Sa Chair

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Duo hétérosexuel, érotique.

Résumé : « Baise-moi. » Elle n’ajouta rien d’autre. Elle voulut qu’il comprenne : ce qu’il y avait derrière les mots, le besoin qui était le sien.

Sa chair

– Qu’est-ce que tu veux ?

– Que tu me baises comme une pute.

 

Alanguie contre la large vitre donnant sur la rue, les épaules serrées dans son manteau et le menton blotti au creux de son écharpe roulée, Emma perçut à peine le tintement de l’ouverture de la porte du café. Elle adressa un sourire doux à Luc en le remarquant. Il portait des gants épais et un pardessus de laine lui conférant un chic très parisien. Un air de magazine, de pages modes glacées, de boutons à défaire et de chevelure à désordonner.

Il s’assit en face d’elle.

– Ça fait longtemps que tu attends ?

– Non.

Elle se décolla de la vitre, essaya d’arborer une expression assurée, mais fixa surtout le marron griffé du bois de la table. Pour dire vrai, peut-être une demi-heure s’était-elle écoulée depuis qu’elle avait posé ses fesses sur le similicuir de la banquette du café, mais cela avait-il seulement une importance ? Elle avait usé ses yeux sur les allées et venues des passants dans la rue pour contenir le flux de ses pensées. Elle avait vécu mille fois dans son esprit, déjà, l’entrée de Luc, les mots qu’ils échangeraient et ce qu’elle attendait de voir découler de leur entrevue. Elle avait senti chacun de ces instants dans son corps, sa chair et dans sa poitrine glacée. Lorsqu’il ôta son manteau, elle suivit du regard les mouvements de ses épaules, devinant les muscles tendus sous le tissu.

– Tu prends un café ?

Elle acquiesça silencieusement, la gorge serrée, et fit fleurir un sourire qu’elle sentit loin d’être assuré. Il mourut dès l’interrogation suivante de Luc.

– Pourquoi m’as-tu appelé ?

Un infime tremblement passa sur ses lèvres.

– Tu le sais.

– Je veux dire… Pourquoi maintenant ? demanda-t-il en balançant son corps vers l’arrière, s’adossant à sa chaise en une posture qui n’avait de l’assurance que l’apparence, sa tension restant clairement perceptible.

Elle ne le lâcha pas du regard. Elle ne voulait pas lui paraître faible ou pitoyable. Un long soupir lui souleva la poitrine et elle salua le répit que lui permit le serveur en arrivant. Luc passa la commande.

Elle finit par détourner les yeux. Le serveur s’éloigna. Machinalement, elle glissa les doigts dans le col formé par son écharpe et le souleva pour y enfouir le bas de son visage.

– Parce que j’ai songé que tu le voudrais, souffla-t-elle.

Cette fois, Luc ne la relança pas et elle lui en sut gré. Elle remarqua juste l’expression d’interrogation qui marqua son visage, comme s’il cherchait en elle les mots qu’elle lui refusait.

La tasse arriva à pic pour réchauffer ses doigts. Elle les y blottit, se les brûlant à moitié.

– Comment va Alex ? demanda-t-il.

– Mal.

Elle haussa les épaules, peu désireuse de poursuivre. La vague de détails qui traversa son esprit ne fut que transitoire : aucun ne méritait de compléter le terme certes lapidaire, mais juste qu’elle avait employé. Aucun n’avait surtout besoin d’être étalé. Elle ramassa son sac, soudain nerveuse.

– On y va ?

Et elle se leva dans la foulée. Si elle remarqua à ce moment-là la tasse qui était restée pleine et chaude encore à sa place, elle n’eut en aucun cas le goût de la vider. Luc, lui, finit la sienne rapidement. Il se dressa à ses côtés.

– O.K., dit-il sans plus la regarder.

J’ai envie d’une queue, de bras autour de moi, de baisers sur ma bouche, mes lèvres, de doigts qui me serrent, du poids d’un corps sur le mien, de souffle dans mon oreille, d’une langue qui s’approprie ce qu’elle veut, et de moi qui prend, et de moi qui donne, et de moi qui ne suis plus que chair entre des mains impatientes.

 L’appartement de Luc se situait dans l’une de ces résidences bourgeoises du siècle dernier qui brillait plus par les vestiges ouvragés de sa façade extérieure que par l’état de ses couloirs. La fenêtre de son salon donnait toutefois sur une cour lumineuse d’où montaient les cris assourdis d’un groupe d’enfants, et le voile de couleur chaude qui recouvrait le vitrage conférait à son intérieur une atmosphère agréable. Emma se laissa tomber dans le canapé de cuir brun, son manteau jeté deux mètres plus tôt et ses doigts étirant déjà le tissu enroulé autour de son cou pour le libérer. En voyant Luc se rapprocher, elle sentit les battements de son cœur se précipiter. Le jeune homme prit le temps de suspendre son manteau à la patère et de faire passer son pull au-dessus de sa tête. La manière dont ses cheveux clairs s’en ébouriffèrent accrocha le regard d’Emma.

– Pourquoi maintenant ? lança-t-il. Tu avais toujours dit « non ».

– Je sais…

Elle voulait qu’il se taise, qu’il ne pose pas plus de questions. Pourquoi faudrait-il mettre des mots sur ce qu’il allait se passer, de toute façon. Négligemment, Luc balança ses chaussures contre le mur. En réponse, elle s’empressa de se débarrasser de son écharpe et de dénouer le cache-cœur qui enserrait son buste. Il l’interrogea :

– Pour ce soir ou pour plus ?

– Pour ce soir.

Elle lui fut reconnaissante de poser la question. Que ce soit clair entre eux, tout de suite. Pourvu qu’il prenne la place qu’elle lui offrait contre sa peau. Qu’il envahisse en même temps son esprit. Qu’il efface même de manière transitoire toutes les ombres qui le recouvraient.

Lorsqu’elle se retrouva en débardeur, son cache-cœur ôté, il s’immobilisa. De réflexe, elle releva les yeux sur lui, le découvrant en train de l’observer avec attention. Elle eut l’impression que celle-ci se porta sur son bras. Elle le considéra à son tour.

– Tu ne l’avais pas, celui-ci, avant, remarqua-t-il.

– Non.

Elle s’attarda sur les détails du tatouage noir sur la pâleur de son épiderme. Il était vrai qu’elle n’avait plus revu Luc, physiquement, depuis un an. Ils avaient été extrêmement proches au lycée, et le fait qu’ils ne soient alors jamais sortis ensemble ne tenait que du concours de circonstances et des mauvaises coïncidences ayant fait que jamais l’un ne s’était jamais trouvé libre en même temps que l’autre. Alex avait été l’un de ces concours de circonstances : un qui durait depuis cinq ans. Comme il semblait hésiter, elle se leva d’un coup et franchit la distance les séparant. À peine fut-il à sa portée qu’elle se jeta à son cou, comme ça, se surprenant elle-même, mais c’était sans importance. Le geste avait été automatique, souverain. Les lèvres de Luc furent aussitôt sur les siennes et elles la dévorèrent. Sa barbe mal rasée brûla son menton, et sa langue s’immisça en elle comme s’il s’était agi de son propre territoire. Et, sur l’instant, ça l’était. Sur l’instant, elle était à lui, à ses désirs, à ses envies, à ses mains et son corps, prête à lui donner tout ce qu’il voudrait, et plus encore : désireuse qu’il s’empare d’elle dans son entièreté.

Baise-moi, retourne-moi, ne me demande pas si je le veux.

 Quand il relâcha ses lèvres, elle agrippa sa chemise pour ne pas rompre leur contact. Elle eut envie de mendier ; sa fierté l’en retint. La bouche de Luc fut aussitôt dans son cou, écartant ses cheveux pour aspirer et mordre sa chair, et tracer une longue ligne dure avec ses dents.

Le souffle qui pénétra dans son oreille se répercuta jusque dans son entrejambe.

– Celui-ci, c’était avant ta rencontre avec Alex, non ?

Troublée par ce rappel à la réalité, elle se laissa néanmoins bercer par la langueur de sa voix.

– Oui, soupira-t-elle.

Elle pencha un peu plus la tête de côté pour laisser le champ libre à Luc. Elle avait fait ce tatouage à peine son bac’ passé : une série d’étoiles qui allaient en grossissant vers son omoplate sans que leur intérieur soit coloré. À l’époque, ça avait symbolisé, pour elle, son émergence en tant que femme : elle avait acquis le droit d’agir par elle-même, acquis celui de se laisser grandir et remplir par ce qu’elle voudrait. La première fois qu’Alex avait suivi de ses lèvres leur tracé, les embrassant et les lapant doucement l’une après l’autre, elle s’était sentie dénudée jusque dans son âme.

Sous les baisers de Luc, elle se pâma. Sa main vint se poser sur son torse, si dur, si plat, si solide sous ses doigts, au contact incroyable, et elle résista à l’envie de la faire glisser plus bas. Luc ne la laissa pas dans l’hésitation. D’un geste rapide, il saisit sa main et la posa directement sur son entrejambe, sur la masse ferme qu’elle y sentit.

Elle l’y pressa, ivre de trouble. Lorsqu’il l’embrassa de nouveau, elle fut tremblante. Luc était partout sur elle, sa langue dans sa bouche, ses mains sur ses fesses, la rondeur surprenante de son sexe nichée dans le creux de sa paume. En des gestes empressés, il la fit reculer et elle l’accepta avec complaisance. Seul son regard resta ancré dans le sien, dernier vestige d’un contrôle qu’elle lui cèderait bientôt, elle le savait, qu’elle languissait de lui abandonner. Ses genoux rencontrèrent le rebord du canapé, pliant dans la foulée. Le visage de Luc la suivit, et ses doigts furent sur sa gorge, et son décolleté, et le léger espace permettant de glisser dans son débardeur… Lorsqu’il prit en main l’un de ses seins, elle se détacha de sa bouche et releva les yeux sur son visage. Sa large paume à la chair légèrement râpeuse lui procurait une sensation d’étrangeté. Elle n’en gémit pas moins lorsqu’il fit doucement rouler son mamelon entre ses doigts. Il le lâcha ensuite pour prendre un temps de pause, suivant d’un air pensif la plume stylisée noire qui reliait l’arrondi de son sein à son épaule en un fin trait.

– Et celui-ci, c’était quand ?

Elle tâcha de reprendre ses esprits et baissa les yeux sur son tatouage.

– Au tout début de notre relation, avec Alex, expliqua-t-elle. Tu ne l’as jamais vu parce que…

Elle ne vit pas d’intérêt à poursuivre. La suite était sous-entendue. Bien qu’ils aient continué à sortir entre amis, avec Luc, elle ne se déshabillait pas devant lui. Et celui-ci relevait de l’intime, témoignant plus que les précédents de ce qui la liait à Alex, parce que, lorsqu’elle avait décidé de le faire, c’était à la suite d’une soirée qui les avait fait s’amuser à s’écrire des mots doux, et d’autres drôles, au stylo sur la peau, et qu’elle avait voulu immortaliser cette connivence si douce à son cœur dans son épiderme. La plume, c’était l’objet donné à Alex pour marquer sa chair de son existence.

Luc n’attendit pas qu’elle développe. Il posa un genou entre les siens sur le canapé, baissa ses vêtements jusqu’à offrir ses deux seins à la morsure de l’air, et se pencha aussi vite sur ses mamelons qu’il s’attarda à lécher et aspirer successivement entre ses lèvres. D’excitation, Emma renversa la tête en arrière et chercha la chevelure de Luc, s’y agrippant. Lorsqu’il se redressa, elle se sentit étourdie, mais accrocha immédiatement la ceinture de son pantalon de ses doigts pour le retenir de s’éloigner. Son regard se reporta sur le visage qui se dressait au-dessus d’elle, fiévreux et curieux à la fois, qu’elle fixa sans ciller tandis qu’elle faisait sauter lentement les boutons de son jean. Le sexe de Luc se glissa aussitôt dans l’interstice, venant taquiner ses doigts, les inviter à s’emparer de lui. Avec fascination, elle contempla l’expression de plaisir qui s’afficha sur les traits de Luc lorsqu’elle le caressa doucement par-dessus le tissu. Elle pouvait sentir les rondeurs de son membre dans sa main, sa dureté et les douces contractions qui le prenaient de temps en temps.

– Emma, souffla Luc en glissant la main dans ses cheveux, les poussant sur le côté, jouant avec eux comme elle jouait de sa hampe.

Elle tira sur l’élastique de son vêtement pour la libérer. Luc ne bougea pas. Il attendait. Sa chair était juste en face de son visage, pulsante et ferme et dans l’attente, elle ne pouvait l’ignorer.

– Tu sais depuis combien de temps j’en ai envie ? souffla Luc.

Son ton doux la surprit.

Elle lui sourit.

– Depuis la terminale ?

– Oui.

Elle connaissait la réponse.

Elle avait éprouvé la même chose depuis ce moment-là.

Luc n’avait manifesté son désir pour elle qu’un an auparavant, lorsque son couple avec Alex avait commencé à battre de l’aile et qu’elle avait fini en pleurs chez lui à lui confier tous ses malheurs, à se déverser dans ses bras, à lui refuser les lèvres qu’il avait penchées au bout d’un moment sur les siennes brûlantes… Bien qu’il le lui ait rappelé depuis, elle l’avait toujours repoussé.

Avec espièglerie, elle tira la langue, la posa sur le bout de sa verge, la retira. Celle-ci en eut un soubresaut d’intérêt. La paume de Luc se glissa plus largement contre sa joue, la caressant avant de finir sur sa nuque. Emma accepta l’avancée des hanches lui faisant face qui s’ensuivit. Elle ouvrit juste la bouche, leva les yeux sur le visage de Luc, et accepta la chair qui se présenta à l’entrée de ses lèvres. Sa surface douce y glissa, entrant, prenant lentement sa place, et le soupir rauque qui résonna derrière à ses oreilles sonna d’une façon si brûlante qu’elle sentit son entrejambe s’en contracter vivement. Les doigts de Luc furent sur son cou, sa chevelure, le pli de son épaule.

Bouge.

Prends ce que tu veux de moi.

Utilise-moi.

 Elle se décolla du dossier du canapé pour gagner plus d’amplitude, s’assit un peu plus en avant, enroula sa main autour de la base du sexe de Luc.

Lorsqu’elle commença à le caresser tout en jouant de sa bouche et de sa langue sur sa chair tendue, il renversa la tête en arrière, pantelant. Ses doigts se posèrent à l’arrière de son crâne, sans pour autant pousser, avant de glisser sur sa joue et de finir sur l’arrondi de ses seins. L’excitation la possédait et elle ne se laissa faire qu’avec surprise quand il s’arracha enfin à sa bouche, pour la repousser en position allongée. Son pantalon se fit enlever, sa culotte avec. Comme Luc ne l’en débarrassait pas, elle ôta elle-même le reste de ses vêtements, se retrouvant nue devant lui. En le voyant faire mine de vouloir enlever son propre jean, elle l’arrêta. Elle ne sut pas comment lui dire qu’elle voulait qu’il la prenne comme une pute, sans égards et sans ménagements. L’idée était choquante même à son propre esprit, mais c’était pourtant ce qu’elle désirait. Elle prit une longue inspiration tout en le fixant.

Puis elle lui dit :

– Baise-moi.

Elle n’ajouta rien d’autre.

Elle voulut qu’il comprenne : ce qu’il y avait derrière les mots, le besoin qui était le sien.

Sur le visage de Luc, elle pouvait lire le doute, l’interrogation, mais aussi quelque chose d’autre : de la frustration, et elle pouvait le comprendre parce qu’il avait toujours espéré d’elle plus qu’une simple séance de baise. Mais l’ombre plus dure qu’elle voyait naissante dans son regard était justement ce qu’elle désirait de lui. Ce avec quoi elle attendait qu’il la possède. Il finit par soupirer et murmurer :

– Viens.

L’instant suivant, il l’attrapait par la main pour la lever du fauteuil et la tirer vers la table du salon. Elle s’y laissa échouer avec envie. Ses jambes se firent écarter, son torse plaquer contre le bois et elle se retrouva tremblante d’excitation. La voix de Luc fut contre son oreille : incendie et déception mêlés.

– C’est ce que tu veux ?

Elle ferma les paupières, espérant que les frémissements de son corps sachent témoigner plus clairement qu’elle ne l’aurait pu à quel point elle attendait qu’il la traite ainsi : qu’il prenne d’elle ce qu’il voulait puisqu’elle ne pourrait lui donner plus. Ses mains, puissantes et masculines, inclinèrent ses hanches, puis écartèrent ses fesses, lui arrachant un feulement d’envie en se sentant si exposée. Un doigt entra aussitôt dans sa chair, ses allers et retours la faisant prendre conscience de sa propre humidité, et d’à quel point elle voulait que Luc la prenne, désormais, qu’il oublie ses égards et s’empare juste d’elle.

– Encore, réclama-t-elle.

Elle sentit un deuxième doigt la combler. Le plaisir la fit haleter et se tordre sous les caresses qui suivirent.

– Encore, gémit-elle peu après.

Un troisième s’inséra, l’ouvrant et l’échauffant, et lui donnant l’impression d’avoir déjà le sexe de Luc en elle. Et lorsqu’il se mit à entrer et ressortir d’elle en des va-et-vient si intenses que les impacts de son poing la firent vibrer, elle se tordit d’excitation.

Elle put à peine reprendre son souffle alors qu’il marquait une pause, poussant fortement les doigts en elle.

– C’est ce que tu aimes ? demanda soudain Luc d’un ton curieux. C’est ce que te fait Alex ?

– Oui.

Elle ne savait pas ce qu’il attendait avec une telle question.

– Baise-moi, supplia-t-elle de nouveau.

Elle se sentait brusquement bouleversée, l’émoi de son corps entrant en résonance avec la perte de repères de son esprit. En sentant les doigts de Luc se retirer, elle se tendit vers lui, mais ses mains la maintinrent bien en place. Ses pouces glissèrent sur ses reins, remontant le long de son flanc pour suivre cet autre tatouage qu’elle savait avoir été masqué jusque-là à sa vue : ces entrelacements et ces autres étoiles, cette fois toutes pleines, qu’elle avait faites un peu plus d’un an auparavant, tout juste avant l’accident qui avait ôté à Alex ses deux parents. Quand elle était revenue de chez le tatoueur, Alex lui avait demandé, tout sourire, pourquoi aucune étoile n’avait cette fois été laissée vide. Emma avait senti l’amour gonfler sa poitrine lorsqu’elle lui avait répondu que c’était parce qu’elle n’avait plus rien qui ait besoin d’être empli. C’était une déclaration maladroite et elle n’avait jamais été douée pour en faire de toute façon, mais Alex avait compris. L’émotion dans son regard le lui avait appris.

En entendant le son du déchirement de l’enveloppe d’un préservatif, elle ferma les paupières. Dans l’attente, son cœur battait à toute vitesse.

– Emma…

– Baise-moi, l’interrompit-elle aussitôt.

L’intonation désespérée de sa voix l’affligea, parce qu’il y avait du besoin, violent, dedans, mais aussi de l’échec. De la tristesse, de la douleur… de la nécessité de combler les fissures de son âme par la possession de sa chair.

La manière dont Luc caressa alors lentement ses hanches la fit ressentir à quel point il aurait voulu qu’ils puissent avoir un autre rapport, plus tendre, et à quel point elle se comportait mal avec lui. Elle ne s’en sentit que plus coupable.

– Prends-moi, souffla-t-elle, au comble de son trouble.

Son front reposait sur ses bras pliés et elle haleta en sentant enfin le sexe de Luc entrer dans son corps, glissant progressivement jusqu’à s’enfouir tout entier en elle. La sensation était satisfaisante, apaisante, bien que curieuse.

Elle tourna le visage vers Luc, mais le premier coup de reins qu’il lui donna lui coupa aussitôt le souffle, ne lui laissant pas la possibilité de se concentrer sur quoi que ce soit d’autre que le plaisir qu’elle éprouvait. Des va-et-vient suivirent et elle s’offrit enfin réellement à lui, sortant de l’exigence et de la demande, du besoin et de la supplication. Le sexe de Luc éveillait des sensations oubliées, l’incendiant, et elle poussait même contre lui, jouait des reins pour augmenter encore les impacts de ses déhanchements, renvoyant des vibrations de plaisir en elle si vives qu’elles emplissaient jusqu’à sa tête. Puis Luc lança la main entre ses jambes et Emma gémit en le sentant frôler le petit point gorgé de sang qui s’y trouvait.

Un feulement s’échappa de ses lèvres. Ses dents se pressèrent contre ces dernières. Et, lorsqu’il commença à la caresser plus nettement, elle lâcha de longues plaintes et s’écroula sur la table, et ne put plus rien faire d’autre que se soumettre à ses gestes, et aux coups de reins avec lesquels il la comblait, et aux stimulations combinées de son organe le plus sensible qui la laissaient pantelante, se tordant sous ses doigts et ses mouvements de hanches, jusqu’à ce qu’une chaleur intense se mette à gonfler dans son bas-ventre et se renforce, et augmente, et emporte tout. Jusqu’à ce qu’elle ne soit plus que plaisir et jouissance, et qu’elle sente jusqu’au plus profond de son corps l’orgasme la monter vers le haut, la soulever et l’emporter. Alors, elle gémit, et elle haleta encore avec force quand Luc atteint lui aussi l’apogée.

Un temps, ils restèrent immobiles, haletants et en sueur.

Son sexe était encore en elle, pulsant par moments.

Sa tête à elle s’était vidée, son esprit apaisé. Derrière elle, le souffle rapide et haché de Luc la berçait, en une douce complainte érotique et sensuelle.

Après une longue expiration, Luc finit par l’interroger. Il ne sortit pas pour autant de son corps.

– Ça faisait combien de temps ?

Elle se doutait de l’intégralité de sa question, mais elle lui demanda tout de même :

– De quoi ?

– Que tu n’avais plus été pénétrée comme ça ?

Elle haussa les épaules. Sentir sa chaleur en elle était plaisant.

Luc précisa :

– Que tu n’avais plus été prise par une queue.

Elle soupira.

– Des années.

Gênée soudain par sa présence, elle bougea des hanches pour l’inciter à se retirer.

Lorsqu’elle put se retourner, elle appuya les fesses contre le rebord de la table et fixa Luc. Celui-ci lui tournait le dos et était en train de retirer sa protection.

– Tu le sais très bien : je n’ai jamais plus recouché avec un mec.

– Depuis que tu t’es mise avec Alexandra ? lui demanda-t-il de préciser.

– Oui.

Depuis Alex.

Elle ne pouvait pas dire que « la queue » lui ait manqué. Ce qui lui manquait depuis plus d’un an, c’était plutôt l’attention, les sentiments, la sensation de compter, d’être désirable… Tout ce qu’Alex ne lui témoignait plus à cause de son deuil, pour ne pas dire « dépression ». Cette tristesse insupportable qui pesait sur leurs vies et contre laquelle elle était démunie.

Luc se dirigea vers la salle de bains. Elle-même devrait y aller, aussi. Elle n’était pas pressée. Elle se pencha en arrière jusqu’à sentir le bois contre son dos, s’y allongeant, appréciant son contact sous sa peau.

– Tu vas lui dire ce qu’il s’est passé ? lui demanda Luc de la pièce adjacente.

Elle eut un moment d’hésitation. Elle n’y avait pas réfléchi, évidemment, mais elle répondit :

– Oui.

– Tu devrais vraiment avoir une discussion avec elle.

Il lui avait dit ça sur le ton de l’amitié.

En le voyant revenir vers elle, elle lui sourit. Elle s’en voulait de s’être éloignée de lui, d’avoir fait la morte depuis un an. Luc était son ami, le mec avec qui elle aurait pu être si la vie n’en avait pas décidé autrement, celui qui pour son cœur battait aussi.

– Tu as raison.

Elle se redressa. Poussée par un élan qu’elle refusa de modérer, elle se dirigea d’un coup vers lui et posa les lèvres sur les siennes, cette fois chastement. Lorsqu’il passa les mains dans ses cheveux, elle ne put que constater à quel point il était séduisant, décidément. C’était une honte qu’il ne soit pas encore casé.

Luc ramassa ses vêtements.

– Fais-le.

Elle lui adressa son sourire le plus tendre, le plus affectueux, parce qu’il avait raison et que le fait qu’il se soucie ainsi d’elle était plus qu’elle lui demandait. Lorsqu’il disparut en direction de la douche et que l’eau se mit à couler, elle laissa dériver son regard sur son propre corps, sur toutes les marques qui attestaient de ses années passées avec Alex, des tatouages de son sein, à ceux qui se déclinaient sur ses avant-bras, à la série d’étoiles qu’Alex avait si souvent léchée et embrassée sur le bas de son dos, à… Elle leva son poignet pour en contempler l’intérieur.

Elle était encore perdue dans ses pensées quand son téléphone sonna. Son cœur s’en affola et le remords la prit avec tant de force qu’elle n’osa même pas aller voir qui l’appelait.

Quand la sonnerie s’éteint puis reprit pour la troisième fois, elle trouva le courage de décrocher.

– Alex ?

Une voix mal à l’aise lui répondit, s’inquiétant de son absence.

Elle prit une longue inspiration.

Des aveux seraient à faire, des longues conversations qu’elle avait repoussées mais qu’elle serait désormais obligée d’affronter.

Emma regarda encore son poignet. Cette marque similaire qu’elles avaient inscrite chacune dans leur épiderme, l’unique fois où Alex l’avait accompagnée chez le tatoueur, pour qu’elles se rappellent toujours ce qui les liait, ce qui les rattachait l’une à l’autre.

– Avec qui tu étais ce soir ?

– Avec toi, Alex. Tu sais… Juste avec toi, en fait. Toujours avec toi, dans ma peau, dans ma tête, dans mon corps… Même lorsque tu n’es pas là. Toujours toi.

 Rêveuse, elle contempla la petite ancre marine, inscrite dans le blanc de sa peau, et qui se finissait en un symbole de l’infini, témoin du temps qu’elles s’étaient promis de passer ensemble, un jour où le monde semblait radieux et la vie ne jamais pouvoir les blesser.

– Tu rentres bientôt ? lui demanda Alex.

– Oui.

Elle ne lâchait plus son petit tatouage des yeux. Elle le fixait avec intensité. Cet infini, qui les liait. Cet avenir qu’elles avaient écrit dans leur chair.

Elle souffla :

– J’arrive.

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