A un stade du plaisir

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : M/M, romance + érotique, rugby.

Résumé : Une rage folle. Voilà ce que ressent Josh depuis des jours, des mois même. Et pourtant, il devrait être aux anges : il a été sélectionné pour jouer dans l’équipe de France de rugby, son objectif depuis toujours, son rêve enfin à portée de main. Mais rien ne se passe comme il l’avait imaginé. Tout ça à cause de Damien Seval… Damien et ses cheveux retombant en boucles mouillées sur le front, Damien et son regard perçant, Damien et son corps aux muscles dessinés par les heures d’entraînement… Josh est plus troublé qu’il ne l’a jamais été – bien plus qu’il ne devrait l’être. Et plus les jours passent, moins il a la force de résister à la tentation. A moins que la seule façon d’avancer soit justement d’y céder ?

Roman sorti aux éditions Harlequin. Toute la première partie de ce roman est publiée ici, en accord avec l’éditeur. Profitez-en d’autant plus que l’histoire commence directement par une scène très hot !

A un stade du plaisir

Josh pénétra dans les vestiaires, comme ivre. Il n’adressa pas de regard à ses coéquipiers, n’interrompit pas son avancée lorsqu’il heurta des épaules, n’écouta aucune des interpellations qu’il provoqua. Il chercha sa serviette, son savon, l’isolement des parois de carrelage sombre où les sons se muent en résonnements.

Là, il se débarrassa de ses vêtements dans un coin, s’avança sous la douche, tourna le robinet, et laissa couler l’eau sur son crâne. Glacées dans un premier temps, les gouttes martelèrent son cuir chevelu, se déversant sur ses oreilles, sa nuque, son cou et les mains qu’il avait posées contre le mur. Longuement, il resta immobile, bras tendus et tête penchée en avant. Son corps tremblait d’épuisement mais le chaos dans sa tête ne se dissipait pas, ne s’engourdissait pas, s’accrochait à lui, s’engouffrait plus loin, comme pour le ruiner de l’intérieur. Puis la douche devint brûlante, brasier, et il recula la tête. Il ne régla le jet que pour le rendre le plus fort et le plus chaud qu’il pouvait le supporter. Enfin, il glissa les épaules sous l’eau et la laissa s’écouler à pleine puissance sur ses muscles usés, sur ses hématomes, sur ses contusions et sur la plaie encore douloureuse de son arcade sourcilière. Il releva même la tête pour la ressentir plus intensément sur son visage, comme si elle pouvait le laver, autant intérieurement qu’extérieurement.

En vain.

L’eau fit rougir sa peau nue, la décapant, imprégnant l’atmosphère de buée et le coupant du monde, remplaçant la réalité par un nuage liquide dans lequel rien ne pouvait le toucher, ni même l’atteindre. Au-delà, du côté du vestiaire, seul un brouhaha lui parvenait : des rires, des cris de joie, toute une liesse qui lui était lointaine. En d’autres temps, il aurait aimé partager avec ses camarades leur plaisir d’avoir gagné, mais même cet autre temps-là lui semblait désormais bien loin.

Il ne releva pas la tête lorsque d’autres joueurs entrèrent, ne les regarda pas, ne leur répondit pas. Il se contenta de laisser sa peau brûler, à défaut des pensées. Si seulement elles avaient pu cramer… Il attendit, la tête ailleurs, le cœur ailleurs, l’âme ailleurs, tout en lui compressé sous cette eau au pouvoir de laver et d’emporter, mais qui n’emmenait rien avec elle. Juste la brûlure sur sa peau. Juste le long écoulement sur sa chair. Il attendit que les autres joueurs finissent de se laver, que leur entraîneur s’en aille, que chacun reparte, que les chaussettes soient rangées, avec les shorts, avec les chaussures à crampons, que les T-shirts de ville remplacent les maillots, que les autres douches s’arrêtent de couler, que la pièce se vide et que les voix cessent de résonner.

Lorsqu’enfin le silence se fit, il coupa l’eau. Il ne ramassa pas sa serviette, pas plus que son savon. Il resta simplement appuyé des deux mains au mur, la tête si pleine qu’elle en était lourde, pendant lamentablement vers le sol, tandis que la buée continuait à s’élever autour de lui.

Soudain, de nouveaux pas se firent entendre à l’entrée de la douche et il tourna le visage pour découvrir le dernier joueur de l’équipe. Le seul qui n’était pas parti, celui que, plus que tout, il espérait voir, autant que ne plus jamais croiser. Celui qu’il aurait pu frapper, sur le coup, comme ça, de la manière la plus injuste qu’il soit. Juste pour évacuer son trop-plein de frustration ou, peut-être, pour se laisser aller à son envie de le toucher.

Son cœur battit plus fort dans sa poitrine.

Appuyé d’une épaule sur le rebord du mur délimitant l’entrée de la douche, Damien le fixait, avec cet air attentif qui semblait ne jamais vouloir quitter son visage lorsqu’il le regardait. Son short et son maillot étaient sales, comme un rappel du temps durant lequel il avait été retenu sur le terrain, sans doute par des journalistes ou des fans. Ce n’avait rien d’étonnant étant donné les prouesses qu’il venait d’accomplir ; attirer l’attention autour de lui devait être naturel pour Damien. Josh resta figé, ne sachant comment réagir, tremblant sous le maelström de désespoir et de rage qui avait pris place en lui.

– Qu’est-ce qu’il se passe ? lança Damien.

Josh le vit croiser les bras dans l’attente de sa réponse.

Il baissa les yeux. Il ne voulait pas parler. Du côté des vestiaires, aucun bruit ne venait, aucun chuchotement, aucun claquement de porte ou de placard, aucun froissement de tissus. Seul le silence, témoignant de leur isolement. Il releva le regard vers Damien et murmura :

– Rien.

Après quelques secondes de flottement, il détourna le visage pour fixer longuement le sol. L’eau s’écoulait à ses pieds, en de longues lignes sinueuses. Il n’entendit aucun son de pas derrière lui. Damien ne semblait pas décidé à s’éloigner.

Alors, il finit par se laisser rouler dos au mur pour lui faire face. Damien était parfaitement immobile, cette expression attentive toujours sur le visage. À cette vue, Josh sentit un rictus lui monter aux lèvres.

– Qu’est-ce que tu veux ?

L’agressivité de son propre ton le dérangea.

Damien le détailla, les sourcils froncés, comme s’il cherchait à lire en lui. Puis il haussa les épaules.

– Voir ce qu’il se passe…

Josh soupira. Il s’appuya plus nettement contre le carrelage de la douche derrière lui. Celui-ci était resté froid malgré la chaleur de l’eau, comme si le vide glacé qu’il diffusait depuis le mur répondait à celui qu’il percevait au fond de lui.

– Qu’est-ce qu’il y a ? insista Damien.

Il ne répondit rien. Son cœur battait vite et fort, et sa poitrine lui semblait sur le point d’exploser. Alors qu’il reportait son attention sur son coéquipier, il se sentit attiré par sa présence, d’une manière aussi douce qu’odieuse. Peut-être était-il simplement inconcevable que quiconque ne veuille pas contempler Damien… Parce que son regard sombre et ses mèches en bataille qui appelaient le passage de la main, et son corps puissant, et la force bouillonnante qui se dégageait de ses épaules, auraient fasciné n’importe qui.

Il n’y avait pas la moindre once d’arrogance dans le comportement de Damien : juste ce calme qu’il avait si souvent l’habitude de lui voir et qui, sur le moment, lui parut insupportable. Il laissa son regard glisser sur le corps de son coéquipier… Qu’il soit vêtu alors que lui se trouvait entièrement nu les mettait dans une situation d’inégalité désagréable.

Peut-être que rouvrir le robinet pour s’asperger d’eau glacée serait une bonne option.

– Casse-toi.

Damien ne répondit pas. Son regard le sondait, inquisiteur.

– Casse-toi ! répéta-t-il.

Mais Damien ne bougea pas. Il resta seulement là, à le fixer. Josh laissa aller sa tête en arrière, perdu. Pourquoi ne l’écoutait-il pas, bon sang ? Que pouvait-il bien se passer sous cette caboche obtuse ?

Josh ferma les paupières. Il ne savait plus ce qu’il devait penser.

– Casse-toi, dit-il de nouveau d’un ton plus froid, bien que trahissant trop à son goût le désespoir qui le tenaillait.

En entendant Damien répondre un simple « non », il eut vraiment envie de lui mettre son poing dans la gueule. D’une certaine façon, ce furent les sonorités chaudes de sa voix qui le retinrent.

– Laisse-moi, demanda-t-il enfin.

Cette fois, son ton avait tout d’une supplique.

– Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Josh eut un rire jaune. Quand il ouvrit la bouche, l’amertume suinta de chacun de ses mots.

– Qu’est-ce que ça peut te foutre ?

– Josh.

– Putain, mais barre-toi ! hurla-t-il, tandis que ses jambes se dérobaient sous lui et qu’il se laissait glisser au sol. Lâche-moi, juste…

Damien ne bougea pas.

Josh prit sa tête dans les mains, assis sur ses talons. Le frapper, oui. Sur l’instant, il était incapable de songer à une autre manière de réagir.

– Hé…

Voir Damien s’accroupir à ce moment-là auprès de lui fut l’expérience la plus attirante et la plus repoussante à la fois qu’il ait jamais vécue.

– Laisse-moi.

Ivre de souffrance, il chercha à se relever avec maladresse et se cogna violemment contre le robinet qui dépassait sur le côté de sa tête. La douleur fusa dans son crâne, intense, insupportable. Il chancela et se pencha en avant, pris de vertige.

– Merde.

Damien tenta de le prendre par l’épaule, mais il se détacha d’un mouvement brusque, fit un pas en arrière et faillit glisser sur le sol de la douche à cause de l’eau. Il passa les doigts sur sa tête, là où il sentait que son cuir chevelu le brûlait. Il réprima un soupir en découvrant leur pulpe rougie : il s’était rouvert la plaie recousue à peine deux semaines auparavant.

– Putain, souffla Damien en regardant sa main. Il faut que tu ailles te faire soigner.

– Non.

Il recula, manquant une nouvelle fois de se casser la figure. Lorsque Damien s’approcha de lui, il leva les mains par réflexe et le repoussa brutalement. Un geste libérateur, bien que cruel. C’était comme si un peu de la souffrance qui l’accablait s’envolait dans cette violence.

Malgré un mouvement de recul, Damien resta près de lui. Son visage se ferma seulement un peu plus.

– Arrête tes conneries, Josh.

– Va-t’en.

Il frappa de nouveau la poitrine de Damien, l’envoyant plus loin et mettant toute sa volonté à ignorer le pli amer qui incurva les lèvres de son coéquipier en réponse. Alors qu’il allait encore le pousser, celui-ci lui attrapa le bras et s’avança vers lui.

Josh tenta de s’écarter, blessé autant dans son amour-propre que par la conscience de sa propre connerie. Et surtout, voir Damien si proche de lui faisait se réveiller une blessure différente : celle du désir.

– Barre-toi, souffla-t-il de nouveau d’une voix qu’il sentit vacillante – mais qui était pourtant un avertissement, le plus fort, le plus ultime.

Son dos heurta le mur, lui faisant prendre conscience qu’il avait reculé.

– Non.

Alors, à cause de la colère, de la frustration et de tout ce qu’il ne pouvait pas exprimer autrement, son poing se crispa et, sans même qu’il ait eu le temps d’y réfléchir, partit vers le visage de Damien.

Quand le son sourd du choc résonna contre les murs de la douche, ce ne fut pas le regret qui envahit Josh, plutôt du désarroi, une perte de sens. Il regarda, haletant, Damien reculer en se tenant la mâchoire, tâchant d’encaisser le coup, tandis que son propre poing le lançait. Il se sentait perdu. La colère qui courait dans ses veines se mêlait à autre chose : un mélange d’envie, de peur et de curiosité.

– Putain, Josh, grogna Damien en frottant son menton. C’est trop te demander d’arrêter de faire le con ?

La culpabilité rampa dans son ventre, monta jusqu’à lui serrer la gorge, jusqu’à l’oppression.

Damien planta son regard dans le sien, plus dur cette fois, plus inquisiteur, mais il n’ajouta rien. Il se contenta de l’observer longuement.

– Va te faire soigner, lança-t-il au bout d’un moment.

– Non.

Josh sentait pourtant toujours la brûlure dans son cuir chevelu.

– Laisse-moi tranquille…

En prononçant ces mots, même lui pouvait sentir à quel point il était con, sur le coup, et à quel point il était incohérent, et à quel point il devait être une plaie pour tout le monde.

Que Damien se barre, après tout. Qu’il le laisse se vautrer dans sa souffrance et sa connerie.

Mais celui-ci s’approcha encore d’un pas et Josh ferma les yeux, un frisson le parcourut alors qu’il se plaquait contre le carrelage.

– Putain, lâche-moi…

C’était une supplique et il se détesta pour le désespoir qui perçait dans sa voix. Damien ne répondit pas. Alors, il tenta de nouveau de le repousser, mais son coéquipier résista. Le carrelage glissait toujours sous leurs pieds, Josh poussa plus fort, ils se battaient comme des idiots à présent et, soudain, il se sentit chuter. Son dos rencontra le sol dans un choc sourd, tandis que Damien le suivait bientôt, s’effondrant sur lui, ses genoux de part et d’autre de son corps. Et, parce que leurs corps s’échouèrent l’un sur l’autre et se pressèrent un instant, Josh éprouva ce qu’il aurait voulu ne jamais avoir à ressentir en une telle circonstance : une sensation brûlante qui se figea profondément dans son bas-ventre : de l’excitation.

– Merde…

Après un bref instant de désespoir, il se débattit pour tenter de se dégager le plus rapidement possible de ce contact qui lui était insupportable. La sensation des vêtements que portait Damien contre sa peau lui semblait invasive, comme marquant encore plus profondément sa propre nudité.

– Casse-toi, gronda-t-il.

Et, comme il ne savait pas comment l’éloigner de lui sans faire appel à la violence, il tenta de frapper Damien au visage mais celui-ci détourna la tête, et il n’atteignit que son oreille.

Damien se redressa d’un bond, les paupières crispées et un sifflement filtrant d’entre ses dents serrées.

Josh recula, mal à l’aise. Il allait se relever quand Damien l’en empêcha, le renvoyant au sol d’une main plaquée sur sa poitrine. Il se tenait toujours l’oreille.

– Tu ne bouges pas.

– Pourquoi ?

– Putain, Josh, tu saignes !

Confus, il sonda de nouveau son cuir chevelu : ses doigts revinrent avec une couleur rosée, le sang s’était dilué dans l’eau sur le sol de la douche.

– Ce n’est pas grave.

– Tu vas à l’infirmerie.

– Je ne crois pas, non.

Il réessaya de se lever mais Damien l’en empêcha une fois de plus. Sur une impulsion, Josh saisit le maillot de Damien et le tira vers lui. Leurs corps s’entrechoquèrent, mais il n’était plus question de trouble cette fois, ils n’étaient plus que colère et affrontement. Ils se battirent sur le sol jusqu’à finir haletants, Josh serrant encore le col du maillot de Damien dans sa main, tandis que celui-ci le surplombait. Josh sentit la tête lui tourner. Voir le visage de Damien au-dessus du sien, ses mèches brunes qui retombaient vers lui, la lueur confuse dans ses prunelles lui apparut comme trop cruel, soudain. Trop captivant. Il était absorbé par ce visage qui se trouvait si près de lui, si accessible et, d’une certaine façon, si dangereux aussi.

– Qu’est-ce que tu veux ? souffla alors Damien.

Et sa voix avait pris un ton nouveau, comme intime.

– Je…

Les mots s’écrasèrent dans sa gorge, incapables de sortir.

Son cœur battait à toute vitesse dans sa poitrine.

Damien se dressait au-dessus de lui, essoufflé.

– Putain, Josh…

Alors que leurs regards plongeaient l’un dans l’autre, hagards et brillants, Josh sentit la main avec laquelle il tenait encore le col de Damien trembler.

– Qu’est-ce que…, murmura de nouveau ce dernier, mais il ne finit pas sa phrase.

Il se contenta de rester au-dessus de lui, le noir de ses yeux comme dilué.

Puis, d’un coup, l’impensable se produisit, et les lèvres de Damien furent sur les siennes, douces, chaudes et exigeantes… et ç’aurait pu être le baiser le plus magnifique de sa vie, le plus formidable, le plus envoûtant, si une part de lui ne s’y était pas opposée brutalement.

Alors, instinctivement, il posa une main sur la gorge de Damien et il poussa. Les lèvres de son coéquipier s’arrachèrent aux siennes, le laissant avec une sensation de perte si forte qu’il aurait pu se tendre pour les recapturer. Mais, à la place, il ferma l’autre main en un poing qu’il envoya à travers le visage de Damien.

Le bruit du choc, sourd, des os de sa main contre la pommette de Damien, sonna odieusement à ses oreilles, et il sentit tout son bras se mettre à trembler.

Damien ne s’écarta pas. Il laissa juste sa tête tourner aussi loin que nécessaire pour encaisser le coup et s’arrêter un moment de côté. Lorsqu’il ramena son visage vers lui, son regard s’était chargé de souffrance et Josh sentit avec plus de vivacité encore la culpabilité grossir en lui.

Il reposa sa main sur le sol. Son corps se relâcha, rendant soudain les armes.

– Laisse-moi, murmura-t-il encore, douloureusement conscient que son attitude indiquait le contraire.

Au-dessus de lui, Damien resta silencieux, la pommette rougie et une expression dure sur le visage. Parce que cette fois encore, il ne l’écouta pas et parce que Josh avait épuisé ses réserves en matière de supplications, il se sentit devenir mauvais. Le provoquer lui apparut comme la dernière option possible et son ventre se creusa alors que du venin sortait de sa bouche :

– À moins que tu ne veuilles me sauter ?

Le mépris qu’il avait mis dans ces paroles lui arracha les lèvres, tant tout en lui se révoltait contre son attitude. Il persista néanmoins et alla jusqu’à étendre le bras au-dessus de sa tête en une position qui, dans son apparence offerte, n’en était pas moins agressive.

– Vas-y, alors.

– Tu fais chier, Josh…

Malgré son ton sec, Damien ne bougea pas. Son souffle était toujours rapide, court, un curieux miroir du sien.

– Vas-y, insista Josh, mais d’un ton moins assuré – un ton qui laissait resurgir la partie de lui-même qu’il aurait voulu oublier : celle qui, malgré toutes ses contradictions, espérait que Damien le prendrait au mot.

Épuisé, perdu, il laissa retomber sa tête sur le côté.

Au sol, des liserés d’eau luisaient toujours, reflétant les lumières de la pièce, et, plus loin, les quelques gouttes qui tombaient régulièrement d’un robinet mal fermé résonnaient dans le silence de la salle, comme pour renforcer la sensation de vide et d’isolement autour d’eux.

Damien posa une main sur son torse et Josh frémit, mais ne la repoussa pas. Il sentait son cœur battre puissamment contre cette main qui le touchait, puis redoubler encore de force lorsque Damien se pencha vers lui, son souffle effleurant son oreille. Des mots durs sortirent de sa bouche :

– Pas comme ça.

De dépit, Josh ferma les yeux. Lorsqu’il reprit la parole, ce fut de nouveau de la bile qui s’échappa de ses lèvres :

– Tu préfères par-derrière, peut-être ?

– Tu fais vraiment chier, répéta Damien, en s’écartant de lui pour se redresser.

Sa tenue était trempée et des traces de terre maculaient encore ses cheveux. Avec sa lèvre, gonflée là où son poing l’avait atteint, ça lui donnait un air défait.

– Lève-toi, ordonna Damien.

– Non.

– Putain…

Damien frappa le mur d’un coup si violent que Josh frémit. Puis il tourna le robinet et la douche se mit à cracher un jet puissant qui imbiba ses vêtements déjà mouillés et salis par le match et le sol.

De là où il était allongé, Josh le regarda se dresser sous l’eau, frotter ses cheveux et son cou, se débarrasser peu à peu de la boue et de la sueur qui le recouvraient encore.

Les doigts de Damien s’égaraient régulièrement sur son crâne, comme si torturer son cuir chevelu pouvait l’aider à remettre en ordre ses pensées. Lui aussi semblait perturbé.

D’un geste brusque, il ôta son maillot et laissa l’eau lui couler sur le dos. Il se tenait toujours face au mur et Josh contempla le trajet du liquide sur sa peau, le regarda parcourir ses muscles et glisser sur son short imbibé qui collait aux formes de son corps. L’image lui parut profondément sexuelle, bien qu’il ne s’agisse pas de la première fois qu’il voyait Damien à demi nu. L’intimité des vestiaires avait tendance à défoncer tel un bulldozer certains concepts, comme celui de pudeur. Mais s’il était honnête, il devait reconnaître qu’il avait toujours eu tendance à être happé par la vision du physique de Damien. En cet instant, il aurait pu être effrayé : son corps était attirant à l’indécence et il ne savait pas vraiment ce qu’il voulait. Et pourtant, c’était une autre émotion qui dominait : le désir. Un élan incontrôlable et puissant au point de rendre secondaires toute la rancœur et toute la souffrance qu’il avait pu éprouver. C’était comme si ces dernières se cumulaient au contraire pour rendre l’instant plus fort et le besoin plus désespéré.

Longtemps, il resta immobile, contemplant Damien, cet homme qui, bien malgré lui, était en train de causer sa perte. Lorsque celui-ci finit par se retourner, Josh sentit son excitation redoubler, douloureuse dans son corps comme dans son âme.

Damien le toisa.

– Qu’est-ce que tu as ? demanda-t-il d’un ton sec.

Josh laissa son regard partir dans le vague, là où la lumière des néons se reflétait sur l’eau. Il ne répondit pas.

– Lève-toi, le secoua Damien.

Josh resta silencieux, allongé au sol. Il était bien là où il se trouvait, sa tête ne lui faisait pas mal quand il la laissait posée et son esprit était trop engourdi pour qu’il puisse voir un intérêt au fait de se mouvoir. Peut-être que rester étendu était ce qu’il y avait de mieux à faire, finalement. Et ne plus jamais bouger.

– Je vais t’emmener voir le docteur, insista Damien.

Josh toucha précautionneusement son crâne. Il était toujours en train de saigner, bien que faiblement. Qu’est-ce qu’il foutait, bon sang ? Il aurait dû aller se faire recoudre depuis longtemps, mais la main que lui tendait Damien lui semblait impossible à saisir. Il ne pouvait ignorer le fait que son sexe était légèrement gonflé et cette conscience le blessait plus cruellement qu’aucune des plaies qui avaient marqué son corps au cours des années. Il se demanda si Damien s’en était rendu compte.

– Je croyais que tu voudrais me baiser, souffla-t-il, mais même lui ne savait plus s’il s’agissait d’une nouvelle provocation ou d’un témoignage de dépit.

Damien dut opter pour le premier sens car une expression amère se peignit sur son visage. Il passa une main lasse dans les mèches brunes qui lui retombaient sur le front.

– Je savais que tu étais con, mais pas à ce point.

Josh ne risquait pas de le contredire.

Alors que Damien lui offrait de nouveau sa main, il fit l’effort de la saisir.

Mais au lieu de se relever, il tira dessus, juste assez pour le faire tomber, appréciant de voir Damien chuter à quatre pattes au-dessus de lui.

– Putain, Josh…

Le torse de Damien se trouvait tout près du sien et il sentit les battements de son cœur, lourds et puissants, se répercuter dans sa propre poitrine lorsqu’il l’attira soudain contre lui.

Il attendit que Damien parle, mais aucun son ne sortit de sa gorge. Seuls leurs souffles s’accélérèrent, se répondant dans le silence. Finalement, ce fut leurs corps qui s’exprimèrent à leur place. Josh ferma les paupières en sentant son sexe se dresser plus nettement, puis se raidit quand il entra en contact avec celui de Damien. Leurs verges, à tous deux, étaient dures et la sensation de leurs membres se touchant à travers la toile trempée, si fine, qui les séparait provoqua en lui des décharges inattendues d’excitation. Pantelant, il plongea son regard dans celui de Damien.

Durant de longues secondes, brûlantes, ils restèrent ainsi, les yeux dans les yeux. Puis les lèvres de Damien se rapprochèrent des siennes – à peine – et Josh détourna le visage. Un réflexe, idiot, mais qu’il fut incapable de contenir. Un soupir las lui répondit, avant que le front de Damien vienne cogner contre le sol, juste à côté de son cou.

– Si tu ne le veux pas, dis-le, chuchota Damien.

Sous la caresse de sa voix, Josh ferma les paupières.

Instinctivement, il creusa les reins pour créer une pression plus marquée entre leurs deux sexes. Alors, Damien se pressa contre lui, avec des mouvements si proches de ceux de la pénétration que Josh appuya les dents sur sa lèvre inférieure, et ne la relâcha qu’avec un souffle tremblant, submergé par une vive excitation.

Il tourna le visage vers Damien et le contempla du coin de l’œil. Le front appuyé sur le sol, ses mèches brunes collées sur le carrelage, il arborait une expression attentive et, à la fois, curieuse. Il donna un nouveau coup de bassin et Josh se liquéfia, de longues traînées brûlantes se répandant dans son ventre. Lorsque les lèvres de Damien firent mine de se rapprocher de lui, il détourna pourtant encore une fois la tête.

– Merde.

Puis le corps qui le tourmentait s’écarta légèrement et une main s’enroula autour de son sexe, dure et épaisse – et brûlante sur sa chair qui n’était plus que désir, tandis que le souffle chaud de Damien s’infiltrait dans son oreille.

– C’est ça que tu veux ?

Mémoires d’un Olympien (2)

Chapitre 2

L’équipe suisse avait encore trois matchs à jouer et Damien mit de côté ses réserves pour aller soutenir les joueurs. La première rencontre fut remportée sans difficulté et il retrouva plusieurs de ses coéquipiers de championnat près des accès pour les athlètes. Un bref soulagement l’envahit en apprenant qu’Ivan leur avait fait faux bond pour la soirée. Les heures suivantes, il abusa de l’alcool, se laissa séduire par un groupe de snowboardeuses anglaises qui se moquèrent gentiment de son accent et échangea quelques regards insistants avec un Espagnol dont il n’était plus certain s’il pratiquait le curling ou le ski de fond. Néanmoins, Damien retourna seul dans sa chambre et mit deux longues heures avant de succomber à sa fatigue. Tout ce temps, il se demanda avec qui Ivan avait bien pu finir sa soirée.

À son réveil, l’esprit encore brumeux de ses songes, il tâtonna sous les draps pour se saisir de son sexe tendu qui lui hurlait son insatisfaction. Il n’ouvrit les yeux qu’un court instant pour s’assurer que le lit voisin était toujours aussi vide que la veille, puis sa main s’activa sur son membre engorgé. Pour la première fois depuis six ans, il ignora la pointe de culpabilité familière et ne lutta pas contre les images qui alimentèrent son fantasme. Ses souvenirs se déformèrent jusqu’à oublier la présence de Stella entre eux pour ne plus que sentir le poids d’Ivan au-dessus de son corps, leurs verges juste séparées par le tissu de leurs sous-vêtements. Contre sa paume, son sexe eut un sursaut de plaisir et il plissa les paupières pour garder cette image en mémoire. Pantelant, il imagina le souffle d’Ivan sur ses lèvres, le goût qu’aurait eu sa langue si l’un d’eux avait osé approfondir ce baiser. Son dos se cambra et il se répandit entre ses doigts. La respiration courte, il décréta qu’il n’était pas en état d’affronter la vie au village ou la simple amitié d’Ivan. Le service d’étage et le filtrage de ses appels suffiraient à l’isoler pour deux jours.

La demi-finale, où l’équipe d’Ivan rencontrait celle de Finlande, le pays organisateur, attira les spectateurs et il se retrouva dans des gradins bondés. Pour quelqu’un qui venait de passer quarante-huit heures reclus dans sa chambre d’hôtel, le bruit était assourdissant. Cependant, Damien s’estimait heureux de pouvoir se fondre au milieu de cette foule : pas un instant, il n’avait imaginé rater cette demi-finale, mais il ne tenait pas à être repéré par Ivan ou l’un de ses coéquipiers.

C’était sans compter sur les deux premiers tiers temps où la Finlande prit la tête de justesse. La défense finlandaise n’était pourtant pas parfaite et, à trois reprises, la Suisse put remercier la règle du dégagement interdit, sans laquelle l’écart de points n’aurait pas été rattrapable. Durant le dernier arrêt de jeu, Damien attendit de voir la surfaceuse pénétrer sur la glace, puis il quitta son siège et se précipita vers l’accès aux vestiaires. Toujours en courant, il bifurqua pour rejoindre le banc de l’équipe suisse et fut accueilli par la voix de leur entraîneur. Les ordres aboyés ne lui manquaient pas et il prit soin de rester en retrait pour ne pas se faire remarquer et ne pas subir les foudres du coach. Toutefois, leur capitaine, Marcus, le repéra et donna un coup de coude discret à Ivan pour attirer son attention.

Lorsque son ami releva la tête, Damien eut un choc. Il était habitué aux cheveux ébouriffés par le casque, mais pas aux traits tirés par la fatigue. Pourtant, l’équipe avait passé des nuits blanches à fêter des victoires ou des heures à s’épuiser sur la glace, mais jamais il n’avait vu cet abattement sur le visage d’Ivan. Leurs regards se croisèrent et il sentit son cœur s’accélérer. Garder ses distances avait été une mauvaise idée. Non seulement il n’avait pas réussi à enfouir de nouveau ses désirs, mais il avait aussi blessé son ami. Alors qu’Ivan avait insisté pour que rien ne change entre eux, lui-même l’avait fui. Il s’obligea à sourire de manière rassurante et fit un signe de main à ses coéquipiers qui l’avaient repéré.

L’entraîneur termina son laïus et s’approcha d’Ivan, certainement pour lui donner des informations sur la défense finlandaise et des conseils pour reprendre l’avantage. Damien n’aurait donc pas l’occasion de motiver lui-même son ami, mais Marcus en profita pour le rejoindre.

« On croyait que tu avais disparu. »

Le ton était gentiment moqueur, mais Damien grimaça de culpabilité.

« J’avais besoin d’un peu de solitude. Le principal, c’est que je sois là pour vous soutenir.

— T’avais plutôt intérêt, sinon je t’aurais fait souffrir au prochain entraînement. »

Le sourire gourmand de Marcus lui confirma que son capitaine regrettait de ne pas pouvoir mettre à exécution sa menace. L’entraîneur rappela ses joueurs pour se préparer à retourner sur la glace.

« Tu viens avec nous ce soir, réclama Marcus en se retournant pour rejoindre son équipe.

— Seulement si vous gagnez ! » lui cria-t-il.

Quelques têtes se tournèrent vers lui et Ivan lui adressa un sourire en coin avant d’enfiler son casque et de rentrer sur la patinoire. Damien les observa se placer face à l’équipe adverse et décida de rester où il était pour regarder la fin du jeu.

Le jeu suisse était plus agressif tandis que l’équipe finlandaise accusait la fatigue des premiers tiers temps. Les deux camps étaient à égalité et il commençait à craindre les tirs de fusillade pour la qualification en finale. À quatre minutes de la fin, Ivan reçut un coup dans le dos alors qu’il s’apprêtait à marquer un but. Le palet changea de trajectoire à cause du déséquilibre et Damien se redressa, alerte, en attendant la décision de l’arbitre. Ce dernier siffla la faute et mit les bras en croix au-dessus de sa tête. Un murmure désapprobateur s’éleva des gradins, mais les joueurs des deux équipes rejoignirent leur banc, laissant Ivan face au gardien finlandais pour le tir de pénalité.

Damien se crispa alors qu’Ivan prenait position. S’il marquait ce but, son équipe était garantie de remporter une médaille. Les pieds écartés, Ivan prit appui sur sa crosse. Sitôt qu’il toucha le palet, le gardien adverse s’avança sur lui pour le contrer. Cependant, Ivan avait un regain d’énergie depuis le début de ce tiers temps et il contourna avec aisance l’autre hockeyeur, évitant le contact et s’offrant une ouverture face au but. Le point fut validé et les joueurs des deux équipes revinrent sur la patinoire. Les dernières minutes s’écoulèrent dans une ambiance tendue : la Finlande tentait de ramener le score au match nul pour gagner une nouvelle opportunité aux tirs de fusillade tandis que la Suisse concentrait tous ses efforts dans sa défense pour s’assurer la victoire. Le coup de sifflet annonçant la fin du match fut accueilli par une majorité de cris déçus depuis les gradins. Les joueurs suisses, euphoriques, jouaient des coudes pour quitter la glace et Damien s’éclipsa pour laisser l’équipe retourner au vestiaire pour savourer leur victoire.

La fête battait déjà son plein quand il franchit les portes et il repéra plusieurs hockeyeurs visiblement déjà prêts à rentrer cuver leurs bières. Marcus en soutenait un, l’aidant à avancer vers la sortie. Il s’arrêta à hauteur de Damien et lui posa une main sur l’épaule :

« Je ramène celui-là dans sa chambre. Et crois-moi, il va me le payer. En attendant que je revienne, surveille-les pour moi.

— Je suis pas ta baby-sitter », se plaignit-il, mais Marcus l’ignora et continua son chemin.

Malgré tout, Damien se retrouva à empêcher plusieurs de ses coéquipiers de championnat de commander davantage d’alcool. À quelques tables d’eux, Ivan trinquait avec de parfaits inconnus et il tenta de garder un œil sur lui également. Il essaya d’oublier la sensation des lèvres d’Ivan sur les siennes chaque fois qu’il croisait son regard et d’ignorer sa propre jalousie chaque fois que son ami souriait à quelqu’un d’autre. En vain.

Lorsque Marcus franchit à nouveau la porte, Damien n’attendit même pas son accord pour abandonner la table. À peine avait-il fait quelques pas qu’Ivan lui attrapa la main et le guida vers un endroit plus tranquille. Damien observa leurs mains et se demanda si le contact avait toujours été aussi facile entre eux. La réponse était oui. Elle était aussi vraie pour quelques autres joueurs dont il se sentait proche. Néanmoins, il avait l’impression de trahir la confiance de son ami. Si un tel geste était banal auparavant, il savait que ce n’était plus le cas en ce qui le concernait. Le couloir où Ivan les conduisit était désert et cela ne fit rien pour calmer ses nerfs. Celui-là libéra sa main pour lui faire face :

« Je suis désolé.

— Quoi ? s’étonna-t-il. Pourquoi ?

— Je ne pensais pas te mettre mal à l’aise à ce point-là. Tu n’es pas obligé d’éviter l’équipe à cause de moi…

— Arrête ! l’interrompit-il, un rire nerveux au bord des lèvres. Tu n’y es pour rien. C’est moi qui… C’est intense ces Jeux, d’accord ? J’avais juste besoin d’un peu de temps pour assimiler tout ça. »

Ivan le fixa d’un air curieux et Damien ne put pas lui en vouloir. La défaite de son équipe avant même d’avoir une chance de médaille ou le manque de sommeil à force de faire la fête et de s’entraîner n’avaient rien à voir avec son angoisse des derniers jours. Mais s’il pouvait s’en sortir avec cette explication, il préférait éviter d’aborder le vrai problème.

« OK, finit par céder Ivan. Tout va bien entre nous, alors ?

— Aucun malaise », mentit-il.

Trois jours plus tard, la fin des Jeux approchait. Damien avait peu vu l’équipe suisse dont les créneaux d’entraînement s’étaient multipliés pour préparer la finale contre le Canada. Les rares moments qu’il avait passés avec eux avaient été calmes et il avait fait de son mieux pour ne pas paraître trop absorbé par la présence d’Ivan. Cependant, il n’était pas convaincu de son succès. Le moindre geste d’Ivan attirait son attention et il croisa son regard bien plus souvent qu’avec la totalité des autres joueurs présents. il cherchait à décrypter l’attitude d’Ivan, au point de se demander si ses propres désirs ne l’incitaient pas à interpréter comme bon lui semblait chaque sourire ou chaque contact.

La finale se déroula dans le calme et sans réelle surprise. Peu de spectateurs avaient fait le déplacement puisque l’issue du match était prévisible. Le Canada tentait sa quatrième médaille d’or d’affilée ; malgré la motivation de l’équipe suisse, leurs adversaires prirent l’avantage dès le second tiers temps sans leur laisser la possibilité de remonter au score. Avec sept points d’écart, le Canada remporta la victoire et la Suisse grimpa sur le podium pour recevoir la médaille d’argent.

Damien ne parvint pas à rejoindre ses amis après la remise des médailles et dut patienter jusqu’au soir pour espérer les retrouver à la cérémonie de clôture. La délégation française passait en huitième position, ce qui lui laissait quelques minutes pour essayer de voir les équipes suisses. Il repéra ses coéquipiers de championnat et se précipita sur eux pour les féliciter de leur médaille. Marcus et les autres retournèrent sa brève accolade, mais Ivan le garda contre lui deux ou trois secondes de trop pour son confort. Quand il put enfin s’écarter, ce fut pour sentir Marcus lui ébouriffer les cheveux en un geste paternaliste :

« Profite bien de tes vacances en France et sois en forme pour ton retour. Je vais vous en faire baver. »

La Marseillaise résonna dans le stade et Damien abandonna l’idée de répondre à son capitaine. Avec un dernier geste de la main, il se précipita pour rejoindre sa délégation et faire ses adieux aux Jeux Olympiques.

Le retour en Suisse pour la reprise du championnat fut compliqué. Son séjour chez ses parents l’avait reposé et il avait fait ce qu’il maîtrisait encore plus que le hockey : ignorer ses problèmes. Et il géra plutôt mal de se retrouver confronté à Ivan.

Les incidents lors des entraînements se multiplièrent. Aux yeux des supporters ou des journalistes, présents pour suivre une partie de l’équipe olympique médaillée d’argent, les erreurs pouvaient être attribuées à la fatigue des joueurs ou à des difficultés à retrouver le rythme habituel. Mais Damien percevait la tension qui régnait entre lui et Ivan et savait qu’il en était le seul responsable.

C’était peut-être le plus vexant, d’ailleurs, de savoir qu’Ivan était capable de garder la tête froide. Pour lui, rien n’avait changé : il ne s’interdisait aucun contact, ne baissait pas le regard dès qu’il entrait dans le vestiaire, ne cherchait pas à l’épargner quand ils étaient sur la glace ou ne trouvait pas une excuse pour se défiler à chaque soirée d’équipe. Damien redoutait le moindre frôlement, avait peur que son corps ne le trahisse. Il craignait aussi de s’enivrer et de finir par demander à Ivan s’il pensait bien ce qu’il lui avait dit aux JO : que, si c’était avec lui, il serait prêt à tout envisager. Et ses désirs obscurcissaient tant son jugement qu’il interprétait l’attitude d’Ivan, dans chacun de ses détails, pour nourrir ses fantasmes.

L’entraînement s’était terminé depuis un moment, mais le capitaine les avait retenus sur la glace, lui et Ivan. Marcus progressait lentement sur la patinoire, leur faisant des passes molles avec le palet.

« D’abord, je dois vous dire que je ne tiens pas à savoir ce qu’il s’est passé au village olympique, mais je suis certain que le malaise vient de là. Je suis juste inquiet pour l’équipe. Alors, soit vous réglez ça entre vous, soit je serai obligé d’intervenir. Et ça ne fera plaisir à personne. »

Damien déglutit à l’idée de devoir expliquer la source de la tension entre lui et Ivan. Un coup d’œil à ce dernier lui confirma que son ami préférait aussi éviter d’entrer dans les détails avec Marcus. Surtout en sachant que celui-ci n’avait pas vraiment de limites quand il s’agissait de maintenir la cohésion dans l’équipe.

« On va régler ça, promit-il.

— C’est dans votre intérêt, menaça Marcus. Je ne veux plus entendre parler d’un transfert dans ces conditions. »

Leur capitaine, satisfait, quitta la glace. Damien chercha le regard d’Ivan pour dissiper son incompréhension mais, pour la première fois depuis leur soirée avec Stella, ce fut son coéquipier qui l’évita. Ivan poussa sur ses patins et se lança dans un exercice de vitesse en entraînant le palet de sa crosse. Sans hésiter, Damien fit demi-tour pour rejoindre les vestiaires. Il pouvait bien être lâche quelques minutes de plus et laisser à Ivan l’espace dont il avait besoin.

Marcus était dans les douches quand il arriva dans le vestiaire. Il prit son temps pour ôter son équipement, enroula une serviette à sa taille et s’assit sur son banc habituel, dos au mur. Son capitaine était déjà en train de sécher. Il contourna Damien pour récupérer ses affaires propres dans son casier, mais tous deux gardèrent le silence. Pour Marcus, la question était réglée et Damien ne l’entendrait plus mentionner l’incident si lui et Ivan parvenaient à surmonter ce malaise. Quelques instants plus tard, il se retrouva seul dans les vestiaires et ferma les yeux dans l’espoir de trouver une façon d’aborder le sujet avec Ivan.

Il fut interrompu dans ses pensées par le claquement de la porte. Sans un mot, Ivan traversa la pièce pour ouvrir son casier. Ses gestes trahissaient son agacement et Ivan sortit ses affaires pour la douche avant de se déshabiller et fourrer sa tenue dans son sac. Alors que son coéquipier se retrouvait nu, Damien regretta de ne pas avoir profité de sa solitude pour se doucher et s’habiller. Il était un peu trop conscient de sa propre semi-nudité. De peur de rompre le silence, Damien resta immobile et observa son ami, maintenant appuyé contre les casiers. Le corps offert à sa vue ressemblait à une invitation dont Damien n’était pas sûr qu’elle soit réelle ou le fruit de son imagination.

Un soupir agacé d’Ivan alors qu’il ramassait sa serviette le fit réagir. La boule au ventre, il se lança :

« C’est quoi cette histoire de transfert ? »

Ce n’était peut-être pas le sujet principal, mais il était satisfait d’avoir pu adresser la parole à Ivan sans se décomposer ou laisser sa voix le trahir. Le hockey était un sujet sauf ; ils pourraient se lancer au cœur du problème plus tard.

« Ça ne va pas se faire, Marcus va y veiller. Je pensais que ce serait plus simple pour toi comme ça, admit Ivan sans lui accorder un regard.

— Pour moi ? répéta-t-il, incrédule. Comme si te voir quitter l’équipe allait me consoler d’être incapable de gérer la situation sans rendre les choses bizarres.

— C’est moi qui ai créé la situation et l’équipe en pâtit déjà. Mon jeu et le tien sont perturbés. Alors, oui, j’étais prêt à changer de club si ça pouvait t’aider à oublier ma décision.

— Je t’ai dit que ce n’était pas ta faute.

— Ah non ? s’agaça Ivan. Alors, explique-moi. On passe une heure avec Stella, je t’embrasse, tu disparais pendant deux jours et, depuis, c’est à peine si tu oses être dans la même pièce que moi. »

Damien grimaça en réfléchissant à la façon de formuler sa réponse, mais Ivan chercha son regard et l’accrocha un instant, avant de secouer la tête et de retrouver un semblant de sourire :

« Je sais que j’ai été égoïste, mais je n’ai pas songé aux conséquences. Je croyais pouvoir avoir ce moment avec toi et conserver notre amitié. Évidemment, je me suis trompé. »

Ivan soupira tandis que Damien tentait de remettre de l’ordre dans ses idées.

« Ne m’attends pas pour partir, j’ai encore ma douche à prendre.

— Je n’ai pas pris la mienne non plus, rétorqua-t-il, le cœur battant. Si tu veux bien qu’on partage. »

Ivan s’arrêta à cette proposition et recommença à le jauger du regard. De peur de perdre sa contenance, Damien baissa les yeux pour rompre le contact et examiner ses pieds nus. Ceux d’Ivan entrèrent dans son champ de vision. Le bruit de leurs respirations résonnait dans le vestiaire et il savait que ses joues étaient en feu. Doucement, il releva la tête, laissant son regard s’égarer sur les courbes dénudées d’Ivan qui étaient à la fois familières et intrigantes. Avant de croiser le regard de son ami, il eut un sursaut d’audace et tendit la main, mais Ivan saisit son poignet pour arrêter son geste. Il leva alors un regard interrogateur et Ivan lui tira sur le bras pour le hisser à sa hauteur.

« Si tu me touches maintenant, tu vas te retrouver plaqué contre ces casiers. »

L’idée était plus que séduisante s’il en croyait la bouffée de chaleur qui l’envahit, mais terrifiante aussi. Pourtant, il força contre la poigne qui le retenait et posa sa paume à plat sur les pectoraux d’Ivan. La peau sous la sienne était encore moite de sueur, les muscles saillants et l’envie de marquer cette chair de ses ongles le surprit par sa violence.

Cependant, Ivan tint sa promesse et l’attrapa par les hanches pour le repousser contre les casiers. Le métal froid dans son dos ne l’empêcha pas de sentir son bas-ventre en feu alors qu’Ivan dénouait sa serviette pour la laisser s’échouer au sol. Les cinq centimètres que Damien avait sur son ami semblaient dérisoires alors qu’Ivan le maintenait en place, piégé entre ses mains et ses jambes. Leur nudité ne l’inquiétait même plus. Le regard intense d’Ivan sur sa bouche et son cou, en revanche, lui faisait perdre ses moyens.

Il caressa le torse d’Ivan et remonta jusqu’à accrocher sa nuque, puis l’attira à lui pour poser la bouche sur la sienne. Le contact était aussi léger que la première fois, quand Stella l’avait demandé à Ivan, mais celui-ci maintint la pression plus longtemps. L’hésitation était inutile vu leur position, aussi Damien entrouvrit-il les lèvres. D’abord incertain, le baiser s’enflamma rapidement. Le dos plaqué aux casiers, il sentit le métal s’enfoncer dans sa peau à mesure qu’Ivan s’appuyait davantage sur lui.

De sa main libre, il s’accrocha à l’omoplate d’Ivan et y laissa de profondes marques d’ongles quand celui-ci enroula les doigts autour de son sexe. Les mouvements sur sa verge étaient secs et presque douloureux à cause du peu d’espace qu’avait Ivan pour bouger sa main. Néanmoins, le simple fait de savoir qu’un autre homme — Ivan — le caressait et l’embrassait lui suffit pour perdre le contrôle. Son orgasme le cueillit par surprise et il abandonna la bouche d’Ivan pour observer son sperme qui coulait sur les doigts de son coéquipier. Ce dernier relâcha son membre sensible et se recula légèrement.

« On devrait prendre cette douche, maintenant. »

Damien entendit l’eau couler avant de sortir de sa stupeur et se précipita pour le rejoindre. Le corps d’Ivan était tel qu’il l’avait toujours connu, tel qu’il le voyait dans ses fantasmes : l’érection insatisfaite l’interpellait, mais il se trouvait bien plus embarrassé par son inexpérience dans la réalité.

« On devrait s’occuper de toi aussi, proposa-t-il en pointant l’évidence.

— Mets-toi face au mur », lui demanda Ivan.

Malgré sa nervosité, il obtempéra. Sous le jet d’eau, il prit appui sur le carrelage et essaya de se détendre. Aucun de ses fantasmes ne l’avait préparé à cette réalité. Ne plus refouler ses envies, avec quelqu’un en qui il avait confiance, était exaltant ; toutefois, l’angoisse de l’inconnu le paralysait. Le bruit du bouchon du flacon de gel douche le fit sursauter. Ivan se rapprocha de lui, accrocha une main sur sa hanche et Damien sentit l’érection frotter le haut de sa cuisse. Ivan posa son autre main dans son dos pour le savonner. Le massage dura un moment et Ivan insista avec son pouce pour dénouer ses points de tension.

Plusieurs minutes de ce traitement lui firent oublier sa vigilance. Sa tête retombait entre ses bras et il s’était cambré sous les caresses d’Ivan. Puis celui-ci glissa sa main savonneuse entre ses cuisses. Il taquina son périnée avant de masser ses testicules et d’agacer son sexe repu. Damien essaya de rester docile mais, lorsque la main remonta entre ses fesses, l’appréhension eut raison de son excitation. Il tendit un bras en arrière pour bloquer le poignet d’Ivan. Pour tout ce qu’il avait testé en se masturbant, il ne doutait pas d’y trouvera son plaisir, mais il n’envisageait pas sa première fois avec un homme ainsi. Sinon, il aurait depuis longtemps cédé à ses pulsions dans l’anonymat d’un club.

« Je ne veux pas gâcher ton plaisir, mais mon expérience avec les hommes se résume à ce qu’on vient de faire, alors je ne suis pas sûr d’être vraiment prêt. Mais je ne suis pas contre tenter n’importe quoi avec toi. Plus tard. »

Ivan resta immobile et embrassa son épaule, puis mordit la peau délicate à la base de sa nuque ; les genoux de Damien fléchirent sous la décharge de plaisir.

« Ne me donne pas des idées, grogna Ivan. Et détends-toi, on n’a pas de préservatif.

— Donc, ce n’est pas pour ce soir. »

Alors qu’il était inquiet un instant auparavant, il se trouva ridicule en entendant la déception dans sa propre voix. Ivan retira la main d’entre ses jambes et attrapa la sienne pour la poser contre le carrelage. La verge tendue d’Ivan glissa entre ses cuisses et il sentit l’érection coulisser le long de son périnée et cogner dans ses testicules à la cadence de ses courts va-et-vient.

« Resserre un peu les cuisses, murmura Ivan contre son omoplate. Et sinon, tu décides du rythme. On a tout notre temps et j’ai de quoi nous occuper en attendant. »

Les coups de rein s’intensifièrent, comme si Ivan imaginait déjà tout ce qu’ils allaient pouvoir tester. La jouissance de Damien était trop récente pour lui en permettre une nouvelle si tôt, mais cela ne priva pas son sexe de faire un effort pour tenter de répondre à la stimulation. Les doigts d’Ivan s’enfoncèrent à sa taille et il sentit le membre pulser entre ses cuisses. La curiosité attira son regard plus bas, mais l’eau de la douche nettoyait déjà la preuve de leur plaisir.

Ils passèrent le week-end chez lui. Ivan se révéla insatiable et Damien plus qu’heureux de se plier à ses désirs.

À l’entraînement suivant, malgré ses muscles endoloris, ils n’esquivèrent aucun contact entre eux deux pour prouver à leur capitaine que le problème était résolu. Et peut-être pour profiter de chaque excuse pour plaquer l’autre contre une paroi. Leur relation allait pimenter le jeu.

Quatre ans plus tard

La sonnerie lui annonça l’arrivée d’un nouveau message et Damien roula au-dessus d’Ivan pour attraper son téléphone sur la table de nuit. Leurs médailles s’entrechoquèrent, provoquant un rire chez son partenaire. Damien se laissa retomber sur le dos et Ivan en profita pour poser le menton sur son torse.

« Qui ose nous interrompre ? s’indigna Ivan.

— Marcus.

— Dis-lui de nous oublier, il n’est plus capitaine.

— Libre à toi d’envoyer bouler l’assistant de l’entraîneur, mais tu ne me feras pas plonger avec toi.

— Et moi qui croyais que tu m’aimais », soupira Ivan.

Damien leva les yeux au ciel sans le gratifier d’une réponse et pianota un message pour Marcus avant de reposer le téléphone. Ivan faisait rouler entre ses doigts la médaille de bronze de Damien :

« Qu’est-ce qu’il voulait ?

— Qu’on range nos médailles avant de fêter nos titres olympiques.

— Trop tard ! » s’amusa Ivan.

En effet, ils s’étaient sauvés des soirées avec leurs équipes dès que possible pour rejoindre la chambre d’Ivan. Le programme était simple : se retrouver nus, avec leurs médailles — une de bronze pour lui et deux d’argent pour Ivan — pour seuls vêtements et autant de sexe que possible avant la cérémonie de clôture le lendemain.

« Il va nous tuer au prochain entraînement, se plaignit-il.

— Il n’est pas obligé de savoir.

— Il m’a écrit que sa sœur lui prêterait la lumière noire de son labo pour vérifier les traces. Comment on nettoie le sperme à ton avis ?

— Aucune idée. Mais on peut essayer de noyer les tâches en recouvrant la surface. Ça devrait lui passer l’envie de nous déranger. »

Ivan l’embrassa pour l’empêcher de répliquer ou de se lancer dans un débat stérile. Damien oublia ses protestations lorsqu’il le sentit s’agenouiller de part et d’autre de sa taille. Depuis les derniers J.O., ils avaient réussi à trouver leur équilibre pour rester discret sur leur relation et ne pas la laisser interférer avec l’équipe et leur jeu. Mais les semaines au village olympique, où ils défendaient des couleurs différentes, leur permettaient d’oublier ces règles.

Les médailles tintèrent les unes contre les autres quand Ivan se redressa dans un soupir satisfait. Damien empoigna ses hanches pour imposer son rythme et le faire jouir sur son ventre. Sur sa médaille. Peut-être que dans quatre ans, ils seraient encore sélectionnés. Peut-être que la France renouvellerait l’exploit de grimper sur le podium et que la Suisse parviendrait à détrôner le Canada pour ajouter l’or à leur collection. Peut-être qu’Ivan et lui fêteraient ces titres d’un nouveau marathon dans leur chambre d’hôtel. Damien ne pouvait qu’espérer le meilleur.

Mémoires d’un Olympien (1)

Autrice : Magena Suret.

Genres : Sport, M/F/M + M/M, hot.

Résumé : Damien, joueur de hockey sur glace, participe à sa première sélection nationale aux Jeux Olympiques. Mais, entre la pression de la compétition et la débauche de plaisirs au village olympique, des désirs longtemps enfouis refont surface.

Liens vers les différents chapitres

Chapitre 1Chapitre 2

Chapitre 1

Sur la patinoire, les joueurs adverses prenaient leur place. Damien observa se positionner devant leur gardien les cinq opposants qu’ils allaient rencontrer pour ce premier tiers temps. Sa seule surprise fut de ne pas voir Ivan pénétrer sur la glace. Depuis le début des Jeux, six jours plus tôt, tous deux avaient attendu ce match. En championnat, ils évoluaient comme coéquipiers ; pour la première fois, avec les sélections nationales, la compétition les opposerait. Damien avait vibré d’impatience à l’idée de jouer contre lui, mais il n’allait pas laisser sa déception le déconcentrer.

Les Jeux Olympiques représentaient l’un de leurs rêves depuis le début de leur carrière, mais aucun des deux hockeyeurs n’avait imaginé que la pression serait si forte. L’annonce de leur sélection par leurs pays respectifs avait déclenché un intérêt auquel ils n’étaient pas habitués. Les périodes de championnat étaient intenses, pourtant rien ne les avait préparés à cette excitation permanente. Depuis l’officialisation de sa participation aux J.O. dans l’équipe française et celle d’Ivan pour la suisse, les journalistes sportifs ne se focalisaient plus que sur leur supposée concurrence. Après chaque match, on leur pointait la moindre erreur dans leur jeu ou leur communication qui était censée prouver une animosité nouvelle. Ivan et lui avaient failli entrer dans leur petit manège avant de réaliser qu’ils ne faisaient qu’alimenter leurs prétendues discordes. Alors, ils avaient décidé de se montrer unis avant de rejoindre chacun leur délégation. Cela ne leur avait pas demandé beaucoup d’efforts puisqu’ils s’étaient entendus dès leur rencontre pour devenir de vrais amis au cours des trois dernières années. Damien n’allait pas ruiner leur relation en devenant trop compétitif et il savait qu’Ivan serait aussi respectueux.

Leur arrivée au village olympique s’était faite par délégation, mais Ivan avait réussi à le retrouver à peine deux heures plus tard. Damien l’avait alors écouté lui raconter toutes les anecdotes des J.O. précédents qu’il avait entendues durant le voyage et avait ri, incrédule.

Néanmoins, avec la fête qui avait suivi la cérémonie d’ouverture, ils avaient rencontré les autres athlètes et il était vite devenu clair que les rumeurs colportées au sujet du sexe facile lors des Jeux Olympiques n’étaient pas infondées. En une semaine, aucun des deux n’avait passé une journée sans utiliser au moins l’un des préservatifs fournis gracieusement par les organisateurs. Que ce soit pour se détendre avant une épreuve ou pour fêter une victoire, tous les prétextes étaient bons. Ivan en avait fait un jeu pour voir combien de nationalités différentes il pourrait épingler à son tableau de chasse. Quant à lui-même, il avait joué la carte de la brute timide : alors qu’il était resté seul quelques minutes le premier soir, une skieuse de fond l’avait abordé et, en un rien de temps, ils avaient terminé dans les toilettes, la tête de la jolie Suédoise cognant contre la porte au rythme de ses coups de reins. Après cette soirée, Ivan et lui s’étaient lancé des défis en fonction des résultats des différentes équipes.

La performance de l’équipe de France en hockey sur glace face à celle de Suisse était pour le moins incertaine. Les pronostics jouaient en la faveur de la Suisse, mais il n’était pas impossible de les battre. Aussi Ivan avait-il l’avantage et Damien s’étonnait de ne pas le voir entrer en jeu immédiatement, surtout que son ami lui avait promis un rendez-vous avec deux Allemandes s’il parvenait à bloquer au moins trois de ses attaques. Il allait perdre ce pari et sa récompense parce que son adversaire fuyait la confrontation. Le coup de sifflet annonçant l’engagement le força à oublier ce manque de fair-play et à plonger dans le jeu.

L’avance de la Suisse était confortable ; Ivan ne rejoignit son équipe que pour le dernier tiers temps – après avoir ignoré tous les regards noirs qu’avait pu lui lancer Damien depuis son côté de la patinoire lors des interruptions de jeu. Alors, Damien mit toute sa rage dans sa défense à chaque fois qu’Ivan se présentait face à lui. La France avait peut-être perdu sa chance de gagner cette rencontre, mais lui pouvait encore montrer à son ami qu’il ne se laisserait pas abattre si facilement. Et bloquer la crosse d’Ivan ou le plaquer contre le plexiglas de la patinoire était curieusement jouissif.

Le retour au vestiaire se fit dans une ambiance morose. Même si les pronostics jouaient contre eux, ne pas ramener de médaille était un coup dur pour l’équipe de hockey. En particulier pour ceux dont c’était la dernière sélection. Au moins, Damien pouvait viser les prochains Jeux, dans quatre ans. Et, à plus court terme, il comptait bien rappeler à Ivan sa promesse, puisqu’il avait au moins remporté leur défi personnel, et profiter d’une soirée de consolation aux petits soins de deux Allemandes. Quand il quitta la douche et commença à s’habiller, il reçut un message d’Ivan. Celui-ci, plutôt que de l’avoir attendu pour l’accompagner, lui demandait de le rejoindre à son hôtel dans le village olympique. Son ami n’avait visiblement pas compris que retarder leurs retrouvailles ne changerait en rien son agacement, bien au contraire.

Devant la porte d’Ivan, Damien sortit la carte magnétique que lui avait confiée le joueur partageant la chambre de son ami. Le trajet du retour avait eu le temps de calmer ses nerfs et il fut alors étonné de sentir la nostalgie des derniers jours s’installer : il restait la cérémonie de clôture, mais les Jeux étaient finis pour lui et son équipe. À peine franchit-il le seuil qu’il se retrouva dans les bras d’Ivan :

« Je te féliciterais bien pour le match, mais je tiens à la vie, se moqua celui-ci.

— Tu ferais mieux de t’abstenir, oui », répondit-il en rompant leur embrassade. « Et de me dire que j’ai deux jolies Allemandes qui m’attendent dans cette chambre. Et qu’elles parlent un minimum français. »

Damien était incapable de retenir davantage que quelques ordres dans une langue étrangère et il était ravi de laisser ses coéquipiers lui traduire tout le reste. Néanmoins, Ivan le regarda d’un air coupable et il sut que la suite n’allait pas lui plaire.

« Désolé, mes biathlètes nous ont fait faux bond. »

Damien sentit son irritation redoubler, avant qu’Ivan ne poursuive :

« Mais j’ai une jolie patineuse italienne.

— Et elle n’a pas peur que je l’abîme pour ses épreuves ? »

S’il avait appris une chose des patineuses artistiques qu’il avait tenté de draguer, c’était qu’elles ne trouvaient que rarement de l’attrait à un sport aussi violent que le hockey sur glace. En théorie, elles appréciaient le physique des hockeyeurs, leur force brute. Et elles-mêmes prenaient des risques énormes lors des entraînements dans l’espoir de réaliser une combinaison qui les distinguerait. Mais tous ces efforts physiques passaient presque inaperçus lorsqu’elles glissaient avec grâce sur la glace dans leurs tenues délicates tandis que les hockeyeurs étaient renforcés de protections diverses qui rendaient leur déplacement moins fluide. Damien avait trop souvent entendu des patineuses se plaindre de leur manque de finesse. Il ne doutait pas qu’elles appliquaient le même genre de préjugés quand elles les imaginaient au lit.

« Même pas. Stella est furieuse après son partenaire qui lui en a fait baver depuis des mois en l’empêchant d’avoir la moindre relation avec un homme, alors que c’est lui qui a gâché leur chance de médaille aujourd’hui en chutant. Du coup, elle compte bien – et je la cite – se faire défoncer. Elle n’attend plus que nous. »

La satisfaction qui avait envahi Damien à cette idée s’évanouit en un instant lorsqu’il assimila la fin de la sentence.

« Nous ? s’étrangla-t-il. Tu m’expliques comment on est passé d’un plan à trois entre moi et deux biathlètes allemandes à un plan à trois de deux hockeyeurs avec une patineuse ? »

Ivan ne répondit pas aussitôt ; il lui passa plutôt le bras autour des épaules, le faisant se crisper sous ce contact, et l’accompagna vers la chambre. Damien découvrit Stella debout près de la fenêtre. Sa tenue de gala tout juste abandonnée au sol, les cheveux retenus en chignon, elle leur lançait un regard aguicheur alors que l’une de ses mains avait déjà trouvé le chemin de son clitoris et qu’elle leur proposait des préservatifs de l’autre. Le souffle d’Ivan lui chatouilla l’oreille. Soudain, l’idée de faire demi-tour et aller retrouver son équipe lui parut judicieuse. Baigner dans la morosité de la défaite était peut-être préférable aux risques qu’il prenait dans cette pièce. La proximité d’Ivan le perturbait et il craignait d’être trahi par son propre corps. Il avait appris à contrôler son attirance pour les hommes à force de partager des vestiaires, mais l’intimité de cette situation menaçait de ruiner ses efforts.

« À toi de voir, mais ce serait dommage de laisser passer l’occasion. Ça fait à peine un quart d’heure qu’elle est là et elle m’a déjà tellement chauffé qu’elle pourrait me demander de te sucer sans souci », annonça Ivan d’un air sérieux.

L’image qui vint à Damien après cette confession lui contracta le bas-ventre, le laissant entre désir et crainte. Néanmoins, il était assez coutumier des attitudes d’Ivan pour reconnaître sa bravade pour ce qu’elle était : un moyen de se donner de la contenance face à une situation qui l’excitait vraiment. Il réagit alors de la seule manière adaptée : il leva les yeux au ciel et donna une tape amusée à son ami. Celui-ci l’abandonna aussitôt pour rejoindre leur partenaire du soir. Damien hésita encore un instant, mais l’occasion d’avoir une patineuse dans son lit et l’envie de faire plaisir à Ivan l’emportèrent sur ses craintes les plus secrètes.

Lorsqu’il se décida, Stella venait de plaquer Ivan contre le mur et l’embrassait avec passion. Même si son ami s’était laissé faire, Damien admirait la fougue dont faisait preuve la jeune femme. En deux enjambées, il les rejoignit et profita d’être derrière Stella pour redessiner les courbes de son corps, s’attardant sur les zones qui la faisait frissonner. Nue alors qu’eux deux étaient toujours habillés, Stella semblait décidée à réparer cette injustice : elle se dégagea de leur étreinte et les laissa face à face en indiquant, d’un mouvement de menton, leurs vêtements.

Damien jaugea Ivan du regard et ôta son t-shirt, aussitôt imité par son ami. Se rapprochant de lui, Stella déboutonna son jean et il sentit soudain Ivan dans son dos, ses doigts le frôlant pour aider la patineuse à le délester de son pantalon. Le contact, pourtant léger, provoqua en lui une sensation inédite, mais il ne tenait pas à l’analyser dans l’immédiat. Afin d’éviter une réaction inappropriée, il s’écarta et se chargea lui-même de son boxer, tentant d’ignorer Ivan qui se mettait à nu près de lui. Ce n’était pas la première fois qu’ils se voyaient ainsi puisque les douches communes étaient un bon remède contre la pudeur entre sportifs, mais les circonstances étaient différentes et la gêne revenait, teintée d’une culpabilité dont il pensait s’être défait avec la fin de son adolescence.

Toutefois, le malaise passa rapidement puisque Stella l’entraîna vers le lit et s’allongea sur le dos. Battu par Ivan pour goûter les seins menus de la jeune femme, il s’agenouilla entre les pieds de celle-ci. En accord avec ses intentions, elle écarta les cuisses et il commença par l’embrasser au-dessus des genoux. D’une oreille distraite, il perçut le craquement d’une pochette de préservatif puis, alors qu’il arrivait au niveau de l’aine de Stella, Ivan lâcha un gémissement plus rauque. Le bruit de succion qui suivit ne demandait pas beaucoup d’imagination et Damien préféra éviter de relever la tête : la vue du fessier de son ami accroupi au-dessus de la poitrine de leur partenaire n’était pas celle qu’il désirait avoir pour l’instant. Son imagination lui en fournissait déjà une suffisamment détaillée.

D’un coup de langue assuré, il chercha à déconcentrer Stella. Lécher autour de son clitoris ne la fit pas réagir, mais quand il aspira les grandes lèvres l’une après l’autre, il dut maintenir les cuisses de la jeune femme pour qu’elle ne puisse pas les refermer. Alors, elle abandonna le sexe d’Ivan pour parler à ce dernier. Sans réussir à s’intéresser à leur conversation puisqu’elle avait lieu en italien, il resta concentré sur le plaisir qu’il voulait donner à Stella, sur celui qu’il ressentait entre les jambes d’une femme. Cependant, Stella lui échappait, se redressant dans le lit. Quand il leva la tête, Ivan lui tendit un préservatif et une petite bouteille de lubrifiant. Le tout assorti d’un clin d’œil complice :

« Allez, mets-toi sur le dos, enfile ça, sois généreux sur le lubrifiant, écarte un peu les jambes et laisse la demoiselle descendre à son rythme. »

Damien avait l’impression de ne pas pouvoir obéir assez vite : sa dernière copine avait mis des mois avant d’accepter de tester la sodomie et l’expérience avait été unique, aussi ne s’attendait-il pas à cette agréable surprise. Stella ne perdit pas de temps non plus et s’installa dos à lui, les pieds de part et d’autre de ses cuisses. Avec une main pour soutenir la hanche de Stella et l’autre pour garder son sexe en place, il la guida en douceur. Toutefois, Stella le prit de court en s’abaissant soudain, son gland capturé par le muscle anal.

« Oh, putain ! s’exclama-t-il.

– Ouais, elle m’a dit qu’il lui arrivait de garder un plug toute la journée, renchérit Ivan, la voix rêveuse.

– La ferme ! » le rabroua-t-il.

Son ami était à leurs pieds, son sexe en main, se masturbant avec lenteur. Stella ignora leurs enfantillages et continua, sans s’interrompre, à prendre sa verge en elle. La pénétration était constante et la pression délicieuse. Malgré son instinct qui le réclamait, Damien retint ses coups de reins. Quand les fesses de Stella rencontrèrent enfin son bassin, il s’autorisa de légers mouvements et apprécia la facilité avec laquelle le corps de la patineuse s’adaptait à l’intrusion. Le buste de Stella fut toutefois vite repoussé vers lui, jusqu’à ce que son dos repose sur le torse de Damien. Et Ivan s’empressa de s’agenouiller entre leurs cuisses.

D’abord de deux doigts, il pénétra dans le vagin de Stella. Damien s’étonna du contact : serré dans l’anus, il ne s’attendait pas à ressentir autant sa présence La fine paroi entre les deux orifices ne servirait pas vraiment de barrière entre eux et si Ivan n’avait pas eu les doigts recourbés à la recherche du fameux point G, il aurait pu croire que les caresses lui étaient destinées. Il se mordit la langue pour forcer son esprit à quitter cette voie glissante et ne pas se perdre dans le fantasme. Un murmure appréciatif de Stella l’y aida, puis elle débita une phrase en italien à destination d’Ivan. Des encouragements, que son ami s’empressa de suivre, puisqu’il ôta ses doigts ; Damien sentit le matelas s’affaisser et les genoux de son ami cogner l’intérieur de ses cuisses, autant de sensations électrifiant le moindre point de contact. Puis le sexe d’Ivan glissa en Stella, coulissant contre le sien. Il s’inquiéta un instant pour la jeune femme entre eux : la pression seule menaçait de le faire basculer vers la jouissance sans même avoir eu à se mouvoir, il se demandait donc comment elle faisait pour supporter leur intrusion à tous deux. Un soupir de plaisir le rassura.

Puis les déhanchements familiers débutèrent. Plus libre de ses mouvements, Ivan donnait d’amples coups de reins quand Damien se contentait d’un court va-et-vient et leurs corps s’accordèrent vite sur le rythme à tenir. Stella s’abandonnait entre leurs bras et reposa bientôt la tête sur son épaule. Le cou de la jeune femme dégagé, il en profita pour mordiller la peau sensible de cet endroit tandis qu’Ivan reprenait ses assauts sur les mamelons à présent durcis. Les cheveux de son ami lui chatouillaient parfois le nez. Damien choisit de concentrer son attention sur ce détail agaçant plutôt que sur la pression des genoux d’Ivan à l’arrière de ses cuisses. Puis il ferma les yeux et s’oublia dans son propre plaisir.

Sa poigne se raffermit à la taille de Stella alors qu’il sentait l’orgasme se rapprocher. Il se fichait bien de finir le premier et ne chercha pas à retarder le moment. Une contraction du muscle anal autour de son sexe et le frottement de l’autre verge l’achevèrent et son sperme gicla dans la protection. Stella se cambra dans sa jouissance et lança un nouvel ordre en italien. Damien crut comprendre qu’elle réclamait un baiser, aussi s’écarta-t-il du cou de la jeune femme pour lui permettre d’embrasser Ivan. Toutefois, une main sur sa nuque lui fit ouvrir les yeux pour rencontrer le regard contrit d’Ivan. Puis, tout en continuant à chercher sa propre délivrance, ce dernier se pencha sur lui et s’empara de ses lèvres. Le contact humide fut bref, mais il le surprit et intensifia le plaisir de Stella dont le corps sembla soudain convulser pour une seconde ou deux sous celui d’Ivan. Jusqu’à ce que ce dernier se recule, visiblement satisfait à son tour.

Les peaux moites se rafraichissaient et Damien n’avait plus la moindre envie de bouger, parce qu’il lui faudrait réfléchir à ces derniers instants dès qu’il quitterait le lit. Stella fut la première à briser l’accalmie pour se lever et enfiler sa tenue. S’il avait été dans sa chambre, il lui aurait proposé au moins une douche, mais la jeune femme semblait déterminée à démontrer quelque chose à son partenaire olympique. Et rentrer encore suintante de l’odeur du sexe faisait apparemment partie de son programme. Stella se pencha pour déposer un baiser sur sa joue, puis Damien tira le drap sur lui dans un sursaut de pudeur. Le lit grinça et Ivan se leva pour raccompagner Stella. Bercé par le son de leurs voix, Damien cessa de lutter pour maintenir ses yeux ouverts et laissa la torpeur engourdir son esprit.

La porte claqua et, un instant plus tard, le matelas s’affaissa à ses côtés. Ivan prit appui contre lui et Damien sentit les doigts de son ami frôler ses côtes au rythme de ses inspirations. Une fois de plus, il tenta d’ignorer l’effet que ce genre de contact provoquait en lui. Cette excitation nerveuse qu’il pensait oubliée depuis longtemps revenait se venger avec force. Si la refouler davantage était impossible, il aurait préféré qu’elle choisisse une autre cible pour se manifester, quelqu’un qu’il n’aurait pas regretté de perdre quand la situation lui échapperait. Malgré son envie d’ignorer la réalité, une tape amicale sur ses pectoraux le força à ouvrir les yeux. Ivan, assis à quelques centimètres de lui, toujours aussi nu, le fixait avec un sourire en coin et un air indéchiffrable.

« On partage la douche ? » lui proposa Ivan.

Damien se mit à rire et ses propres oreilles reconnurent une note d’hystérie dans son hilarité. S’attarder dans cette chambre ne servirait qu’à inciter sa confusion. Pourtant, lui et Ivan restaient coéquipiers et partageraient à nouveau des vestiaires dans quelques semaines. Le groupe l’aiderait à garder ses distances, mais il ne voulait pas créer de malaise avec son ami. Il décida donc de briser toute tension par l’humour :

« Ça va aller, merci, je verrai ça dans ma chambre. Tu pourrais finir par me violer.

– T’exagères », ronchonna Ivan en s’éloignant pour entrer dans la salle de bains, tout comme Damien l’avait espéré.

Cependant, son ami fit volte-face et prit appui sur le chambranle.

« C’est elle qui m’a demandé qu’on s’embrasse et j’ai voulu lui faire plaisir, mais je n’aurais peut-être pas dû. Pas si ça rend les choses bizarres entre nous.

– C’était juste un baiser », le rassura-t-il tout en essayant de se convaincre de l’innocence du geste. « Elle aurait pu demander des choses bien pires.

– Avec toi ? le taquina Ivan de son air charmeur. Tout ce qu’elle voulait. »

La porte de la salle de bains se referma sans lui laisser la possibilité de répondre et il lui fallut quelques secondes pour assimiler ce que venait de dire Ivan. Son corps semblait partagé entre l’espoir de voir ses désirs assouvis et la terreur d’y céder pour être déçu. Face à ces émotions contradictoires, il se redressa trop vite sur le bord du lit et la nausée le prit. La tête penchée entre les genoux, il tenta de retrouver son calme. Plusieurs minutes s’écoulèrent durant lesquelles il se força à ignorer le bruit de la douche pour s’empêcher d’imaginer le corps que l’eau caressait. Puis le silence résonna à ses oreilles et il se fit violence pour se mettre en mouvement. Il enfila ses vêtements en toute hâte et s’échappa de la chambre.

A un stade du plaisir – Scène coupée

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : M/M/M/M, romance, érotique, rugby.

Ceci est une scène coupée du roman A un stade du plaisir, sorti aux éditions Harlequin.

Lorsque j’ai écrit cette histoire, j’ai commencé par faire plusieurs versions, et voici une version abandonnée. La scène était partie dans une direction que je ne voulais pas : relativement sombre, mais ça c’est quelque chose que j’aime écrire, mais surtout allant dans une relation où le consentement du personnage était, certes, réel, mais… bof, quoi. Limite, tout de même. Et ce n’était pas ce que je voulais. Ces 3 personnages sont restés présents dans la version finale, mais dans une relation très différente de celle que l’on voit ici, et le deuxième héros, soit celui avec qui Josh vivra une romance, n’apparait pas encore. Cette scène de douche a cependant fait un bon effet sur plusieurs amies qui l’ont lue, et je l’aime bien, aussi.

Note : Le texte qui suit est écrit du point de vue du héros, soit Josh.

A un stade du plaisir - Scène coupée

Juan tourna le visage vers Angélo.

— Tu devrais le laisser tranquille, dit-il.

— Pourquoi ?

La main d’Angélo naviguait sur son torse et son regard était fixé sur son bas-ventre, là où — Josh le savait — son propre membre ne cessait de se relever au fur et à mesure que ses doigts descendaient vers lui.

Josh appuya plus fortement la tête contre le carrelage, derrière lui, et leva les yeux au plafond. Le désir pulsait violemment à l’intérieur de lui, dangereux. Positionné sur sa gauche, en opposition à Angélo, Juan ne le touchait pas. Seulement, il l’observait, comme s’il cherchait à lire dans son regard, à décrypter ce qui se jouait sous le grain de sa peau.

— Tu veux ?

Il ne répondit pas à cette question de Juan. Il se serra juste plus intensément contre le mur, y plaqua les mains et, lorsque celle d’Angélo parvint sur son membre tendu, ferma vivement les paupières en relâchant un souffle tremblant. L’excitation explosa avec tant de force en lui qu’il se rendit compte que, si, au lieu de s’enrouler simplement autour de sa chair, les doigts s’étaient mis à le caresser, il aurait pu jouir dans l’instant.

Alors, il rouvrit le regard, fixa Juan, un temps, puis osa le diriger sur Angélo, inquiet de ce qu’il allait y voir. Curieusement, celui-ci n’affichait pas l’une de ses expressions méprisantes, mais plutôt attentive, bien que supérieure, comme toujours.

— Tu vois ? dit Angélo à Juan.

— Oui.

— Je te le disais.

Et Josh eut à peine le temps d’intégrer ces paroles que la main d’Angélo se mit en mouvement sur son sexe tandis que son souffle se rapprochait de son cou, le caressant et tirant des décharges de plaisir de son corps. De réflexe, il tendit le cou en arrière, haleta, se raidit, conscient au fond de lui que, malgré toute la crainte qu’il éprouvait, ce qu’il se passait était exactement ce qu’il avait voulu, ce qu’il désirait au plus profond de lui-même. Sa tête retomba sur le côté et il fut surpris en rencontrant celle de Juan qui le laissa pourtant s’appuyer contre sa pommette. Étonné, il rouvrit les paupières tandis que les doigts d’Angélo se mouvaient toujours sur son sexe, le faisant frôler la jouissance, et ne put voir l’expression du visage de Juan, celui-ci étant trop proche de lui, mais put le sentir tourner légèrement la tête. Et lorsque sa main se posa sur son torse, et que ses doigts se saisirent de son mamelon, et qu’ils le firent rouler doucement, la chaleur qui grondait déjà dans son ventre explosa et il se répandit sur la main chaude qui l’enserrait, le faisant se vider en longues saccades alors que son corps entier tremblait sous la force de l’orgasme éprouvé.

Un temps, il resta pantelant, toujours appuyé contre le mur froid de la douche de laquelle plus rien ne coulait. Seules quelques gouttes, un peu plus loin, apportaient un résonnement régulier qui renforçait l’atmosphère de silence et de vide de la salle.

Puis Josh vit Angélo et Juan se faire un signe de tête avant de commencer tous deux à se déshabiller.

***

Quand il contempla les corps d’Angelo et de Juan devant lui, Josh aurait pu se trouver devant une image connue : il les avait déjà vus nus dans l’intimité des vestiaires. Il aurait pu se trouver devant quelque chose d’effrayant : leurs sexes étaient tendus et il ne savait pas ce qu’ils voulaient faire de lui. Ce qu’il éprouva le plus fortement fut pourtant de l’excitation. Sa verge vidée collait à sa cuisse mais tout son organisme vibrait encore d’un brasier inconnu, puissant au point de rendre secondaire toutes les pensées qu’il pouvait bien avoir et qui, pourtant, comportaient un certain nombre de signaux d’alarme.

Il se laissa glisser au sol, suivant le carrelage dans son dos, sans réfléchir, captivé par la vision qui se dressait en face de lui. Surtout, il regarda Juan. Juan chez qui, bien malgré lui, tous ses fantasmes se concentraient. Juan qui resta en arrière alors qu’Angélo s’approchait de lui. Comme si la configuration avait été faite pour qu’ils se trouvent à ce moment-ci exactement dans cette position, son sexe se présenta devant son visage, proche, si proche, alors qu’Angélo prenait appui des deux mains contre le mur.

— C’est bien ce que tu veux, non ?

Josh leva les yeux sur son visage, le trouvant haut au-dessus de sa tête. Encore une fois, et contrairement à ce dont il avait l’habitude, l’expression d’Angélo n’était pas agressive, juste pressante et invasive, comme s’il le sondait par ces paroles. Il évita de répondre. Juan s’accroupit à ce moment auprès de lui et Josh fut tellement troublé par cette présence soudaine qu’il en manqua une expiration. Il sombra alors dans son regard, dans ces yeux qui le captivaient si aisément.

— Si tu ne le veux pas, dis-le, lui chuchota-t-il.

Et Josh se laissa envahir par ces paroles, touché qu’elles lui soient adressées.

— Joshua, l’appela Angélo.

Celui-ci usait toujours de son prénom complet le concernant. Après un temps de silence, il répéta pourtant en corrigeant :

— Josh.

Le changement soudain attira son attention et il releva la tête vers ce dernier, le trouvant de nouveau penché sur lui, son sexe à quelques centimètres de ses lèvres.

Juan se redressa à ce moment-là.

— Angélo… Je ne suis pas sûr qu’il veuille.

— Avec toi, il veut.

L’annonce fit à Josh l’effet d’un coup de poignard, la manière dont le fixa Juan à ce moment-là aussi. Angélo lisait visiblement avec beaucoup de clarté en lui.

Juan échangea un regard avec ce dernier, un regard qui, s’il ne le confirma, ne s’opposa pas à ce qu’il avait dit.

— Dis-le, exigea alors Angélo, et Josh vit dans ses yeux émaner soudain quelque chose de sombre. Quelque chose à quoi il ne s’était pas attendu. Quelque chose qui l’excita vivement, malgré lui.

— Je vais y aller, souffla-t-il avec empressement en commençant à se relever pour tenter de se défiler, mais Juan ne le laissa pas faire.

D’un coup, il se saisit de ses cheveux et il plaqua la tête contre le mur, le faisant se cogner au carrelage.

— Dis.

Son cœur battait à toute allure et il voyait le sexe de Juan se présenter devant lui, ce sexe auquel il avait tant fantasmé auparavant, qu’il avait imaginé plusieurs fois entrer dans sa bouche, franchir la barrière de ses lèvres et… plus bas encore, l’écarter.

— Oui, avoua-t-il et, pour confirmer son aveu, et alors que sa poitrine abritait des battements plus vifs encore, il ferma les yeux et ouvrit les lèvres.

Si la sensation du sexe de Juan ne l’avait pas violemment excité, le son du soupir que celui-ci lâcha en franchissant la barrière de sa bouche aurait pu le faire à lui seul. Josh se positionna plus confortablement sur ses genoux, laissant la chair désirée glisser sur la surface offerte de ses lèvres jusqu’à ce qu’elle prenne sa place en lui. Là, Juan s’immobilisa et Josh leva la main pour la placer sur sa hanche solide, avant que l’autre la rejoigne de l’autre côté. Il sentait les muscles puissants sous ses paumes : ceux des cuisses à la lisière de ses poignets, ceux des fesses à l’extrémité de ses doigts, là où il brûlait de les glisser, de toucher les globes puissants, de s’y agripper. Mais il les laissa juste en place et s’en servit pour repousser le corps de Juan, juste assez pour lui laisser l’amplitude suffisante pour revenir de lui-même dans sa bouche.

Expérience vidéoludique

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Bi, M/M/F, SF, trio.

Résumé : Lorsqu’Ixe, joueur ultramédiatisé d’un sport violent de son époque, entre dans une maison close, tout ce dont il a envie est d’oublier un moment ce qui fait son existence.

Expérience vidéoludique

– Ixe, enregistra l’hôtesse, derrière son écran d’ordinateur suspendu.

Le joueur acquiesça. Il prit appui du coude sur le comptoir d’accueil tandis que la femme pianotait rapidement sur son clavier. À l’extérieur du bâtiment, la lumière du soleil brillait vivement, mais celle intérieure était passée en mode « crépuscule », teintant les murs d’un bleu tirant sur le violet.

– Sous quel mode désirez-vous participer ? poursuivit son interlocutrice.

Pehène lui avait expliqué les différentes options : la payante qui lui permettrait de choisir qui il voulait comme partenaire parmi les employés de l’établissement, et son opposée qui le plaçait, lui, temporairement dans la position du « prestataire de services » — Ixe adorait l’expression — et lui permettait une séance gratuite, mais moyennant le fait qu’il se laisse choisir par un client. Et puis il y avait la troisième : la vidéoludique, qui n’était proposée que très rarement et combinait les deux options précédentes dans la mesure où il pouvait coucher avec des membres de l’établissement, mais à condition que ce soit ceux-ci qui le choisissent, lui et les pratiques associées. Dans ce cas, les clients étaient directement les abonnés à la chaîne, la séance y étant retransmise intégralement. Prostitution ou pornographie, donc.

L’hôtesse effectua quelques calculs rapides sur son écran.

– Étant donné votre notoriété, je vous propose la vidéoludique. Votre côte est d’un pour mille ! Ce qui veut dire que…

Ixe l’écouta distraitement. Il tourna la tête vers la femme qui observait leur conversation, plus loin, le pied posé contre le mur derrière elle. Elle portait une robe fendue sur le côté dont l’ouverture montait jusqu’au-dessus de son aine. Un grand homme, vêtu d’un justaucorps matelassé et d’un pantalon large porté bas sur les hanches, s’arrêta devant elle. Ils échangèrent quelques mots à voix basse avant de tourner leurs visages en même temps vers Ixe.

Le joueur sourit, amusé par l’évidence de leur intérêt.

– Va pour la vidéoludique, alors.

Qui moins que lui avait besoin d’argent ? Cependant, la perspective de faire s’étrangler de colère son entraîneur en s’offrant à son public ainsi lui apparaissait comme merveilleusement divertissante, et n’était-il pas justement là pour cela ? Quant à se faire filmer, il en avait suffisamment l’habitude, avec les courses de discball et ces insupportables caméras volantes qui le poursuivaient jusque dans les vestiaires, après les matchs, dans l’infirmerie, dans les entraînements, les meetings, soit dans quatre-vingt-dix pour cent de son existence. Il avait déjà tant montré de lui, que pouvait bien lui importer d’afficher aussi ses fesses ? L’hôtesse avait raison : en plus de le voir régulièrement se massacrer réciproquement avec les autres joueurs, au sens figuré comme au sens propre, le public adorerait le voir se faire baiser.

Ixe sourit quand la femme à la jupe fendue se décolla du mur pour s’approcher de lui en une démarche invitante. Elle avait une longue chevelure noire et un tatouage en forme de Yi-King qui lui descendait du dessous de l’œil jusqu’au milieu de la joue.

– On joue ? lui susurra-t-elle en s’appuyant paresseusement sur le comptoir de l’accueil.

Sous la soie bleue de sa robe, se devinait une chute de reins plongeante. Quant à sa façon de taquiner son index de la pointe de ses dents, Ixe en adora le caractère mutin. Il laissa tomber son visage sur le côté, étirant les lèvres avec amusement.

– Avec plaisir.

Il constata ensuite l’arrivée de l’homme au justaucorps de cuir, qui vint se caler juste de l’autre côté de lui, un peu trop près pour que son geste soit anodin. Leur carnation était typique des habitants de Centrale : ambrée, conséquence de siècles de mélanges ethniques, quand celle d’Ixe affichait la pâleur de la population de la périphérie dont il était issu. Ce dernier savoura le fait d’être ainsi désiré par ceux qui, habituellement, se faisaient acheter.

– Petit joueur de discball a envie de se mêler aux oubliés de la société ? ironisa l’homme.

– Petit joueur de discball a juste envie de s’envoyer en l’air, rit Ixe. C’est que les moments de détente ne sont pas ce que je pratique le plus souvent.

Malgré son ton badin, il savait au fond de lui qu’il en avait juste marre. Marre d’être en représentation constante. Marre de ces fans qui l’adulaient même lors de ses actes les plus répréhensibles. Marre de devoir toujours être ce que le public attendait de lui. Ils le faisaient chier, tous.

– Sonja, se présenta la prostituée.

– Ixe.

Sonja leva les yeux au ciel en éclatant de rire.

– Non, mais qui ne le sait pas ?

Puis elle se dirigea vers l’étage dans un clignement d’œil. L’homme, Mose, comme il se présenterait ensuite dans la cabine de désinfection précédant l’entrée dans la chambre, l’invita à les suivre dans un sourire.

Lorsqu’Ixe découvrit la pièce qui abriterait leurs ébats, sa grandeur fut le premier élément qu’il remarqua. La multitude d’écrans flottants fut le suivant. Il ne voyait s’activer que quelques caméras volantes, mais leur entrée à tous trois était reflétée sous tant d’angles différents que d’autres devaient truffer les divers recoins de la pièce. Dans l’angle supérieur des écrans, Ixe pouvait voir la montée déjà exponentielle des spectateurs se connectant. « Séduit le public », ne cessait de lui répéter son entraîneur. « Fais parler de toi », « crée l’intérêt autour de toi ». Montrer son cul ne faisait certainement pas partie des évènements auxquels songeait celui-ci, mais Ixe trouvait pour sa part délectable d’appliquer ainsi ses recommandations. La société voulait faire de son existence une téléréalité ? Il allait leur donner ce qu’ils voulaient. Mais selon un mode qui ne serait pas celui auquel ils s’attendaient.

D’un pas vers l’arrière, il se laissa plaquer contre le montant du lit à baldaquin quand Sonja s’agenouilla devant lui pour lui défaire son pantalon. Une main passa dans ses cheveux, s’y agrippa, lui fit tourner la tête. Son regard pâle plongea dans deux yeux noirs dans lesquels l’amusement se confondait avec un appétit clairement palpable. Le beau Mose voulait le posséder. Ixe inhala brusquement alors que la bouche de Sonja l’engloutissait d’un coup, mais celle de Mose se posa aussi vite sur la sienne. Le joueur ferma les paupières. Le compteur de spectateurs s’emballa si fortement qu’il n’était plus possible de voir que ses deux premiers chiffres, tant les suivants défilaient rapidement. Mose passa la main sur le torse du joueur, commençant à défaire lentement les attaches métalliques de sa chemise. Celui-ci haletait déjà, le plaisir de la bouche chaude léchant, enveloppant et aspirant son sexe se cumulant à l’excitation de la vision des différentes vidéos de la scène. Sonja avait des lèvres rouges, et les mèches ébène qui bouclaient joliment sur sa joue rehaussaient la beauté de la vue.

Mose écarta d’un coup les deux pans de la chemise d’Ixe, révélant son torse glabre et rayé de cicatrices. Ce dernier exhala alors que Sonja glissait une main derrière ses fesses. En la voyant parcourir leur rondeur, puis s’égarer plus loin entre elles, Mose souffla à l’oreille du joueur :

– C’est ce que tu veux ?

– Je croyais que ce n’était pas à moi de choisir le détail des évènements, se contenta de répondre Ixe, la respiration déjà un peu rapide à cause des caresses de Sonja.

L’expression du grand homme à la peau ambrée n’en fut que plus amusée. Il saisit le joueur par les épaules et le décolla du montant du lit pour l’y faire tomber, ce que ce dernier accepta avec complaisance. La jeune femme attrapa aussitôt le reste des vêtements d’Ixe pour finir de les lui retirer, le laissant seul nu dans la pièce, la pâleur de sa peau tranchant avec le noir des draps, et la clarté de sa chevelure s’y étalant. Une langue darda malicieusement entre les dents de la femme et elle grimpa à quatre pattes au-dessus de lui. De réflexe, Ixe remonta vers le haut du lit, prenant ses aises tout en savourant l’attitude féline avec laquelle elle le dominait. Les doigts de cette dernière passèrent lentement sur le torse du joueur, en éprouvant la douceur et suivant le liseré crémeux des cicatrices que ses années de discball lui avaient laissées. Lorsqu’il leva les mains pour caresser ses hanches, cette dernière les chassa d’une claque, souriant largement quand Mose se mit de la partie en s’asseyant plus haut pour saisir les poignets d’Ixe et les relever au-dessus de lui. Une fois qu’il fut maintenu ainsi, Sonja se mit à rire doucement.

– C’est vraiment ce que tu veux montrer à ton public ? s’amusa-t-elle.

– Peut-être…

Il n’avait pas la tête à y penser sérieusement. Son visage était faiblement tourné sur le côté, ses mèches tombant sur son front dans une image provocante. Tandis qu’il observait Sonja, il se demanda quelle pouvait être son existence. La loi Boran avait institué le droit de chaque prostitué de choisir ses conditions de travail, mais il n’avait pas le sentiment que cela ait eu grande incidence sur leur situation. Quant à ce qu’elle pensait de lui, l’enviait-elle ? Autour d’eux, les écrans flottants faisaient toujours défiler à toute vitesse leurs compteurs de spectateurs. Ixe tendit les lèvres vers celles, rouges, qui se baissèrent vers lui. Doucement, elles se saisirent, leur surface rebondie ne se lâchant que pour revenir se prendre sous un autre angle. Quand Sonja releva finalement la tête, il souleva la sienne vers son cou, lui mordillant la peau.

Mose choisit cet instant pour resserrer les mains sur ses poignets et se pencher à l’envers sur son visage. Lentement, les lèvres de ce dernier prirent les siennes tandis que Sonja descendait sur son torse, faisant frissonner sa peau sur son passage. La poigne de Mose était forte. Ixe appréciait. Les longs doigts de Sonja parcoururent ses bourses, dures, et la chair fine de sa hampe. Lorsqu’elle enroula sa paume autour de cette dernière pour l’y faire glisser, Ixe se détacha des lèvres de Mose, sa nuque se raidissant sous le plaisir montant. Sonja sourit. Rapidement, elle se positionna à califourchon sur lui. Ixe ouvrit le regard, l’observant faire passer la soie bleue de sa robe au-dessus de sa tête. Deux petits seins aux pointes tendues en émergèrent. Un deuxième tatouage, identique au premier, s’étalait du dessous de l’un d’eux jusqu’au bord de son nombril. Sonja prit ensuite appui sur le ventre du joueur, en appréciant la fermeté des abdominaux, puis elle releva ses hanches pour enfourcher sa verge. Progressivement, elle la fit glisser en elle. Ixe se raidit de plaisir. Le sexe de la jeune femme était chaud et son sourire espiègle. Lorsqu’elle commença à se mouvoir, Ixe déplia sa nuque vers l’arrière, offrant sa courbe blanche à Mose qui s’empressa d’y poster la bouche, les lèvres, les dents. Puis le prostitué relâcha les poignets du joueur qui glissèrent par réflexe sur la taille de Sonja, ses doigts s’y resserrant.

– Laisse-le-moi, exigea enfin Mose.

– Pourquoi ? haleta la jeune femme en poursuivant ses longues montées et descentes sur ses cuisses.

Mose ne répondit pas, mais passa la main le long de la mâchoire d’Ixe, sur l’arrondi de ses lèvres, puis plus bas, le long des courbes de son torse pâle, de la dureté de son ventre… jusqu’à s’enrouler autour de la base de son sexe, bloquant Sonja dans ses mouvements. Elle fit la moue.

– Allez, pousse-toi ! rit Mose en se déplaçant pour la bousculer doucement.

La jeune femme lui claqua une main joueuse sur l’épaule.

– Eh !

Puis elle tapa un coup plus fort, mais Mose n’en rit que plus clairement, tout en ôtant rapidement son justaucorps de cuir, offrant à la vision des caméras et au reflet des écrans son torse massif. Dans son regard brillait le désir, le besoin de posséder. Ixe s’y égara un instant, ressentant à quel point il voulait lui-même cette perte de contrôle.

Les doigts de Mose glissèrent dans les cheveux d’Ixe. Ses cuisses puissantes encadrèrent les épaules de ce dernier. Son pantalon large se baissa. Son sexe se dressa, tendu, à l’orée des lèvres du joueur qui ne se fit pas prier pour en profiter. La main d’Ixe partit, se posa sur la fesse ferme en la poussant vers lui, et il ferma les paupières. Sonja escalada le dos de Mose en lui mordillant la nuque, curieuse du va-et-vient que faisait le sexe de son collègue à l’intérieur de la bouche du joueur.

– Affreux, ce que ça m’excite ! gémit-elle en se mordant la lèvre. Tu veux que je te le prépare ?

Tout à la fascination de son membre allant et venant entre ces deux chairs roses, Mose parvint à répondre. Sa main caressa doucement la joue d’Ixe.

– Oui.

Sonja bondit à côté du joueur. D’un coup, elle lécha langoureusement la joue de ce dernier, bifurquant au passage pour joindre sa bouche et remonter le long de la hampe qui s’y mouvait. Puis elle sauta, légère, au pied du lit et écarta les cuisses du jeune homme pour plonger les doigts entre ses fesses. De réflexe, le poing de ce dernier se resserra sur les draps noirs. Mose se releva avec un petit coup d’œil sur l’activité de sa partenaire. Il ôta son pantalon.

– Comment il est ?

– Serré. Juste comme tu aimes.

Puis elle se mit à genoux pour enduire largement ses doigts d’un produit lubrifiant. Ixe se raidit quand elle poussa au niveau de son endroit le plus intime. Durant quelques instants, Mose observa ces deux membres roses aller et venir dans le corps du joueur, la manière dont les abdominaux de ce dernier s’en contractaient et la vision fascinante de son visage détourné dont quelques mèches en bataille en rehaussaient la sensualité. Alors que Sonja donnait un petit coup de langue sur le bout du sexe de ce dernier, le corps d’Ixe eut un tressautement, le faisant rire. Il se redressa alors soudain pour enlacer Sonja en roulant sur lui-même dans le mouvement. Elle se retrouva sur le dos, Ixe la dominant avec un sourire amusé.

Puis doucement, celui-ci descendit sur son corps, embrassa les pointes roses de ses seins, y fit rouler ses doigts, baisa lentement chaque ligne de son tatouage, tandis que Mose s’emparait du pot de lubrifiant pour en enduire son sexe. Les minuscules caméras volantes de la pièce tournèrent, cherchèrent le bon angle. La langue d’Ixe pénétra entre les deux petites lèvres, lécha doucement. Sonja lâcha un miaulement retenu, ses doigts cherchant l’appui du matelas. Puis Mose, pesamment, posa les deux genoux derrière Ixe, baisa sa nuque, glissa les mains sous son ventre pour relever son bassin. Une fois les fesses de ce dernier juste à bonne hauteur, il plaça son membre dur à leur entrée et poussa longuement. Un souffle émana des lèvres d’Ixe. Son crâne s’enroula vers le matelas, faisant frôler ses mèches claires contre le drap. Plus vive qu’un chat, Sonja lui échappa, se retournant pour lui présenter son arrière-train. Durant un moment, elle regarda les deux hommes s’activer, les mouvements lents du bassin de Mose, ses cuisses qui se contractaient, le plaisir évident, massif, d’Ixe à chacune des poussées qui se faisaient en lui. Puis elle fit un clin d’œil à son partenaire et celui-ci saisit brusquement Ixe par les épaules, le redressant en le tirant vers lui. Enfin, Sonja recula pour s’empaler sur le sexe libéré de ce dernier.

Cette fois, Ixe gémit profondément. Les paupières fermées, il posa une main sur les hanches de Sonja, l’autre derrière lui, sur la tête de Mose qui dévorait son cou.

– Merde, haleta-t-il.

Il ne s’était pas attendu à une telle combinaison. Chacun des membres de ce trio était en train de perdre ses moyens : Sonja, pantelante, une main entre ses cuisses pour se caresser en accord avec ses mouvements de bassin. Mose dont la tête se tendait vers l’arrière, Ixe dont tout le corps était devenu tremblant, les muscles faibles et dont les gémissements s’envolaient sans plus aucune retenue dans la pièce.

Puis, lorsqu’il fut évident que ce dernier était sur le point de jouir, la voix de Sonja s’éleva.

– Mose ! l’avertit-elle, dans l’urgence.

– Oui.

Les mouvements de ce dernier se firent plus rapides, plus rapprochés, plus violents. Sonja se cala automatiquement sur son rythme, donnant de brusques coups de reins vers l’arrière exactement en même temps que Mose lançait ses hanches vers l’avant. Ixe perçut la jouissance monter, monter… Le visage de Sonja se plaqua contre le drap dans le plaisir, sa main se resserrant contre son clitoris tandis que son corps se contractait et soudain tout devint blanc. Le plaisir explosa. Ixe s’effondra sur elle tandis que les affres de la jouissance le dévoraient et que Mose continuait à aller et venir fortement en lui, cherchant son propre orgasme, majorant celui du joueur et, enfin… enfin, il les rejoignit en quelques mouvements non retenus.

Lorsqu’Ixe rouvrit les paupières, il était allongé sur le dos, le visage de Sonja sur sa poitrine et Mose accoudé à ses côtés, les yeux fixés sur les écrans flottants de la pièce.

– Regarde, dit ce dernier.

Les écrans s’étaient figés, cessant d’afficher les images de leurs ébats pour faire apparaître un total de chiffres dont plusieurs clignotaient en rouge. Ixe se rendit compte qu’il s’agissait du bilan du nombre de spectateurs et de la part réciproque que cette partie de jambe en l’air leur avait permis de remporter.

Il se sentit pris de vertige.

Connerie de la vie. Il venait de gagner plus d’argent en une heure qu’à chaque fois qu’il risquait sa peau dans un nouveau match de discball.

Encore

Encore

La porte claqua contre le mur, alors que les lèvres de Colin se trouvaient sur les siennes et ses mains sous son t-shirt.

Victor chercha un appui sur le rebord du meuble de cuisine attenant, faisant chuter le porte-clés qui s’y trouvait tandis que Colin refermait d’un coup de pied la porte de son appartement. À aucun moment, leurs bouches ne se quittèrent. Son t-shirt fut enlevé d’un geste empressé, tomba au sol, les lèvres de Colin se retrouvèrent contre sa clavicule. Victor tendit la tête en arrière, pantelant, et crispa les doigts sur les épaules de Colin. En le sentant descendre pour embrasser son torse, il frémit, résista à le pousser plus bas avec ses mains, vu mille images de Colin avec son sexe entre ses lèvres… Iraient-ils jusque-là ? Alors qu’ils traversaient la ville dans sa voiture, Colin lui avait avoué qu’il se doutait depuis un moment de son homosexualité. Il en avait même parlé avec d’autres joueurs. Victor n’avait su qu’en penser. Alors que ses tétons se faisaient aspirer l’un après l’autre, il haleta.

D’après ce que Colin lui avait dit, ce n’était pas tout à fait sa première fois. Il avait déjà eu quelques expériences penchant du côté de l’homosexualité, mais jamais abouties : du voyeurisme, surtout. Une fois, un autre type qu’il avait laissé le sucer, rien de plus. Victor se demandait, si les deux autres joueurs n’étaient pas entrés dans la douche, s’il se serait contenté de ça : décharger dans sa bouche, et puis plus rien. Mais Colin l’avait embrassé, caressé, fait jouir, et manifestait désormais le désir de le pénétrer. Pourquoi lui ? Il ne le savait pas. Colin était l’archétype de l’hétéro curieux : le genre de type à satisfaire une curiosité tout en sachant qu’il n’irait jamais plus loin. Il en avait déjà connu des comme ça. Sur le moment, il s’en moquait pourtant : qu’il se serve de lui, s’il le voulait. Il le désirait tellement qu’il s’en foutait totalement.

Il accueillit le retour des lèvres de Colin sur les siennes avec envie. Celui-ci ne le prendrait donc pas dans sa bouche, il s’en était douté.

Avec empressement, il lui retira à son tour ses vêtements, se laissa pousser plus loin dans la pièce, butant contre la table de la cuisine. Lorsque Colin l’y retourna, il ne fit rien pour retenir ses gestes, s’agrippant simplement au meuble de bois, et il se crispa quand son pantalon fut descendu. Il entendit le bruit qu’il espérait, celui qui annonçait la suite à venir : la fermeture éclair du jean de Colin, et qui lui parut être le son le plus érotique qui pouvait parvenir à ses oreilles. Puis il sentit sa verge, si dure, si ferme, entre ses fesses. L’excitait-il à ce point pour qu’il veuille si vite le pénétrer ? Était-ce dû à ce qu’il avait vu dans les douches ? Le voir se faire posséder par ces autres joueurs lui avait-il tant plu ?

Le sexe de Colin frotta contre ses muscles, glissant entre ses lobes de chair, stimulant à chaque passage l’entrée fine de son corps, celle dans laquelle Victor voulait tant qu’il se glisse. Sa voix grave s’éleva :

– Tu en as envie ?

En réponse, Victor poussa des fesses contre lui, tremblant.

– Oui.

Mais Colin ne le pénétra pas pour autant. Seulement continua-t-il à se masturber entre ses fesses, les pétrissant et les resserrant contre son sexe. Puis il s’arrêta enfin et étira ses muscles de manière à dégager son orifice.

Victor lâcha une brusque expiration. Il voulait le sentir en lui. Il le voulait si fort.

– Là ?

– Oui, souffla Victor. Oui, là.

L’excitation rendait son souffle erratique et sa respiration laborieuse.

Alors, Colin écarta plus encore sa chair et s’enfonça en lui. Victor se raidit. La sensation de sa verge l’emplissant l’excita si fortement qu’il fut comme proche de jouir. De réflexe, il retira l’une des mains avec laquelle il se tenait à la table et la glissa devant ses cuisses. En enserrant son membre, il tourna toutefois la tête vers Colin. Celui-ci acquiesça.

– Tu peux, lui confirma-t-il, comme s’il avait compris la question silencieuse qu’il lui adressait du regard.

Puis il se recula et, lorsqu’il s’enfonça de nouveau en lui, Victor lâcha un profond gémissement. Il avait fantasmé sur plusieurs de ses coéquipiers, mais avec aucun d’autre autant qu’avec Colin. Il avait désiré sa chair en lui, ses coups de reins, il s’était caressé tellement de fois en l’imaginant en train de le pénétrer… Le vivre soudain rendait l’acte comme irréel, le plaisir irradiant de manière si forte, en lui, qu’il doutait de pouvoir résister longtemps. Même sa main sur son sexe lui semblait être de trop : il se contentait de le tenir, n’y faisant que de rares va-et-vient tant il craignait de jouir trop vite. Seuls ses gémissements laissait-il s’exprimer sans entrave, sa voix s’élevant au fur et à mesure que Colin se mouvait en lui, témoignant de son plaisir alors que son visage se pressait contre la table et que ses yeux s’humidifiaient.

Puis Colin commença à claquer plus rapidement contre ses fesses et Victor gémit plus fort. Son corps entier tremblait, le sexe de Colin frottant à chaque fois contre l’endroit le plus sensible de son corps, créant des décharges qui envahissaient puissamment ses nerfs, et il se sentit proche de succomber lorsque, soudain, les coups de reins cessèrent.

Colin se retira et, pendant un instant, Victor eut peur qu’il ait joui. Il ne s’en était pas rendu compte, pourtant. Ou qu’il ne veuille plus continuer.

Mais il le tira simplement par la main puis le positionna sur bord du canapé. Sur le dos. En s’allongeant, Victor fut décontenancé en se rendant compte que, dans cette position, il ne pourrait plus rien lui cacher de sa masculinité. Il laissa un coussin se faire placer sous ses hanches, et finit de relever lui-même son bassin en attrapant ses cuisses. Colin posa alors les mains juste au niveau de la pliure de ses genoux, l’exposant plus encore et, d’un coup, alors qu’il se penchait pour s’emparer de ses lèvres, il le pénétra de nouveau.

Immédiatement, Victor gémit, enserra sa nuque en l’embrassant plus ardemment, sentant sa verge aller et venir à l’intérieur de lui. La tête lui tournait et le plaisir incendiait si vivement son corps qu’il ne parvenait presque plus à trouver son souffle. En de longues poussées, Colin le prit, comblant sa chair, claquant contre la peau devenue sensible de ses fesses et le faisant s’enfoncer à chaque fois plus profondément dans le coussin.

Le rythme s’accéléra, leurs gémissements se mêlèrent puis, d’un coup, en de longs va-et-vient plus secs et nerveux, Colin atteint l’orgasme, se déversant en lui avec force.

Allongé, Victor n’osa plus bouger. Il n’avait pas joui, mais ça lui parut sans importance, tant ce qu’il venait de vivre avait été fort. Toujours à l’intérieur de lui — il pouvait sentir sa verge l’emplir et encore pulser — Colin se redressa alors, et il enserra son membre. L’instant suivant, il se mit à le caresser avec tant de vivacité que Victor se raidit et qu’il n’eut besoin que de quelques mouvements pour se répandre à son tour. L’orgasme l’envahit, le faisant se resserrer contre le sexe de Colin et il entendit gémir alors que sa verge se contractait de nouveau en lui.

Enfin, il resta pantelant, couvert de sa propre substance et le bas du corps ouvert tandis que Colin se redressait.

Il ferma les paupières.

Il restait désormais à savoir ce que Colin voudrait faire de lui : le mettre dehors, probablement. Lorsqu’il rouvrit les yeux, il vit que, sur ses lèvres, un petit sourire en coin s’était de nouveau affiché. Toujours allongé, Victor le regarda aller vers le frigo, en sortir une bière, puis une deuxième, lui en montrer une.

– Tu en veux ?

– Oui.

Il n’osa pas se redresser, de peur de salir le canapé.

Colin parut le comprendre car il lui lança une serviette après s’en être servi en premier pour se nettoyer.

– Tu peux l’utiliser.

Victor acquiesça.

Colin se posa lourdement à côté de lui tandis qu’il s’essuyait.

– Tu…

Victor le sentit passer les mains dans les cheveux sur son front, le caressant doucement. Il leva le regard sur lui, profitant de l’instant. Lorsqu’il s’assit, il attrapa la bière qu’il lui tendit. Un baiser suivit aussitôt, long et langoureux, au goût de malt.

– Tu veux recommencer ? dit Colin dans un sourire.

Victor rit brièvement. Il but une gorgée.

– Oui.

– Oui, confirma Colin.

– Pas tout de suite, modéra Victor.

Colin acquiesça, avant de lui caresser le crâne, doucement.

– Oui. Après la bière, juste.

Et le sourire qu’il lui adressa revêtit, au-delà de son ambiguïté habituelle, une forme de complicité.

Maintenant

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : PWP, foursome, M/M/M/M, érotique, romance.

Résumé : Des douches des vestiaires. Ou de la nécessité de suivre ses pulsions lorsque, après avoir consciencieusement veillé à ne jamais montrer son homosexualité dans le milieu du sport, l’on voit son coéquipier se diriger vers les douches avec un clin d’œil significatif à son intention.

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MaintenantEncore

Maintenant

Les plastrons et les épaulettes claquèrent tandis que Victor pénétrait dans les vestiaires avec les membres de son équipe. Le public criait toujours au-dehors, hurlait, acclamait. La sueur coulait sous leurs casques. Il se posa lourdement sur le banc, ôta lentement ses protections et, plus progressivement encore, commença à se dévêtir, prenant son temps, marquant des pauses. Les autres se bousculaient en s’amusant et l’euphorie de la victoire les rendait plus surexcités qu’ils ne l’avaient été avant le match. Victor, lui, resta à l’écart de ça.

Petit à petit, il les vit se déshabiller, passer les uns les autres à la douche, remettre leurs vêtements de ville, puis sortir. D’autres équipes avaient pris leur suite, dehors, comme en attestaient les applaudissements des spectateurs et les appels au micro du commentateur. Seul Victor resta assis, encore en short, tandis que ses coéquipiers quittaient la pièce. Il attendait toujours de se retrouver seul avant de se laver. Ce n’était pas quelque chose qu’il se laissait aller à faire avec les autres. Il réagit à leurs boutades habituelles concernant sa pudeur présumée en faisant semblant de s’en amuser. Colin, cependant, n’était pas encore sorti. Il tâcha de faire comme s’il ne voyait pas son corps nu. Il fixa ses pieds, attendant.

Il détestait les passages aux vestiaires comme d’autres haïssent les fêtes de fin d’année, ou tous ces autres moments pour lesquels il était attendu un état d’esprit. Ce qu’il aurait dû éprouver, il le savait : l’impatience, la peur, l’exaltation, la franche camaraderie, les effusions viriles, frappes sur l’épaule, et l’amitié tellement dénuée du moindre sous-entendu qu’on pouvait se palper les fesses sans qu’il y ait là de geste déplacé. Pourtant, chez lui, tout était déplacé : ses pensées, lorsque son regard se posait sur les corps nus de ses camarades, ses réactions physiques lorsque ceux-ci le touchaient, ses perceptions lorsque l’un d’eux lui souriait d’une manière qui aurait pu signifier toute autre chose qu’une simple expression d’affection… Surtout avec Colin. Colin dont les sourires en coin semblaient toujours porter en eux un second degré, Colin qui ignorait la pudeur, Colin qui devait être le seul type au monde capable de faire des étirements, entièrement à poil, à l’intérieur des vestiaires, Colin qui était resté seul, dans la pièce encore saturée d’odeur de sueur alors que les clameurs du public noyaient toute possibilité de conversation dans un désordre sonore.

Puis Colin se redressa et, lorsqu’il se positionna debout face à lui, Victor put voir que son sexe affichait un début d’érection. Surpris, il releva le visage, reconnut l’un de ses habituels sourires en coin, alla jusqu’à chercher son regard… Et patienta.

Soudain, l’attente ne fut plus si pénible. Elle était devenue fébrilité, ferveur, instant suspendu dans le temps où tout était possible, où le moindre acte serait porteur d’une signification plus forte que tout ce qui avait pu se produire précédemment : provocation ou moquerie… invitation, peut-être. La porte des vestiaires s’ouvrit à ce moment et, si Colin attrapa sa serviette pour s’en entourer rapidement le bassin, il ne se dirigea vers les douches qu’après lui avoir lancé un clin d’œil.

Victor eut un temps d’hésitation. Il le regarda passer derrière la paroi carrelée, plus loin.

Alors, aussi négligemment que l’imposait l’arrivée de leurs collègues, il se leva. Son regard effleura le sol, se releva lentement vers les deux hommes qu’il salua de la tête, se dirigea vers l’endroit où Colin avait disparu. Il sentait son pouls battre si distinctement dans ses tempes que sa tête lui tournait.

Une fois arrivé à l’entrée de la douche, il se posa contre le mur pour profiter du spectacle qu’il découvrit. Adossé au carrelage au fond de la pièce, Colin avait renversé la tête sous l’eau chaude et son sexe était, cette fois, entièrement dressé. Un nuage de vapeur commençait à se diffuser au sol et les cris du public assourdissaient jusqu’au tapotement des gouttes à ses pieds, les isolant. Victor n’hésita pas. Sa respiration s’était accélérée et son esprit n’était plus fixé que sur le corps qui se dressait face à lui. Le sexe tendu qui l’appelait. D’un pas mesuré, il marcha vers lui, ôta en chemin son short qui ne dissimula plus sa propre érection puis, une fois parvenu à sa hauteur, d’un coup, il tomba à genoux. Comme en extase. Et prit sa hampe dans sa bouche. C’était ce qu’il voulait, ce qu’il avait crevé de faire toutes les fois où il l’avait vu nu devant lui. Les doigts de Colin entrèrent dans sa chevelure, s’y serrèrent, et il enfourna profondément sa verge, suça, aspira, se gava de cette chair chaude qu’il désirait en lui, la faisant glisser sur les parois de sa bouche, la surface de ses lèvres, la possédant comme il aurait aimé qu’elle le possède. Ses mains se crispaient sur les fesses de son partenaire, palpaient les muscles à sa portée, y enfonçaient les doigts, tandis qu’il continuait à aller et venir le long de son sexe et que l’eau leur tombait toujours dessus.

Il aurait aimé prendre sa propre verge dans sa main, mais il ne savait pas s’il pouvait se le permettre. Peut-être que Colin n’avait besoin que de drainer l’excitation née de leur match, peut-être qu’il n’acceptait sa bouche que parce qu’elle lui procurait ce qu’une femme aurait pu lui offrir ; il ignorait si le voir dans sa masculinité, avec ses gestes et ses besoins d’homme, risquerait de le faire fuir. Il ne se posa pas plus de questions. La chair dans sa bouche l’échauffait profondément et il accéléra ses allées et venues, jusqu’à ce que Colin resserre les doigts sur son crâne et jouisse dans un mouvement de hanches et une avancée plus vive des reins. Au comble de l’excitation, il avala ce qui se présenta à lui, conscient que son propre sexe pulsait d’envie. Lorsqu’il relâcha celui de Colin pour relever le visage, il fut surpris de le voir regarder ailleurs : derrière lui, avec un sourire amusé. Aussitôt, il se retourna. Les deux hommes qui étaient entrés dans les vestiaires — deux joueurs d’une autre équipe — se tenaient à l’entrée de la douche, nus également, et ils le fixaient avec une inclinaison particulière des lèvres.

Leurs sexes, à eux aussi, étaient dressés.

Alors, Victor sut ce qui allait se passer. Et l’attendit avec une profonde fébrilité. Le premier avança, lui présenta sa verge, comme il était encore à genoux devant celle de Colin. Et, puisqu’il ne désirait rien de plus, il s’empressa de la prendre dans sa bouche, tandis qu’il tendait la main pour caresser dans le même temps celle du deuxième joueur. Longuement, il aspira, conscient au fond de lui-même qu’il était en train d’enfreindre toutes les règles qu’il s’était fixées durant toutes ses années dans le milieu du sport : celle de ne jamais coucher avec un autre joueur, celle de ne jamais montrer son homosexualité… Les autres membres de son équipe, de plus, n’étaient pas loin. Il ignorait ce que pourrait raconter Colin après un tel évènement, il ignorait ce qu’il pourrait se produire si d’autres entraient. Sur le moment, pourtant, il s’en moquait. L’excitation, violente, embrumait son cerveau et il suça avec délectation, passa d’une verge à l’autre, les prenant chacune leur tour dans sa bouche, caressant l’autre pendant ce temps… Colin se tenait à côté de lui, passant par moment les doigts dans les mèches trempées de ses cheveux, descendant sur sa joue, en des gestes si doux et si troublants qu’il finit par lâcher la hampe qu’il aspirait pour presser son visage dans sa paume, se gavant de son contact.

Un signe le fit alors se relever et il suivit l’invitation de son partenaire à s’appuyer contre le mur. Sans le lâcher du regard, il y posa les deux mains, inclina les reins et écarta les cuisses. Son excitation était à son paroxysme et son sexe si tendu qu’il le sentait pulser. Il laissa tomber son visage vers l’avant et ferma les paupières, dans l’attente et l’envie. Des mains se posèrent sur ses hanches, le faisant haleter et pousser de réflexe vers l’arrière. La première verge qui s’enfonça à l’intérieur de lui, aidée par l’eau qui persistait à s’écouler sur eux, le fit gémir. Il voulait ça, oui, c’était tout ce à quoi il avait toujours rêvé lors de ces temps de silence dans les vestiaires, lors de ses contemplations discrètes des corps nus de ses camarades, lorsqu’il les voyait partir se laver en se débrouillant toujours pour être trop lent ou trop rapide pour les y croiser… Il serra les dents sur ses lèvres alors que le sexe qui le pénétrait coulissait dans son corps, frottait contre sa prostate, provoquant en lui des éclairs de plaisir qui éclataient en d’innombrables piques qui se propageaient jusqu’à l’intérieur de son ventre. Les va-et-vient suivirent, s’intensifiant et le faisant presser de plus en plus fortement les mains contre le carrelage pour ne pas glisser, serrer ses lèvres l’une contre l’autre pour s’empêcher de gémir, retenir parfois sa respiration. Il ne savait toujours pas s’ils le voulaient en tant qu’homme ou en tant que corps à leur disposition et craignait que toute manifestation trop nette de sa virilité — sa voix comprise — casse ce qui était en train de se produire. Alors, il retint ses manifestations d’extase tant qu’il le put, jusqu’à ce que le plaisir pulse même à l’intérieur de sa tête, jusqu’à ce qu’en de longs coups de reins, plus hachés et plus rudes, l’homme qui se trouvait derrière lui atteigne la jouissance…

Lorsqu’il se retira, il ne bougea pas de posture. Pas le moindre instant, il ne resserra les cuisses ou redressa son torse. Seulement, il attendit. Son sexe gouttait d’excitation et tout son corps était tendu dans l’attente et le désir de ce qui allait suivre.

Enfin, un autre homme le prit : le deuxième joueur qui était entré dans la douche. Il le comprit en voyant Colin s’approcher de son visage. Il releva le sien vers lui, le fixa malgré la force de son trouble. Lorsque Colin s’empara de ses lèvres, il se versa entièrement dans leur baiser, tordant le cou pour rester au plus proche de lui, pour en avoir plus, pour garder plus longtemps son contact. Et il gémit quand celui-ci se rompit, autant de frustration que de plaisir parce que le sexe qui le pénétrait venait de se presser contre la partie la plus sensible de son anatomie et que des décharges d’extase le lançaient dans tout son corps. Le rythme s’intensifia et il haleta, souffla, frémit tandis que les poussées se faisaient plus rapides. Son sexe était dressé à son plus haut niveau, si dur, presque douloureux tant il avait envie de jouir. Il aurait voulu l’empoigner, lui offrir la caresse qui lui manquait pour se propulser vers la jouissance, mais il craignait de se permettre ce geste et il peinait de toute façon tellement à se maintenir sur le carrelage glissant qu’il ne risquait pas de s’y appuyer d’une seule main. Les coups de reins se firent plus rapides, percutant à chaque fois la masse de son corps qui lui procurait le plus de plaisir, et il serra les dents alors que son partenaire progressait vers l’orgasme. Quand il sentit une main s’enrouler autour de son sexe, il rouvrit des yeux embués pour découvrir le visage de Colin auprès de lui, surpris qu’il le caresse soudain.

Quelques mouvements suivirent, aussi rapides et puissants que ceux en lesquels l’homme derrière lui le pénétrait et, d’un coup, il jouit. Violemment. Le plaisir explosa dans tout son corps, l’emplissant des traînées incendiaires de l’extase, et le vidant en même temps : de sa semence, de son énergie… Au point qu’il ne parvint à rester appuyé contre le mur que parce que l’homme derrière lui le maintint en place.

Lorsque celui-ci eut atteint son orgasme à son tour, Victor glissa au sol, finit étendu sur le carrelage, l’eau tombant toujours sur sa peau et lavant son corps comme les traces de leur étreinte, emportant tout dans un tourbillon liquide.

En sentant l’eau s’arrêter de se répandre sur son visage, Victor rouvrit les yeux. Colin venait de fermer le robinet et il se tenait au-dessus de lui, des gouttes tombant de sa chevelure et sinuant sur sa chair. Une brume de chaleur persistait dans la salle, enveloppant son corps comme un halo. Elle ne tarderait pas à se dissiper. Un petit sourire en coin était revenu sur les lèvres de son coéquipier et, de nouveau, son sexe affichait un début d’érection. Victor songea qu’il était le seul à ne pas l’avoir pénétré. À cause du brouhaha persistant, Colin s’accroupit pour lui parler à l’oreille.

– Tu veux rentrer ?

– Où ?

– Chez moi.

Victor apprécia la promesse de ces paroles, la laissa entrer dans son corps et réchauffer autant son bas-ventre que l’intérieur de sa poitrine.

– Maintenant ?

– Oui.

– Maintenant, alors, confirma-t-il.

Il n’avait pas envie d’attendre, puisque Colin le voulait en tant qu’homme.

Maintenant.