La révélation de Claire – saison 2 de L’initiation de Claire (1)

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Érotique, BDSM, hot.

Résumé : C’est indéniable, pour Claire : Mathieu la fascine, la trouble, éveille en elle des désirs ardents et des sentiments oubliés. Pourtant, Mathieu reste dur et elle n’est pas sûre de pouvoir le suivre, pas sûre de pouvoir lui offrir ce dont il a besoin, surtout avec l’arrivée de la Nuit Noire et la présence de plus en plus oppressante de la Maîtresse au-dessus d’eux. Claire parviendra-t-elle à se libérer, tant sexuellement que sentimentalement ? Et surtout : y trouvera-t-elle enfin l’épanouissement ?

Roman sorti en numérique aux éditions Harlequin, et bientôt en papier ici ! Vous pouvez lire toute la première partie de ce roman (20%). Profitez-en !

Première partie

Avachi sur le canapé, Mathieu observait Claire. Elle était celle qu’il entraînait dans ses déviances. Celle dont les parts d’ombre répondaient aux siennes.

Elle releva le visage, et il observa l’arc que décrivaient ses longs cils, son regard, vague sur les premières secondes, qui se réaffirmait progressivement, alors qu’elle sortait de ses pensées, la forme de sa bouche, tandis qu’elle refermait ses lèvres bombées… Tout le captivait et l’intriguait. Tout éveillait en lui le besoin, sombre, de la mettre à l’épreuve.

Elle but quelques gorgées dans la tasse qu’elle serrait de ses deux mains, puis la posa sur la table basse qui les séparait. Ses doigts fins calèrent une mèche de sa chevelure ébène derrière son oreille. Puis elle plongea les yeux dans les siens. L’affrontant. Témoignant de son acceptation de se plier à ses envies, mais pas seulement : il décelait quelque chose de plus, dans son regard. Une forme de confiance qui le perturbait, probablement parce qu’il ne l’imaginait pas autrement qu’éphémère.

Il répéta sa question :

– Comment tu te sens ?

– Ça va.

Olivier remua sur le canapé, attirant son attention. Il se tenait à ses côtés, soutien autant que maître de cérémonies : le fait que l’acte qui se préparait se déroule dans son appartement le désignait comme tels. L’affection qu’il commençait à ressentir pour Claire jouait aussi, Mathieu ne pouvait l’ignorer.

Quand Olivier se pencha en avant, prenant appui de ses coudes sur ses genoux pour se rapprocher de Claire, son regard se fit incisif.

– Tu n’as pas peur ?

– Si, répondit-elle sans hésiter.

Il y avait quelque chose de provocant dans la manière d’agir de Claire. Mathieu aimait ça : qu’elle soit capable de reconnaître sa crainte sans s’y appesantir, témoignant simplement de son existence. Rares étaient les personnes qui y parvenaient. L’envie de la soumettre se mit à le tenailler plus durement.

Il appuya la tête sur le dossier du canapé. Un instant, il observa les détails du salon d’Olivier. Il connaissait cet appartement par cœur. Avant même qu’Oliv’ ne s’y installe, ils avaient pris l’habitude d’y venir, tous deux, quand il n’était pas loué par les parents d’Olivier. Entre deux baux. Parfois même durant les vacances des locataires. Ils avaient fait tellement de conneries, dans leurs plus jeunes années, qu’il en oubliait. Mais ça, c’était avant qu’il rencontre le BDSM.

Il avait toujours été captivé par le luxe de cet appartement, parce que très éloigné de ce qu’il possédait lui-même.

Il reporta son attention sur Claire. Elle semblait s’être de nouveau laissé envahir par ses pensées, mais elle se reprit rapidement. Il appréciait sa contenance, sa façon de se tenir sur un fil, à mi-chemin entre deux gouffres, et en même temps d’y rester droite, fière. C’était ce qui lui donnait toujours le plus envie de l’éprouver. De la faire vaciller. L’idée de la pousser à user de ses safewords l’effleura. Il avait rejeté ce désir, depuis qu’il lui avait demandé d’en choisir, mais il revenait par intermittence, toujours aux moments les plus dangereux. Sans doute avait-il été trop sage, ces derniers temps. Il s’était tant refréné ; il avait besoin d’ouvrir les vannes, de se lâcher. Et ce n’était pas forcément une bonne chose. Du moins, pour ce qui allait se passer.

– Et malgré tout, ça ne te freine pas ? insista Olivier.

– Non.

Le calme de Claire donna envie de sourire à Mathieu.

Olivier, lui, s’adossa au canapé en soupirant.

– Tu aurais dû l’exercer avant, dit-il à son intention.

Mathieu haussa les épaules.

– Peut-être…

Olivier soupira de nouveau, profondément, mais n’insista pas.

Il comprenait son anxiété. Il avait rencontré Claire deux mois plus tôt, à une soirée SM où elle s’était pointée comme une fleur dans une forêt épineuse. Elle n’avait rien eu à faire là, il n’avait eu aucune raison de s’occuper d’elle, pourtant, ils avaient fini, lui, son sexe profondément enfoncé dans sa bouche, elle, attachée, à sa merci. Elle avait remis en cause la légèreté avec laquelle il vivait les rapports de domination. Elle avait transformé un jeu sans conséquence en une obsession.

– Vous vous êtes mis d’accord sur combien de coups ? demanda Olivier.

– Cinq.

« Mis d’accord » n’était pas tout à fait exact. Il avait énoncé le compte, Claire avait accepté, c’était tout. Elle avait accepté malgré ses doutes, il le savait. Elle avait accepté parce qu’elle avait décidé de lui faire confiance. À chaque instant, elle pourrait pourtant tout arrêter.

– Bien, commenta Olivier.

Mathieu en eut un bref sourire.

Olivier avait toujours été plus rigoureux que lui. La discipline qu’il observait avec sa soumise, Vanessa, en témoignait. Pour lui, pratiquer la flagellation avec Claire, alors qu’elle n’en avait eu qu’une unique expérience, et ce, deux mois auparavant, était une aberration. Certainement avait-il raison, mais Mathieu ne s’était pas embarrassé de scrupules avec elle, la première fois, alors pourquoi le ferait-il ce coup-ci ? S’il partageait avec Oliv’ la fascination de voir de belles lignes rouges strier une peau lisse, Vanessa était plus portée sur les châtiments corporels que sur le sexe, il était donc normal qu’il donne la primauté à ces pratiques. Claire était différente. Et Mathieu ne la considérait pas comme sa soumise. De soumise, il n’en avait jamais vraiment eu, d’ailleurs, ou du moins pas de soumise régulière, et n’en voulait pas. Claire était juste Claire… Celle qui avait renversé tout ce qu’il avait cru stable ou persistant dans sa vie, celle qui suscitait chez lui le besoin de la protéger et de la tester, de la mener à ses limites, de la voir les franchir et lui céder. Il était curieux de découvrir si elle y trouverait la même libération que lui, la même perte de soi, dans ses désirs les plus viscéraux, les plus profonds…

Il ferma les yeux, conscient des turpitudes de son esprit. Olivier, lui, était moins torturé par rapport à ça. Il éprouvait moins de besoins, aussi. Ils ne vivaient pas de la même manière la domination.

Nerveux, il se leva. Il avait été trop calme, ces derniers temps, trop dans la réserve.

– Cinq coups, lui rappela Olivier d’un ton ferme.

– Oui.

Ils en avaient parlé avant qu’il ne prenne une décision à ce sujet. Il préférait suivre ses impulsions ; planifier, programmer le gonflait, quel que soit le domaine concerné, mais plus encore lorsqu’il s’agissait de sa vie sexuelle – et la domination en faisait partie –, pourtant Oliv’ avait été catégorique. Non seulement la séance se passerait chez lui, mais il s’était assez pris d’affection pour Claire, pour vouloir la protéger. Même s’il ne l’avait pas exprimé verbalement, Mathieu l’avait compris. Il en était amusé et s’était plié à sa demande en conséquence.

– Elle y arrivera, dit-il. Et puis, elle connaît déjà la canne.

– Ce n’est pas le même objet, objecta Oliv’.

– Ce n’est pas si différent.

Sur le plan de l’intensité, du moins. Celui qu’il allait utiliser offrait d’autres possibilités.

Voir Olivier lever les yeux au ciel ne fut pas loin de le faire rire. Son pote ne laissait que rarement passer ses légèretés.

– Tu n’avais pas frappé pour la marquer.

– Exact.

Olivier avait raison : en ce sens, oui, c’était différent.

– En quoi est-ce que ça change ? demanda Claire.

Elle était restée assise dans le fauteuil en face d’eux et buvait lentement son thé. Son calme le captivait. Il avait pris le temps de lui expliquer avec quel instrument il allait procéder à ces marques, mais Olivier faisait naître de nouvelles interrogations avec ses interventions.

Il réfléchit avant de lui répondre :

– La première fois, combien de temps as-tu gardé des traces sur la peau ?

Il la vit chercher dans sa mémoire.

– Trois-quatre jours.

– Celles-ci dureront plus longtemps.

Le regard de Claire ne vacilla pas.

Il ajouta :

– Dans quatre jours, elles seront parfaites.

Du moins, c’était ce qu’il voulait : des lignes sombres, dénuées de boursouflures, juste tracées comme un coup de pinceau.

– En plus du fait qu’il y en aura moins, ajouta-t-il. La différence est dans l’intention. On peut décider de frôler, de marquer des percussions…

Il repensa à la manière dont elle était parvenue à l’orgasme, la première fois, avec la canne. Il eut envie de l’y conduire de nouveau, mais il savait que ce serait différent.

– On peut décider d’apposer de jolies marques, également.

Il sourit, provocateur, et se pencha vers la table basse pour saisir son café et en boire quelques gorgées. Claire serrait toujours les doigts sur sa tasse ; l’acuité de son regard témoignait de l’attention qu’elle portait sur eux.

Pas une fois, depuis sa décision de l’accompagner de nouveau au club, elle n’était revenue dessus, même s’il n’avait cessé de penser qu’elle se défilerait. Elle l’avait assez fait, auparavant. Il en avait été étonné. Il savait qu’elle n’était pas sûre d’elle, ou ne l’était pas encore assez. Mais qui l’était jamais vraiment, dans cette sexualité ?

Il contempla son expression, cette façon qu’elle avait de sembler s’introduire dans l’esprit de ceux qu’elle regardait.

– Vas-y doucement, le mit de nouveau en garde Oliv’.

– Je sais, dit-il.

Seulement, il n’en avait pas envie.

Il fixa la lanière de cuir qu’il avait posée plus loin, sur une desserte. Sa simple vision nourrit un peu plus le feu qui grandissait en lui. Il devait passer à l’acte.

– Tu es prête ? demanda-t-il brusquement à Claire, tout à ses pensées.

– Oui, répondit-elle sans hésiter.

– Tes safewords ?

Elle les répéta, stoïque.

Même si elle avait décidé de lui faire confiance, elle pourrait revenir sur cette décision. Elle aimait la manière dont il prenait possession de son corps, dont il usait d’elle, la rudesse de ses gestes… Il voyait clairement l’excitation qu’elle en retirait. Mais, si ce n’était la fessée qu’il lui avait donnée entre-temps, elle n’avait pas goûté à ses coups depuis sa séance au donjon.

– Je vais avoir mal ? demanda-t-elle soudain.

La question le surprit. Qu’attendait-elle donc, en la posant ? Elle connaissait déjà la réponse ; elle ne pouvait pas chercher une simple confirmation. Il la savait plus fine que ça.

Olivier fut plus transparent dans sa réaction.

– Oui…

S’il ne laissa pas passer un mot, Mathieu comprit l’interrogation de Claire. Elle l’observait pour voir dans ses yeux à quel point la douleur serait forte. Ceux d’Oliv’ s’étaient suffisamment plissés pour lui en donner une idée.

Il ajouta :

– Mathieu frappe fort.

Claire acquiesça. Ce n’était pas une révélation pour elle.

Mathieu éprouva la nécessité de prendre le pouvoir. Immédiatement.

– Finis ton thé, dit-il d’un ton sec.

Elle but ses dernières gorgées. Olivier le seconda aussitôt ; lorsqu’il s’adressa à elle, son attitude ne laissait plus place à la contradiction.

– Lève-toi !

Elle obéit. Oliv’ se leva à son tour.

– Enlève ta jupe et ta culotte.

Elle déboutonna peu à peu la première, mais, ce faisant, elle tourna le visage vers Mathieu, et il put voir, dans son regard, à quel point elle se battait contre elle-même pour s’en remettre ainsi à ses mains, à quel point elle était dans le doute encore, bien qu’elle ait décidé de passer outre. Le trouble qu’il éprouvait en fut majoré.

Oliv’ dut se rendre compte de son malaise, puisqu’il intervint.

– Mathieu ?

– Qu’est-ce que tu attends de cette séance, Claire ? demanda-t-il brusquement.

Elle lui adressa un regard étonné. Après quelques secondes, elle fit glisser sa jupe sur ses cuisses, avant de la retirer.

– De voir… De voir si je peux l’endurer. De voir si c’est vraiment ce que je veux. De voir si…

Elle marqua une pause, puis reprit :

–… Si ça va me faire le même effet que la première fois.

– C’est-à-dire ?

Les mots qui suivirent, elle sembla se les arracher.

– Si ça va m’exciter de nouveau.

Elle saisit les bords de sa culotte et la fit descendre lentement le long de ses cuisses, exposant son bassin dénudé.

– Développe ! exigea-t-il.

Elle inspira profondément. Elle prenait sur elle, il le voyait.

– Je ne suis pas encore revenue du fait d’avoir joui avec ça. Je me demande même si je n’ai pas rêvé, parfois, si ce n’est pas mon esprit qui a construit cette idée et…

– Tu ne jouiras pas juste avec cinq coups.

– Je le sais.

Elle suçota sa lèvre inférieure.

– Je ne peux toujours pas dire si c’est ce que je veux vraiment, reprit-elle.

– Mais la fessée, oui, remarqua-t-il.

– Oui, confirma-t-elle.

Elle avait aimé ça. Il le savait. Il la détailla un moment. Ses confidences lui donnaient envie de la rassurer en la serrant contre lui. D’envoyer balader les limites posées par Oliv’. De la pousser dans ses retranchements, de la voir basculer, puis de lui écarter les fesses et de s’enfoncer profondément en elle. De coller son front à son cou et de se ressourcer au contact de sa peau. Que de contradictions… Il ne savait pas toujours que faire des multiples sentiments que Claire suscitait en lui, sinon constater qu’elle le remuait.

Il adressa un regard à Olivier, qui semblait suivre leur échange avec beaucoup d’attention. Ils n’étaient pas encore entrés véritablement dans la séance.

Oliv’ remarqua :

– Ça t’avait donc excitée, la première fois.

– Oui.

– Et maintenant ?

Elle haussa une épaule, façon sans doute de chercher le point sur ce qu’elle éprouvait.

– Il y a une part de ça, souffla-t-elle.

Elle ajouta :

– Et d’innombrables parts d’autres choses.

Mathieu se doutait bien de ce que pouvaient être toutes ces « autres choses ».

Dans une impulsion, il franchit la maigre distance les séparant et lui saisit la nuque aussitôt qu’il fut contre elle. Il la sentit vaciller à son contact. Il s’empara de sa bouche, y épanchant le besoin qu’il avait d’elle en un baiser dévorant qui lui tourna la tête et le laissa pantelant, bien qu’il se garde de le montrer. Il n’était pas encore habitué à l’émoi qu’elle provoquait en lui. Quand il la relâcha, il la vit placer les mains dans son dos pour s’appuyer, étourdie, à l’arrière du fauteuil, et en eut un sourire amusé. Il se dirigea vers l’endroit où la lanière était posée et essaya de modérer le trouble qui était monté en lui et qui persistait à lui être étranger.

– Mathieu ? souffla-t-elle.

– Oui ?

Il saisit l’objet. Claire le fixait et il voyait presque les rouages de son esprit tourner : ce besoin qu’elle avait de comprendre, toujours, avant de se laisser aller. Fille curieuse qui le perturbait perpétuellement dans ses convictions.

La question ne tarda pas.

– Qu’est-ce que tu cherches dans la domination ?

Il entendit : « Pourquoi est-ce que tu veux me frapper ? »

Durant un temps de silence, il la fixa, conscient de se montrer peu avenant. Cependant, puisqu’elle se livrait, pourquoi ne pas le faire aussi ? Il n’y avait rien d’étonnant à ce que cette question survienne maintenant.

– L’accomplissement d’une pulsion, répondit-il.

La mise en œuvre de son anormalité.

Il évacua aussitôt la gêne qu’il éprouva à cette idée.

Il s’appuya d’une fesse à la desserte où s’était trouvée la lanière, peu avant. Oliv’ était resté devant la table du salon. Rêveusement, Mathieu caressa le cuir entre ses doigts, en éprouva le contact souple, conscient de ce que ça lui coûtait d’ouvrir à Claire les aspects les plus obscurs de son esprit.

– Il n’y a pas que le plaisir sexuel, reprit-il. Il n’y a pas que la douleur, même si l’envie de dominer, de contrôler, est toujours sexuelle, bien sûr.

Il prit un temps avant de préciser :

– Il y a la fascination que suscite la possession de l’autre.

Il plongea les yeux dans le regard de Claire.

– Il y a quelque chose à faire sortir, quelque chose de viscéral, ce qui ne veut pas dire que je perds de vue la limite : pas le moindre instant, elle ne me sort de l’esprit. Ça peut paraître bizarre, je le sais. C’est une pulsion extrêmement puissante, qui a besoin de s’exprimer, mais que je vis pourtant dans un calme absolu. Le contrôle est toujours là. Et puis…

Un sourire sombre, qu’il savait provocant, fleurit sur sa bouche.

–… Il y a aussi la notion de pouvoir. Il m’a fallu un moment pour assumer mes pulsions dominantes et sadiques. Le masochisme, contrairement à ce qu’on pourrait penser, est nettement plus aisé. Prendre du plaisir à souffrir, c’est quelque chose. En prendre à infliger de la douleur…

Il s’arrêta.

–… Mais tu savais déjà que je n’étais pas normal, asséna-t-il enfin.

Il n’attendait pas de réaction à cette déclaration. Le temps des confidences venait de se tarir et il en avait dit bien assez.

– Allez, mets-toi en position ! exigea-t-il.

Elle le fixa un moment, comme si elle cherchait à lire dans ses pensées. Puis elle suivit Oliv’ jusqu’à l’espace du salon situé sous l’anneau fixé dans le plafond. Elle leva les yeux.

– Enlève ton haut aussi.

Olivier lui adressa un regard chargé de reproches. Il n’y prêta pas attention, tout à l’observation de Claire, dont l’expression traduisait un désarroi qu’elle tâchait de contenir.

Il déclara alors :

– Il y aura un sixième coup.

Claire marqua une hésitation, comme si elle attendait de lui des explications, comme si elle se demandait si, cette fois encore, elle lui accorderait sa confiance sans poser davantage de questions. Il aurait dû lui donner plus d’informations. Il ne le fit pas. Ce n’était pas qu’il ne le voulait pas, seulement, mettre des mots dessus lui coûtait. Il exigeait trop d’elle en lui demandant de le suivre les yeux fermés, de lui donner ce « tout » qu’il attendait… Mais c’était justement ce qu’il voulait d’elle, à s’en vriller l’esprit : tout.

Elle ne le lâcha pas des yeux, tandis qu’elle faisait passer son débardeur au-dessus de sa tête, puis dégrafait son soutien-gorge. Il savait à quoi elle songeait : elle avait pris la décision d’aller au bout et s’y raccrochait avec force. Il laissa son regard courir sur son corps.

Olivier, de son côté, arborait une moue de désapprobation. Mathieu décida de ne pas s’en soucier. Oliv’ glissa la corde dans l’anneau le surplombant. Lorsqu’il fut sur le point d’y attacher les deux poignets de Claire, Mathieu l’interrompit.

Sa voix claqua.

– Non !

Il ajouta :

– Laisse-la s’y accrocher d’elle-même. Qu’elle s’y tienne et soit libre ainsi de la lâcher à tout instant.

Claire saisit alors les extrémités de la corde, les enroulant autour de ses paumes pour mieux s’y soutenir, les deux bras tendus au-dessus d’elle. Ils avaient discuté de toutes ces étapes et elle avait accepté chacune d’elles. Même s’il savait qu’elle appréciait le fait d’être attachée, il ne voulait pas de ça, cette fois-ci : il voulait qu’elle puisse lâcher la corde si elle en avait besoin.

Il se concentra sur la lanière qui reposait dans ses mains. Le temps qu’il s’exerce à la mouvoir, Claire avait fermé les yeux. Elle paraissait d’un calme rare. Son corps pâle, dénué de toute trace, s’étendait dans son entière nudité.

Il s’approcha d’elle et repoussa les longs cheveux ébène qui retombaient sur ses épaules, dévoilant son cou. L’attrait de sa chair le saisit aussitôt, lui faisant fermer les paupières. Il posa le front contre elle et, doucement, murmura :

– Dis-moi si tu es prête.

– Je le suis.

Il retint son envie de lui baiser le cou et recula. Durant quelques secondes, il contempla cette chair vierge qui lui faisait face, ce livre aux pages blanches s’offrant à lui pour qu’il y inscrive les lignes de sa volonté.

Alors, il annonça d’une voix calme… si calme, si maîtrisée :

– Tes fesses.

La lanière de cuir fendit l’air, puis claqua sur la chair, faisant trembler Claire qui gémit presque en simultané. Elle s’accrocha aux cordes comme s’il s’agissait là du seul élément qui l’empêchait de sombrer. Le bruit de sa respiration rapide emplit la pièce, chargée des doutes qu’il pouvait entendre dans la moindre de ses expirations hachées.

– Tes cuisses.

Il les marqua d’une ligne rouge, puis en dessina une deuxième, parfaitement parallèle, assez bas pour laisser entre les deux une bande de chair intouchée. Il fut retourné en voyant Claire aller presque à la rencontre de la lanière, bien qu’elle ne semble pas s’en rendre compte… Elle avait des réactions si ambiguës, parfois. Sa manière de paraître à la fois se défiler devant ses coups et se tordre pour venir à leur rencontre le décontenançait, tout en l’excitant profondément.

Ça faisait trois coups.

Il la contourna.

Elle avait enfoui le visage dans le creux de son coude à demi plié et respirait avec force. Son corps nu, exposé à sa vue, ses paupières fermées, ses cheveux épars, collés en partie à ses joues qui commençaient à s’humidifier, ses lèvres entrouvertes… Elle était belle dans le don, fascinante dans l’offrande sans réserve de sa confiance, bouleversante dans l’émoi qu’elle manifestait.

– Tes cuisses. Devant, maintenant.

S’il la vit se raidir, il ne retint pas son geste et frappa la zone annoncée, la marquant à son tour, la faisant sienne, peignant une nouvelle ligne sur sa chair, sur le corps qu’il voulait modeler, l’âme dans laquelle il voulait se perdre, où, peut-être, il se perdait déjà. Il n’avait pas besoin de savoir. Son cœur battait lentement, mais puissamment, et sa tête était pleine de l’acte qui s’effectuait, pleine de Claire, pleine d’eux. Il dessina une seconde marque sur l’avant de ses cuisses.

Claire se tordit, geignit, paraissant de plus en plus fragile, ses réserves balayées, toute velléité de se protéger rendue caduque par la force de ce qui se produisait.

Il savait, à ses lèvres serrées et à ses yeux humides, qu’elle se retenait de toutes ses forces de prononcer ses safewords, qu’elle allait puiser au fond d’elle des ressources auxquelles elle n’avait pas l’habitude de faire appel… Il voyait à quel point elle s’offrait. Il lui caressa la joue. Elle s’y pressa instantanément, cherchant le réconfort de la main qui, pourtant, était la raison du bouleversement qu’elle éprouvait.

Il ne restait qu’un coup.

Il regarda ses seins : cette zone si riche en vaisseaux sanguins qui garderait la marque la plus nette, la plus visible… Celle qu’il était recommandé d’éviter de toucher, en temps normal, parce que plus fragile que la chair souple des fesses ou des cuisses. La plus innervée.

Il connaissait les risques. Il avait choisi volontairement un outil souple et savait qu’il était capable de gérer. Il serra fortement la lanière, obnubilé par l’endroit qu’il visait. Il ignorait comment réagirait la peau de Claire : si les marques resteraient aussi longtemps qu’il l’estimait, s’il ne s’était pas trompé en prévoyant le délai les séparant de la prochaine nuit au club, cette Nuit Noire dédiée au fétichisme, dont ils attendaient la venue.

La lanière partit comme d’elle-même, toucha juste à l’endroit qu’il avait choisi, claqua, revint. Sur le coup, Claire ne cria même pas. Elle ouvrit juste des yeux humides, des yeux surpris, et les referma ensuite pour drainer la douleur, l’accepter et la laisser la traverser… avant qu’elle ne parte, ne s’évanouisse et ne laisse plus que le souvenir de ce qu’ils avaient vécu. Les marques.

– Oliv’…

Sa propre voix lui parut extérieure, lointaine, comme si elle ne lui appartenait plus.

– Tu peux nous laisser ?

Olivier hocha peut-être la tête ou dit « oui ». Il ne le vit pas. Seule Claire captait son attention.

La porte de l’appartement claqua, résonnant dans le silence. Claire respirait fortement. Il contempla son travail, ces longues lignes rouges qui, sur sa peau, le fascinaient. Il la contourna pour voir celles qu’il lui avait faites sur les fesses et l’arrière des cuisses. Alors, il jeta la lanière et, doucement, posa les mains sur les hanches de Claire. Le contact de sa peau l’électrisa. Cette fois, il ne résista pas à lui embrasser le cou : cette chair, là, si accessible, dans laquelle il crevait du besoin de se verser…

L’initiation de Claire – saison 1 (4)

– C’est bien, la complimenta-t-il de nouveau.

Cette fois, elle se rendit vaguement compte de l’attention qui lui était portée, relevant le visage pour scruter l’expression de Mathieu. Elle sentit ses mains parcourir ses hanches, et elle soupira tandis qu’il la caressait en des gestes lents et enveloppants, avec respect. Elle aima se laisser conquérir par cette sensation apaisante. Elle avait le besoin d’être soutenue.

Lorsqu’il effleura sa poitrine, elle sentit son souffle s’accélérer, puis ses paupières se crispèrent quand une paume se referma sur l’un de ses seins. Les doigts qui firent ensuite rouler son mamelon l’échauffèrent de nouveau. Puis, il se pencha pour baiser tendrement son cou et elle s’abandonna au contact de ses lèvres. La sensation était tellement douce, contrastant avec ce qu’elle avait ressenti auparavant et lui rappelant, bien malgré elle, qu’avant de décider d’en faire le deuil, se sentir serrée avec autant d’attention était tout ce qu’elle avait rêvé de ses relations. Lentement, les larges mains glissèrent le long de ses hanches, l’une passant sur son aine avant de revenir doucement se refermer sur son entrejambe. Le contact possessif la força à laisser retomber sa tête contre l’épaule devant elle et elle y étouffa un gémissement lourd quand la pression s’intensifia sur son clitoris, se transformant en véritable pincement.

– Couleur ? demanda-t-il en continuant à la maintenir fermement.

Elle retint son souffle. La main de Mathieu stimulait son organe le plus sensible, renvoyant des décharges d’excitation dans son corps encore meurtri par la frustration précédente. Perdue, elle se laissa aller plus intensément contre lui, la sensation de son corps solide, massif, lui donnant l’envie de se blottir contre lui. Elle avait tant repoussé son besoin de tendresse que se retrouver dans une situation de domination aussi intense la poussait à rechercher ce qui lui manquait si profondément. Reprendre son souffle lui fut impossible, pas tant qu’il continuait à la toucher ainsi, à stimuler son endroit le plus intime.

Ce ne fut que lorsqu’il la relâcha qu’elle put essayer de répondre. Elle prit quelques respirations plus lentes. Que devait-elle lui dire ? Sa raison se heurtait aux stimuli contradictoires que lui renvoyait son corps. « Rouge » était trop fort. Même « orange » ne reflétait pas véritablement ce qu’elle ressentait. Bien qu’elle doive faire un effort en elle-même pour l’admettre, elle savait qu’elle n’avait eu que très peu à endurer encore.

– Vert, décida-t-elle, bizarrement consciente qu’elle l’incitait ainsi à aller plus loin.

***

– Bien.

Mathieu passa la main dans la chevelure de Clara, caressant doucement ses ondulations brunes en gardant sa tête contre son torse.

Tout à l’écoute de sa respiration, il parcourut de nouveau son flanc des doigts, plissant le tissu de son corset. Le souffle de Clara s’était calmé, maintenant, prenant un rythme plus régulier. Bien malgré lui, il se rendait compte que la jeune femme appuyée contre son torse le troublait. Sous un caractère qu’il avait senti fort, il découvrait une personne sensible, fragile, sa façon de se serrer contre lui témoignant de son besoin comme d’une étonnante acceptation, trop forte pour une première fois… trop enivrante pour lui.

Après un temps d’hésitation, il enroula les doigts autour de l’un des tétons de Clara. Un frémissement se fit, ses paupières se fermant dans l’excitation. Il observa plus qu’attentivement ses réactions. Lorsqu’il augmenta la pression, elle se contracta, jusqu’à émettre une faible plainte quand la torsion s’intensifia encore. Elle ne fit cependant rien pour s’y soustraire et haleta ensuite de plaisir quand il retourna s’emparer de son sexe sans pour autant soulager son mamelon. Elle enfouit son visage dans son épaule, comme pour oublier la brûlure sur sa poitrine. Alors, il la relâcha. Un temps, il posa les lèvres sur la peau blanche à sa portée, en humant la fragrance durant un moment de réflexion. Il devait faire attention, lui-même, à ce qu’il faisait, plus encore qu’il n’en avait l’habitude.

Sa main passa, en une caresse apaisante, dans la chevelure de Clara. Celle-ci ne vit pas le sourire tendre de Mathieu, ses paupières étant restées fermées. Puis il se pencha sur son visage, sa voix se chargeant d’une langueur érotique.

– Je vais t’attacher, souffla-t-il dans son oreille.

La promesse la fit frémir.

– Je vais lier tes bras à ton buste et puis… je t’allongerai sur le lit. Là-bas.

Elle redressa le visage et leva vers lui des yeux brillants. Son état de trouble était flagrant.

– On s’occupera de ces jolies fesses, poursuivit-il avec envie. Je te donnerai quelques coups. À ma convenance. Tu auras mal… et plus tu auras mal, plus tu aimeras. Tu aimeras plus que tu ne peux l’imaginer. Si tu le veux, je te mettrai un bâillon. Et enfin, si tu es sage, si tu joues bien ton rôle et si le spectacle que tu m’offres me plaît, je te prendrai. Je t’écarterai les cuisses, j’enfoncerai mon sexe entre tes jambes et je te baiserai pendant que tu seras encore attachée.

Il la vit déglutir.

– C’est OK ?

***

Claire ne sut comment réagir. En plongeant dans le regard de Mathieu, elle se rendit cependant compte que ce dernier n’attendait pas forcément de réponse de sa part. Ces paroles étaient seulement une façon de lui rappeler que rien de ce qui se passait ici n’était fait sans son consentement, qu’elle pouvait toujours choisir et qu’elle le pourrait à tout instant.

Puis il s’éloigna, se dirigeant vers le meuble où il avait préparé son matériel. Cette fois encore, elle refusa d’observer les objets qui y avaient été posés.

Lorsqu’il revint avec une corde nouée de coton rouge, elle la fixa attentivement. Si son ventre se crispa, elle ne sut s’il s’agissait d’appréhension ou bien d’envie.

– Ne t’inquiète pas, souffla-t-il dans son oreille, avant de la lécher doucement.

Elle commença à se languir du contact de ses lèvres contre les siennes.

– Tu connais le « shibari » ? enchaîna-t-il.

Elle secoua la tête. Puis elle se reprit, pour préciser à voix haute :

– Non.

– C’est l’art de ligoter à la japonaise.

Quelques images, imprécises, vinrent à son esprit. Elle le vit se retourner pour poser un instant ses cordages sur une barre de fer horizontale située derrière lui, avant d’ôter son T-shirt d’un geste, la captivant par la vision de ses muscles roulant sous sa peau. Sa carnation était légèrement mate, plus dorée que réellement foncée. Chaque parcelle du corps qui lui était donnée à découvrir l’attirait décidément curieusement… Chaque trait de sa personnalité également, chaque sourire, chaque intonation sombre de sa voix.

– Tu as déjà dû en voir des photos, expliqua-t-il.

En se retournant vers elle, il passa un premier pan de la corde dans le creux du dos de Claire, s’en servant pour l’attirer contre sa poitrine.

– C’est très esthétique, lui souffla-t-il ensuite, se mordant la lèvre inférieure dans un sourire à la gourmandise contrôlée.

Si la tension sexuelle n’avait pas été si intense, elle aurait pu s’amuser de ses attitudes espiègles. Elle n’en fut que troublée. Elle le vit défaire les attaches de son corset puis l’enlever, exposant intégralement son buste à son regard, et elle se sentit plus dénudée encore, qu’elle ne l’était avant, la situation faisant naître en elle un regain de pudeur qu’elle tâcha toutefois de ne pas montrer. Puis, les cordes se croisèrent sur sa poitrine et elle soupira discrètement. Elle observait les gestes de Mathieu, naviguant du regard entre les mains qui passaient sur son corps et les mèches blondes autour de son visage, retournant régulièrement fixer le torse solide devant elle dont les deux tétons étaient d’un rose un peu foncé.

Docilement, elle le laissa réaliser son ouvrage, consciente qu’il s’agissait là de quelque chose qu’elle avait accepté.

Se faire manipuler ainsi était étonnant. Là où elle imaginait un acte de possession presque primaire, le bondage demandait en fait une réelle participation de sa part. Elle devait accepter ce que le dominateur lui faisait, sans pour autant savoir comment il voulait l’attacher, garder ses membres dans la position exacte dans laquelle il les plaçait, les y maintenir. La soumission se révélait ainsi cérébrale, en plus d’être physique, atteignant là son paroxysme : celle de se plier soi-même aux gestes que l’autre désirait.

La technique demandait une réelle expérience, autant dans les entrelacements savants que dans les précautions évidentes qu’il prenait. Elle le voyait mettre parfois les doigts devant sa peau pour ne pas la brûler avant de faire glisser la corde, se passer à d’autres moments de cette protection, le coton tressé frottant alors cruellement au niveau de ses points sensibles, prendre le temps d’éprouver la tension avant de resserrer les liens, ne déplacer ses membres qu’avec douceur, cherchant le meilleur angle, celui qui l’empêcherait de bouger sans la tordre dans une position qu’elle ne pourrait supporter suffisamment longtemps. L’acte apparaissait alors terriblement sensuel.

En observant le visage de Mathieu, elle sentit son esprit s’égarer un instant. À quoi avait bien pu ressembler son initiation à lui, quand il avait 18 ans ? Comment avait-il découvert ce milieu, et pourquoi s’était-il passé plusieurs années, ensuite, avant qu’il n’y revienne régulièrement ? Ce devait être bien jeune pour vivre une telle expérience. Avait-il été dominateur ? Elle ne le croyait pas. Assumer ce rôle demandait d’avoir de réelles connaissances. Un temps, elle s’interrogea sur ce qu’avait pu être sa première expérience, en tant que soumis.

– Tu te poses des questions par rapport à moi ? intervint-il avec un regard amusé.

Elle sortit aussitôt de ses pensées, se retrouvant prise au dépourvu, comme en faute. Elle chercha à savoir que répondre.

– Tu n’as pas de raison de t’inquiéter, anticipa-t-il, avant de prendre un ton plus froid : ne te pose pas de questions.

Puis, un mouvement sec fit remonter ses poignets noués dans son dos, lui coupant un instant le souffle. Elle tâcha de retrouver sa contenance. Se laisser attacher ainsi était réellement surprenant. Le coton tressé rampait sur sa peau comme autant de mains qui y seraient passées, les pans de corde se faisaient autant maintiens que soutiens, l’enserrant, parcourant sa chair en des mouvements chaque fois impossibles à anticiper, parfois trop lents, parfois trop rapides à se resserrer, l’excitant malgré elle à chaque sensation de tension. Fermement maintenus dans son dos, ses bras se retrouvaient désormais immobilisés, tout le haut de son corps lacé dans un corset aux mailles démesurément larges. Des losanges de tailles différentes se formaient sur sa poitrine, passant autour de ses seins. Quel que soit l’angle depuis lequel on l’observait, l’ouvrage se révélait superbe, la couleur rouge du coton mettant en valeur celle laiteuse de sa peau.

Une fois le bondage terminé, il recula d’un pas pour la détailler. Sous son regard, elle se sentit incroyablement désirable. Alors qu’elle essayait de mouvoir ses membres, se rendre compte à quel point elle était vulnérable, soudain, provoqua cependant en elle une certaine angoisse et elle leva des yeux humides vers lui dans un appel à l’aide, sa respiration s’accélérant. Mais il posait déjà les mains sur ses épaules dans un geste rassurant. Son souffle s’apaisa, tandis qu’elle se laissait aller à la sensation de la peau chaude la caressant. Les lèvres qui se posèrent de nouveau dans son cou l’étourdirent légèrement.

– Calme, chuchota-t-il.

Elle expira longuement.

Il passa les doigts sur la peau fine de sa poitrine, s’accrochant aux cordages, faisant se plisser son mamelon dans une expression de fascination. Puis, il glissa les doigts sous deux coins de corde rouge au niveau de ses côtes et l’attira vers lui. De surprise, elle rouvrit les paupières, et l’espace d’un instant, elle eut l’impression qu’il la regardait comme s’il était sur le point de la serrer contre lui. Cela ne dura pas. La lueur dans ses yeux se transforma en autre chose. De plus espiègle.

– Maintenant, on va s’occuper de ces jolies fesses, mademoiselle Clara.

Puis il la fit lentement reculer, sans pour autant cesser de la fixer.

La distance qui les séparait du lit, derrière les voiles sombres, ne fut pas longue à parcourir.

Une fois qu’ils y furent parvenus, elle s’y laissa pousser avec complaisance, tombant étendue sur le dos au milieu d’un matelas dont la fermeté la surprit. Puis, il posa un genou à côté d’elle, la contemplant avec un petit sourire en coin. L’instant suivant, il la retournait brusquement sur le ventre. Elle expira de surprise tandis que sa poitrine s’écrasait contre le matelas, les draps d’un noir profond se révélant rêches contre sa peau sensible. Naturellement, son visage se tourna sur le côté, tandis qu’elle sentait Mathieu retirer son sous-vêtement, la laissant uniquement vêtue de ses bas.

Maintenant qu’elle était allongée, l’angoisse se dissipait. Elle ferma les paupières dans l’abandon. Par les nœuds et les cordes frottant contre sa chair, elle avait l’impression de percevoir encore les mains de Mathieu sur son corps, comme s’il s’agissait de lui qui la frôlait, qui la touchait, la faisant prendre conscience de la façon dont elle se sentait prête, désormais, pour ce qui allait suivre. Au bout d’un moment, elle se demanda pourquoi il restait si longuement immobile derrière elle, lui donnant l’impression qu’il l’observait comme s’il hésitait sur ce qu’il allait faire, qu’il avait du mal à prendre une décision.

Quand il repartit vers le placard, elle ne s’inquiéta cependant pas de savoir ce qu’il avait choisi. Elle ne réagit pas plus en voyant une canne se faire déposer sur le matelas devant son visage. « Des coups », avait-il dit. « Des coups. » Bien que l’objet qu’il venait de sortir n’ait rien de rassurant, bien qu’il ne s’agisse vraisemblablement pas de ce qu’il avait préparé initialement, elle ne s’en soucia pas. Elle savait qu’elle allait avoir mal, il l’en avait avertie.

Lorsqu’il s’assit près d’elle, sa présence sembla l’envelopper. Puis, un produit froid tomba sur ses fesses, la surprenant suffisamment pour la faire frissonner.

– C’est une canne anglaise, expliqua-t-il en glissant un doigt juste entre ses deux globes de chair, y étalant le lubrifiant.

Sentir Mathieu convoiter clairement l’espace le plus intime de son anatomie la fit trembler d’étonnement, en plus de l’exciter dangereusement. Elle se demanda pourquoi il s’intéressait désormais à cette partie de son corps, mais il ne lui laissa pas le temps de se poser plus de questions, lui écartant soudain largement les cuisses. D’envie, elle pressa le visage contre le matelas. Il aurait pu les ouvrir plus encore ; elle n’aurait rien fait pour l’en empêcher. Elle aurait peut-être voulu même qu’il les étire jusqu’à leur paroxysme.

– C’était utilisé avant pour punir les servantes… ce genre de choses, reprit-il. À toi de choisir maintenant si tu veux que je te bâillonne. Je ne voudrais pas que tu te retiennes de crier si tu en as besoin.

Ce disant, il relâcha ses fesses pour attraper un objet posé juste à côté d’elle, la faisant se raidir en en sentant soudainement la matière plastique se presser au niveau de son entrée de chair. Elle essaya de se détendre et enfouit le visage entre les draps du lit, l’angoisse l’étreignant. Elle ignorait de quoi il s’agissait, s’il voulait réellement la pénétrer ainsi… Elle ne s’était pas attendue à un tel geste de sa part, surtout après la manière dont il l’avait caressée auparavant. D’une certaine façon, ce lui sembla cependant logique, c’était un acte tellement dominateur. Qu’il soit associé au rapport qu’ils entretenaient alors n’était pas dénué de sens. Elle se sentait cependant tellement serrée…

Des mouvements rotatifs se firent au niveau de l’entrée de son corps, légers d’abord puis de plus en plus présents, couvrant progressivement l’objet de lubrifiant et, en même temps, lui faisant prendre conscience de sa taille. Bien que cette dernière fût inquiétante, la sensation restait profondément agréable et même de plus en plus tentante, au fur et à mesure que le contact s’intensifiait. Petit à petit, elle commença à se languir de le sentir plonger en elle. Inconsciemment, elle inclina les reins, ignorante de la façon dont le regard de Mathieu s’alluma. Elle pressa son front contre le matelas, sa nuque s’étirant. Puis, enfin, la tension se fit plus forte. De par sa forme, elle comprit qu’il s’agissait d’un plug, le bout de faible diamètre entrant facilement en elle… les premières secondes, alors que l’élargissement qu’imposait le corps de l’objet devenait juste ensuite trop massif. Elle essaya alors de contrôler sa respiration. D’une certaine manière, elle se sentait trop envahie, se retrouvant à la limite de la douleur ; de l’autre, c’était du plaisir que pareille intrusion provoquait en elle, la laissant incapable de savoir ce qu’elle devait ressentir.

Lentement, très lentement, il poussa l’objet dans son corps, l’ouvrant millimètre après millimètre, s’arrêtant parfois pour lui permettre de s’adapter, observant ses paupières serrées, poursuivant juste ensuite. Le dernier passage, plus large, avant que l’objet ne se resserre à son bout la fit étouffer un gémissement. Il fallut une bonne minute pour que la sensation de brûlure s’estompe, mais pourtant, au fond d’elle, elle apprécia d’être ainsi emplie. Elle se sentait comblée, entièrement offerte aux mains de l’homme à qui elle avait décidé de se donner.

Durant tout ce temps, il était resté à détailler son visage, curieux de ses réactions et, d’une manière plus large, de son attitude face à cette session.

Puis la main de ce dernier passa dans la chevelure brune, doucement, et il se leva.

– Je vais te mettre un bâillon, décida-t-il.

Elle se rendit alors compte que, pas une fois, elle n’avait laissé le moindre son sortir de sa bouche. Elle en était même essoufflée.

Lorsque Mathieu revint, le poids de son corps sur le matelas fit bouger autant le plug que le drap qui s’était plissé sous son clitoris lors de l’introduction de ce dernier, la stimulant vivement. Le pouce qu’il glissa entre ses lèvres se fit aussitôt aspirer avec envie. S’il avait mis son sexe dans sa bouche, elle l’aurait sucé avidement ; elle aurait aimé qu’il le fasse : qu’il baise encore sa bouche, comme il l’avait fait précédemment. Puis elle laissa sa mâchoire se faire abaisser. Un mouchoir y fut enfoncé, la surprenant tandis qu’il prenait place au fond de sa gorge. La boule qui suivit, soutenue par un lien de cuir qu’il attacha aussitôt derrière son crâne, finit de la bâillonner.

– Essaye de respirer calmement, indiqua-t-il en glissant un objet rond de taille moyenne entre ses doigts.

Il lui referma la main doucement.

– C’est une sphère de métal, expliqua-t-il. Ouvre la main pour la lâcher et je m’arrêterai. C’est ton safeword, prononça-t-il sur un ton marquant l’importance de l’information.

Elle serra la boule qui lui avait été donnée, en éprouvant le poids. À chaque instant, l’attention que Mathieu lui portait la touchait, la faisant se sentir plus précieuse qu’elle ne l’avait jamais été. Elle aimait tout autant cette attitude que sa manière de la brusquer, d’éprouver ses limites, à chaque seconde. Ce n’était pas raisonné.

En sentant les doigts masculins glisser entre ses fesses jusqu’à la base de l’objet qu’il y avait glissé, elle se crispa. Une légère pression s’y exerça, l’objet plongeant plus profondément à l’intérieur d’elle et elle réagit en se cambrant, le frottement de son sexe contre les draps rêches provoquant en elle une violente décharge d’excitation. À cause du tissu et de la boule gênant le passage de l’air au niveau de sa bouche, elle se retrouva tout de suite à bout de souffle, devant prêter attention à respirer correctement par le nez. Puis il lui écarta plus encore les cuisses et elle gémit sous son bâillon, les draps se plissant de nouveau sous son corps comme elle s’y raidissait. Une seconde, elle faillit lâcher la sphère qu’il lui avait donnée et s’y agrippa de toutes ses forces, perturbée juste ensuite par l’inquiétude qu’elle avait ressentie à l’idée de la faire tomber. Son inclination à se soumettre au plaisir torve que cet homme lui avait promis, la façon dont cette situation l’excitait… tout la dépassait.

– Clara…

Entendre ainsi le nom qu’elle s’était choisi la ramena vers des pensées plus calmes. Elle lâcha un profond soupir. Il passa le doigt sur sa tempe comme s’il devinait ce qui la perturbait.

– Tu n’as pas à réfléchir, poursuivit-il. Tout ce dont il est question ici, c’est de mon plaisir. C’est moi qui aime te voir attachée comme cela. C’est moi qui me plais à te faire gémir dans ton bâillon.

Ce disant, il attrapa du bout des doigts la base du plug pour le faire ressortir presque entièrement, lui envoyant une décharge de douleur mêlée de plaisir plus forte quand la partie la plus large passa son orifice, puis l’y replongea pour y pratiquer quelques allers-retours. Elle se tordit, pantelante.

– C’est moi qui veux te voir, les fesses rougies, craindre autant que désirer mes coups, c’est moi qui veux goûter à ton expression dans ces moments-là. Toi, tu acceptes, tu te plies, tu me laisses jouer avec toi tel que j’en ai envie. Tu t’abandonnes. C’est mon plaisir… et puis le tien aussi, bien sûr. Le tien. Il suffit de te laisser aller. Simplement de te laisser aller.

Puis il poussa plus fortement l’objet la pénétrant, la faisant presser le bassin contre le matelas tandis que le plaisir la lançait brutalement.

– Garde les jambes écartées, indiqua-t-il finalement en se relevant.

Elle ne fut que trop prête à obéir. Le lit bougea encore un peu.

Le bruit rapide qui fendit ensuite l’air la fit à peine réagir. Elle tourna le visage, observant Mathieu manier la canne de rotin dans le vide, en éprouvant la force, l’ampleur du geste et la précision. Sous la lumière rouge pâle de la pièce, ses muscles se contractaient et se tendaient dans une vision superbe, pleine de puissance. Elle n’eut même pas peur de ce qui allait venir. Elle retourna attendre calmement, la tête appuyée sur le matelas.

D’un coup, l’objet tomba en travers de ses fesses.

Le premier impact la surprit. Il avait frappé fort ! Ou alors était-ce la sensation que la canne provoquait ? Elle ne le savait pas, mais elle n’avait pas imaginé quelque chose d’aussi intense pour une première fois. « Rien de trop poussé », avait-il dit. La douleur se révéla toutefois bien inférieure à ce que la force du coup avait suggéré : plus proche d’une piqûre brève que de quoi que ce soit de lancinant. Un instant, elle eut l’impression que l’apparence de l’objet l’avait trompée, que l’acte ne serait pas si difficile à supporter… puis la brûlure, secondaire, perverse, commença à s’étendre, la prenant au dépourvu, se diffusant impitoyablement autour de l’endroit où la canne s’était abattue. Ça faisait mal… Elle lâcha un murmure étouffé par son bâillon.

– Bien, commenta-t-il, l’encourageant à ne pas se retenir.

Elle se força à respirer calmement, de toutes ses forces. La douleur n’atteignit son apogée qu’au bout de plusieurs interminables secondes durant lesquelles elle pensa être incapable de soutenir d’autres coups. Elle ne savait même pas s’il avait vraiment frappé de manière si intense ou s’il ne s’agissait que d’une impression.

Quand elle sentit enfin la brûlure sur le point de redescendre, elle se prépara à se relaxer un peu, mais le deuxième coup tomba juste à ce moment, à peine plus bas, marquant l’arrondi de ses fesses d’une autre zébrure nette. Elle resserra la main sur la sphère métallique, un gémissement sortant de sa gorge.

Plusieurs secondes passèrent, le même nombre, dans une parfaite exactitude, que celui qui avait séparé le deuxième coup du premier.

Puis la canne s’abattit une troisième fois et, de nouveau, elle geignit, son visage se crispant.

Elle ne sut même pas pourquoi elle persista à tenir avec autant d’insistance l’objet que lui avait donné Mathieu. Elle aurait pu le lâcher, à tout instant, rien n’aurait été plus simple : desserrer les doigts et exposer ses mains ouvertes au jeune homme derrière elle. Elle savait qu’il s’arrêterait aussitôt. Rien ne lui en donna pourtant réellement envie, non pas que la souffrance ne fût pas vive, elle était même au-delà de ce à quoi elle s’était attendue, mais il y avait aussi la fierté, l’indicible plaisir de se plier à la volonté de cet homme, la joie de le contenter dans son envie de la voir ainsi. Elle voulait qu’il l’estime pour sa capacité à supporter ce qu’il lui faisait ; elle savait que son désir n’en serait que plus fort. La prendre dans cette position même, écarter sa chair marquée pour y plonger son sexe… C’était ce qu’il lui avait promis. Et chaque coup, chaque décharge douloureuse qu’elle endurait ne l’en rapprochaient que plus. Son corps se serrait autour de l’objet qui y avait été enfoncé, son excitation ne faisant que grandir. Quant à la souffrance qu’elle endurait, elle lui apportait aussi quelque chose d’inestimable, d’indescriptible…

Au fur et à mesure des retombées de la canne, le lien entre elle et Mathieu se tissait. Jamais elle n’avait eu à soutenir pareille épreuve, jamais elle n’y avait été accompagnée avec tant d’attention. Elle était, en cet instant, le monde à elle toute seule, tout tournait autour de ses gémissements et de ses paupières plissées, de sa volonté, de sa force, de la façon dont la sueur perlait au niveau de son front, de l’humidité naissant au coin de ses yeux. Bien qu’une partie d’elle la poussât à réagir contre ce qu’elle était en train de subir, une autre l’acceptait avec délectation, ses pensées s’y diluant.

À chaque coup, elle se déchargeait de toutes les craintes et angoisses qu’elle avait accumulées, de toutes les questions qu’elle s’était trop posées, de toutes ses incompréhensions. La voix obscurcie par les objets enfoncés dans sa bouche, elle n’avait pas besoin d’en retenir les plaintes. La canne était à la fois douleur et libération, lui permettant de se laisser aller : de crier, de haleter et de gémir sous les sensations contradictoires qui se faisaient en elle, chaque impact envoyant des vibrations dans tout le bas de son corps, se répercutant jusqu’au creux de son sexe, tandis que son orifice se resserrait autour de l’objet qui y était plongé. Ce qu’elle ressentait était plaisir autant que souffrance, les deux mêlés de façon inextricable. En elle, l’incroyable était en train de se produire, la longue cadence des impacts se succédant la laissant le cœur battant, soumise, offerte, heureuse de l’être, fière, des picotements parcourant son épiderme comme autant de décharges électriques. Au bout d’un moment, elle ne sentit plus vraiment les coups. Ses fesses étaient une masse bouillante, son corps devenu lourd du plaisir et de la douleur ressentie. Elle ne se rendit même pas compte des larmes qui s’écoulaient maintenant en un mince filet de ses yeux. Elle n’était plus que sens exacerbés. Elle était sensualité, elle était délivrance, elle était corps offert, prêt à être pris. L’objet introduit en elle lui rappelait sa présence en permanence, son clitoris devenu brûlant des frottements contre les draps du lit, lui faisant prendre conscience d’à quel point l’acte auquel elle s’adonnait avec Mathieu était sexuel… Comme s’il lui faisait l’amour. Curieuse et déviante impression. Curieuse…

Puis, d’un coup, comme ça, parce que les miracles existent et que ce qu’il se passait était au-delà de l’explicable, elle sentit l’orgasme se former en elle. Elle ne comprit pas.

Ses cils humidifiés se décollèrent. Sa vision resta floue.

Le dernier impact de la canne. La dernière vibration, la douleur s’étendant… L’objet à l’intérieur de son corps. Son sexe trop stimulé. Sa chair devenue brûlante, le regard de Mathieu juste derrière elle et la sensation forte de sa présence.

Un coup, encore, plus rapproché cette fois, la prenant totalement au dépourvu, et la jouissance déferla, la faisant se raidir alors que son corps se contractait, la brûlait, envoyant des décharges de plaisir dans chacun de ses nerfs. Parce que le bâillon le lui permit, elle gémit sans entraves, le plaisir fulgurant la laissant épuisée, perdue…

Plus rien ne s’abattit sur ses fesses. Seul un murmure parvint à ses oreilles.

– Clara…

Dans la façon dont il souffla son nom, il y eut tout l’éblouissement, l’estime, la fascination liée au fait de l’avoir vue jouir ainsi… de la voir maintenant, son corps pâle étendu sur les draps, lasse, vidée, plus libre qu’elle ne l’avait jamais été dans ses liens et son bâillon. Ses lèvres se posèrent sur sa nuque, la faisant s’abandonner entièrement à leur douceur. Il y avait quelque chose de pervers dans le fait de penser que les mains qui la réconfortaient étaient les mêmes que celles qui l’avaient châtiée. Tout au besoin qu’elle ressentait de la présence de Mathieu, cela lui semblait pourtant curieusement naturel. En cet instant, il était tout pour elle et elle n’avait besoin de rien savoir d’autre.

L’initiation de Claire – saison 1 (3)

Lentement, le sexe de Mathieu l’envahit, ce dernier poussant des reins jusqu’à parvenir aussi loin qu’il le pouvait. En le sentant cogner contre l’arrière de sa gorge, elle serra les poings contre ses cuisses, les mains cependant proches de plonger vers son entrejambe tant elle sentit son bas-ventre se crisper. Le soupir de contentement que poussa Mathieu l’échauffa dangereusement. Bien qu’elle en fût tentée, elle se garda de toucher le corps se dressant devant elle, ne voulant pas risquer de l’entraver dans ses mouvements. Qu’il prenne sa bouche l’excitait. En percevant une légère vibration contre le mur où elle était adossée, elle ouvrit les yeux pour se rendre compte que Mathieu venait d’y poser le front, les paupières étroitement fermées dans une expression de plaisir. Puis, son membre se retira, doucement, parvenant presque à la sortie de ses lèvres avant de retourner s’enfoncer en elle, y pénétrant assez profondément pour toucher de nouveau le fond de l’espace qu’elle lui offrait. Un autre souffle de plaisir émana de Mathieu. Malgré la gêne, malgré la sensation massive, malgré la conscience, bien que lointaine, des autres présences autour d’elle, elle eut envie de glisser la main sur sa poitrine, le long de son ventre… entre ses jambes ; curieusement. Elle pencha le visage de côté pour percevoir différemment, contre son palais et l’intérieur de ses joues, le frottement qui se mit en place. Ça lui avait toujours plu de sentir un sexe dans sa bouche, la caresse sur ses lèvres, les mouvements de va-et-vient, la douce sensation d’envahissement… C’était excitant et érotique, autant par la stimulation ressentie que par tout ce que cet acte suscitait dans son esprit.

Des mouvements suivirent, longs et incroyablement lents. Claire accepta, supporta, aima la façon dont Mathieu utilisa sa bouche, son corps s’en échauffant impitoyablement.

Soudain, une main se posa sur le côté de son crâne, dans un contact dont la douceur la surprit. La caresse inconsciente trancha totalement avec l’attitude dominatrice qu’avait eue Mathieu jusque-là, ses déhanchements se faisant cependant plus vifs alors que le plaisir grimpait en lui. Le contraste se révélait incroyable. Le trouble, le fait d’être à ce point offerte cumulé à la sensation à l’intérieur de sa bouche… Tout faisait s’enflammer son corps. Les soupirs de Mathieu se firent plus audibles, les mouvements de bassin plus saccadés, plus rapides. Elle avait envie qu’il poursuive ce qu’il faisait, qu’il prenne encore son plaisir à l’intérieur d’elle et qu’il jouisse tout au fond de sa gorge. Les paupières closes, elle appuya le visage contre la main chaude posée sur elle. Les doigts masculins se resserrèrent sur ses cheveux. Elle attendit de sentir la substance tiède l’envahir. Puis, d’un coup, la décharge arriva. Un gémissement léger lui succéda, presque inaudible si elle n’en avait pas été aussi proche. Mathieu crispa la main tandis qu’il se mouvait encore, en des gestes plus hachés, plus imprécis, finissant de drainer son orgasme. Claire déglutit tant qu’il le fallut, attendant patiemment qu’il daigne ressortir de ses lèvres.

Lorsque celui-ci s’immobilisa, elle leva les yeux. Le front de Mathieu reposait contre le mur, ses mèches claires tombant vers le sol alors que son regard fatigué par la force de la jouissance se baissait sur elle.

L’image qu’elle lui offrait, le regard fasciné et les lèvres ouvertes autour de sa verge, eut l’air de l’exciter encore un peu plus. Puis il ferma les paupières.

Son membre mollissant glissa hors de la bouche de Claire, et un ordre lui parvint aux oreilles :

– Ne t’essuie pas.

Elle suspendit son geste, les yeux écarquillés d’incompréhension. Elle sentit le liquide blanc qu’elle n’avait pas entièrement avalé humidifier la commissure de ses lèvres. Même s’il peinait à reprendre son souffle, Mathieu s’était déjà détourné d’elle pour refermer son pantalon. Elle parcourut la pièce du regard, surprise de ne pas se sentir tant gênée en redécouvrant les autres membres. Hormis la femme agenouillée, tous observaient Mathieu avec une désapprobation manifeste.

– Je sais ! coupa-t-il, l’air énervé.

L’instant suivant, il attrapait son carnet noir, n’en feuilletant les pages que plus vivement qu’il ne l’avait fait auparavant. Un crayon qui traînait par là finit entre ses mains.

– Merde, fut tout ce qu’il marmonna alors qu’il barrait d’un grand trait tous les noms qui y figuraient, déchirant le papier tant son geste avait été brusque.

Isabelle fit un pas vers lui.

– Tu ne peux pas !

– Si ! Trouve-leur quelqu’un d’autre !

– Mathieu !

Le cahier atterrit sur la table, y glissant avant de finir son trajet par terre. Perdue, Claire vit Mathieu lui tendre la main, le regard encore hésitant et pourtant doux en se posant sur elle.

Si la façon dont il l’aida à se relever fut vive, il ne la retint ensuite contre son torse qu’avec une attention déconcertante. Puis, lentement, il s’approcha de son visage, humant la peau de son cou et de ses joues, avant de pencher soudain la tête de côté et de nettoyer d’un coup de langue le rebord de ses lèvres. L’ébauche de baiser étourdit légèrement Claire. Les doigts qui enlacèrent ensuite étroitement les siens achevèrent de la troubler. Elle y resserra la main dans un réflexe.

– Viens, murmura Mathieu dans une expression pleine de promesses.

Elle se laissa entraîner hors de la pièce.

Le couloir qui suivait défila rapidement, marqué seulement du son de leurs pas. Au bout d’un moment, Mathieu s’arrêta devant une porte éloignée. Toutes celles qui étaient ici se ressemblaient. Il fouilla dans ses poches. L’endroit était totalement désert et seul le son du trousseau qu’il extirpa brisa le silence. Le sourire que Mathieu lui adressa alors fut aussi radieux que ceux qu’elle lui avait parfois déjà vus. La différence entre cette attitude et celle froide et dominatrice qu’elle avait découverte auparavant la frappa de nouveau.

Elle se laissa accompagner à l’intérieur de la salle. La lourde porte claqua, résonnant longtemps derrière eux.

Le trousseau atterrit sur un meuble disposé contre le mur. Elle observa la pièce tandis que Mathieu soupirait, passant les doigts d’un air las sur son front.

En se tournant pour regarder son visage, elle se rendit compte que le changement s’était de nouveau opéré dans l’autre sens. Malgré le trouble qu’il affichait, il se dégageait de lui la même assurance froide que lorsqu’il l’avait provoquée : celle d’un homme qui savait parfaitement ce qu’il était en train de faire.

Ainsi, elle sut que la session qu’elle avait demandée était sur le point de commencer.

Troisième partie

Troisième partie

– Tu as un safeword ? demanda Mathieu.

Claire eut l’air perdue.

– Non. Bien sûr, poursuivit-il en se frottant les paupières.

Elle le vit se diriger vers un placard. Elle observa le mobilier de la salle, pour beaucoup identique à la chambre aux chaînes suspendues au plafond qu’elle avait vue précédemment, bien que l’atmosphère y soit plus intime. Le métal et le bois dominaient, à l’exception du cuir rouge de quelques meubles et du rideau de voile isolant un large lit tout au fond de la pièce.

– Tu connais le code des couleurs ? reprit-il.

– Non.

– Tu ne connais rien, en fait ?

– Oui.

– Qu’est-ce que tu fais ici alors ?

Comme il s’était tourné vers elle avec une expression d’incompréhension, elle prit quelques secondes pour lui répondre. Elle se décolla du mur où elle avait pris appui et déambula dans la salle. Son regard se porta sur une chaîne pendue un peu plus loin.

– Je veux connaître.

Il eut un sourire. Un son métallique plana tandis que la chaîne qu’elle venait de toucher oscillait lentement.

– Vert, pour ta zone de confort. Ensuite orange, puis rouge si c’est trop pour toi. Quand on te pose la question, tu dis dans quelle zone tu te sens.

Elle prit le temps d’assimiler ces informations. Elle hocha la tête.

– On considère que l’orange est la bonne zone, poursuivit-il avec un sourire plein de sous-entendus.

Après un regard vers lui, elle acquiesça de nouveau. Ni dans sa zone de confort, ni au-dessus de ce qu’elle était prête à tolérer, donc. Elle essaya d’intégrer ce que cette notion impliquait, tandis qu’elle poursuivait sa découverte de la pièce.

Du plafond au sol, plusieurs anneaux étaient fixés. Elle commençait à mieux comprendre ce qui se pratiquait ici. Le banc haut, identique à celui qui l’avait intriguée lors de son exploration de l’étage, l’attira. Elle en examina l’agencement, ainsi que les boutons métalliques qui retenaient l’assise de cuir beige au socle de bois. Puis, elle se pencha en avant de manière à y appuyer le buste et en éprouver le confort.

– Le cheval-d’arçons t’intéresse ? remarqua Mathieu avec un certain amusement.

Suavement, dans une provocation volontaire, elle y grimpa de manière à s’y allonger. Ses genoux et ses coudes trouvèrent place sur les petits appuis situés en dessous de l’assise, ses cheveux noirs retombant sur la matière fraîche où reposait sa joue. Elle tourna la tête vers lui. Il contemplait sa chute de reins et la courbe de ses fesses, si accessibles dans une telle position.

– Tu aimes cette position ?

– Oui.

– Tant que ça ?

Elle eut un moment de réflexion, faisant de nouveau glisser la peau de son visage contre le cuir.

– Je crois que j’ai toujours eu des tendances de soumise.

Puis elle ajouta, sans bouger de sa posture lascive :

– Même si j’ai encore un peu de mal à voir clair dans tout ça.

Mathieu s’interrompit dans ses préparatifs pour se tourner vers elle. Elle s’interdit de regarder les objets qu’il avait commencé à réunir.

– C’est donc quelque chose que tu as remarqué récemment.

– Oui. Enfin, ça ne fait pas bien longtemps que j’y pense sérieusement mais, en réalité, c’est plus ancien. Du moins, je crois. Je ne sais pas.

– Et tu as ?

– Vingt-trois ans.

– Comme moi.

À ce point de la conversation, elle songea que la séance n’était pas encore commencée. Ils en étaient à faire connaissance, à se découvrir.

– Tu es venue seule ?

– Oui.

– Pas de compagnon ou d’amant ?

– Non. Plus, ou pas de façon sérieuse. Je ne suis pas quelqu’un d’« aimable », de toute façon, ajouta-t-elle avec une indifférence feinte.

Elle regretta aussitôt de s’être laissée aller ainsi à la confidence. L’amertume lui était remontée à la gorge. Consciencieusement, elle repoussa cette dernière, puis elle le scruta pour essayer de deviner ce qu’il pensait. En vain. Elle se permit alors de lui poser une question.

– Ça fait longtemps que tu pratiques ce genre de choses ?

Il leva les yeux au plafond, prenant le temps de réfléchir.

– J’ai eu quelques expériences de ce type, quand j’avais 18 ans. C’est jeune, ajouta-t-il en riant à moitié. Mais ça ne fait qu’un an que je le fais plus régulièrement.

– En tant que dominateur.

– En tant que switch.

Elle écarquilla les yeux.

– Ça existe ?

– Bien sûr.

Les traits de Mathieu s’étaient adoucis.

– Pour être sincère, je suis essentiellement dominateur, mais j’aime les deux. C’est différent. L’avantage de pratiquer les deux, c’est de pouvoir facilement se mettre à la place de l’autre, suivant ce que l’on fait, d’anticiper ses réactions… Un bon dominateur devrait d’ailleurs toujours savoir se soumettre. Mais avec toi, ce sera dom’.

Malgré le calme de la conversation et le ton tranquille, elle se sentit soudain gênée. La façon dont le regard de Mathieu s’était assombri était flagrante. Elle se releva du cheval-d’arçons. Il lui semblait avoir commis une faute en s’y étant étendue d’elle-même.

– Déshabille-toi, ordonna-t-il.

Alors, elle obéit. Si aisément. Il lui fut étonnant de constater à quel point elle était prête, désormais, à se remettre entre ses mains, combien elle désirait même lui faire confiance. Du moment où ils s’étaient retrouvés seuls tous les deux, l’atmosphère avait changé. La tension qui avait régné entre eux dans la salle précédente s’était dissipée, laissant plus d’amplitude à la curiosité mutuelle qui était née dès leur rencontre. Elle voulait lui montrer qu’il avait eu raison de la prendre avec lui, qu’elle serait capable de se plier à ses ordres et qu’il n’aurait, à aucun moment, à regretter son choix.

Lentement, ses mains naviguèrent sur le devant de son chemisier, en défaisant les boutons. Elle fit descendre le vêtement de ses épaules, éprouvant la sensation de fraîcheur sur sa peau. Comme elle ne savait pas où le déposer, elle leva les yeux sur Mathieu, et vit qu’il la contemplait avec un intérêt non dissimulé. D’un mouvement de tête, il lui indiqua un meuble bas situé dans un coin. Son chemisier se plissa sur le bois sombre ; sa jupe suivit. Lorsqu’elle fut sur le point de retirer les bas fixés à ses cuisses, un geste l’interrompit : Mathieu avançait d’un pas décidé vers elle. Il détailla le corset court qu’elle portait. Puis, il lissa le rebord fin du tissu recouvrant sa poitrine et glissa son doigt dessous pour en extirper chacun de ses seins, la faisant frémir sous ce contact. Il recula ensuite pour contempler son œuvre, la laissant à demi dénudée dans la trop grande pièce, son corps exposé à l’air comme au regard posé sur elle. Jamais, pourtant, elle ne s’était sentie autant désirable, auparavant. Lorsqu’elle planta le regard dans celui de Mathieu, elle ne fit rien pour lui cacher ce qu’elle éprouvait. Qu’il voie en elle sa volonté et, en même temps, sa fragilité. Qu’il sache qu’elle était prête à s’ouvrir entièrement à lui.

Il resta immobile, la détaillant sans la moindre gêne et, en même temps, avec une pointe d’amusement. La situation semblait particulièrement lui plaire. Il se dirigea ensuite vers un large fauteuil. Ses doigts se posèrent sur les accoudoirs, son corps s’enfonçant dans le cuir mou dont le rouge vif tranchait avec le noir de ses vêtements. Enfin, il lui fit signe d’approcher. Sa voix grave s’éleva quand elle parvint à quelques pas de lui.

– À terre. Jambes écartées. Bras en arrière.

Elle se figea de surprise. Elle tâcha de rester le regard fixé dans celui de Mathieu. Lentement, et comme son cœur battait fortement dans sa poitrine, ses genoux se plièrent. Ses cuisses s’éloignèrent l’une de l’autre. En prenant appui de ses mains derrière elle, elle se rendit compte qu’elle se retrouvait dans une position précaire, son corps se cambrant, sa poitrine tendue et sa respiration faisant monter et redescendre ses mamelons durcis par le froid et l’excitation.

– Préférences ? l’interrogea-t-il, la tête appuyée sur son poing dans une mimique appréciatrice.

Puis il précisa :

– Je n’ai pas eu le temps de lire ta fiche.

Elle refusa de le laisser voir à quel point la situation la perturbait. Après un instant de réflexion, elle tenta :

– Plaisir ?

– Tout n’est que plaisir ici, coupa-t-il avec un rire bref. Tu devrais le savoir. Sexe ?

– Oui.

Le regard de Mathieu s’adoucit.

– Liens, bâillon, bandeau ?

Elle prit une seconde pour répondre. Elle observa le corps du jeune homme assis devant elle et la façon dont ses mèches blondes traversaient l’encre de ses yeux.

– Pas de bandeau.

Puis, après un court instant, elle ajouta :

– Pas de masque non plus.

Il écarta les mains pour lui rappeler qu’il n’avait pas le sien avec lui.

– Tu ne crains ni de te faire attacher, ni de te faire bâillonner ?

Elle aurait voulu éviter de répondre à cette question. Néanmoins, l’attitude autoritaire de Mathieu la convainquit de ne pas persister dans cette voie.

– Il en faut plus pour me faire peur.

Ce n’était pourtant que fanfaronnade. Si elle avait été sincère, elle aurait reconnu que l’idée l’effrayait. Si elle avait été totalement honnête avec elle-même, elle aurait avoué qu’elle l’excitait.

– Pas de marques persistantes, reprit-il. Pas de trucs crades. Rien de trop poussé pour toi puisque c’est la première fois. Si tu sens que ça ne va plus, tu dis « rouge ». À n’importe quel moment. Quoi que l’on fasse. Si je te pose la question sur les couleurs, tu ne me mens pas. Si tu es bâillonnée, je te donnerai quelque chose pour que tu puisses t’exprimer.

Puis il baissa le visage dans une expression plus sombre, empreinte d’une forme de goguenardise.

– Maintenant, il ne t’est plus permis de bouger.

Et le sourire qui se dessina à cet instant sur les lèvres de Mathieu fut autant séduisant que, d’une certaine manière, effrayant.

***

Claire resta coite. L’appréhension, l’inquiétude, la curiosité de savoir ce qu’il se passerait ensuite… Tout faisait battre son cœur, provoquant en elle un émoi inhabituel. Elle le regarda se lever et se diriger vers le meuble proche où il avait réuni son matériel. En le voyant revenir avec une paire de ciseaux, elle eut un moment d’angoisse. Une respiration ample souleva sa poitrine.

– Calme, souffla-t-il en se penchant à son oreille.

Puis il s’agenouilla lentement devant elle. Avec précaution, il réajusta l’emplacement de son corset, le descendant légèrement de manière à ce que le tissu qui avait voilé peu avant sa poitrine ne risque pas de remonter. Il se saisit ensuite de sa culotte pour la tirer et y pratiquer, avec prudence, une fente en son milieu, tandis qu’elle se raidissait avec inquiétude. Puis il se leva pour éloigner la paire de ciseaux. Elle soupira. Quoi qu’il se passe désormais, elle devrait rester avec ce sous-vêtement découpé le restant de la soirée…

Il revint se positionner devant elle, lui adressant un petit sourire en coin, tout en faisant dériver ses doigts sur la courbe de sa gorge, l’arrondi de sa poitrine, le relief de l’un de ses tétons… Puis il descendit progressivement jusqu’à glisser lentement la main au niveau de l’espace humide du bas de son corps. De surprise, elle lâcha un infime son de la gorge et faillit bouger mais s’évertua aussitôt à maintenir la position dans laquelle il lui avait dit de rester. Elle le fixa ensuite, son visage si proche du sien, dans l’attente et la curiosité. Puis, en sentant son index et son majeur s’enfoncer brusquement en elle, elle ferma les paupières. Bien que son sexe soit déjà lubrifié, le geste avait été soudain et la tension forte.

– Garde les yeux ouverts.

Elle obéit, déglutissant en fixant les traits de Mathieu à quelques centimètres seulement de son visage, son regard l’embrasant.

Lorsqu’il ressortit ses doigts pour les faire lentement remonter jusqu’à son grain de chair érigé, elle se mordit la lèvre, fermant de nouveau les yeux sous l’afflux soudain de plaisir, avant de les rouvrir aussitôt, consciente de son erreur. L’ordre se révélait plus difficile à respecter qu’il ne l’avait paru. Étonnamment, son corps se montrait excessivement réceptif, plus qu’il ne l’aurait dû aux prémices de ses caresses. Bien qu’il n’ait encore qu’effleuré son clitoris en quelques mouvements glissants, elle sentait déjà ses cuisses se contracter, son bassin se relever et une boule de chaleur se former dans son bas-ventre. Curieusement, qu’il la touche ainsi lui paraissait pourtant plus anormal que s’il s’était servi de son corps pour son propre plaisir ou que s’il lui avait administré des coups. Il lui semblait qu’il n’avait pas à la caresser, qu’elle aurait dû être celle lui procurant ce type de soins, qu’elle n’était pas à sa place. La totale passivité qu’il avait exigée d’elle ne lui permettait, de plus, aucune porte de sortie. Si elle restait seule à éprouver du plaisir, elle manquait à son rôle et, si elle essayait d’inverser la situation, ce ne pourrait être qu’en fautant gravement puisqu’elle ne respecterait alors pas la consigne qu’il lui avait donnée. À l’arrivée, la situation la perturbait autant que, bien malgré elle, l’excitait. Elle ne s’était pas attendue à un tel acte. Il aurait tant été aisé pour elle de jouer à refuser les gestes de Mathieu, de faire semblant d’être forcée et, plus encore, ne pas avoir à se rendre compte combien chacune de ses paroles et chacun de ses gestes l’affolaient.

Le visage penché, ses mèches blondes masquant en partie la noirceur de son regard, celui-ci semblait se délecter de la vision cruellement érotique qu’elle lui offrait.

Gênée, elle détourna le menton. Il le ramena aussitôt face à lui en le saisissant fermement.

Elle commençait à percevoir ce qu’induisait cet état de soumission. Quoi qu’elle espère, elle ne pouvait pas avoir la maîtrise de ce qu’il se passait, quelle que soit la force avec laquelle elle aurait voulu se convaincre du contraire. Quant au regard posé sur elle, il l’enflammait. Les gestes de Mathieu se firent plus précis. La chaleur enfla entre ses cuisses, et elle ouvrit la bouche plus largement. Les mouvements au niveau de son sexe devinrent plus appuyés. Bien que la gêne restât présente, elle ne pouvait plus le quitter des yeux. Elle sentait encore le goût du liquide âpre avalé au fond de sa gorge, avait toujours l’impression de percevoir la masse qui s’était déplacée contre son palais. Que Mathieu use ainsi de sa bouche l’avait considérablement excitée, l’envie de se toucher qu’elle en avait ressentie la laissant plus sensible qu’elle ne l’avait cru. Au fond d’elle, elle songea à la manière dont ses larges mains pourraient se saisir de ses hanches, la courber, quelle sensation lui procurerait son épais membre en s’enfonçant à l’intérieur de son corps. Qu’il la prenne. Qu’il l’ouvre. Qu’il entre en elle. Elle en avait tellement envie…

Sa tête se renversa en arrière et elle dut lutter pour ne pas fermer les paupières ; ses yeux s’humidifièrent ; sa nuque commença à se raidir tant elle s’arquait. Petit à petit, elle se mit à trembler. La chaleur en elle s’intensifia, quelques contractions s’opérant au niveau de son bas-ventre. Inconsciemment, elle écarta plus largement les cuisses, lui offrant l’entier spectacle de l’émoi de son corps. De discrets gémissements commencèrent à s’évader de sa bouche. Les premiers signes annonciateurs de l’orgasme se firent plus présents, la sensation d’une boule de pur plaisir se constituant dans son ventre, montant… montant irrépressiblement…

Puis, au moment où elle fermait les yeux dans l’arrivée de la jouissance, tout s’arrêta. La présence de Mathieu s’évanouit. Son corps partit presque imperceptiblement en avant comme s’il avait voulu maintenir son contact. Elle rouvrit les paupières aussitôt, s’attendant à ce qu’il reprenne ce qu’il faisait, mais qu’il soit déjà en train de se relever la laissa perdue. Oh non, elle n’avait pas compris avant en quoi constituerait réellement cette session et elle se sentit faible, soudain. Ses muscles étaient encore en train de se raidir, ses cuisses se contractant, tout son être s’élevant en protestation contre cet arrêt inopiné. Son regard se chargea de désarroi. Pas un instant, elle ne rompit cependant la position de soumission dans laquelle son dominateur lui avait dit de rester.

– Bien, commenta-t-il.

Elle ne perçut même pas le ton de félicitation, toute à la souffrance de cet orgasme que son corps ne voulait pas laisser refluer. Elle se sentait bouleversée.

Lentement, douloureusement, ses nerfs attisés finirent par se calmer, la laissant excessivement sensible. Pourtant, la satisfaction d’avoir été capable de supporter ce qu’il venait de lui infliger, de l’accepter, de le subir et d’être encore là, présente et forte, ne viendrait pas encore.

– Lève-toi maintenant.

Elle prit appui sur le sol de ses mains, évitant de le regarder, tant elle était encore confuse. À cause de la position dans laquelle elle s’était tenue et des prémices de l’orgasme, ses jambes étaient devenues faibles, elle ne se sentait qu’à peine la force de s’y hisser. Progressivement, en des gestes mesurés, elle se mit debout, tâchant de trouver son équilibre.

Quelque part en elle, Claire ressentit le besoin d’être réconfortée, rassurée par rapport à cette session qui était en train de se dérouler et qu’elle avait pourtant voulue. Le corps solide qu’elle sentit soudainement contre son buste lui donna envie de s’y appuyer. Lorsqu’il posa les mains sur sa taille, elle se laissa aller entièrement à son contact, à cette présence autant rassurante qu’elle pouvait être grisante.

L’initiation de Claire – saison 1 (2)

Deuxième partie

Claire jeta un coup d’œil autour d’elle. Peu d’autres personnes s’étaient aventurées dans cette partie de la cour et aucune n’avait prêté attention aux agissements du trio. Doucement, elle déambula le long de la piscine, tout en scrutant le lieu où les trois jeunes gens avaient disparu. En s’en approchant, elle constata que, si elle n’avait pas été en train de les observer au moment où ils y étaient entrés, elle aurait sûrement ignoré l’existence de ce passage. Il aurait fallu qu’elle traverse la cour extérieure, et encore, il était si bien dissimulé dans un coin d’ombre qu’on ne pouvait guère le repérer qu’une fois parvenu à ses pieds. Là, une faible lumière, jaune pâle, en éclairait la voie. En haut se dressait une porte noire sans aucune inscription de derrière laquelle émanait une musique assourdie, à la rythmique sensuelle.

Claire resta, un moment, immobile.

Puis elle gravit les marches, les doigts glissant sur la pierre sèche au fur et à mesure de son avancée. Son pouls battait de curiosité et d’appréhension.

Derrière la porte, un couloir exigu lui apparut, éclairé de façon intermittente par la blancheur hypnotique de stroboscopes. Des hommes et des femmes s’appuyaient le long de ses murs, certains se parlant à l’oreille, d’autres s’embrassant avidement. Claire se rendit compte qu’elle devrait les frôler si elle voulait progresser. Les basses du morceau diffusé se répercutaient dans sa poitrine, les stroboscopes lui faisant apparaître les images fugaces de lèvres les unes contre les autres, du galbe d’une jambe dénudée, d’un visage enfoui dans la courbure d’un cou et des ondulations, troublantes, de hanches masculines entre deux cuisses relevées. Si l’atmosphère précédente avait été empreinte de sensualité, celle-ci s’avérait clairement sexuelle.

Lentement, elle se glissa entre les corps lui faisant face, les regards se posant sur elle et les souffles éraillés effleurant sa peau tandis qu’elle les dépassait. Lorsqu’une main se glissa entre ses jambes, elle se retourna pour reculer d’un pas, ne sachant comment réagir. Puis elle poursuivit son chemin.

Plus elle s’enfonçait à l’intérieur du mas, plus la décoration changeait. Plus sombre. Plus sexuelle. Des ouvertures sans porte donnaient sur différentes pièces où de grands lits trônaient, occupés pour la plupart. Certaines chambres possédaient de grands écrans vidéo, d’autres des miroirs sur chacun de leurs murs… une, des chaînes terminées par des bracelets pendant au plafond. Curieuse, elle pénétra dans cette dernière. Celle-ci ne comportait aucun lit mais était meublée, en son centre, par un banc sans dossier sur lequel elle devina que l’on pouvait s’allonger. Le meuble était suffisamment haut pour que le corps de la personne étendue soit au niveau du bassin de celle restant debout ; une assise rembourrée, qui semblait confortable, le recouvrait et de petits appuis, situés plus bas en ses quatre coins, permettaient d’y poser les genoux et les coudes. À côté se dressait une grande croix de saint André, anneaux et lanières fixés à ses extrémités. Ailleurs, une sorte de hamac de cuir était suspendu au plafond par des chaînes. De grands placards, fermés seulement par des grilles, laissaient apercevoir des objets qui attiraient son regard. Elle voulut approcher, mais un bruit sec retint son attention. Il s’agissait d’un son provenant d’une pièce attenante. Le gémissement étouffé qui suivit l’interloqua.

Avançant encore un peu plus, elle découvrit une salle où, derrière une ligne de barreaux, des êtres aux poignets ligotés au mur étaient en train de se faire fouetter, certains très doucement, d’autres plus fort. Quelques personnes regardaient tranquillement, murmurant parfois à l’oreille des uns et des autres. L’aspect de la scène lui donna l’impression d’un spectacle.

Un moment, elle resta, elle aussi, appuyée aux barreaux à observer ce qu’il se passait, étonnée de s’en laisser tant captiver. Elle n’avait jamais vu quoi que ce soit de tel. Ceux maniant les lanières de cuir portaient tous un masque, hommes et femmes. Ceux soumis l’étaient jusqu’au regard des autres. Une curieuse alchimie s’opérait cependant entre ces derniers et leurs dominateurs, donnant à Claire l’impression qu’aucun d’eux n’était là pour le public mais, au contraire, qu’en les observant ainsi, c’était elle-même qui attisait leur jeu. Soudain, un gémissement plus fort lui fit tourner la tête, quelque peu effrayée. La façon dont le responsable s’approcha alors de celui qui venait de crier l’étonna, sa main caressant son dos légèrement strié avant de passer tendrement dans ses cheveux pour lui tourner le visage… L’expression de plaisir mêlé de reconnaissance de ce dernier alors qu’il atteignait soudain l’orgasme la perturba violemment. Gênée, elle se détourna de ce spectacle qu’elle ne comprenait pas.

Tandis qu’elle repartait, songeuse, elle se rendit compte que la durée pendant laquelle elle était restée à observer cette scène lui échappait. Elle ne savait même pas depuis quand elle déambulait dans cette partie du bâtiment. Elle avait l’impression de s’être laissé emporter par l’atmosphère des lieux au point d’en perdre la notion du temps. Un rire la sortit alors de ses pensées. En relevant le visage, elle découvrit, sortant d’une pièce devant laquelle s’amassait un certain nombre de personnes, la femme qu’elle avait observée plus tôt. Quand celle-ci tourna la tête, sa chevelure rousse fendit l’air, puis sa main se leva pour placer devant ses yeux un masque identique à ceux que Claire avait remarqués auparavant.

Elle s’immobilisa, sa respiration s’accélérant. Un coup d’œil rapide aux êtres rassemblés dans cette partie du couloir lui fit repérer le jeune homme à la démarche nonchalante. Le cœur battant, elle jeta un œil dans la salle proche. Si elle y découvrit un nombre plus important encore de personnes conversant à voix basse, comme s’ils venaient eux aussi d’assister à une scène et échangeaient leurs impressions à ce sujet, le troisième homme, celui qu’elle avait vu avec le masque, n’y figurait pas… ou plus ; elle l’ignorait. Elle tâcha de recouvrer ses esprits, surprise de se sentir autant troublée par ce petit événement.

À peine eut-elle reculé qu’une voix l’interpella. Décontenancée, elle considéra la femme à la tenue de cuir rouge qui se tenait à quelques mètres d’elle, l’allure clairement dominatrice. Plus loin, elle reconnut le serveur du bar avec lequel elle avait brièvement conversé, venu la désigner depuis la dernière marche d’un escalier dérobé.

Claire cligna des paupières. La femme la détailla des pieds à la tête, avant d’élever la voix :

– Vous avez demandé une session au donjon. Suivez-moi.

Il fallut quelques secondes à Claire pour réagir. Le serveur était déjà en train de redescendre. La femme portait, elle aussi, un masque vénitien. Lorsque celle-ci tourna les talons, Claire la regarda repartir dans le couloir, troublée par ce qui était désormais une certitude : l’homme qu’elle avait aperçu au bord de la piscine devait, lui aussi, être un dominateur de l’établissement. Puis, elle lui emboîta le pas, son regard partant dans chaque salle qu’elles croisèrent tandis qu’elle se demandait vers quoi exactement elle se dirigeait. Et ce qu’elle cherchait, aussi. Ce qu’elle cherchait, tout au fond d’elle.

Dans aucune de ces salles, elle ne vit l’homme au masque.

Au bout du couloir, un lourd rideau bordeaux marquait la transition vers un lieu interdit aux autres clients. Lorsque la dominatrice le retint pour inviter Claire à la suivre, celle-ci tâcha de ne pas montrer son appréhension. Derrière, un petit vestibule à peine éclairé lui apparut, précédant plusieurs portes, toutes noires et sans inscription. Les murs, ici, se dressaient vides d’une quelconque décoration. Un geste l’invita à ouvrir l’une des portes. Malgré sa gêne, Claire y posa la main, poussant lentement.

Le premier visage qui lui apparut fut celui de la jeune femme aux cheveux roux qu’elle avait aperçue auparavant. Elle était hissée sur un tabouret haut, et ses jambes croisées laissaient visible la couture de ses bas. Elle tenait plusieurs feuilles de papier entre les doigts. Son masque était posé sur une tablette derrière elle.

– Clara ?

– Oui, répondit Claire, puisqu’il s’agissait du pseudo qu’elle s’était choisi.

Son attention fut aussitôt attirée par la femme nue qui était agenouillée plus loin, la tête basse et un harnais en cuir ceinturant sa poitrine. Un homme, affalé dans un fauteuil, les pieds sur une table où traînaient des verres vides et un tas de documents, tenait une cravache. De temps en temps, il jetait un œil à la femme, immobile, à ses côtés. En se rendant compte que les fesses de cette dernière étaient marquées de zébrures rouges, Claire se sentit perdue, comme distancée par ce qu’elle découvrait.

– Préférence : homme, cita la femme assise sur le tabouret.

Claire dut expirer profondément pour reprendre ses esprits. Elle observa celle qui venait de prendre la parole, découvrant que ce qu’elle tenait à la main était le questionnaire qu’elle avait rempli en arrivant, et qu’elle était en train de le lire.

– Olivier est occupé pour l’instant, enchaîna-t-elle.

Claire hocha la tête, l’esprit embrumé. Son regard repartit vers la soumise dont les yeux ne quittaient pas le sol. Même si l’homme assis dans le fauteuil ne lui adressait presque aucun regard, il était évident que toute son attention était focalisée sur la femme agenouillée auprès de lui.

– On peut avoir une session toutes les trois, Isabelle et moi, indiqua la dominatrice à la tenue de cuir rouge.

Puis elle précisa :

– Sans caractère sexuel. On manque de membres masculins ce soir. Ou tu peux attendre qu’un autre dom’ soit libre. Cain devrait bientôt être là.

Ce nom fit tiquer Claire. Elle se sentait mal à l’aise. Si, à l’origine, elle n’avait considéré cette session que comme une éventualité, certes inquiétante, mais à l’attrait de laquelle elle n’avait pas eu envie de résister, elle se rendait désormais compte à quel point elle avait présumé de sa propre audace. Le contraste entre ses fantasmes et la réalité était, de plus, flagrant. Elle ne savait plus si elle serait capable d’affronter un tel univers, si elle serait même prête à en faire l’essai.

Perturbée, elle ne vit s’ouvrir la porte située de l’autre côté de la salle que dans un brouillard cérébral. Le jeune homme qui pénétra à son tour dans la pièce, le masque à la main et un large sourire sur le visage, ne fit qu’embrouiller un peu plus ses repères. Un temps, la présence de la femme au sol, les marques sur ses fesses et l’attitude hautaine des deux dominatrices devinrent floues dans son esprit. Même le nouvel arrivant eut un temps d’hébétude, son sourire s’évaporant en découvrant Claire.

Du jeune homme qui venait d’entrer se dégageait un charme surprenant, captivant de bien des manières. Si la vision que Claire avait eue de lui, au bord de la piscine, avait suscité son intérêt, elle se sentait plus intriguée encore en le découvrant soudain devant elle. L’incroyable légèreté qu’il affichait tranchait avec l’image qu’elle avait d’un dominateur ; ses cheveux blonds en bataille lui donnaient un air de débauche et son sourire contrastait avec les expressions froides qui avaient accueilli Claire jusque-là. Quant à son attitude, elle était fraîche et espiègle, comme si tout ce qui se tramait en ces lieux reculés ne représentait, pour lui, qu’un jeu très distrayant. Seul l’aspect sombre de son regard rappelait qu’il n’avait certainement rien d’un simple garçon turbulent.

– Lui, c’est Mathieu, l’informa Isabelle. Et son planning est complet pour toute la soirée.

Claire accusa le coup. Durant quelques secondes, elle avait cru qu’il s’agissait du Cain qu’on lui avait annoncé. Perdue, elle tourna le visage vers la femme qui venait de lui parler, ne se rendant pas compte de la façon dont elle la dévisagea, faisant s’offusquer tous ceux qui l’entouraient, tant elle parut irrespectueuse. Seul ledit Mathieu, dont le regard était en train de descendre le long de la silhouette de Claire, en eut un sourire amusé.

Claire reporta son attention sur lui, tâchant de démêler les fils de son esprit.

Tant d’événements s’étaient succédé pour elle ces derniers temps : sa rupture avec Thomas, sa prise de conscience de la façon dont elle s’était laissé cloîtrer par cette relation, les propos du type lui ayant remis le flyer et la manière dont elle s’était laissé partager entre lui et un autre homme, comme s’il s’était agi de la place qu’elle devait occuper. Sa fascination pour la manière dont d’autres se faisaient attacher… De tous ces éléments, elle avait pu tirer une conclusion, une seule : elle ne se connaissait pas. Elle n’avait jamais été dénuée de caractère, stupide ou incapable de se révolter. Elle avait des convictions, des envies, et la façon dont elle gérait ses études, dans le cursus difficile qu’elle avait choisi, témoignait de la volonté dont elle pouvait faire preuve. Durant sa relation avec Thomas, elle s’était pourtant montrée tellement soumise… et elle n’avait guère agi différemment lors de sa dernière soirée. S’il y avait un élément, dans tout le trouble qu’elle avait ressenti depuis, qui pouvait encore avoir du sens, c’était qu’elle avait besoin de se trouver. Elle ne voulait plus laisser les autres décider de ce qui advenait d’elle, et certainement pas s’engager dans une session avec ces deux dominatrices dont l’attitude autoritaire la mettait mal à l’aise.

Inconsciemment, elle s’appuya contre le mur de pierre, scrutant le jeune homme aux cheveux clairs dans un temps de réflexion.

– Tout le monde veut toujours Mathieu, se moqua ensuite l’homme enfoncé dans le fauteuil.

– Pourquoi toujours, hein ? protesta celui-ci sur un ton de plaisanterie.

Puis il se pencha pour attraper un gros cahier noir posé sur la table. Claire le regarda s’adosser au mur et en feuilleter les pages d’un air blasé.

– Tu n’as pas rempli la partie « expériences », poursuivit Isabelle à l’intention de Claire. Tu en as déjà eu au moins ?

Mathieu releva la tête avec beaucoup d’intérêt. L’ombre séductrice, joueuse, qui s’alluma dans son regard mit Claire mal à l’aise. Elle appuya la joue sur la pierre du mur, à côté d’elle, en recherchant la fraîcheur et, d’une certaine façon, le soutien. Elle ne voulait pas se laisser écraser par ce groupe de dominateurs.

– Oui, mentit-elle finalement.

– Et en vrai ? enchaîna aussitôt Mathieu.

Un sourire amusé jouait au coin de ses lèvres.

La poitrine de Claire se souleva. Elle eut un instant d’hésitation.

– Non, corrigea-t-elle.

Si elle parvint à garder une voix froide, elle sentit cependant le creux de son ventre se contracter. L’expression de Mathieu, qu’elle aurait imaginée moqueuse, ne fut pourtant marquée que de plus de regrets. Il tourna les pages suivantes de son cahier avec tant de théâtralité, dans son dépit, qu’il aurait pu les arracher. L’homme enfoncé dans le fauteuil se mit à rire. Claire ne lâchait plus Mathieu des yeux.

Au bout d’un moment, celui-ci lança un regard interrogatif à sa collègue.

– Clara, lui indiqua-t-elle. Inscrite dans la soirée.

Il acquiesça pensivement, avant de retourner examiner son carnet. Puis, il releva le visage vers elle, comme gêné par son regard. Elle le fixait avec trop d’attention, témoignant de son attente d’un acte de sa part. Il eut un rire bref, nerveux.

– Je ne peux pas, finit-il par lâcher.

Claire ne comprit pas. Elle avait entendu ce qu’on lui avait expliqué mais son esprit embrouillé ne parvenait pas à l’intégrer. Elle avait vécu les années précédentes dans l’acceptation de tout ce que les hommes ayant partagé sa vie avaient voulu d’elle ; pourquoi fallait-il que, pour une fois qu’elle tâchait de décider elle-même de ce qui lui arrivait, ce lui soit refusé ? Nerveusement, elle passa les doigts sur les ailes de son nez, paupières fermées.

– Que faut-il que je fasse ? dit-elle finalement.

Cette question était tout ce qui lui était venu à l’esprit. Elle se sentait encore amère de ses déceptions passées, révoltée contre la vie qui se montrait si complaisante à l’enfoncer dans des situations qu’elle ne gérait pas, mais si rude lorsqu’elle tentait d’en maîtriser le cours.

– Et puis une première fois, ça ne se fait pas comme ça, poursuivit Mathieu comme s’il ne l’avait pas entendue mais, plus encore, comme s’il pouvait ainsi se convaincre. Il faut s’y préparer, prendre le temps de discuter et… il n’est pas conseillé du tout, de toute façon, de pratiquer tout ce qui est sexuel tout de suite et puis…

L’attention de Claire se porta particulièrement sur ces derniers mots, évoqués si soudainement, alors qu’elle n’avait fait aucune demande à ce sujet, et… comme à regret. Elle retrouva un semblant de contenance.

– Que faut-il que je fasse ? répéta-t-elle.

***

Mathieu eut un rire nerveux. Il referma brusquement son carnet qui claqua dans sa main. Il n’y avait rien de fréquent dans le fait de voir se présenter seule, comme Clara était en train de le faire, une novice, et encore moins une femme dont l’apparence attirante se combinait à une attitude aussi irrévérencieuse que la sienne. Tout en elle se trouvait aux antipodes du comportement que devrait avoir une soumise. Tout en elle semblait pourtant si prêt à y sombrer… L’idée d’être le premier à la mener parasitait ses pensées.

– T’inscrire à l’avance, soupira-t-il. Revenir une autre fois en prenant rendez-vous plusieurs jours avant.

– Je ne suis pas d’ici.

– Et alors ? Moi non plus.

Cette dernière remarque eut l’air de faire réagir la jeune femme. Comme si elle avait failli oublier que, sortis de ce lieu et de leurs artifices, les êtres qui l’entouraient n’étaient guère plus que ses semblables.

– Que faut-il que je fasse ? insista-t-elle de nouveau.

Agacé, Mathieu jeta son cahier sur la table. Sa tête se renversa en arrière, son regard partant au plafond. La jeune femme face à lui n’avait décidément rien de l’attitude qui convenait à une soumise. Pourtant, son comportement le séduisait plus qu’il n’avait envie de se l’avouer. Il avait toujours trop aimé le combat. Ses paupières se fermèrent, l’image nue de la jeune femme, entièrement offerte à son regard comme à sa volonté, s’y substituant.

Quand il reposa les yeux sur elle, une lueur plus sombre, joueuse, y avait pris place, emplie de défi.

– Montre-moi de quoi tu es capable.

***

Claire ne s’était pas attendue à ce tournant. La demande lui fit l’effet d’un choc. Quelque chose avait changé dans l’attitude du jeune homme, quelque chose qui n’avait plus rien à voir avec ses mimiques amusées. Désormais se trouvait en face d’elle un dominateur, autoritaire. Inflexible. Un petit sourire aux lèvres, il la dévisageait avec une provocation évidente. Elle se tourna vers les autres membres de la pièce. Tous observaient silencieusement leur échange, les visages fermés. La femme au sol ne bougeait toujours pas.

– Alors ? la relança Mathieu.

Elle se passa la main dans les cheveux, décontenancée. Le regard qu’elle adressa ensuite à Mathieu fut alors empli d’autant de certitudes, quant à ce qu’elle avait décidé de vivre, que de révolte. Elle savait ce qu’elle voulait. Elle ne pouvait cependant pas deviner elle-même comment agir. Dans un mouvement de bravade, elle se décolla du mur, puis avança jusqu’à un mètre de lui. Il ne bougea pas, se contenant de lui faire signe de s’approcher encore. Elle n’eut qu’une seconde d’hésitation. Lorsqu’elle parvint enfin à ses côtés, elle détourna le visage, penchant la tête vers son épaule en laissant la présence de cet homme électriser son cou.

– Tu ne sais pas, hein ? lui fit-il remarquer.

Son souffle survola la peau de Claire, celle-ci en ressentant l’obscure sensualité.

– Non, soupira-t-elle.

– Regarde la femme agenouillée au sol.

Elle obéit. Elle ne voyait qu’une situation choquante.

– Tu comprends ce qu’il se passe ?

– Non.

Et, dans l’aveu, elle releva les yeux vers Mathieu en une expression qui ne masquait rien du trouble que leur soudaine intimité lui provoquait. Elle le vit sourire. Il ne lui fit cependant aucune grâce, s’éloignant pour s’adosser nonchalamment contre le mur avant de la fixer de nouveau avec une provocation manifeste.

– Alors ?

Elle expira profondément. Si elle savait parfaitement ce qu’elle avait demandé en sollicitant cette session, elle n’était pas encore prête à ployer ainsi la nuque. Mathieu lui avait cependant lancé un défi et il était hors de question qu’elle le laisse continuer à la prendre pour une pauvre fille perdue dans un univers qu’elle était incapable d’assumer. Et ceci était aussi valable pour les autres qui l’entouraient, surtout les deux dominatrices dont l’attitude hautaine lui déplaisait.

Lorsque l’une d’entre elles interpella Mathieu pour lui demander d’abandonner, Claire l’interrompit d’un mouvement de main, le regard empli de détermination. Elle allait faire ce qui lui était demandé. Il n’était plus utile pour eux d’intervenir.

Lentement, elle franchit la distance la séparant de Mathieu, avant de s’arrêter un moment face à lui. Puis, elle s’agenouilla. Une fois au sol, elle posa les mains sur l’avant de ses cuisses et dirigea le regard vers le côté, son expression tel un mélange de provocation et de soumission, tandis que l’une de ses mèches brunes tombait le long de son visage. Plus personne n’éleva la voix à l’intérieur de la pièce.

D’une curieuse manière, le sentiment d’humiliation que Claire s’était attendue à ressentir ne survint pas, laissant la place à une fierté inhabituelle, pour ce qu’elle était en train d’accomplir, pour être capable de répondre à ce qui lui avait été demandé tout en ne s’écrasant pas. Se retrouver au centre de toute leur attention suscitait, de plus, un sentiment inhabituel en elle. La situation se révélait infiniment troublante. Tout lui restait cependant inconnu. Comment devait-elle se comporter ? Quelles étaient les règles ? Personne ne la guidait. Personne ne l’aidait dans ce domaine dont elle ignorait les lois.

Impitoyablement, le temps s’étira, aucun mot, aucune action ne venant la tirer de sa situation.

Au bout d’un moment, relever le regard devint une nécessité. Elle n’osa pas chercher celui de Mathieu, si haut au-dessus d’elle. Seulement, elle contempla ce qui lui faisait face, le corps de cet homme dont le bassin était si proche, désormais, juste devant son visage, et dont l’entrejambe se révélait légèrement gonflé. Elle en était si près. Durant quelques instants, elle songea à la manière dont elle devait agir, mais fut incapable de trier les fils emmêlés de son esprit. Alors, elle pensa à ce qu’elle-même voulait. Elle.

Progressivement, ses doigts se levèrent et elle se mit à défaire les premiers boutons du pantalon devant elle. Au moins s’agissait-il de quelque chose qu’elle maîtrisait, et puis elle en avait envie ; c’était tout ce à quoi elle pensait. À chaque instant, elle s’attendait à se faire repousser. « Pas de pratiques sexuelles », avaient-ils tous dit. Pas la première fois, en tout cas. Personne ne la retint cependant dans ses gestes. Personne ne l’encouragea non plus. Elle tâcha d’oublier les visages tournés vers elle.

Le sexe qu’elle extirpa du vêtement de cuir était déjà à demi levé. Sous son regard, il se durcit un peu plus. Claire le contempla un moment, surprise d’en découvrir la taille et l’épaisseur. Plus affolante encore lui parut la manière dont son propre corps s’en réchauffa.

Lentement, très lentement, elle approcha le visage, désireuse de percevoir la sensation de cette chair à l’intérieur de sa bouche. Elle passa la langue sur les bourses durcies. Le membre se contracta, provoquant en elle une décharge plus forte d’envie. Sa main se posa sur la cuisse juste à côté, s’accrochant à la matière du pantalon. Appuyé d’une main contre le mur et le visage baissé vers elle, Mathieu ne bougea pas. Elle remonta doucement le long de la chair tendue, léchant, la caressant de ses lèvres.

Alors que sa bouche glissait sur la peau douce du gland pour l’envelopper à peine, Mathieu posa la main à l’arrière de son crâne, lui faisant marquer un temps d’arrêt. La prise sur elle était à la fois douce et ferme. Il s’agissait de la première invitation à continuer qui lui était adressée. Elle ne regarda pas le visage au-dessus d’elle. Elle ouvrit simplement la bouche, plus largement, et y fit entrer profondément le sexe de Mathieu. Quand elle leva enfin le regard, elle vit le désir dans ses yeux, la curiosité, l’envie de savoir jusqu’où elle irait ayant succédé à la provocation. Le défi était encore là. Claire fit ressortir doucement son membre, s’accordant une seconde pour respirer plus lentement. Pas un instant, elle ne regretta son geste. Elle retourna faire glisser le long de son palais l’axe de chair qui l’attirait.

Alors qu’elle commençait à pratiquer quelques va-et-vient mesurés, une main se posa soudain sur son épaule. La façon brusque dont elle se fit repousser la surprit, la chair humide sortant de sa bouche tandis que son dos se retrouvait plaqué contre le mur. Abasourdie, elle ne put que cligner des yeux.

– Ce n’est pas comme ça qu’on s’y prend.

Le ton était autant dur qu’explicatif.

– Si tu le fais, fais-le bien.

Claire essaya de reprendre ses esprits. En redressant le visage vers celui de Mathieu, elle le découvrit avec la respiration accélérée et les yeux légèrement vitreux. Les doigts qui se saisirent de son épaule la firent se raidir, la laissant interdite.

Quand Mathieu se rapprocha pour positionner de nouveau son sexe devant ses lèvres, elle comprit cependant aussitôt. Son crâne s’appuya contre le mur derrière elle. Parce qu’elle n’avait pas l’habitude d’un tel membre, elle avait évité de le prendre trop profondément dans sa bouche. Ses paupières se fermèrent. Elle ouvrit la mâchoire. Elle attendit que la verge encore luisante de salive glisse à l’intérieur d’elle. Elle en avait envie. Bien malgré elle, elle se rendit compte de l’incroyable excitation que faisait naître en elle cette situation.

L’initiation de Claire – saison 1 (1)

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Érotique, BDSM, hot.

Résumé : Mais que fait-elle ici ? À peine est-elle entrée dans le club très privé que Claire se demande ce qui lui a pris de venir dans cet endroit. Pourtant, elle se sent irrésistiblement attirée par ce mystérieux « donjon » et ses alcôves aux mille promesses indécentes. Et lorsqu’elle croise le regard de Mathieu, elle comprend. Elle comprend que c’est ici qu’elle pourra enfin se révéler. Elle comprend que c’est lui qui l’initiera au côté sombre du désir…

Roman sorti en numérique aux éditions Harlequin. Et très bientôt en papier ici !
Vous pouvez découvrir toute la première partie de ce roman ici. Profitez-en !

Première partie

D’une main, Claire attrapa le flyer qu’elle avait déposé sur le siège passager. Ses cheveux lui battaient le visage tandis que la musique diffusée par la radio s’échappait des fenêtres ouvertes de son véhicule. Elle jeta un œil au plan dessiné au dos du tract, avant de le retourner. Brièvement, elle observa la photographie représentant une grande demeure de pierre de couleur chaude, perdue au milieu de champs dorés. Il s’agissait bien de la bâtisse vers laquelle elle se dirigeait. L’établissement n’était pas visible depuis la route mais, depuis le petit chemin qu’elle était en train de remonter, on pouvait le reconnaître. Le soleil déclinant éclairait la façade d’une lumière orangée, tandis que les quelques arbres l’entourant se paraient d’un vert plus soutenu.

La terre crissa lorsqu’elle se gara sur le parking situé en contrebas. Claire s’étira, les bras appuyés au volant, tout en examinant les véhicules déjà stationnés ; au milieu du luxe environnant, sa Mini d’étudiante détonnait complètement. Tant pis, décida-t-elle en ouvrant la portière. Elle n’était pas venue ici pour faire un concours de la plus belle voiture.

Une fois dehors, elle examina la large demeure. Les hauts murs la ceinturant ne laissaient rien deviner de ce qu’ils cachaient, mais elle avait pu apercevoir, depuis la route, les différents bâtiments la composant. Plus loin se dressaient quelques collines à l’herbe séchée par le soleil et aux genêts en fleur, bercées par le chant des cigales. On aurait pu se croire dans un lieu de villégiature estival, à la porte d’un mas restauré pour accueillir les touristes en mal de tranquillité. Pourtant, malgré l’aspect chaleureux des lieux, elle ne parvenait pas à se sentir tout à fait à l’aise. Elle n’avait décidé de venir qu’au tout dernier moment et, elle le savait, il lui faudrait plus d’audace qu’elle n’en avait déjà eue pour en franchir l’entrée…

Presque sans y penser, elle défit le premier bouton de son chemisier. En cette période caniculaire, la chaleur restait forte une bonne partie de la nuit. Son attention fut soudain attirée par un jeune couple qui venait de se garer un peu plus loin et qui la regardait. Par réflexe, elle cala plus nettement son dos contre la portière derrière elle : dans leur regard, elle avait vu une lueur d’intérêt s’allumer. Elle les suivit des yeux tandis qu’ils s’éloignaient. La soirée n’était pas encore amorcée ; elle avait encore le temps de réfléchir à ce qu’elle s’apprêtait à faire.

Lorsque le couple s’engagea dans une courte allée menant à l’entrée de l’établissement, elle reporta son attention sur le parking avant de s’allumer une cigarette d’un geste plus nerveux qu’elle ne l’aurait voulu. L’odeur de la fumée se mêla à celle des herbes sèches, provoquant en elle un certain apaisement. Puis, elle jeta de nouveau un œil sur le flyer qu’elle tenait en main, relisant les informations qui y figuraient, et notamment le « tenue correcte exigée » inscrit sous la mention « établissement très select ». Bien qu’il s’agisse de son plus bel ensemble, il lui parut soudain certain que le chemisier noir et la jupe courte qu’elle avait revêtus ne suffiraient pas.

Elle inhala longuement une bouffée de tabac avant de la relâcher dans l’air, observant ses volutes se délayer dans le bleu-gris du ciel.

Aussi loin qu’elle se souvienne, elle n’avait jamais eu besoin de séduire, du moins volontairement. Attirer un regard comme celui du couple qu’elle venait de croiser n’avait donc pas de quoi la surprendre, seulement de quoi la faire hésiter, étant donné la nature du lieu dans lequel elle s’apprêtait à pénétrer. Mais au fond d’elle, elle en était consciente, elle n’hésitait pas vraiment. Non. Elle savait qu’elle ne reviendrait pas sur ses pas désormais. Même si elle aurait été bien en peine d’expliquer rationnellement ce qui l’avait tant attirée dans un tel endroit…

Les inscriptions sur le papier glacé qu’elle tenait à la main dansaient devant ses yeux : « soirées libertines », « restaurant », « piscine », « sauna », « hammam » et surtout ce mot à la tonalité inquiétante, « donjon ». Claire n’avait pas manqué le sourire du type qui le lui avait donné quand il lui avait dit que, vu ses tendances, l’endroit pourrait lui plaire. « Vu ses tendances »… Elle n’avait même pas songé à s’offusquer de ces propos. Que savait-il d’elle, après tout ? En y repensant plus tard, elle s’était cependant demandé s’il y avait eu un fond de vérité dans ces paroles.

De lui et de l’autre homme qui l’avait abordée ce soir-là, elle n’avait pas retenu les noms ; ce n’était pas ce qui l’avait marquée. Elle se souvenait surtout de leur souffle contre sa bouche, du poids de leurs corps sur le sien et de la pression de leurs doigts sur ses hanches s’intensifiant. Elle avait connu pour la première fois la sensation d’avoir un sexe dans sa bouche et un autre entre ses cuisses et, quoi qu’elle ait pu en penser ultérieurement, elle avait aimé être prise de cette façon. Elle l’avait aimé infiniment. Elle s’était sentie unique en voyant celui qui avait été au fond de sa gorge se déplacer derrière ses fesses pour la prendre à son tour. Se faire désirer ainsi l’avait excitée bien plus qu’elle ne l’aurait imaginé.

Les jours suivants, elle avait tellement tourné et retourné le tract entre ses doigts, allongée sur son lit, qu’elle en savait désormais chaque ligne par cœur. Les promesses et les mystères de ce lieu ouvert seulement aux initiés l’avaient totalement obsédée.

Le pourtour de sa cigarette émit un crépitement alors qu’elle inhalait sa dernière bouffée. Elle l’écrasa sous la pointe de son escarpin, puis elle jeta un œil au couple qui l’avait dépassée. Ils attendaient dans l’allée menant à l’entrée. Alors elle se décida.

Elle allait les rejoindre. Quelles que puissent être ses incertitudes et ses appréhensions, il n’était plus temps de reculer.

***

En approchant, Claire découvrit une lourde porte noire à laquelle un cœur en tissu molletonné était accroché. Juste à côté, une petite fenêtre de verre dépoli laissait deviner un intérieur dont les couleurs dominantes se déclinaient en des nuances de rouge et de violet. Aucun écriteau n’indiquait le nom des lieux. Lorsqu’un cliquetis parvint à ses oreilles, elle s’arrêta, le cœur battant. La porte s’entrouvrit juste assez pour qu’un homme au corps massif et à la tenue distinguée y apparaisse. Ses yeux étaient d’un bleu si pâle qu’ils en rendaient son regard troublant.

– C’est pour la soirée ? demanda-t-il poliment.

Le couple hocha la tête. Claire remarqua que l’homme se crispa et que la femme retint sa respiration.

– Je suis profondément désolé, poursuivit le portier. Une autre fois, peut-être.

Son ton était resté parfaitement cordial. Claire fut réellement étonnée par ce refus. Elle regarda le couple partir, la déception visible sur leurs visages. Alors que le regard du portier se posait soudain sur elle, elle eut un instant de gêne. Comme pour se protéger, elle porta le flyer devant ses lèvres. L’homme l’observa plus intensément.

– Entrez, je vous prie, décida-t-il enfin.

Il fallut une seconde à Claire pour intégrer le sens de la phrase et retrouver un semblant de contenance. La porte s’ouvrit devant elle, dévoilant un couloir aux pierres identiques à celles de l’extérieur, décoré çà et là de quelques photos de la campagne attenante. Après une brève expiration, elle se recomposa une attitude assurée pour avancer. Une musique d’ambiance, à la rythmique calme et sensuelle, lui parvenait en sourdine d’une pièce adjacente.

– Vous avez un vestiaire juste après la caisse, l’informa l’homme en désignant une ouverture dans le couloir.

Quand il referma la porte, Claire croisa les bras par réflexe sur sa poitrine.

– Le couple ? s’enquit-elle en voyant l’homme se diriger vers le comptoir d’entrée.

– Nous choisissons notre clientèle en fonction de la soirée.

La réponse la laissa perplexe, mais le sourire que le portier lui adressa fut tellement empli de charme qu’elle n’osa pas le laisser paraître. Que les responsables de ce club soient à ce point difficiles l’intriguait. Si les gens qui venaient d’être refusés ne méritaient pas d’être admis ici, à quoi ressemblaient ceux qui obtenaient ce privilège ?

Lorsqu’elle fut introduite dans la salle sur laquelle débouchait le couloir, le spectacle qui s’offrit à elle lui fit oublier un instant cette dernière interrogation.

Sous le ciel pâle de la nuit naissante se dressait un vaste bar à moitié couvert où le calme rustique des pierres se mêlait à un mobilier moderne au goût raffiné. Des éclairages, alternant entre des nuances de rouge, de rose et de violet, balayaient de luxueux fauteuils recouverts de cuir coloré. Plus loin, une volée de marches descendait vers une piste de danse occupée en son centre par une gigantesque piscine, d’où s’élevaient trois podiums de hauteur différente. Quelques groupes de clients à l’allure distinguée s’étaient déjà installés, accoudés au bar ou perchés sur des tabourets surélevés, parfois alanguis dans les canapés qui entouraient de larges tables. Les robes à la coupe parfaite succédaient aux tenues de marque, élégantes mais décontractées, les bas crissant sur les jambes croisées bien haut, les dentelles noires dévoilant la naissance de poitrines délicates tandis que les chemises masculines laissaient deviner des dos agréablement musclés. Si les couleurs de la salle étaient vives et sensuelles, celles des tenues se déclinaient majoritairement en des teintes de noir et de blanc, tout autant érotiques.

Claire baissa les yeux sur le document qui lui avait été donné à l’entrée. Elle s’approcha du comptoir pour l’examiner plus consciencieusement. Il s’agissait de plusieurs feuilles agrafées où était écrit en en-tête : « Charte de l’établissement sur les règles et les précautions d’usage ». Le barman, un jeune homme à la beauté androgyne et aux yeux aussi clairs que ceux de celui qui l’avait introduit, lui tendit un stylo avec un sourire.

– Pour la dernière partie, si vous le voulez, il faudra indiquer votre pseudo pour la personne là-bas.

En se tournant pour suivre son mouvement de tête, elle découvrit une femme d’une quarantaine d’années. Entièrement vêtue d’une tenue semblant sortie des ateliers des plus grands créateurs, elle buvait un verre en compagnie d’un homme du même âge à une table non éloignée. Son visage, maquillé avec savoir, mettait parfaitement en valeur sa beauté glaciale.

– La maîtresse des lieux ?

– « Les », précisa le serveur. Ce sont tous les deux les propriétaires.

Claire hocha la tête. Un temps, elle se demanda quelle vie un tel couple pouvait bien mener pour partager la gestion de ce genre d’établissement.

– C’est la première fois que vous venez ? l’interrogea le barman en lui tendant un verre.

– Oui.

Petit à petit, la salle se remplissait. La nuit entièrement tombée, les éclairages se faisaient plus présents. L’air était encore chaud. Au-dessus de sa tête, les premières étoiles faisaient leur apparition. De jeunes gens aux tenues classieuses et aux chevelures arrangées avec soin traversaient la salle avant de s’installer. Certains avaient une allure ouvertement sexuelle, portant des tenues en vinyle ou en cuir, sans qu’à aucun moment elles ne paraissent pourtant d’une quelconque vulgarité. Un groupe de trois femmes aux poitrines nues sous de simples voilages traversa l’espace en souriant avec assurance. D’autres riaient ensemble. Quelques masques vénitiens ajoutaient une touche de mystère à certaines figures.

Si Claire n’était jamais entrée dans un établissement comme celui-ci, elle ne pouvait pas dire que ce qui s’y déroulait lui était totalement inconnu. La dernière soirée à laquelle elle s’était laissé emmener et qui s’était conclue par elle, à quatre pattes en train de se faire prendre par deux inconnus tandis que d’autres se faisaient attacher ailleurs, lui en avait donné un aperçu.

D’une certaine manière, cela n’avait pas été une révélation pour elle. Plus jeune, elle avait déjà lu, avec la curiosité et les battements de cœur de ceux qui accèdent à l’interdit, certaines des œuvres de Sade et le roman Emmanuelle. L’été, elle avait aimé s’allonger, bras nus, dans l’herbe du parc de sa ville pour s’abandonner aux curieuses sensations que suscitait en elle cette littérature. Plus tard, seulement, elle s’était rendu compte que le désir qu’elle lisait, elle-même pouvait le susciter ; la manière dont certains hommes, plus mûrs, s’étaient soudainement mis à la regarder l’avait alors légèrement perturbée. C’était à ce moment de sa vie qu’elle avait commencé à avoir des petits amis. Aucun n’avait cependant duré, tant les jeunes gens de son âge lui paraissaient fades, inconsistants et sans intérêt. Une aventure singulière s’était alors produite. Un homme d’une dizaine d’années de plus qu’elle l’avait abordée, se montrant tellement charmant qu’elle avait accepté sa proposition de lui offrir un verre, le suivant naïvement chez lui jusqu’à ce qu’elle le découvre adepte d’un type de sexualité qui, s’il avait abondamment peuplé ses fantasmes, l’avait cependant effrayée. Aujourd’hui encore, elle ignorait ce qu’il se serait passé si elle n’avait prétexté une excuse idiote pour s’enfuir. Probablement rien, après tout, mais les événements récents avaient éveillé ce souvenir.

Puis, à l’aube de ses 17 ans, elle avait rencontré Thomas. Cette fois encore, une dizaine d’années les séparaient et Claire s’était tant laissé conquérir par son esprit et son humour qu’elle était tombée éperdument amoureuse de lui. Oh ! elle avait bu toutes ses paroles, acquiescé à chacun de ses avis, l’admirant comme seule une adolescente de 10 ans sa cadette l’aurait pu. Thomas était déjà plein de certitudes, mais elle y avait vu du savoir, de la maturité qui lui manquaient, et n’avait eu de cesse d’essayer de s’élever à sa hauteur. Lorsqu’elle avait appris ensuite qu’il était déjà marié, elle l’avait même accepté sans trop de difficultés. Cependant, peu à peu, tous ses espoirs de parvenir à vivre une vraie vie de couple avec lui s’étaient taris. Cent fois, elle avait songé à le quitter. Cent fois, elle en avait été incapable ou était revenue sur son choix. Puis, le temps était passé et toutes les promesses stériles de Thomas l’avaient lassée. Probablement était-elle devenue moins naïve, également ; elle avait fini par grandir. Lorsqu’elle s’était décidée à poser un regard objectif sur sa vie, elle avait constaté qu’elle avait gâché les meilleures années de sa jeunesse à attendre un homme qui ne quitterait jamais son épouse pour elle ; elle avait alors 22 ans. Un soir, elle avait ressenti le besoin de savoir si, dans le désastre de son existence, elle pourrait tout de même encore séduire et avait trouvé sa réponse dans le premier bar dans lequel elle était entrée.

Depuis, elle avait la sensation d’être incapable de revenir à la réalité. Aux rêves d’amour dans lesquels elle avait tant vécu auparavant s’était substituée une soif de vivre tout ce à côté de quoi elle avait eu le sentiment d’être passée. Elle n’avait répondu à aucun appel ou message de Thomas, elle sortait facilement tous les soirs ou, au moins, un soir sur deux, fréquentait les bars ou les boîtes de rencontres, n’approfondissait aucun contact, cherchait seulement un corps, des mains, un sexe, surtout rien qui ressemblait à des sentiments. Draguer, séduire, elle n’avait alors jamais à le faire d’elle-même. Au plus, si elle voulait un homme en particulier, il lui suffisait de s’asseoir dans son champ de vision de manière à se montrer disponible. Elle n’avait que peu à le regarder ; il viendrait. Elle interrompait toujours rapidement les tentatives de conversation pour en venir aux faits. Ils avaient des relations sexuelles là où le type le voulait, que ce soit dans un lieu public proche ou bien chez ce dernier, jamais dans son propre appartement par contre.

Son entourage pensait qu’il s’agissait d’une passade, lui assurait qu’elle était encore jeune, qu’elle avait le temps de rencontrer quelqu’un de bien ; elle n’y croyait pas. Thomas n’avait jamais rien ressenti d’autre pour elle que du désir et elle savait qu’il en était de même de tous ceux dont elle avait partagé le lit. Qu’elle puisse avoir des chances de tomber de nouveau amoureuse lui paraissait improbable. Quant à celle qu’elle avait de susciter de tels sentiments, elle préférait ne même pas y penser. Au point où elle en était parvenue, elle ne savait même plus s’il y avait quoi que ce soit d’« aimable » en elle. Ce à quoi avaient accédé un jour la plupart des autres êtres humains lui avait été refusé ; comment aurait-elle pu continuer à rêver ? Et puis, elle avait encore besoin de se chercher et, surtout, de se comprendre. La petite adolescente qui s’était éveillée au fond d’elle lui avait rappelé qu’avant son existence soumise, elle avait été une jeune fille extravertie, ouverte et pleine de curiosité. Désormais, l’envie de vivre tout ce dont elle avait le sentiment d’avoir été privée la tenaillait.

Elle feuilleta lentement le document en portant à ses lèvres le verre qui lui avait été offert. Jusque-là, rien ne l’avait choquée. La page qui suivait attira davantage son attention. Il s’agissait d’une demande annexe de session au donjon associée à un questionnaire sur ses préférences.

Longtemps, elle resta le stylo à la main.

Ces trois mots : « session au donjon », la fascinaient.

Il s’agissait de la raison pour laquelle elle avait tant retourné le flyer entre ses doigts, les jours précédents. Elle ignorait cependant si elle aurait suffisamment de cran pour se présenter à la porte d’un monde si particulier, si elle était même prête à céder à sa curiosité sur ce sujet. En définitive, elle ne savait pas vraiment ce qu’elle faisait : face à la vie si effacée qu’elle avait menée auparavant, son soudain besoin de s’émanciper lui paraissait totalement disproportionné. Probablement aurait-elle dû se contenter de déambuler dans ce lieu, avant de faire, peut-être, une rencontre ; une seule aurait été raisonnable. Ce n’était cependant pas ce qu’elle était venue chercher. Malgré la crainte qu’elle éprouvait, elle voulait découvrir le donjon ; c’était là la raison de son entrée dans ce lieu. Et ce qui ressemblait ici à une formule lui étant proposée tombait idéalement. Le questionnaire concernant ses préférences s’avérait précis et, si elle oubliait certains termes pouvant être effrayants, presque rassurant dans la mesure où il comportait suffisamment de détails pour qu’elle ait le sentiment de pouvoir gérer ce qu’elle était prête à accepter ou non.

Au bout d’un moment, elle se décida à remplir cette partie, la main hésitante avant d’apposer le premier trait d’encre sur le papier. Son pouls battait tellement fort dans ses tempes qu’elle avait du mal à se concentrer et elle repoussa consciencieusement toutes les interrogations relatives à sa santé mentale qui auraient pu lui venir. De temps en temps, ses doigts se levaient pour se poser sur son front, les questions qui lui étaient posées la renvoyant à des actes qu’elle peinait à imaginer. Elle signa enfin du pseudo qu’elle s’était choisi. Le stylo finit par rouler sur la surface brillante du comptoir, tandis qu’elle se redressait déjà, les mains plaquées sur le document. Elle prit une longue inspiration.

– Je peux visiter les lieux ? demanda-t-elle en poussant le questionnaire vers le serveur.

– Bien sûr.

Elle se tourna vers le reste de la salle. Le regard d’un homme au corps fin et aux cheveux courts glissa sur elle si directement qu’elle s’en sentit gênée. Quand ils furent proches de se croiser, elle se contenta de s’écarter. Lentement, elle descendit les marches menant à la piste de danse. La musique calme baignant la pièce accompagnait ses pas.

Tout en ce lieu la fascinait. Sa condition d’étudiante ne lui avait jamais permis d’entrer dans un établissement aussi luxueux et elle doutait avoir l’occasion de le faire une deuxième fois. Sur son passage, des visages se tournaient, certaines conversations s’estompant un instant. Parvenue devant la piscine, elle s’arrêta. Des éclairages illuminaient l’eau de l’intérieur, la rendant bleu azur. Un temps, elle se laissa captiver par cette couleur, troublée par l’érotisme sombre des lieux.

Dans cette partie de la salle, seules quelques personnes dansaient. Les autres conversaient, accoudées au bar situé au fond de la pièce, buvaient un verre assis au bord de la piscine ou encore contemplaient les femmes ondulant dans les demi-cages disposées autour de la pièce. Celles-ci étaient si belles, avec leurs masques, leurs guêpières noires et leurs bas, que Claire passa quelques instants à les admirer. Une autre femme, plus loin, observait les allées et venues. Elle aussi portait un masque vénitien. Claire commença à se demander si cet attribut était lié aux membres attachés à l’établissement.

Plus loin, un espace à découvert l’attira. Le sol, recouvert de la même terre, presque sableuse, que la route par laquelle elle était arrivée, accueillait un mobilier composé de chaises longues et de tables basses en fibres tressées qui donnait l’impression d’une plage privée. Tout au fond de la cour, on apercevait une autre piscine, plus grande, éclairée de l’intérieur par une lumière rouge vif. Quelques hêtres offraient de petits éclats de verdure rappelant la nature proche. Encore au-delà, un restaurant aux lourds tissus accrochés au plafond projetait ses lumières roses et violacées sur le sol de la terrasse ouverte, bordant les feuilles des arbres de ses couleurs artificielles.

Elle s’approcha de la piscine. Curieuse, elle s’assit sur le bord, pour y plonger la main, et fut presque surprise de la voir rester aussi pâle que d’ordinaire. Qu’avait-elle dans la tête pour imaginer une seconde qu’elle puisse rougir, elle aussi ? L’eau était chaude. Il y avait dans l’air quelque chose de profondément sensuel. Ce soir, tout était permis. Elle avait franchi une ligne derrière laquelle il n’y avait plus de limite.

Alors qu’elle redressait la tête, elle aperçut, plus loin, un groupe de trois personnes, conversant de manière décontractée, contre le mur extérieur de la cour. Sous la brise extérieure, des mèches blondes voletaient, captant les éclairages de la nuit, alors qu’un loup noir dissimulait le haut du visage qu’elles traversaient.

Lentement, elle retira sa main humide de l’eau. Quelques gouttes tombèrent depuis le bout de ses doigts.

De là où elle était, elle ne pouvait pas apercevoir ces trois jeunes gens en détail, mais elle remarqua que la manière dont l’homme au masque s’appuyait contre le mur de pierre témoignait d’une assurance bien différente de la sienne, transpirant la sensualité. Le regard de Claire glissa sur ses bras, ainsi que sur les muscles de son épaule que le T-shirt sans manches qu’il portait laissait apparaître. La vision lui parut particulièrement belle du fait de la distance et des lumières changeantes ; de l’espace qui les séparait.

Puis, la femme avec laquelle les deux hommes conversaient fit quelques pas et Claire remarqua l’escalier dissimulé dans un coin d’ombre vers lequel elle se dirigeait. Seul le faible éclairage de la nuit lui permit d’en apercevoir les premières marches, les suivantes disparaissant sous une voûte sombre. Quand la femme se retourna et glissa contre le mur comme pour inviter à la suivre, sa chevelure rousse s’accrocha aux reliefs de la paroi. L’autre homme la rejoignit en une démarche nonchalante, avant de se laisser enlacer et de l’embrasser à pleine bouche. Claire le vit caresser la cuisse féminine dont le bas fut traversé de lumières roses et rouges quand il remonta légèrement sa jupe. Tous deux gravirent ensuite les marches, avant d’adresser un regard à l’homme au masque qui leur sourit, roulant contre le mur avant de se relever d’un mouvement de bassin. La façon dont il leur emboîta alors le pas en s’éclipsant à son tour sous la voûte de pierre parut, à Claire, emplie de mystères.

Pensive, elle se releva doucement.

Sa propre normalité

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : M/F, sexualité de groupe.

Résumé : La première fois qu’elle a un rapport sexuel à trois, c’est sa première fois tout court, et elle songe déjà à quel point elle dévie de la normalité.

Sa propre normalité

La première fois qu’elle a un rapport sexuel à trois, c’est sa première fois tout court, et elle songe déjà à quel point elle dévie de la normalité. Elle se demande ce qu’en diraient Natacha et Stella, et surtout cette commère de Stéphanie, si elles savaient. Alors elle n’en parle pas et elle les laisse continuer à se lamenter sur son caractère effacé et à essayer à l’occasion de la « décoincer » en lui présentant divers garçons de son lycée. À chaque fois, elle se montre trop réservée pour laisser naître chez ces derniers le moindre espoir à son sujet, ce qui lui convient parfaitement. Elle a déjà Johan et, si elle préfère cacher sa relation avec lui de peur que les autres la salissent de leur curiosité, elle n’a besoin de personne d’autre pour se sentir heureuse.

La première fois qu’elle recommence, ils sont un de plus, et elle se rend compte qu’il s’agit déjà pour elle de sa propre normalité. Ils n’en ont jamais parlé auparavant avec Johan et ils ont eu raison de ne pas le faire. Pour lui comme elle, ça paraît juste simple, tout comme pour l’ami de Johan la fois précédente et ces deux-là maintenant. Aucun ne se pose d’ailleurs de questions et elle en fait autant. Elle est présente, elle a leur attention à tous, et leurs baisers sur le grain de sa peau suffisent amplement à lui engourdir l’esprit et à la faire se tendre vers chacun de leurs gestes. Certains penseraient, en la voyant ainsi, qu’elle est manipulée, qu’elle est trop jeune, qu’elle ne devrait pas se laisser traiter ainsi, mais elle ne trouve pas qu’elle « se laisse » ni même qu’elle est « traitée ». Et tous les qualificatifs que les gens ont tendance à attribuer aux filles comme elle ne lui semblent pas la concerner. Si elle reste silencieuse, ce n’est qu’un trait de sa personnalité et sa passivité ne vient que d’un manque d’habitude trop important pour lui permettre de prendre des initiatives. Mais elle se sent pourtant parfaitement à sa place, entre eux trois. Et puis, ils sont gentils ces garçons qui l’entourent. Leurs bouches sont chaudes et ils lui sourient, et leurs mains passent tendrement dans sa chevelure et ils lui disent qu’elle est belle, elle qui s’est toujours trouvée insipide, et ils s’intéressent tous à elle, elle qui s’est toujours cachée dans l’ombre des autres. Et lorsque c’est fini, ils recommencent à s’attrouper autour de la table basse pour décapsuler des bières et bavarder de tout sauf de ce qu’il vient de se passer, mais ils la traitent encore comme une reine. Quant aux baisers amoureux de Johan dans son cou, elle a le sentiment que rien de plus doux ne pourrait lui arriver en ce monde.

La première fois qu’elle entre dans un club échangiste, il y a déjà quelque temps qu’elle n’est plus avec Johan, et c’est un autre homme, Philippe, qui l’accompagne. Elle a pris l’habitude d’aller d’un bras à l’autre. Lorsque son histoire avec Johan se termine, elle se retrouve naturellement chez l’un des amis de celui-ci. D’abord. Puis d’autres se succèdent. Étienne la présente à Adrien, Adrien à Fabienne et, au gré de leurs soirées, à tous les habitués de l’appartement du 23 rue Montgallet. Puis d’autres résidences, d’autres cercles le remplacent. Philippe n’est, lui aussi, qu’un bras autour duquel elle enroule le sien pour une période limitée. Elle prend le temps de saluer la gérante et répond poliment aux quelques questions que celle-ci lui pose, mais remarque rapidement une femme allongée sur une table. Contre elle, se presse un groupe d’hommes, l’un au niveau de son visage, un autre fermement installé entre ses cuisses, et les suivants sont trop nombreux autour pour qu’elle puisse voir plus en détail la scène, mais elle se sent cependant jalouse de ne pas être à la place de cette femme. Elle n’a jamais eu de rapport en tête à tête avec Philippe ; elle n’en verrait d’ailleurs pas l’intérêt. Le temps passant, elle s’est tellement habituée à ne jamais s’offrir à moins de deux hommes différents qu’elle n’imagine pas un instant vivre autrement sa sexualité. Elle finit par se détourner, appuie ses avant-bras sur le comptoir du bar pour commander une boisson, et laisse Philippe se faire séduire par une belle quarantenaire. Elle-même scrute les invités l’entourant, en attendant. Bientôt, elle le sait, ce sera elle qui sera allongée sur le dos, un sexe dans sa bouche, un autre entre ses jambes et, si elle sait se montrer invitante, deux autres entre ses mains. Et elle oubliera très vite de s’amuser à compter tous ceux qui la désireront.

La première fois qu’elle revoit Johan après toutes ces années, c’est sur le pas de sa porte. Il n’a que légèrement changé. Ses traits ont mûri, l’angle de sa mâchoire est devenu plus prononcé, mais le charme qui se dégage de son sourire gêné lui apparaît plus adorable encore que dans ses souvenirs. Elle lui offre une bière et tous deux s’asseyent sur son canapé, elle ses jambes repliées sous elle comme elle le faisait souvent quand ils étaient lycéens, lui une main perdue dans les mèches rebelles qui bouclent sur son front.

Et ils parlent des années passées.

Ils racontent tout ce qu’ils sont devenus, les amis, la famille, le travail, et ne peuvent rapidement plus cesser d’être curieux l’un envers l’autre, mais n’abordent à aucun moment le chapitre de leur vie sexuelle. Curieusement. Ou non. Elle ne se pose que brièvement la question, incapable de savoir qu’en penser. Puis, lorsqu’un silence se fait finalement entre eux et se prolonge, rien ne lui semble plus naturel que de rester ainsi, à se regarder tous deux et à se sourire. Et lorsque Johan se penche lentement vers elle, elle ferme les yeux et s’avance imperceptiblement vers lui. Leur baiser est lent, si lent qu’elle ne pense plus à quoi que ce soit d’autre qu’à la sensation unique de sa bouche sur la sienne. Ses mains sur elle sont chaudes, les mouvements avec lesquels il fait descendre sa jupe merveilleusement doux, comme s’ils ne s’étaient jamais éloignés l’un de l’autre. Comme s’ils étaient restés tout le temps amoureux. Et son esprit est tellement plein de lui et de sa présence, et de ses baisers sur sa peau, et de son odeur, et du poids de son corps sur le sien, qu’elle ne réalise même pas quand sa bière se renverse au sol et se répand sur le tapis de son salon.

Seulement, après, lorsqu’ils sont tous deux allongés l’un sur l’autre, sa chemise à lui trempée par la bière déversée au sol, sa culotte à elle juchée sur le haut du dossier du canapé, elle songe qu’ils viennent d’avoir un rapport sexuel à deux seulement et que ça aussi, avec Johan, ça lui a finalement semblé complètement naturel.

Et que c’était la première fois.

Un fiancé presque parfait

Autrice : Magena Suret.

Genres : Érotique, M/F, hot.

Résumé : « Tu m’évites. »
[…]
« Oui, admet-il. Constant t’a demandé en mariage et tu as accepté.
— Et alors ?
— Et alors, je me suis dit que tu avais peut-être besoin d’entraînement avant de lui jurer fidélité. »

Un fiancé presque parfait

Comme chaque matin, devant le miroir de la salle de bains, il apporte la touche finale à sa tenue. Il enroule la cravate autour de son cou et sa respiration se fait tout de suite plus rapide. Les extrémités satinées sont nouées de ses mains légèrement tremblantes. Le nœud glisse vers sa gorge et sa bouche s’assèche. La cravate serrée et ajustée, il la lisse de sa paume et se fait violence pour arrêter son geste à l’endroit où attacher la pince. Il a envie de poursuivre plus bas, comme à son habitude, et de s’occuper de son érection.

Les bruits d’agitation qui proviennent du salon l’en dissuadent. Il a un peu trop traîné au lit et s’est fait griller la priorité dans la salle de bains par ses colocs. Bientôt Constant quittera l’appartement pour aller travailler et laissera Fred seul avec Nadia alors qu’il a réussi à éviter le face-à-face depuis près de trois semaines. Le fil de ses pensées le fait sourire : jusqu’au mois dernier, il aurait pris son temps en espérant qu’elle le rejoigne et le trouve ainsi, la main rapide sur sa queue, essoufflé, déjà rouge d’avoir une cravate trop serrée à son cou. Nadia l’a initié à l’asphyxie érotique, et l’a rendu accro. Pourtant, il ne devrait plus y jouer avec elle, même si l’acte est moins savoureux en solitaire.

La porte d’entrée claque. Fred sait qu’il devrait quitter la pièce, simuler qu’il est en retard, se dépêcher de ramasser ses affaires pour quitter l’appartement. Néanmoins, il préfèrerait éviter de parader au milieu de leur salon avec la bosse évidente qui déforme son pantalon. Il se presse un peu plus contre le rebord du lavabo dans l’espoir de calmer son excitation. Ces quelques instants d’hésitation sont suffisants pour ruiner ses résolutions. La porte de la salle de bains coulisse dans son dos et, dans le miroir, Fred voit Nadia s’appuyer contre le chambranle et le détailler de la tête au pied. Il ne se prive pas d’en faire autant – prend note de sa nuisette qui joue sur la transparence, si courte qu’il devine la naissance de son sexe et l’absence même d’une culotte.

Il mentirait s’il prétendait que la situation ne le fait pas frissonner de désir.

« Tu m’évites. »

L’accusation met quelques secondes à prendre son sens tant Fred est perdu dans sa contemplation. Il se retourne pour lui faire face et prend appui sur le lavabo. La position rend son érection encore plus évidente et il s’amuse du bref moment où le regard de Nadia s’y égare. Elle frotte doucement ses cuisses l’une contre l’autre.

« Oui, admet-il. Constant t’a demandé en mariage et tu as accepté.

— Et alors ?

— Et alors, je me suis dit que tu avais peut-être besoin d’entraînement avant de lui jurer fidélité. »

Nadia a un rire léger, comme s’il venait de faire un lapsus à la fois adorable et embarrassant. Elle fait un pas en avant et refait coulisser le panneau pour les enfermer dans la pièce. Fred s’imagine qu’il devrait se sentir menacé, mais le regard gourmand qu’arbore Nadia éveille bien d’autres souvenirs et sensations en lui. Elle s’approche et Fred la laisse s’arrêter à un souffle de son visage. Il ne ressent pas la pression de son corps contre le sien, mais il ne s’en faut que d’un petit pas. Il est certain que le tissu de son pantalon frôle la peau de Nadia et qu’elle ne cherche qu’à tester sa détermination.

Du bout des doigts, elle joue avec sa cravate, la caressant doucement tout en remontant vers sa gorge. Fred déglutit de façon audible lorsqu’elle en ajuste le nœud, la resserrant encore un peu sous sa pomme d’Adam. La pression n’est pas désagréable – loin de là si l’on devait se fier à son érection – mais il ne peut plus l’ignorer.

« Tu as des problèmes avec ta conscience ? Parce que moi pas. Constant est sans aucun doute l’homme idéal pour me marier. Il est romantique, je suis folle amoureuse de lui et mes parents l’adorent.

— Tes parents m’adorent aussi.

— On pourrait presque croire que tu es jaloux », s’amuse Nadia.

Fred se contente d’un bref geste négatif de la tête. Nadia et lui sont amis depuis trop longtemps pour confondre leur alchimie sexuelle avec de l’amour. Et il pourrait renchérir sur la perfection de Constant. Il se redresse, achevant de coller son corps à celui de Nadia et passe un bras autour de sa taille. Alors qu’il fait glisser sa main sous ses fesses, elle se cambre pour lui faciliter l’accès. Du bout des doigts, il atteint son vagin et le caresse un court instant avant d’enfoncer les premières phalanges de son index et de son majeur. La position n’est certainement pas confortable pour Nadia, mais elle pousse un grognement satisfait.

« Tu es encore trempée, remarque Fred. Tu viens de t’envoyer en l’air avec lui, ça ne t’a pas suffi ? »

Alors qu’il cherche à repérer la serviette la plus proche pour s’essuyer la main, Nadia se dépêche de saisir son poignet pour l’en empêcher. Puis, en un geste agressif, elle porte ses doigts à la bouche et les suce brièvement.

« Il m’a fait l’amour, oui. Mais, même si j’apprécie son côté romantique, j’ai besoin de me faire baiser. »

Fred finit de se redresser et, de sa main libre, saisit Nadia à la taille avant de la faire pivoter pour inverser leurs positions. Il aperçoit une légère grimace de douleur sur son visage lorsqu’il la plaque contre le lavabo, mais elle se remet vite de sa surprise et passe la langue sur ses lèvres tout en poussant un soupir ravi.

« Tu pourrais simplement lui proposer. »

Malgré sa suggestion, il glisse déjà sa main droite entre les cuisses de Nadia jusqu’à son genou, puis la soulève pour l’asseoir sur le meuble. Il la sent se contracter à cause du froid de la surface contre sa peau brûlante ; elle se détend néanmoins rapidement, écartant les jambes pour permettre à Fred de se caler entre. Sans ménagement, il plonge trois doigts en elle et accompagne le va-et-vient sec de sa main de coups de rein prometteurs. Nadia lui caresse la nuque et Fred est certain que, si elle le pouvait, elle ronronnerait de contentement. Toutefois, elle n’est pas encore ivre de plaisir, pas encore réduite à de simples gémissements, et se décide à lui répondre :

« Parce qu’un mec adepte du missionnaire, qui trouve que notre vie sexuelle est pimentée quand je le suce deux fois la même semaine ou qui ne doit même pas savoir que l’anus est une zone érogène va très bien accepter mes requêtes ? »

Vexé qu’elle soit encore si loquace, Fred place sa main gauche au creux des reins de Nadia et l’attire vers lui. Elle se retrouve les fesses presque dans le vide et le dos courbé, avec sa tête appuyée contre le miroir. Il sort les doigts de son autre main de sa chatte et les fait glisser le long de son périnée. Il profite du liquide vaginal qui enduit ses phalanges pour forcer son majeur dans l’anus de Nadia. Dans le reflet du miroir, il voit ses orteils qui se contractent tandis qu’elle gémit de plaisir :

« Putain, ce que ça me manque…

— Dis-le-lui.

— Quoi donc ? Que je veux qu’il me force à me mettre à quatre pattes comme une chienne et qu’il m’encule, qu’il me traite de salope ? Ou que j’adorerais l’attacher et qu’il me laisse l’étrangler quand il jouit ? »

Fred acquiesce sans vraiment y réfléchir. Nadia lui a déjà dit tout ça, et bien plus. Ils ont déjà fait tout ça, et bien plus. Il sait de première main que Constant n’est pas si innocent qu’elle le croit et qu’il pourrait la combler s’ils osaient simplement se parler et tomber les masques. En attendant, il ne va pas se priver de cette opportunité.

« Tu gardes des préservatifs par ici ? »

Il a lâché Nadia pour tenter de déboutonner son pantalon, mais il n’est pas gaucher et il se sent maladroit. La pause un peu trop longue sans réponse lui fait relever les yeux vers Nadia qui le regarde d’un air surpris.

« Tu as couché avec quelqu’un depuis la dernière fois ?

— Un mec, avoue-t-il en s’efforçant de rester vague. On s’est protégés, mais toi et Constant… »

Il s’arrête, surpris à son tour, en réalisant que, malgré son inspection profonde, il n’a pas trouvé la moindre trace de sperme en Nadia.

« Ne me dis pas que vous attendez le mariage pour virer les capotes ? »

Nadia lève les yeux au ciel et le relance :

« Tu veux continuer à jouer les conseillers matrimoniaux ou tu comptes me baiser comme j’en ai envie ? »

Fred sait reconnaître un ton de défi et a bien l’intention de le relever. Il se contente d’ouvrir sa braguette, d’abaisser l’élastique de son boxer et de libérer son sexe. Il s’en saisit d’une main et marque une courte pause, le regard baissé entre leurs corps, alors que son gland repose à l’entrée du vagin de Nadia. Son côté sadique a envie de la torturer un peu, de glisser entre les lèvres, de chatouiller son clitoris et de la faire supplier. Mais il a déjà assez résisté et l’idée de la baiser sans plus tarder l’emporte. D’un mouvement de hanches, il s’enfonce en elle jusqu’à la garde et lui impose aussitôt un rythme rapide.

Pendant deux ou trois minutes, il n’entend que les claquements de leurs corps, les hoquets de plaisir de Nadia et le bruit d’un flacon qui roule au sol. Nadia a les yeux fermés, savourant chaque instant. Elle ressentira les effets de cette baise pendant plusieurs jours : sa tête cogne contre le miroir, le bas de son dos doit frotter le bord du lavabo à chaque mouvement et Fred sent les parois de sa chatte se détendre sous la violence de ses coups de reins.

Alors qu’il va bientôt jouir, ses fesses se contractent et il perd peu à peu le rythme qu’il imposait. Il voit Nadia ouvrir les yeux et le jauger. Elle soulève le haut de son corps et accroche d’une main l’épaule de Fred. Il est obligé d’ajuster leur position, pliant les genoux pour permettre à Nadia de s’asseoir davantage.

Dès qu’il la sent prête, il reprend ses va-et-vient, le besoin de jouir devenant pressant. À peine quelques secondes plus tard, il sent les mains de Nadia caresser sa cravate. Elle s’arrête au niveau de la pince. Fred baisse la tête juste à temps pour la voir la détacher et la jeter au sol. Il s’était habitué à la pression contre sa gorge et se crispe lorsqu’elle se fait plus forte. Nadia fait tourner la cravate pour qu’elle pende dans son dos, entre ses omoplates. Le frottement lui laisse l’impression qu’on lui brûle le cou. Le coude de Nadia se soulève à trois reprises et le tissu comprime de plus en plus sa trachée. Pour l’avoir vu faire de nombreuses fois, Fred sait que Nadia vient d’enrouler la cravate autour de son poing et qu’elle va s’en servir pour l’étrangler. Il espère que Nadia est assez baisée à son goût parce que son propre orgasme est imminent.

Le souffle de plus en plus court à chaque mouvement, Fred chasse son plaisir. Et Nadia est redevenue volubile :

« En fait, tu ne t’inquiètes pas pour mon couple, le nargue-t-elle. Tu aimes quand on s’envoie en l’air mais, si Constant était partant, je suis sûre que tu t’imagines bien entre nous deux. »

L’air se fait rare, précieux, et Fred sent ses jambes flageoler, ses yeux rouler sous ses paupières, mais a encore assez de présence d’esprit pour acquiescer. Constant lui a aussi fait ce genre de remarques et il visualise, en effet, parfaitement la scène : debout, comme à cet instant, avec Constant, les doigts enroulés autour de son cou, qui impose la cadence à laquelle Fred pourrait baiser Nadia. Ou attaché à leur lit avec Nadia et Constant se servant de sa bouche à tour de rôle…

Nadia relâche la tension de la cravate un bref instant, permettant à Fred d’avaler une goulée d’air. Il en profite pour augmenter la rapidité de ses allées et venues. Sous lui, Nadia se tend dans un long gémissement, enfin rassasiée par un orgasme. Le mouvement la fait s’agripper à la cravate et Fred halète sous l’intensité de la pression contre sa gorge. À son tour, il jouit, enfonçant les ongles dans la peau des fesses de Nadia, puis se laisse retomber contre elle.

Ils restent ainsi quelques instants, à reprendre leur souffle. Quand Fred relève la tête, il aperçoit son reflet dans le miroir, le visage rouge et les yeux brillants de larmes. Nadia détend ses doigts restés trop contractés sur la cravate, les serrant en poing avant de les desserrer à plusieurs reprises. Puis il se détache d’elle, lui permettant de descendre de son assise peu confortable.

Fred laisse son pantalon lui tomber sur les chevilles et s’en extirpe du mieux possible. Il se débarrasse de sa cravate et s’attaque alors à sa chemise tout en allant dans le salon pour trouver son téléphone. Tandis qu’il fait défiler ses contacts, Nadia le rejoint. Sa nuisette lui colle à la peau, elle a un sein qui s’en est échappé et il est presque certain que la trace humide qu’il devine sur le haut de sa cuisse est son sperme qui s’écoule déjà. Ou peut-être que Nadia a plongé ses doigts en elle avant de s’essuyer négligemment ici. Fred la renverserait bien sur le canapé pour plonger la tête entre ses cuisses et la nettoyer de sa langue. Mais la tonalité du téléphone l’aide à se concentrer sur ses priorités.

« Tu appelles qui ?

— Mon boulot. Pour prévenir que je ne viendrais pas aujourd’hui.

— On va baiser toute la journée ? »

Son ton émerveillé et ses yeux écarquillés le font sourire. Même si la perspective est tentante, il décide d’être plus raisonnable. Il passe son appel sans répondre à Nadia ou la quitter des yeux. Quand il en a terminé, il s’avance vers elle et la sent pratiquement vibrer d’excitation. Il lui tend son téléphone :

« Je vais prendre une douche. Profites-en pour appeler Constant. Dis-lui de rentrer après son cours et de ne pas déjeuner au lycée, les autres profs peuvent se passer de lui.

— Tu vas vraiment insister pour que je lui dise tout ? s’indigne Nadia. Très bien. Mais ce sera ta faute si ça brise mon couple. »

Fred lève les yeux au ciel, mais se retient de pointer en quoi elle serait aussi fautive. Ça n’en vaut pas la peine. Et si la conversation entre Nadia et Constant se déroule comme il l’imagine, ce ne sera qu’à son propre avantage. Ces deux-là se sont bien trouvés. Ils n’ont qu’à descendre l’autre de son piédestal… Fred s’arrête sur le pas de la salle de bains et se tourne pour faire face à Nadia, l’air satisfait par anticipation :

« Laisse-lui une chance puisque c’est le mec parfait, selon toi. Commence déjà par le sexe anal. La semaine dernière, en tout cas, ça n’avait pas l’air de le déranger de me bouffer le cul ou d’y plonger sa queue. »

Honorer les vivants

Autrice : Magena Suret.

Genres : Érotique, M/F, hot.

Résumé : Un enterrement, une amie venue en support, un soutien pas si catholique…

Note : Première variation d’une courte nouvelle écrite en 2014 et publiée à l’occasion du Ray’s Day 2016.

Liens vers les différents chapitres

Première variationDeuxième variation

Honorer les vivants

La main sur la poignée, Astrid attendait que Justine termine de se préparer. En temps normal, elle aurait déjà râlé après son amie et colocataire parce qu’elle les mettait en retard à chercher un paquet de kleenex ; cependant, elle conduisait Justine à l’enterrement de son père et les convenances voulaient qu’Astrid se montre plus compréhensive qu’à son habitude.

D’ailleurs, elle avait hésité à accompagner Justine. Après tout, Astrid ne connaissait personne de sa famille. Depuis cinq ans qu’elles partageaient cet appartement, aucun des proches ne leur avait rendu visite, contrairement aux parents d’Astrid qui ne supportaient pas de ne pas la voir pendant plus d’un mois. Justine elle-même n’avait jamais l’air pressé de se joindre aux événements familiaux, aussi Astrid en avait-elle conclu qu’ils étaient en froid. Pourtant, quelques jours auparavant, elle avait trouvé Justine effondrée et inconsolable. À force de la cajoler, Astrid avait fini par apprendre la nouvelle et avait compris que les relations qui unissaient son amie à sa famille étaient certainement bien plus complexes qu’elle ne l’avait imaginé.

La route jusqu’à l’église se fit dans le silence, ce qu’Astrid regretta. Elle aurait préféré que Justine le comble en lui parlant de ses proches. Du peu qu’Astrid en savait, son amie avait deux frères, mais elle ignorait jusqu’à leurs prénoms. Alors qu’elle s’apprêtait à les rencontrer dans les pires circonstances qui soient, Astrid se rendait compte combien Justine avait été secrète sur son passé quand elle-même avait dû lui raconter sa vie en long et en large.

Le parking était déjà bien encombré quand elles arrivèrent. Astrid était concentrée à trouver une place libre, toutefois elle aperçut le petit signe de main que fit Justine à un groupe sur le parvis. Du coup d’œil qu’elle leur accorda, Astrid ne distingua pas leurs traits, mais elle supposa qu’il s’agissait de la mère de son amie, entourée par ses deux fils. Sitôt la voiture garée, Astrid en descendit et lissa sa jupe. Puis elle patienta quelques instants avant de faire le tour et d’aller ouvrir la portière à Justine. Cette dernière était pétrifiée sur son siège et Astrid retint avec peine un soupir d’exaspération. Elle prit la main de son amie et la força à sortir :

― Si tu n’avais pas envie d’assister à l’enterrement, tu aurais pu venir te recueillir plus tard. Alors, sauf si tu comptes cracher sur la tombe de ton père, je suis sûre que ta famille compte sur ta présence.

— T’es une garce, lui lança Justine d’une voix douce.

― C’est pour ton bien, lui assura Astrid. Et ce n’est pas nouveau.

Les yeux rouges et un léger sourire sur les lèvres, Justine se décida à la suivre docilement. De nombreuses personnes les interceptèrent avant même qu’elles n’atteignent le parvis de l’église. Des amis de la famille, d’anciens collègues, de vagues connaissances… Tous avaient un mot gentil pour Justine et celle-ci les remerciait de façon automatique. À mesure qu’elles approchaient de la famille en deuil, Astrid remarqua que la mère et les frères de son amie n’avaient d’yeux que pour elles deux. Ou plutôt que l’un des hommes semblait la jauger du regard quand l’attention des deux autres personnes se tournait naturellement vers Justine. Astrid aurait pu se sentir vexée d’être considérée de manière aussi méfiante, mais elle reconnaissait une autre étincelle dans ce regard. Et Astrid se doutait que le jeune homme devait se sentir coupable d’éprouver une telle bouffée de désir alors qu’il aurait dû se désoler de la perte de son père. Pourtant, Astrid ne le blâmait pas : le chagrin avait bien des moyens de s’exprimer et se défouler en baisant une inconnue était certainement très libérateur. D’autant que, dans une autre situation, Astrid aurait été la première à dégainer ses atouts pour séduire le jeune homme. Ce dernier était tout à fait à son goût. Les mèches un peu longues tombant devant les yeux étaient l’un de ses points faibles : elle en avait déjà les doigts qui la démangeaient pour dégager ce front. Arrivées à leur hauteur, Justine se retrouva prise dans les bras tour à tour de ses frères puis de sa mère. Son amie eut le temps de présenter Astrid à sa famille, mais pas l’inverse, avant que la veuve n’entraîne sa fille à l’écart.

― Puisque notre mère n’a pas laissé le temps à Justine, commença le plus âgé des deux frères, je crois qu’on va se présenter nous-mêmes. Je suis David, l’aîné. Et voici Benoît, le petit dernier.

Astrid serra la main des deux hommes, s’attardant davantage dans celle de Benoît pour en savourer la callosité. À défaut de pouvoir jouer de ses charmes, elle lança la conversation pour assouvir sa curiosité :

― Justine est plutôt secrète sur sa famille. J’avais un peu peur qu’on ne soit pas les bienvenues, aujourd’hui.

Les deux frères échangèrent un regard entendu, puis David s’excusa :

― Je laisse Benoît s’occuper de vous, je vais me rendre utile pour régler les derniers détails de la cérémonie. Je vous reverrai plus tard.

Astrid acquiesça et ressentit une pointe d’excitation à se retrouver seule avec le jeune homme qui l’intéressait. Celui-ci ne se laissa pas déstabiliser par le manque de subtilité de son aîné et enchaîna :

― Il n’y a pas de secret horrible sur notre famille. Mon père était du genre têtu et on peut dire que Justine tient de lui. Si ma sœur a toujours fait la difficile pour venir nous voir, c’est qu’elle ne supportait pas qu’il remette en question le moindre de ses choix. Comme chaque fois, ça se terminait en dispute si on n’était qu’entre nous, notre mère n’a fini par les laisser ensemble dans la même pièce que lors de réunions familiales.

― Mince, s’amusa Astrid. Et moi qui m’attendais à des ragots croustillants.

Sa remarque lui valut un sourire en coin et lui dévoila une fossette adorable. Durant leur conversation, Benoît se rapprocha d’elle. Lorsque David repassa pour faire entrer tout le monde dans l’église, Astrid frôlait le bras de Benoît à chaque mouvement.

Elle retrouva Justine aussitôt après avoir franchi les portes. Son amie l’accompagna jusqu’à la première rangée, où Astrid s’installa en compagnie de la famille du défunt.

Bientôt la messe fut terminée. La veuve, ainsi que ses enfants, se placèrent de part et d’autre du cercueil afin de recevoir les condoléances de chacun. Restée sur le banc jusqu’au passage de la dernière personne, Astrid n’avait pas lâché Benoît du regard. Ce dernier croisait le sien dès qu’il le pouvait. Puis vint le tour d’Astrid de passer devant les endeuillés. La mère de Justine et David acceptèrent sa poignée de main. Benoît quant à lui l’enlaça un court instant, posant une main un peu trop bas sur ses reins pour que ce soit accidentel. Justine passa ensuite le bras sous le sien et posa la tête sur son épaule avant de la diriger vers la sortie.

Aux portes de la nef, Justine dut la lâcher pour se mêler à la foule. Astrid lui donna une petite tape d’encouragement sur la fesse avant de la laisser partir. Son amie, tout comme sa famille, se montrait forte, mais Astrid se doutait que ses nerfs auraient raison d’elle à leur retour chez elles.

Astrid entendit le croque-mort dire à la veuve que le cercueil serait prêt à être mis en terre dans une demi-heure et lui demander de patienter pour débuter le cortège. Se retrouvant seule, Astrid s’approcha du livret mis à disposition pour laisser un message à la famille et lut quelques lignes. En se penchant en avant, elle sentit sa jupe crayon se resserrer en haut de ses cuisses et à sa taille, ce qui la fit sourire à l’idée de la marque désormais visible de ses sous-vêtements. Un coup d’œil par-dessus son épaule lui confirma que les yeux de Benoît étaient attirés par la vue qu’elle offrait. Forte de ce constat, elle changea de jambe d’appui, faisant rouler ses hanches lentement. Un autre regard volé lui révéla que le jeune homme avait abandonné son audience pour la rejoindre. Astrid se redressa et fit mine d’avancer vers la sortie. En deux enjambées, Benoît la rejoignit et posa une main au creux de ses reins. Comme seul encouragement, Astrid lui offrit un sourire plein de promesses lorsqu’ils atteignirent le parvis.

Benoît la guida pour contourner l’église. Alors qu’elle se faisait entraîner, en silence, à l’arrière de l’édifice, Astrid s’apprêtait à râler, mais Benoît se tourna pour lui attraper la main et l’attirer dans un baiser passionné. Elle eut à peine le temps de réaliser qu’il posait les lèvres sur les siennes que déjà sa langue s’invitait dans la partie. Trop heureuse d’enfin en arriver aux choses sérieuses, Astrid y répondit avec ardeur, glissant les doigts sous la chemise de son compagnon. La peau moite de ce dernier l’excita encore un peu plus. Les circonstances auraient voulu qu’elle ressente au moins un soupçon de se culpabilité, mais Benoît agissait comme si cela lui était vital et elle n’avait pas l’intention de le priver de ce réconfort. Le côté animal de cette étreinte la faisait réagir de façon positive.

Benoît la fit tourner et la plaqua dos au mur contre la chapelle. A ce moment, Astrid réalisa que sa plainte de semi-douleur s’était perdue, même à ses propres oreilles. Le glas sonnait pour honorer la mémoire d’un homme parti trop tôt. Astrid en profita pour gémir à l’envi. Toujours en embrassant Benoît, elle passa la main entre eux pour frotter de sa paume l’érection grandissante. Malgré le pantalon qui entravait ses mouvements, le jeune homme y répondit en se pressant davantage contre elle et en venant lui-même jouer sur sa poitrine. Les pincements sur ses tétons étaient presque désagréables avec le tissu de son soutien-gorge qui semblait enflammer la zone et, bien qu’elle tente de s’y soustraire, Benoît continua cette caresse. En temps normal, ses amants comprenaient qu’une telle réaction était un signe d’inconfort, néanmoins Benoît choisit de l’ignorer. Astrid comprit alors qu’il se délectait de sa douce torture et qu’il lui infligeait cette légère douleur en réponse à sa propre frustration. L’attitude provocante d’Astrid un peu plus tôt ne jouait pas en sa faveur et elle ne pouvait nier tirer un quelconque plaisir d’être ainsi molestée. Astrid cessa donc de se débattre, acceptant cette punition, pas si déplaisante au final.

Aussitôt qu’elle se laissa aller sous les caresses de Benoît, celui-ci se détacha d’elle et plongea la main dans la poche arrière de son pantalon. Astrid eut un nouveau sourire en le voyant en sortir un préservatif. Elle aussi en avait un dans son sac, mais la prévoyance de Benoît pour ces obsèques le rendait encore plus attirant.

Il la fit se retourner. Maintenant ses mamelons tendus frottaient le crépi de l’église et Astrid était heureuse d’avoir ses vêtements en guise de rempart. Sa jupe étant trop ajustée au niveau des genoux pour être relevée, Benoît en ouvrit la fermeture-éclair et l’abaissa avec sa culotte juste sous ses fesses. Astrid ressentit la fraîcheur de l’air sur sa peau. La température était pourtant élevée, mais son corps était en feu. Les vêtements gainés sur ses cuisses, Astrid ne pouvait pas trop écarter les jambes, mais se cambra pour faciliter la pénétration. A peine avait-elle offert sa croupe que le sexe de son compagnon plongea en elle. Il s’enfonça jusqu’à la garde en un mouvement ample ; Astrid était si mouillée qu’elle en éprouva un bref moment de gêne. Vite oublié quand le tissu léger du pantalon de ville frotta sur ses fesses.

Benoît adopta un rythme rapide dès le début. Au lieu de son bassin, c’était sa ceinture qui claquait les fesses d’Astrid à chaque contact : elle songea qu’elle aurait certainement la peau rouge quand il en aurait fini et qu’elle risquait de grimacer les prochaines fois qu’elle s’assiérait. Toutefois, elle s’en fichait, le plaisir d’être enfin soulagée surpassait ces petits désagréments. Ou peut-être que ceux-ci augmentaient sa satisfaction. S’ils étaient amenés à se revoir, elle pourrait peut-être proposer des jeux plus pimentés à Benoît ; il avait plutôt l’air d’apprécier de la voir si soumise à ses désirs. Et silencieuse puisqu’ils n’avaient pas échangé une parole depuis leur conversation avant la cérémonie. Elle s’imaginait bâillonnée quand Benoît raffermit sa prise sur ses hanches et se mit à la pilonner un peu plus fort. Comme cela arrivait trop rarement pour une première jouissance, elle la sentit monter sans autre stimulation. Elle était persuadée qu’en jouant avec son clitoris, elle pourrait avoir un orgasme mémorable, mais elle n’aurait pas la force d’encaisser les coups de reins furieux de son amant en n’ayant qu’un bras et sa pochette pour la protéger des griffures du mur.

Un ralentissement soudain lui arracha une plainte, mais la pression plus lente et appuyée contre ses parois achevèrent de la faire jouir. Benoît cessa un moment tout mouvement, laissant la vague passer et, quand il la sentit se détendre, reprit sa cadence infernale. Astrid était haletante, le plaisir avait atteint son apogée, mais ne redescendait pas. Son amant la maintint ainsi encore quelques instants avant de succomber à son tour. Sentir éjaculer un homme en elle après un orgasme avait toujours un effet apaisant, comme s’il sifflait la fin de l’acte et l’autorisait à savourer un repos bien mérité. C’était encore plus vrai aujourd’hui ; elle avait la tête qui tournait légèrement et peinait à retrouver son souffle. À peine consciente, elle réalisa que Benoît la rhabillait et refermait son propre pantalon, glissant le préservatif usagé dans sa poche. Il la força à se retourner vers lui et l’enlaça, déposant de courts baisers dans ses cheveux. Astrid se blottit contre lui, souriant de la tendresse insoupçonnée dont il faisait preuve après leur étreinte sauvage. Ils restèrent ainsi quelques minutes, profitant de leur isolement.

Quand ils firent le tour de l’église et revinrent sur le parvis, la foule s’était dispersée. Il ne restait plus que la famille proche et l’un des membres des pompes funèbres pour guider le cortège. Justine lui jeta un regard suspicieux, mais Astrid se contenta de lui adresser un clin d’œil. Le soupir désabusé de son amie la fit sourire et lui confirma qu’elle ne lui en tiendrait pas rigueur. En revanche, Astrid regretta un instant de s’être laissé emporter avant la mise en terre et la cérémonie au cimetière. Sa petite culotte poisseuse lui rappelait qu’une douche serait des plus agréables. Sa seule consolation était que Benoît aussi allait mariner dans ses sous-vêtements.

Un instant volé avec toi

Autrice : Magena Suret.

Genres : Érotique, M/F, hot.

Résumé : Des vacances frustrantes, un site touristique à la vue surprenante, un couple qui se retrouve en pleine nature.

Note : Seconde variation d’une courte nouvelle écrite en 2014 et publiée à l’occasion du Ray’s Day 2016.

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Première variationDeuxième variation

Un instant volé avec toi

Partir en vacances entre amis était chaque année la même aventure. Ils redevenaient un peu adolescents, accueillant à bras ouverts les nouveaux venus qui agrandissaient le groupe. Bientôt, songea Emma, les premiers bébés seraient de la partie aussi. En attendant, la villa louée pour deux semaines en été prenait des allures de colonie. Chacun s’était vu attribué une tâche dès son arrivée et l’ordre régnait tant bien que mal dans la maisonnée. Il y avait bien eu quelques disputes, mais tout se réglait vite et la bonne ambiance reprenait ses droits.

Au bout de cinq jours, Emma ne trouvait à cet arrangement qu’un défaut. Mais de taille. L’abstinence forcée à cause de cette promiscuité en était devenue ridicule. Ce n’était pas comme si vivre en cohabitation devait priver de toute intimité, mais chacune de leurs tentatives s’était soldée par un échec. Benoît le prenait avec philosophie, promettant de rattraper le retard dès qu’ils retrouveraient la solitude de leur appartement. Toutefois, Emma refusait de patienter encore dix jours. Après tout, l’été était normalement l’occasion de se lâcher. Et, jusqu’à cette année, ça n’avait jamais été un problème. Sans la contrainte du travail et de leurs autres obligations, ils auraient dû pouvoir s’envoyer en l’air dès qu’ils en avaient l’envie. Au lieu de ça, ils avaient hérité d’un lit grinçant, de murs si fins qu’on entendait une conversation trois pièces plus loin et d’une seule salle de bains pour dix adultes. Autant dire que le temps passé sous la douche était minuté. Et sans parler du partage des voitures. Rien n’aidait pour leur offrir une opportunité. Elle se rendait bien compte qu’elle perdait en plus en spontanéité ; sa seule obsession était d’avoir un moment privilégié avec Benoît. Qu’il adore son corps et qu’il la fasse jouir. Elle aurait pu se masturber pour soulager ce manque, mais son côté têtu ne serait satisfait que lorsqu’elle aurait son homme nu contre elle, leurs peaux moites de plaisir.

Elle était devenue calculatrice et exploitait chaque occasion pour sauter sur Benoît. Ce dernier ne s’en plaignait pas, même si cela se terminait à chaque fois dans la frustration pour eux deux. Pour éviter d’être pressés par ceux qui attendraient, Emma avait décidé qu’ils passeraient les derniers dans la salle de bains un matin ; la douche coquine avait tourné court après quelques caresses quand ils avaient été privés d’eau chaude. Quelques heures plus tard, elle avait entraîné son compagnon dans la forêt voisine pour une balade digestive mais, alors qu’elle avait le sexe de Benoît au fond de sa gorge et ses mains lui agrippant les cheveux, ils avaient été interrompus par une famille de promeneurs. Jurant contre leur malchance, Emma avait décidé d’oublier toute retenue ou fausse pudeur : le lit ferait bien l’affaire et tant pis pour leurs amis. De toute façon, elle se doutait que certains d’entre eux devaient connaître le même désarroi. Cependant, que ce soit la nervosité accumulée ou les couinements du sommier, Benoît fut pris d’un fou rire et Emma ne put qu’abandonner pour la journée. Son compagnon lui dit qu’il s’arrangerait pour le lendemain et elle finit par s’endormir sur cette promesse.

***

La journée ne commença pas sous les meilleurs auspices. La frustration d’Emma au bout d’une semaine atteignait des sommets et la rendait irritable. Benoît semblait davantage préoccupé par l’organisation de la sortie en groupe que par l’idée d’apaiser cette tension sexuelle. De toute manière, dès qu’elle avait compris qu’ils passeraient encore des heures tous ensemble, elle avait failli claquer la porte et planter Benoît avec leurs amis. Seul un regard un peu plus appuyé de son compagnon la retint et elle décida d’attendre encore un peu pour voir ce qu’il avait concocté.

Dans la voiture, ils se retrouvèrent tassés à trois sur la banquette arrière d’une petite citadine. Emma était pressée contre la portière et à deux doigts de devenir folle à cause de la main de Benoît sur sa cuisse. Celui-ci semblait l’ignorer et la caressait du bout des doigts tout en discutant joyeusement avec le conducteur. Elle maudit un peu plus les coups du sort. S’ils n’avaient pas choisi d’aller crapahuter dans la montagne aujourd’hui, elle aurait pu troquer son pantalon contre une jupe et écarter les cuisses, juste assez pour inviter la main à la toucher plus haut. Elle se faisait du mal avec ses fantasmes et poussa un gémissement involontaire. Ceci attira l’attention de Benoît qui lui adressa un petit sourire narquois.

Peu de temps après, ils arrivèrent à destination et l’idée de grimper le sentier escarpé pour admirer une chute d’eau rebutait Emma. Elle fit semblant de perdre l’équilibre en descendant de voiture, espérant que Benoît saisirait l’opportunité. Ils pouvaient prétendre qu’elle s’était fait mal à la cheville, laisser les autres s’épuiser et se trouver un coin tranquille pour enfin profiter d’un moment à deux. Pourtant, il n’en fit rien et se contenta de l’aider à se relever. Elle sentit les mains de Benoît sur sa taille, le bout de ses doigts qui glissaient sous ses vêtements et son souffle près de l’oreille. Puis il lui murmura de cesser d’être impatiente avant de s’écarter, la laissant encore plus avide de contact.

L’ascension commença dans les rires, mais se termina dans le silence. Aucun d’eux n’était vraiment habitué à la montagne et ils auraient peut-être dû investir dans de meilleures chaussures de marche. Arrivés au point du vue, Emma écouta d’une oreille distraite l’une de leurs amies raconter la légende associée à cette cascade. Cela avait à voir avec le rocher le long duquel elle s’écoulait qui ressemblait à un poisson qui suivait la chute d’eau, d’où son nom du saut de la truite. Son peu d’attention fut anéanti par le clin d’œil de Benoît et son petit signe de tête pour l’inviter à le suivre. Elle sourit en réalisant que ses hormones la faisaient obéir comme une poupée hypnotisée et lui emboîta le pas.

Alors qu’ils progressaient dans un silence religieux depuis cinq minutes, Emma commençait à s’impatienter et s’apprêtait à râler, mais Benoît se tourna pour lui attraper la main et l’attirer dans un baiser passionné. Elle eut à peine le temps de réaliser qu’il posait les lèvres sur les siennes que déjà sa langue s’invitait dans la partie. Trop heureuse d’enfin en arriver aux choses sérieuses, Emma y répondit avec ardeur, glissant les doigts sous le T-shirt de son compagnon. La peau moite de sueur de ce dernier l’excita encore un peu plus. D’habitude, ils auraient pris le temps de se doucher, mais ils étaient dans l’urgence. Ils avaient un manque à combler et le côté animal de cette rencontre la faisait réagir de façon positive.

Benoît la fit tourner et la plaqua contre un arbre. A ce moment, Emma réalisa que sa plainte de semi-douleur s’était perdue, même à ses propres oreilles. Le bruit de la chute d’eau était plus fort maintenant qu’ils étaient à mi-hauteur de celle-ci et elle pourrait en profiter pour ne pas retenir ses gémissements. Toujours en embrassant Benoît, elle passa la main entre eux pour frotter de sa paume son érection grandissante. Malgré le pantalon qui entravait ses mouvements, son amant y répondit en se pressant davantage contre elle et en venant lui-même jouer sur sa poitrine. Les pincements sur ses tétons étaient presque désagréables avec le tissu de son soutien-gorge qui semblait enflammer la zone, mais Benoît continua cette caresse bien qu’elle tente de s’y soustraire. En temps normal, il lisait le moindre de ses gestes et s’adaptait naturellement, aussi comprit-elle que c’était sa façon de la réprimander pour toutes ces tentatives avortées qui les avaient laissés plus frustrés de jour en jour. Emma cessa alors de se débattre, acceptant cette punition pas si déplaisante au final.

Aussitôt qu’elle se laissa aller sous les caresses de Benoît, celui-ci se détacha d’elle et la fit se retourner. Maintenant, ses mamelons tendus frottaient l’écorce de l’arbre et Emma était heureuse d’avoir ses vêtements en guise de rempart. Elle entendit son compagnon ouvrir son jean et ressentit bientôt la fraîcheur de l’air sur ses fesses. La température était pourtant haute, mais son corps était en feu. Benoît lui avait tout juste baissé son pantalon et sa culotte à mi-cuisse ; elle ne pouvait pas trop écarter les jambes, mais se cambra pour faciliter la pénétration. A peine avait-elle offert sa croupe que le sexe de son compagnon plongea en elle. Il s’enfonça jusqu’à la garde en un mouvement ample, Emma était si mouillée qu’elle en éprouva un bref moment de gêne. Vite oublié quand le jean rugueux frotta sur ses fesses.

Benoît adopta un rythme rapide dès le début. Au lieu de son bassin, c’était sa ceinture qui claquait les fesses d’Emma à chaque contact et elle songea qu’elle aurait certainement la peau rouge quand il en aurait fini. Toutefois, elle s’en fichait, le plaisir d’être enfin soulagée surpassait ces petits désagréments. Ou peut-être que ceux-ci augmentaient sa satisfaction. A leur retour, elle pourrait peut-être proposer des jeux plus pimentés à Benoît ; il avait plutôt l’air d’apprécier de la voir si soumise à ses désirs. Et silencieuse puisqu’ils n’avaient pas échangé une parole depuis qu’ils étaient descendus de voiture. Elle s’imaginait bâillonnée quand Benoît raffermit sa prise sur ses hanches et se mit à la pilonner un peu plus fort. Comme cela arrivait trop rarement pour la première jouissance, elle la sentit monter sans autre stimulation. Elle était persuadée qu’en jouant avec son clitoris, elle pourrait avoir un orgasme mémorable, mais elle n’aurait pas la force d’encaisser les coups de reins furieux de son amant en n’ayant qu’un bras pour la protéger de l’écorce de l’arbre.

Un ralentissement soudain lui arracha une plainte, mais la pression plus lente et appuyée contre ses parois achevèrent de la faire jouir. Benoît cessa un moment tout mouvement, laissant la vague passer et, quand il la sentit se détendre, reprit sa cadence infernale. Emma était haletante, le plaisir avait atteint son apogée, mais ne redescendait pas. Son amant la maintint ainsi encore quelques instants avant de succomber à son tour. Le sentir éjaculer en elle après un orgasme avait toujours un effet apaisant, comme s’il sifflait la fin de l’acte et l’autorisait à savourer un repos bien mérité. C’était encore plus vrai aujourd’hui, elle avait la tête qui tournait légèrement et peinait à retrouver son souffle. Dans une semi-conscience, elle réalisa que Benoît la rhabillait et refermait son propre jean. Il la força à se retourner vers lui et l’enlaça, déposant de courts baisers dans ses cheveux. Emma se blottit contre lui, souriant de la tendresse dont il faisait preuve après leur étreinte sauvage. Ils restèrent ainsi quelques minutes, profitant de leur solitude au milieu de la nature et du murmure élevé de la cascade. Un éclat de rire la prit quand elle remarqua qu’ils étaient à la hauteur de la tête de la truite de pierre ; ils avaient eu un témoin de leurs ébats et Emma se dit qu’elle était tombée amoureuse de ce site touristique finalement. En tout cas, elle aurait toujours un souvenir agréable à y associer.

Quand ils redescendirent, quelques-uns de leurs amis leur jetèrent un regard entendu, mais elle les ignora. En revanche, elle envia ceux qui se baignaient juste auprès de la chute d’eau ; sa petite culotte poisseuse lui rappelait qu’une douche serait des plus agréables. Sa seule consolation était que Benoît aussi allait mariner dans ses sous-vêtements.

Sa Chair

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Duo hétérosexuel, érotique.

Résumé : « Baise-moi. » Elle n’ajouta rien d’autre. Elle voulut qu’il comprenne : ce qu’il y avait derrière les mots, le besoin qui était le sien.

Sa chair

– Qu’est-ce que tu veux ?

– Que tu me baises comme une pute.

 

Alanguie contre la large vitre donnant sur la rue, les épaules serrées dans son manteau et le menton blotti au creux de son écharpe roulée, Emma perçut à peine le tintement de l’ouverture de la porte du café. Elle adressa un sourire doux à Luc en le remarquant. Il portait des gants épais et un pardessus de laine lui conférant un chic très parisien. Un air de magazine, de pages modes glacées, de boutons à défaire et de chevelure à désordonner.

Il s’assit en face d’elle.

– Ça fait longtemps que tu attends ?

– Non.

Elle se décolla de la vitre, essaya d’arborer une expression assurée, mais fixa surtout le marron griffé du bois de la table. Pour dire vrai, peut-être une demi-heure s’était-elle écoulée depuis qu’elle avait posé ses fesses sur le similicuir de la banquette du café, mais cela avait-il seulement une importance ? Elle avait usé ses yeux sur les allées et venues des passants dans la rue pour contenir le flux de ses pensées. Elle avait vécu mille fois dans son esprit, déjà, l’entrée de Luc, les mots qu’ils échangeraient et ce qu’elle attendait de voir découler de leur entrevue. Elle avait senti chacun de ces instants dans son corps, sa chair et dans sa poitrine glacée. Lorsqu’il ôta son manteau, elle suivit du regard les mouvements de ses épaules, devinant les muscles tendus sous le tissu.

– Tu prends un café ?

Elle acquiesça silencieusement, la gorge serrée, et fit fleurir un sourire qu’elle sentit loin d’être assuré. Il mourut dès l’interrogation suivante de Luc.

– Pourquoi m’as-tu appelé ?

Un infime tremblement passa sur ses lèvres.

– Tu le sais.

– Je veux dire… Pourquoi maintenant ? demanda-t-il en balançant son corps vers l’arrière, s’adossant à sa chaise en une posture qui n’avait de l’assurance que l’apparence, sa tension restant clairement perceptible.

Elle ne le lâcha pas du regard. Elle ne voulait pas lui paraître faible ou pitoyable. Un long soupir lui souleva la poitrine et elle salua le répit que lui permit le serveur en arrivant. Luc passa la commande.

Elle finit par détourner les yeux. Le serveur s’éloigna. Machinalement, elle glissa les doigts dans le col formé par son écharpe et le souleva pour y enfouir le bas de son visage.

– Parce que j’ai songé que tu le voudrais, souffla-t-elle.

Cette fois, Luc ne la relança pas et elle lui en sut gré. Elle remarqua juste l’expression d’interrogation qui marqua son visage, comme s’il cherchait en elle les mots qu’elle lui refusait.

La tasse arriva à pic pour réchauffer ses doigts. Elle les y blottit, se les brûlant à moitié.

– Comment va Alex ? demanda-t-il.

– Mal.

Elle haussa les épaules, peu désireuse de poursuivre. La vague de détails qui traversa son esprit ne fut que transitoire : aucun ne méritait de compléter le terme certes lapidaire, mais juste qu’elle avait employé. Aucun n’avait surtout besoin d’être étalé. Elle ramassa son sac, soudain nerveuse.

– On y va ?

Et elle se leva dans la foulée. Si elle remarqua à ce moment-là la tasse qui était restée pleine et chaude encore à sa place, elle n’eut en aucun cas le goût de la vider. Luc, lui, finit la sienne rapidement. Il se dressa à ses côtés.

– O.K., dit-il sans plus la regarder.

J’ai envie d’une queue, de bras autour de moi, de baisers sur ma bouche, mes lèvres, de doigts qui me serrent, du poids d’un corps sur le mien, de souffle dans mon oreille, d’une langue qui s’approprie ce qu’elle veut, et de moi qui prend, et de moi qui donne, et de moi qui ne suis plus que chair entre des mains impatientes.

 L’appartement de Luc se situait dans l’une de ces résidences bourgeoises du siècle dernier qui brillait plus par les vestiges ouvragés de sa façade extérieure que par l’état de ses couloirs. La fenêtre de son salon donnait toutefois sur une cour lumineuse d’où montaient les cris assourdis d’un groupe d’enfants, et le voile de couleur chaude qui recouvrait le vitrage conférait à son intérieur une atmosphère agréable. Emma se laissa tomber dans le canapé de cuir brun, son manteau jeté deux mètres plus tôt et ses doigts étirant déjà le tissu enroulé autour de son cou pour le libérer. En voyant Luc se rapprocher, elle sentit les battements de son cœur se précipiter. Le jeune homme prit le temps de suspendre son manteau à la patère et de faire passer son pull au-dessus de sa tête. La manière dont ses cheveux clairs s’en ébouriffèrent accrocha le regard d’Emma.

– Pourquoi maintenant ? lança-t-il. Tu avais toujours dit « non ».

– Je sais…

Elle voulait qu’il se taise, qu’il ne pose pas plus de questions. Pourquoi faudrait-il mettre des mots sur ce qu’il allait se passer, de toute façon. Négligemment, Luc balança ses chaussures contre le mur. En réponse, elle s’empressa de se débarrasser de son écharpe et de dénouer le cache-cœur qui enserrait son buste. Il l’interrogea :

– Pour ce soir ou pour plus ?

– Pour ce soir.

Elle lui fut reconnaissante de poser la question. Que ce soit clair entre eux, tout de suite. Pourvu qu’il prenne la place qu’elle lui offrait contre sa peau. Qu’il envahisse en même temps son esprit. Qu’il efface même de manière transitoire toutes les ombres qui le recouvraient.

Lorsqu’elle se retrouva en débardeur, son cache-cœur ôté, il s’immobilisa. De réflexe, elle releva les yeux sur lui, le découvrant en train de l’observer avec attention. Elle eut l’impression que celle-ci se porta sur son bras. Elle le considéra à son tour.

– Tu ne l’avais pas, celui-ci, avant, remarqua-t-il.

– Non.

Elle s’attarda sur les détails du tatouage noir sur la pâleur de son épiderme. Il était vrai qu’elle n’avait plus revu Luc, physiquement, depuis un an. Ils avaient été extrêmement proches au lycée, et le fait qu’ils ne soient alors jamais sortis ensemble ne tenait que du concours de circonstances et des mauvaises coïncidences ayant fait que jamais l’un ne s’était jamais trouvé libre en même temps que l’autre. Alex avait été l’un de ces concours de circonstances : un qui durait depuis cinq ans. Comme il semblait hésiter, elle se leva d’un coup et franchit la distance les séparant. À peine fut-il à sa portée qu’elle se jeta à son cou, comme ça, se surprenant elle-même, mais c’était sans importance. Le geste avait été automatique, souverain. Les lèvres de Luc furent aussitôt sur les siennes et elles la dévorèrent. Sa barbe mal rasée brûla son menton, et sa langue s’immisça en elle comme s’il s’était agi de son propre territoire. Et, sur l’instant, ça l’était. Sur l’instant, elle était à lui, à ses désirs, à ses envies, à ses mains et son corps, prête à lui donner tout ce qu’il voudrait, et plus encore : désireuse qu’il s’empare d’elle dans son entièreté.

Baise-moi, retourne-moi, ne me demande pas si je le veux.

 Quand il relâcha ses lèvres, elle agrippa sa chemise pour ne pas rompre leur contact. Elle eut envie de mendier ; sa fierté l’en retint. La bouche de Luc fut aussitôt dans son cou, écartant ses cheveux pour aspirer et mordre sa chair, et tracer une longue ligne dure avec ses dents.

Le souffle qui pénétra dans son oreille se répercuta jusque dans son entrejambe.

– Celui-ci, c’était avant ta rencontre avec Alex, non ?

Troublée par ce rappel à la réalité, elle se laissa néanmoins bercer par la langueur de sa voix.

– Oui, soupira-t-elle.

Elle pencha un peu plus la tête de côté pour laisser le champ libre à Luc. Elle avait fait ce tatouage à peine son bac’ passé : une série d’étoiles qui allaient en grossissant vers son omoplate sans que leur intérieur soit coloré. À l’époque, ça avait symbolisé, pour elle, son émergence en tant que femme : elle avait acquis le droit d’agir par elle-même, acquis celui de se laisser grandir et remplir par ce qu’elle voudrait. La première fois qu’Alex avait suivi de ses lèvres leur tracé, les embrassant et les lapant doucement l’une après l’autre, elle s’était sentie dénudée jusque dans son âme.

Sous les baisers de Luc, elle se pâma. Sa main vint se poser sur son torse, si dur, si plat, si solide sous ses doigts, au contact incroyable, et elle résista à l’envie de la faire glisser plus bas. Luc ne la laissa pas dans l’hésitation. D’un geste rapide, il saisit sa main et la posa directement sur son entrejambe, sur la masse ferme qu’elle y sentit.

Elle l’y pressa, ivre de trouble. Lorsqu’il l’embrassa de nouveau, elle fut tremblante. Luc était partout sur elle, sa langue dans sa bouche, ses mains sur ses fesses, la rondeur surprenante de son sexe nichée dans le creux de sa paume. En des gestes empressés, il la fit reculer et elle l’accepta avec complaisance. Seul son regard resta ancré dans le sien, dernier vestige d’un contrôle qu’elle lui cèderait bientôt, elle le savait, qu’elle languissait de lui abandonner. Ses genoux rencontrèrent le rebord du canapé, pliant dans la foulée. Le visage de Luc la suivit, et ses doigts furent sur sa gorge, et son décolleté, et le léger espace permettant de glisser dans son débardeur… Lorsqu’il prit en main l’un de ses seins, elle se détacha de sa bouche et releva les yeux sur son visage. Sa large paume à la chair légèrement râpeuse lui procurait une sensation d’étrangeté. Elle n’en gémit pas moins lorsqu’il fit doucement rouler son mamelon entre ses doigts. Il le lâcha ensuite pour prendre un temps de pause, suivant d’un air pensif la plume stylisée noire qui reliait l’arrondi de son sein à son épaule en un fin trait.

– Et celui-ci, c’était quand ?

Elle tâcha de reprendre ses esprits et baissa les yeux sur son tatouage.

– Au tout début de notre relation, avec Alex, expliqua-t-elle. Tu ne l’as jamais vu parce que…

Elle ne vit pas d’intérêt à poursuivre. La suite était sous-entendue. Bien qu’ils aient continué à sortir entre amis, avec Luc, elle ne se déshabillait pas devant lui. Et celui-ci relevait de l’intime, témoignant plus que les précédents de ce qui la liait à Alex, parce que, lorsqu’elle avait décidé de le faire, c’était à la suite d’une soirée qui les avait fait s’amuser à s’écrire des mots doux, et d’autres drôles, au stylo sur la peau, et qu’elle avait voulu immortaliser cette connivence si douce à son cœur dans son épiderme. La plume, c’était l’objet donné à Alex pour marquer sa chair de son existence.

Luc n’attendit pas qu’elle développe. Il posa un genou entre les siens sur le canapé, baissa ses vêtements jusqu’à offrir ses deux seins à la morsure de l’air, et se pencha aussi vite sur ses mamelons qu’il s’attarda à lécher et aspirer successivement entre ses lèvres. D’excitation, Emma renversa la tête en arrière et chercha la chevelure de Luc, s’y agrippant. Lorsqu’il se redressa, elle se sentit étourdie, mais accrocha immédiatement la ceinture de son pantalon de ses doigts pour le retenir de s’éloigner. Son regard se reporta sur le visage qui se dressait au-dessus d’elle, fiévreux et curieux à la fois, qu’elle fixa sans ciller tandis qu’elle faisait sauter lentement les boutons de son jean. Le sexe de Luc se glissa aussitôt dans l’interstice, venant taquiner ses doigts, les inviter à s’emparer de lui. Avec fascination, elle contempla l’expression de plaisir qui s’afficha sur les traits de Luc lorsqu’elle le caressa doucement par-dessus le tissu. Elle pouvait sentir les rondeurs de son membre dans sa main, sa dureté et les douces contractions qui le prenaient de temps en temps.

– Emma, souffla Luc en glissant la main dans ses cheveux, les poussant sur le côté, jouant avec eux comme elle jouait de sa hampe.

Elle tira sur l’élastique de son vêtement pour la libérer. Luc ne bougea pas. Il attendait. Sa chair était juste en face de son visage, pulsante et ferme et dans l’attente, elle ne pouvait l’ignorer.

– Tu sais depuis combien de temps j’en ai envie ? souffla Luc.

Son ton doux la surprit.

Elle lui sourit.

– Depuis la terminale ?

– Oui.

Elle connaissait la réponse.

Elle avait éprouvé la même chose depuis ce moment-là.

Luc n’avait manifesté son désir pour elle qu’un an auparavant, lorsque son couple avec Alex avait commencé à battre de l’aile et qu’elle avait fini en pleurs chez lui à lui confier tous ses malheurs, à se déverser dans ses bras, à lui refuser les lèvres qu’il avait penchées au bout d’un moment sur les siennes brûlantes… Bien qu’il le lui ait rappelé depuis, elle l’avait toujours repoussé.

Avec espièglerie, elle tira la langue, la posa sur le bout de sa verge, la retira. Celle-ci en eut un soubresaut d’intérêt. La paume de Luc se glissa plus largement contre sa joue, la caressant avant de finir sur sa nuque. Emma accepta l’avancée des hanches lui faisant face qui s’ensuivit. Elle ouvrit juste la bouche, leva les yeux sur le visage de Luc, et accepta la chair qui se présenta à l’entrée de ses lèvres. Sa surface douce y glissa, entrant, prenant lentement sa place, et le soupir rauque qui résonna derrière à ses oreilles sonna d’une façon si brûlante qu’elle sentit son entrejambe s’en contracter vivement. Les doigts de Luc furent sur son cou, sa chevelure, le pli de son épaule.

Bouge.

Prends ce que tu veux de moi.

Utilise-moi.

 Elle se décolla du dossier du canapé pour gagner plus d’amplitude, s’assit un peu plus en avant, enroula sa main autour de la base du sexe de Luc.

Lorsqu’elle commença à le caresser tout en jouant de sa bouche et de sa langue sur sa chair tendue, il renversa la tête en arrière, pantelant. Ses doigts se posèrent à l’arrière de son crâne, sans pour autant pousser, avant de glisser sur sa joue et de finir sur l’arrondi de ses seins. L’excitation la possédait et elle ne se laissa faire qu’avec surprise quand il s’arracha enfin à sa bouche, pour la repousser en position allongée. Son pantalon se fit enlever, sa culotte avec. Comme Luc ne l’en débarrassait pas, elle ôta elle-même le reste de ses vêtements, se retrouvant nue devant lui. En le voyant faire mine de vouloir enlever son propre jean, elle l’arrêta. Elle ne sut pas comment lui dire qu’elle voulait qu’il la prenne comme une pute, sans égards et sans ménagements. L’idée était choquante même à son propre esprit, mais c’était pourtant ce qu’elle désirait. Elle prit une longue inspiration tout en le fixant.

Puis elle lui dit :

– Baise-moi.

Elle n’ajouta rien d’autre.

Elle voulut qu’il comprenne : ce qu’il y avait derrière les mots, le besoin qui était le sien.

Sur le visage de Luc, elle pouvait lire le doute, l’interrogation, mais aussi quelque chose d’autre : de la frustration, et elle pouvait le comprendre parce qu’il avait toujours espéré d’elle plus qu’une simple séance de baise. Mais l’ombre plus dure qu’elle voyait naissante dans son regard était justement ce qu’elle désirait de lui. Ce avec quoi elle attendait qu’il la possède. Il finit par soupirer et murmurer :

– Viens.

L’instant suivant, il l’attrapait par la main pour la lever du fauteuil et la tirer vers la table du salon. Elle s’y laissa échouer avec envie. Ses jambes se firent écarter, son torse plaquer contre le bois et elle se retrouva tremblante d’excitation. La voix de Luc fut contre son oreille : incendie et déception mêlés.

– C’est ce que tu veux ?

Elle ferma les paupières, espérant que les frémissements de son corps sachent témoigner plus clairement qu’elle ne l’aurait pu à quel point elle attendait qu’il la traite ainsi : qu’il prenne d’elle ce qu’il voulait puisqu’elle ne pourrait lui donner plus. Ses mains, puissantes et masculines, inclinèrent ses hanches, puis écartèrent ses fesses, lui arrachant un feulement d’envie en se sentant si exposée. Un doigt entra aussitôt dans sa chair, ses allers et retours la faisant prendre conscience de sa propre humidité, et d’à quel point elle voulait que Luc la prenne, désormais, qu’il oublie ses égards et s’empare juste d’elle.

– Encore, réclama-t-elle.

Elle sentit un deuxième doigt la combler. Le plaisir la fit haleter et se tordre sous les caresses qui suivirent.

– Encore, gémit-elle peu après.

Un troisième s’inséra, l’ouvrant et l’échauffant, et lui donnant l’impression d’avoir déjà le sexe de Luc en elle. Et lorsqu’il se mit à entrer et ressortir d’elle en des va-et-vient si intenses que les impacts de son poing la firent vibrer, elle se tordit d’excitation.

Elle put à peine reprendre son souffle alors qu’il marquait une pause, poussant fortement les doigts en elle.

– C’est ce que tu aimes ? demanda soudain Luc d’un ton curieux. C’est ce que te fait Alex ?

– Oui.

Elle ne savait pas ce qu’il attendait avec une telle question.

– Baise-moi, supplia-t-elle de nouveau.

Elle se sentait brusquement bouleversée, l’émoi de son corps entrant en résonance avec la perte de repères de son esprit. En sentant les doigts de Luc se retirer, elle se tendit vers lui, mais ses mains la maintinrent bien en place. Ses pouces glissèrent sur ses reins, remontant le long de son flanc pour suivre cet autre tatouage qu’elle savait avoir été masqué jusque-là à sa vue : ces entrelacements et ces autres étoiles, cette fois toutes pleines, qu’elle avait faites un peu plus d’un an auparavant, tout juste avant l’accident qui avait ôté à Alex ses deux parents. Quand elle était revenue de chez le tatoueur, Alex lui avait demandé, tout sourire, pourquoi aucune étoile n’avait cette fois été laissée vide. Emma avait senti l’amour gonfler sa poitrine lorsqu’elle lui avait répondu que c’était parce qu’elle n’avait plus rien qui ait besoin d’être empli. C’était une déclaration maladroite et elle n’avait jamais été douée pour en faire de toute façon, mais Alex avait compris. L’émotion dans son regard le lui avait appris.

En entendant le son du déchirement de l’enveloppe d’un préservatif, elle ferma les paupières. Dans l’attente, son cœur battait à toute vitesse.

– Emma…

– Baise-moi, l’interrompit-elle aussitôt.

L’intonation désespérée de sa voix l’affligea, parce qu’il y avait du besoin, violent, dedans, mais aussi de l’échec. De la tristesse, de la douleur… de la nécessité de combler les fissures de son âme par la possession de sa chair.

La manière dont Luc caressa alors lentement ses hanches la fit ressentir à quel point il aurait voulu qu’ils puissent avoir un autre rapport, plus tendre, et à quel point elle se comportait mal avec lui. Elle ne s’en sentit que plus coupable.

– Prends-moi, souffla-t-elle, au comble de son trouble.

Son front reposait sur ses bras pliés et elle haleta en sentant enfin le sexe de Luc entrer dans son corps, glissant progressivement jusqu’à s’enfouir tout entier en elle. La sensation était satisfaisante, apaisante, bien que curieuse.

Elle tourna le visage vers Luc, mais le premier coup de reins qu’il lui donna lui coupa aussitôt le souffle, ne lui laissant pas la possibilité de se concentrer sur quoi que ce soit d’autre que le plaisir qu’elle éprouvait. Des va-et-vient suivirent et elle s’offrit enfin réellement à lui, sortant de l’exigence et de la demande, du besoin et de la supplication. Le sexe de Luc éveillait des sensations oubliées, l’incendiant, et elle poussait même contre lui, jouait des reins pour augmenter encore les impacts de ses déhanchements, renvoyant des vibrations de plaisir en elle si vives qu’elles emplissaient jusqu’à sa tête. Puis Luc lança la main entre ses jambes et Emma gémit en le sentant frôler le petit point gorgé de sang qui s’y trouvait.

Un feulement s’échappa de ses lèvres. Ses dents se pressèrent contre ces dernières. Et, lorsqu’il commença à la caresser plus nettement, elle lâcha de longues plaintes et s’écroula sur la table, et ne put plus rien faire d’autre que se soumettre à ses gestes, et aux coups de reins avec lesquels il la comblait, et aux stimulations combinées de son organe le plus sensible qui la laissaient pantelante, se tordant sous ses doigts et ses mouvements de hanches, jusqu’à ce qu’une chaleur intense se mette à gonfler dans son bas-ventre et se renforce, et augmente, et emporte tout. Jusqu’à ce qu’elle ne soit plus que plaisir et jouissance, et qu’elle sente jusqu’au plus profond de son corps l’orgasme la monter vers le haut, la soulever et l’emporter. Alors, elle gémit, et elle haleta encore avec force quand Luc atteint lui aussi l’apogée.

Un temps, ils restèrent immobiles, haletants et en sueur.

Son sexe était encore en elle, pulsant par moments.

Sa tête à elle s’était vidée, son esprit apaisé. Derrière elle, le souffle rapide et haché de Luc la berçait, en une douce complainte érotique et sensuelle.

Après une longue expiration, Luc finit par l’interroger. Il ne sortit pas pour autant de son corps.

– Ça faisait combien de temps ?

Elle se doutait de l’intégralité de sa question, mais elle lui demanda tout de même :

– De quoi ?

– Que tu n’avais plus été pénétrée comme ça ?

Elle haussa les épaules. Sentir sa chaleur en elle était plaisant.

Luc précisa :

– Que tu n’avais plus été prise par une queue.

Elle soupira.

– Des années.

Gênée soudain par sa présence, elle bougea des hanches pour l’inciter à se retirer.

Lorsqu’elle put se retourner, elle appuya les fesses contre le rebord de la table et fixa Luc. Celui-ci lui tournait le dos et était en train de retirer sa protection.

– Tu le sais très bien : je n’ai jamais plus recouché avec un mec.

– Depuis que tu t’es mise avec Alexandra ? lui demanda-t-il de préciser.

– Oui.

Depuis Alex.

Elle ne pouvait pas dire que « la queue » lui ait manqué. Ce qui lui manquait depuis plus d’un an, c’était plutôt l’attention, les sentiments, la sensation de compter, d’être désirable… Tout ce qu’Alex ne lui témoignait plus à cause de son deuil, pour ne pas dire « dépression ». Cette tristesse insupportable qui pesait sur leurs vies et contre laquelle elle était démunie.

Luc se dirigea vers la salle de bains. Elle-même devrait y aller, aussi. Elle n’était pas pressée. Elle se pencha en arrière jusqu’à sentir le bois contre son dos, s’y allongeant, appréciant son contact sous sa peau.

– Tu vas lui dire ce qu’il s’est passé ? lui demanda Luc de la pièce adjacente.

Elle eut un moment d’hésitation. Elle n’y avait pas réfléchi, évidemment, mais elle répondit :

– Oui.

– Tu devrais vraiment avoir une discussion avec elle.

Il lui avait dit ça sur le ton de l’amitié.

En le voyant revenir vers elle, elle lui sourit. Elle s’en voulait de s’être éloignée de lui, d’avoir fait la morte depuis un an. Luc était son ami, le mec avec qui elle aurait pu être si la vie n’en avait pas décidé autrement, celui qui pour son cœur battait aussi.

– Tu as raison.

Elle se redressa. Poussée par un élan qu’elle refusa de modérer, elle se dirigea d’un coup vers lui et posa les lèvres sur les siennes, cette fois chastement. Lorsqu’il passa les mains dans ses cheveux, elle ne put que constater à quel point il était séduisant, décidément. C’était une honte qu’il ne soit pas encore casé.

Luc ramassa ses vêtements.

– Fais-le.

Elle lui adressa son sourire le plus tendre, le plus affectueux, parce qu’il avait raison et que le fait qu’il se soucie ainsi d’elle était plus qu’elle lui demandait. Lorsqu’il disparut en direction de la douche et que l’eau se mit à couler, elle laissa dériver son regard sur son propre corps, sur toutes les marques qui attestaient de ses années passées avec Alex, des tatouages de son sein, à ceux qui se déclinaient sur ses avant-bras, à la série d’étoiles qu’Alex avait si souvent léchée et embrassée sur le bas de son dos, à… Elle leva son poignet pour en contempler l’intérieur.

Elle était encore perdue dans ses pensées quand son téléphone sonna. Son cœur s’en affola et le remords la prit avec tant de force qu’elle n’osa même pas aller voir qui l’appelait.

Quand la sonnerie s’éteint puis reprit pour la troisième fois, elle trouva le courage de décrocher.

– Alex ?

Une voix mal à l’aise lui répondit, s’inquiétant de son absence.

Elle prit une longue inspiration.

Des aveux seraient à faire, des longues conversations qu’elle avait repoussées mais qu’elle serait désormais obligée d’affronter.

Emma regarda encore son poignet. Cette marque similaire qu’elles avaient inscrite chacune dans leur épiderme, l’unique fois où Alex l’avait accompagnée chez le tatoueur, pour qu’elles se rappellent toujours ce qui les liait, ce qui les rattachait l’une à l’autre.

– Avec qui tu étais ce soir ?

– Avec toi, Alex. Tu sais… Juste avec toi, en fait. Toujours avec toi, dans ma peau, dans ma tête, dans mon corps… Même lorsque tu n’es pas là. Toujours toi.

 Rêveuse, elle contempla la petite ancre marine, inscrite dans le blanc de sa peau, et qui se finissait en un symbole de l’infini, témoin du temps qu’elles s’étaient promis de passer ensemble, un jour où le monde semblait radieux et la vie ne jamais pouvoir les blesser.

– Tu rentres bientôt ? lui demanda Alex.

– Oui.

Elle ne lâchait plus son petit tatouage des yeux. Elle le fixait avec intensité. Cet infini, qui les liait. Cet avenir qu’elles avaient écrit dans leur chair.

Elle souffla :

– J’arrive.