Autrice : Valéry K. Baran.
Genres : Érotique, BDSM, hot.
Résumé : Mais que fait-elle ici ? À peine est-elle entrée dans le club très privé que Claire se demande ce qui lui a pris de venir dans cet endroit. Pourtant, elle se sent irrésistiblement attirée par ce mystérieux « donjon » et ses alcôves aux mille promesses indécentes. Et lorsqu’elle croise le regard de Mathieu, elle comprend. Elle comprend que c’est ici qu’elle pourra enfin se révéler. Elle comprend que c’est lui qui l’initiera au côté sombre du désir…
Roman sorti en numérique aux éditions Harlequin. Et très bientôt en papier ici !
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Première partie
D’une main, Claire attrapa le flyer qu’elle avait déposé sur le siège passager. Ses cheveux lui battaient le visage tandis que la musique diffusée par la radio s’échappait des fenêtres ouvertes de son véhicule. Elle jeta un œil au plan dessiné au dos du tract, avant de le retourner. Brièvement, elle observa la photographie représentant une grande demeure de pierre de couleur chaude, perdue au milieu de champs dorés. Il s’agissait bien de la bâtisse vers laquelle elle se dirigeait. L’établissement n’était pas visible depuis la route mais, depuis le petit chemin qu’elle était en train de remonter, on pouvait le reconnaître. Le soleil déclinant éclairait la façade d’une lumière orangée, tandis que les quelques arbres l’entourant se paraient d’un vert plus soutenu.
La terre crissa lorsqu’elle se gara sur le parking situé en contrebas. Claire s’étira, les bras appuyés au volant, tout en examinant les véhicules déjà stationnés ; au milieu du luxe environnant, sa Mini d’étudiante détonnait complètement. Tant pis, décida-t-elle en ouvrant la portière. Elle n’était pas venue ici pour faire un concours de la plus belle voiture.
Une fois dehors, elle examina la large demeure. Les hauts murs la ceinturant ne laissaient rien deviner de ce qu’ils cachaient, mais elle avait pu apercevoir, depuis la route, les différents bâtiments la composant. Plus loin se dressaient quelques collines à l’herbe séchée par le soleil et aux genêts en fleur, bercées par le chant des cigales. On aurait pu se croire dans un lieu de villégiature estival, à la porte d’un mas restauré pour accueillir les touristes en mal de tranquillité. Pourtant, malgré l’aspect chaleureux des lieux, elle ne parvenait pas à se sentir tout à fait à l’aise. Elle n’avait décidé de venir qu’au tout dernier moment et, elle le savait, il lui faudrait plus d’audace qu’elle n’en avait déjà eue pour en franchir l’entrée…
Presque sans y penser, elle défit le premier bouton de son chemisier. En cette période caniculaire, la chaleur restait forte une bonne partie de la nuit. Son attention fut soudain attirée par un jeune couple qui venait de se garer un peu plus loin et qui la regardait. Par réflexe, elle cala plus nettement son dos contre la portière derrière elle : dans leur regard, elle avait vu une lueur d’intérêt s’allumer. Elle les suivit des yeux tandis qu’ils s’éloignaient. La soirée n’était pas encore amorcée ; elle avait encore le temps de réfléchir à ce qu’elle s’apprêtait à faire.
Lorsque le couple s’engagea dans une courte allée menant à l’entrée de l’établissement, elle reporta son attention sur le parking avant de s’allumer une cigarette d’un geste plus nerveux qu’elle ne l’aurait voulu. L’odeur de la fumée se mêla à celle des herbes sèches, provoquant en elle un certain apaisement. Puis, elle jeta de nouveau un œil sur le flyer qu’elle tenait en main, relisant les informations qui y figuraient, et notamment le « tenue correcte exigée » inscrit sous la mention « établissement très select ». Bien qu’il s’agisse de son plus bel ensemble, il lui parut soudain certain que le chemisier noir et la jupe courte qu’elle avait revêtus ne suffiraient pas.
Elle inhala longuement une bouffée de tabac avant de la relâcher dans l’air, observant ses volutes se délayer dans le bleu-gris du ciel.
Aussi loin qu’elle se souvienne, elle n’avait jamais eu besoin de séduire, du moins volontairement. Attirer un regard comme celui du couple qu’elle venait de croiser n’avait donc pas de quoi la surprendre, seulement de quoi la faire hésiter, étant donné la nature du lieu dans lequel elle s’apprêtait à pénétrer. Mais au fond d’elle, elle en était consciente, elle n’hésitait pas vraiment. Non. Elle savait qu’elle ne reviendrait pas sur ses pas désormais. Même si elle aurait été bien en peine d’expliquer rationnellement ce qui l’avait tant attirée dans un tel endroit…
Les inscriptions sur le papier glacé qu’elle tenait à la main dansaient devant ses yeux : « soirées libertines », « restaurant », « piscine », « sauna », « hammam » et surtout ce mot à la tonalité inquiétante, « donjon ». Claire n’avait pas manqué le sourire du type qui le lui avait donné quand il lui avait dit que, vu ses tendances, l’endroit pourrait lui plaire. « Vu ses tendances »… Elle n’avait même pas songé à s’offusquer de ces propos. Que savait-il d’elle, après tout ? En y repensant plus tard, elle s’était cependant demandé s’il y avait eu un fond de vérité dans ces paroles.
De lui et de l’autre homme qui l’avait abordée ce soir-là, elle n’avait pas retenu les noms ; ce n’était pas ce qui l’avait marquée. Elle se souvenait surtout de leur souffle contre sa bouche, du poids de leurs corps sur le sien et de la pression de leurs doigts sur ses hanches s’intensifiant. Elle avait connu pour la première fois la sensation d’avoir un sexe dans sa bouche et un autre entre ses cuisses et, quoi qu’elle ait pu en penser ultérieurement, elle avait aimé être prise de cette façon. Elle l’avait aimé infiniment. Elle s’était sentie unique en voyant celui qui avait été au fond de sa gorge se déplacer derrière ses fesses pour la prendre à son tour. Se faire désirer ainsi l’avait excitée bien plus qu’elle ne l’aurait imaginé.
Les jours suivants, elle avait tellement tourné et retourné le tract entre ses doigts, allongée sur son lit, qu’elle en savait désormais chaque ligne par cœur. Les promesses et les mystères de ce lieu ouvert seulement aux initiés l’avaient totalement obsédée.
Le pourtour de sa cigarette émit un crépitement alors qu’elle inhalait sa dernière bouffée. Elle l’écrasa sous la pointe de son escarpin, puis elle jeta un œil au couple qui l’avait dépassée. Ils attendaient dans l’allée menant à l’entrée. Alors elle se décida.
Elle allait les rejoindre. Quelles que puissent être ses incertitudes et ses appréhensions, il n’était plus temps de reculer.
***
En approchant, Claire découvrit une lourde porte noire à laquelle un cœur en tissu molletonné était accroché. Juste à côté, une petite fenêtre de verre dépoli laissait deviner un intérieur dont les couleurs dominantes se déclinaient en des nuances de rouge et de violet. Aucun écriteau n’indiquait le nom des lieux. Lorsqu’un cliquetis parvint à ses oreilles, elle s’arrêta, le cœur battant. La porte s’entrouvrit juste assez pour qu’un homme au corps massif et à la tenue distinguée y apparaisse. Ses yeux étaient d’un bleu si pâle qu’ils en rendaient son regard troublant.
– C’est pour la soirée ? demanda-t-il poliment.
Le couple hocha la tête. Claire remarqua que l’homme se crispa et que la femme retint sa respiration.
– Je suis profondément désolé, poursuivit le portier. Une autre fois, peut-être.
Son ton était resté parfaitement cordial. Claire fut réellement étonnée par ce refus. Elle regarda le couple partir, la déception visible sur leurs visages. Alors que le regard du portier se posait soudain sur elle, elle eut un instant de gêne. Comme pour se protéger, elle porta le flyer devant ses lèvres. L’homme l’observa plus intensément.
– Entrez, je vous prie, décida-t-il enfin.
Il fallut une seconde à Claire pour intégrer le sens de la phrase et retrouver un semblant de contenance. La porte s’ouvrit devant elle, dévoilant un couloir aux pierres identiques à celles de l’extérieur, décoré çà et là de quelques photos de la campagne attenante. Après une brève expiration, elle se recomposa une attitude assurée pour avancer. Une musique d’ambiance, à la rythmique calme et sensuelle, lui parvenait en sourdine d’une pièce adjacente.
– Vous avez un vestiaire juste après la caisse, l’informa l’homme en désignant une ouverture dans le couloir.
Quand il referma la porte, Claire croisa les bras par réflexe sur sa poitrine.
– Le couple ? s’enquit-elle en voyant l’homme se diriger vers le comptoir d’entrée.
– Nous choisissons notre clientèle en fonction de la soirée.
La réponse la laissa perplexe, mais le sourire que le portier lui adressa fut tellement empli de charme qu’elle n’osa pas le laisser paraître. Que les responsables de ce club soient à ce point difficiles l’intriguait. Si les gens qui venaient d’être refusés ne méritaient pas d’être admis ici, à quoi ressemblaient ceux qui obtenaient ce privilège ?
Lorsqu’elle fut introduite dans la salle sur laquelle débouchait le couloir, le spectacle qui s’offrit à elle lui fit oublier un instant cette dernière interrogation.
Sous le ciel pâle de la nuit naissante se dressait un vaste bar à moitié couvert où le calme rustique des pierres se mêlait à un mobilier moderne au goût raffiné. Des éclairages, alternant entre des nuances de rouge, de rose et de violet, balayaient de luxueux fauteuils recouverts de cuir coloré. Plus loin, une volée de marches descendait vers une piste de danse occupée en son centre par une gigantesque piscine, d’où s’élevaient trois podiums de hauteur différente. Quelques groupes de clients à l’allure distinguée s’étaient déjà installés, accoudés au bar ou perchés sur des tabourets surélevés, parfois alanguis dans les canapés qui entouraient de larges tables. Les robes à la coupe parfaite succédaient aux tenues de marque, élégantes mais décontractées, les bas crissant sur les jambes croisées bien haut, les dentelles noires dévoilant la naissance de poitrines délicates tandis que les chemises masculines laissaient deviner des dos agréablement musclés. Si les couleurs de la salle étaient vives et sensuelles, celles des tenues se déclinaient majoritairement en des teintes de noir et de blanc, tout autant érotiques.
Claire baissa les yeux sur le document qui lui avait été donné à l’entrée. Elle s’approcha du comptoir pour l’examiner plus consciencieusement. Il s’agissait de plusieurs feuilles agrafées où était écrit en en-tête : « Charte de l’établissement sur les règles et les précautions d’usage ». Le barman, un jeune homme à la beauté androgyne et aux yeux aussi clairs que ceux de celui qui l’avait introduit, lui tendit un stylo avec un sourire.
– Pour la dernière partie, si vous le voulez, il faudra indiquer votre pseudo pour la personne là-bas.
En se tournant pour suivre son mouvement de tête, elle découvrit une femme d’une quarantaine d’années. Entièrement vêtue d’une tenue semblant sortie des ateliers des plus grands créateurs, elle buvait un verre en compagnie d’un homme du même âge à une table non éloignée. Son visage, maquillé avec savoir, mettait parfaitement en valeur sa beauté glaciale.
– La maîtresse des lieux ?
– « Les », précisa le serveur. Ce sont tous les deux les propriétaires.
Claire hocha la tête. Un temps, elle se demanda quelle vie un tel couple pouvait bien mener pour partager la gestion de ce genre d’établissement.
– C’est la première fois que vous venez ? l’interrogea le barman en lui tendant un verre.
– Oui.
Petit à petit, la salle se remplissait. La nuit entièrement tombée, les éclairages se faisaient plus présents. L’air était encore chaud. Au-dessus de sa tête, les premières étoiles faisaient leur apparition. De jeunes gens aux tenues classieuses et aux chevelures arrangées avec soin traversaient la salle avant de s’installer. Certains avaient une allure ouvertement sexuelle, portant des tenues en vinyle ou en cuir, sans qu’à aucun moment elles ne paraissent pourtant d’une quelconque vulgarité. Un groupe de trois femmes aux poitrines nues sous de simples voilages traversa l’espace en souriant avec assurance. D’autres riaient ensemble. Quelques masques vénitiens ajoutaient une touche de mystère à certaines figures.
Si Claire n’était jamais entrée dans un établissement comme celui-ci, elle ne pouvait pas dire que ce qui s’y déroulait lui était totalement inconnu. La dernière soirée à laquelle elle s’était laissé emmener et qui s’était conclue par elle, à quatre pattes en train de se faire prendre par deux inconnus tandis que d’autres se faisaient attacher ailleurs, lui en avait donné un aperçu.
D’une certaine manière, cela n’avait pas été une révélation pour elle. Plus jeune, elle avait déjà lu, avec la curiosité et les battements de cœur de ceux qui accèdent à l’interdit, certaines des œuvres de Sade et le roman Emmanuelle. L’été, elle avait aimé s’allonger, bras nus, dans l’herbe du parc de sa ville pour s’abandonner aux curieuses sensations que suscitait en elle cette littérature. Plus tard, seulement, elle s’était rendu compte que le désir qu’elle lisait, elle-même pouvait le susciter ; la manière dont certains hommes, plus mûrs, s’étaient soudainement mis à la regarder l’avait alors légèrement perturbée. C’était à ce moment de sa vie qu’elle avait commencé à avoir des petits amis. Aucun n’avait cependant duré, tant les jeunes gens de son âge lui paraissaient fades, inconsistants et sans intérêt. Une aventure singulière s’était alors produite. Un homme d’une dizaine d’années de plus qu’elle l’avait abordée, se montrant tellement charmant qu’elle avait accepté sa proposition de lui offrir un verre, le suivant naïvement chez lui jusqu’à ce qu’elle le découvre adepte d’un type de sexualité qui, s’il avait abondamment peuplé ses fantasmes, l’avait cependant effrayée. Aujourd’hui encore, elle ignorait ce qu’il se serait passé si elle n’avait prétexté une excuse idiote pour s’enfuir. Probablement rien, après tout, mais les événements récents avaient éveillé ce souvenir.
Puis, à l’aube de ses 17 ans, elle avait rencontré Thomas. Cette fois encore, une dizaine d’années les séparaient et Claire s’était tant laissé conquérir par son esprit et son humour qu’elle était tombée éperdument amoureuse de lui. Oh ! elle avait bu toutes ses paroles, acquiescé à chacun de ses avis, l’admirant comme seule une adolescente de 10 ans sa cadette l’aurait pu. Thomas était déjà plein de certitudes, mais elle y avait vu du savoir, de la maturité qui lui manquaient, et n’avait eu de cesse d’essayer de s’élever à sa hauteur. Lorsqu’elle avait appris ensuite qu’il était déjà marié, elle l’avait même accepté sans trop de difficultés. Cependant, peu à peu, tous ses espoirs de parvenir à vivre une vraie vie de couple avec lui s’étaient taris. Cent fois, elle avait songé à le quitter. Cent fois, elle en avait été incapable ou était revenue sur son choix. Puis, le temps était passé et toutes les promesses stériles de Thomas l’avaient lassée. Probablement était-elle devenue moins naïve, également ; elle avait fini par grandir. Lorsqu’elle s’était décidée à poser un regard objectif sur sa vie, elle avait constaté qu’elle avait gâché les meilleures années de sa jeunesse à attendre un homme qui ne quitterait jamais son épouse pour elle ; elle avait alors 22 ans. Un soir, elle avait ressenti le besoin de savoir si, dans le désastre de son existence, elle pourrait tout de même encore séduire et avait trouvé sa réponse dans le premier bar dans lequel elle était entrée.
Depuis, elle avait la sensation d’être incapable de revenir à la réalité. Aux rêves d’amour dans lesquels elle avait tant vécu auparavant s’était substituée une soif de vivre tout ce à côté de quoi elle avait eu le sentiment d’être passée. Elle n’avait répondu à aucun appel ou message de Thomas, elle sortait facilement tous les soirs ou, au moins, un soir sur deux, fréquentait les bars ou les boîtes de rencontres, n’approfondissait aucun contact, cherchait seulement un corps, des mains, un sexe, surtout rien qui ressemblait à des sentiments. Draguer, séduire, elle n’avait alors jamais à le faire d’elle-même. Au plus, si elle voulait un homme en particulier, il lui suffisait de s’asseoir dans son champ de vision de manière à se montrer disponible. Elle n’avait que peu à le regarder ; il viendrait. Elle interrompait toujours rapidement les tentatives de conversation pour en venir aux faits. Ils avaient des relations sexuelles là où le type le voulait, que ce soit dans un lieu public proche ou bien chez ce dernier, jamais dans son propre appartement par contre.
Son entourage pensait qu’il s’agissait d’une passade, lui assurait qu’elle était encore jeune, qu’elle avait le temps de rencontrer quelqu’un de bien ; elle n’y croyait pas. Thomas n’avait jamais rien ressenti d’autre pour elle que du désir et elle savait qu’il en était de même de tous ceux dont elle avait partagé le lit. Qu’elle puisse avoir des chances de tomber de nouveau amoureuse lui paraissait improbable. Quant à celle qu’elle avait de susciter de tels sentiments, elle préférait ne même pas y penser. Au point où elle en était parvenue, elle ne savait même plus s’il y avait quoi que ce soit d’« aimable » en elle. Ce à quoi avaient accédé un jour la plupart des autres êtres humains lui avait été refusé ; comment aurait-elle pu continuer à rêver ? Et puis, elle avait encore besoin de se chercher et, surtout, de se comprendre. La petite adolescente qui s’était éveillée au fond d’elle lui avait rappelé qu’avant son existence soumise, elle avait été une jeune fille extravertie, ouverte et pleine de curiosité. Désormais, l’envie de vivre tout ce dont elle avait le sentiment d’avoir été privée la tenaillait.
Elle feuilleta lentement le document en portant à ses lèvres le verre qui lui avait été offert. Jusque-là, rien ne l’avait choquée. La page qui suivait attira davantage son attention. Il s’agissait d’une demande annexe de session au donjon associée à un questionnaire sur ses préférences.
Longtemps, elle resta le stylo à la main.
Ces trois mots : « session au donjon », la fascinaient.
Il s’agissait de la raison pour laquelle elle avait tant retourné le flyer entre ses doigts, les jours précédents. Elle ignorait cependant si elle aurait suffisamment de cran pour se présenter à la porte d’un monde si particulier, si elle était même prête à céder à sa curiosité sur ce sujet. En définitive, elle ne savait pas vraiment ce qu’elle faisait : face à la vie si effacée qu’elle avait menée auparavant, son soudain besoin de s’émanciper lui paraissait totalement disproportionné. Probablement aurait-elle dû se contenter de déambuler dans ce lieu, avant de faire, peut-être, une rencontre ; une seule aurait été raisonnable. Ce n’était cependant pas ce qu’elle était venue chercher. Malgré la crainte qu’elle éprouvait, elle voulait découvrir le donjon ; c’était là la raison de son entrée dans ce lieu. Et ce qui ressemblait ici à une formule lui étant proposée tombait idéalement. Le questionnaire concernant ses préférences s’avérait précis et, si elle oubliait certains termes pouvant être effrayants, presque rassurant dans la mesure où il comportait suffisamment de détails pour qu’elle ait le sentiment de pouvoir gérer ce qu’elle était prête à accepter ou non.
Au bout d’un moment, elle se décida à remplir cette partie, la main hésitante avant d’apposer le premier trait d’encre sur le papier. Son pouls battait tellement fort dans ses tempes qu’elle avait du mal à se concentrer et elle repoussa consciencieusement toutes les interrogations relatives à sa santé mentale qui auraient pu lui venir. De temps en temps, ses doigts se levaient pour se poser sur son front, les questions qui lui étaient posées la renvoyant à des actes qu’elle peinait à imaginer. Elle signa enfin du pseudo qu’elle s’était choisi. Le stylo finit par rouler sur la surface brillante du comptoir, tandis qu’elle se redressait déjà, les mains plaquées sur le document. Elle prit une longue inspiration.
– Je peux visiter les lieux ? demanda-t-elle en poussant le questionnaire vers le serveur.
– Bien sûr.
Elle se tourna vers le reste de la salle. Le regard d’un homme au corps fin et aux cheveux courts glissa sur elle si directement qu’elle s’en sentit gênée. Quand ils furent proches de se croiser, elle se contenta de s’écarter. Lentement, elle descendit les marches menant à la piste de danse. La musique calme baignant la pièce accompagnait ses pas.
Tout en ce lieu la fascinait. Sa condition d’étudiante ne lui avait jamais permis d’entrer dans un établissement aussi luxueux et elle doutait avoir l’occasion de le faire une deuxième fois. Sur son passage, des visages se tournaient, certaines conversations s’estompant un instant. Parvenue devant la piscine, elle s’arrêta. Des éclairages illuminaient l’eau de l’intérieur, la rendant bleu azur. Un temps, elle se laissa captiver par cette couleur, troublée par l’érotisme sombre des lieux.
Dans cette partie de la salle, seules quelques personnes dansaient. Les autres conversaient, accoudées au bar situé au fond de la pièce, buvaient un verre assis au bord de la piscine ou encore contemplaient les femmes ondulant dans les demi-cages disposées autour de la pièce. Celles-ci étaient si belles, avec leurs masques, leurs guêpières noires et leurs bas, que Claire passa quelques instants à les admirer. Une autre femme, plus loin, observait les allées et venues. Elle aussi portait un masque vénitien. Claire commença à se demander si cet attribut était lié aux membres attachés à l’établissement.
Plus loin, un espace à découvert l’attira. Le sol, recouvert de la même terre, presque sableuse, que la route par laquelle elle était arrivée, accueillait un mobilier composé de chaises longues et de tables basses en fibres tressées qui donnait l’impression d’une plage privée. Tout au fond de la cour, on apercevait une autre piscine, plus grande, éclairée de l’intérieur par une lumière rouge vif. Quelques hêtres offraient de petits éclats de verdure rappelant la nature proche. Encore au-delà, un restaurant aux lourds tissus accrochés au plafond projetait ses lumières roses et violacées sur le sol de la terrasse ouverte, bordant les feuilles des arbres de ses couleurs artificielles.
Elle s’approcha de la piscine. Curieuse, elle s’assit sur le bord, pour y plonger la main, et fut presque surprise de la voir rester aussi pâle que d’ordinaire. Qu’avait-elle dans la tête pour imaginer une seconde qu’elle puisse rougir, elle aussi ? L’eau était chaude. Il y avait dans l’air quelque chose de profondément sensuel. Ce soir, tout était permis. Elle avait franchi une ligne derrière laquelle il n’y avait plus de limite.
Alors qu’elle redressait la tête, elle aperçut, plus loin, un groupe de trois personnes, conversant de manière décontractée, contre le mur extérieur de la cour. Sous la brise extérieure, des mèches blondes voletaient, captant les éclairages de la nuit, alors qu’un loup noir dissimulait le haut du visage qu’elles traversaient.
Lentement, elle retira sa main humide de l’eau. Quelques gouttes tombèrent depuis le bout de ses doigts.
De là où elle était, elle ne pouvait pas apercevoir ces trois jeunes gens en détail, mais elle remarqua que la manière dont l’homme au masque s’appuyait contre le mur de pierre témoignait d’une assurance bien différente de la sienne, transpirant la sensualité. Le regard de Claire glissa sur ses bras, ainsi que sur les muscles de son épaule que le T-shirt sans manches qu’il portait laissait apparaître. La vision lui parut particulièrement belle du fait de la distance et des lumières changeantes ; de l’espace qui les séparait.
Puis, la femme avec laquelle les deux hommes conversaient fit quelques pas et Claire remarqua l’escalier dissimulé dans un coin d’ombre vers lequel elle se dirigeait. Seul le faible éclairage de la nuit lui permit d’en apercevoir les premières marches, les suivantes disparaissant sous une voûte sombre. Quand la femme se retourna et glissa contre le mur comme pour inviter à la suivre, sa chevelure rousse s’accrocha aux reliefs de la paroi. L’autre homme la rejoignit en une démarche nonchalante, avant de se laisser enlacer et de l’embrasser à pleine bouche. Claire le vit caresser la cuisse féminine dont le bas fut traversé de lumières roses et rouges quand il remonta légèrement sa jupe. Tous deux gravirent ensuite les marches, avant d’adresser un regard à l’homme au masque qui leur sourit, roulant contre le mur avant de se relever d’un mouvement de bassin. La façon dont il leur emboîta alors le pas en s’éclipsant à son tour sous la voûte de pierre parut, à Claire, emplie de mystères.
Pensive, elle se releva doucement.