Un hamburger, des frites et mon cœur avec (6)

Chapitre 6

 Troisième semaine

Mardi

Face au miroir dans les toilettes du bureau, Mathieu poussa un long soupir. Il venait de s’asperger le visage d’eau mais ne se sentait pas forcément mieux. Cela l’avait pris quasiment en arrivant au bureau. Il l’avait vaguement mis sur le compte d’un petit coup de barre, même si ce n’était que mardi, et s’était fait un café qui avait eu grand mal à passer et qu’il avait abandonné au bout de deux gorgées. Mais le temps filant, il avait l’impression d’être de plus en plus fébrile et patraque. Il soupira à nouveau et desserra légèrement sa cravate. Ce n’était pourtant pas son genre d’être mal. Il pouvait se vanter de cumuler le moins de jours d’absence de tout le cabinet. Il se targuait d’avoir une santé en béton et même ses amis reconnaissaient aisément qu’ils ne le connaissaient pas malade. Le nez un peu pris peut-être, une légère toux, mais rien qui ne le retienne chez lui. Et quoiqu’il couve, il était hors de question que cela l’empêche d’avancer. Il avait encore une trop grosse pile de boulot à abattre avant midi et il avait conscience d’avoir progressé moins vite qu’à l’accoutumée.

– Allez, s’encouragea-t-il, avant de pousser sur ses bras et de s’éloigner du lavabo.

Sa mine aussi montrait qu’il n’était pas au meilleur de sa forme, mais il n’allait pas commencer à s’écouter. Sur un dernier soupir, il s’éloigna et sortit de la pièce pour regagner son bureau où il s’assit lourdement sur sa chaise. Il ne retint pas un nouveau soupir et attrapa sa bouteille d’eau dont il but une gorgée. Son ventre n’apprécia que moyennement. Il contempla le tableau Excel ouvert devant lui, ferma les yeux et secoua la tête avant de se replonger dedans.

La pause s’était révélée légèrement bénéfique et il s’y remit avec bon espoir. Pourtant au bout d’une heure, il réalisa qu’il n’avait que très peu avancé et les lignes sur l’écran commençaient à sérieusement se mélanger. Peut-être n’aurait-il pas dû faire ce fichu footing le dimanche, mais il n’avait rien fait de plus qu’à son habitude. Il n’était même pas sorti le samedi et s’était contenté de son parcours usuel. Et la veille, il était parfaitement bien. Il grogna, il détestait être dans cet état. Il essaya de se masser un peu le ventre. Il se sentait vaguement nauséeux. Peut-être avait-il faim ?

Lorsque midi et demi se profila enfin, il se tenait tête baissée, front appuyé sur ses mains et les yeux fermés. Un petit coup à la porte retentit. Le son lui fit soulever les paupières et relever légèrement le visage. Un petit sourire égaya un instant son visage lorsque Ludovic pénétra dans le bureau.

– Vous allez bien ? lui demanda ce dernier.

– Mouais, répondit-il alors que ses paumes glissaient de son front à ses cheveux pour les ébouriffer un peu.

– On ne dirait pas.

Mathieu sourit. Au temps pour moi, pensa-t-il.

– Je ne sais pas, je ne me sens pas super bien, je me sens fatigué et un peu…

Il grimaça alors qu’il massait de nouveau son ventre. Quelque chose ne passait pas.

– Ça c’est l’abus de hamburger et de frites, plaisanta Ludovic en déposant une barquette devant lui.

– Pourquoi j’aurais pu parier que vous alliez dire ça.

Ludovic lui offrit un clin d’œil qu’une partie de lui trouva craquant.

– D’où le riz ce midi ? continua Ludovic. J’ai bien cru que vous n’étiez pas là.

– Je pense en l’occurrence, contra Mathieu malgré son état, que ce sont les légumes d’hier que je ne digère pas.

Ludovic éclata de rire.

– Et pourquoi aurais-je pu parier, moi, que vous alliez dire cela ?

Il lui sourit. L’odeur de nourriture qui s’était répandue dans le cabinet le dérangeait. Et sa grimace ne passa pas inaperçue. Ludovic s’approcha et vint poser sa main sur son front. Le contact était agréable et Mathieu ne résista pas à fermer les yeux. Il se sentait fatigué et avait bien un peu froid, au milieu de ses coups de chaud.

– Vous n’avez pas l’air d’avoir de fièvre, mais vous avez vraiment mauvaise mine.

– Ce n’est rien, je ne suis jamais malade.

– Vraiment ?

– Non jamais. Ce n’est sans doute qu’une petite indigestion ou quelque chose du genre. Ça sera passé d’ici ce soir.

Ludovic lui offrit une expression bien dubitative.

– Vous n’avez pas l’air convaincu.

– Vous n’avez pas vu votre tête.

– Merci.

– Vous avez des cernes et le teint un peu gris.

– J’ai toujours trouvé que le gris me seyait à merveille.

– En costume, je ne dis pas, mais là. Vous devriez envisager de rentrer ?

– Non.

Il s’étira, espérant naïvement faire passer la fatigue et la sensation de nausée qui l’assaillaient.

– Il m’en faut plus.

– C’est peut-être une gastro, vous devriez vous méfier.

– Ce n’est plus la saison.

Ludovic haussa les épaules.

– Ce n’est pas parce qu’on n’est plus dans le pic épidémique que le virus n’est plus dans l’air.

– Je croyais que vous étiez psychomotricien, pas médecin.

– Rien à voir. C’est une simple question de bon sens.

– Encore une fois, merci.

Ludovic afficha une expression de fausse réprimande qui lui arracha un petit rire.

– Quoi qu’il en soit, si c’est une gastro, vous devriez vous éloigner, je ne voudrais pas vous contaminer.

– Je me laverai les mains.

Quand Mathieu vit Ludovic s’approcher de lui pour glisser soudainement les doigts dans ses cheveux avant de descendre sur sa joue, une part de lui réalisa qu’il aurait dû se reculer et l’en empêcher mais le geste était réconfortant. Il le fixa, Ludovic semblait surpris mais il n’aurait su dire de quoi. De son geste ou qu’il l’ait laissé faire ? Il fut incapable de ne pas rendre le sourire qu’il lui offrit alors. Il y eut un léger moment de flottement, un moment pendant lequel il fut saisit par l’envie de se poser contre lui et de simplement fermer les yeux. Cela faisait si longtemps que ça ne lui était pas arrivé qu’il fut tenté de céder. Le frisson qui le parcourut en même temps qu’une nouvelle vague de froid le ramena à la réalité du moment et du lieu. Il s’éloigna, décidé à ne pas céder, pas maintenant, en tout cas.

– Vous allez me dire que ça va passer ? demanda Ludovic.

– Promis. Je me connais bien vous savez, ça fait trente et un ans que je me pratique.

– Trente et un ?

– Pourquoi je sens que je vais me prendre une remarque sur mon âge en plus de ma mine déconfite, s’amusa-t-il, une façon comme une autre de sortir de cet étrange moment de tendresse qu’ils venaient de partager.

– Aucune, je savais que vous étiez plus âgé que moi, j’ignorais de combien.

– Neuf ans si j’ai bien compté, à moins que vous n’ayez sauté une ou plusieurs classes.

– Aucune. Et c’est bien ça. Vous êtes doué avec les chiffres, on vous l’a déjà dit ?

Il sourit, content que Ludovic reprenne leur conversation comme à l’accoutumée.

– Il parait que je me débrouille bien, répondit-il.

De nouveau, un frisson le parcourut.

– Sérieusement, vous devriez rentrer vous reposer. Même si ce n’est rien, il vaut mieux se mettre au chaud plutôt que de laisser ça empirer.

– Je vais aviser, consentit-t-il.

 Il avait beau faire confiance à son excellente santé, son état n’allait pas en s’améliorant.

– Je vais voir si je peux avaler un truc, ça me fera sans doute du bien.

– Ne forcez pas.

– Une vraie mère poule.

– On le dit de moi parfois, c’est vrai. C’est, parait-il, une de mes qualités.

– J’imagine que ça vous est utile dans votre métier.

– Oui. Il faut avoir de l’empathie mais pas trop non plus. On voit des choses dures, les patients ont des moments difficiles et il faut être là pour les tirer vers le haut et réussir à ne pas se faire entraîner, savoir laisser le pire derrière nous. Etre positif.

Mathieu hocha la tête avant de la poser contre sa paume. Ses paupières se faisaient lourdes et la fatigue le gagnait petit à petit. Ludovic n’avait peut-être pas tort, peut-être devrait-il songer à rentrer plus tôt, mais avant cela, il avait encore plusieurs dossiers qu’il voulait boucler. Et aussi agréable que soit la présence du jeune homme, il savait qu’il serait préférable de s’y remettre le plus vite possible.

– Bon, je vais essayer de manger quelque chose et d’avancer encore un peu. Je vous vois demain pour votre dernier jour en tant que livreur.

– Oui, acquiesça Ludovic en se levant.

– On organisera quelque chose pour fêter ça.

– Avec plaisir.

Le sourire qu’ils échangèrent lui parut complice et porteur de tout autre chose.

– A demain alors, lui dit Ludovic à la porte. Et rentrez plus tôt.

– C’est ce que je vais faire et à demain.

– Sans faute ?

– Sans faute. Je ne raterais ça pour rien au monde !

Un nouveau sourire et l’harmonieuse silhouette de Ludovic disparut. Mathieu ouvrit la barquette devant lui avant de la repousser avec une grimace de dégoût.

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