Un hamburger, des frites et mon cœur avec (7)

Chapitre 7

Mercredi

Lorsque Ludovic gara sa mobylette devant le restaurant, il était clairement dépité. Ce boulot ne le passionnait pas au point de prendre plaisir à le faire, et même si c’était amusant et qu’il gagnait des pourboires assez facilement (visiblement Bruno et les autres hallucinaient sur ce qu’il était capable de se faire offrir même chez des clients occasionnels), son seul réel intérêt était de voir Mathieu. Et ce jour encore plus que les précédents. Il savait qu’il avait été idiot la veille en ne faisant rien. A voir la mine de Mathieu, il était évident qu’il couvait quelque chose qui ne passerait pas en une journée, mais le comptable avait eu l’air tellement sûr de lui qu’il s’était laissé bêtement convaincre. Il n’avait pas vraiment été surpris de ne pas voir figurer de hamburger et de frites au menu, après tout, s’il avait eu une petite indigestion la veille, il était logique qu’il commande quelque chose de plus léger. Mais à peine était-il entré dans le cabinet et avait-il croisé Sonia que celle-ci lui avait annoncé que Mathieu était absent. Il était visiblement parti peu après le déjeuner la veille et avait téléphoné en fin de journée pour prévenir qu’il était arrêté jusqu’à la fin de semaine par un virus grippal.

S’il avait plaisanté comme à son habitude, s’il avait offert sourires et compliments et remercié pour l’accueil qu’il avait toujours reçu en venant les livrer, intérieurement, il avait surtout rongé son frein. Ce n’était pas la fin du monde et ce n’était pas comme s’il ne savait pas où trouver Mathieu, et ce n’était surtout pas comme s’il n’aurait pas le courage d’appeler au cabinet dès le lundi pour lui parler, mais il était déçu. Il s’était fait un film dans sa petite tête et ce film commençait par le fait de se voir le samedi à venir et se finissait dans son lit.

Ce qui, compte tenu de son programme, était de toute façon totalement utopique. Virginie, la petite-amie de son futur ex-colocataire, avait vidé son studio et vivait donc avec eux et lui avait prévu de déménager justement ce week-end-là. Il n’avait pas tant de choses que cela à bouger et Pierre, son coloc, avait été assez cool pour apporter quelques-uns des gros meubles qu’il avait démonté le dimanche précédent. D’ici là, il avait encore pas mal de cartons à faire, le tout dans un appartement qui, s’il était confortable en temps normal, à trois avec les affaires de Virginie un peu partout et les siennes qui commençaient aussi à s’empiler, tournait au cagibi.

Ce n’était finalement pas si mal que Mathieu ait été absent, parce qu’il était à peu près sûr que déménagement ou pas, il aurait été incapable de remettre à plus tard un rendez-vous avec lui. Au moins là, aurait-il le temps d’arriver dans son nouveau chez lui, de ranger ses fringues afin d’être à même de dénicher quelque chose de potable qui ne se trouverait pas au fond d’un carton et de profiter pleinement de leur soirée. Restait bien sûr la possibilité que Mathieu ne soit pas intéressé mais franchement il n’y croyait pas. Enfin, quatre-vingts pourcent du temps, il n’y croyait pas, les vingt pourcent restants étaient remplis de doutes et de questionnements stupides, du genre : a-t-il envie de se mettre avec quelqu’un qui entre juste dans la vie active ? A-t-il seulement le désir de se mettre avec quelqu’un ? Son idée ne serait-elle pas de simplement s’envoyer en l’air ?

Parce que, bien malgré lui, de son côté, il avait clairement envie de plus. S’il n’y avait que le cul, honnêtement, il prenait aussi. Il n’irait pas cracher dessus alors que Mathieu lui plaisait terriblement, physiquement parlant. Mais il imaginait bien autre chose.

Il soupira. Et voilà qu’il repartait là-dedans. C’était ridicule. Il était ridicule. Otant son casque, il détacha la glacière et se dirigea vers la porte, qu’il poussa d’un coup de fesses avant de pénétrer dans le restaurant où il effectua un demi-tour.

Comme d’habitude, son regard se porta vers le comptoir. Le rythme y était plus calme, Fatima lui adressa un grand sourire avant d’encaisser son client.

– Coucou, la salua-t-il comme il passait de son côté.

– Fini ?

– Eh oui, ça y est, je vous quitte officiellement à la minute où j’aurai déposé mes papiers et mes espèces au big boss.

– Tu vas nous manquer, lui lança Marie.

– Je suis toujours en ville, les filles. Je reviendrai, vous en avez conscience ?

– Evidemment.

Il leur adressa un clin d’œil et passa en arrière-boutique.

– Il me semblait bien avoir entendu ta voix, l’accueillit Bruno comme il sortait de la cuisine en s’essuyant les mains. Ca va ?

– Oui.

– Rien à signaler ?

– Rien à signaler, grand chef. Je vous rends votre mobylette en parfait état de fonctionnement et avec un bon tiers du plein.

Il lui adressa un vague salut militaire qui fit sourire son cousin.

– Viens, l’encouragea celui-ci en se dirigeant vers son bureau.

Il le suivit, déposant néanmoins sa glacière avec celles des autres. Elle serait nettoyée un peu plus tard dans la journée.

– As-tu récupéré le numéro de téléphone de ton comptable ?

Il n’avait pas manqué de lui parler de Mathieu, pas qu’il ait réellement eu le choix. La curiosité de Bruno avait été beaucoup trop titillée depuis son premier jour et il n’avait cessé de prendre des nouvelles. Bruno était, de toute façon, une des rares personnes avec lesquelles il se confiait facilement. Avec ses potes, il discutait, il plaisantait, mais c’était plus souvent des concours d’égo et de grosses quéquettes comme il aimait à le dire et cela même s’il leur arrivait d’aborder des choses plus personnelles. Mais il n’avait jamais vraiment réussi à se sentir totalement en phase avec les autres. Il avait toujours cette petite notion de différence qui ne l’avait jamais quitté, même si avec le temps, il s’était entouré de personnes un peu comme lui. Quoi qu’il en soit, Bruno avait toujours été son oreille attentive et son confident attitré : le premier auquel il avait fait part de ses doutes quant à son homosexualité.

Il poussa un soupir de dépit.

– Non.

– Il n’a pas voulu ?

– Absent.

– Ah…

Il haussa les épaules.

– Ce n’est que partie remise.

– Je sais.

Il lui tendit l’argent qu’il avait récolté pour lui et s’assit en face de son bureau.

– En tout cas, merci vraiment pour le dépannage, c’était extra de ta part.

– Et intéressé.

– Parlant de ça…

Bruno attrapa une enveloppe.

– C’est pour toi. Et tu la prends, pas de discussion.

– Je ne discute pas ! se défendit-il. Merci quand même, hein.

– C’est normal. Tout travail mérite salaire.

Ils se sourirent.

– Tu as besoin d’aide pour ton déménagement ce week-end ?

– Non, j’ai trois potes qui viennent me filer un coup de main et Pierre a déposé les grosses pièces en même temps qu’il embarquait les meubles de Virginie, donc ça devrait être cool.

– Appelle, si jamais.

– J’n’hésiterai pas.

Ils discutèrent encore un peu puis il reprit le chemin de son appart. Il avait du boulot avant le week-end et il avait aussi prévu de passer au CAMPS pour une réunion où en tant que futur membre, il avait été convié. Il savait que cela boufferait son jeudi, parce qu’il doutait d’en repartir de bonne heure. Une fois sur place, il se ferait sans aucun doute alpaguer par les uns, les autres et son envie de voir où en étaient certains des patients qu’il avait suivi. Et avec un peu de chance, cela lui éviterait de ruminer sur Mathieu.

Laisser un commentaire