sais ? Ce gamin…

Sa curiosité grandit. Il n’avait plus vraiment l’âge d’être qualifié ainsi. A vue d’œil, elle lui donnait plutôt dans les 18-20 ans, mais il était compréhensible que les deux quinquagénaires qui se trouvaient à côté d’elle le considèrent comme tel… Et, d’une certaine façon, il en était de même pour elle : elle ne devait pas être loin d’avoir dix ans de plus que lui.

– Flávio ! cria ensuite le chorégraphe à l’intention du danseur, lui faisant signe de venir.

Celui-ci tourna la tête vers eux. Il avait un de ces visages frondeurs qu’ont parfois les adolescents, sombre, docile et sauvage à la fois. Après avoir saisi une serviette, il se dirigea vers eux. Elise suivit du regard les mouvements du coton sur sa peau tandis qu’il épongeait la sueur de son torse. En se rendant compte qu’elle avait toujours le doigt bloqué sur le déclencheur de son appareil, elle secoua sa main pour la décrisper. Paul demanda :

– C’est le gosse que tu as trouvé dans une favela ?

– Oui, confirma Mike.

Paul ajouta un « il a grandi » qui intrigua particulièrement Elise. Puis, comme elle s’était tournée vers eux, Mike précisa :

– Il dansait.

Il reporta son attention sur Flávio.

– Les gamins dansent souvent, là-bas, poursuivit-il. Tous les gamins dansent, au Brésil, mais ceux des favelas plus encore. Mais lui le faisait différemment.

Après un temps de silence, il murmura « déjà » et Elise y décela la même fascination que la sienne. Une fascination qui l’avait laissée figée, incapable de continuer à prendre des photos ou même de trouver les mots pour qualifier ce qu’elle voyait.

– C’était il y a combien de temps ? lui demanda-t-elle.

– Quatre ans.

Lorsque Flávio s’arrêta devant eux, elle en profita pour détailler de plus près son corps. Grand et élancé, il avait cette musculature saillante qui est le propre des danseurs : façonnée par des années de travail, de régime et de sueur, et la peau d’une teinte caramel qui tranchait de manière saisissante avec le pantalon de lin blanc qu’il portait bas sur les hanches. En s’attardant sur son visage, elle remarqua ses yeux clairs, inhabituels par rapport à sa carnation.

– Tu voudrais faire d’autres photos ? l’interrogea Paul.

Elle mit quelques secondes à répondre.

– Oui.

Elle était restée vraiment longtemps sans faire de clichés. Elle ne savait même pas ce qu’elle avait pu prendre.

– Ça ne te dérange pas ? s’enquit-elle.

– Bien sûr que non.

Puis Paul prit le chorégraphe par l’épaule et l’attira à l’arrière de la salle, si bien qu’elle se trouva seule avec Flávio. Plus loin, les autres danseurs les observaient, curieux ou… peut-être pas, finalement. Elle ne savait pas. Peut-être n’était-ce pas la première fois qu’ils assistaient à ce spectacle.

Elise jeta un regard autour d’elle, cherchant où se placer pour faire ses photos. Elle était déjà venue dans cette pièce, mais cela n’atténuait en rien la manière dont elle l’éblouissait. Située au huitième étage de l’opéra, la salle de répétition offrait le double spectacle de la vision de la ville et de l’armature métallique soutenant le toit semi-cylindrique –  celui qu’on voyait de l’extérieur et qui rendait identifiable l’opéra depuis tout le quartier de l’Hôtel de ville et la berge opposée du Rhône. Les longues baies vitrées donnaient sur les toits des bâtiments et sur le fleuve, sur ses remous gris qui revêtaient si aisément la teinte des jours de pluie.

– You…, commença-t-elle, cherchant comment expliquer ce qu’elle voulait en anglais.

Mais Flávio l’interrompit :

– Je comprends…

Elle posa son regard sur lui, le voyant plisser les lèvres, comme s’il hésitait sur un mot, puis il précisa :

– Le langue français : je comprends.

Elle sourit. Son accent était délicieux – à couper au couteau mais là résidait tout son charme. Elle réprima l’amusement suscité par cette adorable découverte et posa la main sur le bras de Flávio, sentant sa peau frémir au contact de ses muscles. Elle l’emmena un peu plus loin dans la salle.

– Il faudrait faire quelques poses immobiles, tâcha-t-elle d’expliquer. Tout à l’heure, ça allait tellement vite que j’ai loupé des moments et…

Elle s’arrêta. Mentir était stupide. Après une brève expiration, elle fit quelques pas en arrière en levant son appareil photo.

– Le moment, là, quand tu es sur un bras et touches tes pieds de l’autre, émit-elle en mimant vaguement la position.

Pour toute réponse, il lui adressa un sourire en coin et recula. En un instant, il reproduisit la pose. Elle resta subjuguée par le fait qu’il pouvait non seulement effectuer un tel geste mais aussi tenir ainsi sur la seule force de son bras le temps qu’elle prenne la photo.

Elle régla son appareil à toute vitesse et prit cinq clichés. Il revint sur ses pieds.

– Et maintenant…

Elle se déplaça autour de lui. Elle avait quinze images en tête. Vingt. Cinquante. En particulier le moment où il s’était tendu en arrière pour un saut en arc de cercle parfait avant de se réceptionner sur les mains et de rebondir plus loin. Après l’avoir demandé, elle réclama un autre mouvement : un saut acrobatique qui l’avait sidérée la première fois, tant il était monté haut dans les airs, et ce, sans le moindre élan. Il s’agissait d’ailleurs probablement de l’instant où elle avait cessé de le photographier, tant elle avait été captivée. Pour elle, il le refit et elle prit une rafale de trois clichés. Elle en reprit encore deux, tandis qu’il se redressait, puis deux autres alors qu’il essuyait la sueur de son front, deux nouveaux au moment où il porta à ses lèvres une bouteille d’eau pour en boire quelques gorgées. Un autre au moment où il lui jeta un regard de côté assorti d’un sourire en coin.

Ce fut ce qui l’arrêta. Elle laissa redescendre son appareil vers sa poitrine, gênée.

– Ça ira, décida-t-elle.

Elle jeta un œil dans la direction de Paul. Celui-ci lui adressa un sourire et elle se dirigea vers lui en tâchant d’éviter de se retourner de nouveau vers Flávio.

– Alors ?

– Ça ira.

Elle n’en savait strictement rien.

– Bon, on va vous laisser ! annonça Paul à Mike. Vous avez encore du travail.

Celui-ci hocha la tête et Elise suivit Paul en direction de la sortie. Avant de passer la porte, elle s’arrêta cependant. Durant quelques minutes, elle resta à regarder les danseurs répéter encore et encore chaque mouvement, tourner, sauter et enchaîner les sauts acrobatiques avec une telle énergie qu’elle lui aurait paru invraisemblable si elle ne l’avait déjà observée dans ce milieu. Et Flávio brillait au milieu.

Pegging Zach

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : F/M/M, pegging, légère domination féminine

Résumé : Zach avait toujours été son préféré. De tous ceux que lui ramenait Théo, il était celui qui l’intriguait le plus, probablement à cause de sa façon de se plier aux volontés de ce dernier. Et peut-être que cette fois-ci, il pourrait se plier aux siennes…

Source image : thecheekydragon. Fandom Teen Wolf.

Pegging Zach

– Attends…

Quand elle souffla ces mots, elle était déjà au bord de l’étourdissement, le corps gavé d’endorphines, le bas-ventre douloureux des présences successives des sexes de Théo et de Zach en elle, la tête lourde, la mâchoire engourdie, les muscles las et l’esprit embrumé.

Elle n’en pouvait plus ; elle en voulait encore. Elle ne réfléchissait plus vraiment, en réalité. C’était son sexe qui s’exprimait, ce besoin irraisonné qui ne s’éveillait que lors de l’acte charnel. Cette pulsion.

Elle posa ses mains sur le torse de Zach, le faisant ôter les doigts qu’il venait de plonger dans son entrejambe, quitter la moiteur de sa chair. Elle était vraiment usée, désormais, de ce côté-là. D’un geste, elle poussa sur son buste pour l’allonger sous elle. Elle le surplomba, conquérante.

– Je veux essayer un truc avec toi.

Zach était son préféré. Après Théo, bien sûr. Théo qui était « partageur », comme il le disait. Théo qui aimait plus la voir se faire baiser par ses potes que la baiser lui-même, à force. Du moins, était-ce ce qu’elle finissait par se dire. Théo qui n’avait plus de relations sexuelles avec elle sans qu’un autre mec les accompagne. Théo qui emmenait des types divers, mais aucun aussi souvent que Zach.

Et Zach était un si formidable jouet…

– Je peux te sucer ? souffla-t-elle.

Zach acquiesça silencieusement. Taciturne. Toujours. Discret, même dans l’expression de ses orgasmes. Elle persistait à espérer l’entendre un jour émettre plus que ces infimes feulements retenus qu’il lâchait au moment où il se répandait en elle. Souvent, seuls ses gestes trahissaient sa jouissance. Sa façon de resserrer les mains sur ses hanches, ses coups de reins plus lourds, moins maitrisés… Jamais il ne l’embrassait, jamais il ne manifestait quoi que ce soit verbalement – dans le sexe, du moins ; il savait parler, tout de même –, jamais il ne prenait vraiment d’initiatives, sinon incité par Théo. Seulement suivait-il Théo comme, à ce que disait ce dernier, il l’avait toujours fait.

Là…

Elle ouvrit la bouche sur sa queue, l’engloutit profondément, appréciant la manière dont Zach haussa imperceptiblement les reins : un geste brusque qui témoignait de son plaisir. Il ne posa pour autant pas les mains sur elle, se contentant de crisper les doigts sur les draps humides de transpiration. Quand c’était elle qui prenait le dessus, il était toujours ainsi : docile… Si curieusement offert.

Théo, adossé à la tête de lit, les observait.

Elle releva la tête, lécha, titilla le méat du plat de la langue.

Est-ce que je pourrais…

La question la démangeait mais elle n’osait pas la poser. Théo aurait répondu « oui », elle en était sûre. Théo voudrait voir ça. Pas sur lui, bien sûr, mais sur Zach… Oui. Quant à Zach… elle ne savait pas. Probablement aurait-il eu une réaction d’outrage, alors elle préféra ne pas demander.

Plutôt, elle le reprit dans sa bouche et avança très doucement les doigts de son entrecuisse.

Elle caressa ses testicules, les serra doucement… Théo les regardait toujours avec cette attention et cette assurance qui lui étaient propre, et qu’elle aimait chez lui : qui laissaient la place à l’imprévu, à la curiosité, mais gardaient cet aspect inébranlable qui la faisait se sentir libre, forte, à ses côtés. Zach était tout autre. Un peu trop soumis pour son propre bien, peut-être. Surement. Soumis à Théo, même quand il la baisait, elle.

Quand elle approcha son doigt de l’orifice reclus derrière ses testicules, Zach se raidit. Bien sûr. Il n’avait jamais fait ça, elle s’en doutait. Elle si, mais il y avait longtemps, avec un amant qui aimait ça, mais cette période était lointaine, désormais. Théo, lui, ne l’aurait jamais laissé approcher de son cul. Peu de mecs étaient prêts à l’accepter, de toute façon, et elle ne cherchait pas spécialement à les inciter. Ce n’était pas un besoin qu’elle avait. Mais avec Zach…

– J’ai vraiment envie d’essayer, dit-elle.

Le ton de Zach trahit sa nervosité :

– Quoi ?

Les mots se dérobèrent à sa bouche.

J’ai envie de t’enculer, pensait-elle. J’ai envie de voir ce que ça te fait d’être enculé par moi.

Ça faisait quelque temps que l’idée lui était venue d’essayer ça avec lui. Zach éveillait ça en elle, surtout. Cette soumission face à Théo qu’il avait, cette façon de suivre les désirs de ce dernier lorsqu’il la baisait… Elle voulait, elle-aussi, le baiser. Elle savait faire… Même si les places étaient échangées, désormais. Elle savait ce que c’était de sentir quelque chose entrer dans son cul.

– Des mecs aiment ça, dit-elle.

Après quelques secondes, elle précisa :

– Pas forcément homos.

Elle n’était pas sûre de bien s’exprimer. Elle ajouta, troublée :

– J’irai doucement.

Théo intervint :

– Tu veux lui mettre un doigt ?

Quand elle tourna le visage vers lui, elle vit que son expression était un mélange d’amusement et d’étonnement.

Elle hocha la tête. Zach ne disait plus rien. Théo avait pris la parole alors il ne dirait plus rien, désormais. Elle se demanda même à quel point l’intervention de Théo pouvait participer à son excitation : le savoir là, curieux de les regarder…

– Tu dois prendre ça, alors.

Et Théo se pencha sur le bord du lit pour attraper le tube de lubrifiant qu’ils avaient laissé de côté.

Elle le saisit. Quand elle reporta son attention sur Zach, elle put voir la confusion sur son visage, bien sûr, mais pas seulement. L’attente… La crainte, mais sans qu’il se défile. Il ne resserrait pas les cuisses, il bandait toujours dur et, peut-être… plus encore, même. Elle n’était pas sûre d’elle, mais son méat luisait d’un liquide qu’elle crevait de désir de lécher.

– Je vais continuer à te sucer, souffla-t-elle.

Et, tandis qu’elle le prenait dans sa bouche, elle enduisit ses doigts de lubrifiant. Après quelques va-et-vient, elle poussa tout doucement une phalange en lui. Zach se crispa, alors elle n’alla pas plus loin. Elle laissa juste son doigt-là et le suça plus fort, plus profondément… Elle brulait d’envie de continuer.

Elle releva le visage, retira sa phalange, mit plus de lubrifiant dessus. Elle en étala même entre les fesses de Zach. Maintenant, elle voulait vraiment entrer en lui.

– Ça sera bon, tu verras…

Zach pourrait aimer. Zach allait aimer. Elle en était sûre. Elle le voulait.

Elle recommença à le sucer puis poussa en entier son doigt en lui. Elle continua ainsi un moment, appréciant de sentir son sexe dans sa bouche tandis qu’elle explorait cet endroit en lui. C’était transgresser une règle, s’aventurer en un territoire interdit. Et c’était diablement excitant.

Il lui sembla trouver un point sensible. Elle insista dessus.

– Tu aimes ? souffla-t-elle, haletante, tandis qu’elle relâchait sa queue pour scruter son visage.

Zach ne répondit pas, mais ses yeux ouverts sur le plafond étaient brillants, son corps tendu et… oui, elle fit de légères caresses en lui, et elle le vit : le plaisir. Elle s’en sentit galvanisée.

Elle retira son doigt pour étaler plus de lubrifiant sur son index et son majeur. Elle en voulait plus.

Théo souffla :

– Tu vas lui mettre les deux ?

Il y avait désormais une forme de fascination dans son regard : pas juste de la curiosité, pas juste de l’amusement ; quelque chose au-dessus de ça.

– Oui.

Elle reporta son attention sur Zach. Ça l’embêtait qu’il ne s’exprime pas plus, mais il avait toujours été ainsi. Elle ne le connaissait qu’ainsi.

Elle tenta quand même :

– Tu es prêt ?

Théo quitta brusquement son appui à la tête du lit pour descendre vers eux. Il s’allongea juste à leurs côtés, la tête près des fesses de Zach, et il sourit.

– Je veux voir ça.

Elle attendit néanmoins.

Zach devait répondre au moins à cette question. Elle insista du regard, ferme. Il hocha la tête.

– Je vais faire attention à ne pas te faire mal, dit-elle alors.

Puis elle poussa doucement ses deux doigts. Cette fois, elle ne le suça pas. Elle le pénétra, juste, et observa le panel d’expressions qui défila sur son visage. Gêne, trouble, quelque chose d’éminemment torturé… de la pudeur bafouée. Et de l’excitation. Yeux ouverts vers le ciel, lèvres se décollant, recherche d’air, nuque qui s’étire…

– Tu aimes ? re-demanda-t-elle.

Elle voulait vraiment qu’il le lui dise. Elle voulait qu’il affiche autre chose que cette retenue silencieuse, un relâchement… un cri. Quelque chose.

C’était bizarre parce que, pour une fois, ce n’était pas elle qui était entre eux deux, ou entre Théo et un autre mec rencontré à l’occasion, ou que Théo connaissait déjà. Elle voyait Zach, mais elle avait l’impression de s’observer, elle. De contempler ce que les hommes devaient voir d’elle. De le regarder de la manière dont eux la regardaient. Curieux changement de point de vue, passage de l’autre côté du miroir. Et Zach… Oui, elle le voyait, Zach aimait ça.

Elle utilisa ses doigts comme un sexe, allant et venant dans son cul, cherchant à le posséder, désormais. Et à le posséder plus fort, plus loin.

Elle voulut mettre un troisième doigt, mais Zach se raidit immédiatement sous la pression. Elle retira sa main pour remettre du lubrifiant. Zach se redressa légèrement sur ses coudes, pantelant. Elle écouta les mots qu’il haleta avec l’attention suscitée par ceux qui ne parlent que peu :

– Ça va faire trop gros.

– Je ne pense pas.

Il suffisait qu’elle mette assez de lubrifiant et qu’elle y aille doucement. Mais Zach ne paraissait pas convaincu.

– Peut-être qu’avec un gode, souffla-t-elle, pensive.

Son cœur battit à cette idée, et il battit encore plus fort quand celle-ci se précisa. Ils en avaient plusieurs, avec Théo, de tailles diverses, mais elle avait surtout cet objet qu’elle avait acheté des années auparavant, et jamais utilisé. Qui trainait, depuis… Avec un gode tout fin, dont le diamètre ne dépassait guère celui de ses deux doigts… parfait pour l’occasion. Parfait.

– Attends.

Elle se leva, tremblante d’excitation. Elle ouvrit l’armoire puis le placard en son bas, et fouilla. Là, l’objet recherché se trouvait, encore dans son carton. Elle l’ouvrit. Oui, il était vraiment de la bonne taille. Oui, elle voulait l’utiliser. Elle revint vers le lit.

Elle ne croisa que quelques secondes le regard de Théo, mais en fut encouragée. Il l’observait sans surprise, juste avec une ombre d’amusement et… pas seulement. D’amour. Du jour où ils s’étaient rencontrés, Théo l’avait observée comme une curiosité distrayante. Il l’aimait vraiment, elle le savait, mais elle était à des années-lumière de ce qu’il avait connu auparavant. Elle le savait aussi. Ça ne les empêchait pas d’être complémentaires.

Elle fixa Zach.

Son pouls battait à toute vitesse, maintenant. Lentement, elle enfila le gode-ceinture, l’ajusta sur ses hanches… sur son clitoris, aussi. Le positionna juste comme elle le voulait. Elle se sentait vibrer et ne pouvait plus parler, elle non plus. Peut-être pouvait-elle comprendre, soudain, le silence de Zach : pourquoi, parfois, aucuns mots ne pouvaient être prononcés.

Elle saisit le lubrifiant pour en enduire largement le gode, puis grimpa sur le lit et en remis entre les fesses de Zach. Beaucoup. Puis elle lui écarta plus franchement les cuisses.

Et enfin, enfin, elle le pénétra. Zach se tordit, se tendit, lui offrit l’image fascinante de la lutte interne qui se jouait en lui… Cette gêne, cette excitation, cette défense, ce désir… Elle sentit la main de Théo sur son crâne en même temps qu’elle perçut son sexe tendu à proximité de son visage.

– Pas maintenant, dit-elle juste.

– Je suis excité, souffla Théo en lui caressant les cheveux.

Et c’était perceptible à tous les niveaux. Elle releva le visage vers lui.

– Pas maintenant, répéta-t-elle.

Elle se demanda ce qui excitait le plus Théo. La voir, elle, baiser son pote, ou voir son pote se faire baiser par elle. Comme elle s’était demandé, déjà, ce qu’il aimait le plus dans le fait de lui emmener des mecs : les regarder eux ou la regarder elle ? Ce n’était pas toujours si évident, et ça l’était encore moins avec Zach. Si elle avait pu paraître curieuse à Théo, elle avait toujours trouvé la relation entre Théo et Zach bien plus singulière. Leur relation à tous les trois l’était, finalement.

Cette fois, elle se pencha sur le visage de Zach, frôla ses lèvres. Ce n’était plus lui qui contrôlait, et pas non plus Théo. C’était elle qui avait le pouvoir. Elle qui était sur lui, en lui, elle qui surplombait sa bouche en l’instant… Elle qui voulait le faire crier.

Elle avait envie de l’embrasser, mais elle ne le fit pas. Lui ne l’embrassait jamais. Il y avait peut-être des raisons.

– Dis-moi si tu aimes, murmura-t-elle à la place.

Ça, elle voulait vraiment l’entendre.

Zach mit quelques secondes à répondre. Elle ne bougea pas, profondément enfoncée dans son cul. Puis il murmura :

– Oui.

Alors, elle ferma les paupières, et elle le posséda. Vraiment. Et, du relâchement induit par son aveu verbal s’ensuivit celui des soupirs de Zach. Elle s’en gava. De tout. De l’entendre ahaner, de le voir se tordre, de sentir le gode presser contre son clitoris à chaque fois qu’elle poussait en lui, et son souffle contre ses lèvres, et ses gémissements qui apparaissaient discrètement, et montaient… A force de coups de reins, elle l’emmena la nuque ballante au bout du matelas et eut la sensation qu’elle aussi pourrait succomber tant l’acte était excitant. Et elle le fit pour de bon, au moins psychologiquement, au moment où Théo les surprit tous deux en saisissant le sexe de Zach pour finir de le projeter vers la jouissance en quelques coups de paume savamment assénés.

Cette fois, Zach cria, et elle gémit de concert.

Elle finit en nage, troublée à l’excès, tremblante dans cette conquête qui lui laissait une curieuse satisfaction… Et un besoin de plus, encore, de plus…

Encore.

Zach gisait, le torse parsemé de gouttes blanches, peinant à reprendre son souffle.

Théo bandait dur. Elle ne considérait toutefois pas qu’il ait été privé. Il l’avait bien baisée, déjà, au début de la nuit. Il avait eu son lot d’orgasmes.

– Tu veux que je te lèche ? lui proposa-t-il.

Elle sourit. Elle l’aimait, elle le savait, même dans leur relation atypique, même sans savoir ce que serait le devenir de leur relation, mais elle se dit qu’elle l’aimait plus encore, sur le moment. C’était comme une explosion.

– Oui.

Peut-être que, la fois suivante, elle demanderait elle-même à Théo de faire venir Zach. Peut-être qu’elle l’enculerait de nouveau. Elle aimerait, en tout cas. Peut-être que ce pourrait être Zach qui se trouverait à sa place : entre Théo et elle. Zach aimerait ça, elle en était sure. Et peut-être que Théo pourrait aimer aussi.

Elle se débarrassa du gode-ceinture et écarta les cuisses à l’approche du visage de Théo.

– Embrasse-moi, dit-elle en tendant la main vers Zach.

La langue de Théo était sur son sexe et le plaisir l’envahissait.

– Embrasse-moi.

Elle n’attendit pas de réponse, elle tira la tête de Zach à elle, et apprécia la manière dont sa bouche s’ouvrit à son contact, et celle dont sa langue rejoignit la sienne, l’enlaçant doucement, avant de sombrer enfin dans la jouissance.

A un stade du plaisir

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : M/M, romance + érotique, rugby.

Résumé : Une rage folle. Voilà ce que ressent Josh depuis des jours, des mois même. Et pourtant, il devrait être aux anges : il a été sélectionné pour jouer dans l’équipe de France de rugby, son objectif depuis toujours, son rêve enfin à portée de main. Mais rien ne se passe comme il l’avait imaginé. Tout ça à cause de Damien Seval… Damien et ses cheveux retombant en boucles mouillées sur le front, Damien et son regard perçant, Damien et son corps aux muscles dessinés par les heures d’entraînement… Josh est plus troublé qu’il ne l’a jamais été – bien plus qu’il ne devrait l’être. Et plus les jours passent, moins il a la force de résister à la tentation. A moins que la seule façon d’avancer soit justement d’y céder ?

Roman sorti aux éditions Harlequin. Toute la première partie de ce roman est publiée ici, en accord avec l’éditeur. Profitez-en d’autant plus que l’histoire commence directement par une scène très hot !

A un stade du plaisir

Josh pénétra dans les vestiaires, comme ivre. Il n’adressa pas de regard à ses coéquipiers, n’interrompit pas son avancée lorsqu’il heurta des épaules, n’écouta aucune des interpellations qu’il provoqua. Il chercha sa serviette, son savon, l’isolement des parois de carrelage sombre où les sons se muent en résonnements.

Là, il se débarrassa de ses vêtements dans un coin, s’avança sous la douche, tourna le robinet, et laissa couler l’eau sur son crâne. Glacées dans un premier temps, les gouttes martelèrent son cuir chevelu, se déversant sur ses oreilles, sa nuque, son cou et les mains qu’il avait posées contre le mur. Longuement, il resta immobile, bras tendus et tête penchée en avant. Son corps tremblait d’épuisement mais le chaos dans sa tête ne se dissipait pas, ne s’engourdissait pas, s’accrochait à lui, s’engouffrait plus loin, comme pour le ruiner de l’intérieur. Puis la douche devint brûlante, brasier, et il recula la tête. Il ne régla le jet que pour le rendre le plus fort et le plus chaud qu’il pouvait le supporter. Enfin, il glissa les épaules sous l’eau et la laissa s’écouler à pleine puissance sur ses muscles usés, sur ses hématomes, sur ses contusions et sur la plaie encore douloureuse de son arcade sourcilière. Il releva même la tête pour la ressentir plus intensément sur son visage, comme si elle pouvait le laver, autant intérieurement qu’extérieurement.

En vain.

L’eau fit rougir sa peau nue, la décapant, imprégnant l’atmosphère de buée et le coupant du monde, remplaçant la réalité par un nuage liquide dans lequel rien ne pouvait le toucher, ni même l’atteindre. Au-delà, du côté du vestiaire, seul un brouhaha lui parvenait : des rires, des cris de joie, toute une liesse qui lui était lointaine. En d’autres temps, il aurait aimé partager avec ses camarades leur plaisir d’avoir gagné, mais même cet autre temps-là lui semblait désormais bien loin.

Il ne releva pas la tête lorsque d’autres joueurs entrèrent, ne les regarda pas, ne leur répondit pas. Il se contenta de laisser sa peau brûler, à défaut des pensées. Si seulement elles avaient pu cramer… Il attendit, la tête ailleurs, le cœur ailleurs, l’âme ailleurs, tout en lui compressé sous cette eau au pouvoir de laver et d’emporter, mais qui n’emmenait rien avec elle. Juste la brûlure sur sa peau. Juste le long écoulement sur sa chair. Il attendit que les autres joueurs finissent de se laver, que leur entraîneur s’en aille, que chacun reparte, que les chaussettes soient rangées, avec les shorts, avec les chaussures à crampons, que les T-shirts de ville remplacent les maillots, que les autres douches s’arrêtent de couler, que la pièce se vide et que les voix cessent de résonner.

Lorsqu’enfin le silence se fit, il coupa l’eau. Il ne ramassa pas sa serviette, pas plus que son savon. Il resta simplement appuyé des deux mains au mur, la tête si pleine qu’elle en était lourde, pendant lamentablement vers le sol, tandis que la buée continuait à s’élever autour de lui.

Soudain, de nouveaux pas se firent entendre à l’entrée de la douche et il tourna le visage pour découvrir le dernier joueur de l’équipe. Le seul qui n’était pas parti, celui que, plus que tout, il espérait voir, autant que ne plus jamais croiser. Celui qu’il aurait pu frapper, sur le coup, comme ça, de la manière la plus injuste qu’il soit. Juste pour évacuer son trop-plein de frustration ou, peut-être, pour se laisser aller à son envie de le toucher.

Son cœur battit plus fort dans sa poitrine.

Appuyé d’une épaule sur le rebord du mur délimitant l’entrée de la douche, Damien le fixait, avec cet air attentif qui semblait ne jamais vouloir quitter son visage lorsqu’il le regardait. Son short et son maillot étaient sales, comme un rappel du temps durant lequel il avait été retenu sur le terrain, sans doute par des journalistes ou des fans. Ce n’avait rien d’étonnant étant donné les prouesses qu’il venait d’accomplir ; attirer l’attention autour de lui devait être naturel pour Damien. Josh resta figé, ne sachant comment réagir, tremblant sous le maelström de désespoir et de rage qui avait pris place en lui.

– Qu’est-ce qu’il se passe ? lança Damien.

Josh le vit croiser les bras dans l’attente de sa réponse.

Il baissa les yeux. Il ne voulait pas parler. Du côté des vestiaires, aucun bruit ne venait, aucun chuchotement, aucun claquement de porte ou de placard, aucun froissement de tissus. Seul le silence, témoignant de leur isolement. Il releva le regard vers Damien et murmura :

– Rien.

Après quelques secondes de flottement, il détourna le visage pour fixer longuement le sol. L’eau s’écoulait à ses pieds, en de longues lignes sinueuses. Il n’entendit aucun son de pas derrière lui. Damien ne semblait pas décidé à s’éloigner.

Alors, il finit par se laisser rouler dos au mur pour lui faire face. Damien était parfaitement immobile, cette expression attentive toujours sur le visage. À cette vue, Josh sentit un rictus lui monter aux lèvres.

– Qu’est-ce que tu veux ?

L’agressivité de son propre ton le dérangea.

Damien le détailla, les sourcils froncés, comme s’il cherchait à lire en lui. Puis il haussa les épaules.

– Voir ce qu’il se passe…

Josh soupira. Il s’appuya plus nettement contre le carrelage de la douche derrière lui. Celui-ci était resté froid malgré la chaleur de l’eau, comme si le vide glacé qu’il diffusait depuis le mur répondait à celui qu’il percevait au fond de lui.

– Qu’est-ce qu’il y a ? insista Damien.

Il ne répondit rien. Son cœur battait vite et fort, et sa poitrine lui semblait sur le point d’exploser. Alors qu’il reportait son attention sur son coéquipier, il se sentit attiré par sa présence, d’une manière aussi douce qu’odieuse. Peut-être était-il simplement inconcevable que quiconque ne veuille pas contempler Damien… Parce que son regard sombre et ses mèches en bataille qui appelaient le passage de la main, et son corps puissant, et la force bouillonnante qui se dégageait de ses épaules, auraient fasciné n’importe qui.

Il n’y avait pas la moindre once d’arrogance dans le comportement de Damien : juste ce calme qu’il avait si souvent l’habitude de lui voir et qui, sur le moment, lui parut insupportable. Il laissa son regard glisser sur le corps de son coéquipier… Qu’il soit vêtu alors que lui se trouvait entièrement nu les mettait dans une situation d’inégalité désagréable.

Peut-être que rouvrir le robinet pour s’asperger d’eau glacée serait une bonne option.

– Casse-toi.

Damien ne répondit pas. Son regard le sondait, inquisiteur.

– Casse-toi ! répéta-t-il.

Mais Damien ne bougea pas. Il resta seulement là, à le fixer. Josh laissa aller sa tête en arrière, perdu. Pourquoi ne l’écoutait-il pas, bon sang ? Que pouvait-il bien se passer sous cette caboche obtuse ?

Josh ferma les paupières. Il ne savait plus ce qu’il devait penser.

– Casse-toi, dit-il de nouveau d’un ton plus froid, bien que trahissant trop à son goût le désespoir qui le tenaillait.

En entendant Damien répondre un simple « non », il eut vraiment envie de lui mettre son poing dans la gueule. D’une certaine façon, ce furent les sonorités chaudes de sa voix qui le retinrent.

– Laisse-moi, demanda-t-il enfin.

Cette fois, son ton avait tout d’une supplique.

– Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Josh eut un rire jaune. Quand il ouvrit la bouche, l’amertume suinta de chacun de ses mots.

– Qu’est-ce que ça peut te foutre ?

– Josh.

– Putain, mais barre-toi ! hurla-t-il, tandis que ses jambes se dérobaient sous lui et qu’il se laissait glisser au sol. Lâche-moi, juste…

Damien ne bougea pas.

Josh prit sa tête dans les mains, assis sur ses talons. Le frapper, oui. Sur l’instant, il était incapable de songer à une autre manière de réagir.

– Hé…

Voir Damien s’accroupir à ce moment-là auprès de lui fut l’expérience la plus attirante et la plus repoussante à la fois qu’il ait jamais vécue.

– Laisse-moi.

Ivre de souffrance, il chercha à se relever avec maladresse et se cogna violemment contre le robinet qui dépassait sur le côté de sa tête. La douleur fusa dans son crâne, intense, insupportable. Il chancela et se pencha en avant, pris de vertige.

– Merde.

Damien tenta de le prendre par l’épaule, mais il se détacha d’un mouvement brusque, fit un pas en arrière et faillit glisser sur le sol de la douche à cause de l’eau. Il passa les doigts sur sa tête, là où il sentait que son cuir chevelu le brûlait. Il réprima un soupir en découvrant leur pulpe rougie : il s’était rouvert la plaie recousue à peine deux semaines auparavant.

– Putain, souffla Damien en regardant sa main. Il faut que tu ailles te faire soigner.

– Non.

Il recula, manquant une nouvelle fois de se casser la figure. Lorsque Damien s’approcha de lui, il leva les mains par réflexe et le repoussa brutalement. Un geste libérateur, bien que cruel. C’était comme si un peu de la souffrance qui l’accablait s’envolait dans cette violence.

Malgré un mouvement de recul, Damien resta près de lui. Son visage se ferma seulement un peu plus.

– Arrête tes conneries, Josh.

– Va-t’en.

Il frappa de nouveau la poitrine de Damien, l’envoyant plus loin et mettant toute sa volonté à ignorer le pli amer qui incurva les lèvres de son coéquipier en réponse. Alors qu’il allait encore le pousser, celui-ci lui attrapa le bras et s’avança vers lui.

Josh tenta de s’écarter, blessé autant dans son amour-propre que par la conscience de sa propre connerie. Et surtout, voir Damien si proche de lui faisait se réveiller une blessure différente : celle du désir.

– Barre-toi, souffla-t-il de nouveau d’une voix qu’il sentit vacillante – mais qui était pourtant un avertissement, le plus fort, le plus ultime.

Son dos heurta le mur, lui faisant prendre conscience qu’il avait reculé.

– Non.

Alors, à cause de la colère, de la frustration et de tout ce qu’il ne pouvait pas exprimer autrement, son poing se crispa et, sans même qu’il ait eu le temps d’y réfléchir, partit vers le visage de Damien.

Quand le son sourd du choc résonna contre les murs de la douche, ce ne fut pas le regret qui envahit Josh, plutôt du désarroi, une perte de sens. Il regarda, haletant, Damien reculer en se tenant la mâchoire, tâchant d’encaisser le coup, tandis que son propre poing le lançait. Il se sentait perdu. La colère qui courait dans ses veines se mêlait à autre chose : un mélange d’envie, de peur et de curiosité.

– Putain, Josh, grogna Damien en frottant son menton. C’est trop te demander d’arrêter de faire le con ?

La culpabilité rampa dans son ventre, monta jusqu’à lui serrer la gorge, jusqu’à l’oppression.

Damien planta son regard dans le sien, plus dur cette fois, plus inquisiteur, mais il n’ajouta rien. Il se contenta de l’observer longuement.

– Va te faire soigner, lança-t-il au bout d’un moment.

– Non.

Josh sentait pourtant toujours la brûlure dans son cuir chevelu.

– Laisse-moi tranquille…

En prononçant ces mots, même lui pouvait sentir à quel point il était con, sur le coup, et à quel point il était incohérent, et à quel point il devait être une plaie pour tout le monde.

Que Damien se barre, après tout. Qu’il le laisse se vautrer dans sa souffrance et sa connerie.

Mais celui-ci s’approcha encore d’un pas et Josh ferma les yeux, un frisson le parcourut alors qu’il se plaquait contre le carrelage.

– Putain, lâche-moi…

C’était une supplique et il se détesta pour le désespoir qui perçait dans sa voix. Damien ne répondit pas. Alors, il tenta de nouveau de le repousser, mais son coéquipier résista. Le carrelage glissait toujours sous leurs pieds, Josh poussa plus fort, ils se battaient comme des idiots à présent et, soudain, il se sentit chuter. Son dos rencontra le sol dans un choc sourd, tandis que Damien le suivait bientôt, s’effondrant sur lui, ses genoux de part et d’autre de son corps. Et, parce que leurs corps s’échouèrent l’un sur l’autre et se pressèrent un instant, Josh éprouva ce qu’il aurait voulu ne jamais avoir à ressentir en une telle circonstance : une sensation brûlante qui se figea profondément dans son bas-ventre : de l’excitation.

– Merde…

Après un bref instant de désespoir, il se débattit pour tenter de se dégager le plus rapidement possible de ce contact qui lui était insupportable. La sensation des vêtements que portait Damien contre sa peau lui semblait invasive, comme marquant encore plus profondément sa propre nudité.

– Casse-toi, gronda-t-il.

Et, comme il ne savait pas comment l’éloigner de lui sans faire appel à la violence, il tenta de frapper Damien au visage mais celui-ci détourna la tête, et il n’atteignit que son oreille.

Damien se redressa d’un bond, les paupières crispées et un sifflement filtrant d’entre ses dents serrées.

Josh recula, mal à l’aise. Il allait se relever quand Damien l’en empêcha, le renvoyant au sol d’une main plaquée sur sa poitrine. Il se tenait toujours l’oreille.

– Tu ne bouges pas.

– Pourquoi ?

– Putain, Josh, tu saignes !

Confus, il sonda de nouveau son cuir chevelu : ses doigts revinrent avec une couleur rosée, le sang s’était dilué dans l’eau sur le sol de la douche.

– Ce n’est pas grave.

– Tu vas à l’infirmerie.

– Je ne crois pas, non.

Il réessaya de se lever mais Damien l’en empêcha une fois de plus. Sur une impulsion, Josh saisit le maillot de Damien et le tira vers lui. Leurs corps s’entrechoquèrent, mais il n’était plus question de trouble cette fois, ils n’étaient plus que colère et affrontement. Ils se battirent sur le sol jusqu’à finir haletants, Josh serrant encore le col du maillot de Damien dans sa main, tandis que celui-ci le surplombait. Josh sentit la tête lui tourner. Voir le visage de Damien au-dessus du sien, ses mèches brunes qui retombaient vers lui, la lueur confuse dans ses prunelles lui apparut comme trop cruel, soudain. Trop captivant. Il était absorbé par ce visage qui se trouvait si près de lui, si accessible et, d’une certaine façon, si dangereux aussi.

– Qu’est-ce que tu veux ? souffla alors Damien.

Et sa voix avait pris un ton nouveau, comme intime.

– Je…

Les mots s’écrasèrent dans sa gorge, incapables de sortir.

Son cœur battait à toute vitesse dans sa poitrine.

Damien se dressait au-dessus de lui, essoufflé.

– Putain, Josh…

Alors que leurs regards plongeaient l’un dans l’autre, hagards et brillants, Josh sentit la main avec laquelle il tenait encore le col de Damien trembler.

– Qu’est-ce que…, murmura de nouveau ce dernier, mais il ne finit pas sa phrase.

Il se contenta de rester au-dessus de lui, le noir de ses yeux comme dilué.

Puis, d’un coup, l’impensable se produisit, et les lèvres de Damien furent sur les siennes, douces, chaudes et exigeantes… et ç’aurait pu être le baiser le plus magnifique de sa vie, le plus formidable, le plus envoûtant, si une part de lui ne s’y était pas opposée brutalement.

Alors, instinctivement, il posa une main sur la gorge de Damien et il poussa. Les lèvres de son coéquipier s’arrachèrent aux siennes, le laissant avec une sensation de perte si forte qu’il aurait pu se tendre pour les recapturer. Mais, à la place, il ferma l’autre main en un poing qu’il envoya à travers le visage de Damien.

Le bruit du choc, sourd, des os de sa main contre la pommette de Damien, sonna odieusement à ses oreilles, et il sentit tout son bras se mettre à trembler.

Damien ne s’écarta pas. Il laissa juste sa tête tourner aussi loin que nécessaire pour encaisser le coup et s’arrêter un moment de côté. Lorsqu’il ramena son visage vers lui, son regard s’était chargé de souffrance et Josh sentit avec plus de vivacité encore la culpabilité grossir en lui.

Il reposa sa main sur le sol. Son corps se relâcha, rendant soudain les armes.

– Laisse-moi, murmura-t-il encore, douloureusement conscient que son attitude indiquait le contraire.

Au-dessus de lui, Damien resta silencieux, la pommette rougie et une expression dure sur le visage. Parce que cette fois encore, il ne l’écouta pas et parce que Josh avait épuisé ses réserves en matière de supplications, il se sentit devenir mauvais. Le provoquer lui apparut comme la dernière option possible et son ventre se creusa alors que du venin sortait de sa bouche :

– À moins que tu ne veuilles me sauter ?

Le mépris qu’il avait mis dans ces paroles lui arracha les lèvres, tant tout en lui se révoltait contre son attitude. Il persista néanmoins et alla jusqu’à étendre le bras au-dessus de sa tête en une position qui, dans son apparence offerte, n’en était pas moins agressive.

– Vas-y, alors.

– Tu fais chier, Josh…

Malgré son ton sec, Damien ne bougea pas. Son souffle était toujours rapide, court, un curieux miroir du sien.

– Vas-y, insista Josh, mais d’un ton moins assuré – un ton qui laissait resurgir la partie de lui-même qu’il aurait voulu oublier : celle qui, malgré toutes ses contradictions, espérait que Damien le prendrait au mot.

Épuisé, perdu, il laissa retomber sa tête sur le côté.

Au sol, des liserés d’eau luisaient toujours, reflétant les lumières de la pièce, et, plus loin, les quelques gouttes qui tombaient régulièrement d’un robinet mal fermé résonnaient dans le silence de la salle, comme pour renforcer la sensation de vide et d’isolement autour d’eux.

Damien posa une main sur son torse et Josh frémit, mais ne la repoussa pas. Il sentait son cœur battre puissamment contre cette main qui le touchait, puis redoubler encore de force lorsque Damien se pencha vers lui, son souffle effleurant son oreille. Des mots durs sortirent de sa bouche :

– Pas comme ça.

De dépit, Josh ferma les yeux. Lorsqu’il reprit la parole, ce fut de nouveau de la bile qui s’échappa de ses lèvres :

– Tu préfères par-derrière, peut-être ?

– Tu fais vraiment chier, répéta Damien, en s’écartant de lui pour se redresser.

Sa tenue était trempée et des traces de terre maculaient encore ses cheveux. Avec sa lèvre, gonflée là où son poing l’avait atteint, ça lui donnait un air défait.

– Lève-toi, ordonna Damien.

– Non.

– Putain…

Damien frappa le mur d’un coup si violent que Josh frémit. Puis il tourna le robinet et la douche se mit à cracher un jet puissant qui imbiba ses vêtements déjà mouillés et salis par le match et le sol.

De là où il était allongé, Josh le regarda se dresser sous l’eau, frotter ses cheveux et son cou, se débarrasser peu à peu de la boue et de la sueur qui le recouvraient encore.

Les doigts de Damien s’égaraient régulièrement sur son crâne, comme si torturer son cuir chevelu pouvait l’aider à remettre en ordre ses pensées. Lui aussi semblait perturbé.

D’un geste brusque, il ôta son maillot et laissa l’eau lui couler sur le dos. Il se tenait toujours face au mur et Josh contempla le trajet du liquide sur sa peau, le regarda parcourir ses muscles et glisser sur son short imbibé qui collait aux formes de son corps. L’image lui parut profondément sexuelle, bien qu’il ne s’agisse pas de la première fois qu’il voyait Damien à demi nu. L’intimité des vestiaires avait tendance à défoncer tel un bulldozer certains concepts, comme celui de pudeur. Mais s’il était honnête, il devait reconnaître qu’il avait toujours eu tendance à être happé par la vision du physique de Damien. En cet instant, il aurait pu être effrayé : son corps était attirant à l’indécence et il ne savait pas vraiment ce qu’il voulait. Et pourtant, c’était une autre émotion qui dominait : le désir. Un élan incontrôlable et puissant au point de rendre secondaires toute la rancœur et toute la souffrance qu’il avait pu éprouver. C’était comme si ces dernières se cumulaient au contraire pour rendre l’instant plus fort et le besoin plus désespéré.

Longtemps, il resta immobile, contemplant Damien, cet homme qui, bien malgré lui, était en train de causer sa perte. Lorsque celui-ci finit par se retourner, Josh sentit son excitation redoubler, douloureuse dans son corps comme dans son âme.

Damien le toisa.

– Qu’est-ce que tu as ? demanda-t-il d’un ton sec.

Josh laissa son regard partir dans le vague, là où la lumière des néons se reflétait sur l’eau. Il ne répondit pas.

– Lève-toi, le secoua Damien.

Josh resta silencieux, allongé au sol. Il était bien là où il se trouvait, sa tête ne lui faisait pas mal quand il la laissait posée et son esprit était trop engourdi pour qu’il puisse voir un intérêt au fait de se mouvoir. Peut-être que rester étendu était ce qu’il y avait de mieux à faire, finalement. Et ne plus jamais bouger.

– Je vais t’emmener voir le docteur, insista Damien.

Josh toucha précautionneusement son crâne. Il était toujours en train de saigner, bien que faiblement. Qu’est-ce qu’il foutait, bon sang ? Il aurait dû aller se faire recoudre depuis longtemps, mais la main que lui tendait Damien lui semblait impossible à saisir. Il ne pouvait ignorer le fait que son sexe était légèrement gonflé et cette conscience le blessait plus cruellement qu’aucune des plaies qui avaient marqué son corps au cours des années. Il se demanda si Damien s’en était rendu compte.

– Je croyais que tu voudrais me baiser, souffla-t-il, mais même lui ne savait plus s’il s’agissait d’une nouvelle provocation ou d’un témoignage de dépit.

Damien dut opter pour le premier sens car une expression amère se peignit sur son visage. Il passa une main lasse dans les mèches brunes qui lui retombaient sur le front.

– Je savais que tu étais con, mais pas à ce point.

Josh ne risquait pas de le contredire.

Alors que Damien lui offrait de nouveau sa main, il fit l’effort de la saisir.

Mais au lieu de se relever, il tira dessus, juste assez pour le faire tomber, appréciant de voir Damien chuter à quatre pattes au-dessus de lui.

– Putain, Josh…

Le torse de Damien se trouvait tout près du sien et il sentit les battements de son cœur, lourds et puissants, se répercuter dans sa propre poitrine lorsqu’il l’attira soudain contre lui.

Il attendit que Damien parle, mais aucun son ne sortit de sa gorge. Seuls leurs souffles s’accélérèrent, se répondant dans le silence. Finalement, ce fut leurs corps qui s’exprimèrent à leur place. Josh ferma les paupières en sentant son sexe se dresser plus nettement, puis se raidit quand il entra en contact avec celui de Damien. Leurs verges, à tous deux, étaient dures et la sensation de leurs membres se touchant à travers la toile trempée, si fine, qui les séparait provoqua en lui des décharges inattendues d’excitation. Pantelant, il plongea son regard dans celui de Damien.

Durant de longues secondes, brûlantes, ils restèrent ainsi, les yeux dans les yeux. Puis les lèvres de Damien se rapprochèrent des siennes – à peine – et Josh détourna le visage. Un réflexe, idiot, mais qu’il fut incapable de contenir. Un soupir las lui répondit, avant que le front de Damien vienne cogner contre le sol, juste à côté de son cou.

– Si tu ne le veux pas, dis-le, chuchota Damien.

Sous la caresse de sa voix, Josh ferma les paupières.

Instinctivement, il creusa les reins pour créer une pression plus marquée entre leurs deux sexes. Alors, Damien se pressa contre lui, avec des mouvements si proches de ceux de la pénétration que Josh appuya les dents sur sa lèvre inférieure, et ne la relâcha qu’avec un souffle tremblant, submergé par une vive excitation.

Il tourna le visage vers Damien et le contempla du coin de l’œil. Le front appuyé sur le sol, ses mèches brunes collées sur le carrelage, il arborait une expression attentive et, à la fois, curieuse. Il donna un nouveau coup de bassin et Josh se liquéfia, de longues traînées brûlantes se répandant dans son ventre. Lorsque les lèvres de Damien firent mine de se rapprocher de lui, il détourna pourtant encore une fois la tête.

– Merde.

Puis le corps qui le tourmentait s’écarta légèrement et une main s’enroula autour de son sexe, dure et épaisse – et brûlante sur sa chair qui n’était plus que désir, tandis que le souffle chaud de Damien s’infiltrait dans son oreille.

– C’est ça que tu veux ?

Quitte ou double (3)

Chapitre 3

La fraîcheur matinale et les premiers rayons de soleil ont raison de son envie de traîner au lit. Matthias remarque la place vide à ses côtés et se blottit davantage dans les bras qui l’enlacent. Le corps derrière lui réagit en resserrant son étreinte et il entend un bâillement qui se termine en grognement. Toni n’a jamais été du matin, quand bien même il a eu son compte de sommeil. Matthias retient sa moquerie et se tourne pour lui faire face sans se déloger de son embrassement. Il glisse une jambe entre ses cuisses et le bras autour de sa taille. Alors que Matthias s’apprête à parler, son ami le fait taire en lui collant le front contre son torse. Docile, il reste ainsi de longues minutes, avant de commencer à paniquer. Seuls dans le lit de Justin, les draps encore souillés de leurs ébats nocturnes — même s’ils ne se sont pas réveillés pour recommencer —, leur nudité ranime d’autres désirs à mesure que les images de la nuit lui reviennent en mémoire.

— Toni ?

— Tout va bien, rendors-toi, répond son ami à son ton affolé.

Il est bien tenté de le croire : il ne s’est jamais senti autant en confiance que dans les bras de Toni. Que ce soit quand il l’enlaçait pour le rattraper d’une chute, chaque fois qu’il essayait de tenir sur des patins, ou quand il le consolait après ses ruptures et autres disputes avec Justin. Pourtant, il a besoin d’éclaircir ce qu’il s’est passé. Surtout maintenant que les doigts de son ami frôlent la peau de son dos en des arabesques auxquelles son corps répond de manière obscène.

— Pourquoi Justin t’a demandé à toi ? Pourquoi tu as accepté ?

— Il ne revient que vers midi, on a le temps d’en parler, repose-toi, soupire Toni.

— Dors si tu veux, je me lève, décrète Matthias en se libérant de l’étreinte.

Il est surpris du froid qui l’agresse quand il pose les pieds au sol et lutte contre l’envie de retourner au creux de l’enveloppe chaude qu’était le corps de son ami. Toni s’étire bruyamment et se redresse sur un coude :

— D’accord, commence-t-il. Justin en a marre de vos jeux et est persuadé que tu craques pour moi. C’est son pari : quitte ou double. Soit tu te contentes de lui, soit tu romps et on finit tous les deux.

— Quoi ? Mais il n’a jamais…

— Et moi, le coupe Toni, si j’ai accepté sa proposition, c’est parce que j’y ai vu une bonne opportunité.

Matthias en perd la voix et se borne à afficher un air offusqué. Toni doit le trouver amusant puisqu’il ricane avant de reprendre :

— Ne le prends pas mal, mais Justin n’a jamais caché qu’il trouvait notre relation ambiguë, non ?

— C’est vrai, admet Matthias. La première fois que je l’ai abordé, il a cru qu’on était en couple et que je lui proposais un plan à trois.

Le souvenir lui provoque un sourire, mais l’écho entre cette rencontre et leur situation actuelle crée une sorte de malaise. C’est comme si, toutes ces années, Justin était resté sur cette impression.

— J’avoue, reprend Toni, que je me suis toujours demandé ce que ça donnerait nous deux si on dépassait le stade amical. Pas toi ?

— Je…

— Ne nie pas, le coupe à nouveau Toni, avant d’ajouter : pas après ta réaction d’hier.

— L’idée m’a déjà effleuré l’esprit, est obligé de concéder Matthias.

D’ailleurs, il a du mal à soutenir le regard de son ami pendant qu’il se confesse et lui est reconnaissant de leur épargner cette épreuve en se remettant sur le dos pour observer le vide. Ainsi, il peut détailler Toni à loisir sans avoir la crainte du jugement :

— J’ai eu un tas de fantasmes sur toi et c’était encore mieux en vrai, mais si Justin ne s’en était pas mêlé, je n’aurais jamais fait quoi que ce soit qui puisse gâcher ce qu’on a. Est-ce que, ajoute Matthias, en hésitant, quand il le voit se raidir, notre amitié ne te suffit plus ?

— Bien sûr que si, le rassure Toni, le troublant davantage.

Perplexe, Matthias attrape la bouteille d’eau ramenée pendant la nuit et en boit quelques gorgées, appréciant que la sensation pâteuse du réveil quitte sa bouche. Il remonte dans le lit et ramène le drap sur lui. La question qui lui brûle les lèvres l’effraie et il espère un signe de Toni qui lui éviterait de la poser. Toutefois, ce dernier laisse le silence s’étirer, les yeux rivés au plafond. Matthias prend une longue inspiration pour rassembler son courage :

— Je dois choisir entre toi et Justin ?

— Nous deux, ça serait du tonnerre, argumente Toni sans se détourner du point imaginaire qu’il fixe depuis tout à l’heure. On se connaît par cœur. Je n’envisage pas de gâcher quoi que ce soit, sans compter que tout le monde nous prend déjà pour un couple. Et puis, on a démontré hier que le sexe est génial.

Matthias ne sait plus ce qu’il doit dire. Il ne peut rien réfuter, sans pour autant oser accepter l’évidence. Doucement, il sent poindre de la colère : Toni est injuste de lui laisser porter la responsabilité de ce choix, surtout quand il semble si soudain et définitif.

— Tu exagères ! s’emporte-t-il. Hier, je me retrouve devant le fait accompli et là, tu me balances presque un ultimatum. C’est facile pour toi…

— J’ai rencontré quelqu’un, l’interrompt Toni en daignant enfin le regarder.

Le moins que Matthias puisse dire, c’est qu’il est soufflé. Toute cette comédie commence à ressembler à une farce. Il n’est plus sûr d’en comprendre l’enjeu, toutefois. S’il accepte la proposition de Toni, il blesse Justin et perd en quelque sorte son meilleur ami. Mais s’il refuse, il doute de pouvoir continuer à fréquenter Toni aussi régulièrement sans avoir l’impression de trahir à la fois son petit-ami et celui, potentiel, de son ami. Il déglutit et tente de paraître nonchalant :

— Comment il s’appelle  ?

— Nicolas. Il travaille dans l’une des succursales de ma boîte. On est sur le même projet depuis plusieurs mois et l’attirance est mutuelle. Je crois que je lui ai envoyé des signaux plus que confus parce qu’au début, je ne me gênais pas pour flirter. Et puis, Justin m’a appelé pour m’expliquer ce qu’il avait prévu. Il a dit vrai, tu sais : j’ai accepté sans hésiter. Après coup, j’ai réalisé que je ne pouvais pas continuer sur la même lancée avec Nicolas si je finissais avec toi. Je l’ai un peu évité depuis.

Les informations sont difficiles à digérer en quelques secondes alors qu’il s’agit d’une décision qui va affecter leurs vies. D’autant plus que Toni ne lui a pas donné un avis tranché sur la question.

— Au final, ça veut dire quoi ?

— Que nous deux, c’est naturel. Sans effort. Notre couple serait peut-être un cliché ambulant, mais il marcherait. Ceci dit, si tu aimes toujours Justin, il mérite une vraie chance. Lui et moi, on ne s’entendra jamais si bien que ça, mais je comprends mieux son attitude. Si cette idée lui trotte dans la tête depuis votre rencontre, je pense qu’il a intériorisé beaucoup de choses à ton égard. Et j’ai Nicolas qui devrait se remettre du chaud et froid que je lui ai soufflé ces dernières semaines. Il habite loin, ne te connaît pas encore. Ce sera plus facile de construire quelque chose avec lui sans l’ombre de notre amitié.

Matthias trouve un intérêt soudain à la contemplation du plafond et il comprend mieux, lui aussi, le comportement de Toni. Ce dernier attend sa décision, mais ne le presse pas ; il lui laisse le temps d’y réfléchir. Il pourrait encore se plaindre de la lâcheté de son ami, cependant il se rend compte que celui-ci ne veut pas lui arracher un accord. Leurs options sont exposées et Toni est prêt à suivre Matthias quelle que soit celle qu’il préfère.

— Et si ça ne marche pas ? le relance Matthias.

— C’est plus risqué pour moi que pour toi. Justin m’a l’air bien décidé à te garder si tu restes.

— On va se voir beaucoup moins.

Ce constat fait réaliser à Matthias que son choix est fait. Toni et lui se sont toujours aimés et il serait aisé de tomber amoureux. Pourtant, Justin a aussi une place particulière dans son cœur et, malgré les crises qu’ils ont traversées, Matthias n’est pas prêt à tourner cette page de sa vie.

— Ça demandera une période d’ajustement, lui répond Toni. Justin finira par nous faire confiance. Surtout si je ne joue plus l’éternel meilleur ami célibataire. Quant à Nicolas, il ne saura rien de cette nuit et je ne te le présenterai que si c’est vraiment sérieux.

— Tu sais ce qui craint ?

— D’avoir un plan de secours en cas de rupture ? ironise Toni.

— Ouais, ça aussi. En fait, la seule chose à laquelle je pense, c’est que j’ai loupé l’occasion de goûter à tes talents en matière de fellation. Justin avait l’air aux anges.

L’éclat de rire à ses côtés l’étonne puis le rassure : leur relation est trop solide pour s’entacher de gêne après cet écart. Sa surprise ne s’arrête toutefois pas là puisque Toni soulève le drap pour venir s’agenouiller entre ses cuisses. Matthias l’interroge du regard et sursaute quand les doigts de son ami s’enroulent autour de son sexe. Son érection matinale, fanée depuis un moment, reprend de la vigueur. Un rapide baiser est déposé sur ses lèvres.

— Sans regret, tu n’auras aucune excuse pour foirer les choses avec Justin.

La réponse de Matthias s’étouffe dans un gémissement quand la langue de Toni s’attaque à son aine. Ce dernier navigue d’ailleurs longuement de son pubis à ses testicules en ignorant la verge qui réclame son attention. Matthias tâche de le convaincre en glissant les doigts dans ses mèches brunes et l’encourage d’une pression dès qu’il le sent frôler son gland. Il finit par se cogner l’arrière du crâne dans le mur devant l’entêtement de son ami à nier son désir.

Un soupir stupéfait lui échappe quand les lèvres se referment enfin sur son membre et coulissent en douceur jusqu’à sa base. La tête monte et descend à un rythme lent entre ses cuisses. Toni lui offre un souvenir d’une incroyable douceur. Matthias se noie dans ces sensations et baisse le regard sur Toni pour graver le moindre détail dans sa mémoire. La combinaison de ces stimulations le met en sueur. Il écarte davantage les jambes et se crispe sous l’affluence du plaisir. Soulagé, Matthias laisse échapper ce qui ressemble à un sanglot lorsque l’orgasme le terrasse enfin, plus puissant que ceux qu’il a connus suite à d’autres fellations. Son sperme gicle contre le palais et la langue de Toni, trace amère de leur secret matinal.

Il s’est douché, les draps sont changés et le repas a refroidi. Matthias vérifie la pendule pour constater que Justin a près de deux heures de retard. Comme il est chez son petit-ami, il se doute bien qu’il a juste à patienter pour le voir revenir, mais l’attente se fait longue. Surtout que Toni est parti en avance pour ne pas risquer de le croiser. Leur séparation n’a pas été différente de leur habitude : ils se sont promis de se revoir bientôt, même s’ils savent que plusieurs mois vont s’écouler avant de pouvoir tenir parole. Durant ce laps de temps, ils se contenteront de communiquer par technologies interposées.

La porte s’ouvre enfin et Matthias se tourne vers l’entrée. C’est bref, mais Justin se détend soudain en le voyant : ses épaules retombent légèrement et ses paupières se ferment une seconde de trop tandis qu’il laisse échapper un soupir de soulagement. Ce constat serre un peu le cœur à Matthias ; il n’imaginait pas combien il avait causé de souci à son petit-ami. Justin est le deuxième homme de sa vie et Matthias est déterminé à faire en sorte que leur relation fonctionne cette fois. Il se lève et se dirige vers la cuisine :

— Tu as faim ? J’ai préparé des pâtes, je peux te les faire réchauffer ou…

Deux bras qui l’enlacent par derrière lui coupent le souffle.

— J’ai envie de toi, murmure Justin d’une voix tremblante.

Matthias lui saisit les mains pour lui faire desserrer sa prise et se retourne pour l’embrasser. Le geste de réconfort qu’il veut tendre devient presque rageur alors que Justin le pousse et tente de le faire basculer sur le canapé, sans y parvenir.

— Attends, on va au lit, lui propose Matthias.

Puis, voyant le regard hésitant que jette Justin vers la chambre, il ajoute :

— J’ai changé les draps.

À ces mots, les réticences de Justin semblent s’apaiser et il se laisse entraîner puis déshabiller avant de s’étendre en travers du matelas. Après leur soirée et sa séance matinale, Matthias craint de ne pas pouvoir achever ce qu’il entreprend, cependant il tient à faire plaisir à son compagnon. D’autant que le voir si fragile, lui qui respire habituellement l’assurance, est assez perturbant — et touchant, il se doit de l’admettre. Matthias a l’impression de découvrir une nouvelle facette de son petit-ami, bien loin de l’aplomb insolent dont il faisait preuve la veille. Cela lui donne envie de le réconforter et il se demande depuis quand Justin peut bien masquer ses véritables sentiments. Malgré une pulsion protectrice, Matthias ne veut pas lui faire de promesses vaines. Déjà, ils doivent repartir sur des bases saines. À son tour, il ôte ses vêtements et s’allonge tout contre le corps offert, le recouvrant en partie. De ses mains, il prodigue des caresses qu’il espère apaisantes pour calmer l’affolement du rythme cardiaque qu’il sent sous ses lèvres quand il embrasse le cou de Justin. Celui-ci est crispé. Sa respiration est hachée, comme s’il se retenait de l’étreindre à l’en étouffer. Ou de pleurer. Matthias pose un doigt sur sa mâchoire et le force à le regarder. Les cernes et les yeux rouges lui confirment que son petit-ami est épuisé.

— Est-ce que tu as dormi ?

— À ton avis ?

Au regard fuyant de Justin, Matthias comprend ce qu’entendait Toni quand il lui a dit que son petit-ami méritait une vraie chance. Celui-ci lui a donné une opportunité de le quitter, d’en choisir un autre que lui et s’est rendu malade à l’idée de rentrer dans un appartement vide. Certes, il s’en est fallu de peu pour que ce soit le cas et Justin doit en être conscient. Le risque est qu’il se montre hostile envers Toni, ou qu’il cède à tous les caprices de Matthias de peur de le pousser dans les bras de son prétendu rival. Or, Matthias veut éviter cette attitude à tout prix. Il a quelques remords à l’idée de mentir à Justin, mais il doit calmer ses craintes pour que sa relation avec Toni ne soit plus considérée comme une épée de Damoclès.

— Toni et moi, on se connaît depuis des années et je sais que notre complicité peut paraître ambiguë. Mais, entre nous, il n’y a jamais eu le moindre malentendu. On est de très bons amis, mais ça ne dépasse pas ce stade. Je n’avais jamais eu envie de coucher avec lui et je n’ai pas l’intention de recommencer.

— C’est ce qu’il a dit aussi.

Matthias devine à la façon amère dont Justin s’exprime qu’il n’est pas si naïf. Si Matthias ou Toni n’avaient jamais eu de désir latent, l’un d’entre eux aurait refusé cette soirée. Et ils n’y auraient certainement pas pris autant de plaisir. Justin a bien vu leurs réactions et Matthias sait qu’il n’est pas dupe. Cependant, Matthias fait mine de rien et reprend ses caresses pour distraire Justin. Ce dernier encourage ses attouchements en posant une main sur la sienne, la forçant à descendre plus bas. Là où son petit-ami est impatient, lui préférerait prendre son temps et le persuader de sa sincérité.

— Dépêche-toi, Matt, je veux te sentir en moi.

— On n’est pas pressés. Tu peux te reposer. Je reste là.

Les mots rassurants n’ont aucun effet : Justin ne l’entend pas de cette oreille et écarte les jambes, se collant de son mieux contre lui. Matthias finit par céder, se plaçant plus confortablement entre ses cuisses. Néanmoins, il n’a pas le lubrifiant à portée de main et son érection est bien trop timide pour lui permettre de pénétrer son petit-ami, aussi se contente-t-il de simuler l’acte, faisant frotter, l’un contre l’autre, leurs sexes en un rythme brutal. Sous les coups de reins secs et rapides, Justin semble satisfait et se jette sur sa bouche. Au bout de plusieurs minutes, le baiser se fait moins violent, tout comme les déhanchements de Matthias. Leurs corps moites s’apaisent, même si la jouissance leur restera interdite pour l’heure, et c’est haletant que Justin pose ses conditions :

— Il n’y a pas qu’Antonin. C’est devenu trop difficile et je ne peux plus faire semblant de m’en moquer quand je te vois avec un autre homme, Matt.

— J’ai compris le message, ne t’en fais pas. Finis les plans foireux, je m’en tiens à toi.

Il n’ajoute pas que Justin aurait dû lui en parler plus tôt, parce qu’il n’est pas évident que sa réponse aurait été la même avant leur aventure de la veille ou sa discussion avec Toni de ce matin. Ils roulent l’un contre l’autre, Justin cherchant le contact de sa peau. Malgré la chaleur qui irradie de leurs corps, Matthias rabat la couette sur eux et se colle un peu plus contre Justin. Les yeux mi-clos, il joue avec les boucles blondes et sent leurs respirations ralentir, tous deux plongeant lentement vers le sommeil. Un reniflement amusé lui fait hausser les sourcils.

— Je déteste cet appartement, avoue soudain Justin.

La remarque peut sembler innocente, mais Matthias comprend que c’était vraiment un moyen qu’avait trouvé Justin pour le tenir éloigné de chez lui. Il se contente de répondre d’un simple « Moi aussi ».

Ils échangent un regard complice et Matthias voit le coin de la bouche de son petit-ami se relever en un demi-sourire, faisant poindre cette fossette taquine qu’il affectionne tant. Malgré des semaines à venir qui risquent d’être compliquées, Matthias est confiant. Certes, des ajustements sont à faire et il sait qu’ils ne seront pas à l’abri de disputes teintées de ressentiment. Toutefois, quand Justin dépose un baiser léger sur son torse et repose la tête sur son épaule, Matthias resserre son étreinte dans un réflexe protecteur. Sentir le poids familier contre son corps est plaisant et il réalise qu’il s’en est fallu de peu pour qu’il perde Justin. Savoir Toni disponible pour le consoler n’est pas si rassurant au final. À chaque souffle de Justin sur sa peau, Matthias est conforté dans son choix. Le nez plongé dans les boucles blondes, il finit par s’endormir à son tour.

Sexy World

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Hétéro, érotique, romance, science-fiction, réalité virtuelle.

Résumé : Mais qu’est-ce qui lui a pris d’accepter de participer à ce fichu test ? Frédérique savait bien, pourtant, que les Réalités Interactives, ces divertissements nouvelle génération qui manipulent vos neurones et vos sens, n’étaient pas pour elle. Si elle a accepté, c’est pour Lionel, le beau programmateur dont elle désespère d’attirer l’attention. Être propulsée en tête à tête avec lui dans un monde virtuel spécialement conçu pour être le théâtre de tous les fantasmes, voilà qui promettait d’être l’occasion idéale pour tenter un rapprochement. En théorie. Parce qu’en pratique, elle se retrouve toute seule, perdue au beau milieu de ce qui s’annonce être une immense orgie, le tout dans un état d’excitation très troublant. Il faut vraiment qu’elle retrouve Lionel…

Roman sorti aux éditions Harlequin. Toute la première partie (20%) de ce roman est publiée ici, en accord avec l’éditeur. Profitez-en pour le découvrir ! Si vous aimez les réalités virtuelles et les scènes sexy, cette histoire est pour vous.

Sexy World

Quand son supérieur eut fini de formuler sa demande, Frédérique dut appuyer sa pile de cartons contre l’étagère à côté d’elle pour ne pas la faire tomber.

– Mais… pourquoi moi ? lança-t-elle avec une expression d’incompréhension.

André lissa la barbe fine qui recouvrait son menton, comme s’il réfléchissait à une manière de lui présenter les choses.

– Parce qu’il faut un joueur féminin, commença-t-il. Tu sais que ça fait partie des paramètres que va prendre en compte le système.

– Oui, bien sûr, mais…

– De toute façon, vu le projet, c’est plus cohérent.

– Euh, hésita-t-elle. Oui, enfin…

– Écoute, trancha-t-il en levant la main, je ne te force pas. Jusqu’ici, les programmateurs ont toujours fait les premiers tests eux-mêmes, mais ce coup-ci, il n’y a pas le choix : il faut deux personnes et deux personnes de sexes différents. Et tu sais bien qu’il n’y a pas de femme parmi eux…

Comme il ne disait plus rien, elle inspira avant de lâcher un profond soupir.

– Mais pourquoi de deux sexes différents ? insista-t-elle. Je veux dire : même pour un test ? C’est obligé ?

André lâcha un petit rire avant de répondre.

– Si ça marche, on étendra bien sûr le système aux personnes du même sexe, mais là on essaye déjà de voir si le système fonctionne. Ce sera la première fois que deux personnes différentes se trouveront dedans ! Et qu’elles pourront interagir l’une avec l’autre ; c’est extraordinaire !

Vu la complexité des démarches juridiques et des dépôts de brevets qu’elle avait à gérer à ce sujet, elle était bien placée pour le savoir. André poursuivit :

– Pour commencer, il a été paramétré pour un couple hétérosexuel. Il faut considérer qu’on en est encore aux premiers essais.

Frédérique fit la moue. Bien qu’il ait déjà prononcé ces mots auparavant, André ne pouvait rien dire de moins rassurant que « premiers essais » : l’un comme l’autre de ces mots suscitaient en elle une inquiétude incontrôlable. Elle reporta son attention sur les étiquettes des étagères et commença à ranger ses cartons aux bons emplacements.

– Et pourquoi pas Catherine ? tenta-t-elle soudain. Ou l’une des filles de l’accueil : Sophie ou Marie-Agnès…

– On le leur a déjà demandé.

– Et elles ont dit quoi ?

– Elles n’ont pas donné leur réponse pour l’instant. Ceci dit, comme elles ne sont pas célibataires, je ne sais pas si elles seront d’accord.

Frédérique se tourna brusquement, estomaquée.

– Ne me dis pas qu’il est censé se passer quoi que ce soit entre les deux testeurs ! Qui est l’autre d’abord ?

– Mais non ! Enfin, Fred, ce n’est qu’un test !

André riait, comme si elle venait de dire une énormité… Elle pinça de nouveau les lèvres en une mimique boudeuse.

– Certes, reprit-il, l’application est pour la Saint-Valentin, mais c’est juste pour le test : personne ne va vous demander de vous embrasser ou de faire quoi que ce soit de déplacé. Tu sais bien comment ça marche : un cadre, un rendez-vous, une découverte des lieux et des activités… c’est tout. Et, pour répondre à ta deuxième question, c’est Lionel qui a décidé de s’y coller.

La grimace de Frédérique fut déjà moins dubitative. Pour le coup, le « rien de déplacé » lui parut presque dommage finalement. Elle rangea son dernier carton et s’appuya d’une main à l’étagère.

– Je peux te donner ma réponse plus tard ? Je sais que tu vas me dire que ce n’est pas risqué, mais ça me stresse quand même. Tu sais que je ne suis encore jamais entrée dans une réalité interactive – et je sais que ça fonctionne bien, hein ? – mais l’idée d’être la première personne à essayer un nouveau programme de RI qui, en plus, fait interagir deux personnes…

Elle souffla avant d’ajouter :

– Le tout pour une histoire de Saint-Valentin…

Le silence qui suivit exprima mieux que des mots à quel point ce que lui demandait André la dépassait.

Celui-ci sourit.

– Tu sais bien que s’il y avait le moindre risque, les programmateurs ne demanderaient jamais à un autre membre de l’entreprise de jouer au cobaye, argumenta-t-il.

Fred accueillit sa remarque d’une mine peu convaincue. Ça faisait cinq ans qu’André et elle bossaient ensemble et, bien qu’il soit monté en grade récemment pour passer sous-directeur, ils avaient gardé suffisamment de complicité pour qu’elle se permette de rester sincère avec lui. Il reprit finalement la parole :

– Bon, pas de souci. Je comprends tes réticences et je ne te demande pas de répondre tout de suite, de toute façon, Lionel a encore des réglages à faire donc tu peux prendre le temps de réfléchir. Ceci dit, il voudrait quand même faire un premier test avant la fin de la semaine. Du coup, il va falloir que ça aille vite. Tu pourras me donner ta réponse genre… après-demain au plus tard ?

Frédérique se figea, les yeux écarquillés.

– Euh… Oui, balbutia-t-elle finalement en levant les mains dans un geste de reddition qui ne masqua rien de son agacement.

– Parfait.

Puis il tourna les talons.

À peine André eut-il quitté la pièce que Fred laissa tomber sa tête vers l’avant, dépitée.

Certes, la réalité interactive ne présentait pas réellement de risques, elle le savait. Tout le monde trouvait ça génial et elle aussi, mais uniquement tant qu’elle pouvait rester à son poste de juriste et observer cette merveille de technologie de loin. Sa boîte fonctionnait impeccablement, elle gagnait plus que bien sa vie, les gens venaient de toute l’Europe pour tester les nouvelles réalités interactives de Realistica et son entreprise vendait même ses programmes sur les autres continents. Là-dessus, il n’y avait rien à dire. Tous les clients ressortaient plus que satisfaits – pour ne pas dire « extasiés » – et les expériences étaient apparemment si réalistes que personne ne paraissait choqué par le fait que l’appellation « réalité interactive » ne correspondait en fait en rien à une quelconque réalité : c’était le contraire même. Mais, en ce qui la concernait, le simple fait d’essayer la paniquait ! Elle n’avait simplement pas envie qu’on se branche sur son système nerveux, pas envie qu’on implante des courants électriques dans ses neurones, et sûrement pas envie de se retrouver dans un monde que seuls ses nerfs assimileraient comme existant. L’aspect intrusif de cette technologie la dérangeait énormément et, quoi que puisse en dire André, le fait que les programmateurs tiennent systématiquement à tester d’abord eux-mêmes les nouvelles créations avant de faire appel à des cobayes extérieurs montrait bien qu’elles n’avaient rien d’anodin.

Et, en même temps, elle devait reconnaître que l’idée de passer du temps en tête à tête avec Lionel dans un décor de Saint-Valentin prévu pour être le summum de l’expérience interactive ne lui aurait pas déplu. Et puis, pourquoi ne pas faire ce petit effort pour arranger tout le monde ? Elle aimait bien André, elle aimait bien son taf, elle… « aimait bien » aurait été un euphémisme pour parler de Lionel : elle bavait sur lui chaque fois qu’elle le croisait dans les couloirs et elle avait une fâcheuse tendance à minauder bêtement les rares moments où il levait le nez de ses ordinateurs pour bavarder avec elle. Pour ce qui était de savoir si elle serait une crétine de refuser de vivre une telle expérience avec quelqu’un comme Lionel, objectivement comme subjectivement, il n’y avait pas trop de doute. Concernant la réalité interactive… c’était un autre problème.

Elle soupira avant de sortir son portable d’un geste nerveux et de regarder l’heure. Non seulement elle n’aurait jamais le temps d’abattre la masse de travail qui lui restait, mais, avec cette histoire, elle ne savait même plus où elle en était. Dépitée, elle repartit vers le couloir, l’esprit envahi de questions.

***

Lorsqu’elle regagna son appartement, il faisait déjà noir dehors. En ces heures d’automne, la nuit tombait tôt et les phares des voitures dessinaient de longues traînées rouges et jaunes le long du bitume de sa rue. Elle n’alluma pas, se contentant des lueurs colorées que la ville projetait sur ses murs, et jeta son manteau sur son canapé avant de balancer ses chaussures dans l’entrée. Puis elle se servit une tasse de thé et étendit les jambes sur sa table basse tandis qu’elle ouvrait son ordinateur portable sur ses cuisses. Rapidement, elle consulta ses e-mails. Quarante-sept non lus… Un de ces jours, elle devrait absolument faire le tri dans ce qu’elle recevait. Elle se connecta aux réseaux sociaux et vit immédiatement qu’elle avait reçu un message privé de sa sœur :

Salut, Fred !

Je monte sur Paris le week-end prochain, tu seras là ?

Elle porta sa tasse à ses lèvres, appréciant la chaleur de son breuvage. Sa sœur était toujours en train de vadrouiller à droite et à gauche et, même si elle passait toujours la voir en coup de vent, Fred l’adorait et se faisait systématiquement un plaisir de l’accueillir. Elle reposa son thé pour pianoter sur le clavier.

Encore besoin de squatter chez moi ?

Elle but une gorgée. Le message suivant ne se fit pas attendre. Mélinda était une accro de son smartphone.

Bien deviné, Mathias veut absolument tester la nouvelle RI de Realistica. Il paraît qu’on peut aller dans la Rome antique ???

Eh oui, tout était possible dans le monde magique de Realistica… Mélinda et Mathias avaient beau habiter à deux heures de Paris, ils ne résistaient jamais bien longtemps à quitter leur campagne pour venir essayer les nouvelles créations de sa boîte. Elle fit de nouveau courir ses doigts sur le clavier.

Oui, ils ont aussi ajouté l’Égypte et la Grèce dans la catégorie « Antiquité ». C’est tout neuf et paraît-il que c’est très bien.

Mel réagit au quart de tour.

Et tu n’as toujours pas testé ?

Fred sourit. Ça l’amusait souvent de converser avec Mélinda par message privé. Il leur aurait été aussi aisé de s’appeler au téléphone, mais Fred appréciait la distance et la praticité du clavier d’ordinateur.

Non. Tu me connais. Ça ne me dit pas…

Dis plutôt que ça te fait flipper.

C’est ça.

Elle accueillit avec une caresse son chat qui sauta à ce moment-là sur son canapé. Elle ajouta ensuite, dans une pulsion :

Enfin, ça risque peut-être de changer.

Mais elle effaça son message avant de l’envoyer. Lourdement, elle reposa la nuque sur le dossier du canapé. Elle ne savait pas en fait… Peut-être que Sophie ou Catherine donneraient leur accord avant elle et la question serait réglée. Elle était incapable de décider si elle préférerait que ça se passe ainsi ou si elle aurait des regrets. C’était vraiment une mauvaise blague que Lionel se soit porté volontaire pour le test. Elle grattouilla les oreilles de son chat, avant de se décider à écrire :

Je t’ai parlé de ce mec de mon service, qui bosse sur les programmations ?

La réponse de Mélinda ne se fit pas attendre :

Lequel ? Celui sur lequel tu craques ? Si oui, tu m’en as déjà parlé, je confirme !!!

Un petit sourire se dessina sur ses lèvres. Mel avait le don de la taquiner toujours juste là où il fallait. Elle corrigea :

Ouais, enfin, je ne craque pas TOTALEMENT sur lui non plus, hein ? Disons qu’il est plaisant à regarder.

Le smiley « clin d’œil », pas dupe pour un sou, que lui envoya sa sœur, l’amusa de nouveau.

Bref, le département conception a créé une nouvelle RI, pour la Saint-Valentin… Et ce sera lui qui va la tester, mais ils ont besoin d’une femme pour l’accompagner.

La réponse de sa sœur arriva aussitôt.

Ouahou !!! Ne me dis pas qu’ils te l’ont proposé ? Une toute nouvelle RI ! Pour la Saint-Valentin ! Et tu vas être la première à la tester !!!

Tout sauf la réaction que Fred aurait voulu voir, quoiqu’elle s’y soit attendue, venant de sa sœur. De toute évidence, même le sujet « tête-à-tête avec collègue inaccessible en temps habituel et honteusement sexy » ne valait pas tripette devant celui de « nouvelle expérience de RI ». Sex-appeal de l’expérience interactive : 1 ; Lionel : 0. Sa sœur continua :

Mais, mais, ça veut dire que, ça y est, le système dont tu m’as parlé pour y entrer à deux est fonctionnel ? Mais c’est incroyable !!!

Pour sûr que ça l’était !

Et vous pourrez, genre, vous toucher ? Vous entendre ? Interagir l’un avec l’autre ???

Fred cessa de caresser le chat. Elle tapa rapidement sur son clavier :

Normalement, oui. Enfin, personne ne dit que ça sera vraiment possible, ou que ça marchera correctement non plus, hein ? Ça ne va être qu’un test. Et, si ça se trouve, ça ne fonctionnera pas. Et…

Après un temps d’hésitation, elle laissa tomber son envie d’exprimer ses peurs et se contenta de cliquer sur « envoi ».

Mais enfin, quand même, ouahou ! Tu vas être la première à vivre ça ! Je n’arrive pas à y croire tellement c’est fou…

Sûr…

Fred n’aurait pas pu se sentir plus seule avec les craintes qu’elle éprouvait. Elle passa les doigts sur son front.

Bon, allez, à ce week-end. Tu me diras quand vous venez.

Puis elle éteignit son ordinateur portable et le posa sur la table. De lassitude, elle se laissa tomber sur le canapé et s’y allongea.

Au bas de sa rue, les voitures allaient et venaient, projetant des lumières qui glissaient sur les murs de son appartement, et leurs moteurs créaient un ronflement familier. Ses paupières se fermèrent tandis que ses pensées dérivaient. Des images y apparurent, des situations, des scénarios… Malgré l’angoisse qu’elle éprouvait, toutes les histoires que tissait son esprit quant à cette expérience avec Lionel se révélaient d’une profonde ambiguïté. Elle soupira longuement et posa la main sur sa poitrine, effleurant les pointes douces de ses seins à travers ses vêtements. Le visage tourné de côté, elle sentait sa poitrine se lever et se rabaisser doucement, dans un rythme régulier.

Alors que ses songes s’orientaient vers une sensualité plus débridée, elle fit courir ses doigts sur son corps, caressant son ventre, puis les laissa rejoindre la chaleur accueillante de son entrejambe où ils se nichèrent, chassant le stress de la journée en le remplaçant par quelque chose de plus doux et de plus apaisant.

***

Le lendemain matin, Fred fut surprise de voir la tête de Lionel passer par la porte de son bureau.

– Salut. Je peux entrer ?

Elle baissa la liasse de documents qu’elle était en train de lire.

– Bien sûr.

– Je viens te voir pour le projet « Saint-Valentin », lui expliqua-t-il en avançant. Tu sais ?

– Oui… J’ai vu André hier. Il m’a dit que vous cherchiez quelqu’un.

– C’est ça.

Lionel posa les mains sur son bureau et prit une longue inspiration comme s’il cherchait comment lui présenter les choses. Fred se raidit, nerveuse. Lorsqu’il releva les yeux sur elle, elle se sentit troublée. Le fait que ses pensées nocturnes aient tout eu du petit Kama Sutra illustré avec lui n’était pas là pour l’aider en même temps. Elle anticipa ce qu’il pourrait dire en prenant la parole :

– Je sais que vous avez besoin d’un membre de sexe féminin…, reconnut-elle en s’enfonçant dans le cuir de son fauteuil, prenant ainsi une légère distance avec lui. Mais cette histoire de test me stresse.

Elle le fixa dans les yeux.

– Tu sais que je ne suis même jamais entrée dans une RI ? poursuivit-elle.

– Je sais, confirma-t-il avec un sourire marquant son amusement.

Le fait que Fred puisse bosser dans ce domaine sans avoir jamais fait l’essai d’aller elle-même dans une réalité interactive était un sujet de boutade régulier, au travail. Pas une réunion de service ne se passait sans qu’il y soit fait allusion et ça faisait longtemps qu’elle avait pris l’habitude de se faire charrier à ce sujet.

Il reprit une expression plus sérieuse et fixa quelques secondes ses mains.

– André m’a dit que tu avais peur. Je le comprends, il n’y a pas de souci à ce sujet. Après, tu sais, ce ne sera pas comme si tu devais y être seule : je serai là. C’est moi qui ai le plus bossé sur ce programme, je le connais comme ma poche. Je gérerai.

– Je sais, mais…

Elle passa les doigts dans ses cheveux en un geste las. Lorsqu’elle replongea dans le regard de Lionel, elle dut batailler pour ne pas lui montrer à quel point il la perturbait. Elle se demanda également s’il était allé voir ainsi tous les membres féminins de l’établissement ou si elle avait droit à un traitement de faveur.

– J’aimerais beaucoup que tu acceptes, insista-t-il.

– Je…

– Allez…, poursuivit-il dans un sourire désarmant.

– Bon, OK ! capitula-t-elle avec un rire nerveux. OK, OK. Il est prévu pour quand, ce test ?

– Cet après-midi ?

– Déjà ?!

Elle avait eu à peine le temps d’accepter qu’elle commençait à le regretter.

Lionel lui répondit d’un haussement d’épaules assorti à une mimique amusée. Elle inspira profondément.

– Eh bien… soit !

– Super ! Alors, va pour cet après-midi. Je vais prévenir les autres et on passera te chercher quand tout sera prêt.

Puis il repartit vers le couloir, l’abandonnant sur le « on » qu’il avait employé et qui lui laissa la désagréable sensation de s’être fait avoir.

Elle mordilla quelques secondes son stylo. Puis elle se leva brusquement.

– Lionel ! cria-t-elle une fois qu’elle fut dans le couloir.

Il se retourna.

– Je…

Elle hésita mais n’osa pas revenir sur l’accord qu’elle venait de lui donner ; la gêne la paralysait, ses mots restaient coincés dans sa gorge, comme les nombreuses fois où elle avait voulu tenter d’avoir avec lui plus que des rapports professionnels.

– C’est censé durer combien de temps, au total ? se décida-t-elle finalement à lui demander. Parce que j’ai beaucoup de choses à faire.

– Ce sera aussi du boulot, tu sais, lui lança-t-il avec une expression bienveillante.

Elle pencha la tête de côté en faisant la moue.

– OK. Je comprends. Eh bien, écoute, euh…

Il posa la main sur l’arrière de son épaule dans un temps de réflexion.

– Une fois dans la RI, ça devrait durer dans les deux heures, mais en temps réel, il ne se passera guère que cinq minutes. Ça, c’est défini. Par contre, les préparatifs seront plus longs que d’habitude. Du coup, je dirais… une demi-heure ? Tout compris, temps réel. Ça t’ira ?

Fred considéra mentalement ses dossiers en cours.

– D’accord, je me libérerai. Vers quelle heure ?

– Disons entre 14 heures et 15 heures. Ça sera bon ?

– Oui.

Elle tapota une seconde sur le montant de la porte.

– Oui, ça ira, répéta-t-elle.

Puis elle retourna dans son bureau, anxieuse, pensive et, d’une manière inattendue, curieusement fébrile.

Quitte ou double (2)

Chapitre 2

Un bruit de plastique crépite non loin de son oreille, mais il n’en comprend la nature qu’un instant après. Le poids de Justin sur lui se décale légèrement et Matthias sursaute à la sensation froide qui enveloppe soudain son sexe bandé. Malgré tout, la lingette que son petit-ami utilise pour le nettoyer ne suffit pas à calmer ses ardeurs. Son orgasme n’a en rien soulagé sa tension à ce niveau ; le lent mouvement de bassin de Justin lui fait prendre conscience qu’il est déjà fin prêt à recommencer. Il écarte les cuisses pour permettre à Justin de se caler entre elles, mais il obtient l’effet inverse. La main sur son sexe le relâche, le corps se soulève et Matthias gémit sa frustration. Toutefois, il n’a pas le temps de geindre davantage : Justin joue de sa langue et de ses lèvres pour suçoter son gland. Alors, Matthias lève les bras au-dessus de sa tête et soupire d’aise, se cambrant pour inciter son petit-ami à le satisfaire sans le taquiner davantage. À nouveau, il est déçu et se redresse vivement sur ses coudes pour exprimer sa façon de penser à son bourreau. Ses arguments — sa colère, même — meurent au bord de ses lèvres quand il manque de percuter la tête de Toni. Soudain, Matthias ne ressent plus l’urgence entre ses jambes. Le contact de l’épaule de son ami contre la sienne et la main que ce dernier vient de poser sur sa hanche laissent entrevoir une perspective autrement plus palpitante. Cette proximité inédite l’étourdit autant qu’elle l’embarrasse.

— Tourne-toi.

Le son rauque l’enveloppe et il n’est pas certain de savoir qui lui a donné l’ordre. En revanche, son corps ne semble pas disposé à obéir : il se trouve bien où il est. Du bout des lèvres, Matthias découvre le cou de Toni. Sa clavicule. Sa pomme d’Adam. Quand il arrive à son menton, il ne se contente plus de chastes baisers : il lèche sa peau et trépigne à l’idée de sa langue contre la sienne. Une sorte de grognement et les doigts qui tirent sur son bassin le font sortir de sa transe.

— Mets-toi sur le côté.

C’est donc la voix de Toni qui prend des accents aussi graves. À contrecœur, Matthias s’exécute. L’espace d’un instant, il panique quand son ami descend du lit, mais Justin lui lance un petit regard moqueur avant de reprendre sa tâche précédente. Matthias ne peut que gémir en signe d’approbation maintenant que son petit-ami se fait pardonner son attitude de la plus délicieuse des manières. Lorsque les doigts lubrifiés de Toni viennent caresser son orifice, il hoquette de surprise. Plaçant un bras sous sa tête pour être bien installé, il se fait quasiment dorloter par les deux autres hommes. Justin le suce avec un plaisir évident tandis que Toni s’applique à détendre son muscle anal. Au vu de son excitation du moment, il doute que son ami ait fort à faire ; il est même tenté de l’inviter à le prendre sur l’instant. Toutefois, Matthias trouve agréable de les observer. C’en est apaisant et cela va peut-être lui permettre de tenir plus longtemps. Sa sérénité est rompue quand son regard accroche celui de Toni. Il n’est pas nécessaire de le connaître pour y lire de la pure concupiscence. Matthias l’a déjà vu draguer, quasiment faire l’amour sur une piste de danse ou même ressortir des toilettes d’un bar après avoir tiré un coup ; jamais, pourtant, il n’a vu cette intensité dans son regard. Savoir qu’il est celui — avec Justin ? — qui provoque cette réaction le rend fébrile. Une vague de chaleur le submerge et il sent ses testicules se durcir. Toute stimulation supplémentaire est à bannir s’il ne veut pas jouir dans la seconde.

— Vas-y, souffle-t-il à Toni, tout en tirant en arrière la tête de Justin.

Le premier ne se fait pas prier, ôte les doigts de son corps et prend appui sur sa fesse pour avancer son membre couvert à l’entrée de son orifice. Quant à Justin, il saisit son genou pour lui lever la jambe et embrasser l’intérieur de ses cuisses. À cet instant, Matthias ne peut se focaliser que sur le sexe qui le pénètre et la langue qui chatouille son aine. Quand Toni est entièrement en lui, Justin revient lécher la pointe de sa verge. Et lorsque celui-ci fait glisser ses lèvres pour l’avaler sur toute sa longueur, l’autre se recule de quelques centimètres pour revenir taper de son bassin contre ses fesses une poignée de secondes après. Les sensations sont trop extrêmes pour lui et le rythme a tout juste le temps d’accélérer que Matthias perçoit l’orgasme sourdre en lui. Demander à ses amants de ralentir pour qu’il puisse se retenir devient impossible et ses émotions débordent. Un coup de reins un peu plus prononcé et un de langue sur son gland trop sensibilisé et Matthias étouffe un sanglot en jouissant. Les mouvements en lui, sans se stopper, ralentissent et, malgré ses yeux humides, il constate que Justin s’essuie le visage de sa semence. La panique envahit alors Matthias. Pouvoir passer de l’extase à la catastrophe en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire est étonnant, mais il fixe tour à tour ses ami et petit-ami, cherchant à deviner ce qu’ils pensent de lui.

— Désolé… Désolé, Justin, je…, bégaie-t-il avant de tourner ses excuses vers Toni. Je tiens plus longtemps normalement. Je sais pas pourquoi aujourd’hui…

Ses propos incohérents sont interrompus par une morsure sur son mamelon. La douleur est brève, mais elle a le mérite de lui faire oublier momentanément ses craintes. Celle d’avoir agacé Justin qui n’apprécie en aucun cas les éjaculations faciales. Celle de paraître ridicule auprès de Toni à cause de ce manque d’endurance — surtout après avoir déjà joui quelques instants auparavant. Il retrouve un semblant de clarté dans ses idées quand le sexe de Toni s’échappe hors de lui :

— Non  ! Continue.

Malgré sa supplique, son ami secoue la tête et tend le bras vers le pied du lit. Matthias est affolé, mais Justin le plaque sur le dos et vient se placer à quatre pattes au-dessus de lui. Cette fois, Matthias redoute vraiment de l’avoir mis en colère. Le baiser lui coupe le souffle autant qu’il le surprend. Justin rompt leur embrassade aussi vite qu’il s’est jeté sur ses lèvres :

— Quelle honte, lui reproche-t-il, laissant Matthias perplexe.

— Je sais que je suis pitoyable. Tu m’aides pas vraiment, là.

— Tu rigoles ? Putain, c’est un des trucs les plus chauds que j’ai vus. Je pourrais m’habituer à te voir pleurer de plaisir.

— T’es dérangé.

— Peut-être, admet Justin dans un sourire avant de regarder par-dessus son épaule et de faire un signe de tête à Toni.

Matthias se penche sur le côté juste à temps pour voir un nouvel emballage de préservatif plonger vers le sol, puis entend le sifflement d’inconfort de son petit-ami. A priori, ce dernier n’a droit ni à une courte préparation ni à une pénétration en douceur. Matthias se demande si Toni est impatient à cause de sa frustration ou si c’est une façon de leur faire comprendre que sa présence n’est qu’une faveur pour Matthias. Celui-ci prend Justin en pitié et capture ses lèvres tout en passant une main entre eux pour aller le masturber.

Bientôt, la chambre est emplie des soupirs satisfaits des deux hommes et du bruit de leurs peaux qui claquent. Si Matthias n’est pas encore d’attaque pour se joindre à eux, il ne boude pas son plaisir. Du regard, il dévore le corps de Toni en pleine action, sans savoir s’il pourra un jour être rassasié de cette vision. Un peu jaloux de Justin qui supporte bien mieux que lui les assauts de Toni, il aime cependant sentir son petit-ami tremblant contre lui, l’embrassant à perdre haleine. La langue de celui-ci ralentit et il se recule, la bouche entrouverte et le souffle suspendu, puis pousse un râle, presque animal. Matthias sent le membre pulser sous sa paume et le sperme se répandre entre eux. Ils échangent un nouveau baiser, mais son autre poignet est saisi, ce qui le fait se détourner au bout de quelques secondes. Toni s’est rapproché et enroule leurs mains autour de sa verge. Elle est encore chaude d’avoir été en Justin, malgré la fine protection. Matthias laisse son ami imposer le rythme pour sa libération, fasciné par la façon dont leurs doigts s’entrelacent sur ce morceau de chair qu’il n’aurait jamais imaginé toucher. Matthias se penche de côté pour approcher son visage et Justin en profite pour venir lui faire un suçon dans le cou. Il ne se crispe qu’un instant, mais la pression involontaire de sa main a raison de Toni, qui n’évite de projeter sa semence sur ses joues qu’en s’appuyant contre les draps dès la première giclée.

Matthias peine à reprendre son souffle bien qu’il n’ait pas fait tant d’efforts ; son cœur cogne dans sa poitrine d’une cadence affolée. Justin se laisse rouler sur le côté et s’étire contre son flanc tandis que Toni s’étale à leurs pieds, en travers du matelas. L’ambiance enfiévrée semble se calmer à mesure que leurs respirations se font moins laborieuses et Matthias laisse la somnolence de la satisfaction l’emporter.

La torpeur lui permet de récupérer des forces sans pour autant négliger les présences qui l’entourent. Matthias perd la notion du temps, mais la brume dans laquelle baigne son esprit se dissipe. S’il est persuadé de ne pas s’être endormi, sa peau se couvre de frissons et il remarque que la nuit commence à tomber ainsi qu’ils ont tous trois retrouvé un souffle paisible. Au moins trois heures se sont donc écoulées depuis son arrivée. La réalisation de leur situation menace de balayer son calme, comme la vague de désir a brisé ses faibles résistances de départ. Savoir les deux autres si sereins après ce qu’il vient de se passer est assez perturbant ; Matthias ne saurait dire si c’est un signe de bon ou mauvais augure. Quand Toni lui chatouille les orteils, Matthias retient un rire nerveux et ramène les genoux vers le bord du lit pour se lever :

— Qui a soif  ?

— Laisse, j’y vais, l’arrête Toni.

Matthias veut insister, mais Justin l’a de nouveau attiré contre lui et promène les mains sur sa taille tout en léchant sa nuque. Sortir de la pièce aurait pu lui aérer l’esprit et il soupçonne les deux autres d’agir de la sorte afin d’éviter qu’il ne se sauve. Justin n’a aucun souci à lui vider la tête de toutes ces réflexions ; il le connaît trop bien et chacune de ses caresses vise ses points sensibles. Le dos contre le torse derrière lui, Matthias se détend et tourne la tête pour caler son visage dans le cou de Justin et respirer son parfum.

Du bout des doigts, son petit-ami frôle sa peau et Matthias ferme les yeux sous ce toucher léger. Il y a bien longtemps qu’il ne s’est plus senti aussi serein dans les bras de Justin. Il y a bien longtemps que ce dernier ne s’est pas montré aussi tendre avec lui. C’est un peu comme s’il redécouvrait le corps de Matthias. Celui-ci lève paresseusement un bras pour passer la main dans les boucles qui viennent lui flatter le front. Justin se penche à son oreille et sa respiration a un accroc : comme s’il voulait lui dire quelque chose, mais il s’abstient et préfère lui grignoter le lobe. Alors que les minutes s’égrènent, que les mains de Justin réchauffent son corps nu, la même scène se répète. Matthias sait qu’il y a un malaise derrière cette tentative chaque fois avortée de communiquer, mais il n’a pas envie d’y faire face dans l’immédiat. L’absence de Toni est soudain pesante et il prie pour un rapide retour. C’est d’ailleurs étrange qu’il s’éternise tant dans la cuisine.

— Toni  ! l’appelle-t-il.

Derrière lui, Justin se raidit et enfonce les doigts dans ses hanches. Un instant après, une troisième main vient prendre sa joue en coupe :

— Je suis là, lui souffle son ami. Je vous laissais juste un peu d’intimité.

Les appliques au-dessus de la tête de lit ont été allumées et Matthias fixe Toni avec surprise. Il n’avait même pas remarqué sa présence dans la chambre, mais sa rapidité à lui répondre prouve qu’il était tout proche. Sous une impulsion, il passe les bras autour du cou de Toni et le force à approcher son visage. Son ami ne se défend pas — ne prend pas d’initiative non plus. Ils ne sont plus qu’à un souffle de s’embrasser et Toni ne semble pas vouloir combler l’espace. Décider et assumer ce choix lui reviennent donc et Matthias hésite. Ce n’est pas l’envie qui lui manque, au contraire. Un peu plus tôt, si Toni ne l’avait pas distrait, il l’aurait fait sans même y penser ; cependant la chaleur des sens est quelque peu retombée. Et s’il cède et se penche, Matthias ne pourra plus prétexter s’être laissé entraîner par les deux autres. Le regard de Toni, obscurci par le désir, le fait craquer et, d’une simple pression de ses lèvres, il sent son univers basculer. Quand leurs langues s’enroulent, ses certitudes volent en éclat.

Justin passe un doigt le long de sa colonne, le griffant gentiment par endroits, tandis que Toni s’occupe de son ventre et de ses cuisses, ne faisant qu’effleurer son entrejambe. Matthias gémit dans la bouche de son ami ; il aime être au centre de leurs attentions et se cambre sous leur toucher. Il se complaît dans ce rôle d’intermédiaire. Justin et lui ne partagent pas un amant occasionnel : c’est lui qui se partage entre son petit-ami et son meilleur ami.

L’excitation renaît et son désir s’enflamme une nouvelle fois. Ses hanches reprennent vie, frottant son sexe à celui de Toni. Un râle rauque roule dans sa gorge, lui donnant l’impression de ronronner, quand Justin le pénètre de deux doigts et que Toni capture leurs verges dans son poing. Matthias a les yeux fermés, mais il ne doute pas que les deux autres ont trouvé un moyen de communiquer pour s’assurer une telle synchronisation. Il savoure les sensations qui le submergent. D’un côté, il est caressé doucement et embrassé avec l’hésitation et la passion de la nouveauté. De l’autre, il semble être marqué sur sa peau et dans sa chair par les dents et les doigts de son petit-ami, douleur exquise infligée par celui qui connaît son corps par cœur. Les stimuli sont efficaces et Matthias a depuis longtemps oublié qu’il pouvait se servir de ses mains autrement que pour s’accrocher au cou de Toni.

Toujours sans paroles, celui-ci et Justin s’accordent sur leur prochain mouvement et Matthias se laisse déplacer à l’envi. Il n’est plus qu’une vulgaire poupée de chiffon soumise à leur volonté et s’en trouve comblé. Justin s’assoit contre le mur, en haut du lit, et l’attire vers lui. Matthias s’avance à quatre pattes et honore la demande non formulée quand, de son pouce, Justin lui dessine le contour des lèvres tout en lorgnant vers son propre sexe. Alors, Matthias s’abaisse et prend conscience des différences entre son petit-ami et Toni. Il n’y a pas prêté attention plus tôt et songe vaguement qu’il va regretter de s’être précipité jusque-là. De sa langue, il humidifie le membre bandé, s’amuse à sucer et faire glisser entre ses dents la peau du prépuce, puis engloutit le pénis sur presque toute sa longueur, la toison blonde lui chatouillant le nez. C’est à ce moment qu’il s’aperçoit qu’il était trop focalisé sur ses sentiments contradictoires pour vraiment profiter des sensations. Il ne se souvient déjà plus du poids du sexe circoncis de Toni contre sa langue, de la douceur surprenante de son pubis rasé. Une exclamation de plaisir au-dessus de lui le ramène à l’instant présent et les mains flattant ses hanches et ses fesses lui rappellent qu’il peut encore se créer d’autres souvenirs plus précis.

Les baisers de Toni dans le bas de son dos et les mains de Justin qui jouent avec ses cheveux le distraient du gland qui fait pression sur son anus. Son muscle n’est plus si détendu, mais la mémoire du corps fait son œuvre et, bientôt, Matthias sent toute résistance s’effacer pour autoriser le membre engorgé à fondre en lui. La brûlure de la friction du latex est présente lors des premières poussées, puis s’estompe jusqu’à ce qu’il ne reste plus que le plaisir. Sans que Matthias ne parvienne à décider ce qui est le meilleur : sentir ses chairs s’étirer ou ce sexe se mouvoir en profondeur ? La pénétration rendue douce par le lubrifiant ou la force appliquée sur son bassin pour le garder immobile ? La satisfaction d’avoir une autre verge à sucer en rythme ou la frustration de ne pouvoir se soulager lui-même ?

La cadence de Toni s’accélère brusquement et Matthias ne peut plus poursuivre sa caresse buccale sans craindre de s’étouffer ou de donner un malheureux coup de dents. Il se redresse sur ses bras pour offrir davantage de résistance aux va-et-vient de son ami, mais aussi pour éviter de s’écraser contre Justin. Celui-ci se masturbe lentement et se penche en avant pour l’embrasser dans le cou. Matthias rejette la tête en arrière, permettant à son petit-ami d’accéder plus librement avec sa langue aux zones qui lui font du bien, tandis que derrière lui les coups de reins se saccadent. Prenant appui sur l’épaule de Justin, Matthias se relève presque à genoux et pose son autre main sur le haut de la cuisse de Toni ; il se régale de l’intensité de l’orgasme qui se prépare. Une poignée de secondes plus tard, son ami trouve son plaisir en lui et Matthias crispe les doigts sur cette peau en sentant le membre pulser contre ses parois.

Quand Toni se retire, il émet une plainte : la jouissance n’est plus très loin et il désespère d’être soulagé à la hauteur de son excitation. Maintenant que le poids et la chaleur de son ami ont disparu de son dos, Justin le fait basculer en arrière pour continuer l’exploration de sa clavicule puis de son torse. Matthias ne peut nier combien ces attentions sont agréables, toutefois il préférerait une action plus directe au sud de son anatomie. D’un coup de hanches, il tente d’interpeller l’un des deux hommes sur son urgence du moment, mais il ne s’attire qu’un clin d’œil malicieux de Justin. Qui a décidé de le priver de toute possibilité de chercher Toni du regard puisqu’il se hâte de revenir lui sucer la langue tout en le forçant d’une main à abaisser les paupières. Matthias commence à regretter que Toni et Justin aient enfin trouvé un terrain d’entente à son détriment. D’habitude, ils se considèrent avec défi et ne s’estiment pas vraiment, mais il semble que le mettre au supplice ait réussi à créer un lien entre eux.

Justin le libère à temps pour que Matthias voie son ami faire couler du lubrifiant au creux de sa main. Cela lui permet d’éviter un sursaut trop brutal quand son amant déroule un préservatif sur son sexe, puis que Toni entreprend d’y étaler le produit. Il se cambre pour l’encourager à poursuivre son œuvre en une caresse moins superficielle. Cependant, son ami glisse ses doigts de son gland à son ventre, le laissant une fois de plus aux portes de la délivrance. Il veut se rebeller, mais Justin saisit ses poignets et les bloque au-dessus de sa tête tandis que Toni prend appui sur son torse et vient s’agenouiller autour de sa taille. Matthias se calme aussitôt, son intérêt soudain décuplé par la perspective. Néanmoins, il ne s’interdit pas quelques mouvements de bassin contre les fesses de Toni pour montrer son impatience et est récompensé par un haussement de sourcil allumeur.

Après quelques instants à tâtonner pour trouver une position confortable, Toni s’assoit sur son sexe et Matthias profite d’être pleinement en lui, avant de le sentir se soulever à nouveau. La prise sur ses poignets se desserre et il remarque que Justin a repris sa masturbation silencieuse. De la part de son petit-ami, une telle discrétion est presque inquiétante et Matthias craint de l’avoir trop négligé jusqu’alors. Il glisse un bras entre ses genoux et, d’un doigt, s’amuse à frôler la peau sensible de son périnée. Son initiative lui récolte quelques murmures appréciateurs. Encouragé, il s’enhardit à tourner autour de l’orifice de Justin. Les gémissements sont plus sincères et Matthias retourne son attention vers Toni, rassuré. Celui-ci a les paupières plissées sous l’effort et se mordille nerveusement la lèvre. Matthias sait qu’une pénétration juste après un orgasme est une souffrance exquise et voir son ami sautiller sur ses hanches — lutter contre le besoin de se reposer — n’attise que d’autant plus son désir. Il remue le bassin de manière à augmenter l’amplitude des allées et venues ainsi que la force avec laquelle il prend possession de Toni. Soudain, la jouissance le rattrape et Matthias ferme les yeux. Sans le prévenir, il introduit deux doigts en Justin et le spasme en réponse lui confirme que cela a suffi pour le faire céder au plaisir. Lui-même ne cherche plus à se retenir et la vague de bien-être se propage jusque dans ses aines avant de se déverser en courts jets dans le corps qui l’a accueilli. Le poids de Toni se pose sur sa poitrine tandis que celui de Justin fait pression contre lui. Des lèvres s’emparent des siennes et il répond au baiser mécaniquement, sans chercher à savoir lequel l’embrasse, lequel le débarrasse de la protection souillée ; il n’aspire qu’à succomber au sommeil qui semble vouloir engourdir tout son être. Et, peut-être, plus tard, profiter encore.

Quitte ou double (1)

Autrice : Magena Suret.

Genres : M/M/M, hot, contemporain.

Résumé : Plutôt que de continuer à se déchirer à causes de leurs infidélités, Matthias et Justin ont décidé de devenir un couple ouvert. Cela leur permet de retrouver la passion des débuts et de surmonter les disputes sans avoir à discuter de leurs problèmes. Pour pimenter encore leur nouvelle vie, ils veulent franchir une étape en organisant un plan à trois… Mais un couple déjà fragilisé par des mois de non-dits peut-il survivre lorsque ses secrets pas forcément cachés sont révélés au grand jour ?

Liens vers les différents chapitres

Chapitre 1Chapitre 2Chapitre 3

Chapitre 1

Le choc du sac dans son genou lui fait étouffer un juron. Matthias lève les yeux de son téléphone, prêt à maudire l’imbécile qui vient de le bousculer pour fendre la foule sitôt les portes du métro ouvertes, mais ses insultes ne franchissent pas la barrière de ses lèvres. L’adolescent coupable lui fait un signe d’excuse tout en courant pour rejoindre une jeune fille. Sa colère retombe aussi vite et Matthias se surprend à regarder le couple s’éloigner, leur sac sur l’épaule, vers ce qui ressemble à un premier rendez-vous. Une certaine nostalgie l’envahit devant cette innocence depuis longtemps oubliée. La sonnerie prévenant le départ de la ligne le rappelle à l’ordre et il se précipite sur le quai avant de se faire enfermer dans la rame.

Après quelques minutes de marche, il arrive à destination. Le choix de Justin de venir habiter dans ce quartier paraît toujours aussi incompréhensible à Matthias. Quand ils avaient décidé que vivre ensemble était prématuré et qu’ils feraient mieux de reprendre chacun un appartement, Matthias ne s’était pas attendu à voir son petit-ami déménager à l’autre bout de la ville. Une heure de transports en commun, avec trois changements, semble un peu excessif. D’autant que Justin s’est aussi éloigné de son travail et de sa famille pour s’installer dans une rue qui ressemble davantage à une zone commerciale qu’à une résidence. La seule raison logique à laquelle Matthias a pu songer est justement que lui-même n’aime pas venir ici, ce qui rend ses visites plutôt rares. Et c’est plutôt révélateur quant à l’état de leur relation.

Toutefois, aujourd’hui, il est reconnaissant de pouvoir profiter des toilettes du commerce voisin pour se rafraîchir avant de rejoindre les étages. Ce n’est pas une étape habituelle, mais il réalise en pénétrant dans le hall combien il a besoin d’un moment d’isolement pour calmer sa nervosité. Matthias s’enferme dans les toilettes réservées aux handicapés afin de bénéficier d’un espace plus confortable et d’une vraie solitude.

Il ôte sa veste et ouvre son sac. Celui-ci est presque vide ; Matthias n’a emmené que le strict nécessaire pour se rendre plus présentable après son expédition dans le métro. Il se remet du déodorant sous les aisselles puis se brosse les dents. Ensuite, il s’asperge le visage d’eau et glisse ses doigts mouillés dans ses longues mèches, les plaquant vers l’arrière. Les mains appuyées sur le bord du lavabo, Matthias s’observe un instant dans le miroir. Ses cheveux humidifiés paraissent presque bruns et rendent plus visibles encore ses taches de rousseur. Celles-ci s’étendent de part et d’autre de son nez, rehaussant ses pommettes, et sont suffisamment nombreuses pour l’avoir complexé durant son adolescence. Néanmoins, c’est un vieux souvenir : il sait maintenant qu’elles sont un atout auquel beaucoup d’hommes succombent. Il remarque alors ses lèvres pincées, preuve qu’il a des difficultés à se détendre. Pourtant, il ne devrait pas être aussi angoissé : Justin et lui sont habitués à ce genre de jeu. À un détail près, cependant : ils n’y ont jamais participé en même temps.

Les premières infidélités, Matthias se souvient qu’il les a vécues comme de véritables trahisons. Trois années de relation et à peine une de vie commune qu’ils en étaient déjà à papillonner à droite et à gauche. Si Justin a été le premier à admettre qu’il l’avait trompé, Matthias sait que lui-même avait déjà commis quelques incartades auparavant. Au final, il ignore lequel des deux a commencé ces tromperies et ne voit pas grand intérêt à le savoir. Toujours est-il qu’imaginer son amant dans les bras d’un autre l’avait blessé dans son amour-propre et, aussi hypocrite cela peut-il sonner, peu lui importait à l’époque qu’il ait fait de même de son côté.

Les mois suivant l’aveu de Justin avaient été chaotiques, entre séparations et réconciliations. À aucun moment Matthias n’avait envisagé de rupture définitive et la facilité avec laquelle Justin lui retombait dans les bras l’avait conforté dans l’idée que ni l’un ni l’autre ne souhaitait mettre un terme à leur histoire. Néanmoins, aucun ne parvenait à accorder son pardon et le désir de vengeance était toujours trop présent. L’équilibre précaire de leur situation n’aurait pas pu durer bien longtemps. Ils avaient fini par trouver un compromis sans vraiment en avoir discuté. Un jour, peut-être trop ivre pour avoir pleine conscience de ses actes, Matthias avait laissé un message à Justin pour le prévenir qu’il ramenait un homme chez eux. Après coup, il avait réalisé combien c’était stupide et sûrement un peu cruel pour son petit-ami, mais il ne parvenait pas à le regretter. Alors qu’il venait de jouir quelques secondes auparavant, Justin était arrivé pour virer le pauvre mec qui n’avait pas dû comprendre ce qui lui arrivait. Puis Justin avait décidé de se venger en abusant du corps encore trop sensible de Matthias.

Après cette soirée, les règles ont rapidement évolué. Toujours en couple, pas vraiment libertins, Matthias et Justin avaient rassuré leur famille en expliquant que reprendre chacun un appartement ne signifiait pas qu’ils rompaient. Au contraire, Matthias pouvait jurer qu’il était plus heureux que jamais avec Justin. Ces faux flagrants délits d’adultère donnaient une autre dimension à leurs propres ébats. Depuis, le sexe entre eux était encore meilleur ; comme si ces incartades, parfois trop bien orchestrées, leur permettaient de retrouver la passion de la nouveauté.

Cependant, la rencontre qu’ils ont organisée aujourd’hui marque une étape. Matthias inspire par le nez et souffle longuement, conscient que sa décision est déjà prise malgré ses doutes. Il libère les toilettes, puis se rend à l’ascenseur qui l’emmène à l’étage de Justin. La main sur la poignée, son cœur semble vouloir quitter sa poitrine. Juste derrière cette porte, Matthias sait que Justin a trouvé un homme d’accord pour partager leur lit le temps d’une soirée. Cependant, Matthias ignore s’il y a un protocole à suivre dans ce genre de situation. Vont-ils l’avoir attendu pour faire connaissance  ? Va-t-il les trouver déjà nus  ? Ou même en pleine action  ?

La réponse à ses questions lui saute aux oreilles dès qu’il ouvre la porte. Des gémissements lui parviennent de la chambre. Il sourit : Justin a toujours aimé exagérer son plaisir. Il ne s’agit pas de le simuler, mais son amant adore s’entendre —  un aphrodisiaque avéré pour lui, un brin narcissique tout de même. Tranquillement, Matthias se déleste de son sac, prend soin de verrouiller derrière lui, puis ôte ses chaussures et les balance contre le mur. Rester silencieux ne lui semble pas primordial ; pour une fois qu’il est vraiment attendu, il éprouve même un petit plaisir à laisser entendre qu’il est arrivé. Il traverse le salon et pousse le battant entrouvert.

La scène sur le lit le fait s’arrêter un instant.  Les volets de la fenêtre sont à moitié tirés et la lumière qui filtre par les interstices donne une atmosphère tamisée à la pièce. Justin est à genoux, face à l’entrée, les bras en appui sur les oreillers derrière lui et les jambes écartées pour laisser toute latitude à la tête entre ses cuisses de manœuvrer sur son sexe. Malgré les années passées ensemble, Matthias se laisse encore surprendre par la beauté atypique de son amant  : des yeux en amande qui donnent l’impression d’un noir trop intense, des cheveux bouclés trop blonds pour avoir l’air naturels, un nez trop fin et retroussé pour un adulte et une fossette au coin de la lèvre qui accentue son côté malicieux dès qu’il sourit. Pourtant, tout son visage est harmonieux et sa personnalité enjouée éclipse souvent ceux qui l’entourent, y compris Matthias qui, sans manquer de confiance en lui, se trouve bien fade lorsqu’il se compare à Justin.

—  Oui, juste là… Continue, souffle Justin.

Le murmure est censé encourager le brun qui lui fait la fellation, à quatre pattes devant lui, mais Justin ancre son regard dans celui de Matthias tandis qu’il se penche en avant pour doigter l’anus de leur partenaire. L’invitation est claire et l’idée de baiser un mec dont il ne connaît même pas le visage a quelque chose de terriblement excitant. De cet homme, outre ses fesses tendues vers lui, Matthias ne devine que peu de choses  : quelques mèches corbeau, une peau claire peu exposée au soleil, des cuisses serrées — certainement pour comprimer son sexe bandé contre son bas-ventre — et des orteils crispés par l’excitation. Sa silhouette est familière et commune à la fois. Les jeux d’ombre sur sa peau empêchent Matthias de rechercher le moindre signe distinctif, mais il ne s’en inquiète pas pour l’instant. D’un coup de menton, Justin lui désigne le pied du lit ; Matthias y voit le lubrifiant, une boîte de préservatifs et des lingettes pour bébés. Le message, limpide, lui provoque un nouveau sourire : Justin ne veut pas d’interruption, pas même pour un détour par la salle de bains. Matthias se déshabille en toute hâte et Justin lui adresse un rictus entendu en découvrant son sexe déjà à demi érigé. Tout en ignorant la moquerie, Matthias les rejoint, le matelas s’affaissant légèrement sous son poids quand il monte dessus. L’inconnu s’arrête alors un court instant puis, sans épargner un regard à Matthias, il reprend ses succions avec plus d’entrain encore.

Matthias pose les mains sur les fesses du brun qui va l’accueillir sous peu et les écarte pour y plonger la bouche. Du bout de la langue, il lèche autour du doigt de Justin. Deux gémissements résonnent à ses oreilles et Matthias camoufle un léger rire moqueur en reniflement. Avec ardeur, Matthias découvre l’inconnu, dont la saveur est encore empreinte du parfum d’une douche récente. Le temps d’une seconde, il s’imagine qu’il recommencera peut-être plus tard, quand le goût de leurs corps sera imprégné de la moiteur du sexe. En attendant, l’index de Justin s’enfonce plus profondément et ses exclamations de plaisir se font plus bruyantes encore. Matthias se redresse, enfile un préservatif sur son membre désormais tendu, puis l’enduit de lubrifiant. Tout en se masturbant doucement, il donne une tape sur la main de son petit-ami pour qu’il lui laisse la place. Justin cède sans réfléchir et ses doigts vont aussitôt se perdre dans les mèches brunes du troisième homme alors qu’il semble faire un effort intense pour retenir ses coups de reins. Matthias gémit à ce constat et espère pouvoir vite goûter au talent de cette bouche.

Pour l’instant, il a la primeur de la pénétration et compte bien la savourer. Matthias encercle sa verge d’une main et pose l’autre au creux des reins du brun. De son pouce, il écarte un peu l’une de ses fesses et y glisse son membre lubrifié. Se mouvoir le long de la raie est déjà une torture et il est impatient de s’engouffrer dans le corps chaud qui s’offre à lui. Pourtant, il se fait languir en retardant ce moment. À chaque passage de son gland sur l’orifice, Matthias exerce une pression plus prononcée que la précédente. Bientôt, rien ne pourra plus l’empêcher de s’y introduire mais, tant qu’il maîtrise sa raison, il veut la faire perdre aux deux autres. Justin, toujours aussi vocal dans son plaisir, se passe la langue sur les lèvres de manière compulsive dès qu’il croit que Matthias va vraiment entrer en jeu, tandis que leur compagnon tente, par une légère poussée, de le prendre en lui sitôt qu’il sent ses chairs s’étirer.

Finalement, Matthias ne peut se retenir davantage ; il incite le troisième homme à écarter un peu plus les jambes pour s’installer confortablement à genoux entre elles. Il n’a pas à forcer pour franchir la barrière du muscle anal et sa satisfaction trouve un écho agréable dans le gémissement venant de son inconnu. Il baisse les yeux pour regarder son sexe se faire lentement aspirer puis achève de pénétrer son nouvel amant d’un coup de reins plus sec. Le jeune homme se tend de tout son être et Matthias se demande un instant s’il n’a pas été trop brusque. Cependant, il est vite rassuré quant à son innocence dans ce frisson lorsqu’il aperçoit les sillons rouges sur les omoplates de l’inconnu : Justin a eu davantage de difficultés à se contenir et vient de le griffer. Matthias sourit et décide de faire oublier la brutalité de son petit-ami en amorçant un rythme lent et peu profond, supplice nécessaire s’il ne veut pas jouir prématurément. Ondulant du bassin, il ne quitte la gaine que de quelques centimètres avant d’y replonger. Y être enserré est délicieux et Matthias émet des murmures appréciateurs quand il sent l’anus se détendre autour de son sexe, lui permettant de s’enfouir plus profondément, ou se contracter, l’obligeant à imprimer ses mouvements plus fortement pour s’autoriser le passage.

Matthias remarque que Justin ne tiendra plus longtemps : les yeux fermés, il se soutient d’une main à la tête de lit tandis que la seconde est passée entre ses cuisses. Le connaissant, Matthias devine que son petit-ami se caresse les testicules, voire le périnée. Lui maintient sa cadence. Il ignore combien de temps avant son arrivée ils ont débuté, mais il veut profiter encore de prendre son plaisir dans un corps inconnu. Justin prévient de sa jouissance dans un murmure incompréhensible, mais le brun saisit l’avertissement et abandonne le sexe, le dépouillant de sa protection d’un geste rapide et précis. Puis il pose la joue contre la cuisse de Justin pour assister à son éjaculation. Maintenant qu’il a vu son visage, Matthias sait qu’il est perdu. Dans une dernière tentative pour se contenir, il essaie de se concentrer sur le sperme de Justin qui gicle sur les draps, ou même sur la lèvre que celui-ci se mordille sous l’intensité de son orgasme, mais ses efforts sont vains. Les traits de son ami d’enfance occultent le reste et, s’il aimerait pouvoir prétexter que la surprise ruine son excitation, celle-ci s’enflamme bien trop pour qu’il puisse être hypocrite et il perd le contrôle. Le rythme saccadé auquel il soumet soudain son ami lui vaut une douce plainte de ce dernier, mais cela ne dure pas et, bientôt, un simple «  Toni  » murmuré pour tout avertissement, il remplit le préservatif de sa jouissance.

Matthias n’avait jamais gémi ce surnom et la sensualité sur ses lèvres se dispute à la culpabilité d’avoir profané leur amitié. Il n’a pourtant pas le temps de pousser sa réflexion plus loin puisque Justin l’a déjà rejoint et s’empare de sa bouche. Le baiser est pressant et a le goût amer de la trahison — à la fois de l’adultère et du mauvais tour qu’il lui a joué. Matthias cède vite sous cet assaut alors qu’il devrait le repousser, furieux, mais il ferait n’importe quoi pour oublier l’autre présence. Son vœu n’est cependant pas exaucé et il est attiré par le mouvement à leurs côtés. Toni s’est tourné pour s’étendre sur le dos et leur présente son sexe suintant de liquide séminal. Cette vision à elle-seule suffirait à faire renaître son désir, toutefois il semble que Toni cherche à le faire se consumer sur place. Il lance à Matthias un regard brûlant ; ses pupilles dilatées hurlent son insatisfaction. Matthias sait qu’il doit prendre une décision. La plus sensée serait d’arrêter là ce manège, tant que la ligne n’a été que mordillée. Mais ce serait renier un désir refoulé depuis des années et il ne se sent plus capable de se raisonner. Franchir cette satanée ligne est si alléchant. Si facile. Si risqué. La bouche de Justin quitte la sienne et, de la langue, ce dernier trace un chemin sur sa joue, jusqu’à son oreille. Lui reste pantelant, les lèvres entrouvertes dans une tentative désespérée pour reprendre son souffle.

— Tu ne comptes pas le soulager, Matt ? lui chuchote Justin, tout en le débarrassant de sa protection usagée. Si c’est pour le laisser souffrir, je m’occupe de lui moi-même.

— Enfoiré.

— Donc, je suce Antonin ? le taquine-t-il.

Matthias repousse son petit-ami avec un regard agacé. Voir Justin dans d’autres bras que les siens ne l’émeut pas outre-mesure ; c’est même plutôt excitant. En revanche, imaginer les mains ou la bouche de son amant sur Toni l’irrite au plus haut point. Rien que l’entendre prononcer ce prénom, pourtant détesté par son ami, le contrarie. Il n’a pas envie d’analyser ce sentiment ; il veut juste faire en sorte de limiter les contacts entre les deux hommes. Alors, Matthias se penche vers leur partenaire d’un soir, faisant taire son conflit intérieur. Toni l’accueille avec un plaisir non dissimulé en écartant davantage les cuisses. Matthias ferme les yeux et capture le sexe entre ses lèvres sans préambule : il n’est plus temps d’attiser le désir, il doit juste apaiser cette tension. Sous l’assaut de sa bouche, son ami se tend et accroche les doigts dans ses cheveux pour l’inciter à poursuivre.

Alors qu’il goûte la saveur de l’interdit, il sent la paume de Justin en bas de son dos. Les premières caresses le long de sa colonne ne sont que des encouragements mais, au fur et à mesure que les gémissements de Toni se transforment en plaintes réclamant sa libération, la main remonte entre ses omoplates, puis dans sa nuque. Toni relâche soudain sa prise sur sa chevelure et — s’il en croit le froissement qu’il entend — agrippe les draps de ses poings. Son prénom soufflé par cette voix familière, dans un timbre si étranger, intime à Matthias de s’écarter. Toutefois, Justin le maintient en place quand il essaie de se redresser. Son cerveau a du mal à traiter cette nouvelle information et il ne saisit l’ordre silencieux de Justin qu’en sentant le membre de Toni pulser contre sa langue. Matthias plisse les paupières, soudain pris de remords de ne pas avoir pensé au préservatif, et se prépare à recueillir la jouissance de son ami d’enfance. Au premier jet, il déglutit de surprise ; le sperme qui s’écoule dans sa gorge lui donne l’impression d’avaler les flammes de l’enfer. La giclée suivante frappe son palais alors qu’il est en pleine inspiration. Avide, il se surprend à emprisonner fermement le sexe entre ses lèvres pour s’assurer de ne pas perdre une goutte de ce plaisir : le péché a un goût d’encore. La pression sur sa nuque s’efface à ce moment, Justin doit être satisfait de voir ses barrières céder. Ce dernier se colle tout contre lui et vient mordiller le lobe de son oreille. De nouveau, il murmure pour n’être entendu que de Matthias :

— Tu aimes ma surprise, pas vrai  ? Et pas la peine de faire des simagrées, ajoute-t-il alors que Matthias libère enfin le sexe de sa bouche pour protester. Antonin a accepté sans même réfléchir. Je me demande si je devrais être jaloux…

Matthias fait taire son amant d’un baiser sauvage, n’hésitant pas à lui râper les lèvres de ses dents. Justin apprécie visiblement le traitement puisqu’il lui répond avec autant d’enthousiasme. Matthias tente un regard vers son ami, sans savoir ce qu’il y cherche. Peut-être pour s’assurer qu’il est bien là et va y rester ? Lui, maintenant qu’il y a goûté, veut profiter de cette nuit avec les deux hommes de sa vie. Pour essayer de comprendre pourquoi il a accepté de se joindre à eux alors que Toni n’a jamais caché qu’il désapprouvait leur conception du couple ? Ou juste pour calmer tous les doutes qui le traversent ? En effet, si quelqu’un peut l’aider à aborder cet instant de façon pragmatique, c’est bien Toni. Tente-t-il de deviner si les sous-entendus de Justin ne sont qu’une façon de déchirer un peu plus leur amitié ? Pourtant lui et Toni avaient ri en se révélant mutuellement leur homosexualité et s’étaient promis de ne pas tomber dans le cliché des meilleurs amis devenant amants. Matthias soupire dans le baiser encore plus impatient de Justin et se laisse aller quand ce dernier le pousse en arrière. Étendu sur le dos, son petit-ami vient couvrir son corps du sien, puis Matthias clôt les paupières avant de risquer de croiser le regard de Toni qui commence à se redresser : après tout, un simple coup d’œil ne suffirait pas pour lui fournir les réponses à ses interrogations.

Mémoires d’un Olympien (2)

Chapitre 2

L’équipe suisse avait encore trois matchs à jouer et Damien mit de côté ses réserves pour aller soutenir les joueurs. La première rencontre fut remportée sans difficulté et il retrouva plusieurs de ses coéquipiers de championnat près des accès pour les athlètes. Un bref soulagement l’envahit en apprenant qu’Ivan leur avait fait faux bond pour la soirée. Les heures suivantes, il abusa de l’alcool, se laissa séduire par un groupe de snowboardeuses anglaises qui se moquèrent gentiment de son accent et échangea quelques regards insistants avec un Espagnol dont il n’était plus certain s’il pratiquait le curling ou le ski de fond. Néanmoins, Damien retourna seul dans sa chambre et mit deux longues heures avant de succomber à sa fatigue. Tout ce temps, il se demanda avec qui Ivan avait bien pu finir sa soirée.

À son réveil, l’esprit encore brumeux de ses songes, il tâtonna sous les draps pour se saisir de son sexe tendu qui lui hurlait son insatisfaction. Il n’ouvrit les yeux qu’un court instant pour s’assurer que le lit voisin était toujours aussi vide que la veille, puis sa main s’activa sur son membre engorgé. Pour la première fois depuis six ans, il ignora la pointe de culpabilité familière et ne lutta pas contre les images qui alimentèrent son fantasme. Ses souvenirs se déformèrent jusqu’à oublier la présence de Stella entre eux pour ne plus que sentir le poids d’Ivan au-dessus de son corps, leurs verges juste séparées par le tissu de leurs sous-vêtements. Contre sa paume, son sexe eut un sursaut de plaisir et il plissa les paupières pour garder cette image en mémoire. Pantelant, il imagina le souffle d’Ivan sur ses lèvres, le goût qu’aurait eu sa langue si l’un d’eux avait osé approfondir ce baiser. Son dos se cambra et il se répandit entre ses doigts. La respiration courte, il décréta qu’il n’était pas en état d’affronter la vie au village ou la simple amitié d’Ivan. Le service d’étage et le filtrage de ses appels suffiraient à l’isoler pour deux jours.

La demi-finale, où l’équipe d’Ivan rencontrait celle de Finlande, le pays organisateur, attira les spectateurs et il se retrouva dans des gradins bondés. Pour quelqu’un qui venait de passer quarante-huit heures reclus dans sa chambre d’hôtel, le bruit était assourdissant. Cependant, Damien s’estimait heureux de pouvoir se fondre au milieu de cette foule : pas un instant, il n’avait imaginé rater cette demi-finale, mais il ne tenait pas à être repéré par Ivan ou l’un de ses coéquipiers.

C’était sans compter sur les deux premiers tiers temps où la Finlande prit la tête de justesse. La défense finlandaise n’était pourtant pas parfaite et, à trois reprises, la Suisse put remercier la règle du dégagement interdit, sans laquelle l’écart de points n’aurait pas été rattrapable. Durant le dernier arrêt de jeu, Damien attendit de voir la surfaceuse pénétrer sur la glace, puis il quitta son siège et se précipita vers l’accès aux vestiaires. Toujours en courant, il bifurqua pour rejoindre le banc de l’équipe suisse et fut accueilli par la voix de leur entraîneur. Les ordres aboyés ne lui manquaient pas et il prit soin de rester en retrait pour ne pas se faire remarquer et ne pas subir les foudres du coach. Toutefois, leur capitaine, Marcus, le repéra et donna un coup de coude discret à Ivan pour attirer son attention.

Lorsque son ami releva la tête, Damien eut un choc. Il était habitué aux cheveux ébouriffés par le casque, mais pas aux traits tirés par la fatigue. Pourtant, l’équipe avait passé des nuits blanches à fêter des victoires ou des heures à s’épuiser sur la glace, mais jamais il n’avait vu cet abattement sur le visage d’Ivan. Leurs regards se croisèrent et il sentit son cœur s’accélérer. Garder ses distances avait été une mauvaise idée. Non seulement il n’avait pas réussi à enfouir de nouveau ses désirs, mais il avait aussi blessé son ami. Alors qu’Ivan avait insisté pour que rien ne change entre eux, lui-même l’avait fui. Il s’obligea à sourire de manière rassurante et fit un signe de main à ses coéquipiers qui l’avaient repéré.

L’entraîneur termina son laïus et s’approcha d’Ivan, certainement pour lui donner des informations sur la défense finlandaise et des conseils pour reprendre l’avantage. Damien n’aurait donc pas l’occasion de motiver lui-même son ami, mais Marcus en profita pour le rejoindre.

« On croyait que tu avais disparu. »

Le ton était gentiment moqueur, mais Damien grimaça de culpabilité.

« J’avais besoin d’un peu de solitude. Le principal, c’est que je sois là pour vous soutenir.

— T’avais plutôt intérêt, sinon je t’aurais fait souffrir au prochain entraînement. »

Le sourire gourmand de Marcus lui confirma que son capitaine regrettait de ne pas pouvoir mettre à exécution sa menace. L’entraîneur rappela ses joueurs pour se préparer à retourner sur la glace.

« Tu viens avec nous ce soir, réclama Marcus en se retournant pour rejoindre son équipe.

— Seulement si vous gagnez ! » lui cria-t-il.

Quelques têtes se tournèrent vers lui et Ivan lui adressa un sourire en coin avant d’enfiler son casque et de rentrer sur la patinoire. Damien les observa se placer face à l’équipe adverse et décida de rester où il était pour regarder la fin du jeu.

Le jeu suisse était plus agressif tandis que l’équipe finlandaise accusait la fatigue des premiers tiers temps. Les deux camps étaient à égalité et il commençait à craindre les tirs de fusillade pour la qualification en finale. À quatre minutes de la fin, Ivan reçut un coup dans le dos alors qu’il s’apprêtait à marquer un but. Le palet changea de trajectoire à cause du déséquilibre et Damien se redressa, alerte, en attendant la décision de l’arbitre. Ce dernier siffla la faute et mit les bras en croix au-dessus de sa tête. Un murmure désapprobateur s’éleva des gradins, mais les joueurs des deux équipes rejoignirent leur banc, laissant Ivan face au gardien finlandais pour le tir de pénalité.

Damien se crispa alors qu’Ivan prenait position. S’il marquait ce but, son équipe était garantie de remporter une médaille. Les pieds écartés, Ivan prit appui sur sa crosse. Sitôt qu’il toucha le palet, le gardien adverse s’avança sur lui pour le contrer. Cependant, Ivan avait un regain d’énergie depuis le début de ce tiers temps et il contourna avec aisance l’autre hockeyeur, évitant le contact et s’offrant une ouverture face au but. Le point fut validé et les joueurs des deux équipes revinrent sur la patinoire. Les dernières minutes s’écoulèrent dans une ambiance tendue : la Finlande tentait de ramener le score au match nul pour gagner une nouvelle opportunité aux tirs de fusillade tandis que la Suisse concentrait tous ses efforts dans sa défense pour s’assurer la victoire. Le coup de sifflet annonçant la fin du match fut accueilli par une majorité de cris déçus depuis les gradins. Les joueurs suisses, euphoriques, jouaient des coudes pour quitter la glace et Damien s’éclipsa pour laisser l’équipe retourner au vestiaire pour savourer leur victoire.

La fête battait déjà son plein quand il franchit les portes et il repéra plusieurs hockeyeurs visiblement déjà prêts à rentrer cuver leurs bières. Marcus en soutenait un, l’aidant à avancer vers la sortie. Il s’arrêta à hauteur de Damien et lui posa une main sur l’épaule :

« Je ramène celui-là dans sa chambre. Et crois-moi, il va me le payer. En attendant que je revienne, surveille-les pour moi.

— Je suis pas ta baby-sitter », se plaignit-il, mais Marcus l’ignora et continua son chemin.

Malgré tout, Damien se retrouva à empêcher plusieurs de ses coéquipiers de championnat de commander davantage d’alcool. À quelques tables d’eux, Ivan trinquait avec de parfaits inconnus et il tenta de garder un œil sur lui également. Il essaya d’oublier la sensation des lèvres d’Ivan sur les siennes chaque fois qu’il croisait son regard et d’ignorer sa propre jalousie chaque fois que son ami souriait à quelqu’un d’autre. En vain.

Lorsque Marcus franchit à nouveau la porte, Damien n’attendit même pas son accord pour abandonner la table. À peine avait-il fait quelques pas qu’Ivan lui attrapa la main et le guida vers un endroit plus tranquille. Damien observa leurs mains et se demanda si le contact avait toujours été aussi facile entre eux. La réponse était oui. Elle était aussi vraie pour quelques autres joueurs dont il se sentait proche. Néanmoins, il avait l’impression de trahir la confiance de son ami. Si un tel geste était banal auparavant, il savait que ce n’était plus le cas en ce qui le concernait. Le couloir où Ivan les conduisit était désert et cela ne fit rien pour calmer ses nerfs. Celui-là libéra sa main pour lui faire face :

« Je suis désolé.

— Quoi ? s’étonna-t-il. Pourquoi ?

— Je ne pensais pas te mettre mal à l’aise à ce point-là. Tu n’es pas obligé d’éviter l’équipe à cause de moi…

— Arrête ! l’interrompit-il, un rire nerveux au bord des lèvres. Tu n’y es pour rien. C’est moi qui… C’est intense ces Jeux, d’accord ? J’avais juste besoin d’un peu de temps pour assimiler tout ça. »

Ivan le fixa d’un air curieux et Damien ne put pas lui en vouloir. La défaite de son équipe avant même d’avoir une chance de médaille ou le manque de sommeil à force de faire la fête et de s’entraîner n’avaient rien à voir avec son angoisse des derniers jours. Mais s’il pouvait s’en sortir avec cette explication, il préférait éviter d’aborder le vrai problème.

« OK, finit par céder Ivan. Tout va bien entre nous, alors ?

— Aucun malaise », mentit-il.

Trois jours plus tard, la fin des Jeux approchait. Damien avait peu vu l’équipe suisse dont les créneaux d’entraînement s’étaient multipliés pour préparer la finale contre le Canada. Les rares moments qu’il avait passés avec eux avaient été calmes et il avait fait de son mieux pour ne pas paraître trop absorbé par la présence d’Ivan. Cependant, il n’était pas convaincu de son succès. Le moindre geste d’Ivan attirait son attention et il croisa son regard bien plus souvent qu’avec la totalité des autres joueurs présents. il cherchait à décrypter l’attitude d’Ivan, au point de se demander si ses propres désirs ne l’incitaient pas à interpréter comme bon lui semblait chaque sourire ou chaque contact.

La finale se déroula dans le calme et sans réelle surprise. Peu de spectateurs avaient fait le déplacement puisque l’issue du match était prévisible. Le Canada tentait sa quatrième médaille d’or d’affilée ; malgré la motivation de l’équipe suisse, leurs adversaires prirent l’avantage dès le second tiers temps sans leur laisser la possibilité de remonter au score. Avec sept points d’écart, le Canada remporta la victoire et la Suisse grimpa sur le podium pour recevoir la médaille d’argent.

Damien ne parvint pas à rejoindre ses amis après la remise des médailles et dut patienter jusqu’au soir pour espérer les retrouver à la cérémonie de clôture. La délégation française passait en huitième position, ce qui lui laissait quelques minutes pour essayer de voir les équipes suisses. Il repéra ses coéquipiers de championnat et se précipita sur eux pour les féliciter de leur médaille. Marcus et les autres retournèrent sa brève accolade, mais Ivan le garda contre lui deux ou trois secondes de trop pour son confort. Quand il put enfin s’écarter, ce fut pour sentir Marcus lui ébouriffer les cheveux en un geste paternaliste :

« Profite bien de tes vacances en France et sois en forme pour ton retour. Je vais vous en faire baver. »

La Marseillaise résonna dans le stade et Damien abandonna l’idée de répondre à son capitaine. Avec un dernier geste de la main, il se précipita pour rejoindre sa délégation et faire ses adieux aux Jeux Olympiques.

Le retour en Suisse pour la reprise du championnat fut compliqué. Son séjour chez ses parents l’avait reposé et il avait fait ce qu’il maîtrisait encore plus que le hockey : ignorer ses problèmes. Et il géra plutôt mal de se retrouver confronté à Ivan.

Les incidents lors des entraînements se multiplièrent. Aux yeux des supporters ou des journalistes, présents pour suivre une partie de l’équipe olympique médaillée d’argent, les erreurs pouvaient être attribuées à la fatigue des joueurs ou à des difficultés à retrouver le rythme habituel. Mais Damien percevait la tension qui régnait entre lui et Ivan et savait qu’il en était le seul responsable.

C’était peut-être le plus vexant, d’ailleurs, de savoir qu’Ivan était capable de garder la tête froide. Pour lui, rien n’avait changé : il ne s’interdisait aucun contact, ne baissait pas le regard dès qu’il entrait dans le vestiaire, ne cherchait pas à l’épargner quand ils étaient sur la glace ou ne trouvait pas une excuse pour se défiler à chaque soirée d’équipe. Damien redoutait le moindre frôlement, avait peur que son corps ne le trahisse. Il craignait aussi de s’enivrer et de finir par demander à Ivan s’il pensait bien ce qu’il lui avait dit aux JO : que, si c’était avec lui, il serait prêt à tout envisager. Et ses désirs obscurcissaient tant son jugement qu’il interprétait l’attitude d’Ivan, dans chacun de ses détails, pour nourrir ses fantasmes.

L’entraînement s’était terminé depuis un moment, mais le capitaine les avait retenus sur la glace, lui et Ivan. Marcus progressait lentement sur la patinoire, leur faisant des passes molles avec le palet.

« D’abord, je dois vous dire que je ne tiens pas à savoir ce qu’il s’est passé au village olympique, mais je suis certain que le malaise vient de là. Je suis juste inquiet pour l’équipe. Alors, soit vous réglez ça entre vous, soit je serai obligé d’intervenir. Et ça ne fera plaisir à personne. »

Damien déglutit à l’idée de devoir expliquer la source de la tension entre lui et Ivan. Un coup d’œil à ce dernier lui confirma que son ami préférait aussi éviter d’entrer dans les détails avec Marcus. Surtout en sachant que celui-ci n’avait pas vraiment de limites quand il s’agissait de maintenir la cohésion dans l’équipe.

« On va régler ça, promit-il.

— C’est dans votre intérêt, menaça Marcus. Je ne veux plus entendre parler d’un transfert dans ces conditions. »

Leur capitaine, satisfait, quitta la glace. Damien chercha le regard d’Ivan pour dissiper son incompréhension mais, pour la première fois depuis leur soirée avec Stella, ce fut son coéquipier qui l’évita. Ivan poussa sur ses patins et se lança dans un exercice de vitesse en entraînant le palet de sa crosse. Sans hésiter, Damien fit demi-tour pour rejoindre les vestiaires. Il pouvait bien être lâche quelques minutes de plus et laisser à Ivan l’espace dont il avait besoin.

Marcus était dans les douches quand il arriva dans le vestiaire. Il prit son temps pour ôter son équipement, enroula une serviette à sa taille et s’assit sur son banc habituel, dos au mur. Son capitaine était déjà en train de sécher. Il contourna Damien pour récupérer ses affaires propres dans son casier, mais tous deux gardèrent le silence. Pour Marcus, la question était réglée et Damien ne l’entendrait plus mentionner l’incident si lui et Ivan parvenaient à surmonter ce malaise. Quelques instants plus tard, il se retrouva seul dans les vestiaires et ferma les yeux dans l’espoir de trouver une façon d’aborder le sujet avec Ivan.

Il fut interrompu dans ses pensées par le claquement de la porte. Sans un mot, Ivan traversa la pièce pour ouvrir son casier. Ses gestes trahissaient son agacement et Ivan sortit ses affaires pour la douche avant de se déshabiller et fourrer sa tenue dans son sac. Alors que son coéquipier se retrouvait nu, Damien regretta de ne pas avoir profité de sa solitude pour se doucher et s’habiller. Il était un peu trop conscient de sa propre semi-nudité. De peur de rompre le silence, Damien resta immobile et observa son ami, maintenant appuyé contre les casiers. Le corps offert à sa vue ressemblait à une invitation dont Damien n’était pas sûr qu’elle soit réelle ou le fruit de son imagination.

Un soupir agacé d’Ivan alors qu’il ramassait sa serviette le fit réagir. La boule au ventre, il se lança :

« C’est quoi cette histoire de transfert ? »

Ce n’était peut-être pas le sujet principal, mais il était satisfait d’avoir pu adresser la parole à Ivan sans se décomposer ou laisser sa voix le trahir. Le hockey était un sujet sauf ; ils pourraient se lancer au cœur du problème plus tard.

« Ça ne va pas se faire, Marcus va y veiller. Je pensais que ce serait plus simple pour toi comme ça, admit Ivan sans lui accorder un regard.

— Pour moi ? répéta-t-il, incrédule. Comme si te voir quitter l’équipe allait me consoler d’être incapable de gérer la situation sans rendre les choses bizarres.

— C’est moi qui ai créé la situation et l’équipe en pâtit déjà. Mon jeu et le tien sont perturbés. Alors, oui, j’étais prêt à changer de club si ça pouvait t’aider à oublier ma décision.

— Je t’ai dit que ce n’était pas ta faute.

— Ah non ? s’agaça Ivan. Alors, explique-moi. On passe une heure avec Stella, je t’embrasse, tu disparais pendant deux jours et, depuis, c’est à peine si tu oses être dans la même pièce que moi. »

Damien grimaça en réfléchissant à la façon de formuler sa réponse, mais Ivan chercha son regard et l’accrocha un instant, avant de secouer la tête et de retrouver un semblant de sourire :

« Je sais que j’ai été égoïste, mais je n’ai pas songé aux conséquences. Je croyais pouvoir avoir ce moment avec toi et conserver notre amitié. Évidemment, je me suis trompé. »

Ivan soupira tandis que Damien tentait de remettre de l’ordre dans ses idées.

« Ne m’attends pas pour partir, j’ai encore ma douche à prendre.

— Je n’ai pas pris la mienne non plus, rétorqua-t-il, le cœur battant. Si tu veux bien qu’on partage. »

Ivan s’arrêta à cette proposition et recommença à le jauger du regard. De peur de perdre sa contenance, Damien baissa les yeux pour rompre le contact et examiner ses pieds nus. Ceux d’Ivan entrèrent dans son champ de vision. Le bruit de leurs respirations résonnait dans le vestiaire et il savait que ses joues étaient en feu. Doucement, il releva la tête, laissant son regard s’égarer sur les courbes dénudées d’Ivan qui étaient à la fois familières et intrigantes. Avant de croiser le regard de son ami, il eut un sursaut d’audace et tendit la main, mais Ivan saisit son poignet pour arrêter son geste. Il leva alors un regard interrogateur et Ivan lui tira sur le bras pour le hisser à sa hauteur.

« Si tu me touches maintenant, tu vas te retrouver plaqué contre ces casiers. »

L’idée était plus que séduisante s’il en croyait la bouffée de chaleur qui l’envahit, mais terrifiante aussi. Pourtant, il força contre la poigne qui le retenait et posa sa paume à plat sur les pectoraux d’Ivan. La peau sous la sienne était encore moite de sueur, les muscles saillants et l’envie de marquer cette chair de ses ongles le surprit par sa violence.

Cependant, Ivan tint sa promesse et l’attrapa par les hanches pour le repousser contre les casiers. Le métal froid dans son dos ne l’empêcha pas de sentir son bas-ventre en feu alors qu’Ivan dénouait sa serviette pour la laisser s’échouer au sol. Les cinq centimètres que Damien avait sur son ami semblaient dérisoires alors qu’Ivan le maintenait en place, piégé entre ses mains et ses jambes. Leur nudité ne l’inquiétait même plus. Le regard intense d’Ivan sur sa bouche et son cou, en revanche, lui faisait perdre ses moyens.

Il caressa le torse d’Ivan et remonta jusqu’à accrocher sa nuque, puis l’attira à lui pour poser la bouche sur la sienne. Le contact était aussi léger que la première fois, quand Stella l’avait demandé à Ivan, mais celui-ci maintint la pression plus longtemps. L’hésitation était inutile vu leur position, aussi Damien entrouvrit-il les lèvres. D’abord incertain, le baiser s’enflamma rapidement. Le dos plaqué aux casiers, il sentit le métal s’enfoncer dans sa peau à mesure qu’Ivan s’appuyait davantage sur lui.

De sa main libre, il s’accrocha à l’omoplate d’Ivan et y laissa de profondes marques d’ongles quand celui-ci enroula les doigts autour de son sexe. Les mouvements sur sa verge étaient secs et presque douloureux à cause du peu d’espace qu’avait Ivan pour bouger sa main. Néanmoins, le simple fait de savoir qu’un autre homme — Ivan — le caressait et l’embrassait lui suffit pour perdre le contrôle. Son orgasme le cueillit par surprise et il abandonna la bouche d’Ivan pour observer son sperme qui coulait sur les doigts de son coéquipier. Ce dernier relâcha son membre sensible et se recula légèrement.

« On devrait prendre cette douche, maintenant. »

Damien entendit l’eau couler avant de sortir de sa stupeur et se précipita pour le rejoindre. Le corps d’Ivan était tel qu’il l’avait toujours connu, tel qu’il le voyait dans ses fantasmes : l’érection insatisfaite l’interpellait, mais il se trouvait bien plus embarrassé par son inexpérience dans la réalité.

« On devrait s’occuper de toi aussi, proposa-t-il en pointant l’évidence.

— Mets-toi face au mur », lui demanda Ivan.

Malgré sa nervosité, il obtempéra. Sous le jet d’eau, il prit appui sur le carrelage et essaya de se détendre. Aucun de ses fantasmes ne l’avait préparé à cette réalité. Ne plus refouler ses envies, avec quelqu’un en qui il avait confiance, était exaltant ; toutefois, l’angoisse de l’inconnu le paralysait. Le bruit du bouchon du flacon de gel douche le fit sursauter. Ivan se rapprocha de lui, accrocha une main sur sa hanche et Damien sentit l’érection frotter le haut de sa cuisse. Ivan posa son autre main dans son dos pour le savonner. Le massage dura un moment et Ivan insista avec son pouce pour dénouer ses points de tension.

Plusieurs minutes de ce traitement lui firent oublier sa vigilance. Sa tête retombait entre ses bras et il s’était cambré sous les caresses d’Ivan. Puis celui-ci glissa sa main savonneuse entre ses cuisses. Il taquina son périnée avant de masser ses testicules et d’agacer son sexe repu. Damien essaya de rester docile mais, lorsque la main remonta entre ses fesses, l’appréhension eut raison de son excitation. Il tendit un bras en arrière pour bloquer le poignet d’Ivan. Pour tout ce qu’il avait testé en se masturbant, il ne doutait pas d’y trouvera son plaisir, mais il n’envisageait pas sa première fois avec un homme ainsi. Sinon, il aurait depuis longtemps cédé à ses pulsions dans l’anonymat d’un club.

« Je ne veux pas gâcher ton plaisir, mais mon expérience avec les hommes se résume à ce qu’on vient de faire, alors je ne suis pas sûr d’être vraiment prêt. Mais je ne suis pas contre tenter n’importe quoi avec toi. Plus tard. »

Ivan resta immobile et embrassa son épaule, puis mordit la peau délicate à la base de sa nuque ; les genoux de Damien fléchirent sous la décharge de plaisir.

« Ne me donne pas des idées, grogna Ivan. Et détends-toi, on n’a pas de préservatif.

— Donc, ce n’est pas pour ce soir. »

Alors qu’il était inquiet un instant auparavant, il se trouva ridicule en entendant la déception dans sa propre voix. Ivan retira la main d’entre ses jambes et attrapa la sienne pour la poser contre le carrelage. La verge tendue d’Ivan glissa entre ses cuisses et il sentit l’érection coulisser le long de son périnée et cogner dans ses testicules à la cadence de ses courts va-et-vient.

« Resserre un peu les cuisses, murmura Ivan contre son omoplate. Et sinon, tu décides du rythme. On a tout notre temps et j’ai de quoi nous occuper en attendant. »

Les coups de rein s’intensifièrent, comme si Ivan imaginait déjà tout ce qu’ils allaient pouvoir tester. La jouissance de Damien était trop récente pour lui en permettre une nouvelle si tôt, mais cela ne priva pas son sexe de faire un effort pour tenter de répondre à la stimulation. Les doigts d’Ivan s’enfoncèrent à sa taille et il sentit le membre pulser entre ses cuisses. La curiosité attira son regard plus bas, mais l’eau de la douche nettoyait déjà la preuve de leur plaisir.

Ils passèrent le week-end chez lui. Ivan se révéla insatiable et Damien plus qu’heureux de se plier à ses désirs.

À l’entraînement suivant, malgré ses muscles endoloris, ils n’esquivèrent aucun contact entre eux deux pour prouver à leur capitaine que le problème était résolu. Et peut-être pour profiter de chaque excuse pour plaquer l’autre contre une paroi. Leur relation allait pimenter le jeu.

Quatre ans plus tard

La sonnerie lui annonça l’arrivée d’un nouveau message et Damien roula au-dessus d’Ivan pour attraper son téléphone sur la table de nuit. Leurs médailles s’entrechoquèrent, provoquant un rire chez son partenaire. Damien se laissa retomber sur le dos et Ivan en profita pour poser le menton sur son torse.

« Qui ose nous interrompre ? s’indigna Ivan.

— Marcus.

— Dis-lui de nous oublier, il n’est plus capitaine.

— Libre à toi d’envoyer bouler l’assistant de l’entraîneur, mais tu ne me feras pas plonger avec toi.

— Et moi qui croyais que tu m’aimais », soupira Ivan.

Damien leva les yeux au ciel sans le gratifier d’une réponse et pianota un message pour Marcus avant de reposer le téléphone. Ivan faisait rouler entre ses doigts la médaille de bronze de Damien :

« Qu’est-ce qu’il voulait ?

— Qu’on range nos médailles avant de fêter nos titres olympiques.

— Trop tard ! » s’amusa Ivan.

En effet, ils s’étaient sauvés des soirées avec leurs équipes dès que possible pour rejoindre la chambre d’Ivan. Le programme était simple : se retrouver nus, avec leurs médailles — une de bronze pour lui et deux d’argent pour Ivan — pour seuls vêtements et autant de sexe que possible avant la cérémonie de clôture le lendemain.

« Il va nous tuer au prochain entraînement, se plaignit-il.

— Il n’est pas obligé de savoir.

— Il m’a écrit que sa sœur lui prêterait la lumière noire de son labo pour vérifier les traces. Comment on nettoie le sperme à ton avis ?

— Aucune idée. Mais on peut essayer de noyer les tâches en recouvrant la surface. Ça devrait lui passer l’envie de nous déranger. »

Ivan l’embrassa pour l’empêcher de répliquer ou de se lancer dans un débat stérile. Damien oublia ses protestations lorsqu’il le sentit s’agenouiller de part et d’autre de sa taille. Depuis les derniers J.O., ils avaient réussi à trouver leur équilibre pour rester discret sur leur relation et ne pas la laisser interférer avec l’équipe et leur jeu. Mais les semaines au village olympique, où ils défendaient des couleurs différentes, leur permettaient d’oublier ces règles.

Les médailles tintèrent les unes contre les autres quand Ivan se redressa dans un soupir satisfait. Damien empoigna ses hanches pour imposer son rythme et le faire jouir sur son ventre. Sur sa médaille. Peut-être que dans quatre ans, ils seraient encore sélectionnés. Peut-être que la France renouvellerait l’exploit de grimper sur le podium et que la Suisse parviendrait à détrôner le Canada pour ajouter l’or à leur collection. Peut-être qu’Ivan et lui fêteraient ces titres d’un nouveau marathon dans leur chambre d’hôtel. Damien ne pouvait qu’espérer le meilleur.

Mémoires d’un Olympien (1)

Autrice : Magena Suret.

Genres : Sport, M/F/M + M/M, hot.

Résumé : Damien, joueur de hockey sur glace, participe à sa première sélection nationale aux Jeux Olympiques. Mais, entre la pression de la compétition et la débauche de plaisirs au village olympique, des désirs longtemps enfouis refont surface.

Liens vers les différents chapitres

Chapitre 1Chapitre 2

Chapitre 1

Sur la patinoire, les joueurs adverses prenaient leur place. Damien observa se positionner devant leur gardien les cinq opposants qu’ils allaient rencontrer pour ce premier tiers temps. Sa seule surprise fut de ne pas voir Ivan pénétrer sur la glace. Depuis le début des Jeux, six jours plus tôt, tous deux avaient attendu ce match. En championnat, ils évoluaient comme coéquipiers ; pour la première fois, avec les sélections nationales, la compétition les opposerait. Damien avait vibré d’impatience à l’idée de jouer contre lui, mais il n’allait pas laisser sa déception le déconcentrer.

Les Jeux Olympiques représentaient l’un de leurs rêves depuis le début de leur carrière, mais aucun des deux hockeyeurs n’avait imaginé que la pression serait si forte. L’annonce de leur sélection par leurs pays respectifs avait déclenché un intérêt auquel ils n’étaient pas habitués. Les périodes de championnat étaient intenses, pourtant rien ne les avait préparés à cette excitation permanente. Depuis l’officialisation de sa participation aux J.O. dans l’équipe française et celle d’Ivan pour la suisse, les journalistes sportifs ne se focalisaient plus que sur leur supposée concurrence. Après chaque match, on leur pointait la moindre erreur dans leur jeu ou leur communication qui était censée prouver une animosité nouvelle. Ivan et lui avaient failli entrer dans leur petit manège avant de réaliser qu’ils ne faisaient qu’alimenter leurs prétendues discordes. Alors, ils avaient décidé de se montrer unis avant de rejoindre chacun leur délégation. Cela ne leur avait pas demandé beaucoup d’efforts puisqu’ils s’étaient entendus dès leur rencontre pour devenir de vrais amis au cours des trois dernières années. Damien n’allait pas ruiner leur relation en devenant trop compétitif et il savait qu’Ivan serait aussi respectueux.

Leur arrivée au village olympique s’était faite par délégation, mais Ivan avait réussi à le retrouver à peine deux heures plus tard. Damien l’avait alors écouté lui raconter toutes les anecdotes des J.O. précédents qu’il avait entendues durant le voyage et avait ri, incrédule.

Néanmoins, avec la fête qui avait suivi la cérémonie d’ouverture, ils avaient rencontré les autres athlètes et il était vite devenu clair que les rumeurs colportées au sujet du sexe facile lors des Jeux Olympiques n’étaient pas infondées. En une semaine, aucun des deux n’avait passé une journée sans utiliser au moins l’un des préservatifs fournis gracieusement par les organisateurs. Que ce soit pour se détendre avant une épreuve ou pour fêter une victoire, tous les prétextes étaient bons. Ivan en avait fait un jeu pour voir combien de nationalités différentes il pourrait épingler à son tableau de chasse. Quant à lui-même, il avait joué la carte de la brute timide : alors qu’il était resté seul quelques minutes le premier soir, une skieuse de fond l’avait abordé et, en un rien de temps, ils avaient terminé dans les toilettes, la tête de la jolie Suédoise cognant contre la porte au rythme de ses coups de reins. Après cette soirée, Ivan et lui s’étaient lancé des défis en fonction des résultats des différentes équipes.

La performance de l’équipe de France en hockey sur glace face à celle de Suisse était pour le moins incertaine. Les pronostics jouaient en la faveur de la Suisse, mais il n’était pas impossible de les battre. Aussi Ivan avait-il l’avantage et Damien s’étonnait de ne pas le voir entrer en jeu immédiatement, surtout que son ami lui avait promis un rendez-vous avec deux Allemandes s’il parvenait à bloquer au moins trois de ses attaques. Il allait perdre ce pari et sa récompense parce que son adversaire fuyait la confrontation. Le coup de sifflet annonçant l’engagement le força à oublier ce manque de fair-play et à plonger dans le jeu.

L’avance de la Suisse était confortable ; Ivan ne rejoignit son équipe que pour le dernier tiers temps – après avoir ignoré tous les regards noirs qu’avait pu lui lancer Damien depuis son côté de la patinoire lors des interruptions de jeu. Alors, Damien mit toute sa rage dans sa défense à chaque fois qu’Ivan se présentait face à lui. La France avait peut-être perdu sa chance de gagner cette rencontre, mais lui pouvait encore montrer à son ami qu’il ne se laisserait pas abattre si facilement. Et bloquer la crosse d’Ivan ou le plaquer contre le plexiglas de la patinoire était curieusement jouissif.

Le retour au vestiaire se fit dans une ambiance morose. Même si les pronostics jouaient contre eux, ne pas ramener de médaille était un coup dur pour l’équipe de hockey. En particulier pour ceux dont c’était la dernière sélection. Au moins, Damien pouvait viser les prochains Jeux, dans quatre ans. Et, à plus court terme, il comptait bien rappeler à Ivan sa promesse, puisqu’il avait au moins remporté leur défi personnel, et profiter d’une soirée de consolation aux petits soins de deux Allemandes. Quand il quitta la douche et commença à s’habiller, il reçut un message d’Ivan. Celui-ci, plutôt que de l’avoir attendu pour l’accompagner, lui demandait de le rejoindre à son hôtel dans le village olympique. Son ami n’avait visiblement pas compris que retarder leurs retrouvailles ne changerait en rien son agacement, bien au contraire.

Devant la porte d’Ivan, Damien sortit la carte magnétique que lui avait confiée le joueur partageant la chambre de son ami. Le trajet du retour avait eu le temps de calmer ses nerfs et il fut alors étonné de sentir la nostalgie des derniers jours s’installer : il restait la cérémonie de clôture, mais les Jeux étaient finis pour lui et son équipe. À peine franchit-il le seuil qu’il se retrouva dans les bras d’Ivan :

« Je te féliciterais bien pour le match, mais je tiens à la vie, se moqua celui-ci.

— Tu ferais mieux de t’abstenir, oui », répondit-il en rompant leur embrassade. « Et de me dire que j’ai deux jolies Allemandes qui m’attendent dans cette chambre. Et qu’elles parlent un minimum français. »

Damien était incapable de retenir davantage que quelques ordres dans une langue étrangère et il était ravi de laisser ses coéquipiers lui traduire tout le reste. Néanmoins, Ivan le regarda d’un air coupable et il sut que la suite n’allait pas lui plaire.

« Désolé, mes biathlètes nous ont fait faux bond. »

Damien sentit son irritation redoubler, avant qu’Ivan ne poursuive :

« Mais j’ai une jolie patineuse italienne.

— Et elle n’a pas peur que je l’abîme pour ses épreuves ? »

S’il avait appris une chose des patineuses artistiques qu’il avait tenté de draguer, c’était qu’elles ne trouvaient que rarement de l’attrait à un sport aussi violent que le hockey sur glace. En théorie, elles appréciaient le physique des hockeyeurs, leur force brute. Et elles-mêmes prenaient des risques énormes lors des entraînements dans l’espoir de réaliser une combinaison qui les distinguerait. Mais tous ces efforts physiques passaient presque inaperçus lorsqu’elles glissaient avec grâce sur la glace dans leurs tenues délicates tandis que les hockeyeurs étaient renforcés de protections diverses qui rendaient leur déplacement moins fluide. Damien avait trop souvent entendu des patineuses se plaindre de leur manque de finesse. Il ne doutait pas qu’elles appliquaient le même genre de préjugés quand elles les imaginaient au lit.

« Même pas. Stella est furieuse après son partenaire qui lui en a fait baver depuis des mois en l’empêchant d’avoir la moindre relation avec un homme, alors que c’est lui qui a gâché leur chance de médaille aujourd’hui en chutant. Du coup, elle compte bien – et je la cite – se faire défoncer. Elle n’attend plus que nous. »

La satisfaction qui avait envahi Damien à cette idée s’évanouit en un instant lorsqu’il assimila la fin de la sentence.

« Nous ? s’étrangla-t-il. Tu m’expliques comment on est passé d’un plan à trois entre moi et deux biathlètes allemandes à un plan à trois de deux hockeyeurs avec une patineuse ? »

Ivan ne répondit pas aussitôt ; il lui passa plutôt le bras autour des épaules, le faisant se crisper sous ce contact, et l’accompagna vers la chambre. Damien découvrit Stella debout près de la fenêtre. Sa tenue de gala tout juste abandonnée au sol, les cheveux retenus en chignon, elle leur lançait un regard aguicheur alors que l’une de ses mains avait déjà trouvé le chemin de son clitoris et qu’elle leur proposait des préservatifs de l’autre. Le souffle d’Ivan lui chatouilla l’oreille. Soudain, l’idée de faire demi-tour et aller retrouver son équipe lui parut judicieuse. Baigner dans la morosité de la défaite était peut-être préférable aux risques qu’il prenait dans cette pièce. La proximité d’Ivan le perturbait et il craignait d’être trahi par son propre corps. Il avait appris à contrôler son attirance pour les hommes à force de partager des vestiaires, mais l’intimité de cette situation menaçait de ruiner ses efforts.

« À toi de voir, mais ce serait dommage de laisser passer l’occasion. Ça fait à peine un quart d’heure qu’elle est là et elle m’a déjà tellement chauffé qu’elle pourrait me demander de te sucer sans souci », annonça Ivan d’un air sérieux.

L’image qui vint à Damien après cette confession lui contracta le bas-ventre, le laissant entre désir et crainte. Néanmoins, il était assez coutumier des attitudes d’Ivan pour reconnaître sa bravade pour ce qu’elle était : un moyen de se donner de la contenance face à une situation qui l’excitait vraiment. Il réagit alors de la seule manière adaptée : il leva les yeux au ciel et donna une tape amusée à son ami. Celui-ci l’abandonna aussitôt pour rejoindre leur partenaire du soir. Damien hésita encore un instant, mais l’occasion d’avoir une patineuse dans son lit et l’envie de faire plaisir à Ivan l’emportèrent sur ses craintes les plus secrètes.

Lorsqu’il se décida, Stella venait de plaquer Ivan contre le mur et l’embrassait avec passion. Même si son ami s’était laissé faire, Damien admirait la fougue dont faisait preuve la jeune femme. En deux enjambées, il les rejoignit et profita d’être derrière Stella pour redessiner les courbes de son corps, s’attardant sur les zones qui la faisait frissonner. Nue alors qu’eux deux étaient toujours habillés, Stella semblait décidée à réparer cette injustice : elle se dégagea de leur étreinte et les laissa face à face en indiquant, d’un mouvement de menton, leurs vêtements.

Damien jaugea Ivan du regard et ôta son t-shirt, aussitôt imité par son ami. Se rapprochant de lui, Stella déboutonna son jean et il sentit soudain Ivan dans son dos, ses doigts le frôlant pour aider la patineuse à le délester de son pantalon. Le contact, pourtant léger, provoqua en lui une sensation inédite, mais il ne tenait pas à l’analyser dans l’immédiat. Afin d’éviter une réaction inappropriée, il s’écarta et se chargea lui-même de son boxer, tentant d’ignorer Ivan qui se mettait à nu près de lui. Ce n’était pas la première fois qu’ils se voyaient ainsi puisque les douches communes étaient un bon remède contre la pudeur entre sportifs, mais les circonstances étaient différentes et la gêne revenait, teintée d’une culpabilité dont il pensait s’être défait avec la fin de son adolescence.

Toutefois, le malaise passa rapidement puisque Stella l’entraîna vers le lit et s’allongea sur le dos. Battu par Ivan pour goûter les seins menus de la jeune femme, il s’agenouilla entre les pieds de celle-ci. En accord avec ses intentions, elle écarta les cuisses et il commença par l’embrasser au-dessus des genoux. D’une oreille distraite, il perçut le craquement d’une pochette de préservatif puis, alors qu’il arrivait au niveau de l’aine de Stella, Ivan lâcha un gémissement plus rauque. Le bruit de succion qui suivit ne demandait pas beaucoup d’imagination et Damien préféra éviter de relever la tête : la vue du fessier de son ami accroupi au-dessus de la poitrine de leur partenaire n’était pas celle qu’il désirait avoir pour l’instant. Son imagination lui en fournissait déjà une suffisamment détaillée.

D’un coup de langue assuré, il chercha à déconcentrer Stella. Lécher autour de son clitoris ne la fit pas réagir, mais quand il aspira les grandes lèvres l’une après l’autre, il dut maintenir les cuisses de la jeune femme pour qu’elle ne puisse pas les refermer. Alors, elle abandonna le sexe d’Ivan pour parler à ce dernier. Sans réussir à s’intéresser à leur conversation puisqu’elle avait lieu en italien, il resta concentré sur le plaisir qu’il voulait donner à Stella, sur celui qu’il ressentait entre les jambes d’une femme. Cependant, Stella lui échappait, se redressant dans le lit. Quand il leva la tête, Ivan lui tendit un préservatif et une petite bouteille de lubrifiant. Le tout assorti d’un clin d’œil complice :

« Allez, mets-toi sur le dos, enfile ça, sois généreux sur le lubrifiant, écarte un peu les jambes et laisse la demoiselle descendre à son rythme. »

Damien avait l’impression de ne pas pouvoir obéir assez vite : sa dernière copine avait mis des mois avant d’accepter de tester la sodomie et l’expérience avait été unique, aussi ne s’attendait-il pas à cette agréable surprise. Stella ne perdit pas de temps non plus et s’installa dos à lui, les pieds de part et d’autre de ses cuisses. Avec une main pour soutenir la hanche de Stella et l’autre pour garder son sexe en place, il la guida en douceur. Toutefois, Stella le prit de court en s’abaissant soudain, son gland capturé par le muscle anal.

« Oh, putain ! s’exclama-t-il.

– Ouais, elle m’a dit qu’il lui arrivait de garder un plug toute la journée, renchérit Ivan, la voix rêveuse.

– La ferme ! » le rabroua-t-il.

Son ami était à leurs pieds, son sexe en main, se masturbant avec lenteur. Stella ignora leurs enfantillages et continua, sans s’interrompre, à prendre sa verge en elle. La pénétration était constante et la pression délicieuse. Malgré son instinct qui le réclamait, Damien retint ses coups de reins. Quand les fesses de Stella rencontrèrent enfin son bassin, il s’autorisa de légers mouvements et apprécia la facilité avec laquelle le corps de la patineuse s’adaptait à l’intrusion. Le buste de Stella fut toutefois vite repoussé vers lui, jusqu’à ce que son dos repose sur le torse de Damien. Et Ivan s’empressa de s’agenouiller entre leurs cuisses.

D’abord de deux doigts, il pénétra dans le vagin de Stella. Damien s’étonna du contact : serré dans l’anus, il ne s’attendait pas à ressentir autant sa présence La fine paroi entre les deux orifices ne servirait pas vraiment de barrière entre eux et si Ivan n’avait pas eu les doigts recourbés à la recherche du fameux point G, il aurait pu croire que les caresses lui étaient destinées. Il se mordit la langue pour forcer son esprit à quitter cette voie glissante et ne pas se perdre dans le fantasme. Un murmure appréciatif de Stella l’y aida, puis elle débita une phrase en italien à destination d’Ivan. Des encouragements, que son ami s’empressa de suivre, puisqu’il ôta ses doigts ; Damien sentit le matelas s’affaisser et les genoux de son ami cogner l’intérieur de ses cuisses, autant de sensations électrifiant le moindre point de contact. Puis le sexe d’Ivan glissa en Stella, coulissant contre le sien. Il s’inquiéta un instant pour la jeune femme entre eux : la pression seule menaçait de le faire basculer vers la jouissance sans même avoir eu à se mouvoir, il se demandait donc comment elle faisait pour supporter leur intrusion à tous deux. Un soupir de plaisir le rassura.

Puis les déhanchements familiers débutèrent. Plus libre de ses mouvements, Ivan donnait d’amples coups de reins quand Damien se contentait d’un court va-et-vient et leurs corps s’accordèrent vite sur le rythme à tenir. Stella s’abandonnait entre leurs bras et reposa bientôt la tête sur son épaule. Le cou de la jeune femme dégagé, il en profita pour mordiller la peau sensible de cet endroit tandis qu’Ivan reprenait ses assauts sur les mamelons à présent durcis. Les cheveux de son ami lui chatouillaient parfois le nez. Damien choisit de concentrer son attention sur ce détail agaçant plutôt que sur la pression des genoux d’Ivan à l’arrière de ses cuisses. Puis il ferma les yeux et s’oublia dans son propre plaisir.

Sa poigne se raffermit à la taille de Stella alors qu’il sentait l’orgasme se rapprocher. Il se fichait bien de finir le premier et ne chercha pas à retarder le moment. Une contraction du muscle anal autour de son sexe et le frottement de l’autre verge l’achevèrent et son sperme gicla dans la protection. Stella se cambra dans sa jouissance et lança un nouvel ordre en italien. Damien crut comprendre qu’elle réclamait un baiser, aussi s’écarta-t-il du cou de la jeune femme pour lui permettre d’embrasser Ivan. Toutefois, une main sur sa nuque lui fit ouvrir les yeux pour rencontrer le regard contrit d’Ivan. Puis, tout en continuant à chercher sa propre délivrance, ce dernier se pencha sur lui et s’empara de ses lèvres. Le contact humide fut bref, mais il le surprit et intensifia le plaisir de Stella dont le corps sembla soudain convulser pour une seconde ou deux sous celui d’Ivan. Jusqu’à ce que ce dernier se recule, visiblement satisfait à son tour.

Les peaux moites se rafraichissaient et Damien n’avait plus la moindre envie de bouger, parce qu’il lui faudrait réfléchir à ces derniers instants dès qu’il quitterait le lit. Stella fut la première à briser l’accalmie pour se lever et enfiler sa tenue. S’il avait été dans sa chambre, il lui aurait proposé au moins une douche, mais la jeune femme semblait déterminée à démontrer quelque chose à son partenaire olympique. Et rentrer encore suintante de l’odeur du sexe faisait apparemment partie de son programme. Stella se pencha pour déposer un baiser sur sa joue, puis Damien tira le drap sur lui dans un sursaut de pudeur. Le lit grinça et Ivan se leva pour raccompagner Stella. Bercé par le son de leurs voix, Damien cessa de lutter pour maintenir ses yeux ouverts et laissa la torpeur engourdir son esprit.

La porte claqua et, un instant plus tard, le matelas s’affaissa à ses côtés. Ivan prit appui contre lui et Damien sentit les doigts de son ami frôler ses côtes au rythme de ses inspirations. Une fois de plus, il tenta d’ignorer l’effet que ce genre de contact provoquait en lui. Cette excitation nerveuse qu’il pensait oubliée depuis longtemps revenait se venger avec force. Si la refouler davantage était impossible, il aurait préféré qu’elle choisisse une autre cible pour se manifester, quelqu’un qu’il n’aurait pas regretté de perdre quand la situation lui échapperait. Malgré son envie d’ignorer la réalité, une tape amicale sur ses pectoraux le força à ouvrir les yeux. Ivan, assis à quelques centimètres de lui, toujours aussi nu, le fixait avec un sourire en coin et un air indéchiffrable.

« On partage la douche ? » lui proposa Ivan.

Damien se mit à rire et ses propres oreilles reconnurent une note d’hystérie dans son hilarité. S’attarder dans cette chambre ne servirait qu’à inciter sa confusion. Pourtant, lui et Ivan restaient coéquipiers et partageraient à nouveau des vestiaires dans quelques semaines. Le groupe l’aiderait à garder ses distances, mais il ne voulait pas créer de malaise avec son ami. Il décida donc de briser toute tension par l’humour :

« Ça va aller, merci, je verrai ça dans ma chambre. Tu pourrais finir par me violer.

– T’exagères », ronchonna Ivan en s’éloignant pour entrer dans la salle de bains, tout comme Damien l’avait espéré.

Cependant, son ami fit volte-face et prit appui sur le chambranle.

« C’est elle qui m’a demandé qu’on s’embrasse et j’ai voulu lui faire plaisir, mais je n’aurais peut-être pas dû. Pas si ça rend les choses bizarres entre nous.

– C’était juste un baiser », le rassura-t-il tout en essayant de se convaincre de l’innocence du geste. « Elle aurait pu demander des choses bien pires.

– Avec toi ? le taquina Ivan de son air charmeur. Tout ce qu’elle voulait. »

La porte de la salle de bains se referma sans lui laisser la possibilité de répondre et il lui fallut quelques secondes pour assimiler ce que venait de dire Ivan. Son corps semblait partagé entre l’espoir de voir ses désirs assouvis et la terreur d’y céder pour être déçu. Face à ces émotions contradictoires, il se redressa trop vite sur le bord du lit et la nausée le prit. La tête penchée entre les genoux, il tenta de retrouver son calme. Plusieurs minutes s’écoulèrent durant lesquelles il se força à ignorer le bruit de la douche pour s’empêcher d’imaginer le corps que l’eau caressait. Puis le silence résonna à ses oreilles et il se fit violence pour se mettre en mouvement. Il enfila ses vêtements en toute hâte et s’échappa de la chambre.

Porn ? What Porn ? – Du porno ? Définitivement ! (3)

— Déshabille-toi.

Florian dut cligner des yeux pour essayer de garder même un minimum ses esprits. Déjà ? Là ?

— Hein ? lâcha-t-il.

— Si je te dis…

Juan sembla réfléchir.

— … « Je veux que tu me défonces si fort que j’en hurlerai à réveiller tout l’immeuble », c’est quoi ?

OK… Juan jouait encore ou… bossait… ou… Et, putain, ils étaient au travail, là.

Confus, il leva les yeux vers la pendule et se rendit compte qu’ils avaient dépassé l’heure du départ. Plus personne ne devait se trouver dans les bureaux ou plus pour longtemps. Mais il fut incapable de pousser plus loin sa réflexion. Comment diable Juan faisait-il pour poursuivre sur cette histoire de classification quand ils auraient pu se sauter dessus sans autre préambule ?

— Le fait que toi et moi, nous soyons habillés, le relança Juan, ça joue, n’est-ce pas ? Ça nous place forcément dans l’érotique.

— Oui, admit Florian.

— Si je te dis la même chose, nu, tu le percevras différemment.

Ce n’était pas vraiment une question. Mais il connaissait la réponse. Il la désirait même.

— Oui.

Juan fit alors tomber son pantalon et s’occupa d’enlever ses vêtements de ses chevilles avant de l’inviter d’un mouvement de tête à en faire autant. Florian resta coi. Il avait une trique à servir de bélier pour enfoncer une porte et son cœur battait tellement vite que c’était comme s’il allait finir par s’arrêter. Et pourtant, il était incapable de bouger et d’attaquer sa mise à nu, ses yeux suivant chaque geste de Juan, chaque contraction de muscle avant de se poser sur la bosse proéminente qui déformait son boxer. Juan le fixa avant de sourire et de baisser son dernier vêtement.

Quand il se retrouva entièrement dénudé devant lui, Florian le dégusta du regard, détaillant son sexe tendu, le halo de poils noirs qui l’entourait, celui qui recouvrait ses jambes. La combustion spontanée le menaçait, il en était certain.

— Alors, si je te répète que « Je veux que tu me défonces si fort que j’en hurlerai à réveiller tout l’immeuble », cette fois ?

Il inspira pour reprendre un tout petit peu contenance et ne pas simplement dire : « Oui, tout ce que tu veux, l’immeuble et la ville entière tant qu’on y est ».

— Érotique, choisit-il pourtant.

Et franchement ? Il méritait une médaille pour son self-control. Méritait qu’on lui érige une statue : Florian, l’homme qui, non content de se taper du porno à longueur de journée sans sourciller, fut capable de rester stoïque face à son sex-symbol de patron alors qu’il lui suggérait, à poil, l’idée de le baiser de toutes ses forces…

— Bien, donc, ce n’est pas tant ce que je dis que mes actions, alors ?

Qu’allait faire Juan quand il répondrait oui ? Parce qu’il allait répondre oui, c’était évident. C’était la vérité d’ailleurs, mais surtout, surtout…

— Oui.

Juan se rapprocha de lui et posa soudainement les mains sur ses hanches. Le contact de sa peau sur celle sous son t-shirt l’électrisa et il le laissa le lui ôter avec envie. Quand son patron s’attaqua aux boutons de son jean, il ne protesta pas davantage, devant plutôt lutter pour se retenir de se jeter sur lui que pour lui résister. Mais il était nu, là, devant lui et toute résistance était futile. Cela faisait un moment qu’il avait perdu, de toute façon.

Lorsqu’il fut dénudé lui aussi, le sexe plus dur que jamais et Juan tout aussi raide, il eut vraiment le sentiment d’être en train de rêver et bon Dieu il ne voulait surtout pas se réveiller, jamais.

Puis Juan le fit reculer de manière à l’appuyer contre le bord du bureau et tomba brusquement à ses genoux. Lorsqu’il leva ensuite les yeux pour le regarder, Florian aurait pu en jouir sur l’instant.

— Et là ? lui demanda son patron.

Porno ! pensa Florian, et ce avec la plus grande force qui soit et sans la moindre hésitation, mais il dit quand même de la voix la plus assurée qu’il put :

— Érotique.

Juste pour voir ce que ferait Juan par la suite.

Celui-ci ne fut pas dupe, car son sourire eut ce petit quelque chose d’amusé qu’il lui avait déjà vu.

— Tu es vraiment sûr ?

— Oui.

#Menteur.

— D’accord.

Alors, Juan prit une profonde inspiration et, tout doucement, il souffla sur sa verge de haut en bas. Le frisson que Florian en éprouva le parcourut des pieds à la tête avant de faire le chemin inverse. Et si ce n’était pas la caresse la plus érotique qu’on lui ait jamais prodiguée, il ne savait pas ce que c’était. Il ne sut même pas pourquoi il ne projeta pas les reins vers l’avant pour venir à sa rencontre et… il se concentra sur sa posture… OK, il venait de le faire, en fait. Quand Juan reprit une nouvelle inspiration, son ventre se contracta de plaisir anticipé. Le second passage de son souffle fut tout aussi délicieux que le premier.

— Érotique, énonça-t-il sans que Juan n’ait besoin de dire quoi que ce soit.

Cela fit sourire ce dernier.

Avec un regard plus brûlant que jamais, Juan amena ses doigts à sa bouche et entreprit de les lécher. Voir sa langue naviguer malicieusement à quelques centimètres de sa verge qui n’attendait que cela était la pire des tortures. Et en même temps, son excitation et son envie grimpaient de plus en plus haut, de plus en plus vite et c’était délicieux, atrocement délicieux.

Et puis les doigts humides se posèrent sur sa verge, glissant avec facilité le long de sa chair. Il gémit.

— Pornographique ? demanda Juan.

— Ça dépend…

Sa réponse sembla décontenancer Juan, et si le plaisir ne l’avait pas en partie étourdi, il aurait apprécié que la situation s’inverse enfin un peu.

— Ça dépend de ce que filme la caméra, continua-t-il.

Les va-et-vient sur son sexe se poursuivaient. Que ça dure encore, surtout…

— Si elle filme ton visage et la façon dont tu te mords la lèvre ? demanda Juan.

Qu’il ait décrit ainsi l’expression qu’il devait avoir le perturba, mais il répondit quand même :

— Érotique.

— Si elle descend sur ton torse et ta main crispée dessus ?

— Érotique.

— Si elle se recule pour nous englober, toi et moi à tes pieds ?

— Érotique.

— Si elle vient sur ma main qui te caresse ?

— Pornographique.

— Sur mon visage qui s’approche de toi ?

— Érotique.

— Ma langue qui suit ta verge ?

Alors qu’il le faisait pour de bon, Florian se trouva incapable de répliquer, sa gorge laissant juste passer un long halètement.

— Porno, parvint-il enfin à dire alors que la langue de Juan se détachait de sa chair.

Ce dernier leva les yeux vers lui pour le fixer durant quelques secondes.

— Sur ma bouche qui embrasse ton gland ?

Juan ne bougea pas. Florian prit quelques secondes pour répondre, frémissant à l’idée que Juan mette en pratique cette dernière suggestion :

— Porno.

Et Juan engloba son sexe de ses lèvres.

Dans un gémissement, Florian glissa les mains dans la chevelure de Juan, les y crispant. Sa bouche le rendait fou et le savoir, là, agenouillé devant lui en train de le sucer comme s’il s’en était privé durant des années, avait un quelque chose d’autant excitant qu’irréaliste. Il caressa sa tête, sa joue, frémissant alors que Juan le prenait plus profondément. Si ses allers-retours étaient lents, Florian pouvait les sentir avides, accompagnés de longs mouvements de langue et de succions si délectables qu’il en ferma les yeux… un instant seulement. Il était hors de question qu’il se prive du spectacle s’offrant à lui. En observant la bouche ouverte autour de son sexe, il n’eut aucune hésitation sur le caractère pornographique de ce qu’il voyait, mais il aurait pu regarder ce film-là pendant des heures sans se lasser. Les mains qui vinrent caresser ses testicules le laissèrent de marbre, mais il prenait bien assez de plaisir par les attentions buccales pour signifier son manque de sensibilité à cet endroit. Juan laissa finalement ressortir sa verge et embrassa son bas-ventre, avant de poursuivre sur son estomac.

— Érotique ? demanda-t-il.

— Putain, oui, souffla Florian.

Juan remonta légèrement pour atteindre son plexus solaire avant de continuer jusqu’à ses pectoraux. Sa langue y navigua par petites circonvolutions jusqu’à trouver le pic qu’elle recherchait. Florian s’agrippa plus fort à lui quand Juan aspira son téton entre ses lèvres.

— Érotique, souffla-t-il encore.

Il savoura la caresse, frissonna quand Juan le relâcha et que la pointe humide se raidit au contact de l’air frais. Mais Juan était déjà sur l’autre, et il se laissa emporter au rythme de ses succions et coups de langue. Les lèvres poursuivirent finalement le long de son cou.

Ses mains posées sagement sur les hanches de Juan le tirèrent à lui, collant leurs deux corps et alignant leurs verges. Et tandis qu’il ondulait très légèrement du bassin, le visage de Juan lui fit face.

— Érotique, répondit-il machinalement.

Excitant, enivrant, torride lui vinrent aussi à l’esprit.

— Et le fait que nous ne nous soyons pas encore embrassés ?

— Frustrant.

Et il ne chercha pas plus longtemps, il agrippa Juan, se pencha et l’embrassa à pleine bouche. Sa langue eut vite fait de se frayer un chemin entre les lèvres collées aux siennes. Prendre son temps n’était plus vraiment de circonstance. Il aurait adoré être patient et déguster ce baiser avec retenue, mais cela lui était impossible, et toute son envie, son excitation, il les y déversa, dévorant la bouche qui s’offrait à lui.

Juan, maître du jeu depuis le départ, lui cédait le pouvoir. Et il ne le faisait pas seulement dans ce baiser et la façon dont il penchait la tête pour lui fournir toute la latitude qu’il désirait. C’était visible aussi dans la façon subtile dont son corps se faisait plus souple contre le sien, plus soumis aussi. Florian voulait saisir l’invitation. Ses mains n’hésitèrent plus et il se mit à lui caresser le dos ainsi que les fesses offertes. Le baiser se poursuivit, vorace et exigeant et bientôt l’envie de plus, de plus de chair, de plus de contacts devint incontrôlable, au point où son corps se mettait déjà en mouvement, mime de l’acte qu’il rêvait de pratiquer. Il fallait qu’il passe à la suite, là, maintenant, tout de suite et…

— On n’a pas de préservatifs, réalisa-t-il, complètement catastrophé.

Juan laissa échapper un petit rire avant de se reculer. Il s’approcha de la porte et pendant un instant, Florian pensa qu’il allait sortir comme ça, nu et en érection et ç’aurait été encore plus délirant que ce qu’il avait vécu jusque-là, mais il la verrouilla et la prise de conscience le frappa de plein fouet. N’importe qui aurait pu pénétrer dans la pièce et les surprendre, bien qu’il ignore s’ils étaient ou non les derniers présents dans les lieux. Déjà, Juan se dirigeait vers son pantalon et lorsqu’il le vit se pencher pour l’attraper, la vision fut suffisante pour lui faire oublier cet instant d’inquiétude.

Il se décala pour mieux l’apprécier et eut un petit sourire en lui lançant :

— Pornographique.

— Et où donc est braquée la caméra ? s’amusa Juan.

Florian n’y tint plus et s’approcha. Juan ne fit pas un mouvement, offrant à son regard l’impudeur de son intimité dévoilée.

— Là, souffla Florian alors que d’un geste il passait entre les fesses légèrement écartées de Juan, effleurant l’entrée qu’il convoitait pour descendre jusqu’à ses testicules.

Il le voulait tellement ! Enhardis, ses doigts poursuivirent jusqu’au sexe tendu de son partenaire et s’enroulèrent autour de lui. La caresse qui suivit lui valut le plus beau des gémissements et il se sentit désormais prêt à tout, et en particulier à faire tout ce que Juan avait demandé à titre d’exemple plus tôt : le baiser fort, tellement fort que l’immeuble, la ville, le pays entier l’entendrait jouir sous ses coups de reins.

Il se pencha et ses lèvres effleurèrent la peau de sa nuque, poussant Juan à chercher en urgence un appui, qu’il trouva sur le rebord du bureau. Alors, il grignota sa chair, la lécha, la mordit au besoin tandis que sa main poursuivait son œuvre. Contre lui, Juan se frottait lascivement, relâchant par moments des soupirs si chauds qu’ils finissaient de l’achever. Il accéléra ses caresses jusqu’à ce que Juan l’interrompe et lui tende, le souffle court, le lubrifiant et le préservatif qu’il avait extraits de son pantalon. Aussitôt, Florian les attrapa et se recula. Il ouvrit le paquet et plaça la protection sur son sexe alors que Juan le surprenait en se redressant pour en faire tout autant.

— On ne voudrait pas laisser des traces derrière nous, précisa-t-il.

— Tu penses à tout, chuchota Florian et même lui put sentir à quel point son souffle se faisait désormais empressé.

Juan lui sourit, se retourna puis, d’un léger bond, grimpa sur le bureau. Lorsqu’il écarta les jambes dans une position offerte, Florian fut fasciné par la vision qui s’offrait à lui.

— Érotique, commenta-t-il, même si ça pouvait sembler surprenant.

Mais il n’y avait rien de pornographique pour lui à cet instant. Juan, nu, en érection, simplement éclairé par la lumière de rue, maintenant que l’obscurité de la nuit hivernale était tombée… L’image était magnifique.

— Tu as toujours du mal à faire la différence entre les deux, se moqua Juan.

Florian sourit, amusé.

— Sûr…

Et il se pencha sur lui pour baiser de nouveau sa bouche, la capturer et la faire sienne. Et l’intensité avec laquelle il se fondit dans ce contact reflétait celle avec laquelle il désirait désormais prendre Juan. Puis il redressa légèrement la tête et plongea dans son regard.

— À toi de décider si la suite sera érotique ou bien porno, souffla-t-il.

Un coin des lèvres de Juan se releva.

— Celle des deux que tu voudras, dit-il.

Florian voulait tout.

La respiration accélérée par l’excitation, il se redressa et considéra l’entrée où il mourait d’envie de s’enfoncer.

Voir son sexe à l’orée du corps tant désiré était clairement porno, mais du porno comme ça, il en voudrait tous les jours. Il se pressa contre sa chair et se mordit les lèvres en regardant sa verge entrer, progresser dans cet antre chaud et serré et… il finit par fermer les paupières et renverser la tête de plaisir tandis qu’il finissait d’y glisser. Durant quelques secondes, il resta ainsi, mais eut besoin de voir Juan et rouvrit ses yeux humides sur lui. La tête tournée de côté et la respiration rapide, ce qu’il éprouvait semblait si intense que Florian se demanda s’il avait eu raison de le pénétrer si vite, sans même chercher à le préparer. Il ne savait pas, après tout, si Juan était habitué à ça ou si…

Mais celui-ci ouvrit un œil légèrement railleur.

— Alors ? Tu n’étais pas censé me faire crier ?

Oh, bon Dieu, si !

Il se recula, et ce fut comme si toute sa chair pleurait d’excitation et de besoin à la fois, avant qu’enfin, il rentre de nouveau l’enfouir dans le corps de Juan, et c’était érotique, et c’était pornographique, et c’était surtout fou, chaud, brûlant et bon à en perdre la tête. Sans plus hésiter, il pratiqua de longs va-et-vient en lui, toujours faiblement conscient, au fond de lui, de ce qu’il y avait de transgressif à prendre ainsi celui qui restait son patron : l’homme sur lequel il avait fantasmé des mois durant, celui avec qui il s’était promis de toujours garder ses distances, celui qu’il avait vu tant de fois prendre la place des acteurs devant ses yeux… Il s’abîma dans le plaisir de le posséder, de sentir son sexe entrer en lui et ressortir lentement, et engendrer ainsi des frictions si agréables qu’il en était pantelant.

Devant lui, Juan se tordait, son torse se soulevait et se rabaissait au gré de son souffle, son corps accueillant avec une envie palpable ses coups de reins. Sans réfléchir, Florian se mit à aller et venir plus fortement en lui. Juan gémit. Il lui avait promis de le faire crier fort et il voulait tenir sa parole. Il changea d’angle, chercha à frotter plus intensément sur sa prostate, recueillit quelques halètements et frissons plus marqués qui majorèrent encore son excitation. De doux frémissements de plaisir commencèrent à serpenter aux creux de ses aines, le long de son dos, montant… Et quand Juan se mit à se masturber, Florian resserra ses mains sur ses cuisses et se laissa aller à le marteler sans plus se retenir, lui arrachant des cris d’extase qui firent écho aux siens quand sa voix se libéra aussi. La jouissance monta, puissante, et il y sombra avec force, se déversant tandis que des éclairs de plaisir crépitaient jusqu’à l’intérieur de son crâne.

Enfin, il s’arrêta, assailli par une nuée inattendue d’images : de celles que les heures de visionnage de vidéos pornographiques avaient inscrites dans son esprit et sur lesquelles se superposaient celles que son amant venait de lui offrir. Il voulait plus de Juan, plus de son corps, plus de son souffle, plus de la sensation de sa chair et du son de sa voix dans le plaisir… Difficilement, il essaya de reprendre sa respiration. Il s’était tellement laissé emporter par le fait d’être en lui qu’il n’avait même pas essayé de l’attendre avant de jouir. Pas grave, il ne comptait pas s’arrêter là, de toute façon.

Après une dernière longue expiration, il se retira. Lorsqu’il leva les yeux sur Juan, il remarqua que ce dernier le dévisageait avec une lueur perverse dans le regard.

— Je pense qu’on peut faire encore plus porno…

Florian rit légèrement à la remarque de Juan, puis s’attarda à retirer sa protection.

— On est toujours en train de faire de la simulation pour le travail ? demanda-t-il d’un ton badin.

— Peut-être…

Celui de Juan était clairement joueur. Florian lui lança une œillade provocante.

— Tu n’as pas crié assez fort ?

— Non… Toi, tu n’as pas assez crié.

Le sourire en coin avec lequel Juan lui avait dit ça lui plut particulièrement. Tandis qu’il se dirigeait vers la poubelle pour jeter son préservatif, il put entendre son amant redescendre du bureau. Il se penchait à peine au-dessus de la corbeille qu’il sentit déjà son torse chaud se coller à son dos.

L’excitation regrimpa en lui, nullement entravée par son récent orgasme. Son sexe ne se releva pas pour autant aussi vite. Florian se redressa, accueillit les baisers de Juan dans son cou, se laissa étourdir.

— Encore, réclama celui-ci.

Le mot le plus chaud du monde…

Si la manière dont Juan caressa juste après l’espace entre ses fesses le surprit, celle dont il appuya ensuite sur l’entrée de son corps déclencha en lui une brusque montée de désir. Il posa une main sur le mur attenant à la corbeille, avant d’y appliquer l’autre en soufflant quand le doigt qui l’attisait plongea en lui. Il sentit sa verge réagir légèrement comme son amant touchait le point qu’il savait être le plus sensible de son corps. Putain, il en voulait encore…

Un murmure de plaisir lui échappa et il se cambra pour s’offrir plus intensément à ses caresses, laissant retomber la tête vers le bas. La manière dont Juan gémit alors d’envie en espagnol l’excita vivement.

Quand ce dernier enfonça un second doigt en lui, il se mordit les lèvres tandis que son amant continuait à le pénétrer de ses phalanges en veillant à chaque fois à bien appuyer sur sa prostate. Il se tordit sous les pressions insistantes, dévasté par le plaisir montant, et il se mit même à caresser par réflexe sa verge qu’il sentit si tendue soudain, et le fit si vivement qu’il aurait pu jouir ainsi, mais Juan l’arrêta d’une main ferme sur son poignet. Il cessa alors ses mouvements, mais son amant ne retira pas ses doigts, jouant encore avec sa boule de nerfs, faisant remonter des éclairs de pure extase dans tout son corps. Il en lâcha de longues expirations qui ne parvenaient que difficilement à modérer son besoin de gémir.

Juan finit par s’arrêter.

Sa bouche fut près de son oreille, son souffle brûlant.

— Tu as toujours envie de porno ? demanda-t-il enfin.

Florian n’attendait que ça.

— Oui, répondit-il sans hésitation.

Juan lui lécha l’oreille, provoquant des frissons tout le long de sa nuque.

— Tu veux bien écarter plus les jambes ?

Florian s’exécuta avec envie.

— Tu veux que je t’encule ? poursuivit Juan.

Le choix de vocabulaire le fit rire. Il tourna le visage pour découvrir l’expression amusée de son amant.

— OK, ça, c’est porno, acquiesça-t-il.

Juan sourit.

— Non, ça, ça l’est.

Et il s’enfonça lentement en lui.

Florian gémit fortement, conscient de la présence qui l’emplissait. Il pencha la tête, tremblant de savoir quel serait l’acte suivant de Juan. S’il continuerait à être doux ou s’il se mettrait à aller et venir vivement en lui.

Mais Juan ne bougea pas. Il resta simplement ainsi, à appuyer son sexe contre sa prostate déjà fortement stimulée, et à caresser longuement son dos et ses hanches. Puis, très progressivement, il recula, et Florian retint son souffle. Et quand son amant revint s’enfoncer en lui, il relâcha un râle de plaisir. Cette douceur, cette tendresse était agréable et remuait quelque chose en lui, mais pour l’heure, son excitation réclamait plus. Il dut se contenir pour ne pas faire lui-même des allées et venues sur la chair qui l’enflammait. Comme Juan s’immobilisa de nouveau, il tourna légèrement la tête vers lui et lui adressa un regard provocateur.

— Je suis sûr qu’on peut faire encore mieux, l’incita-t-il dans un sourire.

— Tu veux que je te baise plus fort ?

Putain, pourquoi les pornos étaient-ils toujours si ennuyeux quand, dans la vraie vie, de simples mots, une simple invitation, un geste pouvaient porter une telle tension en eux ? Il hocha vivement la tête. Juan ne se fit pas prier. Il serra aussitôt ses doigts sur ses hanches et accéléra son rythme. Grand Dieu, que c’était bon ! Il en avait eu besoin, en fait. Depuis combien de temps n’avait-il plus éprouvé cette sensation ? Et que ce soit Juan qui en soit à l’origine, lui qui avait accueilli sa propre verge quelques minutes seulement auparavant, rendait l’acte encore plus extraordinaire et excitant.

Il se cala contre le mur et accueillit les coups de reins avec un plaisir grandissant, savourant les mains qui enserraient ses hanches.

C’était bon, terriblement bon, il en voulait encore.

— Plus, gémit-il.

Et Juan accéléra, le pilonnant littéralement. Le plaisir crépita dans son corps, s’enflammant à chaque nouvelle pénétration. Mais ce n’était pas encore assez et il ne comprenait pas pourquoi ni comment, il savait juste qu’il voulait plus. Alors dans un mouvement qui ne fut pas sans douleur pour lui, il repoussa son amant, le forçant à sortir brutalement de son corps. D’un regard rapide, il engloba la scène : le visage surpris, frustré et même un peu hagard de Juan… plus loin, son fauteuil, toujours pas. Restait le sol…

— Parfait.

Alors il prit la bouche de son amant avec la même passion que précédemment et peut-être davantage de folie. L’exclamation de Juan fut étouffée sous ses lèvres, tandis qu’il le poussait fermement jusqu’à l’allonger sur le parquet.

— Flo…

Mais l’heure n’était pas aux paroles. Il l’enjamba pour se positionner au-dessus de lui avant de s’empaler violemment sur son sexe tendu. Juan laissa échapper un râle sonore. Florian ne lui laissa pas le temps de réfléchir. Lui-même n’en était plus capable. Il voulait juste voir Juan jouir. Alors il se mit à bouger vigoureusement, ses mains caressant, touchant, griffant, tandis que ses lèvres et sa langue faisaient des ravages sur le visage de Juan qui tentait de lui rendre baiser pour baiser, caresse pour caresse, mais qui semblait pourtant dépassé par sa fougue. Le plaisir grondait en lui avec tumulte, ses jambes devenaient douloureuses tant il s’échinait sur l’homme qui se décomposait sous ses assauts, mais il n’aurait rien changé. Il en aurait été incapable. Le regard fixé sur le visage de Juan, il attendait le moment où il chuterait, où ses onomatopées ne seraient plus le signe de sa montée, mais celui où il atteindrait son apogée.

Et puis, enfin, Juan jouit. Son corps se raidit sous le sien tandis que de longs râles lui échappaient encore et encore et qu’il laissait partir son crâne en arrière, le faisant rouler sur le sol. Absorbé par ce spectacle, Florian n’en enserra pas moins la verge à l’intérieur de son corps par une forte contraction avant d’empoigner son sexe et se masturber rapidement et sans aucune retenue. La présence du sexe en lui, la manière dont il le sentait pulser, l’expression de Juan dans la jouissance… Tout le poussa vers un nouvel orgasme qui l’emporta tandis qu’il se répandait sur le torse de son amant. Le plaisir fulgurant l’envahit entièrement, emplissant son cerveau, annihilant complètement les paroles précédentes de Juan sur la nécessité de ne pas laisser de traces de leurs ébats… Mais sur le coup, il s’en moquait. Ils se nettoieraient plus tard. Son corps se fit terriblement mou et il s’effondra sur lui.

Leurs deux poitrines collées gonflaient et se vidaient à un rythme rapide tandis que leurs souffles ne semblaient plus vouloir revenir à la normale. L’odeur de sperme, de sexe, de sueur qui assaillait les sens de Florian finissait de l’étourdir. Comment allait-il faire pour se relever après ça ? La question méritait d’être posée.

#MissionImpossible.

Mais pour l’heure, les mains de Juan, qu’il avait craint de sentir le repousser, caressaient son dos avec tendresse et c’était très bien ainsi.

— C’était définitivement pornographique, remarqua finalement Juan.

Et Florian éclata de rire parce qu’il ne s’y attendait pas et parce qu’il aimait ça, les gens qui ne perdaient pas le nord.

— Je crois qu’on peut dire ça.

— Est-ce qu’au moins ça t’a aidé ?

Juan avait l’air amusé et même légèrement taquin en disant ça. Florian se redressa afin de lui faire face. Il se força à considérer sa question.

En un sens oui, s’il restait sur la conception érotique/porno dont ils avaient parlé auparavant, ce qui venait de se passer entre eux lui faisait réaliser que c’était plus le contexte et les actions qui jouaient que le vocabulaire. Pour le reste… Son regard se balada sur le visage de Juan qu’il trouva encore plus attirant qu’avant leur étreinte, si seulement c’était possible. En fait, la véritable question qui le turlupinait était : « et maintenant ? ».

Que se passerait-il désormais entre eux ? En resteraient-ils à un coup d’un soir ou pouvait-il espérer plus ? Et comment allait-il gérer le fait de bosser ensemble en sachant à quel point le sexe pouvait être bon avec lui ?

Et peut-être plus que tout, Juan, que voulait-il ?

D’une petite mimique, ce dernier le relança. Il n’y avait sans doute qu’une seule façon de répondre à toutes ces questions.

— Je crois qu’il me faudrait approfondir le sujet, tenta-t-il, le cœur battant.

Le sourire de Juan se fit resplendissant. Il se redressa jusqu’à venir l’embrasser tendrement.

— Eh bien, je te propose qu’on se rhabille, qu’on range un peu, qu’on aère.

La remarque le fit pouffer.

— Et après une douche et un repas à la maison, nous aurons tout le reste de la soirée pour étudier cela. Qu’est-ce que tu en dis ?

Il acquiesça d’un mouvement de tête avant de se relever doucement et de se reculer. Le sol lui avait fait un peu mal aux genoux, mais il tenait sur ses jambes, c’était toujours ça de pris. Juan en fit autant et, d’un geste mécanique, enleva le préservatif. Avec son ventre portant les traces de leurs ébats, ses cheveux en bataille, ses lèvres rougies et son sexe pas tout à fait au repos, il était plus sexy que jamais et tandis qu’il attrapait ses vêtements, Florian ne put s’empêcher d’espérer qu’il y aurait plus que ce soir.

Quand ils se furent rhabillés, qu’ils eurent récupéré les deux préservatifs usagés (Florian aurait pu bénir Juan d’y avoir pensé), ils prirent le chemin des ascenseurs. Les bureaux étaient vides et plongés dans le noir. Alors qu’ils marchaient en silence, Florian chercha un moyen de tâter le terrain auprès de Juan pour savoir s’il attendait bien plus que cet interlude, mais ne le trouva pas.

Une fois arrivé dans le parking, Juan sortit ses clefs de voiture et lui demanda avec un sourire séducteur :

— Prêt pour une longue soirée de travail ?

Une façon comme une autre de lui permettre de faire machine arrière sans doute, quand tout ce qu’il voulait c’était au contraire avancer, avancer même très loin et très vite. Peut-être était-ce le moment idéal pour amener la discussion sur le sujet.

— Je…

Il ne savait pas comment s’y prendre. Il repensa à son job et à la manière dont son pétage de plombs les avait emmenés là.

— Tu sais, pour le boulot… je…, même si je suis content de la tournure qu’ont pris les choses ce soir, je ne sais pas si je pourrai rester à ce poste encore longtemps, lâcha-t-il soudainement, inquiet de ce qu’en dirait Juan.

Peut-être que sa proposition ne survivrait pas à cette demande de sa part.

Juan n’eut pourtant qu’un petit sourire en coin, montrant clairement qu’il s’était attendu à entendre ça un jour ou l’autre.

— Alors il faut qu’on se dépêche d’explorer toutes les facettes du porno et de l’érotisme ensemble avant, répondit-il avec une expression mutine.

Florian ne demandait que ça. Son ventre se tordit d’envie et d’anticipation. Il sauta néanmoins sur l’occasion :

— Oui… mais tu sais, j’aurai sûrement besoin de cours de rappel, je peux être long à la détente, parfois…

Juan sourit largement.

— J’ai remarqué ça.

— Comment ça ? réagit Florian en fronçant les sourcils.

Cette fois, Juan éclata franchement de rire.

— Disons que tous les moyens discrets et subtils que j’ai tentés pour te montrer que tu me plaisais ont fait chou blanc alors même que tu me dévorais des yeux à chaque fois qu’on se croisait. Très honnêtement, si je n’avais pas saisi l’occasion ce soir, je crois que le seul moyen de te coller dans mon lit aurait été de me balader avec une pancarte indiquant : « Florian, baise-moi ».

— Non, mais, mais… euh…

#LeRetourDuEuh.

Juan ricana.

— Il faudra aussi que nous nous penchions sur tes capacités d’élocution, tu as des progrès à faire à ce sujet.

Il en resta muet. Mais déjà Juan lui ouvrait la portière, et s’il hésitait entre rire à son tour et lui rabattre son caquet, il se dit qu’il aurait bien des moyens de le faire taire un peu plus tard… ou du moins d’occuper suffisamment sa bouche à autre chose qu’à le critiquer.