La révélation de Claire – saison 2 de L’initiation de Claire (1)

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Érotique, BDSM, hot.

Résumé : C’est indéniable, pour Claire : Mathieu la fascine, la trouble, éveille en elle des désirs ardents et des sentiments oubliés. Pourtant, Mathieu reste dur et elle n’est pas sûre de pouvoir le suivre, pas sûre de pouvoir lui offrir ce dont il a besoin, surtout avec l’arrivée de la Nuit Noire et la présence de plus en plus oppressante de la Maîtresse au-dessus d’eux. Claire parviendra-t-elle à se libérer, tant sexuellement que sentimentalement ? Et surtout : y trouvera-t-elle enfin l’épanouissement ?

Roman sorti en numérique aux éditions Harlequin, et bientôt en papier ici ! Vous pouvez lire toute la première partie de ce roman (20%). Profitez-en !

Première partie

Avachi sur le canapé, Mathieu observait Claire. Elle était celle qu’il entraînait dans ses déviances. Celle dont les parts d’ombre répondaient aux siennes.

Elle releva le visage, et il observa l’arc que décrivaient ses longs cils, son regard, vague sur les premières secondes, qui se réaffirmait progressivement, alors qu’elle sortait de ses pensées, la forme de sa bouche, tandis qu’elle refermait ses lèvres bombées… Tout le captivait et l’intriguait. Tout éveillait en lui le besoin, sombre, de la mettre à l’épreuve.

Elle but quelques gorgées dans la tasse qu’elle serrait de ses deux mains, puis la posa sur la table basse qui les séparait. Ses doigts fins calèrent une mèche de sa chevelure ébène derrière son oreille. Puis elle plongea les yeux dans les siens. L’affrontant. Témoignant de son acceptation de se plier à ses envies, mais pas seulement : il décelait quelque chose de plus, dans son regard. Une forme de confiance qui le perturbait, probablement parce qu’il ne l’imaginait pas autrement qu’éphémère.

Il répéta sa question :

– Comment tu te sens ?

– Ça va.

Olivier remua sur le canapé, attirant son attention. Il se tenait à ses côtés, soutien autant que maître de cérémonies : le fait que l’acte qui se préparait se déroule dans son appartement le désignait comme tels. L’affection qu’il commençait à ressentir pour Claire jouait aussi, Mathieu ne pouvait l’ignorer.

Quand Olivier se pencha en avant, prenant appui de ses coudes sur ses genoux pour se rapprocher de Claire, son regard se fit incisif.

– Tu n’as pas peur ?

– Si, répondit-elle sans hésiter.

Il y avait quelque chose de provocant dans la manière d’agir de Claire. Mathieu aimait ça : qu’elle soit capable de reconnaître sa crainte sans s’y appesantir, témoignant simplement de son existence. Rares étaient les personnes qui y parvenaient. L’envie de la soumettre se mit à le tenailler plus durement.

Il appuya la tête sur le dossier du canapé. Un instant, il observa les détails du salon d’Olivier. Il connaissait cet appartement par cœur. Avant même qu’Oliv’ ne s’y installe, ils avaient pris l’habitude d’y venir, tous deux, quand il n’était pas loué par les parents d’Olivier. Entre deux baux. Parfois même durant les vacances des locataires. Ils avaient fait tellement de conneries, dans leurs plus jeunes années, qu’il en oubliait. Mais ça, c’était avant qu’il rencontre le BDSM.

Il avait toujours été captivé par le luxe de cet appartement, parce que très éloigné de ce qu’il possédait lui-même.

Il reporta son attention sur Claire. Elle semblait s’être de nouveau laissé envahir par ses pensées, mais elle se reprit rapidement. Il appréciait sa contenance, sa façon de se tenir sur un fil, à mi-chemin entre deux gouffres, et en même temps d’y rester droite, fière. C’était ce qui lui donnait toujours le plus envie de l’éprouver. De la faire vaciller. L’idée de la pousser à user de ses safewords l’effleura. Il avait rejeté ce désir, depuis qu’il lui avait demandé d’en choisir, mais il revenait par intermittence, toujours aux moments les plus dangereux. Sans doute avait-il été trop sage, ces derniers temps. Il s’était tant refréné ; il avait besoin d’ouvrir les vannes, de se lâcher. Et ce n’était pas forcément une bonne chose. Du moins, pour ce qui allait se passer.

– Et malgré tout, ça ne te freine pas ? insista Olivier.

– Non.

Le calme de Claire donna envie de sourire à Mathieu.

Olivier, lui, s’adossa au canapé en soupirant.

– Tu aurais dû l’exercer avant, dit-il à son intention.

Mathieu haussa les épaules.

– Peut-être…

Olivier soupira de nouveau, profondément, mais n’insista pas.

Il comprenait son anxiété. Il avait rencontré Claire deux mois plus tôt, à une soirée SM où elle s’était pointée comme une fleur dans une forêt épineuse. Elle n’avait rien eu à faire là, il n’avait eu aucune raison de s’occuper d’elle, pourtant, ils avaient fini, lui, son sexe profondément enfoncé dans sa bouche, elle, attachée, à sa merci. Elle avait remis en cause la légèreté avec laquelle il vivait les rapports de domination. Elle avait transformé un jeu sans conséquence en une obsession.

– Vous vous êtes mis d’accord sur combien de coups ? demanda Olivier.

– Cinq.

« Mis d’accord » n’était pas tout à fait exact. Il avait énoncé le compte, Claire avait accepté, c’était tout. Elle avait accepté malgré ses doutes, il le savait. Elle avait accepté parce qu’elle avait décidé de lui faire confiance. À chaque instant, elle pourrait pourtant tout arrêter.

– Bien, commenta Olivier.

Mathieu en eut un bref sourire.

Olivier avait toujours été plus rigoureux que lui. La discipline qu’il observait avec sa soumise, Vanessa, en témoignait. Pour lui, pratiquer la flagellation avec Claire, alors qu’elle n’en avait eu qu’une unique expérience, et ce, deux mois auparavant, était une aberration. Certainement avait-il raison, mais Mathieu ne s’était pas embarrassé de scrupules avec elle, la première fois, alors pourquoi le ferait-il ce coup-ci ? S’il partageait avec Oliv’ la fascination de voir de belles lignes rouges strier une peau lisse, Vanessa était plus portée sur les châtiments corporels que sur le sexe, il était donc normal qu’il donne la primauté à ces pratiques. Claire était différente. Et Mathieu ne la considérait pas comme sa soumise. De soumise, il n’en avait jamais vraiment eu, d’ailleurs, ou du moins pas de soumise régulière, et n’en voulait pas. Claire était juste Claire… Celle qui avait renversé tout ce qu’il avait cru stable ou persistant dans sa vie, celle qui suscitait chez lui le besoin de la protéger et de la tester, de la mener à ses limites, de la voir les franchir et lui céder. Il était curieux de découvrir si elle y trouverait la même libération que lui, la même perte de soi, dans ses désirs les plus viscéraux, les plus profonds…

Il ferma les yeux, conscient des turpitudes de son esprit. Olivier, lui, était moins torturé par rapport à ça. Il éprouvait moins de besoins, aussi. Ils ne vivaient pas de la même manière la domination.

Nerveux, il se leva. Il avait été trop calme, ces derniers temps, trop dans la réserve.

– Cinq coups, lui rappela Olivier d’un ton ferme.

– Oui.

Ils en avaient parlé avant qu’il ne prenne une décision à ce sujet. Il préférait suivre ses impulsions ; planifier, programmer le gonflait, quel que soit le domaine concerné, mais plus encore lorsqu’il s’agissait de sa vie sexuelle – et la domination en faisait partie –, pourtant Oliv’ avait été catégorique. Non seulement la séance se passerait chez lui, mais il s’était assez pris d’affection pour Claire, pour vouloir la protéger. Même s’il ne l’avait pas exprimé verbalement, Mathieu l’avait compris. Il en était amusé et s’était plié à sa demande en conséquence.

– Elle y arrivera, dit-il. Et puis, elle connaît déjà la canne.

– Ce n’est pas le même objet, objecta Oliv’.

– Ce n’est pas si différent.

Sur le plan de l’intensité, du moins. Celui qu’il allait utiliser offrait d’autres possibilités.

Voir Olivier lever les yeux au ciel ne fut pas loin de le faire rire. Son pote ne laissait que rarement passer ses légèretés.

– Tu n’avais pas frappé pour la marquer.

– Exact.

Olivier avait raison : en ce sens, oui, c’était différent.

– En quoi est-ce que ça change ? demanda Claire.

Elle était restée assise dans le fauteuil en face d’eux et buvait lentement son thé. Son calme le captivait. Il avait pris le temps de lui expliquer avec quel instrument il allait procéder à ces marques, mais Olivier faisait naître de nouvelles interrogations avec ses interventions.

Il réfléchit avant de lui répondre :

– La première fois, combien de temps as-tu gardé des traces sur la peau ?

Il la vit chercher dans sa mémoire.

– Trois-quatre jours.

– Celles-ci dureront plus longtemps.

Le regard de Claire ne vacilla pas.

Il ajouta :

– Dans quatre jours, elles seront parfaites.

Du moins, c’était ce qu’il voulait : des lignes sombres, dénuées de boursouflures, juste tracées comme un coup de pinceau.

– En plus du fait qu’il y en aura moins, ajouta-t-il. La différence est dans l’intention. On peut décider de frôler, de marquer des percussions…

Il repensa à la manière dont elle était parvenue à l’orgasme, la première fois, avec la canne. Il eut envie de l’y conduire de nouveau, mais il savait que ce serait différent.

– On peut décider d’apposer de jolies marques, également.

Il sourit, provocateur, et se pencha vers la table basse pour saisir son café et en boire quelques gorgées. Claire serrait toujours les doigts sur sa tasse ; l’acuité de son regard témoignait de l’attention qu’elle portait sur eux.

Pas une fois, depuis sa décision de l’accompagner de nouveau au club, elle n’était revenue dessus, même s’il n’avait cessé de penser qu’elle se défilerait. Elle l’avait assez fait, auparavant. Il en avait été étonné. Il savait qu’elle n’était pas sûre d’elle, ou ne l’était pas encore assez. Mais qui l’était jamais vraiment, dans cette sexualité ?

Il contempla son expression, cette façon qu’elle avait de sembler s’introduire dans l’esprit de ceux qu’elle regardait.

– Vas-y doucement, le mit de nouveau en garde Oliv’.

– Je sais, dit-il.

Seulement, il n’en avait pas envie.

Il fixa la lanière de cuir qu’il avait posée plus loin, sur une desserte. Sa simple vision nourrit un peu plus le feu qui grandissait en lui. Il devait passer à l’acte.

– Tu es prête ? demanda-t-il brusquement à Claire, tout à ses pensées.

– Oui, répondit-elle sans hésiter.

– Tes safewords ?

Elle les répéta, stoïque.

Même si elle avait décidé de lui faire confiance, elle pourrait revenir sur cette décision. Elle aimait la manière dont il prenait possession de son corps, dont il usait d’elle, la rudesse de ses gestes… Il voyait clairement l’excitation qu’elle en retirait. Mais, si ce n’était la fessée qu’il lui avait donnée entre-temps, elle n’avait pas goûté à ses coups depuis sa séance au donjon.

– Je vais avoir mal ? demanda-t-elle soudain.

La question le surprit. Qu’attendait-elle donc, en la posant ? Elle connaissait déjà la réponse ; elle ne pouvait pas chercher une simple confirmation. Il la savait plus fine que ça.

Olivier fut plus transparent dans sa réaction.

– Oui…

S’il ne laissa pas passer un mot, Mathieu comprit l’interrogation de Claire. Elle l’observait pour voir dans ses yeux à quel point la douleur serait forte. Ceux d’Oliv’ s’étaient suffisamment plissés pour lui en donner une idée.

Il ajouta :

– Mathieu frappe fort.

Claire acquiesça. Ce n’était pas une révélation pour elle.

Mathieu éprouva la nécessité de prendre le pouvoir. Immédiatement.

– Finis ton thé, dit-il d’un ton sec.

Elle but ses dernières gorgées. Olivier le seconda aussitôt ; lorsqu’il s’adressa à elle, son attitude ne laissait plus place à la contradiction.

– Lève-toi !

Elle obéit. Oliv’ se leva à son tour.

– Enlève ta jupe et ta culotte.

Elle déboutonna peu à peu la première, mais, ce faisant, elle tourna le visage vers Mathieu, et il put voir, dans son regard, à quel point elle se battait contre elle-même pour s’en remettre ainsi à ses mains, à quel point elle était dans le doute encore, bien qu’elle ait décidé de passer outre. Le trouble qu’il éprouvait en fut majoré.

Oliv’ dut se rendre compte de son malaise, puisqu’il intervint.

– Mathieu ?

– Qu’est-ce que tu attends de cette séance, Claire ? demanda-t-il brusquement.

Elle lui adressa un regard étonné. Après quelques secondes, elle fit glisser sa jupe sur ses cuisses, avant de la retirer.

– De voir… De voir si je peux l’endurer. De voir si c’est vraiment ce que je veux. De voir si…

Elle marqua une pause, puis reprit :

–… Si ça va me faire le même effet que la première fois.

– C’est-à-dire ?

Les mots qui suivirent, elle sembla se les arracher.

– Si ça va m’exciter de nouveau.

Elle saisit les bords de sa culotte et la fit descendre lentement le long de ses cuisses, exposant son bassin dénudé.

– Développe ! exigea-t-il.

Elle inspira profondément. Elle prenait sur elle, il le voyait.

– Je ne suis pas encore revenue du fait d’avoir joui avec ça. Je me demande même si je n’ai pas rêvé, parfois, si ce n’est pas mon esprit qui a construit cette idée et…

– Tu ne jouiras pas juste avec cinq coups.

– Je le sais.

Elle suçota sa lèvre inférieure.

– Je ne peux toujours pas dire si c’est ce que je veux vraiment, reprit-elle.

– Mais la fessée, oui, remarqua-t-il.

– Oui, confirma-t-elle.

Elle avait aimé ça. Il le savait. Il la détailla un moment. Ses confidences lui donnaient envie de la rassurer en la serrant contre lui. D’envoyer balader les limites posées par Oliv’. De la pousser dans ses retranchements, de la voir basculer, puis de lui écarter les fesses et de s’enfoncer profondément en elle. De coller son front à son cou et de se ressourcer au contact de sa peau. Que de contradictions… Il ne savait pas toujours que faire des multiples sentiments que Claire suscitait en lui, sinon constater qu’elle le remuait.

Il adressa un regard à Olivier, qui semblait suivre leur échange avec beaucoup d’attention. Ils n’étaient pas encore entrés véritablement dans la séance.

Oliv’ remarqua :

– Ça t’avait donc excitée, la première fois.

– Oui.

– Et maintenant ?

Elle haussa une épaule, façon sans doute de chercher le point sur ce qu’elle éprouvait.

– Il y a une part de ça, souffla-t-elle.

Elle ajouta :

– Et d’innombrables parts d’autres choses.

Mathieu se doutait bien de ce que pouvaient être toutes ces « autres choses ».

Dans une impulsion, il franchit la maigre distance les séparant et lui saisit la nuque aussitôt qu’il fut contre elle. Il la sentit vaciller à son contact. Il s’empara de sa bouche, y épanchant le besoin qu’il avait d’elle en un baiser dévorant qui lui tourna la tête et le laissa pantelant, bien qu’il se garde de le montrer. Il n’était pas encore habitué à l’émoi qu’elle provoquait en lui. Quand il la relâcha, il la vit placer les mains dans son dos pour s’appuyer, étourdie, à l’arrière du fauteuil, et en eut un sourire amusé. Il se dirigea vers l’endroit où la lanière était posée et essaya de modérer le trouble qui était monté en lui et qui persistait à lui être étranger.

– Mathieu ? souffla-t-elle.

– Oui ?

Il saisit l’objet. Claire le fixait et il voyait presque les rouages de son esprit tourner : ce besoin qu’elle avait de comprendre, toujours, avant de se laisser aller. Fille curieuse qui le perturbait perpétuellement dans ses convictions.

La question ne tarda pas.

– Qu’est-ce que tu cherches dans la domination ?

Il entendit : « Pourquoi est-ce que tu veux me frapper ? »

Durant un temps de silence, il la fixa, conscient de se montrer peu avenant. Cependant, puisqu’elle se livrait, pourquoi ne pas le faire aussi ? Il n’y avait rien d’étonnant à ce que cette question survienne maintenant.

– L’accomplissement d’une pulsion, répondit-il.

La mise en œuvre de son anormalité.

Il évacua aussitôt la gêne qu’il éprouva à cette idée.

Il s’appuya d’une fesse à la desserte où s’était trouvée la lanière, peu avant. Oliv’ était resté devant la table du salon. Rêveusement, Mathieu caressa le cuir entre ses doigts, en éprouva le contact souple, conscient de ce que ça lui coûtait d’ouvrir à Claire les aspects les plus obscurs de son esprit.

– Il n’y a pas que le plaisir sexuel, reprit-il. Il n’y a pas que la douleur, même si l’envie de dominer, de contrôler, est toujours sexuelle, bien sûr.

Il prit un temps avant de préciser :

– Il y a la fascination que suscite la possession de l’autre.

Il plongea les yeux dans le regard de Claire.

– Il y a quelque chose à faire sortir, quelque chose de viscéral, ce qui ne veut pas dire que je perds de vue la limite : pas le moindre instant, elle ne me sort de l’esprit. Ça peut paraître bizarre, je le sais. C’est une pulsion extrêmement puissante, qui a besoin de s’exprimer, mais que je vis pourtant dans un calme absolu. Le contrôle est toujours là. Et puis…

Un sourire sombre, qu’il savait provocant, fleurit sur sa bouche.

–… Il y a aussi la notion de pouvoir. Il m’a fallu un moment pour assumer mes pulsions dominantes et sadiques. Le masochisme, contrairement à ce qu’on pourrait penser, est nettement plus aisé. Prendre du plaisir à souffrir, c’est quelque chose. En prendre à infliger de la douleur…

Il s’arrêta.

–… Mais tu savais déjà que je n’étais pas normal, asséna-t-il enfin.

Il n’attendait pas de réaction à cette déclaration. Le temps des confidences venait de se tarir et il en avait dit bien assez.

– Allez, mets-toi en position ! exigea-t-il.

Elle le fixa un moment, comme si elle cherchait à lire dans ses pensées. Puis elle suivit Oliv’ jusqu’à l’espace du salon situé sous l’anneau fixé dans le plafond. Elle leva les yeux.

– Enlève ton haut aussi.

Olivier lui adressa un regard chargé de reproches. Il n’y prêta pas attention, tout à l’observation de Claire, dont l’expression traduisait un désarroi qu’elle tâchait de contenir.

Il déclara alors :

– Il y aura un sixième coup.

Claire marqua une hésitation, comme si elle attendait de lui des explications, comme si elle se demandait si, cette fois encore, elle lui accorderait sa confiance sans poser davantage de questions. Il aurait dû lui donner plus d’informations. Il ne le fit pas. Ce n’était pas qu’il ne le voulait pas, seulement, mettre des mots dessus lui coûtait. Il exigeait trop d’elle en lui demandant de le suivre les yeux fermés, de lui donner ce « tout » qu’il attendait… Mais c’était justement ce qu’il voulait d’elle, à s’en vriller l’esprit : tout.

Elle ne le lâcha pas des yeux, tandis qu’elle faisait passer son débardeur au-dessus de sa tête, puis dégrafait son soutien-gorge. Il savait à quoi elle songeait : elle avait pris la décision d’aller au bout et s’y raccrochait avec force. Il laissa son regard courir sur son corps.

Olivier, de son côté, arborait une moue de désapprobation. Mathieu décida de ne pas s’en soucier. Oliv’ glissa la corde dans l’anneau le surplombant. Lorsqu’il fut sur le point d’y attacher les deux poignets de Claire, Mathieu l’interrompit.

Sa voix claqua.

– Non !

Il ajouta :

– Laisse-la s’y accrocher d’elle-même. Qu’elle s’y tienne et soit libre ainsi de la lâcher à tout instant.

Claire saisit alors les extrémités de la corde, les enroulant autour de ses paumes pour mieux s’y soutenir, les deux bras tendus au-dessus d’elle. Ils avaient discuté de toutes ces étapes et elle avait accepté chacune d’elles. Même s’il savait qu’elle appréciait le fait d’être attachée, il ne voulait pas de ça, cette fois-ci : il voulait qu’elle puisse lâcher la corde si elle en avait besoin.

Il se concentra sur la lanière qui reposait dans ses mains. Le temps qu’il s’exerce à la mouvoir, Claire avait fermé les yeux. Elle paraissait d’un calme rare. Son corps pâle, dénué de toute trace, s’étendait dans son entière nudité.

Il s’approcha d’elle et repoussa les longs cheveux ébène qui retombaient sur ses épaules, dévoilant son cou. L’attrait de sa chair le saisit aussitôt, lui faisant fermer les paupières. Il posa le front contre elle et, doucement, murmura :

– Dis-moi si tu es prête.

– Je le suis.

Il retint son envie de lui baiser le cou et recula. Durant quelques secondes, il contempla cette chair vierge qui lui faisait face, ce livre aux pages blanches s’offrant à lui pour qu’il y inscrive les lignes de sa volonté.

Alors, il annonça d’une voix calme… si calme, si maîtrisée :

– Tes fesses.

La lanière de cuir fendit l’air, puis claqua sur la chair, faisant trembler Claire qui gémit presque en simultané. Elle s’accrocha aux cordes comme s’il s’agissait là du seul élément qui l’empêchait de sombrer. Le bruit de sa respiration rapide emplit la pièce, chargée des doutes qu’il pouvait entendre dans la moindre de ses expirations hachées.

– Tes cuisses.

Il les marqua d’une ligne rouge, puis en dessina une deuxième, parfaitement parallèle, assez bas pour laisser entre les deux une bande de chair intouchée. Il fut retourné en voyant Claire aller presque à la rencontre de la lanière, bien qu’elle ne semble pas s’en rendre compte… Elle avait des réactions si ambiguës, parfois. Sa manière de paraître à la fois se défiler devant ses coups et se tordre pour venir à leur rencontre le décontenançait, tout en l’excitant profondément.

Ça faisait trois coups.

Il la contourna.

Elle avait enfoui le visage dans le creux de son coude à demi plié et respirait avec force. Son corps nu, exposé à sa vue, ses paupières fermées, ses cheveux épars, collés en partie à ses joues qui commençaient à s’humidifier, ses lèvres entrouvertes… Elle était belle dans le don, fascinante dans l’offrande sans réserve de sa confiance, bouleversante dans l’émoi qu’elle manifestait.

– Tes cuisses. Devant, maintenant.

S’il la vit se raidir, il ne retint pas son geste et frappa la zone annoncée, la marquant à son tour, la faisant sienne, peignant une nouvelle ligne sur sa chair, sur le corps qu’il voulait modeler, l’âme dans laquelle il voulait se perdre, où, peut-être, il se perdait déjà. Il n’avait pas besoin de savoir. Son cœur battait lentement, mais puissamment, et sa tête était pleine de l’acte qui s’effectuait, pleine de Claire, pleine d’eux. Il dessina une seconde marque sur l’avant de ses cuisses.

Claire se tordit, geignit, paraissant de plus en plus fragile, ses réserves balayées, toute velléité de se protéger rendue caduque par la force de ce qui se produisait.

Il savait, à ses lèvres serrées et à ses yeux humides, qu’elle se retenait de toutes ses forces de prononcer ses safewords, qu’elle allait puiser au fond d’elle des ressources auxquelles elle n’avait pas l’habitude de faire appel… Il voyait à quel point elle s’offrait. Il lui caressa la joue. Elle s’y pressa instantanément, cherchant le réconfort de la main qui, pourtant, était la raison du bouleversement qu’elle éprouvait.

Il ne restait qu’un coup.

Il regarda ses seins : cette zone si riche en vaisseaux sanguins qui garderait la marque la plus nette, la plus visible… Celle qu’il était recommandé d’éviter de toucher, en temps normal, parce que plus fragile que la chair souple des fesses ou des cuisses. La plus innervée.

Il connaissait les risques. Il avait choisi volontairement un outil souple et savait qu’il était capable de gérer. Il serra fortement la lanière, obnubilé par l’endroit qu’il visait. Il ignorait comment réagirait la peau de Claire : si les marques resteraient aussi longtemps qu’il l’estimait, s’il ne s’était pas trompé en prévoyant le délai les séparant de la prochaine nuit au club, cette Nuit Noire dédiée au fétichisme, dont ils attendaient la venue.

La lanière partit comme d’elle-même, toucha juste à l’endroit qu’il avait choisi, claqua, revint. Sur le coup, Claire ne cria même pas. Elle ouvrit juste des yeux humides, des yeux surpris, et les referma ensuite pour drainer la douleur, l’accepter et la laisser la traverser… avant qu’elle ne parte, ne s’évanouisse et ne laisse plus que le souvenir de ce qu’ils avaient vécu. Les marques.

– Oliv’…

Sa propre voix lui parut extérieure, lointaine, comme si elle ne lui appartenait plus.

– Tu peux nous laisser ?

Olivier hocha peut-être la tête ou dit « oui ». Il ne le vit pas. Seule Claire captait son attention.

La porte de l’appartement claqua, résonnant dans le silence. Claire respirait fortement. Il contempla son travail, ces longues lignes rouges qui, sur sa peau, le fascinaient. Il la contourna pour voir celles qu’il lui avait faites sur les fesses et l’arrière des cuisses. Alors, il jeta la lanière et, doucement, posa les mains sur les hanches de Claire. Le contact de sa peau l’électrisa. Cette fois, il ne résista pas à lui embrasser le cou : cette chair, là, si accessible, dans laquelle il crevait du besoin de se verser…

L’initiation de Claire – saison 1 (4)

– C’est bien, la complimenta-t-il de nouveau.

Cette fois, elle se rendit vaguement compte de l’attention qui lui était portée, relevant le visage pour scruter l’expression de Mathieu. Elle sentit ses mains parcourir ses hanches, et elle soupira tandis qu’il la caressait en des gestes lents et enveloppants, avec respect. Elle aima se laisser conquérir par cette sensation apaisante. Elle avait le besoin d’être soutenue.

Lorsqu’il effleura sa poitrine, elle sentit son souffle s’accélérer, puis ses paupières se crispèrent quand une paume se referma sur l’un de ses seins. Les doigts qui firent ensuite rouler son mamelon l’échauffèrent de nouveau. Puis, il se pencha pour baiser tendrement son cou et elle s’abandonna au contact de ses lèvres. La sensation était tellement douce, contrastant avec ce qu’elle avait ressenti auparavant et lui rappelant, bien malgré elle, qu’avant de décider d’en faire le deuil, se sentir serrée avec autant d’attention était tout ce qu’elle avait rêvé de ses relations. Lentement, les larges mains glissèrent le long de ses hanches, l’une passant sur son aine avant de revenir doucement se refermer sur son entrejambe. Le contact possessif la força à laisser retomber sa tête contre l’épaule devant elle et elle y étouffa un gémissement lourd quand la pression s’intensifia sur son clitoris, se transformant en véritable pincement.

– Couleur ? demanda-t-il en continuant à la maintenir fermement.

Elle retint son souffle. La main de Mathieu stimulait son organe le plus sensible, renvoyant des décharges d’excitation dans son corps encore meurtri par la frustration précédente. Perdue, elle se laissa aller plus intensément contre lui, la sensation de son corps solide, massif, lui donnant l’envie de se blottir contre lui. Elle avait tant repoussé son besoin de tendresse que se retrouver dans une situation de domination aussi intense la poussait à rechercher ce qui lui manquait si profondément. Reprendre son souffle lui fut impossible, pas tant qu’il continuait à la toucher ainsi, à stimuler son endroit le plus intime.

Ce ne fut que lorsqu’il la relâcha qu’elle put essayer de répondre. Elle prit quelques respirations plus lentes. Que devait-elle lui dire ? Sa raison se heurtait aux stimuli contradictoires que lui renvoyait son corps. « Rouge » était trop fort. Même « orange » ne reflétait pas véritablement ce qu’elle ressentait. Bien qu’elle doive faire un effort en elle-même pour l’admettre, elle savait qu’elle n’avait eu que très peu à endurer encore.

– Vert, décida-t-elle, bizarrement consciente qu’elle l’incitait ainsi à aller plus loin.

***

– Bien.

Mathieu passa la main dans la chevelure de Clara, caressant doucement ses ondulations brunes en gardant sa tête contre son torse.

Tout à l’écoute de sa respiration, il parcourut de nouveau son flanc des doigts, plissant le tissu de son corset. Le souffle de Clara s’était calmé, maintenant, prenant un rythme plus régulier. Bien malgré lui, il se rendait compte que la jeune femme appuyée contre son torse le troublait. Sous un caractère qu’il avait senti fort, il découvrait une personne sensible, fragile, sa façon de se serrer contre lui témoignant de son besoin comme d’une étonnante acceptation, trop forte pour une première fois… trop enivrante pour lui.

Après un temps d’hésitation, il enroula les doigts autour de l’un des tétons de Clara. Un frémissement se fit, ses paupières se fermant dans l’excitation. Il observa plus qu’attentivement ses réactions. Lorsqu’il augmenta la pression, elle se contracta, jusqu’à émettre une faible plainte quand la torsion s’intensifia encore. Elle ne fit cependant rien pour s’y soustraire et haleta ensuite de plaisir quand il retourna s’emparer de son sexe sans pour autant soulager son mamelon. Elle enfouit son visage dans son épaule, comme pour oublier la brûlure sur sa poitrine. Alors, il la relâcha. Un temps, il posa les lèvres sur la peau blanche à sa portée, en humant la fragrance durant un moment de réflexion. Il devait faire attention, lui-même, à ce qu’il faisait, plus encore qu’il n’en avait l’habitude.

Sa main passa, en une caresse apaisante, dans la chevelure de Clara. Celle-ci ne vit pas le sourire tendre de Mathieu, ses paupières étant restées fermées. Puis il se pencha sur son visage, sa voix se chargeant d’une langueur érotique.

– Je vais t’attacher, souffla-t-il dans son oreille.

La promesse la fit frémir.

– Je vais lier tes bras à ton buste et puis… je t’allongerai sur le lit. Là-bas.

Elle redressa le visage et leva vers lui des yeux brillants. Son état de trouble était flagrant.

– On s’occupera de ces jolies fesses, poursuivit-il avec envie. Je te donnerai quelques coups. À ma convenance. Tu auras mal… et plus tu auras mal, plus tu aimeras. Tu aimeras plus que tu ne peux l’imaginer. Si tu le veux, je te mettrai un bâillon. Et enfin, si tu es sage, si tu joues bien ton rôle et si le spectacle que tu m’offres me plaît, je te prendrai. Je t’écarterai les cuisses, j’enfoncerai mon sexe entre tes jambes et je te baiserai pendant que tu seras encore attachée.

Il la vit déglutir.

– C’est OK ?

***

Claire ne sut comment réagir. En plongeant dans le regard de Mathieu, elle se rendit cependant compte que ce dernier n’attendait pas forcément de réponse de sa part. Ces paroles étaient seulement une façon de lui rappeler que rien de ce qui se passait ici n’était fait sans son consentement, qu’elle pouvait toujours choisir et qu’elle le pourrait à tout instant.

Puis il s’éloigna, se dirigeant vers le meuble où il avait préparé son matériel. Cette fois encore, elle refusa d’observer les objets qui y avaient été posés.

Lorsqu’il revint avec une corde nouée de coton rouge, elle la fixa attentivement. Si son ventre se crispa, elle ne sut s’il s’agissait d’appréhension ou bien d’envie.

– Ne t’inquiète pas, souffla-t-il dans son oreille, avant de la lécher doucement.

Elle commença à se languir du contact de ses lèvres contre les siennes.

– Tu connais le « shibari » ? enchaîna-t-il.

Elle secoua la tête. Puis elle se reprit, pour préciser à voix haute :

– Non.

– C’est l’art de ligoter à la japonaise.

Quelques images, imprécises, vinrent à son esprit. Elle le vit se retourner pour poser un instant ses cordages sur une barre de fer horizontale située derrière lui, avant d’ôter son T-shirt d’un geste, la captivant par la vision de ses muscles roulant sous sa peau. Sa carnation était légèrement mate, plus dorée que réellement foncée. Chaque parcelle du corps qui lui était donnée à découvrir l’attirait décidément curieusement… Chaque trait de sa personnalité également, chaque sourire, chaque intonation sombre de sa voix.

– Tu as déjà dû en voir des photos, expliqua-t-il.

En se retournant vers elle, il passa un premier pan de la corde dans le creux du dos de Claire, s’en servant pour l’attirer contre sa poitrine.

– C’est très esthétique, lui souffla-t-il ensuite, se mordant la lèvre inférieure dans un sourire à la gourmandise contrôlée.

Si la tension sexuelle n’avait pas été si intense, elle aurait pu s’amuser de ses attitudes espiègles. Elle n’en fut que troublée. Elle le vit défaire les attaches de son corset puis l’enlever, exposant intégralement son buste à son regard, et elle se sentit plus dénudée encore, qu’elle ne l’était avant, la situation faisant naître en elle un regain de pudeur qu’elle tâcha toutefois de ne pas montrer. Puis, les cordes se croisèrent sur sa poitrine et elle soupira discrètement. Elle observait les gestes de Mathieu, naviguant du regard entre les mains qui passaient sur son corps et les mèches blondes autour de son visage, retournant régulièrement fixer le torse solide devant elle dont les deux tétons étaient d’un rose un peu foncé.

Docilement, elle le laissa réaliser son ouvrage, consciente qu’il s’agissait là de quelque chose qu’elle avait accepté.

Se faire manipuler ainsi était étonnant. Là où elle imaginait un acte de possession presque primaire, le bondage demandait en fait une réelle participation de sa part. Elle devait accepter ce que le dominateur lui faisait, sans pour autant savoir comment il voulait l’attacher, garder ses membres dans la position exacte dans laquelle il les plaçait, les y maintenir. La soumission se révélait ainsi cérébrale, en plus d’être physique, atteignant là son paroxysme : celle de se plier soi-même aux gestes que l’autre désirait.

La technique demandait une réelle expérience, autant dans les entrelacements savants que dans les précautions évidentes qu’il prenait. Elle le voyait mettre parfois les doigts devant sa peau pour ne pas la brûler avant de faire glisser la corde, se passer à d’autres moments de cette protection, le coton tressé frottant alors cruellement au niveau de ses points sensibles, prendre le temps d’éprouver la tension avant de resserrer les liens, ne déplacer ses membres qu’avec douceur, cherchant le meilleur angle, celui qui l’empêcherait de bouger sans la tordre dans une position qu’elle ne pourrait supporter suffisamment longtemps. L’acte apparaissait alors terriblement sensuel.

En observant le visage de Mathieu, elle sentit son esprit s’égarer un instant. À quoi avait bien pu ressembler son initiation à lui, quand il avait 18 ans ? Comment avait-il découvert ce milieu, et pourquoi s’était-il passé plusieurs années, ensuite, avant qu’il n’y revienne régulièrement ? Ce devait être bien jeune pour vivre une telle expérience. Avait-il été dominateur ? Elle ne le croyait pas. Assumer ce rôle demandait d’avoir de réelles connaissances. Un temps, elle s’interrogea sur ce qu’avait pu être sa première expérience, en tant que soumis.

– Tu te poses des questions par rapport à moi ? intervint-il avec un regard amusé.

Elle sortit aussitôt de ses pensées, se retrouvant prise au dépourvu, comme en faute. Elle chercha à savoir que répondre.

– Tu n’as pas de raison de t’inquiéter, anticipa-t-il, avant de prendre un ton plus froid : ne te pose pas de questions.

Puis, un mouvement sec fit remonter ses poignets noués dans son dos, lui coupant un instant le souffle. Elle tâcha de retrouver sa contenance. Se laisser attacher ainsi était réellement surprenant. Le coton tressé rampait sur sa peau comme autant de mains qui y seraient passées, les pans de corde se faisaient autant maintiens que soutiens, l’enserrant, parcourant sa chair en des mouvements chaque fois impossibles à anticiper, parfois trop lents, parfois trop rapides à se resserrer, l’excitant malgré elle à chaque sensation de tension. Fermement maintenus dans son dos, ses bras se retrouvaient désormais immobilisés, tout le haut de son corps lacé dans un corset aux mailles démesurément larges. Des losanges de tailles différentes se formaient sur sa poitrine, passant autour de ses seins. Quel que soit l’angle depuis lequel on l’observait, l’ouvrage se révélait superbe, la couleur rouge du coton mettant en valeur celle laiteuse de sa peau.

Une fois le bondage terminé, il recula d’un pas pour la détailler. Sous son regard, elle se sentit incroyablement désirable. Alors qu’elle essayait de mouvoir ses membres, se rendre compte à quel point elle était vulnérable, soudain, provoqua cependant en elle une certaine angoisse et elle leva des yeux humides vers lui dans un appel à l’aide, sa respiration s’accélérant. Mais il posait déjà les mains sur ses épaules dans un geste rassurant. Son souffle s’apaisa, tandis qu’elle se laissait aller à la sensation de la peau chaude la caressant. Les lèvres qui se posèrent de nouveau dans son cou l’étourdirent légèrement.

– Calme, chuchota-t-il.

Elle expira longuement.

Il passa les doigts sur la peau fine de sa poitrine, s’accrochant aux cordages, faisant se plisser son mamelon dans une expression de fascination. Puis, il glissa les doigts sous deux coins de corde rouge au niveau de ses côtes et l’attira vers lui. De surprise, elle rouvrit les paupières, et l’espace d’un instant, elle eut l’impression qu’il la regardait comme s’il était sur le point de la serrer contre lui. Cela ne dura pas. La lueur dans ses yeux se transforma en autre chose. De plus espiègle.

– Maintenant, on va s’occuper de ces jolies fesses, mademoiselle Clara.

Puis il la fit lentement reculer, sans pour autant cesser de la fixer.

La distance qui les séparait du lit, derrière les voiles sombres, ne fut pas longue à parcourir.

Une fois qu’ils y furent parvenus, elle s’y laissa pousser avec complaisance, tombant étendue sur le dos au milieu d’un matelas dont la fermeté la surprit. Puis, il posa un genou à côté d’elle, la contemplant avec un petit sourire en coin. L’instant suivant, il la retournait brusquement sur le ventre. Elle expira de surprise tandis que sa poitrine s’écrasait contre le matelas, les draps d’un noir profond se révélant rêches contre sa peau sensible. Naturellement, son visage se tourna sur le côté, tandis qu’elle sentait Mathieu retirer son sous-vêtement, la laissant uniquement vêtue de ses bas.

Maintenant qu’elle était allongée, l’angoisse se dissipait. Elle ferma les paupières dans l’abandon. Par les nœuds et les cordes frottant contre sa chair, elle avait l’impression de percevoir encore les mains de Mathieu sur son corps, comme s’il s’agissait de lui qui la frôlait, qui la touchait, la faisant prendre conscience de la façon dont elle se sentait prête, désormais, pour ce qui allait suivre. Au bout d’un moment, elle se demanda pourquoi il restait si longuement immobile derrière elle, lui donnant l’impression qu’il l’observait comme s’il hésitait sur ce qu’il allait faire, qu’il avait du mal à prendre une décision.

Quand il repartit vers le placard, elle ne s’inquiéta cependant pas de savoir ce qu’il avait choisi. Elle ne réagit pas plus en voyant une canne se faire déposer sur le matelas devant son visage. « Des coups », avait-il dit. « Des coups. » Bien que l’objet qu’il venait de sortir n’ait rien de rassurant, bien qu’il ne s’agisse vraisemblablement pas de ce qu’il avait préparé initialement, elle ne s’en soucia pas. Elle savait qu’elle allait avoir mal, il l’en avait avertie.

Lorsqu’il s’assit près d’elle, sa présence sembla l’envelopper. Puis, un produit froid tomba sur ses fesses, la surprenant suffisamment pour la faire frissonner.

– C’est une canne anglaise, expliqua-t-il en glissant un doigt juste entre ses deux globes de chair, y étalant le lubrifiant.

Sentir Mathieu convoiter clairement l’espace le plus intime de son anatomie la fit trembler d’étonnement, en plus de l’exciter dangereusement. Elle se demanda pourquoi il s’intéressait désormais à cette partie de son corps, mais il ne lui laissa pas le temps de se poser plus de questions, lui écartant soudain largement les cuisses. D’envie, elle pressa le visage contre le matelas. Il aurait pu les ouvrir plus encore ; elle n’aurait rien fait pour l’en empêcher. Elle aurait peut-être voulu même qu’il les étire jusqu’à leur paroxysme.

– C’était utilisé avant pour punir les servantes… ce genre de choses, reprit-il. À toi de choisir maintenant si tu veux que je te bâillonne. Je ne voudrais pas que tu te retiennes de crier si tu en as besoin.

Ce disant, il relâcha ses fesses pour attraper un objet posé juste à côté d’elle, la faisant se raidir en en sentant soudainement la matière plastique se presser au niveau de son entrée de chair. Elle essaya de se détendre et enfouit le visage entre les draps du lit, l’angoisse l’étreignant. Elle ignorait de quoi il s’agissait, s’il voulait réellement la pénétrer ainsi… Elle ne s’était pas attendue à un tel geste de sa part, surtout après la manière dont il l’avait caressée auparavant. D’une certaine façon, ce lui sembla cependant logique, c’était un acte tellement dominateur. Qu’il soit associé au rapport qu’ils entretenaient alors n’était pas dénué de sens. Elle se sentait cependant tellement serrée…

Des mouvements rotatifs se firent au niveau de l’entrée de son corps, légers d’abord puis de plus en plus présents, couvrant progressivement l’objet de lubrifiant et, en même temps, lui faisant prendre conscience de sa taille. Bien que cette dernière fût inquiétante, la sensation restait profondément agréable et même de plus en plus tentante, au fur et à mesure que le contact s’intensifiait. Petit à petit, elle commença à se languir de le sentir plonger en elle. Inconsciemment, elle inclina les reins, ignorante de la façon dont le regard de Mathieu s’alluma. Elle pressa son front contre le matelas, sa nuque s’étirant. Puis, enfin, la tension se fit plus forte. De par sa forme, elle comprit qu’il s’agissait d’un plug, le bout de faible diamètre entrant facilement en elle… les premières secondes, alors que l’élargissement qu’imposait le corps de l’objet devenait juste ensuite trop massif. Elle essaya alors de contrôler sa respiration. D’une certaine manière, elle se sentait trop envahie, se retrouvant à la limite de la douleur ; de l’autre, c’était du plaisir que pareille intrusion provoquait en elle, la laissant incapable de savoir ce qu’elle devait ressentir.

Lentement, très lentement, il poussa l’objet dans son corps, l’ouvrant millimètre après millimètre, s’arrêtant parfois pour lui permettre de s’adapter, observant ses paupières serrées, poursuivant juste ensuite. Le dernier passage, plus large, avant que l’objet ne se resserre à son bout la fit étouffer un gémissement. Il fallut une bonne minute pour que la sensation de brûlure s’estompe, mais pourtant, au fond d’elle, elle apprécia d’être ainsi emplie. Elle se sentait comblée, entièrement offerte aux mains de l’homme à qui elle avait décidé de se donner.

Durant tout ce temps, il était resté à détailler son visage, curieux de ses réactions et, d’une manière plus large, de son attitude face à cette session.

Puis la main de ce dernier passa dans la chevelure brune, doucement, et il se leva.

– Je vais te mettre un bâillon, décida-t-il.

Elle se rendit alors compte que, pas une fois, elle n’avait laissé le moindre son sortir de sa bouche. Elle en était même essoufflée.

Lorsque Mathieu revint, le poids de son corps sur le matelas fit bouger autant le plug que le drap qui s’était plissé sous son clitoris lors de l’introduction de ce dernier, la stimulant vivement. Le pouce qu’il glissa entre ses lèvres se fit aussitôt aspirer avec envie. S’il avait mis son sexe dans sa bouche, elle l’aurait sucé avidement ; elle aurait aimé qu’il le fasse : qu’il baise encore sa bouche, comme il l’avait fait précédemment. Puis elle laissa sa mâchoire se faire abaisser. Un mouchoir y fut enfoncé, la surprenant tandis qu’il prenait place au fond de sa gorge. La boule qui suivit, soutenue par un lien de cuir qu’il attacha aussitôt derrière son crâne, finit de la bâillonner.

– Essaye de respirer calmement, indiqua-t-il en glissant un objet rond de taille moyenne entre ses doigts.

Il lui referma la main doucement.

– C’est une sphère de métal, expliqua-t-il. Ouvre la main pour la lâcher et je m’arrêterai. C’est ton safeword, prononça-t-il sur un ton marquant l’importance de l’information.

Elle serra la boule qui lui avait été donnée, en éprouvant le poids. À chaque instant, l’attention que Mathieu lui portait la touchait, la faisant se sentir plus précieuse qu’elle ne l’avait jamais été. Elle aimait tout autant cette attitude que sa manière de la brusquer, d’éprouver ses limites, à chaque seconde. Ce n’était pas raisonné.

En sentant les doigts masculins glisser entre ses fesses jusqu’à la base de l’objet qu’il y avait glissé, elle se crispa. Une légère pression s’y exerça, l’objet plongeant plus profondément à l’intérieur d’elle et elle réagit en se cambrant, le frottement de son sexe contre les draps rêches provoquant en elle une violente décharge d’excitation. À cause du tissu et de la boule gênant le passage de l’air au niveau de sa bouche, elle se retrouva tout de suite à bout de souffle, devant prêter attention à respirer correctement par le nez. Puis il lui écarta plus encore les cuisses et elle gémit sous son bâillon, les draps se plissant de nouveau sous son corps comme elle s’y raidissait. Une seconde, elle faillit lâcher la sphère qu’il lui avait donnée et s’y agrippa de toutes ses forces, perturbée juste ensuite par l’inquiétude qu’elle avait ressentie à l’idée de la faire tomber. Son inclination à se soumettre au plaisir torve que cet homme lui avait promis, la façon dont cette situation l’excitait… tout la dépassait.

– Clara…

Entendre ainsi le nom qu’elle s’était choisi la ramena vers des pensées plus calmes. Elle lâcha un profond soupir. Il passa le doigt sur sa tempe comme s’il devinait ce qui la perturbait.

– Tu n’as pas à réfléchir, poursuivit-il. Tout ce dont il est question ici, c’est de mon plaisir. C’est moi qui aime te voir attachée comme cela. C’est moi qui me plais à te faire gémir dans ton bâillon.

Ce disant, il attrapa du bout des doigts la base du plug pour le faire ressortir presque entièrement, lui envoyant une décharge de douleur mêlée de plaisir plus forte quand la partie la plus large passa son orifice, puis l’y replongea pour y pratiquer quelques allers-retours. Elle se tordit, pantelante.

– C’est moi qui veux te voir, les fesses rougies, craindre autant que désirer mes coups, c’est moi qui veux goûter à ton expression dans ces moments-là. Toi, tu acceptes, tu te plies, tu me laisses jouer avec toi tel que j’en ai envie. Tu t’abandonnes. C’est mon plaisir… et puis le tien aussi, bien sûr. Le tien. Il suffit de te laisser aller. Simplement de te laisser aller.

Puis il poussa plus fortement l’objet la pénétrant, la faisant presser le bassin contre le matelas tandis que le plaisir la lançait brutalement.

– Garde les jambes écartées, indiqua-t-il finalement en se relevant.

Elle ne fut que trop prête à obéir. Le lit bougea encore un peu.

Le bruit rapide qui fendit ensuite l’air la fit à peine réagir. Elle tourna le visage, observant Mathieu manier la canne de rotin dans le vide, en éprouvant la force, l’ampleur du geste et la précision. Sous la lumière rouge pâle de la pièce, ses muscles se contractaient et se tendaient dans une vision superbe, pleine de puissance. Elle n’eut même pas peur de ce qui allait venir. Elle retourna attendre calmement, la tête appuyée sur le matelas.

D’un coup, l’objet tomba en travers de ses fesses.

Le premier impact la surprit. Il avait frappé fort ! Ou alors était-ce la sensation que la canne provoquait ? Elle ne le savait pas, mais elle n’avait pas imaginé quelque chose d’aussi intense pour une première fois. « Rien de trop poussé », avait-il dit. La douleur se révéla toutefois bien inférieure à ce que la force du coup avait suggéré : plus proche d’une piqûre brève que de quoi que ce soit de lancinant. Un instant, elle eut l’impression que l’apparence de l’objet l’avait trompée, que l’acte ne serait pas si difficile à supporter… puis la brûlure, secondaire, perverse, commença à s’étendre, la prenant au dépourvu, se diffusant impitoyablement autour de l’endroit où la canne s’était abattue. Ça faisait mal… Elle lâcha un murmure étouffé par son bâillon.

– Bien, commenta-t-il, l’encourageant à ne pas se retenir.

Elle se força à respirer calmement, de toutes ses forces. La douleur n’atteignit son apogée qu’au bout de plusieurs interminables secondes durant lesquelles elle pensa être incapable de soutenir d’autres coups. Elle ne savait même pas s’il avait vraiment frappé de manière si intense ou s’il ne s’agissait que d’une impression.

Quand elle sentit enfin la brûlure sur le point de redescendre, elle se prépara à se relaxer un peu, mais le deuxième coup tomba juste à ce moment, à peine plus bas, marquant l’arrondi de ses fesses d’une autre zébrure nette. Elle resserra la main sur la sphère métallique, un gémissement sortant de sa gorge.

Plusieurs secondes passèrent, le même nombre, dans une parfaite exactitude, que celui qui avait séparé le deuxième coup du premier.

Puis la canne s’abattit une troisième fois et, de nouveau, elle geignit, son visage se crispant.

Elle ne sut même pas pourquoi elle persista à tenir avec autant d’insistance l’objet que lui avait donné Mathieu. Elle aurait pu le lâcher, à tout instant, rien n’aurait été plus simple : desserrer les doigts et exposer ses mains ouvertes au jeune homme derrière elle. Elle savait qu’il s’arrêterait aussitôt. Rien ne lui en donna pourtant réellement envie, non pas que la souffrance ne fût pas vive, elle était même au-delà de ce à quoi elle s’était attendue, mais il y avait aussi la fierté, l’indicible plaisir de se plier à la volonté de cet homme, la joie de le contenter dans son envie de la voir ainsi. Elle voulait qu’il l’estime pour sa capacité à supporter ce qu’il lui faisait ; elle savait que son désir n’en serait que plus fort. La prendre dans cette position même, écarter sa chair marquée pour y plonger son sexe… C’était ce qu’il lui avait promis. Et chaque coup, chaque décharge douloureuse qu’elle endurait ne l’en rapprochaient que plus. Son corps se serrait autour de l’objet qui y avait été enfoncé, son excitation ne faisant que grandir. Quant à la souffrance qu’elle endurait, elle lui apportait aussi quelque chose d’inestimable, d’indescriptible…

Au fur et à mesure des retombées de la canne, le lien entre elle et Mathieu se tissait. Jamais elle n’avait eu à soutenir pareille épreuve, jamais elle n’y avait été accompagnée avec tant d’attention. Elle était, en cet instant, le monde à elle toute seule, tout tournait autour de ses gémissements et de ses paupières plissées, de sa volonté, de sa force, de la façon dont la sueur perlait au niveau de son front, de l’humidité naissant au coin de ses yeux. Bien qu’une partie d’elle la poussât à réagir contre ce qu’elle était en train de subir, une autre l’acceptait avec délectation, ses pensées s’y diluant.

À chaque coup, elle se déchargeait de toutes les craintes et angoisses qu’elle avait accumulées, de toutes les questions qu’elle s’était trop posées, de toutes ses incompréhensions. La voix obscurcie par les objets enfoncés dans sa bouche, elle n’avait pas besoin d’en retenir les plaintes. La canne était à la fois douleur et libération, lui permettant de se laisser aller : de crier, de haleter et de gémir sous les sensations contradictoires qui se faisaient en elle, chaque impact envoyant des vibrations dans tout le bas de son corps, se répercutant jusqu’au creux de son sexe, tandis que son orifice se resserrait autour de l’objet qui y était plongé. Ce qu’elle ressentait était plaisir autant que souffrance, les deux mêlés de façon inextricable. En elle, l’incroyable était en train de se produire, la longue cadence des impacts se succédant la laissant le cœur battant, soumise, offerte, heureuse de l’être, fière, des picotements parcourant son épiderme comme autant de décharges électriques. Au bout d’un moment, elle ne sentit plus vraiment les coups. Ses fesses étaient une masse bouillante, son corps devenu lourd du plaisir et de la douleur ressentie. Elle ne se rendit même pas compte des larmes qui s’écoulaient maintenant en un mince filet de ses yeux. Elle n’était plus que sens exacerbés. Elle était sensualité, elle était délivrance, elle était corps offert, prêt à être pris. L’objet introduit en elle lui rappelait sa présence en permanence, son clitoris devenu brûlant des frottements contre les draps du lit, lui faisant prendre conscience d’à quel point l’acte auquel elle s’adonnait avec Mathieu était sexuel… Comme s’il lui faisait l’amour. Curieuse et déviante impression. Curieuse…

Puis, d’un coup, comme ça, parce que les miracles existent et que ce qu’il se passait était au-delà de l’explicable, elle sentit l’orgasme se former en elle. Elle ne comprit pas.

Ses cils humidifiés se décollèrent. Sa vision resta floue.

Le dernier impact de la canne. La dernière vibration, la douleur s’étendant… L’objet à l’intérieur de son corps. Son sexe trop stimulé. Sa chair devenue brûlante, le regard de Mathieu juste derrière elle et la sensation forte de sa présence.

Un coup, encore, plus rapproché cette fois, la prenant totalement au dépourvu, et la jouissance déferla, la faisant se raidir alors que son corps se contractait, la brûlait, envoyant des décharges de plaisir dans chacun de ses nerfs. Parce que le bâillon le lui permit, elle gémit sans entraves, le plaisir fulgurant la laissant épuisée, perdue…

Plus rien ne s’abattit sur ses fesses. Seul un murmure parvint à ses oreilles.

– Clara…

Dans la façon dont il souffla son nom, il y eut tout l’éblouissement, l’estime, la fascination liée au fait de l’avoir vue jouir ainsi… de la voir maintenant, son corps pâle étendu sur les draps, lasse, vidée, plus libre qu’elle ne l’avait jamais été dans ses liens et son bâillon. Ses lèvres se posèrent sur sa nuque, la faisant s’abandonner entièrement à leur douceur. Il y avait quelque chose de pervers dans le fait de penser que les mains qui la réconfortaient étaient les mêmes que celles qui l’avaient châtiée. Tout au besoin qu’elle ressentait de la présence de Mathieu, cela lui semblait pourtant curieusement naturel. En cet instant, il était tout pour elle et elle n’avait besoin de rien savoir d’autre.

L’initiation de Claire – saison 1 (3)

Lentement, le sexe de Mathieu l’envahit, ce dernier poussant des reins jusqu’à parvenir aussi loin qu’il le pouvait. En le sentant cogner contre l’arrière de sa gorge, elle serra les poings contre ses cuisses, les mains cependant proches de plonger vers son entrejambe tant elle sentit son bas-ventre se crisper. Le soupir de contentement que poussa Mathieu l’échauffa dangereusement. Bien qu’elle en fût tentée, elle se garda de toucher le corps se dressant devant elle, ne voulant pas risquer de l’entraver dans ses mouvements. Qu’il prenne sa bouche l’excitait. En percevant une légère vibration contre le mur où elle était adossée, elle ouvrit les yeux pour se rendre compte que Mathieu venait d’y poser le front, les paupières étroitement fermées dans une expression de plaisir. Puis, son membre se retira, doucement, parvenant presque à la sortie de ses lèvres avant de retourner s’enfoncer en elle, y pénétrant assez profondément pour toucher de nouveau le fond de l’espace qu’elle lui offrait. Un autre souffle de plaisir émana de Mathieu. Malgré la gêne, malgré la sensation massive, malgré la conscience, bien que lointaine, des autres présences autour d’elle, elle eut envie de glisser la main sur sa poitrine, le long de son ventre… entre ses jambes ; curieusement. Elle pencha le visage de côté pour percevoir différemment, contre son palais et l’intérieur de ses joues, le frottement qui se mit en place. Ça lui avait toujours plu de sentir un sexe dans sa bouche, la caresse sur ses lèvres, les mouvements de va-et-vient, la douce sensation d’envahissement… C’était excitant et érotique, autant par la stimulation ressentie que par tout ce que cet acte suscitait dans son esprit.

Des mouvements suivirent, longs et incroyablement lents. Claire accepta, supporta, aima la façon dont Mathieu utilisa sa bouche, son corps s’en échauffant impitoyablement.

Soudain, une main se posa sur le côté de son crâne, dans un contact dont la douceur la surprit. La caresse inconsciente trancha totalement avec l’attitude dominatrice qu’avait eue Mathieu jusque-là, ses déhanchements se faisant cependant plus vifs alors que le plaisir grimpait en lui. Le contraste se révélait incroyable. Le trouble, le fait d’être à ce point offerte cumulé à la sensation à l’intérieur de sa bouche… Tout faisait s’enflammer son corps. Les soupirs de Mathieu se firent plus audibles, les mouvements de bassin plus saccadés, plus rapides. Elle avait envie qu’il poursuive ce qu’il faisait, qu’il prenne encore son plaisir à l’intérieur d’elle et qu’il jouisse tout au fond de sa gorge. Les paupières closes, elle appuya le visage contre la main chaude posée sur elle. Les doigts masculins se resserrèrent sur ses cheveux. Elle attendit de sentir la substance tiède l’envahir. Puis, d’un coup, la décharge arriva. Un gémissement léger lui succéda, presque inaudible si elle n’en avait pas été aussi proche. Mathieu crispa la main tandis qu’il se mouvait encore, en des gestes plus hachés, plus imprécis, finissant de drainer son orgasme. Claire déglutit tant qu’il le fallut, attendant patiemment qu’il daigne ressortir de ses lèvres.

Lorsque celui-ci s’immobilisa, elle leva les yeux. Le front de Mathieu reposait contre le mur, ses mèches claires tombant vers le sol alors que son regard fatigué par la force de la jouissance se baissait sur elle.

L’image qu’elle lui offrait, le regard fasciné et les lèvres ouvertes autour de sa verge, eut l’air de l’exciter encore un peu plus. Puis il ferma les paupières.

Son membre mollissant glissa hors de la bouche de Claire, et un ordre lui parvint aux oreilles :

– Ne t’essuie pas.

Elle suspendit son geste, les yeux écarquillés d’incompréhension. Elle sentit le liquide blanc qu’elle n’avait pas entièrement avalé humidifier la commissure de ses lèvres. Même s’il peinait à reprendre son souffle, Mathieu s’était déjà détourné d’elle pour refermer son pantalon. Elle parcourut la pièce du regard, surprise de ne pas se sentir tant gênée en redécouvrant les autres membres. Hormis la femme agenouillée, tous observaient Mathieu avec une désapprobation manifeste.

– Je sais ! coupa-t-il, l’air énervé.

L’instant suivant, il attrapait son carnet noir, n’en feuilletant les pages que plus vivement qu’il ne l’avait fait auparavant. Un crayon qui traînait par là finit entre ses mains.

– Merde, fut tout ce qu’il marmonna alors qu’il barrait d’un grand trait tous les noms qui y figuraient, déchirant le papier tant son geste avait été brusque.

Isabelle fit un pas vers lui.

– Tu ne peux pas !

– Si ! Trouve-leur quelqu’un d’autre !

– Mathieu !

Le cahier atterrit sur la table, y glissant avant de finir son trajet par terre. Perdue, Claire vit Mathieu lui tendre la main, le regard encore hésitant et pourtant doux en se posant sur elle.

Si la façon dont il l’aida à se relever fut vive, il ne la retint ensuite contre son torse qu’avec une attention déconcertante. Puis, lentement, il s’approcha de son visage, humant la peau de son cou et de ses joues, avant de pencher soudain la tête de côté et de nettoyer d’un coup de langue le rebord de ses lèvres. L’ébauche de baiser étourdit légèrement Claire. Les doigts qui enlacèrent ensuite étroitement les siens achevèrent de la troubler. Elle y resserra la main dans un réflexe.

– Viens, murmura Mathieu dans une expression pleine de promesses.

Elle se laissa entraîner hors de la pièce.

Le couloir qui suivait défila rapidement, marqué seulement du son de leurs pas. Au bout d’un moment, Mathieu s’arrêta devant une porte éloignée. Toutes celles qui étaient ici se ressemblaient. Il fouilla dans ses poches. L’endroit était totalement désert et seul le son du trousseau qu’il extirpa brisa le silence. Le sourire que Mathieu lui adressa alors fut aussi radieux que ceux qu’elle lui avait parfois déjà vus. La différence entre cette attitude et celle froide et dominatrice qu’elle avait découverte auparavant la frappa de nouveau.

Elle se laissa accompagner à l’intérieur de la salle. La lourde porte claqua, résonnant longtemps derrière eux.

Le trousseau atterrit sur un meuble disposé contre le mur. Elle observa la pièce tandis que Mathieu soupirait, passant les doigts d’un air las sur son front.

En se tournant pour regarder son visage, elle se rendit compte que le changement s’était de nouveau opéré dans l’autre sens. Malgré le trouble qu’il affichait, il se dégageait de lui la même assurance froide que lorsqu’il l’avait provoquée : celle d’un homme qui savait parfaitement ce qu’il était en train de faire.

Ainsi, elle sut que la session qu’elle avait demandée était sur le point de commencer.

Troisième partie

Troisième partie

– Tu as un safeword ? demanda Mathieu.

Claire eut l’air perdue.

– Non. Bien sûr, poursuivit-il en se frottant les paupières.

Elle le vit se diriger vers un placard. Elle observa le mobilier de la salle, pour beaucoup identique à la chambre aux chaînes suspendues au plafond qu’elle avait vue précédemment, bien que l’atmosphère y soit plus intime. Le métal et le bois dominaient, à l’exception du cuir rouge de quelques meubles et du rideau de voile isolant un large lit tout au fond de la pièce.

– Tu connais le code des couleurs ? reprit-il.

– Non.

– Tu ne connais rien, en fait ?

– Oui.

– Qu’est-ce que tu fais ici alors ?

Comme il s’était tourné vers elle avec une expression d’incompréhension, elle prit quelques secondes pour lui répondre. Elle se décolla du mur où elle avait pris appui et déambula dans la salle. Son regard se porta sur une chaîne pendue un peu plus loin.

– Je veux connaître.

Il eut un sourire. Un son métallique plana tandis que la chaîne qu’elle venait de toucher oscillait lentement.

– Vert, pour ta zone de confort. Ensuite orange, puis rouge si c’est trop pour toi. Quand on te pose la question, tu dis dans quelle zone tu te sens.

Elle prit le temps d’assimiler ces informations. Elle hocha la tête.

– On considère que l’orange est la bonne zone, poursuivit-il avec un sourire plein de sous-entendus.

Après un regard vers lui, elle acquiesça de nouveau. Ni dans sa zone de confort, ni au-dessus de ce qu’elle était prête à tolérer, donc. Elle essaya d’intégrer ce que cette notion impliquait, tandis qu’elle poursuivait sa découverte de la pièce.

Du plafond au sol, plusieurs anneaux étaient fixés. Elle commençait à mieux comprendre ce qui se pratiquait ici. Le banc haut, identique à celui qui l’avait intriguée lors de son exploration de l’étage, l’attira. Elle en examina l’agencement, ainsi que les boutons métalliques qui retenaient l’assise de cuir beige au socle de bois. Puis, elle se pencha en avant de manière à y appuyer le buste et en éprouver le confort.

– Le cheval-d’arçons t’intéresse ? remarqua Mathieu avec un certain amusement.

Suavement, dans une provocation volontaire, elle y grimpa de manière à s’y allonger. Ses genoux et ses coudes trouvèrent place sur les petits appuis situés en dessous de l’assise, ses cheveux noirs retombant sur la matière fraîche où reposait sa joue. Elle tourna la tête vers lui. Il contemplait sa chute de reins et la courbe de ses fesses, si accessibles dans une telle position.

– Tu aimes cette position ?

– Oui.

– Tant que ça ?

Elle eut un moment de réflexion, faisant de nouveau glisser la peau de son visage contre le cuir.

– Je crois que j’ai toujours eu des tendances de soumise.

Puis elle ajouta, sans bouger de sa posture lascive :

– Même si j’ai encore un peu de mal à voir clair dans tout ça.

Mathieu s’interrompit dans ses préparatifs pour se tourner vers elle. Elle s’interdit de regarder les objets qu’il avait commencé à réunir.

– C’est donc quelque chose que tu as remarqué récemment.

– Oui. Enfin, ça ne fait pas bien longtemps que j’y pense sérieusement mais, en réalité, c’est plus ancien. Du moins, je crois. Je ne sais pas.

– Et tu as ?

– Vingt-trois ans.

– Comme moi.

À ce point de la conversation, elle songea que la séance n’était pas encore commencée. Ils en étaient à faire connaissance, à se découvrir.

– Tu es venue seule ?

– Oui.

– Pas de compagnon ou d’amant ?

– Non. Plus, ou pas de façon sérieuse. Je ne suis pas quelqu’un d’« aimable », de toute façon, ajouta-t-elle avec une indifférence feinte.

Elle regretta aussitôt de s’être laissée aller ainsi à la confidence. L’amertume lui était remontée à la gorge. Consciencieusement, elle repoussa cette dernière, puis elle le scruta pour essayer de deviner ce qu’il pensait. En vain. Elle se permit alors de lui poser une question.

– Ça fait longtemps que tu pratiques ce genre de choses ?

Il leva les yeux au plafond, prenant le temps de réfléchir.

– J’ai eu quelques expériences de ce type, quand j’avais 18 ans. C’est jeune, ajouta-t-il en riant à moitié. Mais ça ne fait qu’un an que je le fais plus régulièrement.

– En tant que dominateur.

– En tant que switch.

Elle écarquilla les yeux.

– Ça existe ?

– Bien sûr.

Les traits de Mathieu s’étaient adoucis.

– Pour être sincère, je suis essentiellement dominateur, mais j’aime les deux. C’est différent. L’avantage de pratiquer les deux, c’est de pouvoir facilement se mettre à la place de l’autre, suivant ce que l’on fait, d’anticiper ses réactions… Un bon dominateur devrait d’ailleurs toujours savoir se soumettre. Mais avec toi, ce sera dom’.

Malgré le calme de la conversation et le ton tranquille, elle se sentit soudain gênée. La façon dont le regard de Mathieu s’était assombri était flagrante. Elle se releva du cheval-d’arçons. Il lui semblait avoir commis une faute en s’y étant étendue d’elle-même.

– Déshabille-toi, ordonna-t-il.

Alors, elle obéit. Si aisément. Il lui fut étonnant de constater à quel point elle était prête, désormais, à se remettre entre ses mains, combien elle désirait même lui faire confiance. Du moment où ils s’étaient retrouvés seuls tous les deux, l’atmosphère avait changé. La tension qui avait régné entre eux dans la salle précédente s’était dissipée, laissant plus d’amplitude à la curiosité mutuelle qui était née dès leur rencontre. Elle voulait lui montrer qu’il avait eu raison de la prendre avec lui, qu’elle serait capable de se plier à ses ordres et qu’il n’aurait, à aucun moment, à regretter son choix.

Lentement, ses mains naviguèrent sur le devant de son chemisier, en défaisant les boutons. Elle fit descendre le vêtement de ses épaules, éprouvant la sensation de fraîcheur sur sa peau. Comme elle ne savait pas où le déposer, elle leva les yeux sur Mathieu, et vit qu’il la contemplait avec un intérêt non dissimulé. D’un mouvement de tête, il lui indiqua un meuble bas situé dans un coin. Son chemisier se plissa sur le bois sombre ; sa jupe suivit. Lorsqu’elle fut sur le point de retirer les bas fixés à ses cuisses, un geste l’interrompit : Mathieu avançait d’un pas décidé vers elle. Il détailla le corset court qu’elle portait. Puis, il lissa le rebord fin du tissu recouvrant sa poitrine et glissa son doigt dessous pour en extirper chacun de ses seins, la faisant frémir sous ce contact. Il recula ensuite pour contempler son œuvre, la laissant à demi dénudée dans la trop grande pièce, son corps exposé à l’air comme au regard posé sur elle. Jamais, pourtant, elle ne s’était sentie autant désirable, auparavant. Lorsqu’elle planta le regard dans celui de Mathieu, elle ne fit rien pour lui cacher ce qu’elle éprouvait. Qu’il voie en elle sa volonté et, en même temps, sa fragilité. Qu’il sache qu’elle était prête à s’ouvrir entièrement à lui.

Il resta immobile, la détaillant sans la moindre gêne et, en même temps, avec une pointe d’amusement. La situation semblait particulièrement lui plaire. Il se dirigea ensuite vers un large fauteuil. Ses doigts se posèrent sur les accoudoirs, son corps s’enfonçant dans le cuir mou dont le rouge vif tranchait avec le noir de ses vêtements. Enfin, il lui fit signe d’approcher. Sa voix grave s’éleva quand elle parvint à quelques pas de lui.

– À terre. Jambes écartées. Bras en arrière.

Elle se figea de surprise. Elle tâcha de rester le regard fixé dans celui de Mathieu. Lentement, et comme son cœur battait fortement dans sa poitrine, ses genoux se plièrent. Ses cuisses s’éloignèrent l’une de l’autre. En prenant appui de ses mains derrière elle, elle se rendit compte qu’elle se retrouvait dans une position précaire, son corps se cambrant, sa poitrine tendue et sa respiration faisant monter et redescendre ses mamelons durcis par le froid et l’excitation.

– Préférences ? l’interrogea-t-il, la tête appuyée sur son poing dans une mimique appréciatrice.

Puis il précisa :

– Je n’ai pas eu le temps de lire ta fiche.

Elle refusa de le laisser voir à quel point la situation la perturbait. Après un instant de réflexion, elle tenta :

– Plaisir ?

– Tout n’est que plaisir ici, coupa-t-il avec un rire bref. Tu devrais le savoir. Sexe ?

– Oui.

Le regard de Mathieu s’adoucit.

– Liens, bâillon, bandeau ?

Elle prit une seconde pour répondre. Elle observa le corps du jeune homme assis devant elle et la façon dont ses mèches blondes traversaient l’encre de ses yeux.

– Pas de bandeau.

Puis, après un court instant, elle ajouta :

– Pas de masque non plus.

Il écarta les mains pour lui rappeler qu’il n’avait pas le sien avec lui.

– Tu ne crains ni de te faire attacher, ni de te faire bâillonner ?

Elle aurait voulu éviter de répondre à cette question. Néanmoins, l’attitude autoritaire de Mathieu la convainquit de ne pas persister dans cette voie.

– Il en faut plus pour me faire peur.

Ce n’était pourtant que fanfaronnade. Si elle avait été sincère, elle aurait reconnu que l’idée l’effrayait. Si elle avait été totalement honnête avec elle-même, elle aurait avoué qu’elle l’excitait.

– Pas de marques persistantes, reprit-il. Pas de trucs crades. Rien de trop poussé pour toi puisque c’est la première fois. Si tu sens que ça ne va plus, tu dis « rouge ». À n’importe quel moment. Quoi que l’on fasse. Si je te pose la question sur les couleurs, tu ne me mens pas. Si tu es bâillonnée, je te donnerai quelque chose pour que tu puisses t’exprimer.

Puis il baissa le visage dans une expression plus sombre, empreinte d’une forme de goguenardise.

– Maintenant, il ne t’est plus permis de bouger.

Et le sourire qui se dessina à cet instant sur les lèvres de Mathieu fut autant séduisant que, d’une certaine manière, effrayant.

***

Claire resta coite. L’appréhension, l’inquiétude, la curiosité de savoir ce qu’il se passerait ensuite… Tout faisait battre son cœur, provoquant en elle un émoi inhabituel. Elle le regarda se lever et se diriger vers le meuble proche où il avait réuni son matériel. En le voyant revenir avec une paire de ciseaux, elle eut un moment d’angoisse. Une respiration ample souleva sa poitrine.

– Calme, souffla-t-il en se penchant à son oreille.

Puis il s’agenouilla lentement devant elle. Avec précaution, il réajusta l’emplacement de son corset, le descendant légèrement de manière à ce que le tissu qui avait voilé peu avant sa poitrine ne risque pas de remonter. Il se saisit ensuite de sa culotte pour la tirer et y pratiquer, avec prudence, une fente en son milieu, tandis qu’elle se raidissait avec inquiétude. Puis il se leva pour éloigner la paire de ciseaux. Elle soupira. Quoi qu’il se passe désormais, elle devrait rester avec ce sous-vêtement découpé le restant de la soirée…

Il revint se positionner devant elle, lui adressant un petit sourire en coin, tout en faisant dériver ses doigts sur la courbe de sa gorge, l’arrondi de sa poitrine, le relief de l’un de ses tétons… Puis il descendit progressivement jusqu’à glisser lentement la main au niveau de l’espace humide du bas de son corps. De surprise, elle lâcha un infime son de la gorge et faillit bouger mais s’évertua aussitôt à maintenir la position dans laquelle il lui avait dit de rester. Elle le fixa ensuite, son visage si proche du sien, dans l’attente et la curiosité. Puis, en sentant son index et son majeur s’enfoncer brusquement en elle, elle ferma les paupières. Bien que son sexe soit déjà lubrifié, le geste avait été soudain et la tension forte.

– Garde les yeux ouverts.

Elle obéit, déglutissant en fixant les traits de Mathieu à quelques centimètres seulement de son visage, son regard l’embrasant.

Lorsqu’il ressortit ses doigts pour les faire lentement remonter jusqu’à son grain de chair érigé, elle se mordit la lèvre, fermant de nouveau les yeux sous l’afflux soudain de plaisir, avant de les rouvrir aussitôt, consciente de son erreur. L’ordre se révélait plus difficile à respecter qu’il ne l’avait paru. Étonnamment, son corps se montrait excessivement réceptif, plus qu’il ne l’aurait dû aux prémices de ses caresses. Bien qu’il n’ait encore qu’effleuré son clitoris en quelques mouvements glissants, elle sentait déjà ses cuisses se contracter, son bassin se relever et une boule de chaleur se former dans son bas-ventre. Curieusement, qu’il la touche ainsi lui paraissait pourtant plus anormal que s’il s’était servi de son corps pour son propre plaisir ou que s’il lui avait administré des coups. Il lui semblait qu’il n’avait pas à la caresser, qu’elle aurait dû être celle lui procurant ce type de soins, qu’elle n’était pas à sa place. La totale passivité qu’il avait exigée d’elle ne lui permettait, de plus, aucune porte de sortie. Si elle restait seule à éprouver du plaisir, elle manquait à son rôle et, si elle essayait d’inverser la situation, ce ne pourrait être qu’en fautant gravement puisqu’elle ne respecterait alors pas la consigne qu’il lui avait donnée. À l’arrivée, la situation la perturbait autant que, bien malgré elle, l’excitait. Elle ne s’était pas attendue à un tel acte. Il aurait tant été aisé pour elle de jouer à refuser les gestes de Mathieu, de faire semblant d’être forcée et, plus encore, ne pas avoir à se rendre compte combien chacune de ses paroles et chacun de ses gestes l’affolaient.

Le visage penché, ses mèches blondes masquant en partie la noirceur de son regard, celui-ci semblait se délecter de la vision cruellement érotique qu’elle lui offrait.

Gênée, elle détourna le menton. Il le ramena aussitôt face à lui en le saisissant fermement.

Elle commençait à percevoir ce qu’induisait cet état de soumission. Quoi qu’elle espère, elle ne pouvait pas avoir la maîtrise de ce qu’il se passait, quelle que soit la force avec laquelle elle aurait voulu se convaincre du contraire. Quant au regard posé sur elle, il l’enflammait. Les gestes de Mathieu se firent plus précis. La chaleur enfla entre ses cuisses, et elle ouvrit la bouche plus largement. Les mouvements au niveau de son sexe devinrent plus appuyés. Bien que la gêne restât présente, elle ne pouvait plus le quitter des yeux. Elle sentait encore le goût du liquide âpre avalé au fond de sa gorge, avait toujours l’impression de percevoir la masse qui s’était déplacée contre son palais. Que Mathieu use ainsi de sa bouche l’avait considérablement excitée, l’envie de se toucher qu’elle en avait ressentie la laissant plus sensible qu’elle ne l’avait cru. Au fond d’elle, elle songea à la manière dont ses larges mains pourraient se saisir de ses hanches, la courber, quelle sensation lui procurerait son épais membre en s’enfonçant à l’intérieur de son corps. Qu’il la prenne. Qu’il l’ouvre. Qu’il entre en elle. Elle en avait tellement envie…

Sa tête se renversa en arrière et elle dut lutter pour ne pas fermer les paupières ; ses yeux s’humidifièrent ; sa nuque commença à se raidir tant elle s’arquait. Petit à petit, elle se mit à trembler. La chaleur en elle s’intensifia, quelques contractions s’opérant au niveau de son bas-ventre. Inconsciemment, elle écarta plus largement les cuisses, lui offrant l’entier spectacle de l’émoi de son corps. De discrets gémissements commencèrent à s’évader de sa bouche. Les premiers signes annonciateurs de l’orgasme se firent plus présents, la sensation d’une boule de pur plaisir se constituant dans son ventre, montant… montant irrépressiblement…

Puis, au moment où elle fermait les yeux dans l’arrivée de la jouissance, tout s’arrêta. La présence de Mathieu s’évanouit. Son corps partit presque imperceptiblement en avant comme s’il avait voulu maintenir son contact. Elle rouvrit les paupières aussitôt, s’attendant à ce qu’il reprenne ce qu’il faisait, mais qu’il soit déjà en train de se relever la laissa perdue. Oh non, elle n’avait pas compris avant en quoi constituerait réellement cette session et elle se sentit faible, soudain. Ses muscles étaient encore en train de se raidir, ses cuisses se contractant, tout son être s’élevant en protestation contre cet arrêt inopiné. Son regard se chargea de désarroi. Pas un instant, elle ne rompit cependant la position de soumission dans laquelle son dominateur lui avait dit de rester.

– Bien, commenta-t-il.

Elle ne perçut même pas le ton de félicitation, toute à la souffrance de cet orgasme que son corps ne voulait pas laisser refluer. Elle se sentait bouleversée.

Lentement, douloureusement, ses nerfs attisés finirent par se calmer, la laissant excessivement sensible. Pourtant, la satisfaction d’avoir été capable de supporter ce qu’il venait de lui infliger, de l’accepter, de le subir et d’être encore là, présente et forte, ne viendrait pas encore.

– Lève-toi maintenant.

Elle prit appui sur le sol de ses mains, évitant de le regarder, tant elle était encore confuse. À cause de la position dans laquelle elle s’était tenue et des prémices de l’orgasme, ses jambes étaient devenues faibles, elle ne se sentait qu’à peine la force de s’y hisser. Progressivement, en des gestes mesurés, elle se mit debout, tâchant de trouver son équilibre.

Quelque part en elle, Claire ressentit le besoin d’être réconfortée, rassurée par rapport à cette session qui était en train de se dérouler et qu’elle avait pourtant voulue. Le corps solide qu’elle sentit soudainement contre son buste lui donna envie de s’y appuyer. Lorsqu’il posa les mains sur sa taille, elle se laissa aller entièrement à son contact, à cette présence autant rassurante qu’elle pouvait être grisante.

L’initiation de Claire – saison 1 (2)

Deuxième partie

Claire jeta un coup d’œil autour d’elle. Peu d’autres personnes s’étaient aventurées dans cette partie de la cour et aucune n’avait prêté attention aux agissements du trio. Doucement, elle déambula le long de la piscine, tout en scrutant le lieu où les trois jeunes gens avaient disparu. En s’en approchant, elle constata que, si elle n’avait pas été en train de les observer au moment où ils y étaient entrés, elle aurait sûrement ignoré l’existence de ce passage. Il aurait fallu qu’elle traverse la cour extérieure, et encore, il était si bien dissimulé dans un coin d’ombre qu’on ne pouvait guère le repérer qu’une fois parvenu à ses pieds. Là, une faible lumière, jaune pâle, en éclairait la voie. En haut se dressait une porte noire sans aucune inscription de derrière laquelle émanait une musique assourdie, à la rythmique sensuelle.

Claire resta, un moment, immobile.

Puis elle gravit les marches, les doigts glissant sur la pierre sèche au fur et à mesure de son avancée. Son pouls battait de curiosité et d’appréhension.

Derrière la porte, un couloir exigu lui apparut, éclairé de façon intermittente par la blancheur hypnotique de stroboscopes. Des hommes et des femmes s’appuyaient le long de ses murs, certains se parlant à l’oreille, d’autres s’embrassant avidement. Claire se rendit compte qu’elle devrait les frôler si elle voulait progresser. Les basses du morceau diffusé se répercutaient dans sa poitrine, les stroboscopes lui faisant apparaître les images fugaces de lèvres les unes contre les autres, du galbe d’une jambe dénudée, d’un visage enfoui dans la courbure d’un cou et des ondulations, troublantes, de hanches masculines entre deux cuisses relevées. Si l’atmosphère précédente avait été empreinte de sensualité, celle-ci s’avérait clairement sexuelle.

Lentement, elle se glissa entre les corps lui faisant face, les regards se posant sur elle et les souffles éraillés effleurant sa peau tandis qu’elle les dépassait. Lorsqu’une main se glissa entre ses jambes, elle se retourna pour reculer d’un pas, ne sachant comment réagir. Puis elle poursuivit son chemin.

Plus elle s’enfonçait à l’intérieur du mas, plus la décoration changeait. Plus sombre. Plus sexuelle. Des ouvertures sans porte donnaient sur différentes pièces où de grands lits trônaient, occupés pour la plupart. Certaines chambres possédaient de grands écrans vidéo, d’autres des miroirs sur chacun de leurs murs… une, des chaînes terminées par des bracelets pendant au plafond. Curieuse, elle pénétra dans cette dernière. Celle-ci ne comportait aucun lit mais était meublée, en son centre, par un banc sans dossier sur lequel elle devina que l’on pouvait s’allonger. Le meuble était suffisamment haut pour que le corps de la personne étendue soit au niveau du bassin de celle restant debout ; une assise rembourrée, qui semblait confortable, le recouvrait et de petits appuis, situés plus bas en ses quatre coins, permettaient d’y poser les genoux et les coudes. À côté se dressait une grande croix de saint André, anneaux et lanières fixés à ses extrémités. Ailleurs, une sorte de hamac de cuir était suspendu au plafond par des chaînes. De grands placards, fermés seulement par des grilles, laissaient apercevoir des objets qui attiraient son regard. Elle voulut approcher, mais un bruit sec retint son attention. Il s’agissait d’un son provenant d’une pièce attenante. Le gémissement étouffé qui suivit l’interloqua.

Avançant encore un peu plus, elle découvrit une salle où, derrière une ligne de barreaux, des êtres aux poignets ligotés au mur étaient en train de se faire fouetter, certains très doucement, d’autres plus fort. Quelques personnes regardaient tranquillement, murmurant parfois à l’oreille des uns et des autres. L’aspect de la scène lui donna l’impression d’un spectacle.

Un moment, elle resta, elle aussi, appuyée aux barreaux à observer ce qu’il se passait, étonnée de s’en laisser tant captiver. Elle n’avait jamais vu quoi que ce soit de tel. Ceux maniant les lanières de cuir portaient tous un masque, hommes et femmes. Ceux soumis l’étaient jusqu’au regard des autres. Une curieuse alchimie s’opérait cependant entre ces derniers et leurs dominateurs, donnant à Claire l’impression qu’aucun d’eux n’était là pour le public mais, au contraire, qu’en les observant ainsi, c’était elle-même qui attisait leur jeu. Soudain, un gémissement plus fort lui fit tourner la tête, quelque peu effrayée. La façon dont le responsable s’approcha alors de celui qui venait de crier l’étonna, sa main caressant son dos légèrement strié avant de passer tendrement dans ses cheveux pour lui tourner le visage… L’expression de plaisir mêlé de reconnaissance de ce dernier alors qu’il atteignait soudain l’orgasme la perturba violemment. Gênée, elle se détourna de ce spectacle qu’elle ne comprenait pas.

Tandis qu’elle repartait, songeuse, elle se rendit compte que la durée pendant laquelle elle était restée à observer cette scène lui échappait. Elle ne savait même pas depuis quand elle déambulait dans cette partie du bâtiment. Elle avait l’impression de s’être laissé emporter par l’atmosphère des lieux au point d’en perdre la notion du temps. Un rire la sortit alors de ses pensées. En relevant le visage, elle découvrit, sortant d’une pièce devant laquelle s’amassait un certain nombre de personnes, la femme qu’elle avait observée plus tôt. Quand celle-ci tourna la tête, sa chevelure rousse fendit l’air, puis sa main se leva pour placer devant ses yeux un masque identique à ceux que Claire avait remarqués auparavant.

Elle s’immobilisa, sa respiration s’accélérant. Un coup d’œil rapide aux êtres rassemblés dans cette partie du couloir lui fit repérer le jeune homme à la démarche nonchalante. Le cœur battant, elle jeta un œil dans la salle proche. Si elle y découvrit un nombre plus important encore de personnes conversant à voix basse, comme s’ils venaient eux aussi d’assister à une scène et échangeaient leurs impressions à ce sujet, le troisième homme, celui qu’elle avait vu avec le masque, n’y figurait pas… ou plus ; elle l’ignorait. Elle tâcha de recouvrer ses esprits, surprise de se sentir autant troublée par ce petit événement.

À peine eut-elle reculé qu’une voix l’interpella. Décontenancée, elle considéra la femme à la tenue de cuir rouge qui se tenait à quelques mètres d’elle, l’allure clairement dominatrice. Plus loin, elle reconnut le serveur du bar avec lequel elle avait brièvement conversé, venu la désigner depuis la dernière marche d’un escalier dérobé.

Claire cligna des paupières. La femme la détailla des pieds à la tête, avant d’élever la voix :

– Vous avez demandé une session au donjon. Suivez-moi.

Il fallut quelques secondes à Claire pour réagir. Le serveur était déjà en train de redescendre. La femme portait, elle aussi, un masque vénitien. Lorsque celle-ci tourna les talons, Claire la regarda repartir dans le couloir, troublée par ce qui était désormais une certitude : l’homme qu’elle avait aperçu au bord de la piscine devait, lui aussi, être un dominateur de l’établissement. Puis, elle lui emboîta le pas, son regard partant dans chaque salle qu’elles croisèrent tandis qu’elle se demandait vers quoi exactement elle se dirigeait. Et ce qu’elle cherchait, aussi. Ce qu’elle cherchait, tout au fond d’elle.

Dans aucune de ces salles, elle ne vit l’homme au masque.

Au bout du couloir, un lourd rideau bordeaux marquait la transition vers un lieu interdit aux autres clients. Lorsque la dominatrice le retint pour inviter Claire à la suivre, celle-ci tâcha de ne pas montrer son appréhension. Derrière, un petit vestibule à peine éclairé lui apparut, précédant plusieurs portes, toutes noires et sans inscription. Les murs, ici, se dressaient vides d’une quelconque décoration. Un geste l’invita à ouvrir l’une des portes. Malgré sa gêne, Claire y posa la main, poussant lentement.

Le premier visage qui lui apparut fut celui de la jeune femme aux cheveux roux qu’elle avait aperçue auparavant. Elle était hissée sur un tabouret haut, et ses jambes croisées laissaient visible la couture de ses bas. Elle tenait plusieurs feuilles de papier entre les doigts. Son masque était posé sur une tablette derrière elle.

– Clara ?

– Oui, répondit Claire, puisqu’il s’agissait du pseudo qu’elle s’était choisi.

Son attention fut aussitôt attirée par la femme nue qui était agenouillée plus loin, la tête basse et un harnais en cuir ceinturant sa poitrine. Un homme, affalé dans un fauteuil, les pieds sur une table où traînaient des verres vides et un tas de documents, tenait une cravache. De temps en temps, il jetait un œil à la femme, immobile, à ses côtés. En se rendant compte que les fesses de cette dernière étaient marquées de zébrures rouges, Claire se sentit perdue, comme distancée par ce qu’elle découvrait.

– Préférence : homme, cita la femme assise sur le tabouret.

Claire dut expirer profondément pour reprendre ses esprits. Elle observa celle qui venait de prendre la parole, découvrant que ce qu’elle tenait à la main était le questionnaire qu’elle avait rempli en arrivant, et qu’elle était en train de le lire.

– Olivier est occupé pour l’instant, enchaîna-t-elle.

Claire hocha la tête, l’esprit embrumé. Son regard repartit vers la soumise dont les yeux ne quittaient pas le sol. Même si l’homme assis dans le fauteuil ne lui adressait presque aucun regard, il était évident que toute son attention était focalisée sur la femme agenouillée auprès de lui.

– On peut avoir une session toutes les trois, Isabelle et moi, indiqua la dominatrice à la tenue de cuir rouge.

Puis elle précisa :

– Sans caractère sexuel. On manque de membres masculins ce soir. Ou tu peux attendre qu’un autre dom’ soit libre. Cain devrait bientôt être là.

Ce nom fit tiquer Claire. Elle se sentait mal à l’aise. Si, à l’origine, elle n’avait considéré cette session que comme une éventualité, certes inquiétante, mais à l’attrait de laquelle elle n’avait pas eu envie de résister, elle se rendait désormais compte à quel point elle avait présumé de sa propre audace. Le contraste entre ses fantasmes et la réalité était, de plus, flagrant. Elle ne savait plus si elle serait capable d’affronter un tel univers, si elle serait même prête à en faire l’essai.

Perturbée, elle ne vit s’ouvrir la porte située de l’autre côté de la salle que dans un brouillard cérébral. Le jeune homme qui pénétra à son tour dans la pièce, le masque à la main et un large sourire sur le visage, ne fit qu’embrouiller un peu plus ses repères. Un temps, la présence de la femme au sol, les marques sur ses fesses et l’attitude hautaine des deux dominatrices devinrent floues dans son esprit. Même le nouvel arrivant eut un temps d’hébétude, son sourire s’évaporant en découvrant Claire.

Du jeune homme qui venait d’entrer se dégageait un charme surprenant, captivant de bien des manières. Si la vision que Claire avait eue de lui, au bord de la piscine, avait suscité son intérêt, elle se sentait plus intriguée encore en le découvrant soudain devant elle. L’incroyable légèreté qu’il affichait tranchait avec l’image qu’elle avait d’un dominateur ; ses cheveux blonds en bataille lui donnaient un air de débauche et son sourire contrastait avec les expressions froides qui avaient accueilli Claire jusque-là. Quant à son attitude, elle était fraîche et espiègle, comme si tout ce qui se tramait en ces lieux reculés ne représentait, pour lui, qu’un jeu très distrayant. Seul l’aspect sombre de son regard rappelait qu’il n’avait certainement rien d’un simple garçon turbulent.

– Lui, c’est Mathieu, l’informa Isabelle. Et son planning est complet pour toute la soirée.

Claire accusa le coup. Durant quelques secondes, elle avait cru qu’il s’agissait du Cain qu’on lui avait annoncé. Perdue, elle tourna le visage vers la femme qui venait de lui parler, ne se rendant pas compte de la façon dont elle la dévisagea, faisant s’offusquer tous ceux qui l’entouraient, tant elle parut irrespectueuse. Seul ledit Mathieu, dont le regard était en train de descendre le long de la silhouette de Claire, en eut un sourire amusé.

Claire reporta son attention sur lui, tâchant de démêler les fils de son esprit.

Tant d’événements s’étaient succédé pour elle ces derniers temps : sa rupture avec Thomas, sa prise de conscience de la façon dont elle s’était laissé cloîtrer par cette relation, les propos du type lui ayant remis le flyer et la manière dont elle s’était laissé partager entre lui et un autre homme, comme s’il s’était agi de la place qu’elle devait occuper. Sa fascination pour la manière dont d’autres se faisaient attacher… De tous ces éléments, elle avait pu tirer une conclusion, une seule : elle ne se connaissait pas. Elle n’avait jamais été dénuée de caractère, stupide ou incapable de se révolter. Elle avait des convictions, des envies, et la façon dont elle gérait ses études, dans le cursus difficile qu’elle avait choisi, témoignait de la volonté dont elle pouvait faire preuve. Durant sa relation avec Thomas, elle s’était pourtant montrée tellement soumise… et elle n’avait guère agi différemment lors de sa dernière soirée. S’il y avait un élément, dans tout le trouble qu’elle avait ressenti depuis, qui pouvait encore avoir du sens, c’était qu’elle avait besoin de se trouver. Elle ne voulait plus laisser les autres décider de ce qui advenait d’elle, et certainement pas s’engager dans une session avec ces deux dominatrices dont l’attitude autoritaire la mettait mal à l’aise.

Inconsciemment, elle s’appuya contre le mur de pierre, scrutant le jeune homme aux cheveux clairs dans un temps de réflexion.

– Tout le monde veut toujours Mathieu, se moqua ensuite l’homme enfoncé dans le fauteuil.

– Pourquoi toujours, hein ? protesta celui-ci sur un ton de plaisanterie.

Puis il se pencha pour attraper un gros cahier noir posé sur la table. Claire le regarda s’adosser au mur et en feuilleter les pages d’un air blasé.

– Tu n’as pas rempli la partie « expériences », poursuivit Isabelle à l’intention de Claire. Tu en as déjà eu au moins ?

Mathieu releva la tête avec beaucoup d’intérêt. L’ombre séductrice, joueuse, qui s’alluma dans son regard mit Claire mal à l’aise. Elle appuya la joue sur la pierre du mur, à côté d’elle, en recherchant la fraîcheur et, d’une certaine façon, le soutien. Elle ne voulait pas se laisser écraser par ce groupe de dominateurs.

– Oui, mentit-elle finalement.

– Et en vrai ? enchaîna aussitôt Mathieu.

Un sourire amusé jouait au coin de ses lèvres.

La poitrine de Claire se souleva. Elle eut un instant d’hésitation.

– Non, corrigea-t-elle.

Si elle parvint à garder une voix froide, elle sentit cependant le creux de son ventre se contracter. L’expression de Mathieu, qu’elle aurait imaginée moqueuse, ne fut pourtant marquée que de plus de regrets. Il tourna les pages suivantes de son cahier avec tant de théâtralité, dans son dépit, qu’il aurait pu les arracher. L’homme enfoncé dans le fauteuil se mit à rire. Claire ne lâchait plus Mathieu des yeux.

Au bout d’un moment, celui-ci lança un regard interrogatif à sa collègue.

– Clara, lui indiqua-t-elle. Inscrite dans la soirée.

Il acquiesça pensivement, avant de retourner examiner son carnet. Puis, il releva le visage vers elle, comme gêné par son regard. Elle le fixait avec trop d’attention, témoignant de son attente d’un acte de sa part. Il eut un rire bref, nerveux.

– Je ne peux pas, finit-il par lâcher.

Claire ne comprit pas. Elle avait entendu ce qu’on lui avait expliqué mais son esprit embrouillé ne parvenait pas à l’intégrer. Elle avait vécu les années précédentes dans l’acceptation de tout ce que les hommes ayant partagé sa vie avaient voulu d’elle ; pourquoi fallait-il que, pour une fois qu’elle tâchait de décider elle-même de ce qui lui arrivait, ce lui soit refusé ? Nerveusement, elle passa les doigts sur les ailes de son nez, paupières fermées.

– Que faut-il que je fasse ? dit-elle finalement.

Cette question était tout ce qui lui était venu à l’esprit. Elle se sentait encore amère de ses déceptions passées, révoltée contre la vie qui se montrait si complaisante à l’enfoncer dans des situations qu’elle ne gérait pas, mais si rude lorsqu’elle tentait d’en maîtriser le cours.

– Et puis une première fois, ça ne se fait pas comme ça, poursuivit Mathieu comme s’il ne l’avait pas entendue mais, plus encore, comme s’il pouvait ainsi se convaincre. Il faut s’y préparer, prendre le temps de discuter et… il n’est pas conseillé du tout, de toute façon, de pratiquer tout ce qui est sexuel tout de suite et puis…

L’attention de Claire se porta particulièrement sur ces derniers mots, évoqués si soudainement, alors qu’elle n’avait fait aucune demande à ce sujet, et… comme à regret. Elle retrouva un semblant de contenance.

– Que faut-il que je fasse ? répéta-t-elle.

***

Mathieu eut un rire nerveux. Il referma brusquement son carnet qui claqua dans sa main. Il n’y avait rien de fréquent dans le fait de voir se présenter seule, comme Clara était en train de le faire, une novice, et encore moins une femme dont l’apparence attirante se combinait à une attitude aussi irrévérencieuse que la sienne. Tout en elle se trouvait aux antipodes du comportement que devrait avoir une soumise. Tout en elle semblait pourtant si prêt à y sombrer… L’idée d’être le premier à la mener parasitait ses pensées.

– T’inscrire à l’avance, soupira-t-il. Revenir une autre fois en prenant rendez-vous plusieurs jours avant.

– Je ne suis pas d’ici.

– Et alors ? Moi non plus.

Cette dernière remarque eut l’air de faire réagir la jeune femme. Comme si elle avait failli oublier que, sortis de ce lieu et de leurs artifices, les êtres qui l’entouraient n’étaient guère plus que ses semblables.

– Que faut-il que je fasse ? insista-t-elle de nouveau.

Agacé, Mathieu jeta son cahier sur la table. Sa tête se renversa en arrière, son regard partant au plafond. La jeune femme face à lui n’avait décidément rien de l’attitude qui convenait à une soumise. Pourtant, son comportement le séduisait plus qu’il n’avait envie de se l’avouer. Il avait toujours trop aimé le combat. Ses paupières se fermèrent, l’image nue de la jeune femme, entièrement offerte à son regard comme à sa volonté, s’y substituant.

Quand il reposa les yeux sur elle, une lueur plus sombre, joueuse, y avait pris place, emplie de défi.

– Montre-moi de quoi tu es capable.

***

Claire ne s’était pas attendue à ce tournant. La demande lui fit l’effet d’un choc. Quelque chose avait changé dans l’attitude du jeune homme, quelque chose qui n’avait plus rien à voir avec ses mimiques amusées. Désormais se trouvait en face d’elle un dominateur, autoritaire. Inflexible. Un petit sourire aux lèvres, il la dévisageait avec une provocation évidente. Elle se tourna vers les autres membres de la pièce. Tous observaient silencieusement leur échange, les visages fermés. La femme au sol ne bougeait toujours pas.

– Alors ? la relança Mathieu.

Elle se passa la main dans les cheveux, décontenancée. Le regard qu’elle adressa ensuite à Mathieu fut alors empli d’autant de certitudes, quant à ce qu’elle avait décidé de vivre, que de révolte. Elle savait ce qu’elle voulait. Elle ne pouvait cependant pas deviner elle-même comment agir. Dans un mouvement de bravade, elle se décolla du mur, puis avança jusqu’à un mètre de lui. Il ne bougea pas, se contenant de lui faire signe de s’approcher encore. Elle n’eut qu’une seconde d’hésitation. Lorsqu’elle parvint enfin à ses côtés, elle détourna le visage, penchant la tête vers son épaule en laissant la présence de cet homme électriser son cou.

– Tu ne sais pas, hein ? lui fit-il remarquer.

Son souffle survola la peau de Claire, celle-ci en ressentant l’obscure sensualité.

– Non, soupira-t-elle.

– Regarde la femme agenouillée au sol.

Elle obéit. Elle ne voyait qu’une situation choquante.

– Tu comprends ce qu’il se passe ?

– Non.

Et, dans l’aveu, elle releva les yeux vers Mathieu en une expression qui ne masquait rien du trouble que leur soudaine intimité lui provoquait. Elle le vit sourire. Il ne lui fit cependant aucune grâce, s’éloignant pour s’adosser nonchalamment contre le mur avant de la fixer de nouveau avec une provocation manifeste.

– Alors ?

Elle expira profondément. Si elle savait parfaitement ce qu’elle avait demandé en sollicitant cette session, elle n’était pas encore prête à ployer ainsi la nuque. Mathieu lui avait cependant lancé un défi et il était hors de question qu’elle le laisse continuer à la prendre pour une pauvre fille perdue dans un univers qu’elle était incapable d’assumer. Et ceci était aussi valable pour les autres qui l’entouraient, surtout les deux dominatrices dont l’attitude hautaine lui déplaisait.

Lorsque l’une d’entre elles interpella Mathieu pour lui demander d’abandonner, Claire l’interrompit d’un mouvement de main, le regard empli de détermination. Elle allait faire ce qui lui était demandé. Il n’était plus utile pour eux d’intervenir.

Lentement, elle franchit la distance la séparant de Mathieu, avant de s’arrêter un moment face à lui. Puis, elle s’agenouilla. Une fois au sol, elle posa les mains sur l’avant de ses cuisses et dirigea le regard vers le côté, son expression tel un mélange de provocation et de soumission, tandis que l’une de ses mèches brunes tombait le long de son visage. Plus personne n’éleva la voix à l’intérieur de la pièce.

D’une curieuse manière, le sentiment d’humiliation que Claire s’était attendue à ressentir ne survint pas, laissant la place à une fierté inhabituelle, pour ce qu’elle était en train d’accomplir, pour être capable de répondre à ce qui lui avait été demandé tout en ne s’écrasant pas. Se retrouver au centre de toute leur attention suscitait, de plus, un sentiment inhabituel en elle. La situation se révélait infiniment troublante. Tout lui restait cependant inconnu. Comment devait-elle se comporter ? Quelles étaient les règles ? Personne ne la guidait. Personne ne l’aidait dans ce domaine dont elle ignorait les lois.

Impitoyablement, le temps s’étira, aucun mot, aucune action ne venant la tirer de sa situation.

Au bout d’un moment, relever le regard devint une nécessité. Elle n’osa pas chercher celui de Mathieu, si haut au-dessus d’elle. Seulement, elle contempla ce qui lui faisait face, le corps de cet homme dont le bassin était si proche, désormais, juste devant son visage, et dont l’entrejambe se révélait légèrement gonflé. Elle en était si près. Durant quelques instants, elle songea à la manière dont elle devait agir, mais fut incapable de trier les fils emmêlés de son esprit. Alors, elle pensa à ce qu’elle-même voulait. Elle.

Progressivement, ses doigts se levèrent et elle se mit à défaire les premiers boutons du pantalon devant elle. Au moins s’agissait-il de quelque chose qu’elle maîtrisait, et puis elle en avait envie ; c’était tout ce à quoi elle pensait. À chaque instant, elle s’attendait à se faire repousser. « Pas de pratiques sexuelles », avaient-ils tous dit. Pas la première fois, en tout cas. Personne ne la retint cependant dans ses gestes. Personne ne l’encouragea non plus. Elle tâcha d’oublier les visages tournés vers elle.

Le sexe qu’elle extirpa du vêtement de cuir était déjà à demi levé. Sous son regard, il se durcit un peu plus. Claire le contempla un moment, surprise d’en découvrir la taille et l’épaisseur. Plus affolante encore lui parut la manière dont son propre corps s’en réchauffa.

Lentement, très lentement, elle approcha le visage, désireuse de percevoir la sensation de cette chair à l’intérieur de sa bouche. Elle passa la langue sur les bourses durcies. Le membre se contracta, provoquant en elle une décharge plus forte d’envie. Sa main se posa sur la cuisse juste à côté, s’accrochant à la matière du pantalon. Appuyé d’une main contre le mur et le visage baissé vers elle, Mathieu ne bougea pas. Elle remonta doucement le long de la chair tendue, léchant, la caressant de ses lèvres.

Alors que sa bouche glissait sur la peau douce du gland pour l’envelopper à peine, Mathieu posa la main à l’arrière de son crâne, lui faisant marquer un temps d’arrêt. La prise sur elle était à la fois douce et ferme. Il s’agissait de la première invitation à continuer qui lui était adressée. Elle ne regarda pas le visage au-dessus d’elle. Elle ouvrit simplement la bouche, plus largement, et y fit entrer profondément le sexe de Mathieu. Quand elle leva enfin le regard, elle vit le désir dans ses yeux, la curiosité, l’envie de savoir jusqu’où elle irait ayant succédé à la provocation. Le défi était encore là. Claire fit ressortir doucement son membre, s’accordant une seconde pour respirer plus lentement. Pas un instant, elle ne regretta son geste. Elle retourna faire glisser le long de son palais l’axe de chair qui l’attirait.

Alors qu’elle commençait à pratiquer quelques va-et-vient mesurés, une main se posa soudain sur son épaule. La façon brusque dont elle se fit repousser la surprit, la chair humide sortant de sa bouche tandis que son dos se retrouvait plaqué contre le mur. Abasourdie, elle ne put que cligner des yeux.

– Ce n’est pas comme ça qu’on s’y prend.

Le ton était autant dur qu’explicatif.

– Si tu le fais, fais-le bien.

Claire essaya de reprendre ses esprits. En redressant le visage vers celui de Mathieu, elle le découvrit avec la respiration accélérée et les yeux légèrement vitreux. Les doigts qui se saisirent de son épaule la firent se raidir, la laissant interdite.

Quand Mathieu se rapprocha pour positionner de nouveau son sexe devant ses lèvres, elle comprit cependant aussitôt. Son crâne s’appuya contre le mur derrière elle. Parce qu’elle n’avait pas l’habitude d’un tel membre, elle avait évité de le prendre trop profondément dans sa bouche. Ses paupières se fermèrent. Elle ouvrit la mâchoire. Elle attendit que la verge encore luisante de salive glisse à l’intérieur d’elle. Elle en avait envie. Bien malgré elle, elle se rendit compte de l’incroyable excitation que faisait naître en elle cette situation.

L’initiation de Claire – saison 1 (1)

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Érotique, BDSM, hot.

Résumé : Mais que fait-elle ici ? À peine est-elle entrée dans le club très privé que Claire se demande ce qui lui a pris de venir dans cet endroit. Pourtant, elle se sent irrésistiblement attirée par ce mystérieux « donjon » et ses alcôves aux mille promesses indécentes. Et lorsqu’elle croise le regard de Mathieu, elle comprend. Elle comprend que c’est ici qu’elle pourra enfin se révéler. Elle comprend que c’est lui qui l’initiera au côté sombre du désir…

Roman sorti en numérique aux éditions Harlequin. Et très bientôt en papier ici !
Vous pouvez découvrir toute la première partie de ce roman ici. Profitez-en !

Première partie

D’une main, Claire attrapa le flyer qu’elle avait déposé sur le siège passager. Ses cheveux lui battaient le visage tandis que la musique diffusée par la radio s’échappait des fenêtres ouvertes de son véhicule. Elle jeta un œil au plan dessiné au dos du tract, avant de le retourner. Brièvement, elle observa la photographie représentant une grande demeure de pierre de couleur chaude, perdue au milieu de champs dorés. Il s’agissait bien de la bâtisse vers laquelle elle se dirigeait. L’établissement n’était pas visible depuis la route mais, depuis le petit chemin qu’elle était en train de remonter, on pouvait le reconnaître. Le soleil déclinant éclairait la façade d’une lumière orangée, tandis que les quelques arbres l’entourant se paraient d’un vert plus soutenu.

La terre crissa lorsqu’elle se gara sur le parking situé en contrebas. Claire s’étira, les bras appuyés au volant, tout en examinant les véhicules déjà stationnés ; au milieu du luxe environnant, sa Mini d’étudiante détonnait complètement. Tant pis, décida-t-elle en ouvrant la portière. Elle n’était pas venue ici pour faire un concours de la plus belle voiture.

Une fois dehors, elle examina la large demeure. Les hauts murs la ceinturant ne laissaient rien deviner de ce qu’ils cachaient, mais elle avait pu apercevoir, depuis la route, les différents bâtiments la composant. Plus loin se dressaient quelques collines à l’herbe séchée par le soleil et aux genêts en fleur, bercées par le chant des cigales. On aurait pu se croire dans un lieu de villégiature estival, à la porte d’un mas restauré pour accueillir les touristes en mal de tranquillité. Pourtant, malgré l’aspect chaleureux des lieux, elle ne parvenait pas à se sentir tout à fait à l’aise. Elle n’avait décidé de venir qu’au tout dernier moment et, elle le savait, il lui faudrait plus d’audace qu’elle n’en avait déjà eue pour en franchir l’entrée…

Presque sans y penser, elle défit le premier bouton de son chemisier. En cette période caniculaire, la chaleur restait forte une bonne partie de la nuit. Son attention fut soudain attirée par un jeune couple qui venait de se garer un peu plus loin et qui la regardait. Par réflexe, elle cala plus nettement son dos contre la portière derrière elle : dans leur regard, elle avait vu une lueur d’intérêt s’allumer. Elle les suivit des yeux tandis qu’ils s’éloignaient. La soirée n’était pas encore amorcée ; elle avait encore le temps de réfléchir à ce qu’elle s’apprêtait à faire.

Lorsque le couple s’engagea dans une courte allée menant à l’entrée de l’établissement, elle reporta son attention sur le parking avant de s’allumer une cigarette d’un geste plus nerveux qu’elle ne l’aurait voulu. L’odeur de la fumée se mêla à celle des herbes sèches, provoquant en elle un certain apaisement. Puis, elle jeta de nouveau un œil sur le flyer qu’elle tenait en main, relisant les informations qui y figuraient, et notamment le « tenue correcte exigée » inscrit sous la mention « établissement très select ». Bien qu’il s’agisse de son plus bel ensemble, il lui parut soudain certain que le chemisier noir et la jupe courte qu’elle avait revêtus ne suffiraient pas.

Elle inhala longuement une bouffée de tabac avant de la relâcher dans l’air, observant ses volutes se délayer dans le bleu-gris du ciel.

Aussi loin qu’elle se souvienne, elle n’avait jamais eu besoin de séduire, du moins volontairement. Attirer un regard comme celui du couple qu’elle venait de croiser n’avait donc pas de quoi la surprendre, seulement de quoi la faire hésiter, étant donné la nature du lieu dans lequel elle s’apprêtait à pénétrer. Mais au fond d’elle, elle en était consciente, elle n’hésitait pas vraiment. Non. Elle savait qu’elle ne reviendrait pas sur ses pas désormais. Même si elle aurait été bien en peine d’expliquer rationnellement ce qui l’avait tant attirée dans un tel endroit…

Les inscriptions sur le papier glacé qu’elle tenait à la main dansaient devant ses yeux : « soirées libertines », « restaurant », « piscine », « sauna », « hammam » et surtout ce mot à la tonalité inquiétante, « donjon ». Claire n’avait pas manqué le sourire du type qui le lui avait donné quand il lui avait dit que, vu ses tendances, l’endroit pourrait lui plaire. « Vu ses tendances »… Elle n’avait même pas songé à s’offusquer de ces propos. Que savait-il d’elle, après tout ? En y repensant plus tard, elle s’était cependant demandé s’il y avait eu un fond de vérité dans ces paroles.

De lui et de l’autre homme qui l’avait abordée ce soir-là, elle n’avait pas retenu les noms ; ce n’était pas ce qui l’avait marquée. Elle se souvenait surtout de leur souffle contre sa bouche, du poids de leurs corps sur le sien et de la pression de leurs doigts sur ses hanches s’intensifiant. Elle avait connu pour la première fois la sensation d’avoir un sexe dans sa bouche et un autre entre ses cuisses et, quoi qu’elle ait pu en penser ultérieurement, elle avait aimé être prise de cette façon. Elle l’avait aimé infiniment. Elle s’était sentie unique en voyant celui qui avait été au fond de sa gorge se déplacer derrière ses fesses pour la prendre à son tour. Se faire désirer ainsi l’avait excitée bien plus qu’elle ne l’aurait imaginé.

Les jours suivants, elle avait tellement tourné et retourné le tract entre ses doigts, allongée sur son lit, qu’elle en savait désormais chaque ligne par cœur. Les promesses et les mystères de ce lieu ouvert seulement aux initiés l’avaient totalement obsédée.

Le pourtour de sa cigarette émit un crépitement alors qu’elle inhalait sa dernière bouffée. Elle l’écrasa sous la pointe de son escarpin, puis elle jeta un œil au couple qui l’avait dépassée. Ils attendaient dans l’allée menant à l’entrée. Alors elle se décida.

Elle allait les rejoindre. Quelles que puissent être ses incertitudes et ses appréhensions, il n’était plus temps de reculer.

***

En approchant, Claire découvrit une lourde porte noire à laquelle un cœur en tissu molletonné était accroché. Juste à côté, une petite fenêtre de verre dépoli laissait deviner un intérieur dont les couleurs dominantes se déclinaient en des nuances de rouge et de violet. Aucun écriteau n’indiquait le nom des lieux. Lorsqu’un cliquetis parvint à ses oreilles, elle s’arrêta, le cœur battant. La porte s’entrouvrit juste assez pour qu’un homme au corps massif et à la tenue distinguée y apparaisse. Ses yeux étaient d’un bleu si pâle qu’ils en rendaient son regard troublant.

– C’est pour la soirée ? demanda-t-il poliment.

Le couple hocha la tête. Claire remarqua que l’homme se crispa et que la femme retint sa respiration.

– Je suis profondément désolé, poursuivit le portier. Une autre fois, peut-être.

Son ton était resté parfaitement cordial. Claire fut réellement étonnée par ce refus. Elle regarda le couple partir, la déception visible sur leurs visages. Alors que le regard du portier se posait soudain sur elle, elle eut un instant de gêne. Comme pour se protéger, elle porta le flyer devant ses lèvres. L’homme l’observa plus intensément.

– Entrez, je vous prie, décida-t-il enfin.

Il fallut une seconde à Claire pour intégrer le sens de la phrase et retrouver un semblant de contenance. La porte s’ouvrit devant elle, dévoilant un couloir aux pierres identiques à celles de l’extérieur, décoré çà et là de quelques photos de la campagne attenante. Après une brève expiration, elle se recomposa une attitude assurée pour avancer. Une musique d’ambiance, à la rythmique calme et sensuelle, lui parvenait en sourdine d’une pièce adjacente.

– Vous avez un vestiaire juste après la caisse, l’informa l’homme en désignant une ouverture dans le couloir.

Quand il referma la porte, Claire croisa les bras par réflexe sur sa poitrine.

– Le couple ? s’enquit-elle en voyant l’homme se diriger vers le comptoir d’entrée.

– Nous choisissons notre clientèle en fonction de la soirée.

La réponse la laissa perplexe, mais le sourire que le portier lui adressa fut tellement empli de charme qu’elle n’osa pas le laisser paraître. Que les responsables de ce club soient à ce point difficiles l’intriguait. Si les gens qui venaient d’être refusés ne méritaient pas d’être admis ici, à quoi ressemblaient ceux qui obtenaient ce privilège ?

Lorsqu’elle fut introduite dans la salle sur laquelle débouchait le couloir, le spectacle qui s’offrit à elle lui fit oublier un instant cette dernière interrogation.

Sous le ciel pâle de la nuit naissante se dressait un vaste bar à moitié couvert où le calme rustique des pierres se mêlait à un mobilier moderne au goût raffiné. Des éclairages, alternant entre des nuances de rouge, de rose et de violet, balayaient de luxueux fauteuils recouverts de cuir coloré. Plus loin, une volée de marches descendait vers une piste de danse occupée en son centre par une gigantesque piscine, d’où s’élevaient trois podiums de hauteur différente. Quelques groupes de clients à l’allure distinguée s’étaient déjà installés, accoudés au bar ou perchés sur des tabourets surélevés, parfois alanguis dans les canapés qui entouraient de larges tables. Les robes à la coupe parfaite succédaient aux tenues de marque, élégantes mais décontractées, les bas crissant sur les jambes croisées bien haut, les dentelles noires dévoilant la naissance de poitrines délicates tandis que les chemises masculines laissaient deviner des dos agréablement musclés. Si les couleurs de la salle étaient vives et sensuelles, celles des tenues se déclinaient majoritairement en des teintes de noir et de blanc, tout autant érotiques.

Claire baissa les yeux sur le document qui lui avait été donné à l’entrée. Elle s’approcha du comptoir pour l’examiner plus consciencieusement. Il s’agissait de plusieurs feuilles agrafées où était écrit en en-tête : « Charte de l’établissement sur les règles et les précautions d’usage ». Le barman, un jeune homme à la beauté androgyne et aux yeux aussi clairs que ceux de celui qui l’avait introduit, lui tendit un stylo avec un sourire.

– Pour la dernière partie, si vous le voulez, il faudra indiquer votre pseudo pour la personne là-bas.

En se tournant pour suivre son mouvement de tête, elle découvrit une femme d’une quarantaine d’années. Entièrement vêtue d’une tenue semblant sortie des ateliers des plus grands créateurs, elle buvait un verre en compagnie d’un homme du même âge à une table non éloignée. Son visage, maquillé avec savoir, mettait parfaitement en valeur sa beauté glaciale.

– La maîtresse des lieux ?

– « Les », précisa le serveur. Ce sont tous les deux les propriétaires.

Claire hocha la tête. Un temps, elle se demanda quelle vie un tel couple pouvait bien mener pour partager la gestion de ce genre d’établissement.

– C’est la première fois que vous venez ? l’interrogea le barman en lui tendant un verre.

– Oui.

Petit à petit, la salle se remplissait. La nuit entièrement tombée, les éclairages se faisaient plus présents. L’air était encore chaud. Au-dessus de sa tête, les premières étoiles faisaient leur apparition. De jeunes gens aux tenues classieuses et aux chevelures arrangées avec soin traversaient la salle avant de s’installer. Certains avaient une allure ouvertement sexuelle, portant des tenues en vinyle ou en cuir, sans qu’à aucun moment elles ne paraissent pourtant d’une quelconque vulgarité. Un groupe de trois femmes aux poitrines nues sous de simples voilages traversa l’espace en souriant avec assurance. D’autres riaient ensemble. Quelques masques vénitiens ajoutaient une touche de mystère à certaines figures.

Si Claire n’était jamais entrée dans un établissement comme celui-ci, elle ne pouvait pas dire que ce qui s’y déroulait lui était totalement inconnu. La dernière soirée à laquelle elle s’était laissé emmener et qui s’était conclue par elle, à quatre pattes en train de se faire prendre par deux inconnus tandis que d’autres se faisaient attacher ailleurs, lui en avait donné un aperçu.

D’une certaine manière, cela n’avait pas été une révélation pour elle. Plus jeune, elle avait déjà lu, avec la curiosité et les battements de cœur de ceux qui accèdent à l’interdit, certaines des œuvres de Sade et le roman Emmanuelle. L’été, elle avait aimé s’allonger, bras nus, dans l’herbe du parc de sa ville pour s’abandonner aux curieuses sensations que suscitait en elle cette littérature. Plus tard, seulement, elle s’était rendu compte que le désir qu’elle lisait, elle-même pouvait le susciter ; la manière dont certains hommes, plus mûrs, s’étaient soudainement mis à la regarder l’avait alors légèrement perturbée. C’était à ce moment de sa vie qu’elle avait commencé à avoir des petits amis. Aucun n’avait cependant duré, tant les jeunes gens de son âge lui paraissaient fades, inconsistants et sans intérêt. Une aventure singulière s’était alors produite. Un homme d’une dizaine d’années de plus qu’elle l’avait abordée, se montrant tellement charmant qu’elle avait accepté sa proposition de lui offrir un verre, le suivant naïvement chez lui jusqu’à ce qu’elle le découvre adepte d’un type de sexualité qui, s’il avait abondamment peuplé ses fantasmes, l’avait cependant effrayée. Aujourd’hui encore, elle ignorait ce qu’il se serait passé si elle n’avait prétexté une excuse idiote pour s’enfuir. Probablement rien, après tout, mais les événements récents avaient éveillé ce souvenir.

Puis, à l’aube de ses 17 ans, elle avait rencontré Thomas. Cette fois encore, une dizaine d’années les séparaient et Claire s’était tant laissé conquérir par son esprit et son humour qu’elle était tombée éperdument amoureuse de lui. Oh ! elle avait bu toutes ses paroles, acquiescé à chacun de ses avis, l’admirant comme seule une adolescente de 10 ans sa cadette l’aurait pu. Thomas était déjà plein de certitudes, mais elle y avait vu du savoir, de la maturité qui lui manquaient, et n’avait eu de cesse d’essayer de s’élever à sa hauteur. Lorsqu’elle avait appris ensuite qu’il était déjà marié, elle l’avait même accepté sans trop de difficultés. Cependant, peu à peu, tous ses espoirs de parvenir à vivre une vraie vie de couple avec lui s’étaient taris. Cent fois, elle avait songé à le quitter. Cent fois, elle en avait été incapable ou était revenue sur son choix. Puis, le temps était passé et toutes les promesses stériles de Thomas l’avaient lassée. Probablement était-elle devenue moins naïve, également ; elle avait fini par grandir. Lorsqu’elle s’était décidée à poser un regard objectif sur sa vie, elle avait constaté qu’elle avait gâché les meilleures années de sa jeunesse à attendre un homme qui ne quitterait jamais son épouse pour elle ; elle avait alors 22 ans. Un soir, elle avait ressenti le besoin de savoir si, dans le désastre de son existence, elle pourrait tout de même encore séduire et avait trouvé sa réponse dans le premier bar dans lequel elle était entrée.

Depuis, elle avait la sensation d’être incapable de revenir à la réalité. Aux rêves d’amour dans lesquels elle avait tant vécu auparavant s’était substituée une soif de vivre tout ce à côté de quoi elle avait eu le sentiment d’être passée. Elle n’avait répondu à aucun appel ou message de Thomas, elle sortait facilement tous les soirs ou, au moins, un soir sur deux, fréquentait les bars ou les boîtes de rencontres, n’approfondissait aucun contact, cherchait seulement un corps, des mains, un sexe, surtout rien qui ressemblait à des sentiments. Draguer, séduire, elle n’avait alors jamais à le faire d’elle-même. Au plus, si elle voulait un homme en particulier, il lui suffisait de s’asseoir dans son champ de vision de manière à se montrer disponible. Elle n’avait que peu à le regarder ; il viendrait. Elle interrompait toujours rapidement les tentatives de conversation pour en venir aux faits. Ils avaient des relations sexuelles là où le type le voulait, que ce soit dans un lieu public proche ou bien chez ce dernier, jamais dans son propre appartement par contre.

Son entourage pensait qu’il s’agissait d’une passade, lui assurait qu’elle était encore jeune, qu’elle avait le temps de rencontrer quelqu’un de bien ; elle n’y croyait pas. Thomas n’avait jamais rien ressenti d’autre pour elle que du désir et elle savait qu’il en était de même de tous ceux dont elle avait partagé le lit. Qu’elle puisse avoir des chances de tomber de nouveau amoureuse lui paraissait improbable. Quant à celle qu’elle avait de susciter de tels sentiments, elle préférait ne même pas y penser. Au point où elle en était parvenue, elle ne savait même plus s’il y avait quoi que ce soit d’« aimable » en elle. Ce à quoi avaient accédé un jour la plupart des autres êtres humains lui avait été refusé ; comment aurait-elle pu continuer à rêver ? Et puis, elle avait encore besoin de se chercher et, surtout, de se comprendre. La petite adolescente qui s’était éveillée au fond d’elle lui avait rappelé qu’avant son existence soumise, elle avait été une jeune fille extravertie, ouverte et pleine de curiosité. Désormais, l’envie de vivre tout ce dont elle avait le sentiment d’avoir été privée la tenaillait.

Elle feuilleta lentement le document en portant à ses lèvres le verre qui lui avait été offert. Jusque-là, rien ne l’avait choquée. La page qui suivait attira davantage son attention. Il s’agissait d’une demande annexe de session au donjon associée à un questionnaire sur ses préférences.

Longtemps, elle resta le stylo à la main.

Ces trois mots : « session au donjon », la fascinaient.

Il s’agissait de la raison pour laquelle elle avait tant retourné le flyer entre ses doigts, les jours précédents. Elle ignorait cependant si elle aurait suffisamment de cran pour se présenter à la porte d’un monde si particulier, si elle était même prête à céder à sa curiosité sur ce sujet. En définitive, elle ne savait pas vraiment ce qu’elle faisait : face à la vie si effacée qu’elle avait menée auparavant, son soudain besoin de s’émanciper lui paraissait totalement disproportionné. Probablement aurait-elle dû se contenter de déambuler dans ce lieu, avant de faire, peut-être, une rencontre ; une seule aurait été raisonnable. Ce n’était cependant pas ce qu’elle était venue chercher. Malgré la crainte qu’elle éprouvait, elle voulait découvrir le donjon ; c’était là la raison de son entrée dans ce lieu. Et ce qui ressemblait ici à une formule lui étant proposée tombait idéalement. Le questionnaire concernant ses préférences s’avérait précis et, si elle oubliait certains termes pouvant être effrayants, presque rassurant dans la mesure où il comportait suffisamment de détails pour qu’elle ait le sentiment de pouvoir gérer ce qu’elle était prête à accepter ou non.

Au bout d’un moment, elle se décida à remplir cette partie, la main hésitante avant d’apposer le premier trait d’encre sur le papier. Son pouls battait tellement fort dans ses tempes qu’elle avait du mal à se concentrer et elle repoussa consciencieusement toutes les interrogations relatives à sa santé mentale qui auraient pu lui venir. De temps en temps, ses doigts se levaient pour se poser sur son front, les questions qui lui étaient posées la renvoyant à des actes qu’elle peinait à imaginer. Elle signa enfin du pseudo qu’elle s’était choisi. Le stylo finit par rouler sur la surface brillante du comptoir, tandis qu’elle se redressait déjà, les mains plaquées sur le document. Elle prit une longue inspiration.

– Je peux visiter les lieux ? demanda-t-elle en poussant le questionnaire vers le serveur.

– Bien sûr.

Elle se tourna vers le reste de la salle. Le regard d’un homme au corps fin et aux cheveux courts glissa sur elle si directement qu’elle s’en sentit gênée. Quand ils furent proches de se croiser, elle se contenta de s’écarter. Lentement, elle descendit les marches menant à la piste de danse. La musique calme baignant la pièce accompagnait ses pas.

Tout en ce lieu la fascinait. Sa condition d’étudiante ne lui avait jamais permis d’entrer dans un établissement aussi luxueux et elle doutait avoir l’occasion de le faire une deuxième fois. Sur son passage, des visages se tournaient, certaines conversations s’estompant un instant. Parvenue devant la piscine, elle s’arrêta. Des éclairages illuminaient l’eau de l’intérieur, la rendant bleu azur. Un temps, elle se laissa captiver par cette couleur, troublée par l’érotisme sombre des lieux.

Dans cette partie de la salle, seules quelques personnes dansaient. Les autres conversaient, accoudées au bar situé au fond de la pièce, buvaient un verre assis au bord de la piscine ou encore contemplaient les femmes ondulant dans les demi-cages disposées autour de la pièce. Celles-ci étaient si belles, avec leurs masques, leurs guêpières noires et leurs bas, que Claire passa quelques instants à les admirer. Une autre femme, plus loin, observait les allées et venues. Elle aussi portait un masque vénitien. Claire commença à se demander si cet attribut était lié aux membres attachés à l’établissement.

Plus loin, un espace à découvert l’attira. Le sol, recouvert de la même terre, presque sableuse, que la route par laquelle elle était arrivée, accueillait un mobilier composé de chaises longues et de tables basses en fibres tressées qui donnait l’impression d’une plage privée. Tout au fond de la cour, on apercevait une autre piscine, plus grande, éclairée de l’intérieur par une lumière rouge vif. Quelques hêtres offraient de petits éclats de verdure rappelant la nature proche. Encore au-delà, un restaurant aux lourds tissus accrochés au plafond projetait ses lumières roses et violacées sur le sol de la terrasse ouverte, bordant les feuilles des arbres de ses couleurs artificielles.

Elle s’approcha de la piscine. Curieuse, elle s’assit sur le bord, pour y plonger la main, et fut presque surprise de la voir rester aussi pâle que d’ordinaire. Qu’avait-elle dans la tête pour imaginer une seconde qu’elle puisse rougir, elle aussi ? L’eau était chaude. Il y avait dans l’air quelque chose de profondément sensuel. Ce soir, tout était permis. Elle avait franchi une ligne derrière laquelle il n’y avait plus de limite.

Alors qu’elle redressait la tête, elle aperçut, plus loin, un groupe de trois personnes, conversant de manière décontractée, contre le mur extérieur de la cour. Sous la brise extérieure, des mèches blondes voletaient, captant les éclairages de la nuit, alors qu’un loup noir dissimulait le haut du visage qu’elles traversaient.

Lentement, elle retira sa main humide de l’eau. Quelques gouttes tombèrent depuis le bout de ses doigts.

De là où elle était, elle ne pouvait pas apercevoir ces trois jeunes gens en détail, mais elle remarqua que la manière dont l’homme au masque s’appuyait contre le mur de pierre témoignait d’une assurance bien différente de la sienne, transpirant la sensualité. Le regard de Claire glissa sur ses bras, ainsi que sur les muscles de son épaule que le T-shirt sans manches qu’il portait laissait apparaître. La vision lui parut particulièrement belle du fait de la distance et des lumières changeantes ; de l’espace qui les séparait.

Puis, la femme avec laquelle les deux hommes conversaient fit quelques pas et Claire remarqua l’escalier dissimulé dans un coin d’ombre vers lequel elle se dirigeait. Seul le faible éclairage de la nuit lui permit d’en apercevoir les premières marches, les suivantes disparaissant sous une voûte sombre. Quand la femme se retourna et glissa contre le mur comme pour inviter à la suivre, sa chevelure rousse s’accrocha aux reliefs de la paroi. L’autre homme la rejoignit en une démarche nonchalante, avant de se laisser enlacer et de l’embrasser à pleine bouche. Claire le vit caresser la cuisse féminine dont le bas fut traversé de lumières roses et rouges quand il remonta légèrement sa jupe. Tous deux gravirent ensuite les marches, avant d’adresser un regard à l’homme au masque qui leur sourit, roulant contre le mur avant de se relever d’un mouvement de bassin. La façon dont il leur emboîta alors le pas en s’éclipsant à son tour sous la voûte de pierre parut, à Claire, emplie de mystères.

Pensive, elle se releva doucement.

Reflets et forces occultes

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Hétéro, romance, érotique, fantasy.

Résumé : Quand Romar trouve enfin le miroir magique qu’il a ramené de ses études, Line est surexcitée. Quand, au lieu de créer un simple double de lui-même, il se retrouve en dix versions aux caractères tous différents, elle rigole beaucoup moins. Mais c’est bien toujours lui, non ? C’est bien ce qu’il lui a dit : ces mains, ces sexes, ces lèvres qui s’emparent de son corps, c’est toujours lui ?

Reflets et forces occultes

D’un geste paresseux, Line étendit la main depuis le lit où elle se reposait pour caresser la pierre de Loamsdaün qui trônait sur la table de nuit. En réaction, l’objet fit sortir quelques fines branches qui s’enroulèrent autour de sa main, avant de se rétracter lentement. Line roula sur le dos, amusée, et étira son corps engourdi par les endorphines du sexe, avant de jeter un œil à son compagnon.

– Alors ? Tu le trouves ?

Romar leva les yeux de la malle qu’il était en train de vider, nu de l’autre côté de la pièce, sans perdre son expression concentrée.

– Non…

Il posa par terre une série de rouleaux au papier jauni et saisit un vieux sac de jute dont il examina le contenu.

Line s’étira, rêvassant.

Le logement de Romar était à l’image de son apprentissage : surchargé, plein de livres, de manuscrits, de fioles et d’objets tous plus curieux les uns que les autres. Certains étaient animés d’une vie propre, d’autres immobiles, mais dégageant une forte tension, d’autres encore invisibles aux non-initiés, mais son amant en parlait comme s’ils faisaient partie de leur environnement, ce qui l’amusait plus souvent que la surprenait. Par ennui, Line saisit la pierre de Loamsdaün à pleines mains et hoqueta de surprise quand celle-ci étendit ses branches jusqu’à les entourer autour de son corps et même en glisser une à l’orée de son sexe, caressant les fins poils clairs qui le dissimulaient. Elle se pinça les lèvres, attendant, mais l’intrusion qu’elle appréhendait ne se produisit pas, seules quelques branches restant accrochées à ses bras, sa taille et son cou. Elle contempla l’objet qui reposait au creux de ses paumes, s’interrogeant sur la manière dont Romar et elle pourraient l’utiliser dans leurs rapports sexuels. Ils avaient déjà testé un bon nombre d’artefacts, de techniques et de potions que son compagnon rapportait régulièrement de ses études, mais pas encore celui-ci. Parfois, elle se demandait comment réagiraient ses professeurs s’ils apprenaient l’usage qu’ils en faisaient dans l’intimité… Mal, sans hésitation. Les sanctions auxquelles ils s’exposaient, en particulier, l’interrogeaient. Lorsque la pierre de Loamsdaün fit sortir une nouvelle branche dont l’extrémité se dirigea vers sa bouche, Line ouvrit ses lèvres pour l’accueillir, mais fut prise d’hilarité en la sentant entrer dans sa narine. Mauvais endroit ! Elle la reposa sur la table de nuit, tandis que ses fines branches la relâchaient progressivement.

Une exclamation de victoire émana de Romar.

– Ah !

Le corps redressé, il tenait un miroir, dont le cadre d’un bleu luisant n’était guère plus grand que les livres de la pièce, et sur lequel sinuaient des nervures, comme d’infimes serpents se mouvant les uns à la suite des autres.

– C’est celui-ci.

Line se mit à quatre pattes sur le lit, sautillant d’excitation.

– Alors ! Alors !

Romar lui adressa un regard rieur.

– Bon, on va dire que je vais y arriver, hein ?

Un large sourire étira les lèvres de Line. Celui-ci se dissipa toutefois alors que Romar commençait à réciter ses formules, parce que l’air se chargea d’une tension qui, si elle lui était habituelle, lui faisait à chaque fois prendre conscience de la puissance des forces avec lesquelles ils s’amusaient. Jeu dangereux. Les cheveux et les poils du corps de son amant se redressèrent et la brume qu’elle savait être associée à l’appel des forces occultes se leva, engloutissant peu à peu son image dans une opacité blanche. Elle ferma les paupières.

Au bout de quelques minutes, comme la voix de Romar se tut, elle rouvrit les yeux. Lentement, le nuage qui avait envahi tout l’espace commença à s’effacer.

Lorsque apparurent non pas deux silhouettes, soit celles de Romar et de son reflet, comme il le lui avait prédit, mais près d’une dizaine, elle se recula sur le matelas, paniquée.

– Euh… Romar ?

– Oui ?

Misère, ils avaient été au moins quatre à répondre en même temps ! Elle s’adossa à la tête de lit, serrant ses pieds l’un contre l’autre et ses genoux sur sa poitrine en attendant que la brume se dissipe. Dès que celle-ci permit de distinguer les visages des hommes qui se trouvaient face à elle, ceux-ci se mirent à parler :

– On ne devait pas être juste deux ?

– Non, mais tu n’as pas lu la formule comme il le faut, ce n’est pas possible !

Et trois Romar s’arrachaient le miroir, quatre autres parlaient ensemble, deux se disputaient… Et Line chercha, parmi tous ces hommes, lequel pouvait bien être son véritable amant. Elle remarqua alors des différences : s’ils étaient tous identiques sur le plan physique, des distinctions pouvaient se voir dans leurs regards, dans leurs attitudes, comme si chaque facette du caractère de son compagnon avait été séparée des autres de sorte que ses répliques en avaient chacune hérité d’un différent. Elle les observa attentivement. L’un semblait doux et apaisant, un autre distant, un autre plus rieur, un autre possessif… Elle détailla les expressions de chacun, essayant de reconnaître celle qui, de toutes, présentait suffisamment de variétés pour lui permettre de retrouver qui était son amant, mais bloqua sur l’un des hommes qu’elle remarqua adossé au mur tout au fond de la pièce, à l’écart des autres et dont le regard sombre l’inquiéta autant que l’intrigua.

– Line.

Ce fut le Romar rieur qui s’avança le premier sur le lit.

– Ça ne te va pas ?

– Euh…

C’est qu’ils étaient un petit peu nombreux, quand même, hein ? Et puis il y en avait certains, elle ne savait pas vraiment comment ils pouvaient agir ! Mais le sourire avec lequel le Romar qui la surplombait tira sur ses jambes pour la rallonger sur le matelas était celui qui la faisait le plus craquer chez lui. Troublée, elle savoura les lèvres qui capturèrent les siennes et resserra ses bras autour de son cou lorsqu’il s’allongea sur son corps.

– Eh oh, ne garde pas tout pour toi !

Le Romar rieur adressa un regard très amusé à l’autre homme qui s’assit à ce moment-là à côté d’eux, et Line retint un geste de recul en en voyant deux autres faire de même. Un Romar au regard doux glissa la main dans ses cheveux et approcha sa bouche de son oreille.

– Eh, Line, chuchota-t-il : c’est moi. Qui que ce soit autour de toi, c’est toujours moi…

– Romar ? l’interrogea-t-elle.

Mais, s’il répondit « oui » avec un sourire chaleureux, cela ne lui permit pas de distinguer s’il s’agissait de son véritable amant : n’importe lequel de ses reflets lui aurait dit la même chose. Elle examina ses gestes, cherchant à déterminer s’il agissait en tant que gaucher ou en tant que droitier, mais en fut incapable. Elle s’attarda alors sur son visage. Romar ne lui avait pas dit si son double se présenterait selon une vision opposée à la sienne, comme dans un miroir, et rien ne lui apparaissait comme différent, physiquement, de l’homme qu’elle aimait.

D’autres corps se rapprochèrent d’elle et elle frissonna quand une bouche timide se posa dans son cou, frémit quand une autre plus avide aspira la pointe de l’un de ses seins et se tendit quand une main dure et possessive s’empara de son entrejambe. En voyant un sexe s’approcher de ses lèvres, elle leva les yeux pour essayer d’apercevoir l’expression de l’homme auquel il appartenait, mais n’en eut pas le temps et songea à ce que le Romar qui avait chuchoté à son oreille lui avait dit : « c’est moi », « c’est toujours moi ». Les paupières closes, elle laissa alors cette chair chaude envahir sa bouche, glisser entre ses lèvres et s’enfoncer dans l’espace qu’elle lui offrit.

– Line…

Elle ne sut lequel de ces hommes soupira son nom, mais ne s’en soucia pas. N’était-ce pas Romar, à chaque fois ? En réalité, elle peinait à le définir, incapable de savoir si elle avait encore un rapport sexuel avec un homme qu’elle connaissait ou si seuls des inconnus l’entouraient. La séparation de leurs caractères, surtout, la perturbait. Romar ne lui avait-il pas dit qu’il ne ferait que créer un double de lui ? Ne devrait-il pas être exactement à son image ? Les mains qui se pressaient sur elle ne lui laissaient guère la possibilité de réfléchir, la verge qui s’enfonçait dans sa bouche gardait captive sa conscience et, au moment où un doigt s’introduisit dans son sexe, elle perçut une excitation si forte, à être ainsi l’objet du désir de tous ces hommes, que toute autre considération que celle de la chair apparut subsidiaire. De plaisir, alors que des mains écartaient plus largement ses cuisses et qu’un autre doigt s’insinuait en elle, elle aspira plus fort le membre à l’intérieur de sa bouche, provoquant un soupir qui se mêla aux souffles chauds qui naviguaient autour d’elle.

Puis une main agrippa ses cheveux, la faisant échapper la hampe qu’elle suçait jusque-là pour tourner la tête de l’autre côté et elle en découvrit une autre se présentant à elle. La même, ou la même forme, la même couleur, le même aspect, sinon non encore recouverte de salive, prête à réclamer son dû. Elle releva les yeux. Un Romar dominant la surplombait, son regard comme possessif, mais pas pour autant aussi sombre que l’homme qu’elle avait vu au fond de la pièce et qui, lui semblait-il, ne les avait pas encore rejoints. Elle n’eut la possibilité de le vérifier. La poigne sur ses cheveux était solide et le Romar qui la tenait poussa à ce moment sa verge dans sa bouche, ne s’arrêtant qu’une fois parvenu à sa gorge.

Elle garda les lèvres ouvertes alors qu’il faisait des va-et-vient en elle, consciente de s’offrir à des envies que son homme ne lui exprimait pas, généralement. Toutes les attentions dont elle faisait l’objet, les plus douces comme les plus rudes, l’excitaient profondément.

– Tu aimes ? demanda l’homme ayant pris possession de sa bouche.

Sa voix était chaude et exigeante, comme parfois l’était celle de son amant, mais de manière moins marquée. Sentir qu’il possédait cette part-là en lui-même la surprenait. Lui plaisait. Éveillait en elle des désirs trop obscurs pour qu’elle se soit allée précédemment à les lui exprimer.

– Que je baise ta bouche, précisa-t-il.

Elle ne put répondre, à aucun instant la verge dure ne cessant de faire des va-et-vient entre ses lèvres, mais elle perçut son excitation monter sous ses paroles. Peut-être devrait-elle le dire plus tard à Romar : l’effet que lui faisait cette part possessive, en lui.

Lorsqu’un troisième doigt s’ajouta à ceux qui allaient et venaient déjà en elle, elle se tendit et seuls les baisers tendres qui parcoururent sa cuisse lui permirent de rester calme. Elle se sentait désormais entièrement ouverte, comme si un sexe épais la pénétrait, et n’entendit que dans un brouillard de confusion l’altercation qui se déroula en bas du lit.

– Moi.

– Non moi d’abord.

– Toi, laisse la place.

Pour elle, ce fut sans importance : quel que soit le premier comblant l’espace offert entre ses cuisses, ne serait-ce pas toujours Romar ? Et tous la voudraient, de toute façon. La perspective l’attirait autant qu’elle l’effrayait. L’homme qui prenait sa bouche se fit éjecter au profit d’un autre corps qui y revendiqua aussitôt sa place. À son tour, elle l’accueillit en elle. Un autre attrapa sa main pour enrouler ses doigts autour de son propre membre, s’y mouvant de lui-même tandis qu’un autre faisait de même de l’autre côté. Toutes les sollicitations auxquelles elle était soumise l’empêchaient d’être active, mais ça n’avait pas d’importance. Elle était à Romar, comme il était à elle. Qu’il prenne son corps autant et comment il le voulait puisque tout en elle lui appartenait.

Des bouches se succédaient sur sa peau, des langues, des baisers, des morsures, des poignes solides, des doigts dans sa chair et des sexes qui, progressivement, prenaient possession de tous les espaces de son corps et qui, aussi nombreux qu’ils puissent être exploités, resteraient insuffisants pour tous les satisfaire.

D’un coup, ses reins furent soulevés et une verge entra en elle. Elle gémit, malgré celle qui entravait sa voix. Des déhanchements suivirent, puissants. Elle ferma fortement les paupières, prise dans le plaisir qui la traversa. Son bas-ventre se mit à la chauffer alors que d’infimes piques s’évadaient vers ses aines et le haut de son buste. Des mains se pressèrent sur ses hanches, ses seins, ses fesses, serrant ses hanches et pliant ses genoux pour l’offrir plus intensément à la hampe qui s’enfonçait en elle. Puis il s’opéra une rotation curieuse : une verge sortit de ses lèvres, une autre lui succéda, les chairs qui emplissaient ses mains la quittèrent dans des entrelacs de membres avant qu’elles soient remplacées, et même les coups de reins qui la comblaient devinrent différents, plus lents parfois et, à d’autres moments, plus raides.

Petit à petit, elle perdit le fil de tous les corps et sexes qui se succédèrent, qui pénétrèrent sa bouche, qui sondèrent son bas-ventre, qui prirent le relai entre ses doigts…

Enfin, elle le savait, cela arriva. Plusieurs mains la soulevèrent, la positionnèrent à quatre pattes, un corps chaud sous elle, et d’autres — plein — qui continuèrent à la caresser, à embrasser chaque recoin de sa peau, à câliner tendrement son crâne d’un côté et à baiser avidement sa bouche de l’autre, à frotter leurs sexes sur sa joue, ses seins, ses bras, ses mains… Ces chairs toutes connues, toutes embrassées tant de fois, toutes aimées, et toutes comme inhabituelles, pourtant.

Aucun ne retourna à ce moment entre ses cuisses. Elle savait parfaitement pourquoi. Son amant ne s’intéressait que rarement à cet acte, mais qu’en était-il pour une part plus particulière de lui-même ?…

La poigne dure qui appuya sur ses reins lui apporta une réponse, l’échauffant autant que lui faisant appréhender ce qui allait suivre. Elle profita de l’accalmie qui fut offerte à sa bouche pour tourner le visage et découvrir celui qu’elle attendait : l’homme au regard sombre, dur et chaud, où semblait se refléter tout ce qu’il y avait d’obscur en son amant.

– Romar ? souffla-t-elle, dans le besoin de savoir s’il s’agissait toujours de lui.

– Oui, confirma-t-il d’une voix rauque.

Oui. C’était ce qu’elle attendait.

Elle inclina les reins, frissonnante, et sentit déjà son sexe plonger dans son entrejambe trempé, en ressortir lubrifié pour… oui… pousser là où aucun, encore, de ces autres hommes ne l’avait pénétrée. Et l’ouvrir lentement sur son passage.

La longue intrusion la fit se raidir et elle apprécia les baisers qui se posèrent sur son cou, les caresses sur sa chevelure et les regards aimants qu’elle discerna autour d’elle.

– Line…

Un murmure commun, issu de plusieurs voix, prononcé par elle ne savait exactement lesquels d’entre eux.

Les mains dures de l’homme qui l’avait pénétrée passèrent sur ses hanches, ses reins, son flanc, sa nuque, avant d’agripper finalement ses cheveux. D’un coup, il me mit à faire des va-et-vient, longs et puissants, qui la firent haleter. Les autres ne la délaissèrent pas pour autant. Les uns après les autres, ils reprirent possession de sa bouche, de ses mains, d’elle dans son entièreté… Puis l’homme qui était allongé sous elle chercha à retourner dans son vagin et elle se crispa en réaction. C’était trop à la fois, elle ne pourrait le soutenir, mais aucun d’eux n’eut pitié d’elle et, d’abord l’un dans l’humidité de son entrejambe, puis l’autre dans son orifice le plus intime, ils s’emparèrent des espaces qu’elle leur donnait, ne s’y trouvant jamais en même temps, alternant leurs passages, jusqu’à ce que peu à peu, son corps s’étire tellement et qu’elle soit tellement leur, et qu’elle soit tellement prête, que, d’un geste en parfait accord, ils y entrèrent enfin tous deux. Alors, elle se sentit offerte à son amant de toute son âme, de tout son corps, de toute sa peau, et du moindre de ses orifices.

De puissants déhanchements suivirent, l’ensorcelant et la comblant aussi profondément qu’elle se sentait aimée, choyée, et que le plaisir grondait dans son ventre, et que des lames de feu parcouraient tout son corps.

Elle finit en criant, geignant, gémissant, la jouissance la mettant plus encore à nu qu’elle ne l’était déjà, alors que les corps qui l’entouraient continuaient à prendre ce qu’ils voulaient en elle. Ne la laissant pas se reposer, réclamant encore, encore.

Encore.

***

– Line ?

Elle parvenait à peine à reprendre ses esprits lorsque Romar, le seul et celui en qui se concentraient toutes les facettes qu’elle aimait, se pencha sur elle. Une brume fine planait encore dans la pièce. Le miroir était abandonné, plus loin. Elle le fixant, elle constata qu’il était brisé en plusieurs morceaux, peut-être une dizaine, comme les hommes qui l’avaient entourée…

– Ça va ? Ça n’a pas marché, c’est ça ? Qu’est-ce qui t’arrive ?

Elle le regarda avec incrédulité.

– Ne me dis pas que tu ne te souviens pas.

– Euh… Si : j’ai récité la formule, les forces se sont réveillées, mais…

Il s’arrêta. Une expression de stupeur venait de s’afficher sur son visage. Line vit distinctement son regard passer sur son corps, détaillant les substances corporelles qui le parsemaient.

– Line ?

Elle eut un rire idiot et rassembla le peu de forces qui lui restaient — pas grand-chose, vraiment pas grand-chose — pour essayer de se redresser, mais en fut incapable et retomba sur le lit.

– Mais, enfin, c’est toi. Juste… plein de toi. Vraiment, tu ne te rappelles de rien ?

Ce que disait Romar confirmait ce dont elle avait eu le sentiment auparavant : qu’aucun, parmi les hommes qui l’avaient entourée, n’avait été réellement son amant ; seules des fractions de lui. Seul l’ensemble de ces êtres avait constitué son véritable lui.

– Non, confirma-t-il. Mais alors, si j’ai été exclu de ce qui s’est passé, j’ai…

Il la fixa avec interrogation.

– J’ai été scindé ?

Elle hocha lentement la tête. Au moins, lui semblait avoir une idée de ce qu’il s’était passé. Romar s’assit à côté d’elle sur le lit, pensif.

– Bon, ce n’est pas grave. Ça veut juste dire que les souvenirs vont tous me revenir maintenant, avec les sensations associées et… oh ! s’exclama-t-il avec surprise.

Il tomba sur le dos, ses yeux écarquillés témoignant des premières images et des premiers retours de plaisir qui devaient parcourir son corps.

Elle le vit trembler.

Puis « oh ! » gémit-il alors qu’il se tendait brusquement. Et « oh ! », cria-t-il plus fort. « Oh ! », « Ha !!! ».

En le voyant jouir de tous ses orgasmes à la fois, Line ne put s’empêcher de pouffer et pressa son visage contre son cou dans un sourire, savourant son contact, unique, contre sa peau.

Ulcère et belles dentelles

Autrice : Magena Suret.

Genres : Duo M/M, tranche de vie, soft.

Résumé : La première fois qu’il avait envisagé qu’Alex ait un intérêt autre que professionnel concernant la lingerie féminine, Lionel avait balayé l’idée d’un sourire amusé.

Ulcère et belles dentelles

La première fois qu’il avait envisagé qu’Alex ait un intérêt autre que professionnel concernant la lingerie féminine, Lionel avait balayé l’idée d’un sourire amusé. Certes son conjoint passait davantage de temps sur les compositions de ces pages de catalogues que sur d’autres, mais peut-être était-ce que le sujet l’inspirait moins. En tant qu’infographiste indépendant, Alex était contacté pour différents travaux, de la création d’un site intranet à la conception de catalogues, et il disait souvent que le plus compliqué était de respecter le cahier des charges tout en obtenant un résultat alléchant pour le consommateur. Lionel en avait donc conclu qu’en homme gay, Alex prêtait deux fois plus d’attention à ce genre de réalisation parce qu’il était bien plus en proie au doute sur un domaine qu’il ne connaissait qu’en théorie.

La seconde fois que Lionel avait eu un doute, ils regardaient une émission de reportages au thème évocateur, les dessous de la mode. Son concubin avait été agité durant un passage sur un défilé de lingerie ; Lionel avait cru à une simple impatience avant de le voir se lever brusquement puis annoncer qu’il allait se coucher. Encore aujourd’hui, il ne pourrait pas en jurer, mais il était convaincu d’avoir deviné une érection sous son pyjama. Dix ans plus tôt, il aurait sûrement poursuivi Alex jusque dans la chambre pour en avoir le cœur net et en profiter, mais l’expérience lui avait appris la réserve et il n’était pas certain de vouloir une réponse à ses questions. Aussi était-il resté sur leur canapé à tenter de trouver une explication logique à cette réaction.

La troisième fois n’avait plus laissé la place aux peut-être, mais plutôt à savoir qui était concerné par ce fantasme. Était-ce Alex qui souhaitait se travestir ou voulait-il voir Lionel dans ces tenues ? Ce dernier procédait au classement annuel de leurs photos sur un disque dur quand il avait ouvert un fichier nommé « Divers Alex », sans se douter qu’il tomberait sur une série de clichés d’hommes en lingerie féminine. Inquiet de la réaction d’Alex – et s’il pensait que l’incident était volontaire ? –, Lionel n’avait pas osé aborder le sujet.

Alors, il avait entrepris de réaliser ce fantasme. Lionel n’avait pas pu avoir de lingerie adaptée aux hommes : leur ville n’avait pas de boutique proposant ce genre d’articles et les commander en ligne était hors de question. Puisque Alex travaillait de la maison, il aurait sans doute été celui qui réceptionnerait le colis ; et si Lionel savait que son compagnon n’aurait jamais ouvert le paquet, il n’était pas sûr, quant à lui, d’avoir pu garder le secret. Il avait donc mis au placard ses hésitations pour trouver son bonheur dans un magasin de prêt-à-porter.

D’abord, il avait pris soin de s’y rendre pendant sa pause-déjeuner en sachant que le personnel était moins nombreux à ce moment-là, afin d’éviter de devoir présenter ses articles à une vendeuse à l’entrée des cabines d’essayage. Trouver quelque chose de sexy qui lui allait avait été le véritable défi. A trente-huit ans, il se trouvait encore en forme – si l’on exceptait les petites poignées d’amour qui empâtait sa taille depuis deux années et dont il ne parvenait pas à se délester. Pourtant Lionel avait dû se résoudre à faire sa sélection parmi les plus grandes tailles. Après un premier essayage, il avait d’emblée éliminé les guêpières : même si c’était un élément récurrent sur les photos qu’il avait fait défiler, elles n’étaient vraiment pas adaptées aux hommes et à leur absence de poitrine.

Lionel avait fini par se décider pour un ensemble de nuit en satin, composé d’un caraco et d’une simple culotte qu’il avait pris une taille au-dessus, en espérant être assez à l’aise. Dans un premier temps, il avait opté pour une tenue blanche, mais en avait finalement acheté une rose. Quitte à le faire, il voulait être le plus affriolant possible et, les pommettes en feu, il avait complété le tout d’un porte-jarretelles en dentelle rouge et de bas noirs. L’ensemble rose lui paraissait donc plus approprié – s’il osait mettre un jour son plan en action.

Un mois plus tard, Lionel s’était lancé.

Et voilà comment il en était arrivé là. Planqué dans les toilettes d’un restaurant à tenter de retrouver un peu de contenance, hésitant à ôter ces sous-vêtements et à les abandonner ici-même. L’estomac noué par la nervosité depuis le début du repas, il n’avait pas eu à forcer le trait pour s’excuser quelques minutes parce qu’il ne se sentait pas bien. Si le stress au travail ne lui déclenchait pas l’ulcère promis par son médecin, cette soirée pourrait y remédier. De plus, le serveur n’allait plus tarder à amener leurs desserts et, si Alex n’avait pas encore perçu son attitude étrange, Lionel serait démasqué car il serait incapable d’avaler une bouchée de la forêt noire qu’il aimait tant. Il avait été stupide de penser pouvoir passer une soirée à l’extérieur ainsi sans en être embarrassé. Tout le chemin, tandis qu’Alex conduisait, il avait serré les dents, priant pour qu’ils n’aient pas d’accident ; il n’aurait certainement pas survécu à l’humiliation si les secours avaient découvert ce qu’il portait sous son jean et sa chemise.

Une fois de plus, Lionel se fustigea d’avoir agi sur une impulsion. En sortant de la douche pour se préparer, il avait juste repensé au paquet soigneusement caché dans son armoire, derrière un tas de linge qu’ils n’utilisaient plus que pour de rares occasions. Dans son élan, il avait abandonné son boxer et ses chaussettes pour enfiler ces sous-vêtements plus sexy. Ensuite, il avait passé un long moment devant le miroir, à apprécier la différence de texture sous son jean, le frottement moins rugueux contre ses cuisses, l’élastique de la culotte qui mordait ses aines – il était moins à l’aise qu’il ne l’avait espéré. En s’observant une fois habillé, Lionel s’était demandé si quelqu’un pourrait deviner ce que camouflaient ses vêtements. La pensée avait failli le pousser à remiser la lingerie dans sa cachette, mais Alex l’avait appelé d’un ton pressant : ils allaient perdre leur réservation au restaurant s’ils ne partaient pas dans l’instant.

La porte des sanitaires grinça et un « Lionel ? » inquiet résonna. Il se tassa dans la cabine individuelle, tentant de rassembler son courage pour affronter Alex. Lionel regrettait plus que jamais de ne pas avoir gardé cette expérience pour chez eux, à l’abri dans leur intimité. Au moins, si son compagnon devait être furieux que Lionel ait fouiné dans ses affaires, il aurait pu le laisser claquer la porte et aller bouder. En tout cas, il n’aurait pas été mortifié à l’idée de devoir se justifier en public. Et, dans l’éventualité où Alex le trouverait ridicule, Lionel aurait pu ravaler sa fierté pour le laisser rire, quitte à ce que cela devienne un sujet de taquinerie quand il serait moins sensible. Mais non, il avait fallu que Lionel choisisse de se travestir ce soir. Quand il posa la main sur le verrou pour quitter son refuge et rassurer son conjoint, il savait qu’il allait tout lui avouer.

Lorsqu’il ouvrit la porte, Lionel se retrouva nez-à-nez avec son compagnon et, avant même de le laisser lui poser la moindre question, il souleva sa chemise et entrouvrit son jean, faisant apparaître un aperçu de satin rose et de dentelle rouge. Sous les yeux stupéfaits d’Alex, il se rhabilla en hâte et profita de son choc ébahi pour justifier son comportement. Son discours sortit sans vraiment avoir de sens. Lionel parla des photos, expliqua qu’il n’avait pas cherché à être indiscret, qu’ils pouvaient se parler de tout, qu’il ne jugerait pas les fantasmes d’Alex, quand bien même il ne pourrait pas l’aider à tous les assouvir, qu’il avait pensé lui faire plaisir, mais qu’il était effrayé de sa réaction… Il aurait pu poursuivre encore longtemps s’il n’avait pas relevé la tête et découvert le regard dur d’Alex. Soudain, le silence était préférable, aucun argument ne semblait plus pouvoir faire le poids ; le visage fermé, Alex avait l’air furieux. Seulement Lionel ignorait où résidait le problème et comment désamorcer la situation. Si au moins, il avait réussi à rester calme et exposer les faits un par un, il aurait su à quel moment son compagnon avait craqué.

Alex dut le prendre en pitié puisqu’il ferma les yeux et soupira avant de lui demander de revenir à table ; ils régleraient ça de retour chez eux. Le silence sur la fin du repas fut pesant et, même si Lionel gardait la tête baissée honteusement, il sentait sur lui le regard perçant de son conjoint. Quand ce dernier régla l’addition, l’attente parut interminable. Et lorsque Lionel prit son courage à deux mains et tenta d’en glisser une dans celle d’Alex, celui-ci s’écarta brusquement, comme brûlé par le contact. Penaud, Lionel essaya de se remémorer une fois où il avait vexé à ce point Alex – en quinze ans, il avait bien eu le temps de faire pire –, mais n’en trouva pas. Par conséquent, il n’avait pas la moindre idée par où commencer pour se faire pardonner. Ne rien dire et attendre la suite lui semblait une bonne défense dans l’immédiat.

Arrivés chez eux, Lionel attendit que la porte soit verrouillée, se préparant à la dispute monumentale à venir. Cependant, Alex resta face à la porte, comme s’il refusait même sa présence. Face à ce mur, Lionel s’avoua vaincu ; leur conversation était remise à plus tard. Un peu lâchement, et même si cela signifiait une mauvaise nuit à passer, il devait reconnaître qu’il était soulagé. Peut-être que demain matin, ils pourraient en rire. Alors qu’il se tournait pour monter les escaliers, Alex lui attrapa le poignet et, ignorant ses protestations, fit sauter les boutons de sa chemise pour en écarter les pans. Ses joues s’enflammèrent quand le regard de son compagnon se posa sur le tissu du caraco tendu sur ses pectoraux et la dentelle du porte-jarretelles – qu’il avait placé un peu haut sur sa taille pour camoufler ses poignées d’amour. Puis il sentit des mains tremblantes tracer le contour du décolleté puis des bretelles et ce ne fut plus la gêne qui lui donna chaud.

Soudain, Lionel réalisa que la froideur d’Alex n’était pas de la colère mais de la retenue. Qu’ils n’arriveraient pas au lit et que sa lingerie si péniblement acquise avait peu de chances de survivre à la soirée. Tout cela lui était égal. Il se sentait bien plus léger et plutôt fier de pouvoir encore obtenir une telle réaction. Alex entreprit de lui ôter son jean, tout en bredouillant comme lui un peu plus tôt au restaurant. Des propos sur une surprise agréable, qu’il n’en avait pas cru ses yeux, que Lionel l’avait échappé belle dans les toilettes, qu’il était magnifique en rose… Lionel savait qu’il regretterait de ne pas s’en souvenir, mais il ne parvenait pas à prêter attention aux mots : il pouvait lire le désir dans les yeux de son compagnon et cela suffisait à nourrir sa propre excitation. Il se pencha sur l’homme à genoux devant lui et l’embrassa sans retenue. Alex remonta les mains le long de ses bas, provoquant des sensations nouvelles, puis l’attira au sol avec lui, lui répétant combien il était désolé mais qu’il allait certainement déchirer cette culotte en la lui arrachant. Lionel répondit dans un sourire de ne pas s’en faire, qu’ils rachèteraient de la lingerie ensemble.

Pour la prochaine fois.

Un fiancé presque parfait

Autrice : Magena Suret.

Genres : Érotique, M/F, hot.

Résumé : « Tu m’évites. »
[…]
« Oui, admet-il. Constant t’a demandé en mariage et tu as accepté.
— Et alors ?
— Et alors, je me suis dit que tu avais peut-être besoin d’entraînement avant de lui jurer fidélité. »

Un fiancé presque parfait

Comme chaque matin, devant le miroir de la salle de bains, il apporte la touche finale à sa tenue. Il enroule la cravate autour de son cou et sa respiration se fait tout de suite plus rapide. Les extrémités satinées sont nouées de ses mains légèrement tremblantes. Le nœud glisse vers sa gorge et sa bouche s’assèche. La cravate serrée et ajustée, il la lisse de sa paume et se fait violence pour arrêter son geste à l’endroit où attacher la pince. Il a envie de poursuivre plus bas, comme à son habitude, et de s’occuper de son érection.

Les bruits d’agitation qui proviennent du salon l’en dissuadent. Il a un peu trop traîné au lit et s’est fait griller la priorité dans la salle de bains par ses colocs. Bientôt Constant quittera l’appartement pour aller travailler et laissera Fred seul avec Nadia alors qu’il a réussi à éviter le face-à-face depuis près de trois semaines. Le fil de ses pensées le fait sourire : jusqu’au mois dernier, il aurait pris son temps en espérant qu’elle le rejoigne et le trouve ainsi, la main rapide sur sa queue, essoufflé, déjà rouge d’avoir une cravate trop serrée à son cou. Nadia l’a initié à l’asphyxie érotique, et l’a rendu accro. Pourtant, il ne devrait plus y jouer avec elle, même si l’acte est moins savoureux en solitaire.

La porte d’entrée claque. Fred sait qu’il devrait quitter la pièce, simuler qu’il est en retard, se dépêcher de ramasser ses affaires pour quitter l’appartement. Néanmoins, il préfèrerait éviter de parader au milieu de leur salon avec la bosse évidente qui déforme son pantalon. Il se presse un peu plus contre le rebord du lavabo dans l’espoir de calmer son excitation. Ces quelques instants d’hésitation sont suffisants pour ruiner ses résolutions. La porte de la salle de bains coulisse dans son dos et, dans le miroir, Fred voit Nadia s’appuyer contre le chambranle et le détailler de la tête au pied. Il ne se prive pas d’en faire autant – prend note de sa nuisette qui joue sur la transparence, si courte qu’il devine la naissance de son sexe et l’absence même d’une culotte.

Il mentirait s’il prétendait que la situation ne le fait pas frissonner de désir.

« Tu m’évites. »

L’accusation met quelques secondes à prendre son sens tant Fred est perdu dans sa contemplation. Il se retourne pour lui faire face et prend appui sur le lavabo. La position rend son érection encore plus évidente et il s’amuse du bref moment où le regard de Nadia s’y égare. Elle frotte doucement ses cuisses l’une contre l’autre.

« Oui, admet-il. Constant t’a demandé en mariage et tu as accepté.

— Et alors ?

— Et alors, je me suis dit que tu avais peut-être besoin d’entraînement avant de lui jurer fidélité. »

Nadia a un rire léger, comme s’il venait de faire un lapsus à la fois adorable et embarrassant. Elle fait un pas en avant et refait coulisser le panneau pour les enfermer dans la pièce. Fred s’imagine qu’il devrait se sentir menacé, mais le regard gourmand qu’arbore Nadia éveille bien d’autres souvenirs et sensations en lui. Elle s’approche et Fred la laisse s’arrêter à un souffle de son visage. Il ne ressent pas la pression de son corps contre le sien, mais il ne s’en faut que d’un petit pas. Il est certain que le tissu de son pantalon frôle la peau de Nadia et qu’elle ne cherche qu’à tester sa détermination.

Du bout des doigts, elle joue avec sa cravate, la caressant doucement tout en remontant vers sa gorge. Fred déglutit de façon audible lorsqu’elle en ajuste le nœud, la resserrant encore un peu sous sa pomme d’Adam. La pression n’est pas désagréable – loin de là si l’on devait se fier à son érection – mais il ne peut plus l’ignorer.

« Tu as des problèmes avec ta conscience ? Parce que moi pas. Constant est sans aucun doute l’homme idéal pour me marier. Il est romantique, je suis folle amoureuse de lui et mes parents l’adorent.

— Tes parents m’adorent aussi.

— On pourrait presque croire que tu es jaloux », s’amuse Nadia.

Fred se contente d’un bref geste négatif de la tête. Nadia et lui sont amis depuis trop longtemps pour confondre leur alchimie sexuelle avec de l’amour. Et il pourrait renchérir sur la perfection de Constant. Il se redresse, achevant de coller son corps à celui de Nadia et passe un bras autour de sa taille. Alors qu’il fait glisser sa main sous ses fesses, elle se cambre pour lui faciliter l’accès. Du bout des doigts, il atteint son vagin et le caresse un court instant avant d’enfoncer les premières phalanges de son index et de son majeur. La position n’est certainement pas confortable pour Nadia, mais elle pousse un grognement satisfait.

« Tu es encore trempée, remarque Fred. Tu viens de t’envoyer en l’air avec lui, ça ne t’a pas suffi ? »

Alors qu’il cherche à repérer la serviette la plus proche pour s’essuyer la main, Nadia se dépêche de saisir son poignet pour l’en empêcher. Puis, en un geste agressif, elle porte ses doigts à la bouche et les suce brièvement.

« Il m’a fait l’amour, oui. Mais, même si j’apprécie son côté romantique, j’ai besoin de me faire baiser. »

Fred finit de se redresser et, de sa main libre, saisit Nadia à la taille avant de la faire pivoter pour inverser leurs positions. Il aperçoit une légère grimace de douleur sur son visage lorsqu’il la plaque contre le lavabo, mais elle se remet vite de sa surprise et passe la langue sur ses lèvres tout en poussant un soupir ravi.

« Tu pourrais simplement lui proposer. »

Malgré sa suggestion, il glisse déjà sa main droite entre les cuisses de Nadia jusqu’à son genou, puis la soulève pour l’asseoir sur le meuble. Il la sent se contracter à cause du froid de la surface contre sa peau brûlante ; elle se détend néanmoins rapidement, écartant les jambes pour permettre à Fred de se caler entre. Sans ménagement, il plonge trois doigts en elle et accompagne le va-et-vient sec de sa main de coups de rein prometteurs. Nadia lui caresse la nuque et Fred est certain que, si elle le pouvait, elle ronronnerait de contentement. Toutefois, elle n’est pas encore ivre de plaisir, pas encore réduite à de simples gémissements, et se décide à lui répondre :

« Parce qu’un mec adepte du missionnaire, qui trouve que notre vie sexuelle est pimentée quand je le suce deux fois la même semaine ou qui ne doit même pas savoir que l’anus est une zone érogène va très bien accepter mes requêtes ? »

Vexé qu’elle soit encore si loquace, Fred place sa main gauche au creux des reins de Nadia et l’attire vers lui. Elle se retrouve les fesses presque dans le vide et le dos courbé, avec sa tête appuyée contre le miroir. Il sort les doigts de son autre main de sa chatte et les fait glisser le long de son périnée. Il profite du liquide vaginal qui enduit ses phalanges pour forcer son majeur dans l’anus de Nadia. Dans le reflet du miroir, il voit ses orteils qui se contractent tandis qu’elle gémit de plaisir :

« Putain, ce que ça me manque…

— Dis-le-lui.

— Quoi donc ? Que je veux qu’il me force à me mettre à quatre pattes comme une chienne et qu’il m’encule, qu’il me traite de salope ? Ou que j’adorerais l’attacher et qu’il me laisse l’étrangler quand il jouit ? »

Fred acquiesce sans vraiment y réfléchir. Nadia lui a déjà dit tout ça, et bien plus. Ils ont déjà fait tout ça, et bien plus. Il sait de première main que Constant n’est pas si innocent qu’elle le croit et qu’il pourrait la combler s’ils osaient simplement se parler et tomber les masques. En attendant, il ne va pas se priver de cette opportunité.

« Tu gardes des préservatifs par ici ? »

Il a lâché Nadia pour tenter de déboutonner son pantalon, mais il n’est pas gaucher et il se sent maladroit. La pause un peu trop longue sans réponse lui fait relever les yeux vers Nadia qui le regarde d’un air surpris.

« Tu as couché avec quelqu’un depuis la dernière fois ?

— Un mec, avoue-t-il en s’efforçant de rester vague. On s’est protégés, mais toi et Constant… »

Il s’arrête, surpris à son tour, en réalisant que, malgré son inspection profonde, il n’a pas trouvé la moindre trace de sperme en Nadia.

« Ne me dis pas que vous attendez le mariage pour virer les capotes ? »

Nadia lève les yeux au ciel et le relance :

« Tu veux continuer à jouer les conseillers matrimoniaux ou tu comptes me baiser comme j’en ai envie ? »

Fred sait reconnaître un ton de défi et a bien l’intention de le relever. Il se contente d’ouvrir sa braguette, d’abaisser l’élastique de son boxer et de libérer son sexe. Il s’en saisit d’une main et marque une courte pause, le regard baissé entre leurs corps, alors que son gland repose à l’entrée du vagin de Nadia. Son côté sadique a envie de la torturer un peu, de glisser entre les lèvres, de chatouiller son clitoris et de la faire supplier. Mais il a déjà assez résisté et l’idée de la baiser sans plus tarder l’emporte. D’un mouvement de hanches, il s’enfonce en elle jusqu’à la garde et lui impose aussitôt un rythme rapide.

Pendant deux ou trois minutes, il n’entend que les claquements de leurs corps, les hoquets de plaisir de Nadia et le bruit d’un flacon qui roule au sol. Nadia a les yeux fermés, savourant chaque instant. Elle ressentira les effets de cette baise pendant plusieurs jours : sa tête cogne contre le miroir, le bas de son dos doit frotter le bord du lavabo à chaque mouvement et Fred sent les parois de sa chatte se détendre sous la violence de ses coups de reins.

Alors qu’il va bientôt jouir, ses fesses se contractent et il perd peu à peu le rythme qu’il imposait. Il voit Nadia ouvrir les yeux et le jauger. Elle soulève le haut de son corps et accroche d’une main l’épaule de Fred. Il est obligé d’ajuster leur position, pliant les genoux pour permettre à Nadia de s’asseoir davantage.

Dès qu’il la sent prête, il reprend ses va-et-vient, le besoin de jouir devenant pressant. À peine quelques secondes plus tard, il sent les mains de Nadia caresser sa cravate. Elle s’arrête au niveau de la pince. Fred baisse la tête juste à temps pour la voir la détacher et la jeter au sol. Il s’était habitué à la pression contre sa gorge et se crispe lorsqu’elle se fait plus forte. Nadia fait tourner la cravate pour qu’elle pende dans son dos, entre ses omoplates. Le frottement lui laisse l’impression qu’on lui brûle le cou. Le coude de Nadia se soulève à trois reprises et le tissu comprime de plus en plus sa trachée. Pour l’avoir vu faire de nombreuses fois, Fred sait que Nadia vient d’enrouler la cravate autour de son poing et qu’elle va s’en servir pour l’étrangler. Il espère que Nadia est assez baisée à son goût parce que son propre orgasme est imminent.

Le souffle de plus en plus court à chaque mouvement, Fred chasse son plaisir. Et Nadia est redevenue volubile :

« En fait, tu ne t’inquiètes pas pour mon couple, le nargue-t-elle. Tu aimes quand on s’envoie en l’air mais, si Constant était partant, je suis sûre que tu t’imagines bien entre nous deux. »

L’air se fait rare, précieux, et Fred sent ses jambes flageoler, ses yeux rouler sous ses paupières, mais a encore assez de présence d’esprit pour acquiescer. Constant lui a aussi fait ce genre de remarques et il visualise, en effet, parfaitement la scène : debout, comme à cet instant, avec Constant, les doigts enroulés autour de son cou, qui impose la cadence à laquelle Fred pourrait baiser Nadia. Ou attaché à leur lit avec Nadia et Constant se servant de sa bouche à tour de rôle…

Nadia relâche la tension de la cravate un bref instant, permettant à Fred d’avaler une goulée d’air. Il en profite pour augmenter la rapidité de ses allées et venues. Sous lui, Nadia se tend dans un long gémissement, enfin rassasiée par un orgasme. Le mouvement la fait s’agripper à la cravate et Fred halète sous l’intensité de la pression contre sa gorge. À son tour, il jouit, enfonçant les ongles dans la peau des fesses de Nadia, puis se laisse retomber contre elle.

Ils restent ainsi quelques instants, à reprendre leur souffle. Quand Fred relève la tête, il aperçoit son reflet dans le miroir, le visage rouge et les yeux brillants de larmes. Nadia détend ses doigts restés trop contractés sur la cravate, les serrant en poing avant de les desserrer à plusieurs reprises. Puis il se détache d’elle, lui permettant de descendre de son assise peu confortable.

Fred laisse son pantalon lui tomber sur les chevilles et s’en extirpe du mieux possible. Il se débarrasse de sa cravate et s’attaque alors à sa chemise tout en allant dans le salon pour trouver son téléphone. Tandis qu’il fait défiler ses contacts, Nadia le rejoint. Sa nuisette lui colle à la peau, elle a un sein qui s’en est échappé et il est presque certain que la trace humide qu’il devine sur le haut de sa cuisse est son sperme qui s’écoule déjà. Ou peut-être que Nadia a plongé ses doigts en elle avant de s’essuyer négligemment ici. Fred la renverserait bien sur le canapé pour plonger la tête entre ses cuisses et la nettoyer de sa langue. Mais la tonalité du téléphone l’aide à se concentrer sur ses priorités.

« Tu appelles qui ?

— Mon boulot. Pour prévenir que je ne viendrais pas aujourd’hui.

— On va baiser toute la journée ? »

Son ton émerveillé et ses yeux écarquillés le font sourire. Même si la perspective est tentante, il décide d’être plus raisonnable. Il passe son appel sans répondre à Nadia ou la quitter des yeux. Quand il en a terminé, il s’avance vers elle et la sent pratiquement vibrer d’excitation. Il lui tend son téléphone :

« Je vais prendre une douche. Profites-en pour appeler Constant. Dis-lui de rentrer après son cours et de ne pas déjeuner au lycée, les autres profs peuvent se passer de lui.

— Tu vas vraiment insister pour que je lui dise tout ? s’indigne Nadia. Très bien. Mais ce sera ta faute si ça brise mon couple. »

Fred lève les yeux au ciel, mais se retient de pointer en quoi elle serait aussi fautive. Ça n’en vaut pas la peine. Et si la conversation entre Nadia et Constant se déroule comme il l’imagine, ce ne sera qu’à son propre avantage. Ces deux-là se sont bien trouvés. Ils n’ont qu’à descendre l’autre de son piédestal… Fred s’arrête sur le pas de la salle de bains et se tourne pour faire face à Nadia, l’air satisfait par anticipation :

« Laisse-lui une chance puisque c’est le mec parfait, selon toi. Commence déjà par le sexe anal. La semaine dernière, en tout cas, ça n’avait pas l’air de le déranger de me bouffer le cul ou d’y plonger sa queue. »

Le Boudoir 4.0

Autrice : Magena Suret.

Genres : Érotique, M/M, SF, hot.

Résumé : Bien que réticent, Matthieu a cédé aux demandes de son amant. Puisque les mois de séparation leur pèsent, ils décident d’avoir recours aux services de la société « Le Boudoir 4.0 ».
Matthieu est donc sur le point de vivre sa première expérience sexuelle technologiquement assistée.

Le boudoir 2.0

Arrivé devant le bâtiment, Matthieu hésite à en franchir la porte. C’est ridicule puisqu’il sait qu’il ne fera pas demi-tour : son rendez-vous est payé d’avance et Nordine doit déjà l’attendre. Ça n’empêche pas que l’idée le rebute. Certes, les six mois sans voir son amant commencent à lui peser aussi, surtout en sachant qu’il ne rentrera pas chez eux avant dix autres longues semaines, mais de là à recourir aux services de cette société ? Il n’en est pas sûr.

Le Boudoir 4.0 est un exemple parfait d’entreprise qui a détourné une innovation technologique à but thérapeutique pour son profit – ou celui de ses actionnaires.  Alors qu’il s’était promis de ne jamais y recourir, même quand la perte de son pucelage tardait, Nordine a su le convaincre. Certains arguments sont plus objectifs que d’autres, comme le fait qu’ils ont épuisé leur crédit-carbone pour voyager ou que racheter des autorisations est beaucoup trop coûteux pour leur budget. Bien plus qu’une séance dans la Mecque du sexe virtuel. Matthieu est donc sur le point de vivre sa première expérience sexuelle technologiquement assistée. Il a envie de rire de sa nervosité, de la tourner en dérision pour dédramatiser, mais son appréhension est juste renforcée par les nombreux témoignages catastrophiques qu’il a lus durant la nuit sur les forums.

La crainte de faire attendre Nordine le pousse à avancer et les portes automatiques s’ouvrent devant lui. Le hall de l’entreprise est vaste, circulaire et dépourvu de toute décoration hormis les écrans dont sont ornés les murs et qui diffusent différentes publicités. Matthieu préfère de loin l’ambiance animée que permettent les bureaux, à l’abri du jugement des clients ; il sait que passer ses journées en solitaire serait un brin angoissant pour lui et il a une pensée compatissante pour la réceptionniste qui l’accueille avec le sourire :

« Bonjour, que puis-je pour vous ?

— J’ai un rendez-vous au nom de Bodet », explique-t-il d’une voix qu’il espère assurée.

La jeune femme fait glisser ses doigts sur l’écran devant elle et Matthieu l’observe avec l’espoir un peu idiot qu’elle ne trouve pas sa réservation. Cependant, elle accède à un nouveau fichier et elle lui pose quelques questions visiblement de routine. Matthieu y répond de façon distraite. La réceptionniste lui tend ensuite une carte magnétique dont il se saisit, puis elle lui désigne une porte sur sa gauche :

« Ma collègue vous attend de l’autre côté pour vous installer. Le badge vous servira à confirmer l’activation du programme. Je vous souhaite une agréable séance. »

Sentant le rouge lui monter aux joues face à l’insinuation, Matthieu la remercie et s’éclipse dans la direction indiquée. Encore une fois, la porte s’ouvre dès qu’il s’en approche et il traverse en quelques enjambées un étroit couloir. Au bout de celui-ci, il pénètre dans une pièce et découvre une femme, plus âgée que la réceptionniste, en pleine conversation avec Nordine. Elle s’interrompt dès qu’elle aperçoit Matthieu.

« Je vais vous faire patienter un instant, votre partenaire vient d’arriver. »

Matthieu entend le soupir de soulagement de son amant au travers des haut-parleurs. C’est certain qu’avec les trois mille kilomètres qui les séparent, Nordine n’avait pas de moyen infaillible pour le contraindre à venir, mais c’est un peu vexant de constater ce manque de confiance. La technicienne attire son attention en lui tendant la main :

« Monsieur Bodet, je suis Sarah, je vais vous installer pour la séance. L’humanoïde de votre compagnon est prêt, il ne reste plus qu’à vous connecter au vôtre. Je vais avoir besoin d’accéder à votre implant, vous pouvez vous asseoir par ici. »

Sarah lui désigne un siège et Matthieu s’empresse d’y aller, ne serait-ce que pour soulager ses jambes flageolantes. Il lui tourne le dos, incline la tête et dégage les cheveux de sa nuque pour qu’elle puisse scanner la puce sous-cutanée et s’y connecter. En quelques mouvements fluides, il voit la technicienne sélectionner les options.

La leçon que lui a donnée Nordine lui revient et lui occupe l’esprit quelques instants. Les choix sont variés, avec plusieurs combinaisons possibles, mais le Boudoir 4.0 propose trois principales offres : le tout virtuel, héritage des premières recherches médicales, qui plonge le client dans un état semi-hypnotique afin de créer les sensations uniquement par stimulation via l’implant cérébral. Ensuite est venue l’ère de la réalité augmentée, pour laquelle l’implant active toujours les zones de plaisir grâce aux impulsions envoyées au cerveau, mais l’environnement géré par ordinateur permet toutes les fantaisies – la plus populaire étant de s’offrir une partie de jambes en l’air avec sa célébrité favorite. Et, dernière innovation, les androïdes. Ceux-là ont évolué depuis leurs débuts, mais ils restent ceux qui proposent les séances les plus réalistes. Pas besoin de stimulation neurologique, l’androïde est connecté à l’implant de l’utilisateur et reproduit tous ses gestes. Les couples sont donc la principale cible de cette option, mais il arrive que le Boudoir 4.0 organise des soirées entre célibataires où des paires ou groupes sont formés. Des partouzes qui n’en ont juste pas le nom.

Sarah le tire de ses pensées en lui demandant de lever une main puis de taper du pied. Matthieu fait ce qui est requis, puis entend la confirmation que tout est en ordre. Il réalise alors que c’est la personne avec Nordine qui testait la connexion. Une fois satisfaite de ses réglages, Sarah se tourne vers lui :

« Comme il était spécifié dans la demande, vos êtres artificiels sont versatiles sur le plan sexuel. Cette pièce vous est réservée pour deux heures. Nous avons une salle de contrôle depuis laquelle nous supervisons les fonctions des humanoïdes, mais il n’y a aucune vidéosurveillance pour ne pas violer votre intimité. Si vous avez un souci quelconque ou quand vous aurez terminé, appuyez sur ce bouton d’appel et l’un des techniciens arrivera. Vous avez des questions ? »

La tirade récitée sans pause lui donne le tournis et, malgré la dizaine d’interrogations qui se pressent, Matthieu secoue négativement la tête. La jeune femme en profite pour s’éclipser sans un regard et il se retrouve seul face à un androïde.  Un androïde dont le visage est une représentation criante de vérité de celui de Nordine. Matthieu tend la main pour lui prendre la joue en coupe et est légèrement surpris que la peau artificielle soit tiède ; il avait imaginé une machine au métal froid mais, sous sa paume, il retrouve un toucher familier.  En fermant les yeux, songe-t-il, l’illusion serait parfaite.

« Tu m’as fait peur, lui reproche Nordine, sur un ton malicieux. J’ai bien cru devoir négocier avec Sarah pour qu’elle me trouve un autre partenaire.

— Tu m’aurais remplacé si facilement ?

— Vu la somme que j’ai déboursée, je comptais bien en avoir pour mon argent. Et si tu n’avais pas ramené ton cul réfractaire au progrès… »

Matthieu sourit de la menace latente. Il sait que son amant n’en pense pas un mot, mais qu’il aurait été déçu que Matthieu se défile. Peut-être que ce dernier aurait même eu droit à quelques semaines d’ignorance punitive à son retour.

« En parlant de réfractaire, Sarah m’a expliqué que les robots étaient versatiles, mais je n’ai pas vraiment envie d’avoir ce truc trop proche de mes bijoux de famille, sans parler de le laisser me prendre.

— Et tu pensais faire quoi, du coup ? s’agace Nordine. Jouer à la belote ? » Puis il poursuit sans lui donner l’opportunité de répondre : « Franchement, tu m’expliques en quoi c’est différent d’un gode ?

— Un gode, c’est un jouet, je le contrôle, pas ce truc qui bouge seul.

— Ce truc est contrôlé par ton petit ami, je te signale. Et tu as juste peur de l’inconnu.

— Qu’est-ce que tu proposes alors ? capitule Matthieu.

— Au pire, on s’assoit chacun sur une chaise et on se masturbe. Mais on aurait pu le faire gratos avec la webcam. Sinon, tu continues à faire ta tête de lard, alors je devrai te basculer sur la console de contrôle et me frotter contre tes fesses jusqu’à ce que je jouisse ou que tu appelles un technicien à l’aide.

— Pas de troisième option, remarque Matthieu quand son amant ne lui laisse que ces deux choix à contempler.

— Ou tu te rappelles qu’on peut s’amuser sans pénétration, tu te fous à poil, tu fermes les yeux si ça t’aide et t’imagines que je suis dans la pièce. »

Pour la première fois depuis qu’il est face à la machine, Matthieu réalise que l’androïde est nu. Il est d’ailleurs déçu de constater que sa verge est au repos. Nordine ne semble pas affecté par son petit laïus quand lui commence à ressentir l’excitation de leur situation. Avec un air de défi, tranquillement, il entreprend d’ôter ses vêtements en restant à distance de l’androïde. Nordine reste stoïque et fait mine de ne pas être impressionné par ce strip-tease imprévu, mais Matthieu ne l’entend pas de cette oreille et redouble d’efforts pour le faire réagir.

A présent nu, il plonge le regard dans celui de son amant et prend en main son sexe à demi-érigé. Pas vraiment d’humeur à jouer – et surtout de peur de retrouver soudain la raison – il cherche à allumer Nordine. Lui faire perdre la tête. L’être artificiel serre les doigts et penche la tête sur le côté ; Matthieu y reconnaît les signes qui signifient que la patience de son compagnon s’amenuise. Il y a trop longtemps qu’ils n’ont pas été dans la même pièce, le manque est palpable. Alors, de son autre main, Matthieu vient masser ses testicules et pousse un long gémissement – plus par provocation que plaisir, pour l’instant. L’effet obtient le résultat escompté.

En un instant, Nordine est à ses côtés et se colle à lui pour l’embrasser, entravant ses mouvements. La sensation du baiser est étrange. Les lèvres sont souples mais plutôt sèches et Matthieu les humidifie de sa langue. Il retrouve ses repères et se laisse aller, ferme les yeux. Libérant à regret son sexe, il découvre sous ses paumes le corps de l’androïde. Toujours cette impression de chaleur, mais des épaules un peu plus hautes que celles de Nordine. D’ailleurs, Matthieu réalise qu’il a le menton bien plus levé qu’à l’habitude pour embrasser son partenaire. Comme s’il était avec un autre. La pensée l’excite autant qu’elle le perturbe et il entrouvre les paupières, juste pour se rassurer. Nordine doit percevoir cette hésitation et s’écarte un instant, lui demandant si tout va bien. Quand Matthieu acquiesce, il avoue aussi qu’il a presque l’impression d’enlacer un autre homme, ce qui lui vaut une tape sur la fesse avant que son amant ne reprenne où ils en étaient.

Leurs érections se frôlent et, dans un grognement satisfait, Nordine l’attire un peu plus contre lui. La poigne de l’être artificiel est plus ferme, plus possessive ; leur rapport de force physique est faussé et Matthieu se réjouit de ce léger changement. A mesure que le baiser s’enflamme, il se laisse repousser à travers la pièce. Il s’imaginait déjà jeté sur le lit, dans le coin, quand ses cuisses heurtent la console de contrôle. Étonné, il se libère de l’étreinte de Nordine et remarque son sourire ravi.

« Je fais juste ce que j’ai promis.

— Mais je n’ai pas fait ma tête de lard, rétorque Matthieu tout en réalisant combien sa réplique est puérile.

— Non, mais l’idée me plaît. »

Et Matthieu doit admettre qu’elle le tente aussi. Face à l’absence d’objection, Nordine pose une main sur sa hanche et l’incite à se retourner. En quelques secondes, Matthieu se retrouve penché en avant, les mains en appui sur la console et le cœur battant à l’idée de laisser un robot le manipuler ainsi. Il sursaute au contact des doigts entre ses omoplates, puis frissonne quand ils dessinent le long de sa colonne. Mais ce n’est rien comparé à la sensation de ces membres se frayant un chemin entre ses fesses. Une brève appréhension le saisit tandis que Nordine tâtonne autour de son anus ; toutefois, un soupir de soulagement, puis de plaisir, lui échappe tandis que l’index lubrifié le pénètre. En quelques allers-retours, Nordine a trouvé sa prostate et étalé assez de produit pour qu’un simple index ne suffise plus à le combler. Matthieu n’a pas honte de demander davantage. Son amant a un reniflement amusé :

« Je croyais que tu n’avais pas confiance en cet humanoïde.

— Robot ou pas, halète Matthieu, tu pourrais bien te retrouver célibataire. Il a des doigts magiques. »

Pour cette moquerie, il récolte une morsure au niveau de l’épaule et un second doigt s’introduit en lui sans rencontrer la moindre résistance. Des coups de reins accompagnent à présent les va-et-vient et Matthieu commence à espérer que Nordine a oublié sa promesse de ne pas le pénétrer. Son menton retombe contre son torse, il écarte davantage les jambes et se cambre en une invitation peu subtile. Les doigts quittent son corps et il sent une caresse sur son flanc, un baiser entre ses omoplates. Puis une présence plus imposante contre son anus et une voix rauque qui exige une confirmation. Matthieu secoue la tête. Oui. Non. Il ne sait plus vraiment, il en a envie, mais n’est peut-être pas encore assez ivre de désir pour ignorer ses craintes. La pression s’efface immédiatement et Nordine empoigne sa hanche d’une main tandis que, de l’autre, il se saisit du sexe de Matthieu.

Son amant balance alors doucement le bassin, sa verge coulissant entre ses fesses, à la faveur du lubrifiant. Dos à Nordine, Matthieu laisse son imagination se débrider. Les râles de plaisir et les petits mots d’encouragement familiers contrastent avec le toucher étranger sur son corps. Il lui est aisé de penser à son compagnon assis dans un coin, se délectant de son abandon entre les bras d’un autre. La cadence s’accélère et les mouvements sont moins fluides, moins précis. A plusieurs reprises, Nordine bute contre son anus ; à chaque fois, son muscle se contracte – d’impatience ou de réticence, il ne parvient pas à le déterminer – et, chaque fois, Matthieu manque de jouir.

Et puis, le rythme sur son sexe augmente encore, les doigts qui s’enfonçaient dans sa hanche libèrent leur emprise et reviennent jouer avec sa prostate. En quelques instants, son excitation monte et il reconnaît les signaux qui annoncent qu’il n’est plus très loin. Nordine se frotte toujours contre lui et le muscle anal de Matthieu se resserre autour des doigts du robot tandis qu’il se répand sur la console sous lui.

Son amant le caresse plus lentement, le laissant savourer un orgasme prolongé mais, bientôt, la stimulation de sa prostate et son gland trop sensible ramènent Matthieu à l’instant présent. D’une légère tape, il écarte le poignet de Nordine. Celui-ci ne s’en plaint pas et, si Matthieu ne s’en était pas déjà douté, les coups rapides contre ses fesses auraient confirmé ses soupçons : la main s’active furieusement sur le sexe de l’androïde et, très vite, le corps derrière lui se tend dans l’extase. Matthieu perçoit la chaleur réconfortante des gouttes qui parsèment dorénavant son dos et il se trouve bien ridicule d’avoir autant redouté ce rendez-vous. Le souffle court, il se redresse et se remet face à Nordine. Du bout des doigts, il ose enfin effleurer la verge encore dure du robot, puis dirige sa main sous ses testicules, mais son amant le retient :

« Il va falloir me laisser un peu de temps, là. Il nous reste un peu plus d’une heure, t’as intérêt de ne pas faire les choses à moitié ce coup-ci. »

Une fois de plus, Matthieu sourit du ton menaçant, songeant que cela ressemble davantage à une supplique. Au lieu d’apaiser le manque, ils ont ajouté à la frustration de ne pas s’être touchés durant des mois.

Charmeur, il entraîne l’androïde vers le lit et commence à taquiner tous les points qu’il sait sensibles chez son amant. Dans une quinzaine de minutes – dix s’il se débrouille bien –, Nordine montrera les premiers signes d’impatience et lui ordonnera d’arrêter ses simagrées. Et Matthieu compte bien découvrir si l’intérieur de cet être artificiel se lubrifie aussi à la demande. Le plaisir anticipé le fait frissonner. Sous lui, l’humanoïde semble prendre vie, animé du désir de son partenaire. Même s’il était réticent, Matthieu sait qu’ils recommenceront. Il faut qu’il pense à se renseigner si le Boudoir 4.0 propose des formules d’abonnement.

La chambre d’Adélaïde

Autrice : Hope Tiefenbrunner.

Genres : Nouvelle, Past/present, drame, M/F, M/M, F/F, M/M/F/F.

Résumé : Un petit essai sur le thème du passé/présent et de ce que des murs peuvent voir passer. Pas plus de précision pour ne pas gâcher le texte.

La chambre d'Adélaïde

La porte claqua contre le mur de la chambre, faisant trembler les bibelots qui se trouvaient dessus. Un magazine en chuta au sol. Le pied qui glissa sur une des pages ne provoqua qu’éclats de rire.

— Attention, Lenee.

Adélaïde rattrapa sa meilleure amie par le coude, l’accompagnant comme elle le pouvait au milieu du désordre de sa chambre, jusqu’à ce qu’elles ne s’écroulent sur le lit, qui grinça sous leur poids combiné. Leur ridicule chute les fit pouffer à nouveau alors même qu’elles échangeaient un regard complice et joyeux.

Grand Dieu, elle avait trop bu et trop fumé mais elle s’en fichait. Lenee était belle, allongée sous elle, ses cheveux bruns s’étalant autour de son visage, les fleurs qu’elles y avaient tressées un peu plus tôt complétant un tableau bucolique et romantique à la fois. Oui, elle était belle avec ses yeux qui brillaient d’amusement et de tendresse, belle avec cet esprit de liberté qui émanait d’elle.

La main qui claqua ses fesses la sortit de sa rêverie et la fit rire mais moins que le haussement de sourcils de Lenee.

— Hé les filles, commencez pas sans nous.

Deux poids enfoncèrent un peu plus le lit. Adélaïde conserva les yeux rivés sur sa meilleure amie. Celle-ci lui sourit, de ce sourire taquin, celui qu’elle avait quand elle s’apprêtait à faire une bêtise, celui qu’elle avait eu quand elle l’avait entrainée dans cette manif en mai de cette année-là, celui qu’elle avait eu en jetant ces pavés, celui qu’elle avait eu quand elles avaient fini au poste dans la même cellule qu’une dizaine d’autres étudiants. La cellule dans laquelle ils s’étaient tous rencontrés. Celle dont le père de Lenee les avait fait sortir quelques heures plus tard, après qu’ils aient eu chanté toutes les chansons des Beatles qu’ils connaissaient.

Tout ça paraissait étrangement loin et proche en même temps. Elles avaient promis qu’on ne les y reprendrait plus, pour un temps. Juste assez pour que leurs parents se calment et cessent de faire des remarques sur ce mouvement hippie soi-disant ridicule mais dans lequel elles se retrouvaient pourtant toutes les deux.

Oui, elle aimait ce sourire et quand sa meilleure amie s’avança pour l’embrasser, elle lui rendit son baiser avec envie. Les garçons sifflèrent mais ce fut le léger rire à la porte qui lui fit relâcher la bouche gourmande de Lenee.

Elle se retourna. Yann les observait. Comme toujours il l’a soufflée. Avec son pantalon moutarde et son tee-shirt vert, il était solaire. Les cheveux un peu longs qui englobaient son visage, ses petites lunettes rondes qui camouflaient son regard et sa moustache lui donnaient ce côté viril qui la faisait littéralement fondre.

Un baiser vorace dans son cou attira son attention. Pierre. Le meilleur ami de Yann.

— Bas les pattes, elle est à moi, s’amusa Lenee alors qu’elle le repoussait gentiment.

Ils pouffèrent. Elles n’étaient pas les seules à avoir trop abusé de l’alcool et de ce joint qu’ils n’avaient cessé de se passer tandis qu’ils écoutaient la musique de plus en plus enivrante de ce groupe dont elle avait complètement oublié le nom. Mince ! Ce n’était pas grave, ça et le fait qu’ils soient stones. Ils étaient libres, jeunes, conscients que le monde avait besoin de changement, besoin de plus d’amour.

L’amour.

Elle avait envie de faire l’amour.

Alors elle embrassa Pierre, sans se décoller de sa meilleure amie, leurs deux poitrines si différentes s’écrasant l’une contre l’autre. La langue du jeune homme s’insinua dans sa bouche tandis que sa barbe chatouillait agréablement son visage. La morsure dans son cou la fit se tendre, puis relâcher les lèvres de son compagnon.

— Ne m’oublie pas, Adel, soupira Lenee avec une petite moue craquante.

— Jamais.

Elles s’embrassèrent à nouveau. Ce n’était pas la première fois, loin de là et elle y prenait toujours autant de plaisir. Les doigts de Lenee qui remontaient son léger débardeur étaient doux en comparaison de ceux de Pierre plus fermes.

Elle s’agenouilla, levant les bras pour les laisser lui ôter son haut. Ses seins lourds suivirent le mouvement. Les mains de Jonathan les empaumèrent. Cela la fit rire, ces trois paires de mains qui parcouraient son corps, flattaient ses courbes, titillaient ses points sensibles.

Elle se sentait belle et désirable.

Elle se retourna.

— Tu ne viens pas ?

— Je regarde, répondit Yann qui avait remonté ses lunettes sur son front.

— Ne boude pas pour lui, chuchota Jonathan à son oreille.

— Je ne boude pas.

Et comment l’aurait-elle pu alors qu’ils étaient tous les trois occupés à l’exciter ? Un de plus serait de trop ? Peut-être pas, pensa-t-elle lorsque Lenee se redressa, usant de sa souplesse pour glisser entre ses jambes et se mettre debout sur le lit. D’un rapide mouvement, elle fit voler sa tunique avant de hausser ses sourcils d’une manière aguicheuse. Et puis mue par une musique imaginaire, elle se mit à danser sur un rythme lent et sensuel.

Adel s’allongea et l’observa, émerveillée. Lenee était maladroite et magnifique, ses bras et ses mains créant des arabesques dans les airs tandis que ses hanches se balançaient doucement. Moulée dans son pantalon pattes d’ef, ses longs cheveux couvrant en partie ses seins, Adel sentit les siens se tendre un peu plus.

La bouche gourmande d’un des garçons se posa dessus et commença à l’aspirer et le titiller. Un lourd soupir de plaisir lui échappa tandis que la chaleur de son entrejambe augmentait. Une main glissa le long de son abdomen, passa sous sa jupe, sous sa culotte et continua au milieu de son épaisse toison. Elle se pâma sous la caresse. Lenee se pencha vers elle et chassa Jonathan qui tentait une approche.

Adel éclata de rire.

Un clic attira leur attention, elle renversa la tête en arrière, retenant de justesse un gémissement quand le doigt qui s’activait jusque-là sur son clitoris la pénétra. Yann avait sorti son appareil et immortalisé la danse de Lenee. D’un ample mouvement de tête, celle-ci balança sa chevelure sur le côté, dévoilant de nouveau ses seins.

Et comme Adel avait envie de les toucher. Mais quand elle tendit les mains vers son amie pour l’inviter à s’allonger sur elle, cette dernière la tira à elle. Pierre la retint tandis que Jonathan essayait d’attraper Lenee pour la ramener à eux.

Le tout fini en roulé-boulé sur le lit.

Le clic, clic de l’appareil de Yann résonna de nouveau, ne s’arrêtant pas quand les vêtements commencèrent à voler dans tous les sens, quand les mains, les langues s’égarèrent sur l’un ou l’autre des corps qui se présentaient. Perdue sous les caresses qu’elle recevait et qu’elle donnait, Adélaïde ne prêtait plus attention à l’homme qu’elle aimait et qui tournait autour d’eux à la recherche du meilleur angle. Lenee ne lâchait guère sa bouche, s’intéressant plus à elle qu’aux garçons, comme souvent. À tel point que ces derniers finirent par les séparer, chacun s’appropriant l’une d’elles.

— Hé, se plaignait Lenee en riant, tandis qu’elle finissait assise sur les genoux de Jon.

Adélaïde, de son côté, sourit quand Pierre la fit passer sur les siens et que sa verge tendue frotta contre son intimité.

Elle avait envie de lui, envie de Yann qui n’avait toujours pas lâché son appareil.

— Tu nous rejoins ? demanda-t-elle.

— Tout à l’heure.

Elle haussa les épaules. Yann était un artiste et c’est ce qu’elle aimait chez lui. Par ailleurs, le sexe de Pierre qui la pénétrait était bien assez pour l’occuper et lui apporter le plaisir que son corps désirait. Écrasant le visage du jeune homme entre son imposante poitrine, elle observa sa meilleure amie.

Celle-ci lui adressa un regard brûlant et tendit les mains vers elle. Un appel auquel Adélaïde, malgré le plaisir qui commençait à vriller ses reins, ne sut pas résister. Et puis, mues par le même instinct, elles tirèrent. Les garçons cédèrent facilement et s’allongèrent, leur offrant ainsi toute la liberté qu’elles souhaitaient pour reprendre leur baiser.

La bouche de Lenee, le sexe de Pierre qui la pénétrait de plus en plus rapidement.

C’était parfait.

***

La porte claqua contre le mur de la chambre, faisant trembler les bibelots qui se trouvaient dessus. Un magazine en chuta au sol. Le pied qui glissa sur une des pages ne provoqua qu’éclats de rire.

Nathan se rattrapa aux bras de Paul pour éviter de tomber.

— Attention, murmura ce dernier.

— T’inquiète. Tu crois que c’est quoi ? Un magazine de tricot ?

Paul  rit un peu plus.

— Probable. Ou un truc de coincé, répondit-il. En tout cas, je doute qu’il s’agisse d’un magazine porno et même un truc de déco, je n’y croirais pas. C’est…
Paul engloba la pièce du regard.

— Pas le genre, finit-il.

Cela fit sourire Nathan. Oui, pas le genre du tout même.

— Ne critique pas ainsi cette chère tante Adélaïde, répliqua-t-il néanmoins.

— Loin de moi cette idée. Je ne critique pas la main qui nous loge. Même si elle doit déjà être en décomposition à l’heure qu’il est, non ?

— Tu es horrible.

— Réaliste plutôt, non ? Mais rassure-toi, je lui suis avant tout très reconnaissant.

Ils se sourirent. Reconnaissant, Nathan l’était lui aussi. Etonné aussi, toujours autant. Avoir hérité de la maison d’Adélaïde, c’était le coup de chance que vous n’attendiez pas dans la vie. L’héritage surprise qu’on n’imagine jamais recevoir. Et pourtant, le notaire le lui avait bien signifié : Adélaïde l’avait expressément désigné comme légataire de la demeure et de ce qu’elle contenait. Adélaïde… Quelle mouche avait donc bien pu piquer cette vieille bigote pour faire un geste pareil ? Il la connaissait à peine, ne l’avait vu qu’à de rares réunions familiales et elle semblait tellement soulante qu’il l’avait toujours fui.

Bien sûr, elle n’avait pas de descendants directs, mais ils étaient nombreux dans la famille à être de potentiels héritiers, des couples avec enfants ou en passe de devenir parents pour lesquels une maison comme celle-ci aurait été parfaite et surtout, surtout des couples hétérosexuels dignes de ce nom ! Lui et Paul avaient beau être un couple solide, ils ne collaient tout bonnement pas à l’image qu’il avait d’Adélaïde.

Elle n’avait jamais rien dit sur son orientation sexuelle, contrairement à d’autres, il devait bien le reconnaitre, mais elle semblait si « classique », si « étroite d’esprit », si dépressive et rabat-joie que ce choix était illogique. D’ailleurs, personne n’avait compris pourquoi c’était à lui qu’elle avait fait ce legs.

Avec son frère aîné, il avait plaisanté en supposant qu’il y avait peut-être un cadavre caché et qu’elle avait réservé cette funeste découverte à l’homo de la famille. Paul avait proposé que la cave ou le grenier étaient en fait un donjon BDSM. Avant qu’ils ne poursuivent, sa belle-sœur, les avait fait taire, non s’en avoir pouffé au préalable. Nathan avait simplement conclu qu’avec plus de 50 % de droits de succession, il n’était peut-être pas gagnant. Au final, ce n’était pas le cas et au pire, il pourrait toujours revendre. En tout cas, c’est ce que lui avait dit le notaire qui semblait convaincu qu’ils faisaient là une bonne affaire.

Alors voilà, il avait accepté l’héritage, sous la pression de ses parents qui avaient promis de lui donner un coup de main au besoin, celle de son frère, celle de Paul qui parlait déjà de chien, de chat, de barbecues au soleil. Les clefs lui avaient été remises en milieu de semaine et ils profitaient de leur samedi matin pour effectuer un premier tour du propriétaire, voir un peu ce qu’il y avait à faire, quel meuble garder, donner, et si vraiment, vraiment ils allaient conserver la demeure.

La visite avait commencé sagement. La maison était parfaitement entretenue. La décoration vieillotte et dépassée et les pièces étroites. Paul avait parlé de deux murs à abattre. C’était un bon bricoleur, il avait déjà des tas d’idées. Visiblement, il n’envisageait pas qu’ils revendent. Quand ils avaient gagné le premier étage, les idées de Paul avaient suivi un tout autre chemin. La faute aux escaliers : avoir ainsi ses fesses sous le nez l’avait irrémédiablement excité, avait-il dit.

Se faire coincer contre le mur du couloir et ravager la bouche avait suffi à rendre Nathan tout à fait réceptif aux avances de son compagnon.

 La première chambre se trouvait être celle d’Adélaïde, mais peu importait. Le regard que Paul portait sur lui à cet instant pouvait complètement lui faire oublier que le lit vers lequel il reculait avait accueilli une vieille fille pendant des années.

— Embrasse-moi, réclama-t-il.

— Tout ce que tu veux.

La main de Paul passa le long de son visage, jusqu’à l’arrière de son crâne, alors que sa bouche se posait sur la sienne, l’épousant à merveille. D’un mouvement du bassin, il l’incita à poursuivre et Nathan fut son obligé jusqu’à ce qu’il bute sur le lit où il se laissa tomber. Le regard taquin, il commença à y reculer tout en se défaisant de son tee-shirt qu’il envoya voler, il ne savait où.

Paul grogna d’envie, ses yeux le détaillant avec gourmandise. Nathan adorait cela, être au centre de son attention, voir l’excitation tendre son pantalon. Il passa la main sur son torse, avant de masser sa propre érection.

— Tu sais que ces murs n’ont jamais dû être témoin d’un spectacle aussi érotique, commenta Paul.

Cela le fit sourire.

— Je n’en doute pas. Et rassure-moi, on va leur montrer bien plus que ça ?

Paul se débarrassa de sa chemise et commença à déboutonner sa braguette.

— J’envisage même de faire rougir ces draps qui n’ont certainement jamais vu une queue de leur vie.

Nathan pouffa.

— Voilà un programme qui me plait bien.

Et quand Paul descendit son pantalon, il l’imita.

***

Bobby MCGee de Janis Joplin résonnait dans la chambre. Sur le lit, le corps encore humide de sueur, Adélaïde fumait. La tête de Yann reposait sur son ventre et de sa main libre de cigarette, elle caressait sa chevelure avec amour. Dieu seul savait l’heure qu’il pouvait être, le soleil couchant colorait la pièce d’une lumière orangée particulièrement apaisante.

Lenee porta un joint à ses lèvres et l’alluma.

Il faudrait qu’Adélaïde aère, entre le tabac, l’herbe et le sexe, l’odeur de sa chambre rendrait fous ses parents. Fort heureusement, ils ne seraient pas là avant deux jours encore, alors pour l’heure… Elle attrapa le joint et en tira une taffe avant de le passer à Pierre. Sa cigarette avait fini dans la bouche de Jonathan.

— J’ai faim, lança-t-il.

— Moi aussi, répondit Lenee mais j’ai pas envie de bouger.

D’un bond, Pierre se redressa.

— Je vais chercher quelque chose.

Nu, comme au premier jour de sa naissance, il sortit de la pièce.

Adélaïde poussa un petit soupir de bien-être. La vie était parfaite ainsi. Elle voulait les avoir tous les quatre pour encore de nombreuses années. Ils ne feraient pas comme leurs parents, ils ne s’enfonceraient pas dans le conservatisme et la rigueur. Elle quitterait cette maison et tout ce qui allait avec sans une once de regret. Avec Lenee et Yann, ils parlaient souvent de rejoindre une communauté. L’Ardèche en abritait de très sympas. D’autres gens qui partageaient leurs avis sur le monde, le sexe, la paix et l’amour.

— À quoi tu penses ? demanda Lenee.

— À nous, à l’avenir.

Elle récupéra le joint qui avait fait le tour.

Lenee lui sourit paresseusement.

— Et ?

Yann se retourna.

— Je vais continuer à faire des photos, vous allez finir votre année et cet été, on prend ma voiture et on part, loin.

Les deux filles se sourirent, avant d’acquiescer en même temps.

Et tandis qu’elle prenait une nouvelle bouffée, Adélaïde ne voyait pas comment sa vie pourrait tourner autrement.

***

Bobby MCGee de Janis Joplin résonnait dans la chambre. Sur le lit, le corps encore humide de sueur, Nathan fumait.

— Cigarette et Janis Joplin, elle en découvre des choses cette chambre.

Nathan sourit.

Le soleil éclairait la pièce et les rideaux en atténuaient la luminosité, la rendant agréable. Le lit confortable avait à peine grincé quand le rythme s’était accéléré.

— C’est triste, dit-il.

— Quoi ?

— Adélaïde. Elle…

Nathan se retourna pour se mettre sur le ventre, bousculant l’iPhone de Paul qui le reposa correctement pour que la musique ne soit plus étouffée.

— Elle a vécu là toute sa vie. Tu imagines ? Cette chambre, elle l’a toujours occupée, même quand ses parents sont morts.

— En même temps, elle est très agréable et grande.

— Je te reconnais bien là, toujours pratique.

Paul haussa les épaules et Nathan admira son dos et ses fesses.

— Plus sérieusement, tu te vois vivre toute ta vie dans ta chambre d’enfant, d’ado ?

Paul éclata de rire.

— Grand Dieu, non ! Je tolère mes parents en les voyant une fois par an et je déteste leur maison.

Cela fit sourire Nathan.

— Oui, les igloos ne sont faits que pour les Esquimaux.

Il fit tomber sa cendre dans un petit pot qu’il avait trouvé sur la table de nuit. Adélaïde commençait peut-être à se retourner dans sa tombe si elle le voyait faire.

— Je suis certain que le chauffage peut y être augmenté, rétorqua Paul, mais je déteste cette baraque. Elle est mal foutue, sombre et… non, je la hais, y’a rien à sauver.

— Je n’envisagerais pas d’y vivre, pas plus que dans celle de mes parents.

Paul s’approcha pour embrasser son épaule.

— Et celle-ci ?

Nathan observa la chambre. Il ignorait encore comment étaient les autres, mais celle-ci dégageait quelque chose de très paisible. La maison lui plaisait vraiment, en tout cas ce qu’ils en avaient vu, l’extérieur, le rez-de-chaussée, la cuisine était grande et lumineuse, la déco était à chier avec ses meubles rustiques mais il savait que Paul pourrait en faire quelque chose de moderne et confortable, si possible à petits prix !

— Oui.

Il tira une latte.

— Toi ?

— Aussi.

Ils se sourirent.

***

La boite sur la table contenait bien des babioles. Adélaïde aimait à y entasser ses petites choses qu’elle raccrochait à de beaux souvenirs. C’était un bric-à-brac, des fleurs, des bouts de papier avec des poèmes, un morceau de chaine, des photos. Beaucoup de photos, des moments qu’elle chérissait. Elle s’imaginait les regarder dans quelques dizaines d’années, lorsque son visage serait ridé et son corps flasque. Yann se moquait d’elle, en disant qu’elle serait toujours belle mais puisqu’il était l’auteur de la plupart des clichés, il pouvait difficilement critiquer qu’elle les conserve.

Elle sourit devant les nouveaux. Si ses parents tombaient là-dessus, elle chevauchant Pierre et tendant les mains à Lenee qui en faisait tout autant sur Jonathan. Elle ricana. Elles étaient chouettes ces photos, elle se trouvait belle dessus et heureuse. Ils en feraient d’autres, des tas d’autres. Encore quelques mois et ils partiraient tous dans le centre de la France. Pierre avait des amis qui y vivaient et il leur tardait à tous de les rejoindre.

Elle poussa un soupir de contentement et referma la boite avant de la cacher à nouveau.

***

La boite sur la table contenait bien des babioles. Nathan l’avait trouvée dans un autre carton, dans le grenier. Ils habitaient la maison depuis quelques jours seulement et s’ils avaient en grande partie trié le rez-de-chaussée, l’étage restait encore à finir, quant au grenier, c’était une friche complète. Mais Nathan ne pouvait pas poser de congés, aussi avaient-ils bossé essentiellement sur les week-ends. Heureusement, ils avaient eu l’aide de la famille et des amis.

— Qu’est-ce que tu regardes ? demanda Paul.

— Des photos ?

— Merci, j’avais remarqué.

Nathan lui tira la langue. Paul s’approcha jusqu’à être au-dessus de lui et des clichés qu’il avait étalés devant lui.

— Chaud ! dis donc.

— C’est Adélaïde, se contenta de répondre Nathan en pointant une des deux jeunes femmes.

— Non !

— Je te promets que si, regarde.

Et il lui tendit un des rares albums photo de la maison. Adélaïde y était présente sur de nombreux clichés, plus tout à fait une enfant, pas encore une adolescente et pourtant la jeune femme dévergondée, en train d’embrasser cette autre, de se déshabiller au milieu de deux hommes ne pouvait être qu’elle et, quand il l’avait compris, Nathan avait buggé. Il n’aurait jamais cru cela possible.

— Alors, ça alors ! s’exclama Paul qui prit la chaise à côté de la sienne.

La trouvaille méritait certainement de s’asseoir.

— Et c’est dans sa chambre ? continua Paul.

— Oui.

— Moi qui pensais qu’on lui avait fait découvrir des choses à cette pièce, je réalise qu’elle…

— En a vu des vertes et des pas mûres.

— Purée !

Paul passa les clichés en revue.

— Mais comment…

— Comment elle est devenue cette vieille fille ?

— Mais ouais.

— J’avoue que ça m’interroge.

— Sérieux, on dirait des photos pornos des années 70 ! Je… T’as vu ces touffes ?

Nathan pouffa.

— Les mecs aussi sont bien poilus, précisa-t-il en tapotant un des clichés.

— Clair ! J’apprécie d’autant plus que tu tailles tes poils.

La remarque lui fit lever les yeux au ciel, mais il ne pouvait pas lui donner tort.

— J’en reviens pas, reprit plus sérieusement Paul. On a vidé ses affaires, je veux dire… Je…

Nathan lui sourit. Lui non plus n’en croyait pas ses yeux. Vider la maison avait été un plongeon dans la vie et la personnalité d’Adélaïde. Et jusque-là, rien n’avait jamais contredit l’image qu’ils avaient d’elle.

Ça le perturbait.

Ça n’avait probablement pas vraiment d’importance, mais passer des jours à pénétrer ainsi l’intimité d’une personne, en triant tout ce qui avait fait sa vie et son quotidien jusqu’à ses culottes, et Dieu qu’ils en avaient ri comme des idiots, créait une sorte de lien. Ils avaient naïvement pensé la connaitre.

— Qu’est-ce qu’on en fait ? demanda finalement Paul.

— Je ne sais pas. Je suppose qu’il faudrait les jeter ?

— Sans doute.

Ils se fixèrent.

— Ou on les remet au grenier, on ne manque pas vraiment de place, non ? proposa Nathan.

Paul lui sourit.

— Ouais. C’est une bonne idée.

Nathan continua à vider la boite. Plus tard, quand il aurait le temps, il essaierait sans doute de comprendre comment cette jeune femme en train de s’envoyer en l’air avec trois autres personnes, qui respiraient la liberté, les années 70 et le flower power était devenue cette vieille fille, triste et grincheuse.

— Tu viens m’aider à déballer les cartons ? appela Paul depuis le salon.

Un dernier coup d’œil.

— Oui.

Il replaça tout dans la boite et la referma.

Tout cela serait pour une autre fois.

***

Morts.

Le mot tournait dans sa tête encore et encore, à tel point qu’il n’avait plus de sens, il était vide, comme elle.

Creuse.

Comme si rien ne pouvait l’atteindre, comme si elle ne parvenait ni à comprendre ni à ressentir.

Morts.

Cinq petites lettres qui allaient à jamais changer sa vie.

Amour.

 Un autre mot qui aurait dû être bien plus fort.

 Joie, bonheur… Il y avait tellement d’autres mots bien plus beaux que celui-là.

Morts.

 — Adélaïde?

 La voix de sa mère lui parvint à travers le brouillard de ses pensées.

 — Adélaïde.

 La voix de Son père  lui fit relever le visage. Que veut-il

— Il faut y aller.

Aller où ? Faire quoi ?

Elle devrait être morte elle aussi, avec Lenee, avec Yann et Pierre, morte comme eux, percutée par ce camion dans la petite deux chevaux de Yann. Ecrasée, écrabouillée, à peine reconnaissable.

Partir.

Ils devaient partir dans deux semaines. Tout était prêt. Lenee était tellement excitée qu’elle en était usante.

Et maintenant… Maintenant.

Un flot de larmes la rattrapa alors qu’elle éclatait en sanglots une nouvelle fois. Sa gorge était douloureuse de ces sons informes qui s’échappaient de sa bouche mais qu’elle ne pouvait contrôler, comme si elle vomissait son chagrin et son mal.

Des mains sur ses épaules, des bras autour des siens. Rien de tout cela ne l’atteignait, ne pouvait apaiser sa douleur, rien, même la présence lointaine de Jonathan qui s’effondrait comme elle.

Rien.

Plus rien.

Il n’y aurait plus jamais rien.

***

Morts.

Nathan n’aurait pas dû en être surpris. Il avait forcément fallu quelque chose d’aussi fort et dramatique que cela pour transformer cette jeune femme.

Une fois de plus les clichés d’une Adélaïde jeune et libre étaient posés devant lui, à côté d’un article de journal jauni.

Joie, bonheur, amour.

C’était les mots qui lui venaient à l’esprit quand il les regardait.

Ses doigts caressèrent le visage d’Adélaïde.

Comme il regrettait maintenant de n’avoir jamais parlé à cette femme, de n’avoir jamais essayé de comprendre ce qui se cachait derrière la façade. De n’avoir vu que cette vieille fille, d’avoir naïvement pensé qu’elle avait toujours été comme cela et rien de plus, même lorsqu’il triait ses affaires.

Le bruit de la serrure résonna dans la maison et Nathan se leva presque d’un bond.

— C’est moi, cria Paul.

Et avant qu’il n’ait ne serait-ce que le temps de poser sa veste, Nathan l’avait déjà pris dans ses bras.

 — Je t’aime.

— Wahou, quel accueil !

Nathan releva le visage et l’embrassa, goulûment avec autant de passion qu’il pouvait en mettre.

S’il devait perdre Paul, il ignorait comment il réagirait mais il voulait profiter au maximum de lui. Il voulait le chien dont ils avaient parlé, le chat aussi et putain même des gosses ! Il voulait de la vie dans cette maison. Il voulait remercier Adélaïde de son geste en vivant encore plus fort, en remplissant cette maison de joie, de bonheur, de rire et tout ce qu’il y avait sur ces photos et qu’un chauffard avait volé.