A un stade du plaisir

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : M/M, romance + érotique, rugby.

Résumé : Une rage folle. Voilà ce que ressent Josh depuis des jours, des mois même. Et pourtant, il devrait être aux anges : il a été sélectionné pour jouer dans l’équipe de France de rugby, son objectif depuis toujours, son rêve enfin à portée de main. Mais rien ne se passe comme il l’avait imaginé. Tout ça à cause de Damien Seval… Damien et ses cheveux retombant en boucles mouillées sur le front, Damien et son regard perçant, Damien et son corps aux muscles dessinés par les heures d’entraînement… Josh est plus troublé qu’il ne l’a jamais été – bien plus qu’il ne devrait l’être. Et plus les jours passent, moins il a la force de résister à la tentation. A moins que la seule façon d’avancer soit justement d’y céder ?

Roman sorti aux éditions Harlequin. Toute la première partie de ce roman est publiée ici, en accord avec l’éditeur. Profitez-en d’autant plus que l’histoire commence directement par une scène très hot !

A un stade du plaisir

Josh pénétra dans les vestiaires, comme ivre. Il n’adressa pas de regard à ses coéquipiers, n’interrompit pas son avancée lorsqu’il heurta des épaules, n’écouta aucune des interpellations qu’il provoqua. Il chercha sa serviette, son savon, l’isolement des parois de carrelage sombre où les sons se muent en résonnements.

Là, il se débarrassa de ses vêtements dans un coin, s’avança sous la douche, tourna le robinet, et laissa couler l’eau sur son crâne. Glacées dans un premier temps, les gouttes martelèrent son cuir chevelu, se déversant sur ses oreilles, sa nuque, son cou et les mains qu’il avait posées contre le mur. Longuement, il resta immobile, bras tendus et tête penchée en avant. Son corps tremblait d’épuisement mais le chaos dans sa tête ne se dissipait pas, ne s’engourdissait pas, s’accrochait à lui, s’engouffrait plus loin, comme pour le ruiner de l’intérieur. Puis la douche devint brûlante, brasier, et il recula la tête. Il ne régla le jet que pour le rendre le plus fort et le plus chaud qu’il pouvait le supporter. Enfin, il glissa les épaules sous l’eau et la laissa s’écouler à pleine puissance sur ses muscles usés, sur ses hématomes, sur ses contusions et sur la plaie encore douloureuse de son arcade sourcilière. Il releva même la tête pour la ressentir plus intensément sur son visage, comme si elle pouvait le laver, autant intérieurement qu’extérieurement.

En vain.

L’eau fit rougir sa peau nue, la décapant, imprégnant l’atmosphère de buée et le coupant du monde, remplaçant la réalité par un nuage liquide dans lequel rien ne pouvait le toucher, ni même l’atteindre. Au-delà, du côté du vestiaire, seul un brouhaha lui parvenait : des rires, des cris de joie, toute une liesse qui lui était lointaine. En d’autres temps, il aurait aimé partager avec ses camarades leur plaisir d’avoir gagné, mais même cet autre temps-là lui semblait désormais bien loin.

Il ne releva pas la tête lorsque d’autres joueurs entrèrent, ne les regarda pas, ne leur répondit pas. Il se contenta de laisser sa peau brûler, à défaut des pensées. Si seulement elles avaient pu cramer… Il attendit, la tête ailleurs, le cœur ailleurs, l’âme ailleurs, tout en lui compressé sous cette eau au pouvoir de laver et d’emporter, mais qui n’emmenait rien avec elle. Juste la brûlure sur sa peau. Juste le long écoulement sur sa chair. Il attendit que les autres joueurs finissent de se laver, que leur entraîneur s’en aille, que chacun reparte, que les chaussettes soient rangées, avec les shorts, avec les chaussures à crampons, que les T-shirts de ville remplacent les maillots, que les autres douches s’arrêtent de couler, que la pièce se vide et que les voix cessent de résonner.

Lorsqu’enfin le silence se fit, il coupa l’eau. Il ne ramassa pas sa serviette, pas plus que son savon. Il resta simplement appuyé des deux mains au mur, la tête si pleine qu’elle en était lourde, pendant lamentablement vers le sol, tandis que la buée continuait à s’élever autour de lui.

Soudain, de nouveaux pas se firent entendre à l’entrée de la douche et il tourna le visage pour découvrir le dernier joueur de l’équipe. Le seul qui n’était pas parti, celui que, plus que tout, il espérait voir, autant que ne plus jamais croiser. Celui qu’il aurait pu frapper, sur le coup, comme ça, de la manière la plus injuste qu’il soit. Juste pour évacuer son trop-plein de frustration ou, peut-être, pour se laisser aller à son envie de le toucher.

Son cœur battit plus fort dans sa poitrine.

Appuyé d’une épaule sur le rebord du mur délimitant l’entrée de la douche, Damien le fixait, avec cet air attentif qui semblait ne jamais vouloir quitter son visage lorsqu’il le regardait. Son short et son maillot étaient sales, comme un rappel du temps durant lequel il avait été retenu sur le terrain, sans doute par des journalistes ou des fans. Ce n’avait rien d’étonnant étant donné les prouesses qu’il venait d’accomplir ; attirer l’attention autour de lui devait être naturel pour Damien. Josh resta figé, ne sachant comment réagir, tremblant sous le maelström de désespoir et de rage qui avait pris place en lui.

– Qu’est-ce qu’il se passe ? lança Damien.

Josh le vit croiser les bras dans l’attente de sa réponse.

Il baissa les yeux. Il ne voulait pas parler. Du côté des vestiaires, aucun bruit ne venait, aucun chuchotement, aucun claquement de porte ou de placard, aucun froissement de tissus. Seul le silence, témoignant de leur isolement. Il releva le regard vers Damien et murmura :

– Rien.

Après quelques secondes de flottement, il détourna le visage pour fixer longuement le sol. L’eau s’écoulait à ses pieds, en de longues lignes sinueuses. Il n’entendit aucun son de pas derrière lui. Damien ne semblait pas décidé à s’éloigner.

Alors, il finit par se laisser rouler dos au mur pour lui faire face. Damien était parfaitement immobile, cette expression attentive toujours sur le visage. À cette vue, Josh sentit un rictus lui monter aux lèvres.

– Qu’est-ce que tu veux ?

L’agressivité de son propre ton le dérangea.

Damien le détailla, les sourcils froncés, comme s’il cherchait à lire en lui. Puis il haussa les épaules.

– Voir ce qu’il se passe…

Josh soupira. Il s’appuya plus nettement contre le carrelage de la douche derrière lui. Celui-ci était resté froid malgré la chaleur de l’eau, comme si le vide glacé qu’il diffusait depuis le mur répondait à celui qu’il percevait au fond de lui.

– Qu’est-ce qu’il y a ? insista Damien.

Il ne répondit rien. Son cœur battait vite et fort, et sa poitrine lui semblait sur le point d’exploser. Alors qu’il reportait son attention sur son coéquipier, il se sentit attiré par sa présence, d’une manière aussi douce qu’odieuse. Peut-être était-il simplement inconcevable que quiconque ne veuille pas contempler Damien… Parce que son regard sombre et ses mèches en bataille qui appelaient le passage de la main, et son corps puissant, et la force bouillonnante qui se dégageait de ses épaules, auraient fasciné n’importe qui.

Il n’y avait pas la moindre once d’arrogance dans le comportement de Damien : juste ce calme qu’il avait si souvent l’habitude de lui voir et qui, sur le moment, lui parut insupportable. Il laissa son regard glisser sur le corps de son coéquipier… Qu’il soit vêtu alors que lui se trouvait entièrement nu les mettait dans une situation d’inégalité désagréable.

Peut-être que rouvrir le robinet pour s’asperger d’eau glacée serait une bonne option.

– Casse-toi.

Damien ne répondit pas. Son regard le sondait, inquisiteur.

– Casse-toi ! répéta-t-il.

Mais Damien ne bougea pas. Il resta seulement là, à le fixer. Josh laissa aller sa tête en arrière, perdu. Pourquoi ne l’écoutait-il pas, bon sang ? Que pouvait-il bien se passer sous cette caboche obtuse ?

Josh ferma les paupières. Il ne savait plus ce qu’il devait penser.

– Casse-toi, dit-il de nouveau d’un ton plus froid, bien que trahissant trop à son goût le désespoir qui le tenaillait.

En entendant Damien répondre un simple « non », il eut vraiment envie de lui mettre son poing dans la gueule. D’une certaine façon, ce furent les sonorités chaudes de sa voix qui le retinrent.

– Laisse-moi, demanda-t-il enfin.

Cette fois, son ton avait tout d’une supplique.

– Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Josh eut un rire jaune. Quand il ouvrit la bouche, l’amertume suinta de chacun de ses mots.

– Qu’est-ce que ça peut te foutre ?

– Josh.

– Putain, mais barre-toi ! hurla-t-il, tandis que ses jambes se dérobaient sous lui et qu’il se laissait glisser au sol. Lâche-moi, juste…

Damien ne bougea pas.

Josh prit sa tête dans les mains, assis sur ses talons. Le frapper, oui. Sur l’instant, il était incapable de songer à une autre manière de réagir.

– Hé…

Voir Damien s’accroupir à ce moment-là auprès de lui fut l’expérience la plus attirante et la plus repoussante à la fois qu’il ait jamais vécue.

– Laisse-moi.

Ivre de souffrance, il chercha à se relever avec maladresse et se cogna violemment contre le robinet qui dépassait sur le côté de sa tête. La douleur fusa dans son crâne, intense, insupportable. Il chancela et se pencha en avant, pris de vertige.

– Merde.

Damien tenta de le prendre par l’épaule, mais il se détacha d’un mouvement brusque, fit un pas en arrière et faillit glisser sur le sol de la douche à cause de l’eau. Il passa les doigts sur sa tête, là où il sentait que son cuir chevelu le brûlait. Il réprima un soupir en découvrant leur pulpe rougie : il s’était rouvert la plaie recousue à peine deux semaines auparavant.

– Putain, souffla Damien en regardant sa main. Il faut que tu ailles te faire soigner.

– Non.

Il recula, manquant une nouvelle fois de se casser la figure. Lorsque Damien s’approcha de lui, il leva les mains par réflexe et le repoussa brutalement. Un geste libérateur, bien que cruel. C’était comme si un peu de la souffrance qui l’accablait s’envolait dans cette violence.

Malgré un mouvement de recul, Damien resta près de lui. Son visage se ferma seulement un peu plus.

– Arrête tes conneries, Josh.

– Va-t’en.

Il frappa de nouveau la poitrine de Damien, l’envoyant plus loin et mettant toute sa volonté à ignorer le pli amer qui incurva les lèvres de son coéquipier en réponse. Alors qu’il allait encore le pousser, celui-ci lui attrapa le bras et s’avança vers lui.

Josh tenta de s’écarter, blessé autant dans son amour-propre que par la conscience de sa propre connerie. Et surtout, voir Damien si proche de lui faisait se réveiller une blessure différente : celle du désir.

– Barre-toi, souffla-t-il de nouveau d’une voix qu’il sentit vacillante – mais qui était pourtant un avertissement, le plus fort, le plus ultime.

Son dos heurta le mur, lui faisant prendre conscience qu’il avait reculé.

– Non.

Alors, à cause de la colère, de la frustration et de tout ce qu’il ne pouvait pas exprimer autrement, son poing se crispa et, sans même qu’il ait eu le temps d’y réfléchir, partit vers le visage de Damien.

Quand le son sourd du choc résonna contre les murs de la douche, ce ne fut pas le regret qui envahit Josh, plutôt du désarroi, une perte de sens. Il regarda, haletant, Damien reculer en se tenant la mâchoire, tâchant d’encaisser le coup, tandis que son propre poing le lançait. Il se sentait perdu. La colère qui courait dans ses veines se mêlait à autre chose : un mélange d’envie, de peur et de curiosité.

– Putain, Josh, grogna Damien en frottant son menton. C’est trop te demander d’arrêter de faire le con ?

La culpabilité rampa dans son ventre, monta jusqu’à lui serrer la gorge, jusqu’à l’oppression.

Damien planta son regard dans le sien, plus dur cette fois, plus inquisiteur, mais il n’ajouta rien. Il se contenta de l’observer longuement.

– Va te faire soigner, lança-t-il au bout d’un moment.

– Non.

Josh sentait pourtant toujours la brûlure dans son cuir chevelu.

– Laisse-moi tranquille…

En prononçant ces mots, même lui pouvait sentir à quel point il était con, sur le coup, et à quel point il était incohérent, et à quel point il devait être une plaie pour tout le monde.

Que Damien se barre, après tout. Qu’il le laisse se vautrer dans sa souffrance et sa connerie.

Mais celui-ci s’approcha encore d’un pas et Josh ferma les yeux, un frisson le parcourut alors qu’il se plaquait contre le carrelage.

– Putain, lâche-moi…

C’était une supplique et il se détesta pour le désespoir qui perçait dans sa voix. Damien ne répondit pas. Alors, il tenta de nouveau de le repousser, mais son coéquipier résista. Le carrelage glissait toujours sous leurs pieds, Josh poussa plus fort, ils se battaient comme des idiots à présent et, soudain, il se sentit chuter. Son dos rencontra le sol dans un choc sourd, tandis que Damien le suivait bientôt, s’effondrant sur lui, ses genoux de part et d’autre de son corps. Et, parce que leurs corps s’échouèrent l’un sur l’autre et se pressèrent un instant, Josh éprouva ce qu’il aurait voulu ne jamais avoir à ressentir en une telle circonstance : une sensation brûlante qui se figea profondément dans son bas-ventre : de l’excitation.

– Merde…

Après un bref instant de désespoir, il se débattit pour tenter de se dégager le plus rapidement possible de ce contact qui lui était insupportable. La sensation des vêtements que portait Damien contre sa peau lui semblait invasive, comme marquant encore plus profondément sa propre nudité.

– Casse-toi, gronda-t-il.

Et, comme il ne savait pas comment l’éloigner de lui sans faire appel à la violence, il tenta de frapper Damien au visage mais celui-ci détourna la tête, et il n’atteignit que son oreille.

Damien se redressa d’un bond, les paupières crispées et un sifflement filtrant d’entre ses dents serrées.

Josh recula, mal à l’aise. Il allait se relever quand Damien l’en empêcha, le renvoyant au sol d’une main plaquée sur sa poitrine. Il se tenait toujours l’oreille.

– Tu ne bouges pas.

– Pourquoi ?

– Putain, Josh, tu saignes !

Confus, il sonda de nouveau son cuir chevelu : ses doigts revinrent avec une couleur rosée, le sang s’était dilué dans l’eau sur le sol de la douche.

– Ce n’est pas grave.

– Tu vas à l’infirmerie.

– Je ne crois pas, non.

Il réessaya de se lever mais Damien l’en empêcha une fois de plus. Sur une impulsion, Josh saisit le maillot de Damien et le tira vers lui. Leurs corps s’entrechoquèrent, mais il n’était plus question de trouble cette fois, ils n’étaient plus que colère et affrontement. Ils se battirent sur le sol jusqu’à finir haletants, Josh serrant encore le col du maillot de Damien dans sa main, tandis que celui-ci le surplombait. Josh sentit la tête lui tourner. Voir le visage de Damien au-dessus du sien, ses mèches brunes qui retombaient vers lui, la lueur confuse dans ses prunelles lui apparut comme trop cruel, soudain. Trop captivant. Il était absorbé par ce visage qui se trouvait si près de lui, si accessible et, d’une certaine façon, si dangereux aussi.

– Qu’est-ce que tu veux ? souffla alors Damien.

Et sa voix avait pris un ton nouveau, comme intime.

– Je…

Les mots s’écrasèrent dans sa gorge, incapables de sortir.

Son cœur battait à toute vitesse dans sa poitrine.

Damien se dressait au-dessus de lui, essoufflé.

– Putain, Josh…

Alors que leurs regards plongeaient l’un dans l’autre, hagards et brillants, Josh sentit la main avec laquelle il tenait encore le col de Damien trembler.

– Qu’est-ce que…, murmura de nouveau ce dernier, mais il ne finit pas sa phrase.

Il se contenta de rester au-dessus de lui, le noir de ses yeux comme dilué.

Puis, d’un coup, l’impensable se produisit, et les lèvres de Damien furent sur les siennes, douces, chaudes et exigeantes… et ç’aurait pu être le baiser le plus magnifique de sa vie, le plus formidable, le plus envoûtant, si une part de lui ne s’y était pas opposée brutalement.

Alors, instinctivement, il posa une main sur la gorge de Damien et il poussa. Les lèvres de son coéquipier s’arrachèrent aux siennes, le laissant avec une sensation de perte si forte qu’il aurait pu se tendre pour les recapturer. Mais, à la place, il ferma l’autre main en un poing qu’il envoya à travers le visage de Damien.

Le bruit du choc, sourd, des os de sa main contre la pommette de Damien, sonna odieusement à ses oreilles, et il sentit tout son bras se mettre à trembler.

Damien ne s’écarta pas. Il laissa juste sa tête tourner aussi loin que nécessaire pour encaisser le coup et s’arrêter un moment de côté. Lorsqu’il ramena son visage vers lui, son regard s’était chargé de souffrance et Josh sentit avec plus de vivacité encore la culpabilité grossir en lui.

Il reposa sa main sur le sol. Son corps se relâcha, rendant soudain les armes.

– Laisse-moi, murmura-t-il encore, douloureusement conscient que son attitude indiquait le contraire.

Au-dessus de lui, Damien resta silencieux, la pommette rougie et une expression dure sur le visage. Parce que cette fois encore, il ne l’écouta pas et parce que Josh avait épuisé ses réserves en matière de supplications, il se sentit devenir mauvais. Le provoquer lui apparut comme la dernière option possible et son ventre se creusa alors que du venin sortait de sa bouche :

– À moins que tu ne veuilles me sauter ?

Le mépris qu’il avait mis dans ces paroles lui arracha les lèvres, tant tout en lui se révoltait contre son attitude. Il persista néanmoins et alla jusqu’à étendre le bras au-dessus de sa tête en une position qui, dans son apparence offerte, n’en était pas moins agressive.

– Vas-y, alors.

– Tu fais chier, Josh…

Malgré son ton sec, Damien ne bougea pas. Son souffle était toujours rapide, court, un curieux miroir du sien.

– Vas-y, insista Josh, mais d’un ton moins assuré – un ton qui laissait resurgir la partie de lui-même qu’il aurait voulu oublier : celle qui, malgré toutes ses contradictions, espérait que Damien le prendrait au mot.

Épuisé, perdu, il laissa retomber sa tête sur le côté.

Au sol, des liserés d’eau luisaient toujours, reflétant les lumières de la pièce, et, plus loin, les quelques gouttes qui tombaient régulièrement d’un robinet mal fermé résonnaient dans le silence de la salle, comme pour renforcer la sensation de vide et d’isolement autour d’eux.

Damien posa une main sur son torse et Josh frémit, mais ne la repoussa pas. Il sentait son cœur battre puissamment contre cette main qui le touchait, puis redoubler encore de force lorsque Damien se pencha vers lui, son souffle effleurant son oreille. Des mots durs sortirent de sa bouche :

– Pas comme ça.

De dépit, Josh ferma les yeux. Lorsqu’il reprit la parole, ce fut de nouveau de la bile qui s’échappa de ses lèvres :

– Tu préfères par-derrière, peut-être ?

– Tu fais vraiment chier, répéta Damien, en s’écartant de lui pour se redresser.

Sa tenue était trempée et des traces de terre maculaient encore ses cheveux. Avec sa lèvre, gonflée là où son poing l’avait atteint, ça lui donnait un air défait.

– Lève-toi, ordonna Damien.

– Non.

– Putain…

Damien frappa le mur d’un coup si violent que Josh frémit. Puis il tourna le robinet et la douche se mit à cracher un jet puissant qui imbiba ses vêtements déjà mouillés et salis par le match et le sol.

De là où il était allongé, Josh le regarda se dresser sous l’eau, frotter ses cheveux et son cou, se débarrasser peu à peu de la boue et de la sueur qui le recouvraient encore.

Les doigts de Damien s’égaraient régulièrement sur son crâne, comme si torturer son cuir chevelu pouvait l’aider à remettre en ordre ses pensées. Lui aussi semblait perturbé.

D’un geste brusque, il ôta son maillot et laissa l’eau lui couler sur le dos. Il se tenait toujours face au mur et Josh contempla le trajet du liquide sur sa peau, le regarda parcourir ses muscles et glisser sur son short imbibé qui collait aux formes de son corps. L’image lui parut profondément sexuelle, bien qu’il ne s’agisse pas de la première fois qu’il voyait Damien à demi nu. L’intimité des vestiaires avait tendance à défoncer tel un bulldozer certains concepts, comme celui de pudeur. Mais s’il était honnête, il devait reconnaître qu’il avait toujours eu tendance à être happé par la vision du physique de Damien. En cet instant, il aurait pu être effrayé : son corps était attirant à l’indécence et il ne savait pas vraiment ce qu’il voulait. Et pourtant, c’était une autre émotion qui dominait : le désir. Un élan incontrôlable et puissant au point de rendre secondaires toute la rancœur et toute la souffrance qu’il avait pu éprouver. C’était comme si ces dernières se cumulaient au contraire pour rendre l’instant plus fort et le besoin plus désespéré.

Longtemps, il resta immobile, contemplant Damien, cet homme qui, bien malgré lui, était en train de causer sa perte. Lorsque celui-ci finit par se retourner, Josh sentit son excitation redoubler, douloureuse dans son corps comme dans son âme.

Damien le toisa.

– Qu’est-ce que tu as ? demanda-t-il d’un ton sec.

Josh laissa son regard partir dans le vague, là où la lumière des néons se reflétait sur l’eau. Il ne répondit pas.

– Lève-toi, le secoua Damien.

Josh resta silencieux, allongé au sol. Il était bien là où il se trouvait, sa tête ne lui faisait pas mal quand il la laissait posée et son esprit était trop engourdi pour qu’il puisse voir un intérêt au fait de se mouvoir. Peut-être que rester étendu était ce qu’il y avait de mieux à faire, finalement. Et ne plus jamais bouger.

– Je vais t’emmener voir le docteur, insista Damien.

Josh toucha précautionneusement son crâne. Il était toujours en train de saigner, bien que faiblement. Qu’est-ce qu’il foutait, bon sang ? Il aurait dû aller se faire recoudre depuis longtemps, mais la main que lui tendait Damien lui semblait impossible à saisir. Il ne pouvait ignorer le fait que son sexe était légèrement gonflé et cette conscience le blessait plus cruellement qu’aucune des plaies qui avaient marqué son corps au cours des années. Il se demanda si Damien s’en était rendu compte.

– Je croyais que tu voudrais me baiser, souffla-t-il, mais même lui ne savait plus s’il s’agissait d’une nouvelle provocation ou d’un témoignage de dépit.

Damien dut opter pour le premier sens car une expression amère se peignit sur son visage. Il passa une main lasse dans les mèches brunes qui lui retombaient sur le front.

– Je savais que tu étais con, mais pas à ce point.

Josh ne risquait pas de le contredire.

Alors que Damien lui offrait de nouveau sa main, il fit l’effort de la saisir.

Mais au lieu de se relever, il tira dessus, juste assez pour le faire tomber, appréciant de voir Damien chuter à quatre pattes au-dessus de lui.

– Putain, Josh…

Le torse de Damien se trouvait tout près du sien et il sentit les battements de son cœur, lourds et puissants, se répercuter dans sa propre poitrine lorsqu’il l’attira soudain contre lui.

Il attendit que Damien parle, mais aucun son ne sortit de sa gorge. Seuls leurs souffles s’accélérèrent, se répondant dans le silence. Finalement, ce fut leurs corps qui s’exprimèrent à leur place. Josh ferma les paupières en sentant son sexe se dresser plus nettement, puis se raidit quand il entra en contact avec celui de Damien. Leurs verges, à tous deux, étaient dures et la sensation de leurs membres se touchant à travers la toile trempée, si fine, qui les séparait provoqua en lui des décharges inattendues d’excitation. Pantelant, il plongea son regard dans celui de Damien.

Durant de longues secondes, brûlantes, ils restèrent ainsi, les yeux dans les yeux. Puis les lèvres de Damien se rapprochèrent des siennes – à peine – et Josh détourna le visage. Un réflexe, idiot, mais qu’il fut incapable de contenir. Un soupir las lui répondit, avant que le front de Damien vienne cogner contre le sol, juste à côté de son cou.

– Si tu ne le veux pas, dis-le, chuchota Damien.

Sous la caresse de sa voix, Josh ferma les paupières.

Instinctivement, il creusa les reins pour créer une pression plus marquée entre leurs deux sexes. Alors, Damien se pressa contre lui, avec des mouvements si proches de ceux de la pénétration que Josh appuya les dents sur sa lèvre inférieure, et ne la relâcha qu’avec un souffle tremblant, submergé par une vive excitation.

Il tourna le visage vers Damien et le contempla du coin de l’œil. Le front appuyé sur le sol, ses mèches brunes collées sur le carrelage, il arborait une expression attentive et, à la fois, curieuse. Il donna un nouveau coup de bassin et Josh se liquéfia, de longues traînées brûlantes se répandant dans son ventre. Lorsque les lèvres de Damien firent mine de se rapprocher de lui, il détourna pourtant encore une fois la tête.

– Merde.

Puis le corps qui le tourmentait s’écarta légèrement et une main s’enroula autour de son sexe, dure et épaisse – et brûlante sur sa chair qui n’était plus que désir, tandis que le souffle chaud de Damien s’infiltrait dans son oreille.

– C’est ça que tu veux ?

A un stade du plaisir – Scène coupée

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : M/M/M/M, romance, érotique, rugby.

Ceci est une scène coupée du roman A un stade du plaisir, sorti aux éditions Harlequin.

Lorsque j’ai écrit cette histoire, j’ai commencé par faire plusieurs versions, et voici une version abandonnée. La scène était partie dans une direction que je ne voulais pas : relativement sombre, mais ça c’est quelque chose que j’aime écrire, mais surtout allant dans une relation où le consentement du personnage était, certes, réel, mais… bof, quoi. Limite, tout de même. Et ce n’était pas ce que je voulais. Ces 3 personnages sont restés présents dans la version finale, mais dans une relation très différente de celle que l’on voit ici, et le deuxième héros, soit celui avec qui Josh vivra une romance, n’apparait pas encore. Cette scène de douche a cependant fait un bon effet sur plusieurs amies qui l’ont lue, et je l’aime bien, aussi.

Note : Le texte qui suit est écrit du point de vue du héros, soit Josh.

A un stade du plaisir - Scène coupée

Juan tourna le visage vers Angélo.

— Tu devrais le laisser tranquille, dit-il.

— Pourquoi ?

La main d’Angélo naviguait sur son torse et son regard était fixé sur son bas-ventre, là où — Josh le savait — son propre membre ne cessait de se relever au fur et à mesure que ses doigts descendaient vers lui.

Josh appuya plus fortement la tête contre le carrelage, derrière lui, et leva les yeux au plafond. Le désir pulsait violemment à l’intérieur de lui, dangereux. Positionné sur sa gauche, en opposition à Angélo, Juan ne le touchait pas. Seulement, il l’observait, comme s’il cherchait à lire dans son regard, à décrypter ce qui se jouait sous le grain de sa peau.

— Tu veux ?

Il ne répondit pas à cette question de Juan. Il se serra juste plus intensément contre le mur, y plaqua les mains et, lorsque celle d’Angélo parvint sur son membre tendu, ferma vivement les paupières en relâchant un souffle tremblant. L’excitation explosa avec tant de force en lui qu’il se rendit compte que, si, au lieu de s’enrouler simplement autour de sa chair, les doigts s’étaient mis à le caresser, il aurait pu jouir dans l’instant.

Alors, il rouvrit le regard, fixa Juan, un temps, puis osa le diriger sur Angélo, inquiet de ce qu’il allait y voir. Curieusement, celui-ci n’affichait pas l’une de ses expressions méprisantes, mais plutôt attentive, bien que supérieure, comme toujours.

— Tu vois ? dit Angélo à Juan.

— Oui.

— Je te le disais.

Et Josh eut à peine le temps d’intégrer ces paroles que la main d’Angélo se mit en mouvement sur son sexe tandis que son souffle se rapprochait de son cou, le caressant et tirant des décharges de plaisir de son corps. De réflexe, il tendit le cou en arrière, haleta, se raidit, conscient au fond de lui que, malgré toute la crainte qu’il éprouvait, ce qu’il se passait était exactement ce qu’il avait voulu, ce qu’il désirait au plus profond de lui-même. Sa tête retomba sur le côté et il fut surpris en rencontrant celle de Juan qui le laissa pourtant s’appuyer contre sa pommette. Étonné, il rouvrit les paupières tandis que les doigts d’Angélo se mouvaient toujours sur son sexe, le faisant frôler la jouissance, et ne put voir l’expression du visage de Juan, celui-ci étant trop proche de lui, mais put le sentir tourner légèrement la tête. Et lorsque sa main se posa sur son torse, et que ses doigts se saisirent de son mamelon, et qu’ils le firent rouler doucement, la chaleur qui grondait déjà dans son ventre explosa et il se répandit sur la main chaude qui l’enserrait, le faisant se vider en longues saccades alors que son corps entier tremblait sous la force de l’orgasme éprouvé.

Un temps, il resta pantelant, toujours appuyé contre le mur froid de la douche de laquelle plus rien ne coulait. Seules quelques gouttes, un peu plus loin, apportaient un résonnement régulier qui renforçait l’atmosphère de silence et de vide de la salle.

Puis Josh vit Angélo et Juan se faire un signe de tête avant de commencer tous deux à se déshabiller.

***

Quand il contempla les corps d’Angelo et de Juan devant lui, Josh aurait pu se trouver devant une image connue : il les avait déjà vus nus dans l’intimité des vestiaires. Il aurait pu se trouver devant quelque chose d’effrayant : leurs sexes étaient tendus et il ne savait pas ce qu’ils voulaient faire de lui. Ce qu’il éprouva le plus fortement fut pourtant de l’excitation. Sa verge vidée collait à sa cuisse mais tout son organisme vibrait encore d’un brasier inconnu, puissant au point de rendre secondaire toutes les pensées qu’il pouvait bien avoir et qui, pourtant, comportaient un certain nombre de signaux d’alarme.

Il se laissa glisser au sol, suivant le carrelage dans son dos, sans réfléchir, captivé par la vision qui se dressait en face de lui. Surtout, il regarda Juan. Juan chez qui, bien malgré lui, tous ses fantasmes se concentraient. Juan qui resta en arrière alors qu’Angélo s’approchait de lui. Comme si la configuration avait été faite pour qu’ils se trouvent à ce moment-ci exactement dans cette position, son sexe se présenta devant son visage, proche, si proche, alors qu’Angélo prenait appui des deux mains contre le mur.

— C’est bien ce que tu veux, non ?

Josh leva les yeux sur son visage, le trouvant haut au-dessus de sa tête. Encore une fois, et contrairement à ce dont il avait l’habitude, l’expression d’Angélo n’était pas agressive, juste pressante et invasive, comme s’il le sondait par ces paroles. Il évita de répondre. Juan s’accroupit à ce moment auprès de lui et Josh fut tellement troublé par cette présence soudaine qu’il en manqua une expiration. Il sombra alors dans son regard, dans ces yeux qui le captivaient si aisément.

— Si tu ne le veux pas, dis-le, lui chuchota-t-il.

Et Josh se laissa envahir par ces paroles, touché qu’elles lui soient adressées.

— Joshua, l’appela Angélo.

Celui-ci usait toujours de son prénom complet le concernant. Après un temps de silence, il répéta pourtant en corrigeant :

— Josh.

Le changement soudain attira son attention et il releva la tête vers ce dernier, le trouvant de nouveau penché sur lui, son sexe à quelques centimètres de ses lèvres.

Juan se redressa à ce moment-là.

— Angélo… Je ne suis pas sûr qu’il veuille.

— Avec toi, il veut.

L’annonce fit à Josh l’effet d’un coup de poignard, la manière dont le fixa Juan à ce moment-là aussi. Angélo lisait visiblement avec beaucoup de clarté en lui.

Juan échangea un regard avec ce dernier, un regard qui, s’il ne le confirma, ne s’opposa pas à ce qu’il avait dit.

— Dis-le, exigea alors Angélo, et Josh vit dans ses yeux émaner soudain quelque chose de sombre. Quelque chose à quoi il ne s’était pas attendu. Quelque chose qui l’excita vivement, malgré lui.

— Je vais y aller, souffla-t-il avec empressement en commençant à se relever pour tenter de se défiler, mais Juan ne le laissa pas faire.

D’un coup, il se saisit de ses cheveux et il plaqua la tête contre le mur, le faisant se cogner au carrelage.

— Dis.

Son cœur battait à toute allure et il voyait le sexe de Juan se présenter devant lui, ce sexe auquel il avait tant fantasmé auparavant, qu’il avait imaginé plusieurs fois entrer dans sa bouche, franchir la barrière de ses lèvres et… plus bas encore, l’écarter.

— Oui, avoua-t-il et, pour confirmer son aveu, et alors que sa poitrine abritait des battements plus vifs encore, il ferma les yeux et ouvrit les lèvres.

Si la sensation du sexe de Juan ne l’avait pas violemment excité, le son du soupir que celui-ci lâcha en franchissant la barrière de sa bouche aurait pu le faire à lui seul. Josh se positionna plus confortablement sur ses genoux, laissant la chair désirée glisser sur la surface offerte de ses lèvres jusqu’à ce qu’elle prenne sa place en lui. Là, Juan s’immobilisa et Josh leva la main pour la placer sur sa hanche solide, avant que l’autre la rejoigne de l’autre côté. Il sentait les muscles puissants sous ses paumes : ceux des cuisses à la lisière de ses poignets, ceux des fesses à l’extrémité de ses doigts, là où il brûlait de les glisser, de toucher les globes puissants, de s’y agripper. Mais il les laissa juste en place et s’en servit pour repousser le corps de Juan, juste assez pour lui laisser l’amplitude suffisante pour revenir de lui-même dans sa bouche.

Maintenant

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : PWP, foursome, M/M/M/M, érotique, romance.

Résumé : Des douches des vestiaires. Ou de la nécessité de suivre ses pulsions lorsque, après avoir consciencieusement veillé à ne jamais montrer son homosexualité dans le milieu du sport, l’on voit son coéquipier se diriger vers les douches avec un clin d’œil significatif à son intention.

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MaintenantEncore

Maintenant

Les plastrons et les épaulettes claquèrent tandis que Victor pénétrait dans les vestiaires avec les membres de son équipe. Le public criait toujours au-dehors, hurlait, acclamait. La sueur coulait sous leurs casques. Il se posa lourdement sur le banc, ôta lentement ses protections et, plus progressivement encore, commença à se dévêtir, prenant son temps, marquant des pauses. Les autres se bousculaient en s’amusant et l’euphorie de la victoire les rendait plus surexcités qu’ils ne l’avaient été avant le match. Victor, lui, resta à l’écart de ça.

Petit à petit, il les vit se déshabiller, passer les uns les autres à la douche, remettre leurs vêtements de ville, puis sortir. D’autres équipes avaient pris leur suite, dehors, comme en attestaient les applaudissements des spectateurs et les appels au micro du commentateur. Seul Victor resta assis, encore en short, tandis que ses coéquipiers quittaient la pièce. Il attendait toujours de se retrouver seul avant de se laver. Ce n’était pas quelque chose qu’il se laissait aller à faire avec les autres. Il réagit à leurs boutades habituelles concernant sa pudeur présumée en faisant semblant de s’en amuser. Colin, cependant, n’était pas encore sorti. Il tâcha de faire comme s’il ne voyait pas son corps nu. Il fixa ses pieds, attendant.

Il détestait les passages aux vestiaires comme d’autres haïssent les fêtes de fin d’année, ou tous ces autres moments pour lesquels il était attendu un état d’esprit. Ce qu’il aurait dû éprouver, il le savait : l’impatience, la peur, l’exaltation, la franche camaraderie, les effusions viriles, frappes sur l’épaule, et l’amitié tellement dénuée du moindre sous-entendu qu’on pouvait se palper les fesses sans qu’il y ait là de geste déplacé. Pourtant, chez lui, tout était déplacé : ses pensées, lorsque son regard se posait sur les corps nus de ses camarades, ses réactions physiques lorsque ceux-ci le touchaient, ses perceptions lorsque l’un d’eux lui souriait d’une manière qui aurait pu signifier toute autre chose qu’une simple expression d’affection… Surtout avec Colin. Colin dont les sourires en coin semblaient toujours porter en eux un second degré, Colin qui ignorait la pudeur, Colin qui devait être le seul type au monde capable de faire des étirements, entièrement à poil, à l’intérieur des vestiaires, Colin qui était resté seul, dans la pièce encore saturée d’odeur de sueur alors que les clameurs du public noyaient toute possibilité de conversation dans un désordre sonore.

Puis Colin se redressa et, lorsqu’il se positionna debout face à lui, Victor put voir que son sexe affichait un début d’érection. Surpris, il releva le visage, reconnut l’un de ses habituels sourires en coin, alla jusqu’à chercher son regard… Et patienta.

Soudain, l’attente ne fut plus si pénible. Elle était devenue fébrilité, ferveur, instant suspendu dans le temps où tout était possible, où le moindre acte serait porteur d’une signification plus forte que tout ce qui avait pu se produire précédemment : provocation ou moquerie… invitation, peut-être. La porte des vestiaires s’ouvrit à ce moment et, si Colin attrapa sa serviette pour s’en entourer rapidement le bassin, il ne se dirigea vers les douches qu’après lui avoir lancé un clin d’œil.

Victor eut un temps d’hésitation. Il le regarda passer derrière la paroi carrelée, plus loin.

Alors, aussi négligemment que l’imposait l’arrivée de leurs collègues, il se leva. Son regard effleura le sol, se releva lentement vers les deux hommes qu’il salua de la tête, se dirigea vers l’endroit où Colin avait disparu. Il sentait son pouls battre si distinctement dans ses tempes que sa tête lui tournait.

Une fois arrivé à l’entrée de la douche, il se posa contre le mur pour profiter du spectacle qu’il découvrit. Adossé au carrelage au fond de la pièce, Colin avait renversé la tête sous l’eau chaude et son sexe était, cette fois, entièrement dressé. Un nuage de vapeur commençait à se diffuser au sol et les cris du public assourdissaient jusqu’au tapotement des gouttes à ses pieds, les isolant. Victor n’hésita pas. Sa respiration s’était accélérée et son esprit n’était plus fixé que sur le corps qui se dressait face à lui. Le sexe tendu qui l’appelait. D’un pas mesuré, il marcha vers lui, ôta en chemin son short qui ne dissimula plus sa propre érection puis, une fois parvenu à sa hauteur, d’un coup, il tomba à genoux. Comme en extase. Et prit sa hampe dans sa bouche. C’était ce qu’il voulait, ce qu’il avait crevé de faire toutes les fois où il l’avait vu nu devant lui. Les doigts de Colin entrèrent dans sa chevelure, s’y serrèrent, et il enfourna profondément sa verge, suça, aspira, se gava de cette chair chaude qu’il désirait en lui, la faisant glisser sur les parois de sa bouche, la surface de ses lèvres, la possédant comme il aurait aimé qu’elle le possède. Ses mains se crispaient sur les fesses de son partenaire, palpaient les muscles à sa portée, y enfonçaient les doigts, tandis qu’il continuait à aller et venir le long de son sexe et que l’eau leur tombait toujours dessus.

Il aurait aimé prendre sa propre verge dans sa main, mais il ne savait pas s’il pouvait se le permettre. Peut-être que Colin n’avait besoin que de drainer l’excitation née de leur match, peut-être qu’il n’acceptait sa bouche que parce qu’elle lui procurait ce qu’une femme aurait pu lui offrir ; il ignorait si le voir dans sa masculinité, avec ses gestes et ses besoins d’homme, risquerait de le faire fuir. Il ne se posa pas plus de questions. La chair dans sa bouche l’échauffait profondément et il accéléra ses allées et venues, jusqu’à ce que Colin resserre les doigts sur son crâne et jouisse dans un mouvement de hanches et une avancée plus vive des reins. Au comble de l’excitation, il avala ce qui se présenta à lui, conscient que son propre sexe pulsait d’envie. Lorsqu’il relâcha celui de Colin pour relever le visage, il fut surpris de le voir regarder ailleurs : derrière lui, avec un sourire amusé. Aussitôt, il se retourna. Les deux hommes qui étaient entrés dans les vestiaires — deux joueurs d’une autre équipe — se tenaient à l’entrée de la douche, nus également, et ils le fixaient avec une inclinaison particulière des lèvres.

Leurs sexes, à eux aussi, étaient dressés.

Alors, Victor sut ce qui allait se passer. Et l’attendit avec une profonde fébrilité. Le premier avança, lui présenta sa verge, comme il était encore à genoux devant celle de Colin. Et, puisqu’il ne désirait rien de plus, il s’empressa de la prendre dans sa bouche, tandis qu’il tendait la main pour caresser dans le même temps celle du deuxième joueur. Longuement, il aspira, conscient au fond de lui-même qu’il était en train d’enfreindre toutes les règles qu’il s’était fixées durant toutes ses années dans le milieu du sport : celle de ne jamais coucher avec un autre joueur, celle de ne jamais montrer son homosexualité… Les autres membres de son équipe, de plus, n’étaient pas loin. Il ignorait ce que pourrait raconter Colin après un tel évènement, il ignorait ce qu’il pourrait se produire si d’autres entraient. Sur le moment, pourtant, il s’en moquait. L’excitation, violente, embrumait son cerveau et il suça avec délectation, passa d’une verge à l’autre, les prenant chacune leur tour dans sa bouche, caressant l’autre pendant ce temps… Colin se tenait à côté de lui, passant par moment les doigts dans les mèches trempées de ses cheveux, descendant sur sa joue, en des gestes si doux et si troublants qu’il finit par lâcher la hampe qu’il aspirait pour presser son visage dans sa paume, se gavant de son contact.

Un signe le fit alors se relever et il suivit l’invitation de son partenaire à s’appuyer contre le mur. Sans le lâcher du regard, il y posa les deux mains, inclina les reins et écarta les cuisses. Son excitation était à son paroxysme et son sexe si tendu qu’il le sentait pulser. Il laissa tomber son visage vers l’avant et ferma les paupières, dans l’attente et l’envie. Des mains se posèrent sur ses hanches, le faisant haleter et pousser de réflexe vers l’arrière. La première verge qui s’enfonça à l’intérieur de lui, aidée par l’eau qui persistait à s’écouler sur eux, le fit gémir. Il voulait ça, oui, c’était tout ce à quoi il avait toujours rêvé lors de ces temps de silence dans les vestiaires, lors de ses contemplations discrètes des corps nus de ses camarades, lorsqu’il les voyait partir se laver en se débrouillant toujours pour être trop lent ou trop rapide pour les y croiser… Il serra les dents sur ses lèvres alors que le sexe qui le pénétrait coulissait dans son corps, frottait contre sa prostate, provoquant en lui des éclairs de plaisir qui éclataient en d’innombrables piques qui se propageaient jusqu’à l’intérieur de son ventre. Les va-et-vient suivirent, s’intensifiant et le faisant presser de plus en plus fortement les mains contre le carrelage pour ne pas glisser, serrer ses lèvres l’une contre l’autre pour s’empêcher de gémir, retenir parfois sa respiration. Il ne savait toujours pas s’ils le voulaient en tant qu’homme ou en tant que corps à leur disposition et craignait que toute manifestation trop nette de sa virilité — sa voix comprise — casse ce qui était en train de se produire. Alors, il retint ses manifestations d’extase tant qu’il le put, jusqu’à ce que le plaisir pulse même à l’intérieur de sa tête, jusqu’à ce qu’en de longs coups de reins, plus hachés et plus rudes, l’homme qui se trouvait derrière lui atteigne la jouissance…

Lorsqu’il se retira, il ne bougea pas de posture. Pas le moindre instant, il ne resserra les cuisses ou redressa son torse. Seulement, il attendit. Son sexe gouttait d’excitation et tout son corps était tendu dans l’attente et le désir de ce qui allait suivre.

Enfin, un autre homme le prit : le deuxième joueur qui était entré dans la douche. Il le comprit en voyant Colin s’approcher de son visage. Il releva le sien vers lui, le fixa malgré la force de son trouble. Lorsque Colin s’empara de ses lèvres, il se versa entièrement dans leur baiser, tordant le cou pour rester au plus proche de lui, pour en avoir plus, pour garder plus longtemps son contact. Et il gémit quand celui-ci se rompit, autant de frustration que de plaisir parce que le sexe qui le pénétrait venait de se presser contre la partie la plus sensible de son anatomie et que des décharges d’extase le lançaient dans tout son corps. Le rythme s’intensifia et il haleta, souffla, frémit tandis que les poussées se faisaient plus rapides. Son sexe était dressé à son plus haut niveau, si dur, presque douloureux tant il avait envie de jouir. Il aurait voulu l’empoigner, lui offrir la caresse qui lui manquait pour se propulser vers la jouissance, mais il craignait de se permettre ce geste et il peinait de toute façon tellement à se maintenir sur le carrelage glissant qu’il ne risquait pas de s’y appuyer d’une seule main. Les coups de reins se firent plus rapides, percutant à chaque fois la masse de son corps qui lui procurait le plus de plaisir, et il serra les dents alors que son partenaire progressait vers l’orgasme. Quand il sentit une main s’enrouler autour de son sexe, il rouvrit des yeux embués pour découvrir le visage de Colin auprès de lui, surpris qu’il le caresse soudain.

Quelques mouvements suivirent, aussi rapides et puissants que ceux en lesquels l’homme derrière lui le pénétrait et, d’un coup, il jouit. Violemment. Le plaisir explosa dans tout son corps, l’emplissant des traînées incendiaires de l’extase, et le vidant en même temps : de sa semence, de son énergie… Au point qu’il ne parvint à rester appuyé contre le mur que parce que l’homme derrière lui le maintint en place.

Lorsque celui-ci eut atteint son orgasme à son tour, Victor glissa au sol, finit étendu sur le carrelage, l’eau tombant toujours sur sa peau et lavant son corps comme les traces de leur étreinte, emportant tout dans un tourbillon liquide.

En sentant l’eau s’arrêter de se répandre sur son visage, Victor rouvrit les yeux. Colin venait de fermer le robinet et il se tenait au-dessus de lui, des gouttes tombant de sa chevelure et sinuant sur sa chair. Une brume de chaleur persistait dans la salle, enveloppant son corps comme un halo. Elle ne tarderait pas à se dissiper. Un petit sourire en coin était revenu sur les lèvres de son coéquipier et, de nouveau, son sexe affichait un début d’érection. Victor songea qu’il était le seul à ne pas l’avoir pénétré. À cause du brouhaha persistant, Colin s’accroupit pour lui parler à l’oreille.

– Tu veux rentrer ?

– Où ?

– Chez moi.

Victor apprécia la promesse de ces paroles, la laissa entrer dans son corps et réchauffer autant son bas-ventre que l’intérieur de sa poitrine.

– Maintenant ?

– Oui.

– Maintenant, alors, confirma-t-il.

Il n’avait pas envie d’attendre, puisque Colin le voulait en tant qu’homme.

Maintenant.