Pegging Zach

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : F/M/M, pegging, légère domination féminine

Résumé : Zach avait toujours été son préféré. De tous ceux que lui ramenait Théo, il était celui qui l’intriguait le plus, probablement à cause de sa façon de se plier aux volontés de ce dernier. Et peut-être que cette fois-ci, il pourrait se plier aux siennes…

Source image : thecheekydragon. Fandom Teen Wolf.

Pegging Zach

– Attends…

Quand elle souffla ces mots, elle était déjà au bord de l’étourdissement, le corps gavé d’endorphines, le bas-ventre douloureux des présences successives des sexes de Théo et de Zach en elle, la tête lourde, la mâchoire engourdie, les muscles las et l’esprit embrumé.

Elle n’en pouvait plus ; elle en voulait encore. Elle ne réfléchissait plus vraiment, en réalité. C’était son sexe qui s’exprimait, ce besoin irraisonné qui ne s’éveillait que lors de l’acte charnel. Cette pulsion.

Elle posa ses mains sur le torse de Zach, le faisant ôter les doigts qu’il venait de plonger dans son entrejambe, quitter la moiteur de sa chair. Elle était vraiment usée, désormais, de ce côté-là. D’un geste, elle poussa sur son buste pour l’allonger sous elle. Elle le surplomba, conquérante.

– Je veux essayer un truc avec toi.

Zach était son préféré. Après Théo, bien sûr. Théo qui était « partageur », comme il le disait. Théo qui aimait plus la voir se faire baiser par ses potes que la baiser lui-même, à force. Du moins, était-ce ce qu’elle finissait par se dire. Théo qui n’avait plus de relations sexuelles avec elle sans qu’un autre mec les accompagne. Théo qui emmenait des types divers, mais aucun aussi souvent que Zach.

Et Zach était un si formidable jouet…

– Je peux te sucer ? souffla-t-elle.

Zach acquiesça silencieusement. Taciturne. Toujours. Discret, même dans l’expression de ses orgasmes. Elle persistait à espérer l’entendre un jour émettre plus que ces infimes feulements retenus qu’il lâchait au moment où il se répandait en elle. Souvent, seuls ses gestes trahissaient sa jouissance. Sa façon de resserrer les mains sur ses hanches, ses coups de reins plus lourds, moins maitrisés… Jamais il ne l’embrassait, jamais il ne manifestait quoi que ce soit verbalement – dans le sexe, du moins ; il savait parler, tout de même –, jamais il ne prenait vraiment d’initiatives, sinon incité par Théo. Seulement suivait-il Théo comme, à ce que disait ce dernier, il l’avait toujours fait.

Là…

Elle ouvrit la bouche sur sa queue, l’engloutit profondément, appréciant la manière dont Zach haussa imperceptiblement les reins : un geste brusque qui témoignait de son plaisir. Il ne posa pour autant pas les mains sur elle, se contentant de crisper les doigts sur les draps humides de transpiration. Quand c’était elle qui prenait le dessus, il était toujours ainsi : docile… Si curieusement offert.

Théo, adossé à la tête de lit, les observait.

Elle releva la tête, lécha, titilla le méat du plat de la langue.

Est-ce que je pourrais…

La question la démangeait mais elle n’osait pas la poser. Théo aurait répondu « oui », elle en était sûre. Théo voudrait voir ça. Pas sur lui, bien sûr, mais sur Zach… Oui. Quant à Zach… elle ne savait pas. Probablement aurait-il eu une réaction d’outrage, alors elle préféra ne pas demander.

Plutôt, elle le reprit dans sa bouche et avança très doucement les doigts de son entrecuisse.

Elle caressa ses testicules, les serra doucement… Théo les regardait toujours avec cette attention et cette assurance qui lui étaient propre, et qu’elle aimait chez lui : qui laissaient la place à l’imprévu, à la curiosité, mais gardaient cet aspect inébranlable qui la faisait se sentir libre, forte, à ses côtés. Zach était tout autre. Un peu trop soumis pour son propre bien, peut-être. Surement. Soumis à Théo, même quand il la baisait, elle.

Quand elle approcha son doigt de l’orifice reclus derrière ses testicules, Zach se raidit. Bien sûr. Il n’avait jamais fait ça, elle s’en doutait. Elle si, mais il y avait longtemps, avec un amant qui aimait ça, mais cette période était lointaine, désormais. Théo, lui, ne l’aurait jamais laissé approcher de son cul. Peu de mecs étaient prêts à l’accepter, de toute façon, et elle ne cherchait pas spécialement à les inciter. Ce n’était pas un besoin qu’elle avait. Mais avec Zach…

– J’ai vraiment envie d’essayer, dit-elle.

Le ton de Zach trahit sa nervosité :

– Quoi ?

Les mots se dérobèrent à sa bouche.

J’ai envie de t’enculer, pensait-elle. J’ai envie de voir ce que ça te fait d’être enculé par moi.

Ça faisait quelque temps que l’idée lui était venue d’essayer ça avec lui. Zach éveillait ça en elle, surtout. Cette soumission face à Théo qu’il avait, cette façon de suivre les désirs de ce dernier lorsqu’il la baisait… Elle voulait, elle-aussi, le baiser. Elle savait faire… Même si les places étaient échangées, désormais. Elle savait ce que c’était de sentir quelque chose entrer dans son cul.

– Des mecs aiment ça, dit-elle.

Après quelques secondes, elle précisa :

– Pas forcément homos.

Elle n’était pas sûre de bien s’exprimer. Elle ajouta, troublée :

– J’irai doucement.

Théo intervint :

– Tu veux lui mettre un doigt ?

Quand elle tourna le visage vers lui, elle vit que son expression était un mélange d’amusement et d’étonnement.

Elle hocha la tête. Zach ne disait plus rien. Théo avait pris la parole alors il ne dirait plus rien, désormais. Elle se demanda même à quel point l’intervention de Théo pouvait participer à son excitation : le savoir là, curieux de les regarder…

– Tu dois prendre ça, alors.

Et Théo se pencha sur le bord du lit pour attraper le tube de lubrifiant qu’ils avaient laissé de côté.

Elle le saisit. Quand elle reporta son attention sur Zach, elle put voir la confusion sur son visage, bien sûr, mais pas seulement. L’attente… La crainte, mais sans qu’il se défile. Il ne resserrait pas les cuisses, il bandait toujours dur et, peut-être… plus encore, même. Elle n’était pas sûre d’elle, mais son méat luisait d’un liquide qu’elle crevait de désir de lécher.

– Je vais continuer à te sucer, souffla-t-elle.

Et, tandis qu’elle le prenait dans sa bouche, elle enduisit ses doigts de lubrifiant. Après quelques va-et-vient, elle poussa tout doucement une phalange en lui. Zach se crispa, alors elle n’alla pas plus loin. Elle laissa juste son doigt-là et le suça plus fort, plus profondément… Elle brulait d’envie de continuer.

Elle releva le visage, retira sa phalange, mit plus de lubrifiant dessus. Elle en étala même entre les fesses de Zach. Maintenant, elle voulait vraiment entrer en lui.

– Ça sera bon, tu verras…

Zach pourrait aimer. Zach allait aimer. Elle en était sûre. Elle le voulait.

Elle recommença à le sucer puis poussa en entier son doigt en lui. Elle continua ainsi un moment, appréciant de sentir son sexe dans sa bouche tandis qu’elle explorait cet endroit en lui. C’était transgresser une règle, s’aventurer en un territoire interdit. Et c’était diablement excitant.

Il lui sembla trouver un point sensible. Elle insista dessus.

– Tu aimes ? souffla-t-elle, haletante, tandis qu’elle relâchait sa queue pour scruter son visage.

Zach ne répondit pas, mais ses yeux ouverts sur le plafond étaient brillants, son corps tendu et… oui, elle fit de légères caresses en lui, et elle le vit : le plaisir. Elle s’en sentit galvanisée.

Elle retira son doigt pour étaler plus de lubrifiant sur son index et son majeur. Elle en voulait plus.

Théo souffla :

– Tu vas lui mettre les deux ?

Il y avait désormais une forme de fascination dans son regard : pas juste de la curiosité, pas juste de l’amusement ; quelque chose au-dessus de ça.

– Oui.

Elle reporta son attention sur Zach. Ça l’embêtait qu’il ne s’exprime pas plus, mais il avait toujours été ainsi. Elle ne le connaissait qu’ainsi.

Elle tenta quand même :

– Tu es prêt ?

Théo quitta brusquement son appui à la tête du lit pour descendre vers eux. Il s’allongea juste à leurs côtés, la tête près des fesses de Zach, et il sourit.

– Je veux voir ça.

Elle attendit néanmoins.

Zach devait répondre au moins à cette question. Elle insista du regard, ferme. Il hocha la tête.

– Je vais faire attention à ne pas te faire mal, dit-elle alors.

Puis elle poussa doucement ses deux doigts. Cette fois, elle ne le suça pas. Elle le pénétra, juste, et observa le panel d’expressions qui défila sur son visage. Gêne, trouble, quelque chose d’éminemment torturé… de la pudeur bafouée. Et de l’excitation. Yeux ouverts vers le ciel, lèvres se décollant, recherche d’air, nuque qui s’étire…

– Tu aimes ? re-demanda-t-elle.

Elle voulait vraiment qu’il le lui dise. Elle voulait qu’il affiche autre chose que cette retenue silencieuse, un relâchement… un cri. Quelque chose.

C’était bizarre parce que, pour une fois, ce n’était pas elle qui était entre eux deux, ou entre Théo et un autre mec rencontré à l’occasion, ou que Théo connaissait déjà. Elle voyait Zach, mais elle avait l’impression de s’observer, elle. De contempler ce que les hommes devaient voir d’elle. De le regarder de la manière dont eux la regardaient. Curieux changement de point de vue, passage de l’autre côté du miroir. Et Zach… Oui, elle le voyait, Zach aimait ça.

Elle utilisa ses doigts comme un sexe, allant et venant dans son cul, cherchant à le posséder, désormais. Et à le posséder plus fort, plus loin.

Elle voulut mettre un troisième doigt, mais Zach se raidit immédiatement sous la pression. Elle retira sa main pour remettre du lubrifiant. Zach se redressa légèrement sur ses coudes, pantelant. Elle écouta les mots qu’il haleta avec l’attention suscitée par ceux qui ne parlent que peu :

– Ça va faire trop gros.

– Je ne pense pas.

Il suffisait qu’elle mette assez de lubrifiant et qu’elle y aille doucement. Mais Zach ne paraissait pas convaincu.

– Peut-être qu’avec un gode, souffla-t-elle, pensive.

Son cœur battit à cette idée, et il battit encore plus fort quand celle-ci se précisa. Ils en avaient plusieurs, avec Théo, de tailles diverses, mais elle avait surtout cet objet qu’elle avait acheté des années auparavant, et jamais utilisé. Qui trainait, depuis… Avec un gode tout fin, dont le diamètre ne dépassait guère celui de ses deux doigts… parfait pour l’occasion. Parfait.

– Attends.

Elle se leva, tremblante d’excitation. Elle ouvrit l’armoire puis le placard en son bas, et fouilla. Là, l’objet recherché se trouvait, encore dans son carton. Elle l’ouvrit. Oui, il était vraiment de la bonne taille. Oui, elle voulait l’utiliser. Elle revint vers le lit.

Elle ne croisa que quelques secondes le regard de Théo, mais en fut encouragée. Il l’observait sans surprise, juste avec une ombre d’amusement et… pas seulement. D’amour. Du jour où ils s’étaient rencontrés, Théo l’avait observée comme une curiosité distrayante. Il l’aimait vraiment, elle le savait, mais elle était à des années-lumière de ce qu’il avait connu auparavant. Elle le savait aussi. Ça ne les empêchait pas d’être complémentaires.

Elle fixa Zach.

Son pouls battait à toute vitesse, maintenant. Lentement, elle enfila le gode-ceinture, l’ajusta sur ses hanches… sur son clitoris, aussi. Le positionna juste comme elle le voulait. Elle se sentait vibrer et ne pouvait plus parler, elle non plus. Peut-être pouvait-elle comprendre, soudain, le silence de Zach : pourquoi, parfois, aucuns mots ne pouvaient être prononcés.

Elle saisit le lubrifiant pour en enduire largement le gode, puis grimpa sur le lit et en remis entre les fesses de Zach. Beaucoup. Puis elle lui écarta plus franchement les cuisses.

Et enfin, enfin, elle le pénétra. Zach se tordit, se tendit, lui offrit l’image fascinante de la lutte interne qui se jouait en lui… Cette gêne, cette excitation, cette défense, ce désir… Elle sentit la main de Théo sur son crâne en même temps qu’elle perçut son sexe tendu à proximité de son visage.

– Pas maintenant, dit-elle juste.

– Je suis excité, souffla Théo en lui caressant les cheveux.

Et c’était perceptible à tous les niveaux. Elle releva le visage vers lui.

– Pas maintenant, répéta-t-elle.

Elle se demanda ce qui excitait le plus Théo. La voir, elle, baiser son pote, ou voir son pote se faire baiser par elle. Comme elle s’était demandé, déjà, ce qu’il aimait le plus dans le fait de lui emmener des mecs : les regarder eux ou la regarder elle ? Ce n’était pas toujours si évident, et ça l’était encore moins avec Zach. Si elle avait pu paraître curieuse à Théo, elle avait toujours trouvé la relation entre Théo et Zach bien plus singulière. Leur relation à tous les trois l’était, finalement.

Cette fois, elle se pencha sur le visage de Zach, frôla ses lèvres. Ce n’était plus lui qui contrôlait, et pas non plus Théo. C’était elle qui avait le pouvoir. Elle qui était sur lui, en lui, elle qui surplombait sa bouche en l’instant… Elle qui voulait le faire crier.

Elle avait envie de l’embrasser, mais elle ne le fit pas. Lui ne l’embrassait jamais. Il y avait peut-être des raisons.

– Dis-moi si tu aimes, murmura-t-elle à la place.

Ça, elle voulait vraiment l’entendre.

Zach mit quelques secondes à répondre. Elle ne bougea pas, profondément enfoncée dans son cul. Puis il murmura :

– Oui.

Alors, elle ferma les paupières, et elle le posséda. Vraiment. Et, du relâchement induit par son aveu verbal s’ensuivit celui des soupirs de Zach. Elle s’en gava. De tout. De l’entendre ahaner, de le voir se tordre, de sentir le gode presser contre son clitoris à chaque fois qu’elle poussait en lui, et son souffle contre ses lèvres, et ses gémissements qui apparaissaient discrètement, et montaient… A force de coups de reins, elle l’emmena la nuque ballante au bout du matelas et eut la sensation qu’elle aussi pourrait succomber tant l’acte était excitant. Et elle le fit pour de bon, au moins psychologiquement, au moment où Théo les surprit tous deux en saisissant le sexe de Zach pour finir de le projeter vers la jouissance en quelques coups de paume savamment assénés.

Cette fois, Zach cria, et elle gémit de concert.

Elle finit en nage, troublée à l’excès, tremblante dans cette conquête qui lui laissait une curieuse satisfaction… Et un besoin de plus, encore, de plus…

Encore.

Zach gisait, le torse parsemé de gouttes blanches, peinant à reprendre son souffle.

Théo bandait dur. Elle ne considérait toutefois pas qu’il ait été privé. Il l’avait bien baisée, déjà, au début de la nuit. Il avait eu son lot d’orgasmes.

– Tu veux que je te lèche ? lui proposa-t-il.

Elle sourit. Elle l’aimait, elle le savait, même dans leur relation atypique, même sans savoir ce que serait le devenir de leur relation, mais elle se dit qu’elle l’aimait plus encore, sur le moment. C’était comme une explosion.

– Oui.

Peut-être que, la fois suivante, elle demanderait elle-même à Théo de faire venir Zach. Peut-être qu’elle l’enculerait de nouveau. Elle aimerait, en tout cas. Peut-être que ce pourrait être Zach qui se trouverait à sa place : entre Théo et elle. Zach aimerait ça, elle en était sure. Et peut-être que Théo pourrait aimer aussi.

Elle se débarrassa du gode-ceinture et écarta les cuisses à l’approche du visage de Théo.

– Embrasse-moi, dit-elle en tendant la main vers Zach.

La langue de Théo était sur son sexe et le plaisir l’envahissait.

– Embrasse-moi.

Elle n’attendit pas de réponse, elle tira la tête de Zach à elle, et apprécia la manière dont sa bouche s’ouvrit à son contact, et celle dont sa langue rejoignit la sienne, l’enlaçant doucement, avant de sombrer enfin dans la jouissance.

Mémoires d’un Olympien (2)

Chapitre 2

L’équipe suisse avait encore trois matchs à jouer et Damien mit de côté ses réserves pour aller soutenir les joueurs. La première rencontre fut remportée sans difficulté et il retrouva plusieurs de ses coéquipiers de championnat près des accès pour les athlètes. Un bref soulagement l’envahit en apprenant qu’Ivan leur avait fait faux bond pour la soirée. Les heures suivantes, il abusa de l’alcool, se laissa séduire par un groupe de snowboardeuses anglaises qui se moquèrent gentiment de son accent et échangea quelques regards insistants avec un Espagnol dont il n’était plus certain s’il pratiquait le curling ou le ski de fond. Néanmoins, Damien retourna seul dans sa chambre et mit deux longues heures avant de succomber à sa fatigue. Tout ce temps, il se demanda avec qui Ivan avait bien pu finir sa soirée.

À son réveil, l’esprit encore brumeux de ses songes, il tâtonna sous les draps pour se saisir de son sexe tendu qui lui hurlait son insatisfaction. Il n’ouvrit les yeux qu’un court instant pour s’assurer que le lit voisin était toujours aussi vide que la veille, puis sa main s’activa sur son membre engorgé. Pour la première fois depuis six ans, il ignora la pointe de culpabilité familière et ne lutta pas contre les images qui alimentèrent son fantasme. Ses souvenirs se déformèrent jusqu’à oublier la présence de Stella entre eux pour ne plus que sentir le poids d’Ivan au-dessus de son corps, leurs verges juste séparées par le tissu de leurs sous-vêtements. Contre sa paume, son sexe eut un sursaut de plaisir et il plissa les paupières pour garder cette image en mémoire. Pantelant, il imagina le souffle d’Ivan sur ses lèvres, le goût qu’aurait eu sa langue si l’un d’eux avait osé approfondir ce baiser. Son dos se cambra et il se répandit entre ses doigts. La respiration courte, il décréta qu’il n’était pas en état d’affronter la vie au village ou la simple amitié d’Ivan. Le service d’étage et le filtrage de ses appels suffiraient à l’isoler pour deux jours.

La demi-finale, où l’équipe d’Ivan rencontrait celle de Finlande, le pays organisateur, attira les spectateurs et il se retrouva dans des gradins bondés. Pour quelqu’un qui venait de passer quarante-huit heures reclus dans sa chambre d’hôtel, le bruit était assourdissant. Cependant, Damien s’estimait heureux de pouvoir se fondre au milieu de cette foule : pas un instant, il n’avait imaginé rater cette demi-finale, mais il ne tenait pas à être repéré par Ivan ou l’un de ses coéquipiers.

C’était sans compter sur les deux premiers tiers temps où la Finlande prit la tête de justesse. La défense finlandaise n’était pourtant pas parfaite et, à trois reprises, la Suisse put remercier la règle du dégagement interdit, sans laquelle l’écart de points n’aurait pas été rattrapable. Durant le dernier arrêt de jeu, Damien attendit de voir la surfaceuse pénétrer sur la glace, puis il quitta son siège et se précipita vers l’accès aux vestiaires. Toujours en courant, il bifurqua pour rejoindre le banc de l’équipe suisse et fut accueilli par la voix de leur entraîneur. Les ordres aboyés ne lui manquaient pas et il prit soin de rester en retrait pour ne pas se faire remarquer et ne pas subir les foudres du coach. Toutefois, leur capitaine, Marcus, le repéra et donna un coup de coude discret à Ivan pour attirer son attention.

Lorsque son ami releva la tête, Damien eut un choc. Il était habitué aux cheveux ébouriffés par le casque, mais pas aux traits tirés par la fatigue. Pourtant, l’équipe avait passé des nuits blanches à fêter des victoires ou des heures à s’épuiser sur la glace, mais jamais il n’avait vu cet abattement sur le visage d’Ivan. Leurs regards se croisèrent et il sentit son cœur s’accélérer. Garder ses distances avait été une mauvaise idée. Non seulement il n’avait pas réussi à enfouir de nouveau ses désirs, mais il avait aussi blessé son ami. Alors qu’Ivan avait insisté pour que rien ne change entre eux, lui-même l’avait fui. Il s’obligea à sourire de manière rassurante et fit un signe de main à ses coéquipiers qui l’avaient repéré.

L’entraîneur termina son laïus et s’approcha d’Ivan, certainement pour lui donner des informations sur la défense finlandaise et des conseils pour reprendre l’avantage. Damien n’aurait donc pas l’occasion de motiver lui-même son ami, mais Marcus en profita pour le rejoindre.

« On croyait que tu avais disparu. »

Le ton était gentiment moqueur, mais Damien grimaça de culpabilité.

« J’avais besoin d’un peu de solitude. Le principal, c’est que je sois là pour vous soutenir.

— T’avais plutôt intérêt, sinon je t’aurais fait souffrir au prochain entraînement. »

Le sourire gourmand de Marcus lui confirma que son capitaine regrettait de ne pas pouvoir mettre à exécution sa menace. L’entraîneur rappela ses joueurs pour se préparer à retourner sur la glace.

« Tu viens avec nous ce soir, réclama Marcus en se retournant pour rejoindre son équipe.

— Seulement si vous gagnez ! » lui cria-t-il.

Quelques têtes se tournèrent vers lui et Ivan lui adressa un sourire en coin avant d’enfiler son casque et de rentrer sur la patinoire. Damien les observa se placer face à l’équipe adverse et décida de rester où il était pour regarder la fin du jeu.

Le jeu suisse était plus agressif tandis que l’équipe finlandaise accusait la fatigue des premiers tiers temps. Les deux camps étaient à égalité et il commençait à craindre les tirs de fusillade pour la qualification en finale. À quatre minutes de la fin, Ivan reçut un coup dans le dos alors qu’il s’apprêtait à marquer un but. Le palet changea de trajectoire à cause du déséquilibre et Damien se redressa, alerte, en attendant la décision de l’arbitre. Ce dernier siffla la faute et mit les bras en croix au-dessus de sa tête. Un murmure désapprobateur s’éleva des gradins, mais les joueurs des deux équipes rejoignirent leur banc, laissant Ivan face au gardien finlandais pour le tir de pénalité.

Damien se crispa alors qu’Ivan prenait position. S’il marquait ce but, son équipe était garantie de remporter une médaille. Les pieds écartés, Ivan prit appui sur sa crosse. Sitôt qu’il toucha le palet, le gardien adverse s’avança sur lui pour le contrer. Cependant, Ivan avait un regain d’énergie depuis le début de ce tiers temps et il contourna avec aisance l’autre hockeyeur, évitant le contact et s’offrant une ouverture face au but. Le point fut validé et les joueurs des deux équipes revinrent sur la patinoire. Les dernières minutes s’écoulèrent dans une ambiance tendue : la Finlande tentait de ramener le score au match nul pour gagner une nouvelle opportunité aux tirs de fusillade tandis que la Suisse concentrait tous ses efforts dans sa défense pour s’assurer la victoire. Le coup de sifflet annonçant la fin du match fut accueilli par une majorité de cris déçus depuis les gradins. Les joueurs suisses, euphoriques, jouaient des coudes pour quitter la glace et Damien s’éclipsa pour laisser l’équipe retourner au vestiaire pour savourer leur victoire.

La fête battait déjà son plein quand il franchit les portes et il repéra plusieurs hockeyeurs visiblement déjà prêts à rentrer cuver leurs bières. Marcus en soutenait un, l’aidant à avancer vers la sortie. Il s’arrêta à hauteur de Damien et lui posa une main sur l’épaule :

« Je ramène celui-là dans sa chambre. Et crois-moi, il va me le payer. En attendant que je revienne, surveille-les pour moi.

— Je suis pas ta baby-sitter », se plaignit-il, mais Marcus l’ignora et continua son chemin.

Malgré tout, Damien se retrouva à empêcher plusieurs de ses coéquipiers de championnat de commander davantage d’alcool. À quelques tables d’eux, Ivan trinquait avec de parfaits inconnus et il tenta de garder un œil sur lui également. Il essaya d’oublier la sensation des lèvres d’Ivan sur les siennes chaque fois qu’il croisait son regard et d’ignorer sa propre jalousie chaque fois que son ami souriait à quelqu’un d’autre. En vain.

Lorsque Marcus franchit à nouveau la porte, Damien n’attendit même pas son accord pour abandonner la table. À peine avait-il fait quelques pas qu’Ivan lui attrapa la main et le guida vers un endroit plus tranquille. Damien observa leurs mains et se demanda si le contact avait toujours été aussi facile entre eux. La réponse était oui. Elle était aussi vraie pour quelques autres joueurs dont il se sentait proche. Néanmoins, il avait l’impression de trahir la confiance de son ami. Si un tel geste était banal auparavant, il savait que ce n’était plus le cas en ce qui le concernait. Le couloir où Ivan les conduisit était désert et cela ne fit rien pour calmer ses nerfs. Celui-là libéra sa main pour lui faire face :

« Je suis désolé.

— Quoi ? s’étonna-t-il. Pourquoi ?

— Je ne pensais pas te mettre mal à l’aise à ce point-là. Tu n’es pas obligé d’éviter l’équipe à cause de moi…

— Arrête ! l’interrompit-il, un rire nerveux au bord des lèvres. Tu n’y es pour rien. C’est moi qui… C’est intense ces Jeux, d’accord ? J’avais juste besoin d’un peu de temps pour assimiler tout ça. »

Ivan le fixa d’un air curieux et Damien ne put pas lui en vouloir. La défaite de son équipe avant même d’avoir une chance de médaille ou le manque de sommeil à force de faire la fête et de s’entraîner n’avaient rien à voir avec son angoisse des derniers jours. Mais s’il pouvait s’en sortir avec cette explication, il préférait éviter d’aborder le vrai problème.

« OK, finit par céder Ivan. Tout va bien entre nous, alors ?

— Aucun malaise », mentit-il.

Trois jours plus tard, la fin des Jeux approchait. Damien avait peu vu l’équipe suisse dont les créneaux d’entraînement s’étaient multipliés pour préparer la finale contre le Canada. Les rares moments qu’il avait passés avec eux avaient été calmes et il avait fait de son mieux pour ne pas paraître trop absorbé par la présence d’Ivan. Cependant, il n’était pas convaincu de son succès. Le moindre geste d’Ivan attirait son attention et il croisa son regard bien plus souvent qu’avec la totalité des autres joueurs présents. il cherchait à décrypter l’attitude d’Ivan, au point de se demander si ses propres désirs ne l’incitaient pas à interpréter comme bon lui semblait chaque sourire ou chaque contact.

La finale se déroula dans le calme et sans réelle surprise. Peu de spectateurs avaient fait le déplacement puisque l’issue du match était prévisible. Le Canada tentait sa quatrième médaille d’or d’affilée ; malgré la motivation de l’équipe suisse, leurs adversaires prirent l’avantage dès le second tiers temps sans leur laisser la possibilité de remonter au score. Avec sept points d’écart, le Canada remporta la victoire et la Suisse grimpa sur le podium pour recevoir la médaille d’argent.

Damien ne parvint pas à rejoindre ses amis après la remise des médailles et dut patienter jusqu’au soir pour espérer les retrouver à la cérémonie de clôture. La délégation française passait en huitième position, ce qui lui laissait quelques minutes pour essayer de voir les équipes suisses. Il repéra ses coéquipiers de championnat et se précipita sur eux pour les féliciter de leur médaille. Marcus et les autres retournèrent sa brève accolade, mais Ivan le garda contre lui deux ou trois secondes de trop pour son confort. Quand il put enfin s’écarter, ce fut pour sentir Marcus lui ébouriffer les cheveux en un geste paternaliste :

« Profite bien de tes vacances en France et sois en forme pour ton retour. Je vais vous en faire baver. »

La Marseillaise résonna dans le stade et Damien abandonna l’idée de répondre à son capitaine. Avec un dernier geste de la main, il se précipita pour rejoindre sa délégation et faire ses adieux aux Jeux Olympiques.

Le retour en Suisse pour la reprise du championnat fut compliqué. Son séjour chez ses parents l’avait reposé et il avait fait ce qu’il maîtrisait encore plus que le hockey : ignorer ses problèmes. Et il géra plutôt mal de se retrouver confronté à Ivan.

Les incidents lors des entraînements se multiplièrent. Aux yeux des supporters ou des journalistes, présents pour suivre une partie de l’équipe olympique médaillée d’argent, les erreurs pouvaient être attribuées à la fatigue des joueurs ou à des difficultés à retrouver le rythme habituel. Mais Damien percevait la tension qui régnait entre lui et Ivan et savait qu’il en était le seul responsable.

C’était peut-être le plus vexant, d’ailleurs, de savoir qu’Ivan était capable de garder la tête froide. Pour lui, rien n’avait changé : il ne s’interdisait aucun contact, ne baissait pas le regard dès qu’il entrait dans le vestiaire, ne cherchait pas à l’épargner quand ils étaient sur la glace ou ne trouvait pas une excuse pour se défiler à chaque soirée d’équipe. Damien redoutait le moindre frôlement, avait peur que son corps ne le trahisse. Il craignait aussi de s’enivrer et de finir par demander à Ivan s’il pensait bien ce qu’il lui avait dit aux JO : que, si c’était avec lui, il serait prêt à tout envisager. Et ses désirs obscurcissaient tant son jugement qu’il interprétait l’attitude d’Ivan, dans chacun de ses détails, pour nourrir ses fantasmes.

L’entraînement s’était terminé depuis un moment, mais le capitaine les avait retenus sur la glace, lui et Ivan. Marcus progressait lentement sur la patinoire, leur faisant des passes molles avec le palet.

« D’abord, je dois vous dire que je ne tiens pas à savoir ce qu’il s’est passé au village olympique, mais je suis certain que le malaise vient de là. Je suis juste inquiet pour l’équipe. Alors, soit vous réglez ça entre vous, soit je serai obligé d’intervenir. Et ça ne fera plaisir à personne. »

Damien déglutit à l’idée de devoir expliquer la source de la tension entre lui et Ivan. Un coup d’œil à ce dernier lui confirma que son ami préférait aussi éviter d’entrer dans les détails avec Marcus. Surtout en sachant que celui-ci n’avait pas vraiment de limites quand il s’agissait de maintenir la cohésion dans l’équipe.

« On va régler ça, promit-il.

— C’est dans votre intérêt, menaça Marcus. Je ne veux plus entendre parler d’un transfert dans ces conditions. »

Leur capitaine, satisfait, quitta la glace. Damien chercha le regard d’Ivan pour dissiper son incompréhension mais, pour la première fois depuis leur soirée avec Stella, ce fut son coéquipier qui l’évita. Ivan poussa sur ses patins et se lança dans un exercice de vitesse en entraînant le palet de sa crosse. Sans hésiter, Damien fit demi-tour pour rejoindre les vestiaires. Il pouvait bien être lâche quelques minutes de plus et laisser à Ivan l’espace dont il avait besoin.

Marcus était dans les douches quand il arriva dans le vestiaire. Il prit son temps pour ôter son équipement, enroula une serviette à sa taille et s’assit sur son banc habituel, dos au mur. Son capitaine était déjà en train de sécher. Il contourna Damien pour récupérer ses affaires propres dans son casier, mais tous deux gardèrent le silence. Pour Marcus, la question était réglée et Damien ne l’entendrait plus mentionner l’incident si lui et Ivan parvenaient à surmonter ce malaise. Quelques instants plus tard, il se retrouva seul dans les vestiaires et ferma les yeux dans l’espoir de trouver une façon d’aborder le sujet avec Ivan.

Il fut interrompu dans ses pensées par le claquement de la porte. Sans un mot, Ivan traversa la pièce pour ouvrir son casier. Ses gestes trahissaient son agacement et Ivan sortit ses affaires pour la douche avant de se déshabiller et fourrer sa tenue dans son sac. Alors que son coéquipier se retrouvait nu, Damien regretta de ne pas avoir profité de sa solitude pour se doucher et s’habiller. Il était un peu trop conscient de sa propre semi-nudité. De peur de rompre le silence, Damien resta immobile et observa son ami, maintenant appuyé contre les casiers. Le corps offert à sa vue ressemblait à une invitation dont Damien n’était pas sûr qu’elle soit réelle ou le fruit de son imagination.

Un soupir agacé d’Ivan alors qu’il ramassait sa serviette le fit réagir. La boule au ventre, il se lança :

« C’est quoi cette histoire de transfert ? »

Ce n’était peut-être pas le sujet principal, mais il était satisfait d’avoir pu adresser la parole à Ivan sans se décomposer ou laisser sa voix le trahir. Le hockey était un sujet sauf ; ils pourraient se lancer au cœur du problème plus tard.

« Ça ne va pas se faire, Marcus va y veiller. Je pensais que ce serait plus simple pour toi comme ça, admit Ivan sans lui accorder un regard.

— Pour moi ? répéta-t-il, incrédule. Comme si te voir quitter l’équipe allait me consoler d’être incapable de gérer la situation sans rendre les choses bizarres.

— C’est moi qui ai créé la situation et l’équipe en pâtit déjà. Mon jeu et le tien sont perturbés. Alors, oui, j’étais prêt à changer de club si ça pouvait t’aider à oublier ma décision.

— Je t’ai dit que ce n’était pas ta faute.

— Ah non ? s’agaça Ivan. Alors, explique-moi. On passe une heure avec Stella, je t’embrasse, tu disparais pendant deux jours et, depuis, c’est à peine si tu oses être dans la même pièce que moi. »

Damien grimaça en réfléchissant à la façon de formuler sa réponse, mais Ivan chercha son regard et l’accrocha un instant, avant de secouer la tête et de retrouver un semblant de sourire :

« Je sais que j’ai été égoïste, mais je n’ai pas songé aux conséquences. Je croyais pouvoir avoir ce moment avec toi et conserver notre amitié. Évidemment, je me suis trompé. »

Ivan soupira tandis que Damien tentait de remettre de l’ordre dans ses idées.

« Ne m’attends pas pour partir, j’ai encore ma douche à prendre.

— Je n’ai pas pris la mienne non plus, rétorqua-t-il, le cœur battant. Si tu veux bien qu’on partage. »

Ivan s’arrêta à cette proposition et recommença à le jauger du regard. De peur de perdre sa contenance, Damien baissa les yeux pour rompre le contact et examiner ses pieds nus. Ceux d’Ivan entrèrent dans son champ de vision. Le bruit de leurs respirations résonnait dans le vestiaire et il savait que ses joues étaient en feu. Doucement, il releva la tête, laissant son regard s’égarer sur les courbes dénudées d’Ivan qui étaient à la fois familières et intrigantes. Avant de croiser le regard de son ami, il eut un sursaut d’audace et tendit la main, mais Ivan saisit son poignet pour arrêter son geste. Il leva alors un regard interrogateur et Ivan lui tira sur le bras pour le hisser à sa hauteur.

« Si tu me touches maintenant, tu vas te retrouver plaqué contre ces casiers. »

L’idée était plus que séduisante s’il en croyait la bouffée de chaleur qui l’envahit, mais terrifiante aussi. Pourtant, il força contre la poigne qui le retenait et posa sa paume à plat sur les pectoraux d’Ivan. La peau sous la sienne était encore moite de sueur, les muscles saillants et l’envie de marquer cette chair de ses ongles le surprit par sa violence.

Cependant, Ivan tint sa promesse et l’attrapa par les hanches pour le repousser contre les casiers. Le métal froid dans son dos ne l’empêcha pas de sentir son bas-ventre en feu alors qu’Ivan dénouait sa serviette pour la laisser s’échouer au sol. Les cinq centimètres que Damien avait sur son ami semblaient dérisoires alors qu’Ivan le maintenait en place, piégé entre ses mains et ses jambes. Leur nudité ne l’inquiétait même plus. Le regard intense d’Ivan sur sa bouche et son cou, en revanche, lui faisait perdre ses moyens.

Il caressa le torse d’Ivan et remonta jusqu’à accrocher sa nuque, puis l’attira à lui pour poser la bouche sur la sienne. Le contact était aussi léger que la première fois, quand Stella l’avait demandé à Ivan, mais celui-ci maintint la pression plus longtemps. L’hésitation était inutile vu leur position, aussi Damien entrouvrit-il les lèvres. D’abord incertain, le baiser s’enflamma rapidement. Le dos plaqué aux casiers, il sentit le métal s’enfoncer dans sa peau à mesure qu’Ivan s’appuyait davantage sur lui.

De sa main libre, il s’accrocha à l’omoplate d’Ivan et y laissa de profondes marques d’ongles quand celui-ci enroula les doigts autour de son sexe. Les mouvements sur sa verge étaient secs et presque douloureux à cause du peu d’espace qu’avait Ivan pour bouger sa main. Néanmoins, le simple fait de savoir qu’un autre homme — Ivan — le caressait et l’embrassait lui suffit pour perdre le contrôle. Son orgasme le cueillit par surprise et il abandonna la bouche d’Ivan pour observer son sperme qui coulait sur les doigts de son coéquipier. Ce dernier relâcha son membre sensible et se recula légèrement.

« On devrait prendre cette douche, maintenant. »

Damien entendit l’eau couler avant de sortir de sa stupeur et se précipita pour le rejoindre. Le corps d’Ivan était tel qu’il l’avait toujours connu, tel qu’il le voyait dans ses fantasmes : l’érection insatisfaite l’interpellait, mais il se trouvait bien plus embarrassé par son inexpérience dans la réalité.

« On devrait s’occuper de toi aussi, proposa-t-il en pointant l’évidence.

— Mets-toi face au mur », lui demanda Ivan.

Malgré sa nervosité, il obtempéra. Sous le jet d’eau, il prit appui sur le carrelage et essaya de se détendre. Aucun de ses fantasmes ne l’avait préparé à cette réalité. Ne plus refouler ses envies, avec quelqu’un en qui il avait confiance, était exaltant ; toutefois, l’angoisse de l’inconnu le paralysait. Le bruit du bouchon du flacon de gel douche le fit sursauter. Ivan se rapprocha de lui, accrocha une main sur sa hanche et Damien sentit l’érection frotter le haut de sa cuisse. Ivan posa son autre main dans son dos pour le savonner. Le massage dura un moment et Ivan insista avec son pouce pour dénouer ses points de tension.

Plusieurs minutes de ce traitement lui firent oublier sa vigilance. Sa tête retombait entre ses bras et il s’était cambré sous les caresses d’Ivan. Puis celui-ci glissa sa main savonneuse entre ses cuisses. Il taquina son périnée avant de masser ses testicules et d’agacer son sexe repu. Damien essaya de rester docile mais, lorsque la main remonta entre ses fesses, l’appréhension eut raison de son excitation. Il tendit un bras en arrière pour bloquer le poignet d’Ivan. Pour tout ce qu’il avait testé en se masturbant, il ne doutait pas d’y trouvera son plaisir, mais il n’envisageait pas sa première fois avec un homme ainsi. Sinon, il aurait depuis longtemps cédé à ses pulsions dans l’anonymat d’un club.

« Je ne veux pas gâcher ton plaisir, mais mon expérience avec les hommes se résume à ce qu’on vient de faire, alors je ne suis pas sûr d’être vraiment prêt. Mais je ne suis pas contre tenter n’importe quoi avec toi. Plus tard. »

Ivan resta immobile et embrassa son épaule, puis mordit la peau délicate à la base de sa nuque ; les genoux de Damien fléchirent sous la décharge de plaisir.

« Ne me donne pas des idées, grogna Ivan. Et détends-toi, on n’a pas de préservatif.

— Donc, ce n’est pas pour ce soir. »

Alors qu’il était inquiet un instant auparavant, il se trouva ridicule en entendant la déception dans sa propre voix. Ivan retira la main d’entre ses jambes et attrapa la sienne pour la poser contre le carrelage. La verge tendue d’Ivan glissa entre ses cuisses et il sentit l’érection coulisser le long de son périnée et cogner dans ses testicules à la cadence de ses courts va-et-vient.

« Resserre un peu les cuisses, murmura Ivan contre son omoplate. Et sinon, tu décides du rythme. On a tout notre temps et j’ai de quoi nous occuper en attendant. »

Les coups de rein s’intensifièrent, comme si Ivan imaginait déjà tout ce qu’ils allaient pouvoir tester. La jouissance de Damien était trop récente pour lui en permettre une nouvelle si tôt, mais cela ne priva pas son sexe de faire un effort pour tenter de répondre à la stimulation. Les doigts d’Ivan s’enfoncèrent à sa taille et il sentit le membre pulser entre ses cuisses. La curiosité attira son regard plus bas, mais l’eau de la douche nettoyait déjà la preuve de leur plaisir.

Ils passèrent le week-end chez lui. Ivan se révéla insatiable et Damien plus qu’heureux de se plier à ses désirs.

À l’entraînement suivant, malgré ses muscles endoloris, ils n’esquivèrent aucun contact entre eux deux pour prouver à leur capitaine que le problème était résolu. Et peut-être pour profiter de chaque excuse pour plaquer l’autre contre une paroi. Leur relation allait pimenter le jeu.

Quatre ans plus tard

La sonnerie lui annonça l’arrivée d’un nouveau message et Damien roula au-dessus d’Ivan pour attraper son téléphone sur la table de nuit. Leurs médailles s’entrechoquèrent, provoquant un rire chez son partenaire. Damien se laissa retomber sur le dos et Ivan en profita pour poser le menton sur son torse.

« Qui ose nous interrompre ? s’indigna Ivan.

— Marcus.

— Dis-lui de nous oublier, il n’est plus capitaine.

— Libre à toi d’envoyer bouler l’assistant de l’entraîneur, mais tu ne me feras pas plonger avec toi.

— Et moi qui croyais que tu m’aimais », soupira Ivan.

Damien leva les yeux au ciel sans le gratifier d’une réponse et pianota un message pour Marcus avant de reposer le téléphone. Ivan faisait rouler entre ses doigts la médaille de bronze de Damien :

« Qu’est-ce qu’il voulait ?

— Qu’on range nos médailles avant de fêter nos titres olympiques.

— Trop tard ! » s’amusa Ivan.

En effet, ils s’étaient sauvés des soirées avec leurs équipes dès que possible pour rejoindre la chambre d’Ivan. Le programme était simple : se retrouver nus, avec leurs médailles — une de bronze pour lui et deux d’argent pour Ivan — pour seuls vêtements et autant de sexe que possible avant la cérémonie de clôture le lendemain.

« Il va nous tuer au prochain entraînement, se plaignit-il.

— Il n’est pas obligé de savoir.

— Il m’a écrit que sa sœur lui prêterait la lumière noire de son labo pour vérifier les traces. Comment on nettoie le sperme à ton avis ?

— Aucune idée. Mais on peut essayer de noyer les tâches en recouvrant la surface. Ça devrait lui passer l’envie de nous déranger. »

Ivan l’embrassa pour l’empêcher de répliquer ou de se lancer dans un débat stérile. Damien oublia ses protestations lorsqu’il le sentit s’agenouiller de part et d’autre de sa taille. Depuis les derniers J.O., ils avaient réussi à trouver leur équilibre pour rester discret sur leur relation et ne pas la laisser interférer avec l’équipe et leur jeu. Mais les semaines au village olympique, où ils défendaient des couleurs différentes, leur permettaient d’oublier ces règles.

Les médailles tintèrent les unes contre les autres quand Ivan se redressa dans un soupir satisfait. Damien empoigna ses hanches pour imposer son rythme et le faire jouir sur son ventre. Sur sa médaille. Peut-être que dans quatre ans, ils seraient encore sélectionnés. Peut-être que la France renouvellerait l’exploit de grimper sur le podium et que la Suisse parviendrait à détrôner le Canada pour ajouter l’or à leur collection. Peut-être qu’Ivan et lui fêteraient ces titres d’un nouveau marathon dans leur chambre d’hôtel. Damien ne pouvait qu’espérer le meilleur.

Mémoires d’un Olympien (1)

Autrice : Magena Suret.

Genres : Sport, M/F/M + M/M, hot.

Résumé : Damien, joueur de hockey sur glace, participe à sa première sélection nationale aux Jeux Olympiques. Mais, entre la pression de la compétition et la débauche de plaisirs au village olympique, des désirs longtemps enfouis refont surface.

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Chapitre 1Chapitre 2

Chapitre 1

Sur la patinoire, les joueurs adverses prenaient leur place. Damien observa se positionner devant leur gardien les cinq opposants qu’ils allaient rencontrer pour ce premier tiers temps. Sa seule surprise fut de ne pas voir Ivan pénétrer sur la glace. Depuis le début des Jeux, six jours plus tôt, tous deux avaient attendu ce match. En championnat, ils évoluaient comme coéquipiers ; pour la première fois, avec les sélections nationales, la compétition les opposerait. Damien avait vibré d’impatience à l’idée de jouer contre lui, mais il n’allait pas laisser sa déception le déconcentrer.

Les Jeux Olympiques représentaient l’un de leurs rêves depuis le début de leur carrière, mais aucun des deux hockeyeurs n’avait imaginé que la pression serait si forte. L’annonce de leur sélection par leurs pays respectifs avait déclenché un intérêt auquel ils n’étaient pas habitués. Les périodes de championnat étaient intenses, pourtant rien ne les avait préparés à cette excitation permanente. Depuis l’officialisation de sa participation aux J.O. dans l’équipe française et celle d’Ivan pour la suisse, les journalistes sportifs ne se focalisaient plus que sur leur supposée concurrence. Après chaque match, on leur pointait la moindre erreur dans leur jeu ou leur communication qui était censée prouver une animosité nouvelle. Ivan et lui avaient failli entrer dans leur petit manège avant de réaliser qu’ils ne faisaient qu’alimenter leurs prétendues discordes. Alors, ils avaient décidé de se montrer unis avant de rejoindre chacun leur délégation. Cela ne leur avait pas demandé beaucoup d’efforts puisqu’ils s’étaient entendus dès leur rencontre pour devenir de vrais amis au cours des trois dernières années. Damien n’allait pas ruiner leur relation en devenant trop compétitif et il savait qu’Ivan serait aussi respectueux.

Leur arrivée au village olympique s’était faite par délégation, mais Ivan avait réussi à le retrouver à peine deux heures plus tard. Damien l’avait alors écouté lui raconter toutes les anecdotes des J.O. précédents qu’il avait entendues durant le voyage et avait ri, incrédule.

Néanmoins, avec la fête qui avait suivi la cérémonie d’ouverture, ils avaient rencontré les autres athlètes et il était vite devenu clair que les rumeurs colportées au sujet du sexe facile lors des Jeux Olympiques n’étaient pas infondées. En une semaine, aucun des deux n’avait passé une journée sans utiliser au moins l’un des préservatifs fournis gracieusement par les organisateurs. Que ce soit pour se détendre avant une épreuve ou pour fêter une victoire, tous les prétextes étaient bons. Ivan en avait fait un jeu pour voir combien de nationalités différentes il pourrait épingler à son tableau de chasse. Quant à lui-même, il avait joué la carte de la brute timide : alors qu’il était resté seul quelques minutes le premier soir, une skieuse de fond l’avait abordé et, en un rien de temps, ils avaient terminé dans les toilettes, la tête de la jolie Suédoise cognant contre la porte au rythme de ses coups de reins. Après cette soirée, Ivan et lui s’étaient lancé des défis en fonction des résultats des différentes équipes.

La performance de l’équipe de France en hockey sur glace face à celle de Suisse était pour le moins incertaine. Les pronostics jouaient en la faveur de la Suisse, mais il n’était pas impossible de les battre. Aussi Ivan avait-il l’avantage et Damien s’étonnait de ne pas le voir entrer en jeu immédiatement, surtout que son ami lui avait promis un rendez-vous avec deux Allemandes s’il parvenait à bloquer au moins trois de ses attaques. Il allait perdre ce pari et sa récompense parce que son adversaire fuyait la confrontation. Le coup de sifflet annonçant l’engagement le força à oublier ce manque de fair-play et à plonger dans le jeu.

L’avance de la Suisse était confortable ; Ivan ne rejoignit son équipe que pour le dernier tiers temps – après avoir ignoré tous les regards noirs qu’avait pu lui lancer Damien depuis son côté de la patinoire lors des interruptions de jeu. Alors, Damien mit toute sa rage dans sa défense à chaque fois qu’Ivan se présentait face à lui. La France avait peut-être perdu sa chance de gagner cette rencontre, mais lui pouvait encore montrer à son ami qu’il ne se laisserait pas abattre si facilement. Et bloquer la crosse d’Ivan ou le plaquer contre le plexiglas de la patinoire était curieusement jouissif.

Le retour au vestiaire se fit dans une ambiance morose. Même si les pronostics jouaient contre eux, ne pas ramener de médaille était un coup dur pour l’équipe de hockey. En particulier pour ceux dont c’était la dernière sélection. Au moins, Damien pouvait viser les prochains Jeux, dans quatre ans. Et, à plus court terme, il comptait bien rappeler à Ivan sa promesse, puisqu’il avait au moins remporté leur défi personnel, et profiter d’une soirée de consolation aux petits soins de deux Allemandes. Quand il quitta la douche et commença à s’habiller, il reçut un message d’Ivan. Celui-ci, plutôt que de l’avoir attendu pour l’accompagner, lui demandait de le rejoindre à son hôtel dans le village olympique. Son ami n’avait visiblement pas compris que retarder leurs retrouvailles ne changerait en rien son agacement, bien au contraire.

Devant la porte d’Ivan, Damien sortit la carte magnétique que lui avait confiée le joueur partageant la chambre de son ami. Le trajet du retour avait eu le temps de calmer ses nerfs et il fut alors étonné de sentir la nostalgie des derniers jours s’installer : il restait la cérémonie de clôture, mais les Jeux étaient finis pour lui et son équipe. À peine franchit-il le seuil qu’il se retrouva dans les bras d’Ivan :

« Je te féliciterais bien pour le match, mais je tiens à la vie, se moqua celui-ci.

— Tu ferais mieux de t’abstenir, oui », répondit-il en rompant leur embrassade. « Et de me dire que j’ai deux jolies Allemandes qui m’attendent dans cette chambre. Et qu’elles parlent un minimum français. »

Damien était incapable de retenir davantage que quelques ordres dans une langue étrangère et il était ravi de laisser ses coéquipiers lui traduire tout le reste. Néanmoins, Ivan le regarda d’un air coupable et il sut que la suite n’allait pas lui plaire.

« Désolé, mes biathlètes nous ont fait faux bond. »

Damien sentit son irritation redoubler, avant qu’Ivan ne poursuive :

« Mais j’ai une jolie patineuse italienne.

— Et elle n’a pas peur que je l’abîme pour ses épreuves ? »

S’il avait appris une chose des patineuses artistiques qu’il avait tenté de draguer, c’était qu’elles ne trouvaient que rarement de l’attrait à un sport aussi violent que le hockey sur glace. En théorie, elles appréciaient le physique des hockeyeurs, leur force brute. Et elles-mêmes prenaient des risques énormes lors des entraînements dans l’espoir de réaliser une combinaison qui les distinguerait. Mais tous ces efforts physiques passaient presque inaperçus lorsqu’elles glissaient avec grâce sur la glace dans leurs tenues délicates tandis que les hockeyeurs étaient renforcés de protections diverses qui rendaient leur déplacement moins fluide. Damien avait trop souvent entendu des patineuses se plaindre de leur manque de finesse. Il ne doutait pas qu’elles appliquaient le même genre de préjugés quand elles les imaginaient au lit.

« Même pas. Stella est furieuse après son partenaire qui lui en a fait baver depuis des mois en l’empêchant d’avoir la moindre relation avec un homme, alors que c’est lui qui a gâché leur chance de médaille aujourd’hui en chutant. Du coup, elle compte bien – et je la cite – se faire défoncer. Elle n’attend plus que nous. »

La satisfaction qui avait envahi Damien à cette idée s’évanouit en un instant lorsqu’il assimila la fin de la sentence.

« Nous ? s’étrangla-t-il. Tu m’expliques comment on est passé d’un plan à trois entre moi et deux biathlètes allemandes à un plan à trois de deux hockeyeurs avec une patineuse ? »

Ivan ne répondit pas aussitôt ; il lui passa plutôt le bras autour des épaules, le faisant se crisper sous ce contact, et l’accompagna vers la chambre. Damien découvrit Stella debout près de la fenêtre. Sa tenue de gala tout juste abandonnée au sol, les cheveux retenus en chignon, elle leur lançait un regard aguicheur alors que l’une de ses mains avait déjà trouvé le chemin de son clitoris et qu’elle leur proposait des préservatifs de l’autre. Le souffle d’Ivan lui chatouilla l’oreille. Soudain, l’idée de faire demi-tour et aller retrouver son équipe lui parut judicieuse. Baigner dans la morosité de la défaite était peut-être préférable aux risques qu’il prenait dans cette pièce. La proximité d’Ivan le perturbait et il craignait d’être trahi par son propre corps. Il avait appris à contrôler son attirance pour les hommes à force de partager des vestiaires, mais l’intimité de cette situation menaçait de ruiner ses efforts.

« À toi de voir, mais ce serait dommage de laisser passer l’occasion. Ça fait à peine un quart d’heure qu’elle est là et elle m’a déjà tellement chauffé qu’elle pourrait me demander de te sucer sans souci », annonça Ivan d’un air sérieux.

L’image qui vint à Damien après cette confession lui contracta le bas-ventre, le laissant entre désir et crainte. Néanmoins, il était assez coutumier des attitudes d’Ivan pour reconnaître sa bravade pour ce qu’elle était : un moyen de se donner de la contenance face à une situation qui l’excitait vraiment. Il réagit alors de la seule manière adaptée : il leva les yeux au ciel et donna une tape amusée à son ami. Celui-ci l’abandonna aussitôt pour rejoindre leur partenaire du soir. Damien hésita encore un instant, mais l’occasion d’avoir une patineuse dans son lit et l’envie de faire plaisir à Ivan l’emportèrent sur ses craintes les plus secrètes.

Lorsqu’il se décida, Stella venait de plaquer Ivan contre le mur et l’embrassait avec passion. Même si son ami s’était laissé faire, Damien admirait la fougue dont faisait preuve la jeune femme. En deux enjambées, il les rejoignit et profita d’être derrière Stella pour redessiner les courbes de son corps, s’attardant sur les zones qui la faisait frissonner. Nue alors qu’eux deux étaient toujours habillés, Stella semblait décidée à réparer cette injustice : elle se dégagea de leur étreinte et les laissa face à face en indiquant, d’un mouvement de menton, leurs vêtements.

Damien jaugea Ivan du regard et ôta son t-shirt, aussitôt imité par son ami. Se rapprochant de lui, Stella déboutonna son jean et il sentit soudain Ivan dans son dos, ses doigts le frôlant pour aider la patineuse à le délester de son pantalon. Le contact, pourtant léger, provoqua en lui une sensation inédite, mais il ne tenait pas à l’analyser dans l’immédiat. Afin d’éviter une réaction inappropriée, il s’écarta et se chargea lui-même de son boxer, tentant d’ignorer Ivan qui se mettait à nu près de lui. Ce n’était pas la première fois qu’ils se voyaient ainsi puisque les douches communes étaient un bon remède contre la pudeur entre sportifs, mais les circonstances étaient différentes et la gêne revenait, teintée d’une culpabilité dont il pensait s’être défait avec la fin de son adolescence.

Toutefois, le malaise passa rapidement puisque Stella l’entraîna vers le lit et s’allongea sur le dos. Battu par Ivan pour goûter les seins menus de la jeune femme, il s’agenouilla entre les pieds de celle-ci. En accord avec ses intentions, elle écarta les cuisses et il commença par l’embrasser au-dessus des genoux. D’une oreille distraite, il perçut le craquement d’une pochette de préservatif puis, alors qu’il arrivait au niveau de l’aine de Stella, Ivan lâcha un gémissement plus rauque. Le bruit de succion qui suivit ne demandait pas beaucoup d’imagination et Damien préféra éviter de relever la tête : la vue du fessier de son ami accroupi au-dessus de la poitrine de leur partenaire n’était pas celle qu’il désirait avoir pour l’instant. Son imagination lui en fournissait déjà une suffisamment détaillée.

D’un coup de langue assuré, il chercha à déconcentrer Stella. Lécher autour de son clitoris ne la fit pas réagir, mais quand il aspira les grandes lèvres l’une après l’autre, il dut maintenir les cuisses de la jeune femme pour qu’elle ne puisse pas les refermer. Alors, elle abandonna le sexe d’Ivan pour parler à ce dernier. Sans réussir à s’intéresser à leur conversation puisqu’elle avait lieu en italien, il resta concentré sur le plaisir qu’il voulait donner à Stella, sur celui qu’il ressentait entre les jambes d’une femme. Cependant, Stella lui échappait, se redressant dans le lit. Quand il leva la tête, Ivan lui tendit un préservatif et une petite bouteille de lubrifiant. Le tout assorti d’un clin d’œil complice :

« Allez, mets-toi sur le dos, enfile ça, sois généreux sur le lubrifiant, écarte un peu les jambes et laisse la demoiselle descendre à son rythme. »

Damien avait l’impression de ne pas pouvoir obéir assez vite : sa dernière copine avait mis des mois avant d’accepter de tester la sodomie et l’expérience avait été unique, aussi ne s’attendait-il pas à cette agréable surprise. Stella ne perdit pas de temps non plus et s’installa dos à lui, les pieds de part et d’autre de ses cuisses. Avec une main pour soutenir la hanche de Stella et l’autre pour garder son sexe en place, il la guida en douceur. Toutefois, Stella le prit de court en s’abaissant soudain, son gland capturé par le muscle anal.

« Oh, putain ! s’exclama-t-il.

– Ouais, elle m’a dit qu’il lui arrivait de garder un plug toute la journée, renchérit Ivan, la voix rêveuse.

– La ferme ! » le rabroua-t-il.

Son ami était à leurs pieds, son sexe en main, se masturbant avec lenteur. Stella ignora leurs enfantillages et continua, sans s’interrompre, à prendre sa verge en elle. La pénétration était constante et la pression délicieuse. Malgré son instinct qui le réclamait, Damien retint ses coups de reins. Quand les fesses de Stella rencontrèrent enfin son bassin, il s’autorisa de légers mouvements et apprécia la facilité avec laquelle le corps de la patineuse s’adaptait à l’intrusion. Le buste de Stella fut toutefois vite repoussé vers lui, jusqu’à ce que son dos repose sur le torse de Damien. Et Ivan s’empressa de s’agenouiller entre leurs cuisses.

D’abord de deux doigts, il pénétra dans le vagin de Stella. Damien s’étonna du contact : serré dans l’anus, il ne s’attendait pas à ressentir autant sa présence La fine paroi entre les deux orifices ne servirait pas vraiment de barrière entre eux et si Ivan n’avait pas eu les doigts recourbés à la recherche du fameux point G, il aurait pu croire que les caresses lui étaient destinées. Il se mordit la langue pour forcer son esprit à quitter cette voie glissante et ne pas se perdre dans le fantasme. Un murmure appréciatif de Stella l’y aida, puis elle débita une phrase en italien à destination d’Ivan. Des encouragements, que son ami s’empressa de suivre, puisqu’il ôta ses doigts ; Damien sentit le matelas s’affaisser et les genoux de son ami cogner l’intérieur de ses cuisses, autant de sensations électrifiant le moindre point de contact. Puis le sexe d’Ivan glissa en Stella, coulissant contre le sien. Il s’inquiéta un instant pour la jeune femme entre eux : la pression seule menaçait de le faire basculer vers la jouissance sans même avoir eu à se mouvoir, il se demandait donc comment elle faisait pour supporter leur intrusion à tous deux. Un soupir de plaisir le rassura.

Puis les déhanchements familiers débutèrent. Plus libre de ses mouvements, Ivan donnait d’amples coups de reins quand Damien se contentait d’un court va-et-vient et leurs corps s’accordèrent vite sur le rythme à tenir. Stella s’abandonnait entre leurs bras et reposa bientôt la tête sur son épaule. Le cou de la jeune femme dégagé, il en profita pour mordiller la peau sensible de cet endroit tandis qu’Ivan reprenait ses assauts sur les mamelons à présent durcis. Les cheveux de son ami lui chatouillaient parfois le nez. Damien choisit de concentrer son attention sur ce détail agaçant plutôt que sur la pression des genoux d’Ivan à l’arrière de ses cuisses. Puis il ferma les yeux et s’oublia dans son propre plaisir.

Sa poigne se raffermit à la taille de Stella alors qu’il sentait l’orgasme se rapprocher. Il se fichait bien de finir le premier et ne chercha pas à retarder le moment. Une contraction du muscle anal autour de son sexe et le frottement de l’autre verge l’achevèrent et son sperme gicla dans la protection. Stella se cambra dans sa jouissance et lança un nouvel ordre en italien. Damien crut comprendre qu’elle réclamait un baiser, aussi s’écarta-t-il du cou de la jeune femme pour lui permettre d’embrasser Ivan. Toutefois, une main sur sa nuque lui fit ouvrir les yeux pour rencontrer le regard contrit d’Ivan. Puis, tout en continuant à chercher sa propre délivrance, ce dernier se pencha sur lui et s’empara de ses lèvres. Le contact humide fut bref, mais il le surprit et intensifia le plaisir de Stella dont le corps sembla soudain convulser pour une seconde ou deux sous celui d’Ivan. Jusqu’à ce que ce dernier se recule, visiblement satisfait à son tour.

Les peaux moites se rafraichissaient et Damien n’avait plus la moindre envie de bouger, parce qu’il lui faudrait réfléchir à ces derniers instants dès qu’il quitterait le lit. Stella fut la première à briser l’accalmie pour se lever et enfiler sa tenue. S’il avait été dans sa chambre, il lui aurait proposé au moins une douche, mais la jeune femme semblait déterminée à démontrer quelque chose à son partenaire olympique. Et rentrer encore suintante de l’odeur du sexe faisait apparemment partie de son programme. Stella se pencha pour déposer un baiser sur sa joue, puis Damien tira le drap sur lui dans un sursaut de pudeur. Le lit grinça et Ivan se leva pour raccompagner Stella. Bercé par le son de leurs voix, Damien cessa de lutter pour maintenir ses yeux ouverts et laissa la torpeur engourdir son esprit.

La porte claqua et, un instant plus tard, le matelas s’affaissa à ses côtés. Ivan prit appui contre lui et Damien sentit les doigts de son ami frôler ses côtes au rythme de ses inspirations. Une fois de plus, il tenta d’ignorer l’effet que ce genre de contact provoquait en lui. Cette excitation nerveuse qu’il pensait oubliée depuis longtemps revenait se venger avec force. Si la refouler davantage était impossible, il aurait préféré qu’elle choisisse une autre cible pour se manifester, quelqu’un qu’il n’aurait pas regretté de perdre quand la situation lui échapperait. Malgré son envie d’ignorer la réalité, une tape amicale sur ses pectoraux le força à ouvrir les yeux. Ivan, assis à quelques centimètres de lui, toujours aussi nu, le fixait avec un sourire en coin et un air indéchiffrable.

« On partage la douche ? » lui proposa Ivan.

Damien se mit à rire et ses propres oreilles reconnurent une note d’hystérie dans son hilarité. S’attarder dans cette chambre ne servirait qu’à inciter sa confusion. Pourtant, lui et Ivan restaient coéquipiers et partageraient à nouveau des vestiaires dans quelques semaines. Le groupe l’aiderait à garder ses distances, mais il ne voulait pas créer de malaise avec son ami. Il décida donc de briser toute tension par l’humour :

« Ça va aller, merci, je verrai ça dans ma chambre. Tu pourrais finir par me violer.

– T’exagères », ronchonna Ivan en s’éloignant pour entrer dans la salle de bains, tout comme Damien l’avait espéré.

Cependant, son ami fit volte-face et prit appui sur le chambranle.

« C’est elle qui m’a demandé qu’on s’embrasse et j’ai voulu lui faire plaisir, mais je n’aurais peut-être pas dû. Pas si ça rend les choses bizarres entre nous.

– C’était juste un baiser », le rassura-t-il tout en essayant de se convaincre de l’innocence du geste. « Elle aurait pu demander des choses bien pires.

– Avec toi ? le taquina Ivan de son air charmeur. Tout ce qu’elle voulait. »

La porte de la salle de bains se referma sans lui laisser la possibilité de répondre et il lui fallut quelques secondes pour assimiler ce que venait de dire Ivan. Son corps semblait partagé entre l’espoir de voir ses désirs assouvis et la terreur d’y céder pour être déçu. Face à ces émotions contradictoires, il se redressa trop vite sur le bord du lit et la nausée le prit. La tête penchée entre les genoux, il tenta de retrouver son calme. Plusieurs minutes s’écoulèrent durant lesquelles il se força à ignorer le bruit de la douche pour s’empêcher d’imaginer le corps que l’eau caressait. Puis le silence résonna à ses oreilles et il se fit violence pour se mettre en mouvement. Il enfila ses vêtements en toute hâte et s’échappa de la chambre.

La révélation de Claire – saison 2 de L’initiation de Claire (4)

Troisième partie

Mathieu sentait son pouls battre dans ses tempes, pulser jusqu’à l’intérieur de sa tête, l’étourdissant.

Putain ! Il s’était attendu à ce que sa confrontation avec la maîtresse soit difficile mais pas autant, pas chargée d’une telle tension…

Il gravit rapidement l’escalier menant au donjon et claqua la porte derrière lui, avant de progresser dans le couloir. À peine vit-il Isa, adossée au mur juste avant la salle des dominateurs, qu’il sut qu’elle s’était postée là pour l’attendre. Elle se tenait dans une posture moins provocante que d’habitude, parée d’une tenue qui n’aurait pas déplu à Emma Peel dans Chapeau melon et bottes de cuir : des bottes épaisses et un ensemble pantalon-bretelles qui aurait pu être sage, si ses seins n’avaient été visibles sous son chemisier transparent. Deux traits d’eye-liner complétaient la ressemblance avec l’actrice de cette série culte. Elle avait une cravache à la main. Il décela de l’inquiétude sur son visage, malgré ses abords froids.

Dès qu’il fut à son niveau, elle lui dit :

– Je t’ai vu parler avec Catherine.

Le sujet qu’il ne voulait justement pas aborder. Il ne s’arrêta pas.

– Qu’est-ce qu’elle te voulait ?

Cette fois, il marqua une pause et tourna la tête vers elle. Que lui dire ? Que Catherine avait voulu le provoquer, le déstabiliser et qu’elle était forte, à ce jeu ? Plus forte que quiconque. Si lui-même aimait jouer, elle était une adversaire contre laquelle jamais personne ne sortait gagnant. La maîtresse ne jouait pas pour se faire voler la victoire. Elle n’abattait jamais que des cartes gagnantes et elle en avait trouvé une, bien puissante, dont se servir.

– Catherine joue, dit-il.

Et elle se jouait de lui, en particulier.

– Et toi, tu ne joues plus, devina Isabelle.

Non.

Plus maintenant, en tout cas.

Et il venait d’appeler la maîtresse par son prénom.

Il dévisagea Isa, se demandant jusqu’où allait sa perspicacité, ce qu’elle comprenait de la situation et de ce qu’il éprouvait…

– Tu n’aurais pas dû laisser passer tout ce temps avant d’aller la voir, lui fit-elle remarquer.

Il ne la contredit pas.

Elle ajouta :

– Tu lui as déjà fait ce coup-là.

– Je sais.

Il avait cessé brusquement de donner signe de vie, pour disparaître à la recherche d’un ailleurs qu’il n’avait pas trouvé. Pour tenter d’avoir une relation normale avec une fille… Pour essayer de se persuader qu’il le pouvait. Il avait perdu. Tout le monde avait perdu. Il n’était revenu que deux ans plus tard vers la maîtresse. Il aurait dû se douter que réitérer entraînerait des problèmes. Cette fois-ci, pourtant, il ne s’était pas réellement barré. Du moins, pas aussi longtemps : il n’avait fait le mort que pendant un mois.

– Elle t’a parlé de ta punition ? reprit Isa.

– Oui.

Il ne voulut pas en dire plus.

Il examina le rideau les séparant de l’aile réservée aux dominants.

– Elles sont là ? demanda-t-il.

– Je crois. Je ne suis pas encore entrée dans la salle.

Deux secondes plus tard, il dégageait le lourd tissu rouge avant d’avancer jusqu’à la porte. Il la poussa d’un geste impulsif.

Immédiatement, son regard fut attiré par Claire.

Hissée sur des chaussures à hauts talons surmontées de lanières croisées sur ses chevilles, elle se tenait face au miroir fixé à l’un des murs, Véronique était en train de comprimer son buste dans un corset qu’elle laçait étroitement. Un minishort achevait d’offrir une vision vertigineuse de ses jambes, le noir de sa tenue respectant parfaitement non seulement le code de couleur mais le thème fétichiste de la soirée. Seul le rouge vif de ses lèvres tranchait, attirant le regard sur l’effet bombé de sa bouche, qu’il exposait tel un objet de convoitise. Il s’en laissa remuer un instant. Ce qui attira le plus fortement son regard fut toutefois les longues stries qui marquaient l’arrière de ses cuisses, témoignant de son travail et traçant des lignes sombres qui s’accordaient parfaitement à la carnation de sa peau et criaient plus que n’importe quel autre élément quelle relation était la leur… Et ce que Claire avait accepté de lui offrir, en venant en ce lieu, ce soir.

Il resta la main sur la poignée de la porte, hypnotisé. Lorsque leurs regards se croisèrent dans le reflet du miroir, il sut qu’ils partageaient la même perte de repères. Les mots de la maîtresse planaient encore dans son esprit et il éprouvait un mélange de désir, d’attraction qui prenait source dans des profondeurs inhabituelles de son être. De doutes, aussi, de craintes que les grains de sable nommés « hésitations de Claire » et « manipulations de la maîtresse » ne viennent faire exploser une situation déjà sous tension.

Discrètement, il soupira.

Il devait reprendre en main les événements.

Il adressa un sourire espiègle à Véronique.

– Je ne vais jamais résister à ruiner ce rouge à lèvres !

Véronique eut une mimique amusée.

– Je ne vais jamais résister à arracher ce short non plus, ajouta-t-il, mais, cette fois à l’intention de Claire, plongeant dans son regard pour appuyer ses propos.

Elle ne répondit pas, le fixant juste, témoignant de l’offrande qu’elle lui faisait avec ce regard curieux qu’elle portait sur les choses, en toutes circonstances, cette façon de tout penser, tout analyser, tout peser… La pousser à l’abandon lui paraissait à chaque fois une gageure.

Elle se retourna vers lui, et il parcourut des yeux ses autres marques, celles qui barraient le devant de ses cuisses.

Il vit à peine Isabelle entrer derrière lui et se poster à l’entrée de la pièce. Il ne lâchait pas Claire des yeux.

Isabelle prit la parole, s’adressant à Véronique.

– Vous êtes prêtes ?

– On a bien travaillé…

Lorsqu’il tourna le visage pour les observer toutes deux, Mathieu remarqua que toute leur attention se portait sur Claire, dans l’examen du travail accompli.

Véronique finit par lui demander :

– Qu’est-ce que tu en dis ?

Il eut un petit sourire.

– Ce corset ne va pas.

– Pourquoi ?

– Parce que ça l’empêche de respirer.

– Tu exagères.

C’était vrai. Il adressa un regard amusé à Claire pour lui avouer qu’il trichait. Bien sûr, Véronique avait serré trop fort, mais c’était une contrainte comme une autre. Des contraintes, il comptait lui en imposer d’autres, de toute façon.

– Tu n’as marqué que ses cuisses ? l’interrogea Isabelle.

– Non.

Contrairement à Véronique, Isa avait compris tout de suite pourquoi il ne voulait pas de ce corset.

Parce qu’il voulait voir la marque sur ses seins.

– Enlève-le, c’est tout, dit-il. Elle n’en a pas besoin.

Claire restait silencieuse, mais il put voir que la demande la gênait.

– En bas, tu verras des membres bien plus exposés, lui dit-il.

Il indiqua Isabelle du regard, dont la poitrine était plus que visible sous la transparence de son chemisier.

– Et toi ? lança Claire avec son impertinence coutumière.

Il sourit largement.

– Je vais me préparer aussi.

Il la fixa ensuite avec suffisamment d’insistance pour lui rappeler dans quel rapport ils se trouvaient. Et que, si lui s’amusait de son attitude, ce n’était pas le cas des autres autour d’elle. Claire resta coite.

Si elle pouvait se montrer dans la réserve, parfois, et plus particulièrement quand elle ne s’attendait pas à ses exigences, elle était loin d’être une oie blanche. Lors de leur première rencontre, elle l’avait sucé devant l’ensemble des dominants présents dans la salle ; de ses aventures sexuelles précédentes, il savait qu’elle avait eu l’occasion de se montrer plus encore en spectacle. Il n’y avait aucune raison qu’elle refuse d’exposer ses seins.

Véronique intervint :

– Elle ne va pas être à l’aise.

– Je ne veux pas qu’elle le soit.

Il laissa fleurir un sourire provocant sur ses lèvres.

– Tu devrais au moins lui couvrir les mamelons, reprit Véronique.

Il acquiesça.

– File-moi de quoi le faire.

Il ne précisa pas quoi. L’intensité avec laquelle Claire le fixait, insolente et fragile à la fois, le remuait. Il se retint de se rapprocher d’elle pour l’embrasser. Distraitement, il se passa la main dans les cheveux. Leur humidité lui rappela qu’il avait eu à peine le temps de se doucher, après le travail, et qu’il devait encore se préparer.

Il tourna le visage vers Véronique.

– Tu as des affaires pour moi ?

– Ce sac, là.

– Parfait, dit-il en s’accroupissant devant.

Il se frotta les yeux. La fatigue de la journée se faisait sentir, ajoutée à l’épuisement nerveux de son altercation avec la maîtresse.

Isabelle lança brutalement, à l’intention de Claire :

– Qu’est-ce que tu sais de cette soirée ?

Mathieu leva les yeux sur elles.

– Que ce sera une soirée fétichiste, répondit Claire.

– C’est le cas.

Isabelle la sondait, ne cachant rien de sa curiosité. Véronique ne bougeait pas, plantée dans un coin de la salle, observatrice.

Claire lui jeta un bref regard, puis ajouta :

– Que les autres dominants voudront m’éprouver.

Son culot le fit sourire. Isabelle, de son côté, ne réagit pas, mais il put voir à son attitude que la singularité de Claire l’intéressait. Le mépris qu’elle avait manifesté à son égard semblait s’être dissous dans la curiosité. Il attendit de voir ce qu’elle répondrait.

– C’est vrai aussi, affirma Isabelle sans afficher la moindre gêne.

Elle opéra enfin un demi-tour durant lequel elle resta du début à la fin le regard plongé dans celui de Mathieu. Puis elle se dirigea vers la porte.

Au moment où elle allait la passer, elle se tourna vers eux en une posture indolente, mais elle ne l’observait plus. Du début à la fin, elle resta fixée sur Claire.

Puis elle quitta la pièce. Ses bottes claquèrent dans le couloir, comme autant de pointillés venant ponctuer ses derniers mots.

Mathieu reporta alors son attention sur Claire. Elle fixait l’endroit où Isabelle avait disparu, la confusion visible sur son visage.

Quand Véronique se déplaça pour refermer la porte, Claire pivota vers elle, comme rappelée à la réalité.

– Tourne-toi, lui dit Véronique.

Il la vit réagir imperceptiblement à cet ordre. À ce monde de règles et de hiérarchie auquel elle avait accepté de se plier. À son monde à lui… Une fois encore, l’idée qu’il lui en demandait trop le titilla. Trop, et trop vite. Et pourtant tellement moins rapidement que ne le voulait la maîtresse…

Il refusa de s’attarder à cette pensée et se concentra sur le sac devant lequel il s’était accroupi, tandis que Véronique s’occupait de délacer le corset de Claire. Le premier vêtement qu’il trouva était un pantalon fait de différentes pièces de cuir piquées les unes aux autres qu’il connaissait déjà. Il était confortable et avait le mérite d’en imposer visuellement, tout en restant à la limite entre le costume et le vêtement qu’il pourrait porter dans la rue. Il ôta son propre jean et l’enfila, avant de relever les yeux sur Claire, tandis qu’il le boutonnait.

Les mains sur la nuque, retenant de ses doigts sa chevelure, elle respirait lentement, tandis que le vêtement qui lui couvrait la poitrine se relâchait de plus en plus autour de son buste. L’image dégageait une sensualité douce.

Après le rapport à trois qu’ils avaient eu avec Olivier, Claire lui avait confié son trouble de voir sa volonté accomplie par un autre. Troublantes aussi, les mains d’Olivier sur elle, qu’elle avait perçues différentes et en même temps comme un prolongement de lui-même. Les mots qu’elle était parvenue à poser sur l’expérience l’avaient stupéfait.

Sur l’instant, Véronique agissait de la même manière, avec des gestes empreints d’une autorité sans faille, quand lui avait tendance à être plus brusque, mais c’était toujours lui qui tirait les ficelles, lui qui décidait des mouvements. Lui qui touchait Claire, d’une certaine manière, bien qu’indirectement. Aucune des personnes dans la pièce ne l’ignorait.

La distance entre leurs corps le frustrait et l’électrisait en même temps, lui donnait envie de la maintenir, de la prolonger. C’était comme une brûlure : celle du besoin de sa chair, qui le rendait plus sensible, même à l’espace les séparant.

Lentement, le corset s’écarta, offrant les seins de Claire à l’air de la pièce. Lorsque Véronique finit de défaire les attaches dans son dos, il observa le vêtement se détacher, sa poitrine exposée. Il enfila rapidement un T-shirt de résille.

– Approche, dit-il dans un mélange d’ordre et de tendresse, les deux d’égale importance.

Elle s’approcha.

Une fois devant lui elle le fixa, de cette manière provocante dont elle ne semblait pas avoir conscience, la plupart du temps.

– Mathieu…

Il la saisit par la main pour la faire pivoter. Elle expira de surprise, tandis qu’il la plaquait dos contre son torse. Ses lèvres trouvèrent son cou, cette peau brûlante dont il voulait se gaver, et s’y posèrent un instant.

Les propos de la maîtresse ne cessaient de tourner dans sa tête. Si elle avait été dans la provocation du début à la fin, elle n’en avait pas été moins sérieuse. Il la connaissait assez pour savoir ce qu’elle cherchait. Elle voyait son jouet – lui – lui échapper. Alors, elle en avait repéré un autre, grâce auquel elle pouvait l’atteindre… Un jouet qui se trouvait en cet instant dans ses bras. Jamais il n’avait ignoré l’intérêt que susciterait Claire auprès de ses amis comme auprès de la maîtresse. Il était évident que tous voudraient la mettre à l’essai, mais la maîtresse en était déjà au stade supérieur. Il ne lui suffisait pas de s’amuser avec Claire ; elle voulait se servir d’elle pour jouer avec lui. Elle voulait les tester tous deux. Et il était hors de question qu’il la laisse la manipuler.

Il avait juste été con…

La vérité, c’est qu’il aurait dû venir chercher sa punition avant et ne pas envisager que Claire puisse être présente. Il en avait voulu trop et ça lui retombait dessus, entraînant Claire au passage.

Il inspira longuement, s’enivrant de l’odeur de sa peau.

– Je suis heureux que tu sois là, chuchota-t-il à son oreille, conscient que l’intimité avec laquelle il lui parlait contrastait avec la façon dont il l’avait attirée à lui.

Claire renversa le visage vers lui, lascive et frémissante. Il pencha la tête sur le côté pour observer ses lèvres.

La révélation de Claire – saison 2 de L’initiation de Claire (3)

Deuxième partie

L’endroit revêtait un aspect connu, sans atteindre celui de la familiarité.

Claire fit claquer son briquet, allumant sa cigarette dont l’extrémité crépita dans le silence de la campagne.

Deux mois s’étaient écoulés depuis sa première venue dans ce lieu. La seule et unique. Depuis qu’elle avait décidé de plonger tête la première dans ce qui représentait l’incarnation de ses désirs les plus obscurs et les plus refoulés : le monde dans lequel lui avait demandé de le suivre Mathieu. Deux mois de troubles, de peurs et d’envies. Deux mois de bilan sur elle-même, et elle n’en avait pas encore fini.

Debout au centre du parking en terre sèche où elle s’était garée, elle contempla le paysage alentour, s’imprégnant de son atmosphère. Une infinité de détails lui donnaient une image différente des lieux : la quasi-absence de voitures et de clients, déjà, une moto garée un peu plus loin, deux véhicules qui venaient d’arriver, mais aussi le fait qu’il était plus tard dans la saison, et que la nuit tombait plus vite. C’était comme si un filtre de couleur avait été posé sur ce qui s’offrait à son regard, en changeant très légèrement les nuances. La canicule s’était calmée et l’air plus frais de la journée n’offrait plus la température propice aux cigales, dont le chant s’était tu ; les feuilles des arbres avaient séché, présentant une teinte d’un vert passé et, sur les collines adjacentes, les genêts avaient perdu leurs fleurs. Enfin, la luminosité ambiante accusait elle-même le décompte des jours : les fins de journée affichaient un ciel plus pâle, aux nuages qu’ourlait de violet le soleil fraîchement couché. Il faisait encore bon, cependant. L’été restait nettement perceptible.

Elle observa le mas. Le club. Les murs derrière lesquels se romprait la trêve que lui avait offerte Mathieu. Du moins… si on ne comptait pas la séance de flagellation quatre jours plus tôt, bien sûr.

Elle jeta un coup d’œil à son portable pour consulter l’heure. Le club était sur le point d’ouvrir ses portes. Lorsque les premiers clients traversèrent la cour, elle contempla leurs tenues. L’alliance de cuir, de résille et de dentelle la captiva. Ils ne lui adressèrent que des regards furtifs. Avec son jean retroussé sous les genoux, ses sandales plates et son débardeur un peu lâche, elle ne devait pas avoir l’air de grand-chose, à côté d’eux. Peut-être donnait-elle l’impression de s’être perdue dans le coin, de ne s’être arrêtée que pour fumer et de ne pas tarder à repartir. Ils ne devaient pas s’attendre à ce qu’elle entre à son tour.

Mathieu lui avait dit de venir telle qu’elle était, sans tenue particulière, aussi avait-elle gardé celle de la journée, des vêtements légèrement usés mais agréables, de ceux qu’elle pouvait enfiler comme une seconde peau. Au fond, se présenter ainsi était une bravade, une tentative de se raccorder jusqu’au dernier moment au monde d’où elle venait, avant de plonger dans celui, mouvant et sombre, où elle avait accepté de suivre Mathieu.

Elle aurait aimé qu’il l’accompagne pour son arrivée, mais il travaillait et ignorait s’il pourrait être présent à l’heure. En outre, il lui avait donné des consignes : arriver pour l’ouverture du club, et faire tout ce que Véronique lui dirait de faire. Simple. Extrême. Il ne lui avait pas donné plus d’explications. Elle ne lui en avait pas demandé. Elle aurait pu… Elle ne savait absolument pas ce que ce « tout » pourrait signifier, elle avait simplement compris que ce ne serait pas celui de Véronique mais de Mathieu. Ce « tout » qu’il voulait d’elle. Cet abandon entier à ses désirs, auquel elle avait accepté de se livrer, à titre d’essai. D’essai, seulement. Un essai qui suscitait dans son ventre des torsions de curiosité et de crainte, d’excitation et de peur, dans une dualité qui confinait à l’absurde, mais faisait pourtant partie de ce qu’elle vivait avec lui.

Elle inspira lentement une bouffée de sa cigarette, compagne de papier, de toxiques et de fumée, dont le soutien symbolique lui paraissait de plus en plus vain, bien que sa consommation soit restée ponctuelle. Elle avait tendance à la forcer aux mêmes moments : quand le stress la prenait et qu’elle pouvait ainsi faire semblant de reculer l’échéance, de repousser ce qui finirait par advenir de toute façon, de marquer une pause imaginaire.

La première fois, aussi, elle était restée à attendre des mirages… des éléments insignifiants, qui pouvaient avoir du sens pour elle. Que l’impulsion de se diriger vers la porte d’entrée se fasse. Que l’observation des premiers arrivants lui permette de prendre suffisamment ses marques pour faire le premier pas. Elle était venue sans savoir, et ça lui avait été plus facile. Cette fois-ci était différente. Il ne s’agissait plus d’une plongée dans l’inconnu, mais dans des profondeurs auxquelles elle se livrait en toute connaissance. Du moins, en sachant parfaitement à quel point elle risquait d’en être ébranlée. À quel point elle en était ébranlée déjà, à quel point le sol, sous ses pieds, était mouvant, prêt à se défiler. À quel point elle pourrait sombrer.

« Ne te pose pas de questions. »

Elle repensa à ces mots de Mathieu. Jamais conseil n’avait été plus juste que celui-ci, plus vérifiable à chacune des étapes qu’il lui faisait franchir.

L’intimité qu’elle éprouvait avec lui persistait à la surprendre. Le mois précédent le lui avait fait éprouver avec vigueur. Tout pouvait être si simple, entre eux… Si simple… Si naturel. Si déstabilisant, à d’autres moments. Si puissant, dans tous les cas. Mathieu avait essentiellement travaillé. L’oncle d’Olivier avait sollicité son aide dans son entreprise agricole, et il s’était crevé à bosser pour gagner un maximum d’argent avant sa prochaine année de faculté. Elle savait que mener de front ses études et une activité professionnelle l’usait. Chaque fois qu’elle était passée chez lui, elle l’avait trouvé en train de dormir, ou venant de se lever, plus ou moins hagard. Chaque fois qu’ils s’étaient vus, il l’avait prise, en un désir langoureux qui lui avait fait posséder son corps, sans l’ombre d’un rapport de domination. Juste comme ça. Ce « faire l’amour » dont il lui avait parlé…

Enfin, ils avaient échangé les résultats de leurs tests de sérologie.

Ce n’était pas anodin.

C’était un engagement, d’une certaine façon, un pari sur l’avenir… Pas quelque chose à quoi elle s’était préparée.

Ce dernier mois, elle s’était beaucoup demandé si elle pourrait s’épanouir avec lui, dans une relation dénuée de rapport de domination et de soumission. Oublier le BDSM, oublier les cordes, les fessées, vivre simplement de cette proximité troublante, du frémissement qu’elle éprouvait au moindre contact de sa peau, au moindre frôlement, de l’envie de se noyer dans chacun de ses sourires. Elle savait que la réponse était « oui », mais Mathieu possédait bien plus d’obscurités en lui. Il s’était juste contenté de rentrer les griffes pour elle. Pas un seul instant, elle ne l’avait ignoré. S’il avait semblé s’accommoder sans difficulté d’une telle relation, elle avait toutefois perçu ce qui couvait en lui, silencieux mais présent. Ce qui grondait en lui. Ce qui réclamait libération et s’échapperait, à un moment donné. Elle en avait eu un premier aperçu lors de leur dernière séance.

« Il y a quelque chose à faire sortir », lui avait-il dit.

Elle, possédait-elle un besoin parallèle ?

Il aurait été difficile de répondre à cette question. Elle savait néanmoins ce qu’avait suscité en elle la morsure du cuir sur sa chair. Jamais elle n’avait éprouvé de besoin aussi vif de fuir et en même temps de rester, de tenir, de s’offrir plus encore aux mains de Mathieu… Pourquoi ? Elle n’avait su le déterminer. Elle avait même oublié à quel point cette pensée pouvait être tordue, tant elle avait été submergée par l’émotion. Ça n’avait été toutefois que ponctuel. Plus tard, elle avait dû l’affronter.

Ce n’était pas facile… Ce ne le serait jamais, elle commençait à le comprendre. Non qu’elle ait aimé ça : les coups lui avaient fait mal et elle en avait été bouleversée. C’était… Elle ne savait pas. Tout avait disparu : la conscience d’Olivier, présent dans la pièce, le fait que ses poignets n’aient pas été entravés – elle avait eu du mal à croire, en rouvrant les mains, que c’était elle qui s’était accrochée aux cordes si fortement – excepté la conscience de ce qui se produisait entre eux, à un niveau plus élevé que celui de la chair. Celui du don. Et puis, Mathieu l’avait prise… Et ce qu’elle avait éprouvé, elle ne savait pas le nommer. Un besoin d’être à lui, à ses mains, à sa chair, à son souffle… De cesser de se tenir à distance du monde, capable seulement de l’observer, spectatrice plus qu’actrice la plupart du temps. De parvenir à lâcher prise, enfin.

De s’ouvrir, comme le disait si bien Mathieu.

D’être là, à l’instant même, sensible et vivante.

Elle n’en avait pas reparlé avec lui. Elle avait eu besoin de se retrouver face à elle-même, de faire le point sur ce qu’elle avait vécu, de l’encaisser, d’endiguer le flux de questions, de le contenir, à défaut de l’empêcher de s’écouler, de peser pour de bon les raisons pour lesquelles elle allait retourner au club, malgré ses incertitudes concernant ce qu’elle y vivrait. Mais le temps avait été si court…

Dans une longue inspiration, elle huma l’air, parfumé d’une odeur d’herbes sèches et du parfum, spécifique, de la nuit.

À la différence de sa première venue ici, elle ne se collait plus contre la carrosserie de sa voiture pour se protéger. Le sentiment de liberté qu’elle éprouvait dans cette fragilité nouvelle lui semblait curieux… tordu, mais elle commençait à s’y accoutumer.

La question restait présente : jusqu’où, Claire ? C’était comme si une voix lui chuchotait à l’oreille. Jusqu’où ? Poursuivrait-elle son entrée dans le BDSM comme une plongée immersive et troublante, dont elle se retirerait avant d’en être trop impactée, ou s’y installerait-elle pour de bon ? Suivrait-elle Mathieu partout où il voudrait l’emmener ? Lui abandonnerait-elle tout ce qui avait fait sa survie, jusque-là, ce qui lui avait permis de ne pas s’effondrer ? Ferait-elle du vertige son quotidien ?

Songeuse, elle tira sur sa cigarette. Les interrogations persistaient. Elle avait posé la question à Mathieu, une fois : est-ce qu’elles s’arrêteraient ? « Jamais », lui avait-il répondu en la regardant dans les yeux.

Jamais.

Quand le papier crépitant lui chauffa le bout des doigts, elle parcourut la distance qui la séparait de l’allée menant à l’entrée et écrasa sa cigarette dans le sable d’un bac à disposition. Ses gestes étaient calmes. Son cœur ne battait pas trop vite. Elle-même en était surprise.

De nouveaux regards de stupéfaction l’accueillirent, tandis qu’elle approchait, lui rappelant à quel point elle était à des années-lumière du dress code. À peine plus loin, la porte se dressait, entièrement noire, tranchant avec la pierre claire du mas. À l’endroit où un cœur molletonné était accroché, la dernière fois, un masque vénitien, surmonté d’une coiffe de plumes blanches et grises, la guettait à présent, sombre, sa surface anthracite sillonnée d’arabesques pâles. Seul le centre des lèvres arborait une teinte rouge, à la manière du maquillage des geishas. Rouge sang. Loin d’être une invite, il semblait plutôt un avertissement, les trous noirs de ses orbites paraissant la défier de passer la porte d’entrée.

« Fétichiste », avait dit Mathieu.

Une fois les clients qui la précédaient entrés, elle se présenta à son tour. Par chance, personne ne la suivait. Elle posa la main sur la porte, curieuse de voir ses doigts blancs se détacher sur le noir de la peinture. Le masque vénitien, juste à côté, la provoquait. Comme une grimace.

La porte s’ouvrit.

Le portier considéra sa tenue avec un haussement de sourcils, avant de reporter son attention sur son visage, un léger sourire sur les lèvres. Comme la première fois, Claire se retrouva absorbée par le bleu si clair de ses yeux.

Il ne lui demanda pas de se présenter. D’un geste lent, il ouvrit la porte un peu plus grand et dit :

– Véronique t’attend au bar.

Elle hocha la tête. Soit il se souvenait de son visage – mais cela semblait peu probable, étant donné tous ceux qu’il devait voir passer –, soit Mathieu l’avait prévenu qu’elle serait celle qui se présenterait sans respecter le code vestimentaire. Elle le dépassa pour entrer. Lorsqu’elle se retrouva dans le vide de l’entrée, elle regretta d’avoir voulu braver les règles du lieu en arrivant en jean. Elle se sentait vraiment ridicule, ainsi décalée par rapport au thème de la soirée.

Elle prit une longue inspiration et avança. Depuis la salle s’élevait une musique douce et rythmée, des notes comme de petites gouttes de pluie éparses, un chant envoûtant aux airs de murmures venus d’outre-tombe ou de contrées inconnues, magiques… L’attirant. Le couloir, vide, défila devant elle, ses parois de pierre brute râpant la main qu’elle y fit glisser pour chercher un contact avec la sensualité des lieux, un rappel de sa mémoire, un éveil de ses sens…

Elle parvint à l’ouverture sur la cour. Là, exposé au ciel d’un gris violine, l’endroit attendait que le public l’investisse, propre et bien rangé, les chaises à leur place, les podiums érigés au centre de la piscine, et les cages sans les corps à demi nus qui y avaient ondulé, la fois précédente. Comme une pause entre deux nuits de débauche. Comme une respiration.

Le noir et le blanc se déclinaient partout, en de longues tentures claires, en des voilages corbeau suspendus en hauteur, agités par le vent, conférant aux lieux une ambiance bien plus sombre que lorsqu’elle y était entrée la première fois. Ce thème fétichiste l’intriguait aussi fortement qu’il la rebutait, chacun de ses sentiments ne faisant que renforcer l’autre.

Les marques qu’elle savait présentes sur ses cuisses lui rappelaient qu’elle n’était plus étrangère à ces lieux, désormais. Qu’elle en partageait les excès.

Plus loin, assise sur un tabouret haut du bar, une femme la regardait. Ses longues jambes étaient dénudées de ses hanches au cuir noir de ses escarpins, et elle portait un justaucorps de la même matière, parfaitement adapté aux courbes prononcées de sa silhouette et serti de plusieurs incrustations de métal. Un blouson de motarde couvrait ses épaules, sur lesquelles sa chevelure violette retombait en ondulations légères.

Claire jeta un regard rapide dans la cour, cherchant Mathieu. Elle ne l’aperçut pas.

Elle approcha de la femme, peu à l’aise, mais refusant de le montrer. Celle-ci sirotait tranquillement un cocktail, pressant ses lèvres peintes sur l’extrémité de sa paille.

Lorsqu’elles furent à côté l’une de l’autre, Claire tâcha de raccorder les souvenirs qu’elle avait de cette femme à son apparence présente. Elle l’avait trouvée si impressionnante, la première fois, dans sa longue tenue de cuir rouge, alors qu’elle se dressait dans le couloir du donjon pour lui commander de la suivre. Il n’y avait pas que la tenue qui avait changé, la chevelure aussi.

Véronique lui coula un regard par en dessous.

– Tu te souviens de moi ?

– Oui, répondit Claire.

Mais pas exactement telle qu’elle se présentait. Ainsi, elle lui était encore étrangère.

Véronique lui tendit une main paresseuse, qu’elle serra.

– Tu te faisais appeler Clara, lui rappela-t-elle.

– Dans le donjon, oui.

Claire retrouvait certains de ses traits. Le pli hautain de sa bouche, la manière dont ses yeux en amande semblaient la toiser…

– C’est la différence de couleur de cheveux qui te dérange, constata Véronique en secouant sa chevelure, mais ne t’inquiète pas, j’en change sans arrêt.

Elle but une nouvelle gorgée de sa boisson, puis posa le verre sur le comptoir.

– C’est une manie, ajouta-t-elle en se levant. Tu verras qu’on s’amuse tous beaucoup avec notre apparence.

Claire songea qu’elle en avait eu un aperçu avec les premiers visiteurs. Ce code-là lui était étranger. Elle n’interrogea cependant pas Véronique ; à Mathieu, elle aurait posé la question.

Elle remarqua simplement :

– C’est un jeu, alors.

– Bien sûr ! Mais c’est réducteur de ne le voir qu’ainsi ; c’est surtout du pouvoir.

La curiosité de Claire était piquée. Elle se demanda ce que Véronique avait voulu dire. Elle ne trouva pas.

– C’est-à-dire ? l’interrogea-t-elle alors.

Véronique la fixa avec attention. Elle semblait l’analyser ou peut-être chercher à retrouver chez elle des éléments dont lui aurait parlé Mathieu.

Elle finit par répondre :

– Séduis un homme en tant que dominatrice et il te mangera dans la main. Tourne-lui les sens en tant que soumise, et c’est toi qui auras les rênes en main… Quelle que soit la place que tu occupes, le BDSM consiste toujours en un rapport de force. Celui qui manipule l’autre n’est pas forcément celui qu’on croit.

La manière dont Véronique la fixa, en se levant de sa chaise, fit songer à Claire qu’elle ne devait pas être le genre de femmes qu’on dirige facilement. Il y avait de l’acier dans son regard, du fer dans son port de tête. Si elle participait ce soir-là en tant que dominatrice, Mathieu lui avait appris que Véronique avait aussi un maître et agissait en tant que soumise. Il lui avait confié ce détail pour la mettre à l’aise, mais ça ne l’aidait pas. Ce principe du switch, qui faisait passer certains membres du club d’un extrême à un autre, avait plus tendance à l’embrouiller qu’autre chose. Elle peinait déjà à assimiler les codes de ce milieu. Elle ne pourrait pas se sentir au même niveau que cette femme, surtout quand la consigne était de s’en remettre entièrement à elle.

Véronique fit quelques pas en arrière, détaillant son corps.

– Il faudra que tu apprennes à en jouer, commenta-t-elle.

Claire accueillit sa remarque avec compréhension. Elle n’avait pas fait d’effort vestimentaire pour la soirée, mais elle en faisait relativement rarement. Elle plaisait ainsi. Elle pouvait s’habiller n’importe comment, elle avait toujours son lot d’intéressés. Mais Véronique avait raison : elle n’avait jamais cherché à cultiver un quelconque pouvoir, subissant l’attrait qu’elle exerçait sur les autres comme un élément totalement indépendant d’elle-même, voire embarrassant. Elle ne l’avait jamais vu comme un atout dont elle pouvait se servir. Ce sujet du pouvoir l’interrogeait. Elle s’était sentie libérée en l’offrant pleinement à Mathieu, mais pourrait-elle en user également ?

– Allez, suis-moi, dit Véronique en s’écartant de l’espace bar.

En la voyant repousser ses cheveux d’un geste ample, puis avancer, Claire songea qu’elle ne pourrait jamais aborder ainsi le monde, en conquérante. Elle lui emboîta le pas, longeant les grands voilages sombres qui voletaient depuis les murs, intruse dans cet univers fantasque mais aux couleurs desquelles elle s’apprêtait pourtant à se grimer.

En quelle Claire renaîtrait-elle, après cette soirée ? Se glisserait-elle dans une peau inconnue, étrange, qui ne lui ressemblerait pas, ou se déferait-elle de celle derrière laquelle elle se retranchait si aisément ? Finirait-elle à vif, psychologiquement, comme elle avait fini à vif, physiquement, lors de cette séance de marquage, avec Mathieu ?

Elle observa Véronique, si assurée, devant elle.

Autant qu’elle se souvienne, celle-ci l’avait vouvoyée, lors de leur première rencontre, tout en la considérant de haut. Cette fois-ci, elle se comportait différemment. Son abord tranchant restait toutefois loin de la nonchalance d’Olivier ou de l’amusement marqué de Mathieu.

Elle soupira.

À chaque instant, la conscience de l’état de ses cuisses restait vibrante, la perturbant.

La musique résonnait dans la salle, son rythme lent emportant les sens et donnant à Claire la sensation de s’écarter un peu plus de la réalité à chaque élévation du chant, à chaque envolée des voilures, à chaque regard sur les créatures stupéfiantes qui envahissaient les lieux…

Elles passèrent à côté d’un immense mur d’écrans. Des corps en gros plan s’y succédaient, occupant toute la surface, ou répartis en une mosaïque d’images : courbe d’un cou dénudé, bouche silencieuse sur un cri d’extase, musculature d’une épaule masculine, geste d’une main remontant sur une cuisse, arrondi d’un bras sur lequel résidaient des traces de corde… Sur l’un d’eux, une image tranchait avec les autres, issue d’une pochette d’album, probablement celui qui passait. Claire put y lire : « Paper Dollhouse – Swans ». Elle reporta son attention sur les autres images. Toutes semblaient issues non pas de séances de pose avec des modèles professionnels, mais saisies dans l’intimité des lieux, probablement lors d’autres soirées. Inconsciemment, elle y chercha Mathieu, mais ne le trouva pas.

Un peu plus loin, Véronique poussa un rideau anthracite et Claire reconnut sans difficulté la porte qu’il masquait. C’était celle de l’escalier de service qu’ils avaient emprunté, avec Mathieu, lorsqu’ils étaient redescendus de leur première session. Le souvenir de cette expérience résonnait en elle comme si elle venait à peine de se terminer, charriant son lot de troubles et de sens en émoi.

Quand Véronique tourna le visage et se figea brusquement au lieu de la regarder, obnubilée par quelque chose qui se trouvait dans son dos, Claire sentit sa poitrine s’agiter vivement.

Elle pivota à son tour.

Là, le long du mur longeant la piscine extérieure, elle l’aperçut, au fond de la cour. La manière dont il passait la main dans sa crinière blonde et indisciplinée, sa tenue simple et son aspect fauve… tout le montrait en rupture avec le monde ambiant. Tout marquait sa singularité.

Mathieu.

Ce fut comme si l’espace l’aspirait pour les rapprocher l’un de l’autre. En elle, le besoin d’annihiler cette distance se fit criant, associé à un sentiment bizarre d’intimité, de lien avec lui qu’elle ne parvenait pas encore à intégrer totalement, tant elle avait œuvré auparavant pour se protéger de ce type d’émotion. Ce qui se dégageait le plus fortement de Mathieu était tout sauf de la légèreté. De chacun de ses gestes suait une rébellion qu’elle ne lui avait jamais vue, comme une colère rentrée…

Troublée, elle l’observa discuter avec une femme dont, malgré la distance, l’identité ne faisait pour elle aucun doute. L’autorité froide qu’elle dégageait en témoignait. La puissance de sa présence. Plantée sur une paire de talons hauts, dans une mise impeccable et une tenue qui n’aurait pas dépareillé dans une grande réception parisienne, elle se tenait aussi impassible que Mathieu se montrait nerveux, mur de pierre auquel il semblait se heurter.

La maîtresse.

Tous deux ne parlaient pas ; ils s’affrontaient. Du moins, ce fut l’impression qu’elle eut. Elle adressa un regard à Véronique, mais celle-ci fixait la scène, silencieuse, ne lui offrant pas le moindre accès à ses pensées. Claire n’aurait pas su dire s’il s’agissait d’un spectacle inédit pour elle, ou si elle avait déjà assisté à une scène comparable entre Mathieu et la maîtresse.

Véronique finit par l’attraper par l’épaule et la pousser vers l’escalier.

– Monte, dit-elle avec une intonation différente, celle de l’ordre.

– Qu’est-ce qui se passe ?

– Je ne sais pas. Monte, répéta Véronique.

Claire ne bougea pas.

– Mathieu nous rejoindra.

Elle tira la porte derrière elle.

– Il t’a confiée à moi, lui rappela-t-elle, et son ton était aussi calme et assuré que son regard perçant.

Claire chercha à deviner ce qui se trouvait derrière les silences…

Véronique répéta :

– Ne t’en occupe pas.

Claire dut prendre sur elle. Elle ignorait la raison pour laquelle Mathieu se heurtait ainsi avec la maîtresse, mais elle n’avait jamais été aveugle sur le fait qu’il avait ses propres ombres à combattre, bien qu’il soit peu enclin à en parler. Olivier l’avait prévenue : la maîtresse représentait certainement l’une des plus importantes. Elle ne pouvait néanmoins intervenir dans leur échange…

Elle tâcha de se remémorer ce qu’elle avait décidé, en venant ici. Ce « oui » qu’elle avait offert à Mathieu. Ce choix de se plier à ses volontés et, par extension, à celles des personnes qu’il avait chargées de le représenter. Cette confiance qu’elle avait accepté de lui donner, sans réserve.

Après un discret soupir, elle monta à la suite de Véronique. Elle ne cessa de penser à Mathieu et à la maîtresse pour autant.

À peine étaient-elles arrivées dans le petit vestibule qui servait de salle de réunion aux dominateurs que Véronique ôta son blouson pour le jeter sur une tablette à proximité. Un casque de moto l’y attendait. La musique leur parvenait toujours, en sourdine. Claire se demanda si Véronique était venue dans la tenue qu’elle portait ou si elle s’était changée. Les différents sacs qui occupaient le centre de la pièce, dont certains ouverts, lui semblèrent offrir une réponse à cette question.

En la voyant tapoter de ses ongles longs sur le bois de la tablette, puis se retourner en rejetant ses cheveux colorés en arrière, Claire songea qu’elle avait un aspect conquérant qui collait impeccablement à l’image de la motarde dévalant les routes de campagne à pleine vitesse.

– Mathieu t’a expliqué ce qui allait se passer ?

– Non.

– Ça ne m’étonne pas de lui.

Claire n’avait rien à en dire. Elle observa les lieux, cherchant à raviver les souvenirs qu’elle en avait.

De façon incongrue – ou non –, ce fut l’image de la soumise qu’elle y avait vue, agenouillée sur le sol, qui lui apparut d’abord. La vision de ses fesses striées de rouge l’avait choquée. Aujourd’hui, c’était elle qui en offrirait une identique.

Elle songea à la deuxième fois où elle avait croisé cette fille, chez Olivier. Sa soumise. Vanessa. Sa docilité à s’agenouiller et à ouvrir la bouche pour son maître l’avait stupéfiée. Elle ne pensait pas pouvoir faire de même.

En ramenant le regard sur Véronique, elle put remarquer que celle-ci l’observait avec une curiosité manifeste.

– Montre-moi ce qu’a fait Mathieu.

– Quoi ? grimaça Claire.

– Ton corps. Ces marques dont il m’a parlé.

– Pourquoi ?

Bien sûr, elle se doutait que Véronique lui donnerait de quoi se changer, mais pas qu’elle se déshabillerait devant elle, et puis… elle ne se sentait pas prête, tout simplement. Ou, du moins, pas sans la présence de Mathieu. Pas pour cette femme qu’elle ne connaissait pas. Pas après le malaise que lui avait causé la vision de cette altercation entre la maîtresse et lui. Elle avait déjà du mal à savoir que penser des traces qu’il avait laissées sur sa peau, alors, les offrir en spectacle lui semblait au-dessus de ses forces.

– Mathieu m’a expliqué comment tu étais, commenta Véronique avec une expression pensive.

– C’est-à-dire ?

Véronique faisait manifestement référence à son comportement. Au fait qu’elle n’obéisse pas ou à sa façon de la fixer. Mathieu lui avait appris que, la première fois, elle avait choqué tout le monde par son attitude, dans le donjon.

– Il a dit que tu étais « comme lui ».

– Irrévérencieuse ? suggéra Claire.

Le terme correspondait sans doute à Mathieu, pas forcément à elle.

Véronique afficha une moue hésitante.

– Il a dit aussi que tu avais besoin de comprendre.

Comment prendre cette déclaration, sinon constater des éléments dont ils avaient déjà parlé, avec Mathieu ? Elle soupira et serra les bras sur sa poitrine. Elle était en train de se refermer – elle le constatait malgré elle –, mais était incapable de s’en empêcher.

– Il viendra bientôt ? demanda-t-elle.

Elle voulait le voir.

– Quand il le voudra. À quoi est-ce que tu t’attends, pour cette soirée ?

– Je ne sais pas, avoua Claire.

– Ne t’attends à rien, alors. Surtout pas ce soir…

Véronique laissa planer ces mots, comme une porte s’ouvrant lentement sur des étendues trop vastes pour être embrassées du regard.

Elle ajouta :

– Je dois te préparer, maintenant.

Claire remarqua alors les marques qui s’affichaient sur l’épaule de Véronique : une série de cœurs, certains entrelacés. Mais il ne s’agissait pas d’un tatouage, plutôt de scarifications. L’ensemble offrait une vision déstabilisante entre la connotation apportée par les cœurs et l’acte inquiétant qui avait abouti à une telle réalisation. Elle en fut troublée, y voyant malgré tout une forme de connivence, quelque chose qui liait son propre corps et celui de Véronique. Elle desserra les bras.

Véronique resta silencieuse, se contentant de la fixer.

Claire se décida alors à ôter ses vêtements.

Elle fit passer son débardeur au-dessus de sa tête puis délaça ses sandales et déboutonna son jean. Lorsqu’elle descendit ce dernier le long de ses cuisses, Véronique commenta :

– Joli.

Claire regarda les stries sombres sur sa peau. Elles avaient d’abord été rouges, puis violacées, et s’étaient suffisamment atténuées pour laisser désormais deux longues traces. Deux traces qui exprimaient toutefois avec limpidité leur origine.

– Tu t’es regardée ?

– Oui.

Elle ajouta :

– Beaucoup.

Elle n’aurait pas su dire combien de fois elle était revenue devant le miroir. Combien de temps elle avait passé à scruter ses marques. La douleur avait été si intense, lorsque Mathieu les lui avait faites, qu’elle avait été proche de prononcer son safeword. Pourtant, ses sens en avaient été tout remués. Elle ne s’expliquait pas encore pourquoi, mais elle tâchait de ne pas trop se torturer à ce sujet. Pas trop.

Elle ôta son jean, puis dégrafa son soutien-gorge.

C’était cette dernière trace, sur ses seins, qui était restée la plus visible.

Elle repensa au dernier regard de Mathieu, quand il avait détourné le visage pour la confier à Olivier. Ses yeux possédaient toujours cette noirceur insondable, mais elle y décelait de plus en plus comme un creux à l’intérieur… L’humanité dans l’obscurité. Une forme de souffrance, peut-être. Elle ne savait qu’en penser.

Elle se dressa, entièrement nue, face à Véronique. Celle-ci n’avait d’yeux que pour les marques qui lui surlignaient la peau.

– Magnifique, commenta-t-elle.

Claire leva les yeux sur elle, ne sachant comment prendre le compliment. Véronique se rapprocha et posa une main sur sa hanche.

– Allez, on va te préparer.

Sa voix avait pris un ton plus intime. Plus proche.

La révélation de Claire – saison 2 de L’initiation de Claire (2)

Il laissa dériver son nez sur sa peau, la humant, avant de lui souffler à l’oreille :

– Ne lâche pas la corde.

Puis il défit les boutons de son pantalon et libéra son sexe, si tendu, si dur, si plein de désir… Presque douloureux dans le besoin qu’il éprouvait. Il positionna les mains sous les fesses de Claire, suscitant un tremblement quand il appuya sur la ligne rouge, mais il n’arrêta pas son geste pour autant. Il en écarta les deux globes. Le contact immédiat de son sexe avec sa moiteur le troubla, cette intimité profonde que plus aucune protection n’isolait, cette proximité cérébrale, en plus de la proximité physique.

Il serra plus fort.

Un temps encore, il colla la joue contre sa tempe, se gavant de la sensation de sa peau contre la sienne, et du rythme erratique de son souffle.

Puis il poussa.

La respiration de Claire cessa un instant quand il s’enfonça dans son corps, et le plaisir se répandit en lui, irradiant de son sexe jusqu’à son ventre. Il continua à entrer lentement. Il ne fit une pause qu’une fois arrivé au fond d’elle. Elle frémissait. Quant à lui, ses pensées tournaient avec tant de force dans son esprit qu’il ne savait plus où il en était, et son corps entier pulsait du besoin de délivrance.

– Tiens-toi bien, souffla-t-il d’une voix qui lui fut comme étrangère, tant elle était chargée de langueur.

Il commença alors à se mouvoir en elle, doucement d’abord, et prenant son temps. À chaque instant, il savourait la sensation de leurs chairs, non isolées l’une de l’autre par une paroi artificielle, aussi fine soit-elle. C’était comme un pacte scellé. Comme s’il y avait quelque chose à marquer ainsi également. Le nu de la peau comme le nu de l’âme. Leurs corps s’affrontaient, se liaient, se stimulaient réciproquement, s’emportaient…

Pas une fois, depuis qu’il avait demandé à Claire de faire un test de sérologie, trois semaines auparavant, et qu’il avait fait de même, ils n’avaient couché ensemble. Ils avaient juste échangé leurs résultats. Ils n’en avaient pas parlé davantage : le faire aurait donné trop de sens à leur rapport. Cette fois non plus, il ne mettrait pas de mots dessus, bien qu’il ne puisse ignorer la signification d’un tel acte.

Il finit par s’immobiliser et serrer avec force les hanches de Claire. Son souffle était rapide et il crevait du besoin de claquer en elle.

Il lui embrassa le cou. Avidement.

– Tu tiens toujours ? murmura-t-il.

Elle tourna des yeux embués vers lui, puis, après un temps, hocha doucement la tête.

– Je vais te baiser.

Il ne précisa pas avec quelle intensité. L’information était déjà contenue dans ses mots.

Claire ne protesta ni n’acquiesça. Elle continua juste à le fixer avec, il put le voir, une envie plus lancinante dans le regard. Comme une supplication.

Alors, il la fit se cambrer plus encore. Puis il recommença à bouger en elle, comme il le voulait. Comme il en avait besoin. Pour prendre… et posséder. La posséder, elle. L’excitation l’avait gagné entièrement et chaque coup de reins, chaque frottement dans son corps humide et dans cette chair qui l’enserrait faisaient naître des éclairs de plaisir qui lui montaient à la tête, lui retournant l’esprit. Quant aux sons qu’il arrachait à Claire, ces expirations de pure luxure, aussi brûlantes que l’étaient ses propres nerfs, elles le conduisaient plus encore vers la jouissance.

Le plaisir montait, envahissant, lourd, puissant, comme une vague avance en s’apprêtant à tout emporter. Ses mains s’enfoncèrent dans les hanches de Claire, la soutenant, et chacun des gémissements qu’elle poussait, chacun de ses soupirs l’allumait et le retournait, emportant avec lui une partie de sa conscience. Il voulait la voir jouir. Il voulait la sentir se tordre. Il la martela plus fort, lui heurtant les fesses, la possédant plus intensément encore, et il fut ébloui en la sentant se contorsionner soudain, sa voix s’envolant vers le plafond, et les parois de sa chair pulsant contre son sexe, l’enserrant en de longues contractions, le projetant vers la jouissance… Alors, il posa le front sur sa nuque et donna les derniers coups de reins qui accompagnèrent son propre orgasme. Son corps entier fut parcouru de piques d’extase pure, comme brûlé, et tout en lui se vida, le besoin, qui l’avait tant torturé les jours précédents, la moindre de ses pensées. Le monde devint blanc, lointain, impalpable.

Plus tard, seule la conscience de son anormalité lui revint, persistante, impossible à enterrer totalement et inhabituelle dans de telles circonstances. Il ne sut pas pourquoi elle le tenaillait autant.

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Plus jeune, tandis qu’il passait devant le pont d’Avignon, ou plutôt ses vestiges brisés, Mathieu s’était plusieurs fois demandé où « on » avait bien pu y danser, selon la chanson. Le Rhône passait dessous, balayant de ses flots impétueux toute idée de s’y baigner : l’immense pan manquant de l’édifice offrait une bonne image du pouvoir de destruction du fleuve. Des vingt-deux arches initiales, il n’en restait plus que quatre.

Allongé sur l’herbe en compagnie d’Olivier, à regarder le soleil d’été couvrir d’argent les eaux fluviales et le pont historique braver les remous dans lesquels il se reflétait, Mathieu songeait que les gens de l’époque avaient dû s’amuser à l’endroit où il se trouvait. Tout simplement au bord du fleuve. Probablement avaient-ils partagé le même plaisir à sentir les brins d’herbe sous leurs pieds et à observer la petite chapelle, située à l’entrée du pont, qui se détachait sur le bleu du ciel. Plus loin, de l’autre côté de l’eau, se dressait l’île de la Barthelasse, frontière naturelle entre ce qui avait été, des siècles auparavant, deux pays différents.

Il essaya de compter depuis combien d’années il vivait dans cette ville, alors qu’Olivier, lui, y était né. Il avait quatorze ans quand sa mère l’avait abandonné à son père – inconnu jusque-là – et qu’il avait dû s’installer ici. Il en avait vingt-trois, aujourd’hui. Presque dix ans. Autant d’années à faire le con, à braver sans arrêt les interdits. Sept ans à vivre seul, ou presque, à galérer dans l’attente d’une situation professionnelle qui le sortirait de la merde financière, cinq à valser entre son besoin de domination, ses hésitations du début, et la coupe persistante de la maîtresse, deux mois à voir le fragile équilibre auquel il croyait être parvenu bousculé par Claire…

Il entendit soudain la voix d’Isabelle. Il tourna la tête vers elle, amusé de la voir arrêtée au sommet de la petite pente de verdure qui les séparait : avec ses talons hauts, elle ne risquait pas de s’y aventurer. Pas plus que d’y danser, d’ailleurs : elle aurait été plus à son aise sur le parterre d’un donjon, à imposer son autorité de la pointe de ses talons aiguilles. Véronique la suivait, sa chevelure colorée détonnant dans ce paysage naturel, marqué par l’histoire. Elles faisaient un joli duo de , ainsi, sur les berges du fleuve.

Isabelle finit par ôter ses chaussures et traverser l’herbe pieds nus. Une fois à leurs côtés, elle posa ses sacs, d’où dépassaient des vêtements et des emballages d’accessoires, et elle se planta devant eux. La manière dont elle posa les mains sur les hanches lui donna l’allure d’un sergent-chef.

– Un jour, Catherine nous tuera, commenta-t-elle.

Mathieu sourit. Isabelle ne considérait pas la maîtresse avec la même déférence que lui et ne se gênait pas pour l’appeler par son prénom, mais elle accomplissait toute une foule de tâches pour elle. Lui faire quelques courses, s’occuper de menues responsabilités… Elle jouait aisément les bras droits, se considérant comme une égale ou presque, même si elle agissait le plus souvent comme un petit soldat, plus captive que lui, finalement, de l’autorité de la propriétaire du club. Désobéir à la maîtresse était une gageure, y compris pour quelqu’un comme Isa. Lui était le vilain garçon du groupe. Il subissait les punitions. S’en amusait.

– Vous êtes prêts pour demain ? reprit Isabelle.

Mathieu acquiesça, tandis qu’Olivier penchait nonchalamment la tête en arrière, sous le vent qui venait du fleuve. Véronique finit elle aussi de déposer son butin.

– Je n’en peux plus ! se lamenta-t-elle.

Elle pressa ses paupières de ses doigts aux ongles manucurés. L’été se prolongeant, elle était retournée chez le coiffeur pour refaire sa couleur et elle arborait un violet pétant, façon Crazy-Horse, qui épargnait ses racines brunes et teintait les longues ondulations de sa chevelure. Ses cheveux étaient son premier terrain de jeu. Les corps de ses soumis, le second. Depuis deux mois, elle avait toutefois tendance à switcher de plus en plus souvent. Ses bras portaient d’ailleurs encore les marques de sa dernière séance avec son maître : de jolis cœurs de tailles différentes, inscrits en pointillé dans sa chair, et qui resteraient visibles suffisamment longtemps pour qu’on en apprécie le tracé. La savoir soumise était surprenant et presque en dehors de l’ordre, pour quelqu’un qui se montrait si implacable en tant que dominatrice. De nombreux switchaient mais, jusque-là, Mathieu avait été le seul à le faire dans leur petit groupe. Et encore, il ne le faisait qu’avec la maîtresse et de moins en moins souvent. Il n’y avait guère que les punitions qu’elle lui donnait encore parfois qui l’exposaient à son fouet.

Véronique s’y était mise, dernièrement. À voir le bien-être qu’elle affichait et la splendeur plus flamboyante encore de sa beauté, il était évident que s’offrir ainsi lui réussissait. Avec son nez aquilin et ses yeux en amande, elle avait l’air d’un modèle prêt à poser pour des photos de charme, et c’était peut-être ce qui plaisait tant au photographe à qui elle avait succombé. Les clichés de leurs séances qu’il postait sur son site internet le laissaient deviner.

– Mathieu, plus jamais je ne te rends service ! maugréa-t-elle en s’affalant dans l’herbe entre eux. Entre Isabelle qui veut qu’on fasse tous les magasins de la région et toi qui me charges de tâches supplémentaires…

Elle soupira profondément. Il sourit. Elle avait accepté sans problème de lui offrir son aide, mais c’était de bonne guerre de sa part de se plaindre. Elle aurait eu tort de s’en priver.

– Ça te fait bosser un peu, la taquina-t-il.

Elle lui répondit d’une tape sur l’épaule.

– Je le soupçonne de profiter de tes nouvelles tendances de soumise pour abuser de toi, lui dit Olivier, goguenard.

– Moi aussi ! protesta-t-elle, en surjouant le mécontentement.

– Comme si tu n’aimais pas qu’on abuse de toi ! s’amusa Mathieu.

Il émit une plainte quand elle le frappa plus fort et rit la seconde suivante.

– Ne crois pas que j’ai oublié comment faire pour te mater !

– Je n’attends que ça…

– Que de la gueule, souffla Véronique en cherchant le regard d’Isabelle pour appuyer son propos.

Celle-ci s’assit en face d’eux, le dos droit et l’expression pensive.

– Ça fait peut-être trop longtemps qu’il ne l’a plus été, dit-elle.

Sa remarque surprit Mathieu.

– Plus été quoi ?

– Maté, précisa-t-elle.

La liesse ambiante se fana légèrement.

Oliv’ intervint :

– Pourquoi est-ce que tu dis ça ?

– Comme ça…

– Tu sais bien que Mathieu ne veut pas que tu le domines, reprit Oliv’ d’un ton sec.

Il avait toujours été comme ça : franc, direct, le genre de potes qu’on admire pour sa capacité à tout dire avec simplicité. Et Isabelle avait toujours été trop pressante.

– Je le sais. Je ne pensais pas à ça.

Mathieu scruta attentivement le visage d’Isa. Il voulait comprendre ce qu’elle avait derrière la tête.

Il n’avait pas revu la maîtresse depuis la dernière Nuit Noire. Il n’avait donc pas vécu de nouvelle séance de soumission, mais Isabelle n’aurait pas dû être au courant. Ce qui se passait entre la maîtresse et lui était toujours resté intime, marqué, même, du sceau du secret. La maîtresse n’en parlait pas et lui, n’offrait guère que les marques sur son corps à la curiosité que ses amis pouvaient manifester à ce sujet.

Ce qu’il y avait entre eux restait un sujet délicat dans leur petit groupe, parce qu’il avait débuté en tant que son soumis et avait persisté, même en s’émancipant en tant que dominant. Olivier disait que leurs rapports étaient minés depuis le début, ne serait-ce qu’à cause de la manière dont il avait commencé. Manière que tous avaient tendance à ressentir comme malsaine… Il aurait eu du mal à les contredire, mais qu’est-ce qui était sain dans sa sexualité, après tout ? Et puis, pourquoi se serait-il pris la tête à ce sujet ? Il n’aimait pas se poser des questions sur ce qu’il faisait. Enfin, Isabelle n’admettait pas qu’il puisse être aussi exclusif. Pourquoi, puisqu’il voulait se soumettre, ne le faisait-il pas avec elle ?

– Tu te rappelles que tu as une punition en attente, le relança-t-elle.

Donc, la maîtresse lui en avait parlé.

– Bien sûr…

Punition à laquelle il s’était exposé sciemment, en préférant Claire au club. Une punition forte, il n’en doutait pas.

Il aurait déjà dû aller voir la maîtresse pour la recevoir. Ce choix aurait été le plus judicieux, mais il n’en avait eu ni le temps ni – et là était le plus important – l’envie. Et ça aussi, c’était inédit. Ça l’inquiétait, même. Il s’était trouvé dans autre chose, une autre chose qui n’impliquait pas la maîtresse ni même les amis avec lesquels il se trouvait aujourd’hui, seulement Claire et lui, et le bouleversement qui s’était installé dans son existence.

Il ferma les paupières, laissant le soleil lui chauffer la peau. Les conversations de Véronique, Olivier et Isabelle lui parvenaient en sourdine.

Aussi loin qu’il se souvienne, le sentiment d’être hors norme l’avait poursuivi. Il était différent. Décalé des autres. Étranger à leurs trips, à leurs besoins, à leur manière d’appréhender la vie, même à l’époque où il avait essayé de se convaincre du contraire avec une relation qui n’avait abouti qu’à un échec. Isa, Véronique, Cain et Oliv’ étaient bien les seuls qui lui ressemblaient, pas complètement toutefois. Olivier était son alter ego, son presque frère et le garant de sa stabilité, mais il ne représentait que la partie solide de lui-même, justement. L’autre était mouvante, en proie à des désirs trop sombres pour être exprimés, torturée en permanence. Il avait cru pouvoir trouver un équilibre. Il avait cru que la solitude sentimentale serait la solution : vivre d’amusements, de contacts dénués de toutes attentes qui ne soient pas éphémères. Trouver l’accomplissement dans le sexe. Rester avec Oliv’, toujours. Jouir. Jouer avec les autres.

Il y était presque arrivé : il s’était offert corps et âme aux jeux dangereux de la domination et de la soumission, s’était amusé de la moindre de ses perversions, répandu dans l’extase et les plaisirs inavouables…

Et puis, Claire était arrivée.

Claire, qui lui ressemblait tellement !

Elle le faisait sortir du jeu. Plus le temps passait, plus il s’en rendait compte. Elle était un miroir qui lui offrait autant le reflet troublant de la normalité à laquelle il ne voulait pas se conformer que celui de ses extrémismes. Claire le projetait dans la conscience brute de la limite sur laquelle il se trouvait en permanence, et de l’attrait que l’équilibre entre les deux gouffres exerçait sur lui.

Mais il n’était pas pour elle… L’idée revenait de plus en plus souvent dans son esprit.

Il aurait voulu qu’elle soit pour lui.

Il ne l’avait pas rappelée après leur dernière séance, qui s’était terminée dans le trouble le plus profond. Il l’avait aidée à dénouer les liens autour de ses poignets, à se rhabiller, puis il avait demandé à Oliv’ de la raccompagner chez elle. Il lui avait juste envoyé un SMS, ensuite, pour lui demander si elle venait toujours à la Nuit, ce qu’elle avait confirmé.

Tout à ses pensées, il sentit plus qu’il ne vit Isabelle se rapprocher de lui.

– Ton planning d’activités pour samedi soir est vide, dit-elle à voix basse.

Il en déduisit qu’elle était passée au club dans la journée.

À côté d’eux, Olivier et Véronique discutaient.

– Je suppose que c’est pour que je puisse m’occuper de Claire, commenta-t-il.

– Catherine te soigne, hein ? souligna Véronique.

– Oui…

– Tu as toujours été son chouchou, remarqua Isabelle.

Il ne la contredit pas.

Quand elle posa la main à plat sur son torse, il en fut dérangé. Elle se livrait volontiers à des provocations sensuelles avec lui, et il avait plutôt tendance à en être amusé ; là, son geste le gênait. Il la laissa tout de même s’appuyer sur son buste, puis se hisser au-dessus de lui… jusqu’à s’asseoir sur son bassin. Il ne fit rien pour l’éloigner.

– Un de ces jours, il faudra que je te baise pour te calmer, lui dit-il, aussi pensif qu’agressif.

– Ou que, moi, je te baise, objecta Isa.

– Tu sais très bien que je ne le veux pas.

– Ou que je baise ta Claire, rétorqua-t-elle alors. Je suis sûre que tu aimerais, en plus.

Cette ultime attaque acheva de l’agacer.

– Dégage ! grogna-t-il.

Elle eut un sourire torve et se leva au bout de quelques secondes.

– Je trouve Mathieu insupportable, ces derniers temps, se plaignit-elle aux autres, façon grande princesse.

– Qu’est-ce qui se passe ? demanda Olivier.

– Il ne se laisse même plus tripoter.

Oliv’ se mit à rire.

– Rien ne va plus !

– Si on ne peut plus se fier à rien, ironisa Isabelle.

Elle ajouta :

– Il n’en a que pour cette Claire.

– Justement, reprit Véronique en se penchant vers eux pour se rapprocher. Catherine vit comment l’importance que cette fille a dans l’existence de son jouet préféré ?

Isabelle leva les yeux au ciel, témoignant du fait qu’elle en était la plus agacée de toutes.

– Elle t’en a parlé ? insista Véronique.

– Non, répondit-il.

– Je suppose qu’elle le vit bien, dit Isabelle, puisqu’elle lui libère ses soirées…

– Il n’y a que toi qui le vis mal, en somme ? lança brusquement Mathieu à son adresse.

Il la vit tiquer. Elle ne répondit pas, tout d’abord, puis lâcha dans un souffle amer :

– Tu te donnes trop d’importance !

Elle ramassa ses sacs.

– On n’a pas fini nos courses, dit-elle à Véronique qui roula des yeux en réponse.

– Les préparatifs de cette soirée me tueront !

Elle se leva toutefois, remettant rapidement en place sa longue chevelure violette, avant de rejoindre son amie pour poursuivre leur expédition dans les magasins fétichistes.

Mathieu les suivit du regard.

– Tu en penses quoi ? demanda-t-il à Olivier.

– Surveille bien Claire.

– Entièrement d’accord avec toi…

***

Claire remonta les jambes contre son buste, les enserrant de ses bras. Elle s’était assise sur un muret, à l’ombre d’un platane, et Olivier se tenait juste à côté d’elle. En face d’eux, un groupe jouait une musique entraînante tout en chantant en occitan, au pied des bâtiments colorés et des terrasses de bars du centre-ville d’Aix-en-Provence.

– Ça a été, quand tu es rentrée chez toi ? lui demanda Olivier.

– À peu près. J’étais contente que mes colocs ne soient pas là.

Et pour cause : elle avait pu prendre un long bain, puis détailler longuement les marques lui striant la peau. Et tâcher de ne pas les trouver choquantes.

Elle avait bien sûr échoué.

Trois jours étaient passés, depuis.

– Tes fesses te font encore mal ?

– Non.

– Et tes cuisses ?

C’étaient elles, surtout, qui l’avaient fait souffrir. Elle avait sous-estimé la douleur des coups, derrière. Aujourd’hui encore, elle était étonnée de l’avoir endurée. Étonnée aussi de s’être sentie à ce point bouleversée. Plus encore d’avoir tant eu envie d’être prise par Mathieu, après, soumise à cette possession extrême dont lui aussi avait exprimé le besoin.

– Ça va, répondit-elle sans détailler.

En apprenant par Mathieu qu’elle se trouvait à Aix pour la journée, Olivier l’avait appelée. Il était venu y faire des achats ; elle-même était à la recherche d’un logement pour l’année scolaire à venir dans son école de journalisme. L’idée de quitter Le Havre de paix que représentait l’appartement qu’elle partageait avec ses meilleures amies était à la limite du supportable, mais elle tâchait de s’en accommoder. Elle faisait bonne figure… La chaleur ambiante avait diminué ces derniers jours, lui fournissant l’excuse idéale pour porter un pantalon fluide plutôt qu’un short ou une jupe. Depuis sa dernière entrevue avec Mathieu, elle n’avait porté que ça. Ses amies avaient fait preuve de tolérance vis-à-vis de sa relation avec lui, mais il aurait été inenvisageable qu’elles voient l’état de sa peau. Elles en auraient été horrifiées.

Un peu plus loin, une fontaine projetait des gouttes d’eau sur les pavés disjoints de la place. Elle y laissa un instant errer son regard.

Bientôt, elle serait loin de tout, plus encore de son ex, Thomas, ce qui représentait probablement le seul éloignement bénéfique à venir. Quant à Mathieu, il serait encore à une heure de voiture. Seul le club, finalement, se rapprocherait d’elle. Elle refusait d’y voir un quelconque signe, un témoignage du fait qu’elle n’allait qu’en s’enfonçant dans cette sexualité. C’était ce qu’elle avait voulu découvrir en se dirigeant vers ce milieu, après tout : cette part sombre, latente d’elle-même.

Olivier eut un sourire.

– Les soumis n’aiment que rarement les marques, dit-il, avant de préciser : en même temps, c’est normal.

Elle tourna la tête vers lui, mais ne lui demanda rien. Elle attendait la suite.

– Notre corps nous donne des informations, expliqua-t-il alors. Une peau qui bleuit, des rougeurs qui s’installent, des traces qui restent plusieurs jours, c’est toujours un avertissement. C’est la manière qu’il a de nous montrer qu’il atteint ses limites.

Ses paroles étaient pleines de sens.

Elle pensa à sa soumise.

– Et Vanessa ? Elle les aime ?

Mathieu lui avait parlé du rapport qu’elle entretenait avec la douleur.

– Oui. Mais tu n’es pas obligée d’être comme elle.

– Non…

Elle prit un temps, puis ajouta :

– Bien sûr.

Elle ne poursuivit pas.

– Tiens, lui dit Olivier en lui tendant un petit carton à l’aspect brillant.

Elle le prit en mains. Il s’agissait d’une invitation au club à son nom. Elle le retourna. Une date – celle du lendemain – et une heure y étaient inscrites.

– C’est l’heure à laquelle il faut que je m’y rende ?

– Oui. Mathieu m’a chargé de te dire que Véronique t’y attendrait.

Elle fouilla sa mémoire, essayant de se remémorer qui pouvait bien être cette Véronique, parmi les membres qu’elle avait déjà rencontrés.

– La dominatrice qui portait une tenue de cuir rouge ?

– Oui, confirma Olivier. Celle qui est venue te chercher pour t’emmener dans la salle des maîtres.

Elle se rappelait bien, oui. Tout comme elle se rappelait l’autre dominatrice, Isabelle, dont l’attitude l’avait mise mal à l’aise.

– Elle s’occupera de toi, ajouta-t-il.

Claire acquiesça, pensive.

– Olivier ? lança-t-elle soudainement.

– Oui.

Elle prit une courte inspiration. Depuis sa rencontre avec Mathieu, elle avait eu à affronter ses propres démons : sa peur de se trouver de nouveau dans une relation sous influence, comme avec son précédent compagnon, ses interrogations quant à ses tendances, sa crainte d’être anormale… Mais c’était Mathieu qui, depuis, lui avait renvoyé toutes ces inquiétudes à la figure. Mathieu qui avait semblé si troublé, soudain, à la fin de leur dernière séance, lui qu’elle avait toujours vu si solide, si assuré, jusque-là…

– Qu’est-ce qui se passe, avec Mathieu ?

Olivier eut un petit sourire, et elle se trouva surprise de la douceur qu’il affichait. Cet apaisement, comme chez Mathieu, tranchait si fortement avec son comportement de dominant. Tous deux se ressemblaient décidément beaucoup.

– Tu penses à ce qui s’est passé la dernière fois, je suppose…

– Oui.

Il observa le groupe de musiciens qui jouait toujours un peu plus loin, envoyant dans l’air tiède de l’été des notes qui s’envolaient.

– Math’ a longtemps cherché une fille qui lui conviendrait. En vain. Tu sais, il est plus facile de trouver un maître régulier pour une soumise que l’inverse. Ou, du moins, il y a plus de chance d’y arriver. Moi-même, je n’en ai pas trouvé.

– Même Vanessa ?

– Même Vanessa.

Comme il laissait s’installer un silence, elle fouilla dans son sac pour sortir son paquet de cigarettes et en extirpa une. Il refusa d’un geste quand elle lui en proposa. Le papier crépita lorsqu’elle l’alluma.

– Ça va bien pour un temps, poursuivit Olivier, mais on n’ira pas loin. Pour Mathieu, c’est différent. Il a…

Il pencha la tête et l’observa avec beaucoup d’attention.

– Il a envie d’aller loin avec toi, Claire, tu comprends ?

Elle prit une longue inspiration, faisant entrer la fumée dans ses poumons.

Loin. Ça pouvait signifier tellement de choses, avec Mathieu.

– Il a besoin de quelqu’un qui lui ressemble. Quelqu’un qui lui résiste. Il ne supporte pas les soumises qui se comportent comme des carpettes. Il ne supporte pas qu’on l’appelle « maître ». Les premiers mois, quand je l’ai suivi au club…

Il s’arrêta et demanda :

– Tu sais comment ça s’est passé, pour moi, la domination ?

Elle fit « non » de la tête.

Après un bref soupir, il expliqua :

– Je suivais Mathieu, au début… Il y a eu plein de phases. D’abord, la fois où on a rencontré la maîtresse et où… je suis parti…

Il l’interrogea du regard, ce disant, et elle se sentit obligée de confirmer.

– Mathieu m’a raconté.

– OK… Il est resté avec elle et, quoi qu’il en ait dit, ce n’était pas totalement consenti ou, plutôt, c’était un consentement bizarre. Mais ça a toujours été ainsi entre eux, tu as dû le comprendre. Il y a eu cette première phase de leur relation, curieuse. Puis on s’est mis en couple tous les deux avec des filles qui n’étaient pas dans des rapports de domination, des filles , quoi, et ça a merdé pour tous les deux. Après ça, Mathieu est revenu vers la maîtresse. Autant par curiosité que parce que je m’inquiétais pour lui, je l’ai suivi, sauf qu’il était passé entre-temps dominant au sein du club, avec le succès que tu as pu voir. Je le suis devenu aussi, avec le même attrait que lui, mais pas la même approche. Il est extrêmement exigeant avec lui-même et il attend des autres la même rigueur, tu as dû le remarquer. Il peut jouer, et il joue souvent loin mais, avec toi, il joue différemment.

Sur ces mots, il tourna le visage vers elle et plongea les yeux dans les siens.

– Ou alors il joue à un autre jeu…

Claire le fixa, essayant d’assimiler ses paroles.

– Je comprends que ce qu’il te demande te soit difficile, poursuivit-il. Il n’a pas envie de t’expliquer, il veut juste que tu le suives. Il veut que tu sois là quand il en a envie, pour ce dont il a envie… Il a toujours été comme ça, mais cette tendance s’est exacerbée avec toi. Il attend beaucoup, vraiment beaucoup de toi, je crois.

Elle baissa le regard vers les pavés. Son esprit tournait à toute vitesse, confus.

– Et tu crois que je peux être celle-là ?

– Je crois que tu dois fixer des limites.

Elle releva la tête, surprise. Après un temps, elle objecta :

– Je ne crois pas que c’est ce vers quoi on va.

Du moins, pas avec cette Nuit Noire à venir. Pas avec ces marques sur sa peau. Pas avec ce besoin, presque étouffant, de Mathieu de la faire sienne, et ce besoin réciproque chez elle de lui succomber.

– Qu’est-ce que je crains ? demanda-t-elle finalement. Quels sont les dangers ?

Olivier mit quelques secondes à répondre.

– Il y en a trois : toi-même, Mathieu et la maîtresse.

Elle ne s’attendait pas à ce type de réponse. Elle essaya de comprendre pourquoi Olivier lui disait ça.

Qu’elle doive se méfier d’elle-même, elle le savait. De Mathieu… peut-être. Au même titre qu’elle.

Quant à la maîtresse, il s’agissait d’un élément qu’elle ne connaissait pas encore véritablement, mais qu’elle ne tarderait pas à connaître, elle n’en doutait pas un seul instant.

La révélation de Claire – saison 2 de L’initiation de Claire (1)

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Érotique, BDSM, hot.

Résumé : C’est indéniable, pour Claire : Mathieu la fascine, la trouble, éveille en elle des désirs ardents et des sentiments oubliés. Pourtant, Mathieu reste dur et elle n’est pas sûre de pouvoir le suivre, pas sûre de pouvoir lui offrir ce dont il a besoin, surtout avec l’arrivée de la Nuit Noire et la présence de plus en plus oppressante de la Maîtresse au-dessus d’eux. Claire parviendra-t-elle à se libérer, tant sexuellement que sentimentalement ? Et surtout : y trouvera-t-elle enfin l’épanouissement ?

Roman sorti en numérique aux éditions Harlequin, et bientôt en papier ici ! Vous pouvez lire toute la première partie de ce roman (20%). Profitez-en !

Première partie

Avachi sur le canapé, Mathieu observait Claire. Elle était celle qu’il entraînait dans ses déviances. Celle dont les parts d’ombre répondaient aux siennes.

Elle releva le visage, et il observa l’arc que décrivaient ses longs cils, son regard, vague sur les premières secondes, qui se réaffirmait progressivement, alors qu’elle sortait de ses pensées, la forme de sa bouche, tandis qu’elle refermait ses lèvres bombées… Tout le captivait et l’intriguait. Tout éveillait en lui le besoin, sombre, de la mettre à l’épreuve.

Elle but quelques gorgées dans la tasse qu’elle serrait de ses deux mains, puis la posa sur la table basse qui les séparait. Ses doigts fins calèrent une mèche de sa chevelure ébène derrière son oreille. Puis elle plongea les yeux dans les siens. L’affrontant. Témoignant de son acceptation de se plier à ses envies, mais pas seulement : il décelait quelque chose de plus, dans son regard. Une forme de confiance qui le perturbait, probablement parce qu’il ne l’imaginait pas autrement qu’éphémère.

Il répéta sa question :

– Comment tu te sens ?

– Ça va.

Olivier remua sur le canapé, attirant son attention. Il se tenait à ses côtés, soutien autant que maître de cérémonies : le fait que l’acte qui se préparait se déroule dans son appartement le désignait comme tels. L’affection qu’il commençait à ressentir pour Claire jouait aussi, Mathieu ne pouvait l’ignorer.

Quand Olivier se pencha en avant, prenant appui de ses coudes sur ses genoux pour se rapprocher de Claire, son regard se fit incisif.

– Tu n’as pas peur ?

– Si, répondit-elle sans hésiter.

Il y avait quelque chose de provocant dans la manière d’agir de Claire. Mathieu aimait ça : qu’elle soit capable de reconnaître sa crainte sans s’y appesantir, témoignant simplement de son existence. Rares étaient les personnes qui y parvenaient. L’envie de la soumettre se mit à le tenailler plus durement.

Il appuya la tête sur le dossier du canapé. Un instant, il observa les détails du salon d’Olivier. Il connaissait cet appartement par cœur. Avant même qu’Oliv’ ne s’y installe, ils avaient pris l’habitude d’y venir, tous deux, quand il n’était pas loué par les parents d’Olivier. Entre deux baux. Parfois même durant les vacances des locataires. Ils avaient fait tellement de conneries, dans leurs plus jeunes années, qu’il en oubliait. Mais ça, c’était avant qu’il rencontre le BDSM.

Il avait toujours été captivé par le luxe de cet appartement, parce que très éloigné de ce qu’il possédait lui-même.

Il reporta son attention sur Claire. Elle semblait s’être de nouveau laissé envahir par ses pensées, mais elle se reprit rapidement. Il appréciait sa contenance, sa façon de se tenir sur un fil, à mi-chemin entre deux gouffres, et en même temps d’y rester droite, fière. C’était ce qui lui donnait toujours le plus envie de l’éprouver. De la faire vaciller. L’idée de la pousser à user de ses safewords l’effleura. Il avait rejeté ce désir, depuis qu’il lui avait demandé d’en choisir, mais il revenait par intermittence, toujours aux moments les plus dangereux. Sans doute avait-il été trop sage, ces derniers temps. Il s’était tant refréné ; il avait besoin d’ouvrir les vannes, de se lâcher. Et ce n’était pas forcément une bonne chose. Du moins, pour ce qui allait se passer.

– Et malgré tout, ça ne te freine pas ? insista Olivier.

– Non.

Le calme de Claire donna envie de sourire à Mathieu.

Olivier, lui, s’adossa au canapé en soupirant.

– Tu aurais dû l’exercer avant, dit-il à son intention.

Mathieu haussa les épaules.

– Peut-être…

Olivier soupira de nouveau, profondément, mais n’insista pas.

Il comprenait son anxiété. Il avait rencontré Claire deux mois plus tôt, à une soirée SM où elle s’était pointée comme une fleur dans une forêt épineuse. Elle n’avait rien eu à faire là, il n’avait eu aucune raison de s’occuper d’elle, pourtant, ils avaient fini, lui, son sexe profondément enfoncé dans sa bouche, elle, attachée, à sa merci. Elle avait remis en cause la légèreté avec laquelle il vivait les rapports de domination. Elle avait transformé un jeu sans conséquence en une obsession.

– Vous vous êtes mis d’accord sur combien de coups ? demanda Olivier.

– Cinq.

« Mis d’accord » n’était pas tout à fait exact. Il avait énoncé le compte, Claire avait accepté, c’était tout. Elle avait accepté malgré ses doutes, il le savait. Elle avait accepté parce qu’elle avait décidé de lui faire confiance. À chaque instant, elle pourrait pourtant tout arrêter.

– Bien, commenta Olivier.

Mathieu en eut un bref sourire.

Olivier avait toujours été plus rigoureux que lui. La discipline qu’il observait avec sa soumise, Vanessa, en témoignait. Pour lui, pratiquer la flagellation avec Claire, alors qu’elle n’en avait eu qu’une unique expérience, et ce, deux mois auparavant, était une aberration. Certainement avait-il raison, mais Mathieu ne s’était pas embarrassé de scrupules avec elle, la première fois, alors pourquoi le ferait-il ce coup-ci ? S’il partageait avec Oliv’ la fascination de voir de belles lignes rouges strier une peau lisse, Vanessa était plus portée sur les châtiments corporels que sur le sexe, il était donc normal qu’il donne la primauté à ces pratiques. Claire était différente. Et Mathieu ne la considérait pas comme sa soumise. De soumise, il n’en avait jamais vraiment eu, d’ailleurs, ou du moins pas de soumise régulière, et n’en voulait pas. Claire était juste Claire… Celle qui avait renversé tout ce qu’il avait cru stable ou persistant dans sa vie, celle qui suscitait chez lui le besoin de la protéger et de la tester, de la mener à ses limites, de la voir les franchir et lui céder. Il était curieux de découvrir si elle y trouverait la même libération que lui, la même perte de soi, dans ses désirs les plus viscéraux, les plus profonds…

Il ferma les yeux, conscient des turpitudes de son esprit. Olivier, lui, était moins torturé par rapport à ça. Il éprouvait moins de besoins, aussi. Ils ne vivaient pas de la même manière la domination.

Nerveux, il se leva. Il avait été trop calme, ces derniers temps, trop dans la réserve.

– Cinq coups, lui rappela Olivier d’un ton ferme.

– Oui.

Ils en avaient parlé avant qu’il ne prenne une décision à ce sujet. Il préférait suivre ses impulsions ; planifier, programmer le gonflait, quel que soit le domaine concerné, mais plus encore lorsqu’il s’agissait de sa vie sexuelle – et la domination en faisait partie –, pourtant Oliv’ avait été catégorique. Non seulement la séance se passerait chez lui, mais il s’était assez pris d’affection pour Claire, pour vouloir la protéger. Même s’il ne l’avait pas exprimé verbalement, Mathieu l’avait compris. Il en était amusé et s’était plié à sa demande en conséquence.

– Elle y arrivera, dit-il. Et puis, elle connaît déjà la canne.

– Ce n’est pas le même objet, objecta Oliv’.

– Ce n’est pas si différent.

Sur le plan de l’intensité, du moins. Celui qu’il allait utiliser offrait d’autres possibilités.

Voir Olivier lever les yeux au ciel ne fut pas loin de le faire rire. Son pote ne laissait que rarement passer ses légèretés.

– Tu n’avais pas frappé pour la marquer.

– Exact.

Olivier avait raison : en ce sens, oui, c’était différent.

– En quoi est-ce que ça change ? demanda Claire.

Elle était restée assise dans le fauteuil en face d’eux et buvait lentement son thé. Son calme le captivait. Il avait pris le temps de lui expliquer avec quel instrument il allait procéder à ces marques, mais Olivier faisait naître de nouvelles interrogations avec ses interventions.

Il réfléchit avant de lui répondre :

– La première fois, combien de temps as-tu gardé des traces sur la peau ?

Il la vit chercher dans sa mémoire.

– Trois-quatre jours.

– Celles-ci dureront plus longtemps.

Le regard de Claire ne vacilla pas.

Il ajouta :

– Dans quatre jours, elles seront parfaites.

Du moins, c’était ce qu’il voulait : des lignes sombres, dénuées de boursouflures, juste tracées comme un coup de pinceau.

– En plus du fait qu’il y en aura moins, ajouta-t-il. La différence est dans l’intention. On peut décider de frôler, de marquer des percussions…

Il repensa à la manière dont elle était parvenue à l’orgasme, la première fois, avec la canne. Il eut envie de l’y conduire de nouveau, mais il savait que ce serait différent.

– On peut décider d’apposer de jolies marques, également.

Il sourit, provocateur, et se pencha vers la table basse pour saisir son café et en boire quelques gorgées. Claire serrait toujours les doigts sur sa tasse ; l’acuité de son regard témoignait de l’attention qu’elle portait sur eux.

Pas une fois, depuis sa décision de l’accompagner de nouveau au club, elle n’était revenue dessus, même s’il n’avait cessé de penser qu’elle se défilerait. Elle l’avait assez fait, auparavant. Il en avait été étonné. Il savait qu’elle n’était pas sûre d’elle, ou ne l’était pas encore assez. Mais qui l’était jamais vraiment, dans cette sexualité ?

Il contempla son expression, cette façon qu’elle avait de sembler s’introduire dans l’esprit de ceux qu’elle regardait.

– Vas-y doucement, le mit de nouveau en garde Oliv’.

– Je sais, dit-il.

Seulement, il n’en avait pas envie.

Il fixa la lanière de cuir qu’il avait posée plus loin, sur une desserte. Sa simple vision nourrit un peu plus le feu qui grandissait en lui. Il devait passer à l’acte.

– Tu es prête ? demanda-t-il brusquement à Claire, tout à ses pensées.

– Oui, répondit-elle sans hésiter.

– Tes safewords ?

Elle les répéta, stoïque.

Même si elle avait décidé de lui faire confiance, elle pourrait revenir sur cette décision. Elle aimait la manière dont il prenait possession de son corps, dont il usait d’elle, la rudesse de ses gestes… Il voyait clairement l’excitation qu’elle en retirait. Mais, si ce n’était la fessée qu’il lui avait donnée entre-temps, elle n’avait pas goûté à ses coups depuis sa séance au donjon.

– Je vais avoir mal ? demanda-t-elle soudain.

La question le surprit. Qu’attendait-elle donc, en la posant ? Elle connaissait déjà la réponse ; elle ne pouvait pas chercher une simple confirmation. Il la savait plus fine que ça.

Olivier fut plus transparent dans sa réaction.

– Oui…

S’il ne laissa pas passer un mot, Mathieu comprit l’interrogation de Claire. Elle l’observait pour voir dans ses yeux à quel point la douleur serait forte. Ceux d’Oliv’ s’étaient suffisamment plissés pour lui en donner une idée.

Il ajouta :

– Mathieu frappe fort.

Claire acquiesça. Ce n’était pas une révélation pour elle.

Mathieu éprouva la nécessité de prendre le pouvoir. Immédiatement.

– Finis ton thé, dit-il d’un ton sec.

Elle but ses dernières gorgées. Olivier le seconda aussitôt ; lorsqu’il s’adressa à elle, son attitude ne laissait plus place à la contradiction.

– Lève-toi !

Elle obéit. Oliv’ se leva à son tour.

– Enlève ta jupe et ta culotte.

Elle déboutonna peu à peu la première, mais, ce faisant, elle tourna le visage vers Mathieu, et il put voir, dans son regard, à quel point elle se battait contre elle-même pour s’en remettre ainsi à ses mains, à quel point elle était dans le doute encore, bien qu’elle ait décidé de passer outre. Le trouble qu’il éprouvait en fut majoré.

Oliv’ dut se rendre compte de son malaise, puisqu’il intervint.

– Mathieu ?

– Qu’est-ce que tu attends de cette séance, Claire ? demanda-t-il brusquement.

Elle lui adressa un regard étonné. Après quelques secondes, elle fit glisser sa jupe sur ses cuisses, avant de la retirer.

– De voir… De voir si je peux l’endurer. De voir si c’est vraiment ce que je veux. De voir si…

Elle marqua une pause, puis reprit :

–… Si ça va me faire le même effet que la première fois.

– C’est-à-dire ?

Les mots qui suivirent, elle sembla se les arracher.

– Si ça va m’exciter de nouveau.

Elle saisit les bords de sa culotte et la fit descendre lentement le long de ses cuisses, exposant son bassin dénudé.

– Développe ! exigea-t-il.

Elle inspira profondément. Elle prenait sur elle, il le voyait.

– Je ne suis pas encore revenue du fait d’avoir joui avec ça. Je me demande même si je n’ai pas rêvé, parfois, si ce n’est pas mon esprit qui a construit cette idée et…

– Tu ne jouiras pas juste avec cinq coups.

– Je le sais.

Elle suçota sa lèvre inférieure.

– Je ne peux toujours pas dire si c’est ce que je veux vraiment, reprit-elle.

– Mais la fessée, oui, remarqua-t-il.

– Oui, confirma-t-elle.

Elle avait aimé ça. Il le savait. Il la détailla un moment. Ses confidences lui donnaient envie de la rassurer en la serrant contre lui. D’envoyer balader les limites posées par Oliv’. De la pousser dans ses retranchements, de la voir basculer, puis de lui écarter les fesses et de s’enfoncer profondément en elle. De coller son front à son cou et de se ressourcer au contact de sa peau. Que de contradictions… Il ne savait pas toujours que faire des multiples sentiments que Claire suscitait en lui, sinon constater qu’elle le remuait.

Il adressa un regard à Olivier, qui semblait suivre leur échange avec beaucoup d’attention. Ils n’étaient pas encore entrés véritablement dans la séance.

Oliv’ remarqua :

– Ça t’avait donc excitée, la première fois.

– Oui.

– Et maintenant ?

Elle haussa une épaule, façon sans doute de chercher le point sur ce qu’elle éprouvait.

– Il y a une part de ça, souffla-t-elle.

Elle ajouta :

– Et d’innombrables parts d’autres choses.

Mathieu se doutait bien de ce que pouvaient être toutes ces « autres choses ».

Dans une impulsion, il franchit la maigre distance les séparant et lui saisit la nuque aussitôt qu’il fut contre elle. Il la sentit vaciller à son contact. Il s’empara de sa bouche, y épanchant le besoin qu’il avait d’elle en un baiser dévorant qui lui tourna la tête et le laissa pantelant, bien qu’il se garde de le montrer. Il n’était pas encore habitué à l’émoi qu’elle provoquait en lui. Quand il la relâcha, il la vit placer les mains dans son dos pour s’appuyer, étourdie, à l’arrière du fauteuil, et en eut un sourire amusé. Il se dirigea vers l’endroit où la lanière était posée et essaya de modérer le trouble qui était monté en lui et qui persistait à lui être étranger.

– Mathieu ? souffla-t-elle.

– Oui ?

Il saisit l’objet. Claire le fixait et il voyait presque les rouages de son esprit tourner : ce besoin qu’elle avait de comprendre, toujours, avant de se laisser aller. Fille curieuse qui le perturbait perpétuellement dans ses convictions.

La question ne tarda pas.

– Qu’est-ce que tu cherches dans la domination ?

Il entendit : « Pourquoi est-ce que tu veux me frapper ? »

Durant un temps de silence, il la fixa, conscient de se montrer peu avenant. Cependant, puisqu’elle se livrait, pourquoi ne pas le faire aussi ? Il n’y avait rien d’étonnant à ce que cette question survienne maintenant.

– L’accomplissement d’une pulsion, répondit-il.

La mise en œuvre de son anormalité.

Il évacua aussitôt la gêne qu’il éprouva à cette idée.

Il s’appuya d’une fesse à la desserte où s’était trouvée la lanière, peu avant. Oliv’ était resté devant la table du salon. Rêveusement, Mathieu caressa le cuir entre ses doigts, en éprouva le contact souple, conscient de ce que ça lui coûtait d’ouvrir à Claire les aspects les plus obscurs de son esprit.

– Il n’y a pas que le plaisir sexuel, reprit-il. Il n’y a pas que la douleur, même si l’envie de dominer, de contrôler, est toujours sexuelle, bien sûr.

Il prit un temps avant de préciser :

– Il y a la fascination que suscite la possession de l’autre.

Il plongea les yeux dans le regard de Claire.

– Il y a quelque chose à faire sortir, quelque chose de viscéral, ce qui ne veut pas dire que je perds de vue la limite : pas le moindre instant, elle ne me sort de l’esprit. Ça peut paraître bizarre, je le sais. C’est une pulsion extrêmement puissante, qui a besoin de s’exprimer, mais que je vis pourtant dans un calme absolu. Le contrôle est toujours là. Et puis…

Un sourire sombre, qu’il savait provocant, fleurit sur sa bouche.

–… Il y a aussi la notion de pouvoir. Il m’a fallu un moment pour assumer mes pulsions dominantes et sadiques. Le masochisme, contrairement à ce qu’on pourrait penser, est nettement plus aisé. Prendre du plaisir à souffrir, c’est quelque chose. En prendre à infliger de la douleur…

Il s’arrêta.

–… Mais tu savais déjà que je n’étais pas normal, asséna-t-il enfin.

Il n’attendait pas de réaction à cette déclaration. Le temps des confidences venait de se tarir et il en avait dit bien assez.

– Allez, mets-toi en position ! exigea-t-il.

Elle le fixa un moment, comme si elle cherchait à lire dans ses pensées. Puis elle suivit Oliv’ jusqu’à l’espace du salon situé sous l’anneau fixé dans le plafond. Elle leva les yeux.

– Enlève ton haut aussi.

Olivier lui adressa un regard chargé de reproches. Il n’y prêta pas attention, tout à l’observation de Claire, dont l’expression traduisait un désarroi qu’elle tâchait de contenir.

Il déclara alors :

– Il y aura un sixième coup.

Claire marqua une hésitation, comme si elle attendait de lui des explications, comme si elle se demandait si, cette fois encore, elle lui accorderait sa confiance sans poser davantage de questions. Il aurait dû lui donner plus d’informations. Il ne le fit pas. Ce n’était pas qu’il ne le voulait pas, seulement, mettre des mots dessus lui coûtait. Il exigeait trop d’elle en lui demandant de le suivre les yeux fermés, de lui donner ce « tout » qu’il attendait… Mais c’était justement ce qu’il voulait d’elle, à s’en vriller l’esprit : tout.

Elle ne le lâcha pas des yeux, tandis qu’elle faisait passer son débardeur au-dessus de sa tête, puis dégrafait son soutien-gorge. Il savait à quoi elle songeait : elle avait pris la décision d’aller au bout et s’y raccrochait avec force. Il laissa son regard courir sur son corps.

Olivier, de son côté, arborait une moue de désapprobation. Mathieu décida de ne pas s’en soucier. Oliv’ glissa la corde dans l’anneau le surplombant. Lorsqu’il fut sur le point d’y attacher les deux poignets de Claire, Mathieu l’interrompit.

Sa voix claqua.

– Non !

Il ajouta :

– Laisse-la s’y accrocher d’elle-même. Qu’elle s’y tienne et soit libre ainsi de la lâcher à tout instant.

Claire saisit alors les extrémités de la corde, les enroulant autour de ses paumes pour mieux s’y soutenir, les deux bras tendus au-dessus d’elle. Ils avaient discuté de toutes ces étapes et elle avait accepté chacune d’elles. Même s’il savait qu’elle appréciait le fait d’être attachée, il ne voulait pas de ça, cette fois-ci : il voulait qu’elle puisse lâcher la corde si elle en avait besoin.

Il se concentra sur la lanière qui reposait dans ses mains. Le temps qu’il s’exerce à la mouvoir, Claire avait fermé les yeux. Elle paraissait d’un calme rare. Son corps pâle, dénué de toute trace, s’étendait dans son entière nudité.

Il s’approcha d’elle et repoussa les longs cheveux ébène qui retombaient sur ses épaules, dévoilant son cou. L’attrait de sa chair le saisit aussitôt, lui faisant fermer les paupières. Il posa le front contre elle et, doucement, murmura :

– Dis-moi si tu es prête.

– Je le suis.

Il retint son envie de lui baiser le cou et recula. Durant quelques secondes, il contempla cette chair vierge qui lui faisait face, ce livre aux pages blanches s’offrant à lui pour qu’il y inscrive les lignes de sa volonté.

Alors, il annonça d’une voix calme… si calme, si maîtrisée :

– Tes fesses.

La lanière de cuir fendit l’air, puis claqua sur la chair, faisant trembler Claire qui gémit presque en simultané. Elle s’accrocha aux cordes comme s’il s’agissait là du seul élément qui l’empêchait de sombrer. Le bruit de sa respiration rapide emplit la pièce, chargée des doutes qu’il pouvait entendre dans la moindre de ses expirations hachées.

– Tes cuisses.

Il les marqua d’une ligne rouge, puis en dessina une deuxième, parfaitement parallèle, assez bas pour laisser entre les deux une bande de chair intouchée. Il fut retourné en voyant Claire aller presque à la rencontre de la lanière, bien qu’elle ne semble pas s’en rendre compte… Elle avait des réactions si ambiguës, parfois. Sa manière de paraître à la fois se défiler devant ses coups et se tordre pour venir à leur rencontre le décontenançait, tout en l’excitant profondément.

Ça faisait trois coups.

Il la contourna.

Elle avait enfoui le visage dans le creux de son coude à demi plié et respirait avec force. Son corps nu, exposé à sa vue, ses paupières fermées, ses cheveux épars, collés en partie à ses joues qui commençaient à s’humidifier, ses lèvres entrouvertes… Elle était belle dans le don, fascinante dans l’offrande sans réserve de sa confiance, bouleversante dans l’émoi qu’elle manifestait.

– Tes cuisses. Devant, maintenant.

S’il la vit se raidir, il ne retint pas son geste et frappa la zone annoncée, la marquant à son tour, la faisant sienne, peignant une nouvelle ligne sur sa chair, sur le corps qu’il voulait modeler, l’âme dans laquelle il voulait se perdre, où, peut-être, il se perdait déjà. Il n’avait pas besoin de savoir. Son cœur battait lentement, mais puissamment, et sa tête était pleine de l’acte qui s’effectuait, pleine de Claire, pleine d’eux. Il dessina une seconde marque sur l’avant de ses cuisses.

Claire se tordit, geignit, paraissant de plus en plus fragile, ses réserves balayées, toute velléité de se protéger rendue caduque par la force de ce qui se produisait.

Il savait, à ses lèvres serrées et à ses yeux humides, qu’elle se retenait de toutes ses forces de prononcer ses safewords, qu’elle allait puiser au fond d’elle des ressources auxquelles elle n’avait pas l’habitude de faire appel… Il voyait à quel point elle s’offrait. Il lui caressa la joue. Elle s’y pressa instantanément, cherchant le réconfort de la main qui, pourtant, était la raison du bouleversement qu’elle éprouvait.

Il ne restait qu’un coup.

Il regarda ses seins : cette zone si riche en vaisseaux sanguins qui garderait la marque la plus nette, la plus visible… Celle qu’il était recommandé d’éviter de toucher, en temps normal, parce que plus fragile que la chair souple des fesses ou des cuisses. La plus innervée.

Il connaissait les risques. Il avait choisi volontairement un outil souple et savait qu’il était capable de gérer. Il serra fortement la lanière, obnubilé par l’endroit qu’il visait. Il ignorait comment réagirait la peau de Claire : si les marques resteraient aussi longtemps qu’il l’estimait, s’il ne s’était pas trompé en prévoyant le délai les séparant de la prochaine nuit au club, cette Nuit Noire dédiée au fétichisme, dont ils attendaient la venue.

La lanière partit comme d’elle-même, toucha juste à l’endroit qu’il avait choisi, claqua, revint. Sur le coup, Claire ne cria même pas. Elle ouvrit juste des yeux humides, des yeux surpris, et les referma ensuite pour drainer la douleur, l’accepter et la laisser la traverser… avant qu’elle ne parte, ne s’évanouisse et ne laisse plus que le souvenir de ce qu’ils avaient vécu. Les marques.

– Oliv’…

Sa propre voix lui parut extérieure, lointaine, comme si elle ne lui appartenait plus.

– Tu peux nous laisser ?

Olivier hocha peut-être la tête ou dit « oui ». Il ne le vit pas. Seule Claire captait son attention.

La porte de l’appartement claqua, résonnant dans le silence. Claire respirait fortement. Il contempla son travail, ces longues lignes rouges qui, sur sa peau, le fascinaient. Il la contourna pour voir celles qu’il lui avait faites sur les fesses et l’arrière des cuisses. Alors, il jeta la lanière et, doucement, posa les mains sur les hanches de Claire. Le contact de sa peau l’électrisa. Cette fois, il ne résista pas à lui embrasser le cou : cette chair, là, si accessible, dans laquelle il crevait du besoin de se verser…

L’initiation de Claire – saison 1 (4)

– C’est bien, la complimenta-t-il de nouveau.

Cette fois, elle se rendit vaguement compte de l’attention qui lui était portée, relevant le visage pour scruter l’expression de Mathieu. Elle sentit ses mains parcourir ses hanches, et elle soupira tandis qu’il la caressait en des gestes lents et enveloppants, avec respect. Elle aima se laisser conquérir par cette sensation apaisante. Elle avait le besoin d’être soutenue.

Lorsqu’il effleura sa poitrine, elle sentit son souffle s’accélérer, puis ses paupières se crispèrent quand une paume se referma sur l’un de ses seins. Les doigts qui firent ensuite rouler son mamelon l’échauffèrent de nouveau. Puis, il se pencha pour baiser tendrement son cou et elle s’abandonna au contact de ses lèvres. La sensation était tellement douce, contrastant avec ce qu’elle avait ressenti auparavant et lui rappelant, bien malgré elle, qu’avant de décider d’en faire le deuil, se sentir serrée avec autant d’attention était tout ce qu’elle avait rêvé de ses relations. Lentement, les larges mains glissèrent le long de ses hanches, l’une passant sur son aine avant de revenir doucement se refermer sur son entrejambe. Le contact possessif la força à laisser retomber sa tête contre l’épaule devant elle et elle y étouffa un gémissement lourd quand la pression s’intensifia sur son clitoris, se transformant en véritable pincement.

– Couleur ? demanda-t-il en continuant à la maintenir fermement.

Elle retint son souffle. La main de Mathieu stimulait son organe le plus sensible, renvoyant des décharges d’excitation dans son corps encore meurtri par la frustration précédente. Perdue, elle se laissa aller plus intensément contre lui, la sensation de son corps solide, massif, lui donnant l’envie de se blottir contre lui. Elle avait tant repoussé son besoin de tendresse que se retrouver dans une situation de domination aussi intense la poussait à rechercher ce qui lui manquait si profondément. Reprendre son souffle lui fut impossible, pas tant qu’il continuait à la toucher ainsi, à stimuler son endroit le plus intime.

Ce ne fut que lorsqu’il la relâcha qu’elle put essayer de répondre. Elle prit quelques respirations plus lentes. Que devait-elle lui dire ? Sa raison se heurtait aux stimuli contradictoires que lui renvoyait son corps. « Rouge » était trop fort. Même « orange » ne reflétait pas véritablement ce qu’elle ressentait. Bien qu’elle doive faire un effort en elle-même pour l’admettre, elle savait qu’elle n’avait eu que très peu à endurer encore.

– Vert, décida-t-elle, bizarrement consciente qu’elle l’incitait ainsi à aller plus loin.

***

– Bien.

Mathieu passa la main dans la chevelure de Clara, caressant doucement ses ondulations brunes en gardant sa tête contre son torse.

Tout à l’écoute de sa respiration, il parcourut de nouveau son flanc des doigts, plissant le tissu de son corset. Le souffle de Clara s’était calmé, maintenant, prenant un rythme plus régulier. Bien malgré lui, il se rendait compte que la jeune femme appuyée contre son torse le troublait. Sous un caractère qu’il avait senti fort, il découvrait une personne sensible, fragile, sa façon de se serrer contre lui témoignant de son besoin comme d’une étonnante acceptation, trop forte pour une première fois… trop enivrante pour lui.

Après un temps d’hésitation, il enroula les doigts autour de l’un des tétons de Clara. Un frémissement se fit, ses paupières se fermant dans l’excitation. Il observa plus qu’attentivement ses réactions. Lorsqu’il augmenta la pression, elle se contracta, jusqu’à émettre une faible plainte quand la torsion s’intensifia encore. Elle ne fit cependant rien pour s’y soustraire et haleta ensuite de plaisir quand il retourna s’emparer de son sexe sans pour autant soulager son mamelon. Elle enfouit son visage dans son épaule, comme pour oublier la brûlure sur sa poitrine. Alors, il la relâcha. Un temps, il posa les lèvres sur la peau blanche à sa portée, en humant la fragrance durant un moment de réflexion. Il devait faire attention, lui-même, à ce qu’il faisait, plus encore qu’il n’en avait l’habitude.

Sa main passa, en une caresse apaisante, dans la chevelure de Clara. Celle-ci ne vit pas le sourire tendre de Mathieu, ses paupières étant restées fermées. Puis il se pencha sur son visage, sa voix se chargeant d’une langueur érotique.

– Je vais t’attacher, souffla-t-il dans son oreille.

La promesse la fit frémir.

– Je vais lier tes bras à ton buste et puis… je t’allongerai sur le lit. Là-bas.

Elle redressa le visage et leva vers lui des yeux brillants. Son état de trouble était flagrant.

– On s’occupera de ces jolies fesses, poursuivit-il avec envie. Je te donnerai quelques coups. À ma convenance. Tu auras mal… et plus tu auras mal, plus tu aimeras. Tu aimeras plus que tu ne peux l’imaginer. Si tu le veux, je te mettrai un bâillon. Et enfin, si tu es sage, si tu joues bien ton rôle et si le spectacle que tu m’offres me plaît, je te prendrai. Je t’écarterai les cuisses, j’enfoncerai mon sexe entre tes jambes et je te baiserai pendant que tu seras encore attachée.

Il la vit déglutir.

– C’est OK ?

***

Claire ne sut comment réagir. En plongeant dans le regard de Mathieu, elle se rendit cependant compte que ce dernier n’attendait pas forcément de réponse de sa part. Ces paroles étaient seulement une façon de lui rappeler que rien de ce qui se passait ici n’était fait sans son consentement, qu’elle pouvait toujours choisir et qu’elle le pourrait à tout instant.

Puis il s’éloigna, se dirigeant vers le meuble où il avait préparé son matériel. Cette fois encore, elle refusa d’observer les objets qui y avaient été posés.

Lorsqu’il revint avec une corde nouée de coton rouge, elle la fixa attentivement. Si son ventre se crispa, elle ne sut s’il s’agissait d’appréhension ou bien d’envie.

– Ne t’inquiète pas, souffla-t-il dans son oreille, avant de la lécher doucement.

Elle commença à se languir du contact de ses lèvres contre les siennes.

– Tu connais le « shibari » ? enchaîna-t-il.

Elle secoua la tête. Puis elle se reprit, pour préciser à voix haute :

– Non.

– C’est l’art de ligoter à la japonaise.

Quelques images, imprécises, vinrent à son esprit. Elle le vit se retourner pour poser un instant ses cordages sur une barre de fer horizontale située derrière lui, avant d’ôter son T-shirt d’un geste, la captivant par la vision de ses muscles roulant sous sa peau. Sa carnation était légèrement mate, plus dorée que réellement foncée. Chaque parcelle du corps qui lui était donnée à découvrir l’attirait décidément curieusement… Chaque trait de sa personnalité également, chaque sourire, chaque intonation sombre de sa voix.

– Tu as déjà dû en voir des photos, expliqua-t-il.

En se retournant vers elle, il passa un premier pan de la corde dans le creux du dos de Claire, s’en servant pour l’attirer contre sa poitrine.

– C’est très esthétique, lui souffla-t-il ensuite, se mordant la lèvre inférieure dans un sourire à la gourmandise contrôlée.

Si la tension sexuelle n’avait pas été si intense, elle aurait pu s’amuser de ses attitudes espiègles. Elle n’en fut que troublée. Elle le vit défaire les attaches de son corset puis l’enlever, exposant intégralement son buste à son regard, et elle se sentit plus dénudée encore, qu’elle ne l’était avant, la situation faisant naître en elle un regain de pudeur qu’elle tâcha toutefois de ne pas montrer. Puis, les cordes se croisèrent sur sa poitrine et elle soupira discrètement. Elle observait les gestes de Mathieu, naviguant du regard entre les mains qui passaient sur son corps et les mèches blondes autour de son visage, retournant régulièrement fixer le torse solide devant elle dont les deux tétons étaient d’un rose un peu foncé.

Docilement, elle le laissa réaliser son ouvrage, consciente qu’il s’agissait là de quelque chose qu’elle avait accepté.

Se faire manipuler ainsi était étonnant. Là où elle imaginait un acte de possession presque primaire, le bondage demandait en fait une réelle participation de sa part. Elle devait accepter ce que le dominateur lui faisait, sans pour autant savoir comment il voulait l’attacher, garder ses membres dans la position exacte dans laquelle il les plaçait, les y maintenir. La soumission se révélait ainsi cérébrale, en plus d’être physique, atteignant là son paroxysme : celle de se plier soi-même aux gestes que l’autre désirait.

La technique demandait une réelle expérience, autant dans les entrelacements savants que dans les précautions évidentes qu’il prenait. Elle le voyait mettre parfois les doigts devant sa peau pour ne pas la brûler avant de faire glisser la corde, se passer à d’autres moments de cette protection, le coton tressé frottant alors cruellement au niveau de ses points sensibles, prendre le temps d’éprouver la tension avant de resserrer les liens, ne déplacer ses membres qu’avec douceur, cherchant le meilleur angle, celui qui l’empêcherait de bouger sans la tordre dans une position qu’elle ne pourrait supporter suffisamment longtemps. L’acte apparaissait alors terriblement sensuel.

En observant le visage de Mathieu, elle sentit son esprit s’égarer un instant. À quoi avait bien pu ressembler son initiation à lui, quand il avait 18 ans ? Comment avait-il découvert ce milieu, et pourquoi s’était-il passé plusieurs années, ensuite, avant qu’il n’y revienne régulièrement ? Ce devait être bien jeune pour vivre une telle expérience. Avait-il été dominateur ? Elle ne le croyait pas. Assumer ce rôle demandait d’avoir de réelles connaissances. Un temps, elle s’interrogea sur ce qu’avait pu être sa première expérience, en tant que soumis.

– Tu te poses des questions par rapport à moi ? intervint-il avec un regard amusé.

Elle sortit aussitôt de ses pensées, se retrouvant prise au dépourvu, comme en faute. Elle chercha à savoir que répondre.

– Tu n’as pas de raison de t’inquiéter, anticipa-t-il, avant de prendre un ton plus froid : ne te pose pas de questions.

Puis, un mouvement sec fit remonter ses poignets noués dans son dos, lui coupant un instant le souffle. Elle tâcha de retrouver sa contenance. Se laisser attacher ainsi était réellement surprenant. Le coton tressé rampait sur sa peau comme autant de mains qui y seraient passées, les pans de corde se faisaient autant maintiens que soutiens, l’enserrant, parcourant sa chair en des mouvements chaque fois impossibles à anticiper, parfois trop lents, parfois trop rapides à se resserrer, l’excitant malgré elle à chaque sensation de tension. Fermement maintenus dans son dos, ses bras se retrouvaient désormais immobilisés, tout le haut de son corps lacé dans un corset aux mailles démesurément larges. Des losanges de tailles différentes se formaient sur sa poitrine, passant autour de ses seins. Quel que soit l’angle depuis lequel on l’observait, l’ouvrage se révélait superbe, la couleur rouge du coton mettant en valeur celle laiteuse de sa peau.

Une fois le bondage terminé, il recula d’un pas pour la détailler. Sous son regard, elle se sentit incroyablement désirable. Alors qu’elle essayait de mouvoir ses membres, se rendre compte à quel point elle était vulnérable, soudain, provoqua cependant en elle une certaine angoisse et elle leva des yeux humides vers lui dans un appel à l’aide, sa respiration s’accélérant. Mais il posait déjà les mains sur ses épaules dans un geste rassurant. Son souffle s’apaisa, tandis qu’elle se laissait aller à la sensation de la peau chaude la caressant. Les lèvres qui se posèrent de nouveau dans son cou l’étourdirent légèrement.

– Calme, chuchota-t-il.

Elle expira longuement.

Il passa les doigts sur la peau fine de sa poitrine, s’accrochant aux cordages, faisant se plisser son mamelon dans une expression de fascination. Puis, il glissa les doigts sous deux coins de corde rouge au niveau de ses côtes et l’attira vers lui. De surprise, elle rouvrit les paupières, et l’espace d’un instant, elle eut l’impression qu’il la regardait comme s’il était sur le point de la serrer contre lui. Cela ne dura pas. La lueur dans ses yeux se transforma en autre chose. De plus espiègle.

– Maintenant, on va s’occuper de ces jolies fesses, mademoiselle Clara.

Puis il la fit lentement reculer, sans pour autant cesser de la fixer.

La distance qui les séparait du lit, derrière les voiles sombres, ne fut pas longue à parcourir.

Une fois qu’ils y furent parvenus, elle s’y laissa pousser avec complaisance, tombant étendue sur le dos au milieu d’un matelas dont la fermeté la surprit. Puis, il posa un genou à côté d’elle, la contemplant avec un petit sourire en coin. L’instant suivant, il la retournait brusquement sur le ventre. Elle expira de surprise tandis que sa poitrine s’écrasait contre le matelas, les draps d’un noir profond se révélant rêches contre sa peau sensible. Naturellement, son visage se tourna sur le côté, tandis qu’elle sentait Mathieu retirer son sous-vêtement, la laissant uniquement vêtue de ses bas.

Maintenant qu’elle était allongée, l’angoisse se dissipait. Elle ferma les paupières dans l’abandon. Par les nœuds et les cordes frottant contre sa chair, elle avait l’impression de percevoir encore les mains de Mathieu sur son corps, comme s’il s’agissait de lui qui la frôlait, qui la touchait, la faisant prendre conscience de la façon dont elle se sentait prête, désormais, pour ce qui allait suivre. Au bout d’un moment, elle se demanda pourquoi il restait si longuement immobile derrière elle, lui donnant l’impression qu’il l’observait comme s’il hésitait sur ce qu’il allait faire, qu’il avait du mal à prendre une décision.

Quand il repartit vers le placard, elle ne s’inquiéta cependant pas de savoir ce qu’il avait choisi. Elle ne réagit pas plus en voyant une canne se faire déposer sur le matelas devant son visage. « Des coups », avait-il dit. « Des coups. » Bien que l’objet qu’il venait de sortir n’ait rien de rassurant, bien qu’il ne s’agisse vraisemblablement pas de ce qu’il avait préparé initialement, elle ne s’en soucia pas. Elle savait qu’elle allait avoir mal, il l’en avait avertie.

Lorsqu’il s’assit près d’elle, sa présence sembla l’envelopper. Puis, un produit froid tomba sur ses fesses, la surprenant suffisamment pour la faire frissonner.

– C’est une canne anglaise, expliqua-t-il en glissant un doigt juste entre ses deux globes de chair, y étalant le lubrifiant.

Sentir Mathieu convoiter clairement l’espace le plus intime de son anatomie la fit trembler d’étonnement, en plus de l’exciter dangereusement. Elle se demanda pourquoi il s’intéressait désormais à cette partie de son corps, mais il ne lui laissa pas le temps de se poser plus de questions, lui écartant soudain largement les cuisses. D’envie, elle pressa le visage contre le matelas. Il aurait pu les ouvrir plus encore ; elle n’aurait rien fait pour l’en empêcher. Elle aurait peut-être voulu même qu’il les étire jusqu’à leur paroxysme.

– C’était utilisé avant pour punir les servantes… ce genre de choses, reprit-il. À toi de choisir maintenant si tu veux que je te bâillonne. Je ne voudrais pas que tu te retiennes de crier si tu en as besoin.

Ce disant, il relâcha ses fesses pour attraper un objet posé juste à côté d’elle, la faisant se raidir en en sentant soudainement la matière plastique se presser au niveau de son entrée de chair. Elle essaya de se détendre et enfouit le visage entre les draps du lit, l’angoisse l’étreignant. Elle ignorait de quoi il s’agissait, s’il voulait réellement la pénétrer ainsi… Elle ne s’était pas attendue à un tel geste de sa part, surtout après la manière dont il l’avait caressée auparavant. D’une certaine façon, ce lui sembla cependant logique, c’était un acte tellement dominateur. Qu’il soit associé au rapport qu’ils entretenaient alors n’était pas dénué de sens. Elle se sentait cependant tellement serrée…

Des mouvements rotatifs se firent au niveau de l’entrée de son corps, légers d’abord puis de plus en plus présents, couvrant progressivement l’objet de lubrifiant et, en même temps, lui faisant prendre conscience de sa taille. Bien que cette dernière fût inquiétante, la sensation restait profondément agréable et même de plus en plus tentante, au fur et à mesure que le contact s’intensifiait. Petit à petit, elle commença à se languir de le sentir plonger en elle. Inconsciemment, elle inclina les reins, ignorante de la façon dont le regard de Mathieu s’alluma. Elle pressa son front contre le matelas, sa nuque s’étirant. Puis, enfin, la tension se fit plus forte. De par sa forme, elle comprit qu’il s’agissait d’un plug, le bout de faible diamètre entrant facilement en elle… les premières secondes, alors que l’élargissement qu’imposait le corps de l’objet devenait juste ensuite trop massif. Elle essaya alors de contrôler sa respiration. D’une certaine manière, elle se sentait trop envahie, se retrouvant à la limite de la douleur ; de l’autre, c’était du plaisir que pareille intrusion provoquait en elle, la laissant incapable de savoir ce qu’elle devait ressentir.

Lentement, très lentement, il poussa l’objet dans son corps, l’ouvrant millimètre après millimètre, s’arrêtant parfois pour lui permettre de s’adapter, observant ses paupières serrées, poursuivant juste ensuite. Le dernier passage, plus large, avant que l’objet ne se resserre à son bout la fit étouffer un gémissement. Il fallut une bonne minute pour que la sensation de brûlure s’estompe, mais pourtant, au fond d’elle, elle apprécia d’être ainsi emplie. Elle se sentait comblée, entièrement offerte aux mains de l’homme à qui elle avait décidé de se donner.

Durant tout ce temps, il était resté à détailler son visage, curieux de ses réactions et, d’une manière plus large, de son attitude face à cette session.

Puis la main de ce dernier passa dans la chevelure brune, doucement, et il se leva.

– Je vais te mettre un bâillon, décida-t-il.

Elle se rendit alors compte que, pas une fois, elle n’avait laissé le moindre son sortir de sa bouche. Elle en était même essoufflée.

Lorsque Mathieu revint, le poids de son corps sur le matelas fit bouger autant le plug que le drap qui s’était plissé sous son clitoris lors de l’introduction de ce dernier, la stimulant vivement. Le pouce qu’il glissa entre ses lèvres se fit aussitôt aspirer avec envie. S’il avait mis son sexe dans sa bouche, elle l’aurait sucé avidement ; elle aurait aimé qu’il le fasse : qu’il baise encore sa bouche, comme il l’avait fait précédemment. Puis elle laissa sa mâchoire se faire abaisser. Un mouchoir y fut enfoncé, la surprenant tandis qu’il prenait place au fond de sa gorge. La boule qui suivit, soutenue par un lien de cuir qu’il attacha aussitôt derrière son crâne, finit de la bâillonner.

– Essaye de respirer calmement, indiqua-t-il en glissant un objet rond de taille moyenne entre ses doigts.

Il lui referma la main doucement.

– C’est une sphère de métal, expliqua-t-il. Ouvre la main pour la lâcher et je m’arrêterai. C’est ton safeword, prononça-t-il sur un ton marquant l’importance de l’information.

Elle serra la boule qui lui avait été donnée, en éprouvant le poids. À chaque instant, l’attention que Mathieu lui portait la touchait, la faisant se sentir plus précieuse qu’elle ne l’avait jamais été. Elle aimait tout autant cette attitude que sa manière de la brusquer, d’éprouver ses limites, à chaque seconde. Ce n’était pas raisonné.

En sentant les doigts masculins glisser entre ses fesses jusqu’à la base de l’objet qu’il y avait glissé, elle se crispa. Une légère pression s’y exerça, l’objet plongeant plus profondément à l’intérieur d’elle et elle réagit en se cambrant, le frottement de son sexe contre les draps rêches provoquant en elle une violente décharge d’excitation. À cause du tissu et de la boule gênant le passage de l’air au niveau de sa bouche, elle se retrouva tout de suite à bout de souffle, devant prêter attention à respirer correctement par le nez. Puis il lui écarta plus encore les cuisses et elle gémit sous son bâillon, les draps se plissant de nouveau sous son corps comme elle s’y raidissait. Une seconde, elle faillit lâcher la sphère qu’il lui avait donnée et s’y agrippa de toutes ses forces, perturbée juste ensuite par l’inquiétude qu’elle avait ressentie à l’idée de la faire tomber. Son inclination à se soumettre au plaisir torve que cet homme lui avait promis, la façon dont cette situation l’excitait… tout la dépassait.

– Clara…

Entendre ainsi le nom qu’elle s’était choisi la ramena vers des pensées plus calmes. Elle lâcha un profond soupir. Il passa le doigt sur sa tempe comme s’il devinait ce qui la perturbait.

– Tu n’as pas à réfléchir, poursuivit-il. Tout ce dont il est question ici, c’est de mon plaisir. C’est moi qui aime te voir attachée comme cela. C’est moi qui me plais à te faire gémir dans ton bâillon.

Ce disant, il attrapa du bout des doigts la base du plug pour le faire ressortir presque entièrement, lui envoyant une décharge de douleur mêlée de plaisir plus forte quand la partie la plus large passa son orifice, puis l’y replongea pour y pratiquer quelques allers-retours. Elle se tordit, pantelante.

– C’est moi qui veux te voir, les fesses rougies, craindre autant que désirer mes coups, c’est moi qui veux goûter à ton expression dans ces moments-là. Toi, tu acceptes, tu te plies, tu me laisses jouer avec toi tel que j’en ai envie. Tu t’abandonnes. C’est mon plaisir… et puis le tien aussi, bien sûr. Le tien. Il suffit de te laisser aller. Simplement de te laisser aller.

Puis il poussa plus fortement l’objet la pénétrant, la faisant presser le bassin contre le matelas tandis que le plaisir la lançait brutalement.

– Garde les jambes écartées, indiqua-t-il finalement en se relevant.

Elle ne fut que trop prête à obéir. Le lit bougea encore un peu.

Le bruit rapide qui fendit ensuite l’air la fit à peine réagir. Elle tourna le visage, observant Mathieu manier la canne de rotin dans le vide, en éprouvant la force, l’ampleur du geste et la précision. Sous la lumière rouge pâle de la pièce, ses muscles se contractaient et se tendaient dans une vision superbe, pleine de puissance. Elle n’eut même pas peur de ce qui allait venir. Elle retourna attendre calmement, la tête appuyée sur le matelas.

D’un coup, l’objet tomba en travers de ses fesses.

Le premier impact la surprit. Il avait frappé fort ! Ou alors était-ce la sensation que la canne provoquait ? Elle ne le savait pas, mais elle n’avait pas imaginé quelque chose d’aussi intense pour une première fois. « Rien de trop poussé », avait-il dit. La douleur se révéla toutefois bien inférieure à ce que la force du coup avait suggéré : plus proche d’une piqûre brève que de quoi que ce soit de lancinant. Un instant, elle eut l’impression que l’apparence de l’objet l’avait trompée, que l’acte ne serait pas si difficile à supporter… puis la brûlure, secondaire, perverse, commença à s’étendre, la prenant au dépourvu, se diffusant impitoyablement autour de l’endroit où la canne s’était abattue. Ça faisait mal… Elle lâcha un murmure étouffé par son bâillon.

– Bien, commenta-t-il, l’encourageant à ne pas se retenir.

Elle se força à respirer calmement, de toutes ses forces. La douleur n’atteignit son apogée qu’au bout de plusieurs interminables secondes durant lesquelles elle pensa être incapable de soutenir d’autres coups. Elle ne savait même pas s’il avait vraiment frappé de manière si intense ou s’il ne s’agissait que d’une impression.

Quand elle sentit enfin la brûlure sur le point de redescendre, elle se prépara à se relaxer un peu, mais le deuxième coup tomba juste à ce moment, à peine plus bas, marquant l’arrondi de ses fesses d’une autre zébrure nette. Elle resserra la main sur la sphère métallique, un gémissement sortant de sa gorge.

Plusieurs secondes passèrent, le même nombre, dans une parfaite exactitude, que celui qui avait séparé le deuxième coup du premier.

Puis la canne s’abattit une troisième fois et, de nouveau, elle geignit, son visage se crispant.

Elle ne sut même pas pourquoi elle persista à tenir avec autant d’insistance l’objet que lui avait donné Mathieu. Elle aurait pu le lâcher, à tout instant, rien n’aurait été plus simple : desserrer les doigts et exposer ses mains ouvertes au jeune homme derrière elle. Elle savait qu’il s’arrêterait aussitôt. Rien ne lui en donna pourtant réellement envie, non pas que la souffrance ne fût pas vive, elle était même au-delà de ce à quoi elle s’était attendue, mais il y avait aussi la fierté, l’indicible plaisir de se plier à la volonté de cet homme, la joie de le contenter dans son envie de la voir ainsi. Elle voulait qu’il l’estime pour sa capacité à supporter ce qu’il lui faisait ; elle savait que son désir n’en serait que plus fort. La prendre dans cette position même, écarter sa chair marquée pour y plonger son sexe… C’était ce qu’il lui avait promis. Et chaque coup, chaque décharge douloureuse qu’elle endurait ne l’en rapprochaient que plus. Son corps se serrait autour de l’objet qui y avait été enfoncé, son excitation ne faisant que grandir. Quant à la souffrance qu’elle endurait, elle lui apportait aussi quelque chose d’inestimable, d’indescriptible…

Au fur et à mesure des retombées de la canne, le lien entre elle et Mathieu se tissait. Jamais elle n’avait eu à soutenir pareille épreuve, jamais elle n’y avait été accompagnée avec tant d’attention. Elle était, en cet instant, le monde à elle toute seule, tout tournait autour de ses gémissements et de ses paupières plissées, de sa volonté, de sa force, de la façon dont la sueur perlait au niveau de son front, de l’humidité naissant au coin de ses yeux. Bien qu’une partie d’elle la poussât à réagir contre ce qu’elle était en train de subir, une autre l’acceptait avec délectation, ses pensées s’y diluant.

À chaque coup, elle se déchargeait de toutes les craintes et angoisses qu’elle avait accumulées, de toutes les questions qu’elle s’était trop posées, de toutes ses incompréhensions. La voix obscurcie par les objets enfoncés dans sa bouche, elle n’avait pas besoin d’en retenir les plaintes. La canne était à la fois douleur et libération, lui permettant de se laisser aller : de crier, de haleter et de gémir sous les sensations contradictoires qui se faisaient en elle, chaque impact envoyant des vibrations dans tout le bas de son corps, se répercutant jusqu’au creux de son sexe, tandis que son orifice se resserrait autour de l’objet qui y était plongé. Ce qu’elle ressentait était plaisir autant que souffrance, les deux mêlés de façon inextricable. En elle, l’incroyable était en train de se produire, la longue cadence des impacts se succédant la laissant le cœur battant, soumise, offerte, heureuse de l’être, fière, des picotements parcourant son épiderme comme autant de décharges électriques. Au bout d’un moment, elle ne sentit plus vraiment les coups. Ses fesses étaient une masse bouillante, son corps devenu lourd du plaisir et de la douleur ressentie. Elle ne se rendit même pas compte des larmes qui s’écoulaient maintenant en un mince filet de ses yeux. Elle n’était plus que sens exacerbés. Elle était sensualité, elle était délivrance, elle était corps offert, prêt à être pris. L’objet introduit en elle lui rappelait sa présence en permanence, son clitoris devenu brûlant des frottements contre les draps du lit, lui faisant prendre conscience d’à quel point l’acte auquel elle s’adonnait avec Mathieu était sexuel… Comme s’il lui faisait l’amour. Curieuse et déviante impression. Curieuse…

Puis, d’un coup, comme ça, parce que les miracles existent et que ce qu’il se passait était au-delà de l’explicable, elle sentit l’orgasme se former en elle. Elle ne comprit pas.

Ses cils humidifiés se décollèrent. Sa vision resta floue.

Le dernier impact de la canne. La dernière vibration, la douleur s’étendant… L’objet à l’intérieur de son corps. Son sexe trop stimulé. Sa chair devenue brûlante, le regard de Mathieu juste derrière elle et la sensation forte de sa présence.

Un coup, encore, plus rapproché cette fois, la prenant totalement au dépourvu, et la jouissance déferla, la faisant se raidir alors que son corps se contractait, la brûlait, envoyant des décharges de plaisir dans chacun de ses nerfs. Parce que le bâillon le lui permit, elle gémit sans entraves, le plaisir fulgurant la laissant épuisée, perdue…

Plus rien ne s’abattit sur ses fesses. Seul un murmure parvint à ses oreilles.

– Clara…

Dans la façon dont il souffla son nom, il y eut tout l’éblouissement, l’estime, la fascination liée au fait de l’avoir vue jouir ainsi… de la voir maintenant, son corps pâle étendu sur les draps, lasse, vidée, plus libre qu’elle ne l’avait jamais été dans ses liens et son bâillon. Ses lèvres se posèrent sur sa nuque, la faisant s’abandonner entièrement à leur douceur. Il y avait quelque chose de pervers dans le fait de penser que les mains qui la réconfortaient étaient les mêmes que celles qui l’avaient châtiée. Tout au besoin qu’elle ressentait de la présence de Mathieu, cela lui semblait pourtant curieusement naturel. En cet instant, il était tout pour elle et elle n’avait besoin de rien savoir d’autre.

L’initiation de Claire – saison 1 (3)

Lentement, le sexe de Mathieu l’envahit, ce dernier poussant des reins jusqu’à parvenir aussi loin qu’il le pouvait. En le sentant cogner contre l’arrière de sa gorge, elle serra les poings contre ses cuisses, les mains cependant proches de plonger vers son entrejambe tant elle sentit son bas-ventre se crisper. Le soupir de contentement que poussa Mathieu l’échauffa dangereusement. Bien qu’elle en fût tentée, elle se garda de toucher le corps se dressant devant elle, ne voulant pas risquer de l’entraver dans ses mouvements. Qu’il prenne sa bouche l’excitait. En percevant une légère vibration contre le mur où elle était adossée, elle ouvrit les yeux pour se rendre compte que Mathieu venait d’y poser le front, les paupières étroitement fermées dans une expression de plaisir. Puis, son membre se retira, doucement, parvenant presque à la sortie de ses lèvres avant de retourner s’enfoncer en elle, y pénétrant assez profondément pour toucher de nouveau le fond de l’espace qu’elle lui offrait. Un autre souffle de plaisir émana de Mathieu. Malgré la gêne, malgré la sensation massive, malgré la conscience, bien que lointaine, des autres présences autour d’elle, elle eut envie de glisser la main sur sa poitrine, le long de son ventre… entre ses jambes ; curieusement. Elle pencha le visage de côté pour percevoir différemment, contre son palais et l’intérieur de ses joues, le frottement qui se mit en place. Ça lui avait toujours plu de sentir un sexe dans sa bouche, la caresse sur ses lèvres, les mouvements de va-et-vient, la douce sensation d’envahissement… C’était excitant et érotique, autant par la stimulation ressentie que par tout ce que cet acte suscitait dans son esprit.

Des mouvements suivirent, longs et incroyablement lents. Claire accepta, supporta, aima la façon dont Mathieu utilisa sa bouche, son corps s’en échauffant impitoyablement.

Soudain, une main se posa sur le côté de son crâne, dans un contact dont la douceur la surprit. La caresse inconsciente trancha totalement avec l’attitude dominatrice qu’avait eue Mathieu jusque-là, ses déhanchements se faisant cependant plus vifs alors que le plaisir grimpait en lui. Le contraste se révélait incroyable. Le trouble, le fait d’être à ce point offerte cumulé à la sensation à l’intérieur de sa bouche… Tout faisait s’enflammer son corps. Les soupirs de Mathieu se firent plus audibles, les mouvements de bassin plus saccadés, plus rapides. Elle avait envie qu’il poursuive ce qu’il faisait, qu’il prenne encore son plaisir à l’intérieur d’elle et qu’il jouisse tout au fond de sa gorge. Les paupières closes, elle appuya le visage contre la main chaude posée sur elle. Les doigts masculins se resserrèrent sur ses cheveux. Elle attendit de sentir la substance tiède l’envahir. Puis, d’un coup, la décharge arriva. Un gémissement léger lui succéda, presque inaudible si elle n’en avait pas été aussi proche. Mathieu crispa la main tandis qu’il se mouvait encore, en des gestes plus hachés, plus imprécis, finissant de drainer son orgasme. Claire déglutit tant qu’il le fallut, attendant patiemment qu’il daigne ressortir de ses lèvres.

Lorsque celui-ci s’immobilisa, elle leva les yeux. Le front de Mathieu reposait contre le mur, ses mèches claires tombant vers le sol alors que son regard fatigué par la force de la jouissance se baissait sur elle.

L’image qu’elle lui offrait, le regard fasciné et les lèvres ouvertes autour de sa verge, eut l’air de l’exciter encore un peu plus. Puis il ferma les paupières.

Son membre mollissant glissa hors de la bouche de Claire, et un ordre lui parvint aux oreilles :

– Ne t’essuie pas.

Elle suspendit son geste, les yeux écarquillés d’incompréhension. Elle sentit le liquide blanc qu’elle n’avait pas entièrement avalé humidifier la commissure de ses lèvres. Même s’il peinait à reprendre son souffle, Mathieu s’était déjà détourné d’elle pour refermer son pantalon. Elle parcourut la pièce du regard, surprise de ne pas se sentir tant gênée en redécouvrant les autres membres. Hormis la femme agenouillée, tous observaient Mathieu avec une désapprobation manifeste.

– Je sais ! coupa-t-il, l’air énervé.

L’instant suivant, il attrapait son carnet noir, n’en feuilletant les pages que plus vivement qu’il ne l’avait fait auparavant. Un crayon qui traînait par là finit entre ses mains.

– Merde, fut tout ce qu’il marmonna alors qu’il barrait d’un grand trait tous les noms qui y figuraient, déchirant le papier tant son geste avait été brusque.

Isabelle fit un pas vers lui.

– Tu ne peux pas !

– Si ! Trouve-leur quelqu’un d’autre !

– Mathieu !

Le cahier atterrit sur la table, y glissant avant de finir son trajet par terre. Perdue, Claire vit Mathieu lui tendre la main, le regard encore hésitant et pourtant doux en se posant sur elle.

Si la façon dont il l’aida à se relever fut vive, il ne la retint ensuite contre son torse qu’avec une attention déconcertante. Puis, lentement, il s’approcha de son visage, humant la peau de son cou et de ses joues, avant de pencher soudain la tête de côté et de nettoyer d’un coup de langue le rebord de ses lèvres. L’ébauche de baiser étourdit légèrement Claire. Les doigts qui enlacèrent ensuite étroitement les siens achevèrent de la troubler. Elle y resserra la main dans un réflexe.

– Viens, murmura Mathieu dans une expression pleine de promesses.

Elle se laissa entraîner hors de la pièce.

Le couloir qui suivait défila rapidement, marqué seulement du son de leurs pas. Au bout d’un moment, Mathieu s’arrêta devant une porte éloignée. Toutes celles qui étaient ici se ressemblaient. Il fouilla dans ses poches. L’endroit était totalement désert et seul le son du trousseau qu’il extirpa brisa le silence. Le sourire que Mathieu lui adressa alors fut aussi radieux que ceux qu’elle lui avait parfois déjà vus. La différence entre cette attitude et celle froide et dominatrice qu’elle avait découverte auparavant la frappa de nouveau.

Elle se laissa accompagner à l’intérieur de la salle. La lourde porte claqua, résonnant longtemps derrière eux.

Le trousseau atterrit sur un meuble disposé contre le mur. Elle observa la pièce tandis que Mathieu soupirait, passant les doigts d’un air las sur son front.

En se tournant pour regarder son visage, elle se rendit compte que le changement s’était de nouveau opéré dans l’autre sens. Malgré le trouble qu’il affichait, il se dégageait de lui la même assurance froide que lorsqu’il l’avait provoquée : celle d’un homme qui savait parfaitement ce qu’il était en train de faire.

Ainsi, elle sut que la session qu’elle avait demandée était sur le point de commencer.

Troisième partie

Troisième partie

– Tu as un safeword ? demanda Mathieu.

Claire eut l’air perdue.

– Non. Bien sûr, poursuivit-il en se frottant les paupières.

Elle le vit se diriger vers un placard. Elle observa le mobilier de la salle, pour beaucoup identique à la chambre aux chaînes suspendues au plafond qu’elle avait vue précédemment, bien que l’atmosphère y soit plus intime. Le métal et le bois dominaient, à l’exception du cuir rouge de quelques meubles et du rideau de voile isolant un large lit tout au fond de la pièce.

– Tu connais le code des couleurs ? reprit-il.

– Non.

– Tu ne connais rien, en fait ?

– Oui.

– Qu’est-ce que tu fais ici alors ?

Comme il s’était tourné vers elle avec une expression d’incompréhension, elle prit quelques secondes pour lui répondre. Elle se décolla du mur où elle avait pris appui et déambula dans la salle. Son regard se porta sur une chaîne pendue un peu plus loin.

– Je veux connaître.

Il eut un sourire. Un son métallique plana tandis que la chaîne qu’elle venait de toucher oscillait lentement.

– Vert, pour ta zone de confort. Ensuite orange, puis rouge si c’est trop pour toi. Quand on te pose la question, tu dis dans quelle zone tu te sens.

Elle prit le temps d’assimiler ces informations. Elle hocha la tête.

– On considère que l’orange est la bonne zone, poursuivit-il avec un sourire plein de sous-entendus.

Après un regard vers lui, elle acquiesça de nouveau. Ni dans sa zone de confort, ni au-dessus de ce qu’elle était prête à tolérer, donc. Elle essaya d’intégrer ce que cette notion impliquait, tandis qu’elle poursuivait sa découverte de la pièce.

Du plafond au sol, plusieurs anneaux étaient fixés. Elle commençait à mieux comprendre ce qui se pratiquait ici. Le banc haut, identique à celui qui l’avait intriguée lors de son exploration de l’étage, l’attira. Elle en examina l’agencement, ainsi que les boutons métalliques qui retenaient l’assise de cuir beige au socle de bois. Puis, elle se pencha en avant de manière à y appuyer le buste et en éprouver le confort.

– Le cheval-d’arçons t’intéresse ? remarqua Mathieu avec un certain amusement.

Suavement, dans une provocation volontaire, elle y grimpa de manière à s’y allonger. Ses genoux et ses coudes trouvèrent place sur les petits appuis situés en dessous de l’assise, ses cheveux noirs retombant sur la matière fraîche où reposait sa joue. Elle tourna la tête vers lui. Il contemplait sa chute de reins et la courbe de ses fesses, si accessibles dans une telle position.

– Tu aimes cette position ?

– Oui.

– Tant que ça ?

Elle eut un moment de réflexion, faisant de nouveau glisser la peau de son visage contre le cuir.

– Je crois que j’ai toujours eu des tendances de soumise.

Puis elle ajouta, sans bouger de sa posture lascive :

– Même si j’ai encore un peu de mal à voir clair dans tout ça.

Mathieu s’interrompit dans ses préparatifs pour se tourner vers elle. Elle s’interdit de regarder les objets qu’il avait commencé à réunir.

– C’est donc quelque chose que tu as remarqué récemment.

– Oui. Enfin, ça ne fait pas bien longtemps que j’y pense sérieusement mais, en réalité, c’est plus ancien. Du moins, je crois. Je ne sais pas.

– Et tu as ?

– Vingt-trois ans.

– Comme moi.

À ce point de la conversation, elle songea que la séance n’était pas encore commencée. Ils en étaient à faire connaissance, à se découvrir.

– Tu es venue seule ?

– Oui.

– Pas de compagnon ou d’amant ?

– Non. Plus, ou pas de façon sérieuse. Je ne suis pas quelqu’un d’« aimable », de toute façon, ajouta-t-elle avec une indifférence feinte.

Elle regretta aussitôt de s’être laissée aller ainsi à la confidence. L’amertume lui était remontée à la gorge. Consciencieusement, elle repoussa cette dernière, puis elle le scruta pour essayer de deviner ce qu’il pensait. En vain. Elle se permit alors de lui poser une question.

– Ça fait longtemps que tu pratiques ce genre de choses ?

Il leva les yeux au plafond, prenant le temps de réfléchir.

– J’ai eu quelques expériences de ce type, quand j’avais 18 ans. C’est jeune, ajouta-t-il en riant à moitié. Mais ça ne fait qu’un an que je le fais plus régulièrement.

– En tant que dominateur.

– En tant que switch.

Elle écarquilla les yeux.

– Ça existe ?

– Bien sûr.

Les traits de Mathieu s’étaient adoucis.

– Pour être sincère, je suis essentiellement dominateur, mais j’aime les deux. C’est différent. L’avantage de pratiquer les deux, c’est de pouvoir facilement se mettre à la place de l’autre, suivant ce que l’on fait, d’anticiper ses réactions… Un bon dominateur devrait d’ailleurs toujours savoir se soumettre. Mais avec toi, ce sera dom’.

Malgré le calme de la conversation et le ton tranquille, elle se sentit soudain gênée. La façon dont le regard de Mathieu s’était assombri était flagrante. Elle se releva du cheval-d’arçons. Il lui semblait avoir commis une faute en s’y étant étendue d’elle-même.

– Déshabille-toi, ordonna-t-il.

Alors, elle obéit. Si aisément. Il lui fut étonnant de constater à quel point elle était prête, désormais, à se remettre entre ses mains, combien elle désirait même lui faire confiance. Du moment où ils s’étaient retrouvés seuls tous les deux, l’atmosphère avait changé. La tension qui avait régné entre eux dans la salle précédente s’était dissipée, laissant plus d’amplitude à la curiosité mutuelle qui était née dès leur rencontre. Elle voulait lui montrer qu’il avait eu raison de la prendre avec lui, qu’elle serait capable de se plier à ses ordres et qu’il n’aurait, à aucun moment, à regretter son choix.

Lentement, ses mains naviguèrent sur le devant de son chemisier, en défaisant les boutons. Elle fit descendre le vêtement de ses épaules, éprouvant la sensation de fraîcheur sur sa peau. Comme elle ne savait pas où le déposer, elle leva les yeux sur Mathieu, et vit qu’il la contemplait avec un intérêt non dissimulé. D’un mouvement de tête, il lui indiqua un meuble bas situé dans un coin. Son chemisier se plissa sur le bois sombre ; sa jupe suivit. Lorsqu’elle fut sur le point de retirer les bas fixés à ses cuisses, un geste l’interrompit : Mathieu avançait d’un pas décidé vers elle. Il détailla le corset court qu’elle portait. Puis, il lissa le rebord fin du tissu recouvrant sa poitrine et glissa son doigt dessous pour en extirper chacun de ses seins, la faisant frémir sous ce contact. Il recula ensuite pour contempler son œuvre, la laissant à demi dénudée dans la trop grande pièce, son corps exposé à l’air comme au regard posé sur elle. Jamais, pourtant, elle ne s’était sentie autant désirable, auparavant. Lorsqu’elle planta le regard dans celui de Mathieu, elle ne fit rien pour lui cacher ce qu’elle éprouvait. Qu’il voie en elle sa volonté et, en même temps, sa fragilité. Qu’il sache qu’elle était prête à s’ouvrir entièrement à lui.

Il resta immobile, la détaillant sans la moindre gêne et, en même temps, avec une pointe d’amusement. La situation semblait particulièrement lui plaire. Il se dirigea ensuite vers un large fauteuil. Ses doigts se posèrent sur les accoudoirs, son corps s’enfonçant dans le cuir mou dont le rouge vif tranchait avec le noir de ses vêtements. Enfin, il lui fit signe d’approcher. Sa voix grave s’éleva quand elle parvint à quelques pas de lui.

– À terre. Jambes écartées. Bras en arrière.

Elle se figea de surprise. Elle tâcha de rester le regard fixé dans celui de Mathieu. Lentement, et comme son cœur battait fortement dans sa poitrine, ses genoux se plièrent. Ses cuisses s’éloignèrent l’une de l’autre. En prenant appui de ses mains derrière elle, elle se rendit compte qu’elle se retrouvait dans une position précaire, son corps se cambrant, sa poitrine tendue et sa respiration faisant monter et redescendre ses mamelons durcis par le froid et l’excitation.

– Préférences ? l’interrogea-t-il, la tête appuyée sur son poing dans une mimique appréciatrice.

Puis il précisa :

– Je n’ai pas eu le temps de lire ta fiche.

Elle refusa de le laisser voir à quel point la situation la perturbait. Après un instant de réflexion, elle tenta :

– Plaisir ?

– Tout n’est que plaisir ici, coupa-t-il avec un rire bref. Tu devrais le savoir. Sexe ?

– Oui.

Le regard de Mathieu s’adoucit.

– Liens, bâillon, bandeau ?

Elle prit une seconde pour répondre. Elle observa le corps du jeune homme assis devant elle et la façon dont ses mèches blondes traversaient l’encre de ses yeux.

– Pas de bandeau.

Puis, après un court instant, elle ajouta :

– Pas de masque non plus.

Il écarta les mains pour lui rappeler qu’il n’avait pas le sien avec lui.

– Tu ne crains ni de te faire attacher, ni de te faire bâillonner ?

Elle aurait voulu éviter de répondre à cette question. Néanmoins, l’attitude autoritaire de Mathieu la convainquit de ne pas persister dans cette voie.

– Il en faut plus pour me faire peur.

Ce n’était pourtant que fanfaronnade. Si elle avait été sincère, elle aurait reconnu que l’idée l’effrayait. Si elle avait été totalement honnête avec elle-même, elle aurait avoué qu’elle l’excitait.

– Pas de marques persistantes, reprit-il. Pas de trucs crades. Rien de trop poussé pour toi puisque c’est la première fois. Si tu sens que ça ne va plus, tu dis « rouge ». À n’importe quel moment. Quoi que l’on fasse. Si je te pose la question sur les couleurs, tu ne me mens pas. Si tu es bâillonnée, je te donnerai quelque chose pour que tu puisses t’exprimer.

Puis il baissa le visage dans une expression plus sombre, empreinte d’une forme de goguenardise.

– Maintenant, il ne t’est plus permis de bouger.

Et le sourire qui se dessina à cet instant sur les lèvres de Mathieu fut autant séduisant que, d’une certaine manière, effrayant.

***

Claire resta coite. L’appréhension, l’inquiétude, la curiosité de savoir ce qu’il se passerait ensuite… Tout faisait battre son cœur, provoquant en elle un émoi inhabituel. Elle le regarda se lever et se diriger vers le meuble proche où il avait réuni son matériel. En le voyant revenir avec une paire de ciseaux, elle eut un moment d’angoisse. Une respiration ample souleva sa poitrine.

– Calme, souffla-t-il en se penchant à son oreille.

Puis il s’agenouilla lentement devant elle. Avec précaution, il réajusta l’emplacement de son corset, le descendant légèrement de manière à ce que le tissu qui avait voilé peu avant sa poitrine ne risque pas de remonter. Il se saisit ensuite de sa culotte pour la tirer et y pratiquer, avec prudence, une fente en son milieu, tandis qu’elle se raidissait avec inquiétude. Puis il se leva pour éloigner la paire de ciseaux. Elle soupira. Quoi qu’il se passe désormais, elle devrait rester avec ce sous-vêtement découpé le restant de la soirée…

Il revint se positionner devant elle, lui adressant un petit sourire en coin, tout en faisant dériver ses doigts sur la courbe de sa gorge, l’arrondi de sa poitrine, le relief de l’un de ses tétons… Puis il descendit progressivement jusqu’à glisser lentement la main au niveau de l’espace humide du bas de son corps. De surprise, elle lâcha un infime son de la gorge et faillit bouger mais s’évertua aussitôt à maintenir la position dans laquelle il lui avait dit de rester. Elle le fixa ensuite, son visage si proche du sien, dans l’attente et la curiosité. Puis, en sentant son index et son majeur s’enfoncer brusquement en elle, elle ferma les paupières. Bien que son sexe soit déjà lubrifié, le geste avait été soudain et la tension forte.

– Garde les yeux ouverts.

Elle obéit, déglutissant en fixant les traits de Mathieu à quelques centimètres seulement de son visage, son regard l’embrasant.

Lorsqu’il ressortit ses doigts pour les faire lentement remonter jusqu’à son grain de chair érigé, elle se mordit la lèvre, fermant de nouveau les yeux sous l’afflux soudain de plaisir, avant de les rouvrir aussitôt, consciente de son erreur. L’ordre se révélait plus difficile à respecter qu’il ne l’avait paru. Étonnamment, son corps se montrait excessivement réceptif, plus qu’il ne l’aurait dû aux prémices de ses caresses. Bien qu’il n’ait encore qu’effleuré son clitoris en quelques mouvements glissants, elle sentait déjà ses cuisses se contracter, son bassin se relever et une boule de chaleur se former dans son bas-ventre. Curieusement, qu’il la touche ainsi lui paraissait pourtant plus anormal que s’il s’était servi de son corps pour son propre plaisir ou que s’il lui avait administré des coups. Il lui semblait qu’il n’avait pas à la caresser, qu’elle aurait dû être celle lui procurant ce type de soins, qu’elle n’était pas à sa place. La totale passivité qu’il avait exigée d’elle ne lui permettait, de plus, aucune porte de sortie. Si elle restait seule à éprouver du plaisir, elle manquait à son rôle et, si elle essayait d’inverser la situation, ce ne pourrait être qu’en fautant gravement puisqu’elle ne respecterait alors pas la consigne qu’il lui avait donnée. À l’arrivée, la situation la perturbait autant que, bien malgré elle, l’excitait. Elle ne s’était pas attendue à un tel acte. Il aurait tant été aisé pour elle de jouer à refuser les gestes de Mathieu, de faire semblant d’être forcée et, plus encore, ne pas avoir à se rendre compte combien chacune de ses paroles et chacun de ses gestes l’affolaient.

Le visage penché, ses mèches blondes masquant en partie la noirceur de son regard, celui-ci semblait se délecter de la vision cruellement érotique qu’elle lui offrait.

Gênée, elle détourna le menton. Il le ramena aussitôt face à lui en le saisissant fermement.

Elle commençait à percevoir ce qu’induisait cet état de soumission. Quoi qu’elle espère, elle ne pouvait pas avoir la maîtrise de ce qu’il se passait, quelle que soit la force avec laquelle elle aurait voulu se convaincre du contraire. Quant au regard posé sur elle, il l’enflammait. Les gestes de Mathieu se firent plus précis. La chaleur enfla entre ses cuisses, et elle ouvrit la bouche plus largement. Les mouvements au niveau de son sexe devinrent plus appuyés. Bien que la gêne restât présente, elle ne pouvait plus le quitter des yeux. Elle sentait encore le goût du liquide âpre avalé au fond de sa gorge, avait toujours l’impression de percevoir la masse qui s’était déplacée contre son palais. Que Mathieu use ainsi de sa bouche l’avait considérablement excitée, l’envie de se toucher qu’elle en avait ressentie la laissant plus sensible qu’elle ne l’avait cru. Au fond d’elle, elle songea à la manière dont ses larges mains pourraient se saisir de ses hanches, la courber, quelle sensation lui procurerait son épais membre en s’enfonçant à l’intérieur de son corps. Qu’il la prenne. Qu’il l’ouvre. Qu’il entre en elle. Elle en avait tellement envie…

Sa tête se renversa en arrière et elle dut lutter pour ne pas fermer les paupières ; ses yeux s’humidifièrent ; sa nuque commença à se raidir tant elle s’arquait. Petit à petit, elle se mit à trembler. La chaleur en elle s’intensifia, quelques contractions s’opérant au niveau de son bas-ventre. Inconsciemment, elle écarta plus largement les cuisses, lui offrant l’entier spectacle de l’émoi de son corps. De discrets gémissements commencèrent à s’évader de sa bouche. Les premiers signes annonciateurs de l’orgasme se firent plus présents, la sensation d’une boule de pur plaisir se constituant dans son ventre, montant… montant irrépressiblement…

Puis, au moment où elle fermait les yeux dans l’arrivée de la jouissance, tout s’arrêta. La présence de Mathieu s’évanouit. Son corps partit presque imperceptiblement en avant comme s’il avait voulu maintenir son contact. Elle rouvrit les paupières aussitôt, s’attendant à ce qu’il reprenne ce qu’il faisait, mais qu’il soit déjà en train de se relever la laissa perdue. Oh non, elle n’avait pas compris avant en quoi constituerait réellement cette session et elle se sentit faible, soudain. Ses muscles étaient encore en train de se raidir, ses cuisses se contractant, tout son être s’élevant en protestation contre cet arrêt inopiné. Son regard se chargea de désarroi. Pas un instant, elle ne rompit cependant la position de soumission dans laquelle son dominateur lui avait dit de rester.

– Bien, commenta-t-il.

Elle ne perçut même pas le ton de félicitation, toute à la souffrance de cet orgasme que son corps ne voulait pas laisser refluer. Elle se sentait bouleversée.

Lentement, douloureusement, ses nerfs attisés finirent par se calmer, la laissant excessivement sensible. Pourtant, la satisfaction d’avoir été capable de supporter ce qu’il venait de lui infliger, de l’accepter, de le subir et d’être encore là, présente et forte, ne viendrait pas encore.

– Lève-toi maintenant.

Elle prit appui sur le sol de ses mains, évitant de le regarder, tant elle était encore confuse. À cause de la position dans laquelle elle s’était tenue et des prémices de l’orgasme, ses jambes étaient devenues faibles, elle ne se sentait qu’à peine la force de s’y hisser. Progressivement, en des gestes mesurés, elle se mit debout, tâchant de trouver son équilibre.

Quelque part en elle, Claire ressentit le besoin d’être réconfortée, rassurée par rapport à cette session qui était en train de se dérouler et qu’elle avait pourtant voulue. Le corps solide qu’elle sentit soudainement contre son buste lui donna envie de s’y appuyer. Lorsqu’il posa les mains sur sa taille, elle se laissa aller entièrement à son contact, à cette présence autant rassurante qu’elle pouvait être grisante.

L’initiation de Claire – saison 1 (2)

Deuxième partie

Claire jeta un coup d’œil autour d’elle. Peu d’autres personnes s’étaient aventurées dans cette partie de la cour et aucune n’avait prêté attention aux agissements du trio. Doucement, elle déambula le long de la piscine, tout en scrutant le lieu où les trois jeunes gens avaient disparu. En s’en approchant, elle constata que, si elle n’avait pas été en train de les observer au moment où ils y étaient entrés, elle aurait sûrement ignoré l’existence de ce passage. Il aurait fallu qu’elle traverse la cour extérieure, et encore, il était si bien dissimulé dans un coin d’ombre qu’on ne pouvait guère le repérer qu’une fois parvenu à ses pieds. Là, une faible lumière, jaune pâle, en éclairait la voie. En haut se dressait une porte noire sans aucune inscription de derrière laquelle émanait une musique assourdie, à la rythmique sensuelle.

Claire resta, un moment, immobile.

Puis elle gravit les marches, les doigts glissant sur la pierre sèche au fur et à mesure de son avancée. Son pouls battait de curiosité et d’appréhension.

Derrière la porte, un couloir exigu lui apparut, éclairé de façon intermittente par la blancheur hypnotique de stroboscopes. Des hommes et des femmes s’appuyaient le long de ses murs, certains se parlant à l’oreille, d’autres s’embrassant avidement. Claire se rendit compte qu’elle devrait les frôler si elle voulait progresser. Les basses du morceau diffusé se répercutaient dans sa poitrine, les stroboscopes lui faisant apparaître les images fugaces de lèvres les unes contre les autres, du galbe d’une jambe dénudée, d’un visage enfoui dans la courbure d’un cou et des ondulations, troublantes, de hanches masculines entre deux cuisses relevées. Si l’atmosphère précédente avait été empreinte de sensualité, celle-ci s’avérait clairement sexuelle.

Lentement, elle se glissa entre les corps lui faisant face, les regards se posant sur elle et les souffles éraillés effleurant sa peau tandis qu’elle les dépassait. Lorsqu’une main se glissa entre ses jambes, elle se retourna pour reculer d’un pas, ne sachant comment réagir. Puis elle poursuivit son chemin.

Plus elle s’enfonçait à l’intérieur du mas, plus la décoration changeait. Plus sombre. Plus sexuelle. Des ouvertures sans porte donnaient sur différentes pièces où de grands lits trônaient, occupés pour la plupart. Certaines chambres possédaient de grands écrans vidéo, d’autres des miroirs sur chacun de leurs murs… une, des chaînes terminées par des bracelets pendant au plafond. Curieuse, elle pénétra dans cette dernière. Celle-ci ne comportait aucun lit mais était meublée, en son centre, par un banc sans dossier sur lequel elle devina que l’on pouvait s’allonger. Le meuble était suffisamment haut pour que le corps de la personne étendue soit au niveau du bassin de celle restant debout ; une assise rembourrée, qui semblait confortable, le recouvrait et de petits appuis, situés plus bas en ses quatre coins, permettaient d’y poser les genoux et les coudes. À côté se dressait une grande croix de saint André, anneaux et lanières fixés à ses extrémités. Ailleurs, une sorte de hamac de cuir était suspendu au plafond par des chaînes. De grands placards, fermés seulement par des grilles, laissaient apercevoir des objets qui attiraient son regard. Elle voulut approcher, mais un bruit sec retint son attention. Il s’agissait d’un son provenant d’une pièce attenante. Le gémissement étouffé qui suivit l’interloqua.

Avançant encore un peu plus, elle découvrit une salle où, derrière une ligne de barreaux, des êtres aux poignets ligotés au mur étaient en train de se faire fouetter, certains très doucement, d’autres plus fort. Quelques personnes regardaient tranquillement, murmurant parfois à l’oreille des uns et des autres. L’aspect de la scène lui donna l’impression d’un spectacle.

Un moment, elle resta, elle aussi, appuyée aux barreaux à observer ce qu’il se passait, étonnée de s’en laisser tant captiver. Elle n’avait jamais vu quoi que ce soit de tel. Ceux maniant les lanières de cuir portaient tous un masque, hommes et femmes. Ceux soumis l’étaient jusqu’au regard des autres. Une curieuse alchimie s’opérait cependant entre ces derniers et leurs dominateurs, donnant à Claire l’impression qu’aucun d’eux n’était là pour le public mais, au contraire, qu’en les observant ainsi, c’était elle-même qui attisait leur jeu. Soudain, un gémissement plus fort lui fit tourner la tête, quelque peu effrayée. La façon dont le responsable s’approcha alors de celui qui venait de crier l’étonna, sa main caressant son dos légèrement strié avant de passer tendrement dans ses cheveux pour lui tourner le visage… L’expression de plaisir mêlé de reconnaissance de ce dernier alors qu’il atteignait soudain l’orgasme la perturba violemment. Gênée, elle se détourna de ce spectacle qu’elle ne comprenait pas.

Tandis qu’elle repartait, songeuse, elle se rendit compte que la durée pendant laquelle elle était restée à observer cette scène lui échappait. Elle ne savait même pas depuis quand elle déambulait dans cette partie du bâtiment. Elle avait l’impression de s’être laissé emporter par l’atmosphère des lieux au point d’en perdre la notion du temps. Un rire la sortit alors de ses pensées. En relevant le visage, elle découvrit, sortant d’une pièce devant laquelle s’amassait un certain nombre de personnes, la femme qu’elle avait observée plus tôt. Quand celle-ci tourna la tête, sa chevelure rousse fendit l’air, puis sa main se leva pour placer devant ses yeux un masque identique à ceux que Claire avait remarqués auparavant.

Elle s’immobilisa, sa respiration s’accélérant. Un coup d’œil rapide aux êtres rassemblés dans cette partie du couloir lui fit repérer le jeune homme à la démarche nonchalante. Le cœur battant, elle jeta un œil dans la salle proche. Si elle y découvrit un nombre plus important encore de personnes conversant à voix basse, comme s’ils venaient eux aussi d’assister à une scène et échangeaient leurs impressions à ce sujet, le troisième homme, celui qu’elle avait vu avec le masque, n’y figurait pas… ou plus ; elle l’ignorait. Elle tâcha de recouvrer ses esprits, surprise de se sentir autant troublée par ce petit événement.

À peine eut-elle reculé qu’une voix l’interpella. Décontenancée, elle considéra la femme à la tenue de cuir rouge qui se tenait à quelques mètres d’elle, l’allure clairement dominatrice. Plus loin, elle reconnut le serveur du bar avec lequel elle avait brièvement conversé, venu la désigner depuis la dernière marche d’un escalier dérobé.

Claire cligna des paupières. La femme la détailla des pieds à la tête, avant d’élever la voix :

– Vous avez demandé une session au donjon. Suivez-moi.

Il fallut quelques secondes à Claire pour réagir. Le serveur était déjà en train de redescendre. La femme portait, elle aussi, un masque vénitien. Lorsque celle-ci tourna les talons, Claire la regarda repartir dans le couloir, troublée par ce qui était désormais une certitude : l’homme qu’elle avait aperçu au bord de la piscine devait, lui aussi, être un dominateur de l’établissement. Puis, elle lui emboîta le pas, son regard partant dans chaque salle qu’elles croisèrent tandis qu’elle se demandait vers quoi exactement elle se dirigeait. Et ce qu’elle cherchait, aussi. Ce qu’elle cherchait, tout au fond d’elle.

Dans aucune de ces salles, elle ne vit l’homme au masque.

Au bout du couloir, un lourd rideau bordeaux marquait la transition vers un lieu interdit aux autres clients. Lorsque la dominatrice le retint pour inviter Claire à la suivre, celle-ci tâcha de ne pas montrer son appréhension. Derrière, un petit vestibule à peine éclairé lui apparut, précédant plusieurs portes, toutes noires et sans inscription. Les murs, ici, se dressaient vides d’une quelconque décoration. Un geste l’invita à ouvrir l’une des portes. Malgré sa gêne, Claire y posa la main, poussant lentement.

Le premier visage qui lui apparut fut celui de la jeune femme aux cheveux roux qu’elle avait aperçue auparavant. Elle était hissée sur un tabouret haut, et ses jambes croisées laissaient visible la couture de ses bas. Elle tenait plusieurs feuilles de papier entre les doigts. Son masque était posé sur une tablette derrière elle.

– Clara ?

– Oui, répondit Claire, puisqu’il s’agissait du pseudo qu’elle s’était choisi.

Son attention fut aussitôt attirée par la femme nue qui était agenouillée plus loin, la tête basse et un harnais en cuir ceinturant sa poitrine. Un homme, affalé dans un fauteuil, les pieds sur une table où traînaient des verres vides et un tas de documents, tenait une cravache. De temps en temps, il jetait un œil à la femme, immobile, à ses côtés. En se rendant compte que les fesses de cette dernière étaient marquées de zébrures rouges, Claire se sentit perdue, comme distancée par ce qu’elle découvrait.

– Préférence : homme, cita la femme assise sur le tabouret.

Claire dut expirer profondément pour reprendre ses esprits. Elle observa celle qui venait de prendre la parole, découvrant que ce qu’elle tenait à la main était le questionnaire qu’elle avait rempli en arrivant, et qu’elle était en train de le lire.

– Olivier est occupé pour l’instant, enchaîna-t-elle.

Claire hocha la tête, l’esprit embrumé. Son regard repartit vers la soumise dont les yeux ne quittaient pas le sol. Même si l’homme assis dans le fauteuil ne lui adressait presque aucun regard, il était évident que toute son attention était focalisée sur la femme agenouillée auprès de lui.

– On peut avoir une session toutes les trois, Isabelle et moi, indiqua la dominatrice à la tenue de cuir rouge.

Puis elle précisa :

– Sans caractère sexuel. On manque de membres masculins ce soir. Ou tu peux attendre qu’un autre dom’ soit libre. Cain devrait bientôt être là.

Ce nom fit tiquer Claire. Elle se sentait mal à l’aise. Si, à l’origine, elle n’avait considéré cette session que comme une éventualité, certes inquiétante, mais à l’attrait de laquelle elle n’avait pas eu envie de résister, elle se rendait désormais compte à quel point elle avait présumé de sa propre audace. Le contraste entre ses fantasmes et la réalité était, de plus, flagrant. Elle ne savait plus si elle serait capable d’affronter un tel univers, si elle serait même prête à en faire l’essai.

Perturbée, elle ne vit s’ouvrir la porte située de l’autre côté de la salle que dans un brouillard cérébral. Le jeune homme qui pénétra à son tour dans la pièce, le masque à la main et un large sourire sur le visage, ne fit qu’embrouiller un peu plus ses repères. Un temps, la présence de la femme au sol, les marques sur ses fesses et l’attitude hautaine des deux dominatrices devinrent floues dans son esprit. Même le nouvel arrivant eut un temps d’hébétude, son sourire s’évaporant en découvrant Claire.

Du jeune homme qui venait d’entrer se dégageait un charme surprenant, captivant de bien des manières. Si la vision que Claire avait eue de lui, au bord de la piscine, avait suscité son intérêt, elle se sentait plus intriguée encore en le découvrant soudain devant elle. L’incroyable légèreté qu’il affichait tranchait avec l’image qu’elle avait d’un dominateur ; ses cheveux blonds en bataille lui donnaient un air de débauche et son sourire contrastait avec les expressions froides qui avaient accueilli Claire jusque-là. Quant à son attitude, elle était fraîche et espiègle, comme si tout ce qui se tramait en ces lieux reculés ne représentait, pour lui, qu’un jeu très distrayant. Seul l’aspect sombre de son regard rappelait qu’il n’avait certainement rien d’un simple garçon turbulent.

– Lui, c’est Mathieu, l’informa Isabelle. Et son planning est complet pour toute la soirée.

Claire accusa le coup. Durant quelques secondes, elle avait cru qu’il s’agissait du Cain qu’on lui avait annoncé. Perdue, elle tourna le visage vers la femme qui venait de lui parler, ne se rendant pas compte de la façon dont elle la dévisagea, faisant s’offusquer tous ceux qui l’entouraient, tant elle parut irrespectueuse. Seul ledit Mathieu, dont le regard était en train de descendre le long de la silhouette de Claire, en eut un sourire amusé.

Claire reporta son attention sur lui, tâchant de démêler les fils de son esprit.

Tant d’événements s’étaient succédé pour elle ces derniers temps : sa rupture avec Thomas, sa prise de conscience de la façon dont elle s’était laissé cloîtrer par cette relation, les propos du type lui ayant remis le flyer et la manière dont elle s’était laissé partager entre lui et un autre homme, comme s’il s’était agi de la place qu’elle devait occuper. Sa fascination pour la manière dont d’autres se faisaient attacher… De tous ces éléments, elle avait pu tirer une conclusion, une seule : elle ne se connaissait pas. Elle n’avait jamais été dénuée de caractère, stupide ou incapable de se révolter. Elle avait des convictions, des envies, et la façon dont elle gérait ses études, dans le cursus difficile qu’elle avait choisi, témoignait de la volonté dont elle pouvait faire preuve. Durant sa relation avec Thomas, elle s’était pourtant montrée tellement soumise… et elle n’avait guère agi différemment lors de sa dernière soirée. S’il y avait un élément, dans tout le trouble qu’elle avait ressenti depuis, qui pouvait encore avoir du sens, c’était qu’elle avait besoin de se trouver. Elle ne voulait plus laisser les autres décider de ce qui advenait d’elle, et certainement pas s’engager dans une session avec ces deux dominatrices dont l’attitude autoritaire la mettait mal à l’aise.

Inconsciemment, elle s’appuya contre le mur de pierre, scrutant le jeune homme aux cheveux clairs dans un temps de réflexion.

– Tout le monde veut toujours Mathieu, se moqua ensuite l’homme enfoncé dans le fauteuil.

– Pourquoi toujours, hein ? protesta celui-ci sur un ton de plaisanterie.

Puis il se pencha pour attraper un gros cahier noir posé sur la table. Claire le regarda s’adosser au mur et en feuilleter les pages d’un air blasé.

– Tu n’as pas rempli la partie « expériences », poursuivit Isabelle à l’intention de Claire. Tu en as déjà eu au moins ?

Mathieu releva la tête avec beaucoup d’intérêt. L’ombre séductrice, joueuse, qui s’alluma dans son regard mit Claire mal à l’aise. Elle appuya la joue sur la pierre du mur, à côté d’elle, en recherchant la fraîcheur et, d’une certaine façon, le soutien. Elle ne voulait pas se laisser écraser par ce groupe de dominateurs.

– Oui, mentit-elle finalement.

– Et en vrai ? enchaîna aussitôt Mathieu.

Un sourire amusé jouait au coin de ses lèvres.

La poitrine de Claire se souleva. Elle eut un instant d’hésitation.

– Non, corrigea-t-elle.

Si elle parvint à garder une voix froide, elle sentit cependant le creux de son ventre se contracter. L’expression de Mathieu, qu’elle aurait imaginée moqueuse, ne fut pourtant marquée que de plus de regrets. Il tourna les pages suivantes de son cahier avec tant de théâtralité, dans son dépit, qu’il aurait pu les arracher. L’homme enfoncé dans le fauteuil se mit à rire. Claire ne lâchait plus Mathieu des yeux.

Au bout d’un moment, celui-ci lança un regard interrogatif à sa collègue.

– Clara, lui indiqua-t-elle. Inscrite dans la soirée.

Il acquiesça pensivement, avant de retourner examiner son carnet. Puis, il releva le visage vers elle, comme gêné par son regard. Elle le fixait avec trop d’attention, témoignant de son attente d’un acte de sa part. Il eut un rire bref, nerveux.

– Je ne peux pas, finit-il par lâcher.

Claire ne comprit pas. Elle avait entendu ce qu’on lui avait expliqué mais son esprit embrouillé ne parvenait pas à l’intégrer. Elle avait vécu les années précédentes dans l’acceptation de tout ce que les hommes ayant partagé sa vie avaient voulu d’elle ; pourquoi fallait-il que, pour une fois qu’elle tâchait de décider elle-même de ce qui lui arrivait, ce lui soit refusé ? Nerveusement, elle passa les doigts sur les ailes de son nez, paupières fermées.

– Que faut-il que je fasse ? dit-elle finalement.

Cette question était tout ce qui lui était venu à l’esprit. Elle se sentait encore amère de ses déceptions passées, révoltée contre la vie qui se montrait si complaisante à l’enfoncer dans des situations qu’elle ne gérait pas, mais si rude lorsqu’elle tentait d’en maîtriser le cours.

– Et puis une première fois, ça ne se fait pas comme ça, poursuivit Mathieu comme s’il ne l’avait pas entendue mais, plus encore, comme s’il pouvait ainsi se convaincre. Il faut s’y préparer, prendre le temps de discuter et… il n’est pas conseillé du tout, de toute façon, de pratiquer tout ce qui est sexuel tout de suite et puis…

L’attention de Claire se porta particulièrement sur ces derniers mots, évoqués si soudainement, alors qu’elle n’avait fait aucune demande à ce sujet, et… comme à regret. Elle retrouva un semblant de contenance.

– Que faut-il que je fasse ? répéta-t-elle.

***

Mathieu eut un rire nerveux. Il referma brusquement son carnet qui claqua dans sa main. Il n’y avait rien de fréquent dans le fait de voir se présenter seule, comme Clara était en train de le faire, une novice, et encore moins une femme dont l’apparence attirante se combinait à une attitude aussi irrévérencieuse que la sienne. Tout en elle se trouvait aux antipodes du comportement que devrait avoir une soumise. Tout en elle semblait pourtant si prêt à y sombrer… L’idée d’être le premier à la mener parasitait ses pensées.

– T’inscrire à l’avance, soupira-t-il. Revenir une autre fois en prenant rendez-vous plusieurs jours avant.

– Je ne suis pas d’ici.

– Et alors ? Moi non plus.

Cette dernière remarque eut l’air de faire réagir la jeune femme. Comme si elle avait failli oublier que, sortis de ce lieu et de leurs artifices, les êtres qui l’entouraient n’étaient guère plus que ses semblables.

– Que faut-il que je fasse ? insista-t-elle de nouveau.

Agacé, Mathieu jeta son cahier sur la table. Sa tête se renversa en arrière, son regard partant au plafond. La jeune femme face à lui n’avait décidément rien de l’attitude qui convenait à une soumise. Pourtant, son comportement le séduisait plus qu’il n’avait envie de se l’avouer. Il avait toujours trop aimé le combat. Ses paupières se fermèrent, l’image nue de la jeune femme, entièrement offerte à son regard comme à sa volonté, s’y substituant.

Quand il reposa les yeux sur elle, une lueur plus sombre, joueuse, y avait pris place, emplie de défi.

– Montre-moi de quoi tu es capable.

***

Claire ne s’était pas attendue à ce tournant. La demande lui fit l’effet d’un choc. Quelque chose avait changé dans l’attitude du jeune homme, quelque chose qui n’avait plus rien à voir avec ses mimiques amusées. Désormais se trouvait en face d’elle un dominateur, autoritaire. Inflexible. Un petit sourire aux lèvres, il la dévisageait avec une provocation évidente. Elle se tourna vers les autres membres de la pièce. Tous observaient silencieusement leur échange, les visages fermés. La femme au sol ne bougeait toujours pas.

– Alors ? la relança Mathieu.

Elle se passa la main dans les cheveux, décontenancée. Le regard qu’elle adressa ensuite à Mathieu fut alors empli d’autant de certitudes, quant à ce qu’elle avait décidé de vivre, que de révolte. Elle savait ce qu’elle voulait. Elle ne pouvait cependant pas deviner elle-même comment agir. Dans un mouvement de bravade, elle se décolla du mur, puis avança jusqu’à un mètre de lui. Il ne bougea pas, se contenant de lui faire signe de s’approcher encore. Elle n’eut qu’une seconde d’hésitation. Lorsqu’elle parvint enfin à ses côtés, elle détourna le visage, penchant la tête vers son épaule en laissant la présence de cet homme électriser son cou.

– Tu ne sais pas, hein ? lui fit-il remarquer.

Son souffle survola la peau de Claire, celle-ci en ressentant l’obscure sensualité.

– Non, soupira-t-elle.

– Regarde la femme agenouillée au sol.

Elle obéit. Elle ne voyait qu’une situation choquante.

– Tu comprends ce qu’il se passe ?

– Non.

Et, dans l’aveu, elle releva les yeux vers Mathieu en une expression qui ne masquait rien du trouble que leur soudaine intimité lui provoquait. Elle le vit sourire. Il ne lui fit cependant aucune grâce, s’éloignant pour s’adosser nonchalamment contre le mur avant de la fixer de nouveau avec une provocation manifeste.

– Alors ?

Elle expira profondément. Si elle savait parfaitement ce qu’elle avait demandé en sollicitant cette session, elle n’était pas encore prête à ployer ainsi la nuque. Mathieu lui avait cependant lancé un défi et il était hors de question qu’elle le laisse continuer à la prendre pour une pauvre fille perdue dans un univers qu’elle était incapable d’assumer. Et ceci était aussi valable pour les autres qui l’entouraient, surtout les deux dominatrices dont l’attitude hautaine lui déplaisait.

Lorsque l’une d’entre elles interpella Mathieu pour lui demander d’abandonner, Claire l’interrompit d’un mouvement de main, le regard empli de détermination. Elle allait faire ce qui lui était demandé. Il n’était plus utile pour eux d’intervenir.

Lentement, elle franchit la distance la séparant de Mathieu, avant de s’arrêter un moment face à lui. Puis, elle s’agenouilla. Une fois au sol, elle posa les mains sur l’avant de ses cuisses et dirigea le regard vers le côté, son expression tel un mélange de provocation et de soumission, tandis que l’une de ses mèches brunes tombait le long de son visage. Plus personne n’éleva la voix à l’intérieur de la pièce.

D’une curieuse manière, le sentiment d’humiliation que Claire s’était attendue à ressentir ne survint pas, laissant la place à une fierté inhabituelle, pour ce qu’elle était en train d’accomplir, pour être capable de répondre à ce qui lui avait été demandé tout en ne s’écrasant pas. Se retrouver au centre de toute leur attention suscitait, de plus, un sentiment inhabituel en elle. La situation se révélait infiniment troublante. Tout lui restait cependant inconnu. Comment devait-elle se comporter ? Quelles étaient les règles ? Personne ne la guidait. Personne ne l’aidait dans ce domaine dont elle ignorait les lois.

Impitoyablement, le temps s’étira, aucun mot, aucune action ne venant la tirer de sa situation.

Au bout d’un moment, relever le regard devint une nécessité. Elle n’osa pas chercher celui de Mathieu, si haut au-dessus d’elle. Seulement, elle contempla ce qui lui faisait face, le corps de cet homme dont le bassin était si proche, désormais, juste devant son visage, et dont l’entrejambe se révélait légèrement gonflé. Elle en était si près. Durant quelques instants, elle songea à la manière dont elle devait agir, mais fut incapable de trier les fils emmêlés de son esprit. Alors, elle pensa à ce qu’elle-même voulait. Elle.

Progressivement, ses doigts se levèrent et elle se mit à défaire les premiers boutons du pantalon devant elle. Au moins s’agissait-il de quelque chose qu’elle maîtrisait, et puis elle en avait envie ; c’était tout ce à quoi elle pensait. À chaque instant, elle s’attendait à se faire repousser. « Pas de pratiques sexuelles », avaient-ils tous dit. Pas la première fois, en tout cas. Personne ne la retint cependant dans ses gestes. Personne ne l’encouragea non plus. Elle tâcha d’oublier les visages tournés vers elle.

Le sexe qu’elle extirpa du vêtement de cuir était déjà à demi levé. Sous son regard, il se durcit un peu plus. Claire le contempla un moment, surprise d’en découvrir la taille et l’épaisseur. Plus affolante encore lui parut la manière dont son propre corps s’en réchauffa.

Lentement, très lentement, elle approcha le visage, désireuse de percevoir la sensation de cette chair à l’intérieur de sa bouche. Elle passa la langue sur les bourses durcies. Le membre se contracta, provoquant en elle une décharge plus forte d’envie. Sa main se posa sur la cuisse juste à côté, s’accrochant à la matière du pantalon. Appuyé d’une main contre le mur et le visage baissé vers elle, Mathieu ne bougea pas. Elle remonta doucement le long de la chair tendue, léchant, la caressant de ses lèvres.

Alors que sa bouche glissait sur la peau douce du gland pour l’envelopper à peine, Mathieu posa la main à l’arrière de son crâne, lui faisant marquer un temps d’arrêt. La prise sur elle était à la fois douce et ferme. Il s’agissait de la première invitation à continuer qui lui était adressée. Elle ne regarda pas le visage au-dessus d’elle. Elle ouvrit simplement la bouche, plus largement, et y fit entrer profondément le sexe de Mathieu. Quand elle leva enfin le regard, elle vit le désir dans ses yeux, la curiosité, l’envie de savoir jusqu’où elle irait ayant succédé à la provocation. Le défi était encore là. Claire fit ressortir doucement son membre, s’accordant une seconde pour respirer plus lentement. Pas un instant, elle ne regretta son geste. Elle retourna faire glisser le long de son palais l’axe de chair qui l’attirait.

Alors qu’elle commençait à pratiquer quelques va-et-vient mesurés, une main se posa soudain sur son épaule. La façon brusque dont elle se fit repousser la surprit, la chair humide sortant de sa bouche tandis que son dos se retrouvait plaqué contre le mur. Abasourdie, elle ne put que cligner des yeux.

– Ce n’est pas comme ça qu’on s’y prend.

Le ton était autant dur qu’explicatif.

– Si tu le fais, fais-le bien.

Claire essaya de reprendre ses esprits. En redressant le visage vers celui de Mathieu, elle le découvrit avec la respiration accélérée et les yeux légèrement vitreux. Les doigts qui se saisirent de son épaule la firent se raidir, la laissant interdite.

Quand Mathieu se rapprocha pour positionner de nouveau son sexe devant ses lèvres, elle comprit cependant aussitôt. Son crâne s’appuya contre le mur derrière elle. Parce qu’elle n’avait pas l’habitude d’un tel membre, elle avait évité de le prendre trop profondément dans sa bouche. Ses paupières se fermèrent. Elle ouvrit la mâchoire. Elle attendit que la verge encore luisante de salive glisse à l’intérieur d’elle. Elle en avait envie. Bien malgré elle, elle se rendit compte de l’incroyable excitation que faisait naître en elle cette situation.