Ainsi sombre la chair – Chris (partie 2)

Je voulais qu’il m’embrasse.

Je ne sais pas vraiment pourquoi j’eus cette envie, étant donné que ça m’avait écœurée la première fois avec l’homme dans la voiture, et que ça m’avait fait de même avec Loïc. J’éprouvais ces baisers comme invasifs, à chaque fois, presque plus qu’une entrée dans mon sexe ou une possession du reste de mon corps.

Mais peut-être que Chris me plaisait plus que Loïc ou que, au fond, j’avais encore besoin de tendresse. Il était si près de moi, aussi… Sa cuisse collait la mienne, son corps était tourné vers le mien, et il avait observé la manière dont Loïc attisait mon sein dans une intimité qui n’avait rien de commun, pleine d’ambiguïté sexuelle. Loïc, lui, avait posé l’épaule contre le dossier du canapé dans une posture d’observateur.

Je levai les yeux sur ceux de Chris et le regardai avec envie.

Baise-moi, disais-je silencieusement.

Je voulais qu’il fourre sa main entre mes cuisses et qu’il s’empare de mon corps, et qu’ils me prennent à deux, avec Loïc. Deux anonymes, moi entre eux. Et rien d’autre que de la chair. Rien d’autre que de l’emprise.

Rien d’autre que du cul.

Le stress ne me lâchait pas pour autant ; je tâchais de passer outre.

Je murmurai à Chris :

– Embrasse-moi.

Chris hésita, clairement troublé, et je me demandai de nouveau ce que Loïc et lui avaient pu se dire quand ils avaient discuté, un peu plus tôt. S’ils avaient parlé de ce qui arriverait. S’ils l’avaient anticipé.

Je ne savais rien de ça.

Tout ce que je sus, ce fut la façon dont sa main se posa doucement sur mon cou, et celle dont je me sentis me tendre dans l’attente de ses lèvres, et le temps qu’il prit à m’observer. Puis la main de Loïc revint sur mon sein, et je me raidis tandis que Chris penchait son visage vers le mien. Puis il m’embrassa et ce fut bizarre parce que son baiser ne m’écœura pas du tout.

Ça me fit même peur parce que ce fut tendre, et que c’était la dernière chose à laquelle je m’étais attendue, et que je ne voulais pas, que ça me rappelait trop douloureusement tout ce que j’avais perdu, et tout ce qui me manquait, tout ce que j’avais laissé derrière moi. Mes échecs.

Mes pertes et mes abandons.

J’en fus comme fracturée, et le trouble que j’en éprouvai brusquement aurait pu me faire repousser Chris, mais Loïc pinça et fit rouler à ce moment-là mon mamelon, et ce geste agit comme un contrepoids bienvenu, me rappelant ce dans quoi on était. Ce sexe qui était l’objectif unique de ce rapport. Ce cul, pour lequel j’étais là. Je n’avais pas à avoir peur du baiser d’un inconnu, aussi tendre qu’il soit.

J’accueillis alors la langue qui vint au contact de la mienne avec une envie lancinante qui se mêla à une volonté de m’en détacher sentimentalement, me poussant à devenir plus entreprenante. Dans un élan, je passai la main sur la cuisse de Loïc et remontai jusqu’à la masse de son entrejambe. Son sexe raide, dur, gonflé, apparut sous ma paume. Mon cœur battait à toute vitesse parce que ça me restait plus que bizarre d’agir ainsi, même si ça peut sembler une suite normale de ce qui était en train de se produire entre nous. Ce n’était pas rien, en fait. Ce n’est pas rien de poser la main sur le sexe d’un homme tandis qu’on est en train d’embrasser un autre, mais c’était ce dont j’avais besoin, sur le coup. De revenir à quelque chose de cru. De purement charnel. Et ça me plut de percevoir ainsi son excitation. J’avais une consciente brute de mes actes, de ce que je montrais de moi en agissant ainsi, et j’eus envie de faire de même avec Chris, mais je manquais encore de témérité et me contentais de laisser ma main sur son genou.

A peine Chris eut-il lâché ma bouche que je tournai le visage vers Loïc. M’offrant à lui. Caressant sa verge dans le même temps. L’attisant, comme il avait attisé mon sein. Et l’incitant à prendre le relai. A prendre ce qu’il voulait de moi, aussi. Tout, s’il le pouvait.

Il m’embrassa, sa langue profondément enfoncée en moi, et je retrouvai ce qui m’écœurait en lui, et ce qui faisait qu’ils étaient si différents, avec Chris. Il n’embrassait pas juste : il défonçait ma bouche de sa langue.  Et en même temps, c’était ce que je voulais de lui, ce que je retrouvais aussi quand il me touchait. Ce qui m’excitait : ce « trop », avec lui, ce « trop » que je voulais que me donne aussi Chris.

Loïc finit par défaire véritablement mon cache-cœur, et me l’enlever en le faisant passer par mes bras, un à un…

C’était tellement troublant de me plier ainsi à ces gestes, de me déshabiller sous leurs yeux. J’en avais le souffle court.

Et ce le fut plus encore quand je me retrouvai torse nu et que Chris m’embrassa de nouveau avec cette tendresse effrayante. Pourquoi ? Et qu’une main se mit à faire sauter les boutons de mon jean. Durant un instant, je ne sus même pas à qui elle appartenait, puis bien sûr je compris. Loïc. Je m’étais encore crispée, mais c’était surtout dû à la surprise que me faisaient éprouver ses gestes. Enfin, les lèvres de Chris se posèrent sur mon cou, et quand sa main empauma doucement mon sein tandis que les doigts de Loïc plongeaient dans ma culotte, je tremblai pour de bon, perdue entre leurs chaleurs duelles et le contraste de leurs manières de me toucher.

Je crois qu’après ça, je me laissai véritablement sombrer. Mon corps était hypersensible, mon entrejambe trempée, mon esprit perdu… parti à un endroit d’où je ne voulais surtout pas le voir revenir.

Loïc se mit soudainement debout pour déboutonner son jean et ôter prestement son t-shirt. Puis il se réinstalla sur le canapé, à demi allongé sur le dos, et sortit son sexe avant de me dire :

– Suce-moi.

J’observais sa queue dure, raide… tout comme l’avait été son ton. Son attitude était à l’exact opposé de celle de Chris : au-delà de la tendresse, au-delà de la douceur.

Je levai les yeux sur les siens.

Il me regardait comme s’il voulait voir comment je réagissais. Une façon de répondre à une interrogation, me concernant, ou peut-être de mettre en lumière ce que j’étais… de détromper son pote, des fois qu’il ait eu une autre impression de moi. Ce n’était pas clair mais je sentais la légère provocation, et le jugement latent qu’il y avait dedans.

Je ne m’en souciai pas.

Je songeai juste que me pencher sur sa verge serait tourner le dos à Chris. Lui montrer une image curieuse de moi-même, aussi, mais n’étais-je pas venue pour vivre ça ? Ce sexe, avec eux deux ?

Je regardai sa queue. Je la voulais dans ma bouche, c’était bizarre de le percevoir autant. Je réclamai juste une capote.

Loïc fit la grimace.

– Je n’aime pas, protesta-t-il.

– Je le sais.

J’ajoutai :

– Moi non plus, mais ce n’est pas la question.

Il soupira profondément et je pris sur moi pour ne pas plus m’en agacer. Je n’avais pas envie de me battre pour qu’on puisse se protéger correctement.

Je penchai le visage et effleurai son sexe de la langue, avec une envie contenue, mais n’allai pas plus loin, puis levai les yeux sur lui. Loïc savait ce à quoi je tenais à ce sujet. Il aurait dû y tenir aussi. Il avait méchamment besoin de plomb dans la tête et le fait que ce soit moi qui en ait conscience, alors que j’étais celle coincée entre eux deux, n’aurait pas dû me sembler bizarre.

Je me redressai pour m’asseoir sur mes mollets et tournai le visage vers Chris.

Il m’observait.

– Je peux t’enlever ton jean ? dit-il.

Il était mignon, avec ses questions. Loïc prenait, et lui demandait.

– Oui.

Je me rassis et haussai les reins pour l’aider. Il m’ôta mon jean, mes chaussettes… Il ne toucha pas à ma culotte. Mon soutien-gorge était déjà parti.

J’avais la tête en vrac, les idées à la dérive, les lèvres brulantes d’avoir été tant embrassées et le corps pulsant de désir.

– Tu as des capotes ? lança Loïc à son pote, alors qu’il enlevait son pantalon à son tour.

– Ouais.

Chris en sortit une série de trois du sien. Pas sûre qu’il y en ait besoin d’autant mais, visiblement, il avait été prévenant.

Il se déshabilla ensuite, avec un empressement et une excitation qui avait un quelque chose d’attendrissant, mais qui le fut moins quand il se pencha sur moi, me faisant chuter sur le dos. Visiblement, il n’était plus question de sucer Loïc. Plutôt d’être prise par lui, ou par Loïc, d’abord, je ne savais pas.

Parce que je n’oubliai pas la douleur que j’avais ressentie la fois précédente, quand Loïc m’avait pénétrée, je ne pus m’empêcher de stresser.

Les mains de Chris se posèrent sur ma peau avec fébrilité, et il attrapa des deux côtés ma culotte pour me la retirer. Il la fit glisser le long de mes jambes, libéra chacun de mes pieds puis la jeta au sol. Il m’attrapa ensuite les cuisses pour les écarter.

Je tremblai.

Chris m’avait beaucoup embrassée jusque-là, mais il ne le ferait probablement plus, maintenant. Du moins, était-ce ce que me laissait penser son attitude. Il ne regardait plus mon visage, en tout cas : seulement mon sexe.

J’étais crispée, pas super participatrice, et pour cause : j’étais vraiment très défoncée, mais ça ne semblait pas le déranger. Peut-être ne le voyait-il simplement pas.

J’observai sa verge quand il se redressa pour dérouler un préservatif dessus. Elle était légèrement plus grosse que celle de Loïc, ce qui ne me rassura pas des masses vu que, visiblement, les préliminaires n’étaient plus d’actualité. Que je devrais me contenter du peu qu’on avait eu, en tout cas, et ils ne m’avaient même pas pénétré de leurs doigts…

Loïc s’était levé et il se tenait debout, sa queue toujours tendue, nous observant. Je lui adressai un regard, du coup, et il dut y voir quelque chose parce qu’il fronça soudain les sourcils. Ma peur, probablement. Peut-être une demande d’aide. Je n’en étais pas vraiment consciente. Je ne le sais pas mais il dit à Chris :

— Fais attention, elle est serrée.

Chris ne répondit pas mais acquiesça.

Je n’éprouvai de la gratitude, même si mes craintes ne furent pas moins fortes.

Puis Loïc caressa doucement mon téton et, malgré mon stress, je me tendis et me rendis compte à quel point le moindre contact m’excitait.

La situation en entier m’excitait. Avoir Chris prêt à me pénétrer, Loïc spectateur, attendant de prendre son tour, ensuite… La peur ne me rendait pas moins fébrile, juste un peu trop crispée. Alors, je tâchai de me relaxer et, quand Chris m’ouvrit plus nettement les cuisses, les remontant, je pinçai juste ma lèvre inférieure en me préparant à son entrée.

Il finit par me pénétrer et, s’il le fit avec facilité, cette fois encore, la sensation fut perturbante. Pas tant à cause de la douleur, qui resta plus que modérée ; c’était plus comme si mon corps s’était réellement fermé, était devenu un temple aux portes infranchissables et qu’il y avait quelque chose de violent à le sentir ainsi enfoncées. Ou probablement était-ce juste moi, qui m’étais close ainsi. Moi qui avais bouclé trop de choses au fond de mon être, qui avais posé trop de verrous.

Je me retrouvai haletante, et je redressai pour poser la main sur le ventre de Chris, le poussant à rester immobile, un instant. Il le fit. Puis, avant que je puisse ne serait-ce que reprendre mes esprits, il me surprit en se penchant pour m’embrasser.

Je tombai en arrière.

Enfin, il commença à me baiser, mais ce fut parfait, parce que mon corps s’était relaxé et que le plaisir déjà présent. Chris alla et vint en moi, me tenant les cuisses, me possédant, et c’était comme une danse, un embrasement des sens où l’esprit n’avait plus vocation à être interrogé. Ses déhanchements était lourds, le poids son corps sur moi aussi, son souffle également… Tout m’emportait.

Il me pénétra longtemps comme ça puis, d’un coup, il se retira de mon corps.

Je peinai à rouvrir les yeux, le corps languide et la tête pleine de brume.

– Tu peux te retourner ? demanda-t-il dans un souffle rapide, témoignant de nouveau de cet empressement qui, associé à la douceur de son regard, avait un quelque chose de touchant.

Le sens de ses paroles peina à pénétrer mon cerveau. Puis je soufflai « oui », et regardai Loïc pendant une seconde.

Le voir nous observer en attendant son tour restait perturbant.

Je me mis en position, à quatre pattes, exposant mon cul à Chris.

– Non, comme ça.

Il me fit pivoter, de manière à ce que je sois face au dossier du canapé et lui debout derrière moi, me surprenant dans sa manière de me manipuler pour me positionner comme il le voulait.

Puis il me saisit les reins et me pénétra, avant de commencer à aller et venir en moi, mais avec une vigueur toute autre. Je dus m’appuyer de mes coudes au dossier du canapé, et pousser de toutes mes forces contre lui pour résister à ses à-coups. Ce fut nettement plus intense, du fait de sa position debout. Ou peut-être parce qu’il le voulait : me baiser plus vivement, désormais. Ses mains me tenaient fermement et ses va-et-vient créaient des vibrations dans tout mon corps, m’envoyaient des décharges de plaisir, me donnant même l’impression que j’allais jouir comme ça, que je pourrais jouir comme ça, et peut-être y serais-je parvenue si Chris n’atteignit pas l’orgasme avant.

Haletante, je le sentis se retirer, et fus proche de m’écrouler je n’avais pas su, et perçu à quel point je le désirais, que Loïc allait prendre sa suite.

Je le cherchai des yeux et remarquai, en tournant la tête, son sexe dressé, alors qu’il finissait de dérouler une capote dessus.

Puis ce regard hautain, toujours. Avec cet air de me juger. « Cette fois, c’est à mon tour de te baiser », semblait-il dire. Et je ressentis, avec une égale intensité, tout l’agacement et toute l’envie que cette attitude me faisait éprouver.

Lui ne me posa pas de questions, ne me demanda pas si j’étais OK pour qu’il me baise aussi, si j’étais capable de continuer ou quoi que ce soit qu’il aurait bien pu dire. Je n’attendais rien de sa part, de toute façon, sinon qu’il me pénètre à son tour et qu’il se comporte exactement comme il le faisait.

Ses mains se posèrent sur mes hanches. J’en frémis.

Quand il entra en moi, mon corps déjà ouvert le laissa entrer avec facilité. Je m’agrippai au canapé. Et je m’y agrippai plus vivement encore, car il y alla avec une force plus importante encore que celle de Chris. Je ne sus pas pourquoi. Connerie de la rivalité, peut-être, besoin de montrer qu’il pouvait me traiter plus rudement. Et il me baisa, dans le sens le plus pur du terme, prenant son plaisir en moi, et me martela tant que j’en eus du mal à soutenir ses à-coups, et que mes yeux s’humidifièrent, et que je me sentis sur le point de jouir, chacun de mes nerfs incendiés, à vif. Mais je n’atteignis pas ce point-là. Il me relâcha après avoir atteint son propre orgasme, qu’il draina en de longs coups de reins et un souffle lourd, qui me laissa tremblante, tout mon être pulsant, tandis qu’il s’écartait.

Cette fois, je tombai sur le canapé.

Mes yeux ne voyaient plus rien. J’étais le brouillard, le flou, la perte de repères complète.

J’essayai de faire le tri en moi : entre l’exaltation puissante de mon corps, l’imminence de l’extase qui y sinuait encore, et cette curieuse image qui m’était renvoyée, soudain, et dans laquelle je me voyais en train de me faire baiser par ces deux mecs. Aucun des deux n’avait cherché à me donner du plaisir. Ils avaient juste pris le leur.

Mais peut-être n’était-ce que ce que j’avais voulu, dans le fond.

Ce que j’avais attendu.

Là aussi, je ne le savais pas.

Porn ? What Porn ? – Du porno ? Définitivement ! (3)

— Déshabille-toi.

Florian dut cligner des yeux pour essayer de garder même un minimum ses esprits. Déjà ? Là ?

— Hein ? lâcha-t-il.

— Si je te dis…

Juan sembla réfléchir.

— … « Je veux que tu me défonces si fort que j’en hurlerai à réveiller tout l’immeuble », c’est quoi ?

OK… Juan jouait encore ou… bossait… ou… Et, putain, ils étaient au travail, là.

Confus, il leva les yeux vers la pendule et se rendit compte qu’ils avaient dépassé l’heure du départ. Plus personne ne devait se trouver dans les bureaux ou plus pour longtemps. Mais il fut incapable de pousser plus loin sa réflexion. Comment diable Juan faisait-il pour poursuivre sur cette histoire de classification quand ils auraient pu se sauter dessus sans autre préambule ?

— Le fait que toi et moi, nous soyons habillés, le relança Juan, ça joue, n’est-ce pas ? Ça nous place forcément dans l’érotique.

— Oui, admit Florian.

— Si je te dis la même chose, nu, tu le percevras différemment.

Ce n’était pas vraiment une question. Mais il connaissait la réponse. Il la désirait même.

— Oui.

Juan fit alors tomber son pantalon et s’occupa d’enlever ses vêtements de ses chevilles avant de l’inviter d’un mouvement de tête à en faire autant. Florian resta coi. Il avait une trique à servir de bélier pour enfoncer une porte et son cœur battait tellement vite que c’était comme s’il allait finir par s’arrêter. Et pourtant, il était incapable de bouger et d’attaquer sa mise à nu, ses yeux suivant chaque geste de Juan, chaque contraction de muscle avant de se poser sur la bosse proéminente qui déformait son boxer. Juan le fixa avant de sourire et de baisser son dernier vêtement.

Quand il se retrouva entièrement dénudé devant lui, Florian le dégusta du regard, détaillant son sexe tendu, le halo de poils noirs qui l’entourait, celui qui recouvrait ses jambes. La combustion spontanée le menaçait, il en était certain.

— Alors, si je te répète que « Je veux que tu me défonces si fort que j’en hurlerai à réveiller tout l’immeuble », cette fois ?

Il inspira pour reprendre un tout petit peu contenance et ne pas simplement dire : « Oui, tout ce que tu veux, l’immeuble et la ville entière tant qu’on y est ».

— Érotique, choisit-il pourtant.

Et franchement ? Il méritait une médaille pour son self-control. Méritait qu’on lui érige une statue : Florian, l’homme qui, non content de se taper du porno à longueur de journée sans sourciller, fut capable de rester stoïque face à son sex-symbol de patron alors qu’il lui suggérait, à poil, l’idée de le baiser de toutes ses forces…

— Bien, donc, ce n’est pas tant ce que je dis que mes actions, alors ?

Qu’allait faire Juan quand il répondrait oui ? Parce qu’il allait répondre oui, c’était évident. C’était la vérité d’ailleurs, mais surtout, surtout…

— Oui.

Juan se rapprocha de lui et posa soudainement les mains sur ses hanches. Le contact de sa peau sur celle sous son t-shirt l’électrisa et il le laissa le lui ôter avec envie. Quand son patron s’attaqua aux boutons de son jean, il ne protesta pas davantage, devant plutôt lutter pour se retenir de se jeter sur lui que pour lui résister. Mais il était nu, là, devant lui et toute résistance était futile. Cela faisait un moment qu’il avait perdu, de toute façon.

Lorsqu’il fut dénudé lui aussi, le sexe plus dur que jamais et Juan tout aussi raide, il eut vraiment le sentiment d’être en train de rêver et bon Dieu il ne voulait surtout pas se réveiller, jamais.

Puis Juan le fit reculer de manière à l’appuyer contre le bord du bureau et tomba brusquement à ses genoux. Lorsqu’il leva ensuite les yeux pour le regarder, Florian aurait pu en jouir sur l’instant.

— Et là ? lui demanda son patron.

Porno ! pensa Florian, et ce avec la plus grande force qui soit et sans la moindre hésitation, mais il dit quand même de la voix la plus assurée qu’il put :

— Érotique.

Juste pour voir ce que ferait Juan par la suite.

Celui-ci ne fut pas dupe, car son sourire eut ce petit quelque chose d’amusé qu’il lui avait déjà vu.

— Tu es vraiment sûr ?

— Oui.

#Menteur.

— D’accord.

Alors, Juan prit une profonde inspiration et, tout doucement, il souffla sur sa verge de haut en bas. Le frisson que Florian en éprouva le parcourut des pieds à la tête avant de faire le chemin inverse. Et si ce n’était pas la caresse la plus érotique qu’on lui ait jamais prodiguée, il ne savait pas ce que c’était. Il ne sut même pas pourquoi il ne projeta pas les reins vers l’avant pour venir à sa rencontre et… il se concentra sur sa posture… OK, il venait de le faire, en fait. Quand Juan reprit une nouvelle inspiration, son ventre se contracta de plaisir anticipé. Le second passage de son souffle fut tout aussi délicieux que le premier.

— Érotique, énonça-t-il sans que Juan n’ait besoin de dire quoi que ce soit.

Cela fit sourire ce dernier.

Avec un regard plus brûlant que jamais, Juan amena ses doigts à sa bouche et entreprit de les lécher. Voir sa langue naviguer malicieusement à quelques centimètres de sa verge qui n’attendait que cela était la pire des tortures. Et en même temps, son excitation et son envie grimpaient de plus en plus haut, de plus en plus vite et c’était délicieux, atrocement délicieux.

Et puis les doigts humides se posèrent sur sa verge, glissant avec facilité le long de sa chair. Il gémit.

— Pornographique ? demanda Juan.

— Ça dépend…

Sa réponse sembla décontenancer Juan, et si le plaisir ne l’avait pas en partie étourdi, il aurait apprécié que la situation s’inverse enfin un peu.

— Ça dépend de ce que filme la caméra, continua-t-il.

Les va-et-vient sur son sexe se poursuivaient. Que ça dure encore, surtout…

— Si elle filme ton visage et la façon dont tu te mords la lèvre ? demanda Juan.

Qu’il ait décrit ainsi l’expression qu’il devait avoir le perturba, mais il répondit quand même :

— Érotique.

— Si elle descend sur ton torse et ta main crispée dessus ?

— Érotique.

— Si elle se recule pour nous englober, toi et moi à tes pieds ?

— Érotique.

— Si elle vient sur ma main qui te caresse ?

— Pornographique.

— Sur mon visage qui s’approche de toi ?

— Érotique.

— Ma langue qui suit ta verge ?

Alors qu’il le faisait pour de bon, Florian se trouva incapable de répliquer, sa gorge laissant juste passer un long halètement.

— Porno, parvint-il enfin à dire alors que la langue de Juan se détachait de sa chair.

Ce dernier leva les yeux vers lui pour le fixer durant quelques secondes.

— Sur ma bouche qui embrasse ton gland ?

Juan ne bougea pas. Florian prit quelques secondes pour répondre, frémissant à l’idée que Juan mette en pratique cette dernière suggestion :

— Porno.

Et Juan engloba son sexe de ses lèvres.

Dans un gémissement, Florian glissa les mains dans la chevelure de Juan, les y crispant. Sa bouche le rendait fou et le savoir, là, agenouillé devant lui en train de le sucer comme s’il s’en était privé durant des années, avait un quelque chose d’autant excitant qu’irréaliste. Il caressa sa tête, sa joue, frémissant alors que Juan le prenait plus profondément. Si ses allers-retours étaient lents, Florian pouvait les sentir avides, accompagnés de longs mouvements de langue et de succions si délectables qu’il en ferma les yeux… un instant seulement. Il était hors de question qu’il se prive du spectacle s’offrant à lui. En observant la bouche ouverte autour de son sexe, il n’eut aucune hésitation sur le caractère pornographique de ce qu’il voyait, mais il aurait pu regarder ce film-là pendant des heures sans se lasser. Les mains qui vinrent caresser ses testicules le laissèrent de marbre, mais il prenait bien assez de plaisir par les attentions buccales pour signifier son manque de sensibilité à cet endroit. Juan laissa finalement ressortir sa verge et embrassa son bas-ventre, avant de poursuivre sur son estomac.

— Érotique ? demanda-t-il.

— Putain, oui, souffla Florian.

Juan remonta légèrement pour atteindre son plexus solaire avant de continuer jusqu’à ses pectoraux. Sa langue y navigua par petites circonvolutions jusqu’à trouver le pic qu’elle recherchait. Florian s’agrippa plus fort à lui quand Juan aspira son téton entre ses lèvres.

— Érotique, souffla-t-il encore.

Il savoura la caresse, frissonna quand Juan le relâcha et que la pointe humide se raidit au contact de l’air frais. Mais Juan était déjà sur l’autre, et il se laissa emporter au rythme de ses succions et coups de langue. Les lèvres poursuivirent finalement le long de son cou.

Ses mains posées sagement sur les hanches de Juan le tirèrent à lui, collant leurs deux corps et alignant leurs verges. Et tandis qu’il ondulait très légèrement du bassin, le visage de Juan lui fit face.

— Érotique, répondit-il machinalement.

Excitant, enivrant, torride lui vinrent aussi à l’esprit.

— Et le fait que nous ne nous soyons pas encore embrassés ?

— Frustrant.

Et il ne chercha pas plus longtemps, il agrippa Juan, se pencha et l’embrassa à pleine bouche. Sa langue eut vite fait de se frayer un chemin entre les lèvres collées aux siennes. Prendre son temps n’était plus vraiment de circonstance. Il aurait adoré être patient et déguster ce baiser avec retenue, mais cela lui était impossible, et toute son envie, son excitation, il les y déversa, dévorant la bouche qui s’offrait à lui.

Juan, maître du jeu depuis le départ, lui cédait le pouvoir. Et il ne le faisait pas seulement dans ce baiser et la façon dont il penchait la tête pour lui fournir toute la latitude qu’il désirait. C’était visible aussi dans la façon subtile dont son corps se faisait plus souple contre le sien, plus soumis aussi. Florian voulait saisir l’invitation. Ses mains n’hésitèrent plus et il se mit à lui caresser le dos ainsi que les fesses offertes. Le baiser se poursuivit, vorace et exigeant et bientôt l’envie de plus, de plus de chair, de plus de contacts devint incontrôlable, au point où son corps se mettait déjà en mouvement, mime de l’acte qu’il rêvait de pratiquer. Il fallait qu’il passe à la suite, là, maintenant, tout de suite et…

— On n’a pas de préservatifs, réalisa-t-il, complètement catastrophé.

Juan laissa échapper un petit rire avant de se reculer. Il s’approcha de la porte et pendant un instant, Florian pensa qu’il allait sortir comme ça, nu et en érection et ç’aurait été encore plus délirant que ce qu’il avait vécu jusque-là, mais il la verrouilla et la prise de conscience le frappa de plein fouet. N’importe qui aurait pu pénétrer dans la pièce et les surprendre, bien qu’il ignore s’ils étaient ou non les derniers présents dans les lieux. Déjà, Juan se dirigeait vers son pantalon et lorsqu’il le vit se pencher pour l’attraper, la vision fut suffisante pour lui faire oublier cet instant d’inquiétude.

Il se décala pour mieux l’apprécier et eut un petit sourire en lui lançant :

— Pornographique.

— Et où donc est braquée la caméra ? s’amusa Juan.

Florian n’y tint plus et s’approcha. Juan ne fit pas un mouvement, offrant à son regard l’impudeur de son intimité dévoilée.

— Là, souffla Florian alors que d’un geste il passait entre les fesses légèrement écartées de Juan, effleurant l’entrée qu’il convoitait pour descendre jusqu’à ses testicules.

Il le voulait tellement ! Enhardis, ses doigts poursuivirent jusqu’au sexe tendu de son partenaire et s’enroulèrent autour de lui. La caresse qui suivit lui valut le plus beau des gémissements et il se sentit désormais prêt à tout, et en particulier à faire tout ce que Juan avait demandé à titre d’exemple plus tôt : le baiser fort, tellement fort que l’immeuble, la ville, le pays entier l’entendrait jouir sous ses coups de reins.

Il se pencha et ses lèvres effleurèrent la peau de sa nuque, poussant Juan à chercher en urgence un appui, qu’il trouva sur le rebord du bureau. Alors, il grignota sa chair, la lécha, la mordit au besoin tandis que sa main poursuivait son œuvre. Contre lui, Juan se frottait lascivement, relâchant par moments des soupirs si chauds qu’ils finissaient de l’achever. Il accéléra ses caresses jusqu’à ce que Juan l’interrompe et lui tende, le souffle court, le lubrifiant et le préservatif qu’il avait extraits de son pantalon. Aussitôt, Florian les attrapa et se recula. Il ouvrit le paquet et plaça la protection sur son sexe alors que Juan le surprenait en se redressant pour en faire tout autant.

— On ne voudrait pas laisser des traces derrière nous, précisa-t-il.

— Tu penses à tout, chuchota Florian et même lui put sentir à quel point son souffle se faisait désormais empressé.

Juan lui sourit, se retourna puis, d’un léger bond, grimpa sur le bureau. Lorsqu’il écarta les jambes dans une position offerte, Florian fut fasciné par la vision qui s’offrait à lui.

— Érotique, commenta-t-il, même si ça pouvait sembler surprenant.

Mais il n’y avait rien de pornographique pour lui à cet instant. Juan, nu, en érection, simplement éclairé par la lumière de rue, maintenant que l’obscurité de la nuit hivernale était tombée… L’image était magnifique.

— Tu as toujours du mal à faire la différence entre les deux, se moqua Juan.

Florian sourit, amusé.

— Sûr…

Et il se pencha sur lui pour baiser de nouveau sa bouche, la capturer et la faire sienne. Et l’intensité avec laquelle il se fondit dans ce contact reflétait celle avec laquelle il désirait désormais prendre Juan. Puis il redressa légèrement la tête et plongea dans son regard.

— À toi de décider si la suite sera érotique ou bien porno, souffla-t-il.

Un coin des lèvres de Juan se releva.

— Celle des deux que tu voudras, dit-il.

Florian voulait tout.

La respiration accélérée par l’excitation, il se redressa et considéra l’entrée où il mourait d’envie de s’enfoncer.

Voir son sexe à l’orée du corps tant désiré était clairement porno, mais du porno comme ça, il en voudrait tous les jours. Il se pressa contre sa chair et se mordit les lèvres en regardant sa verge entrer, progresser dans cet antre chaud et serré et… il finit par fermer les paupières et renverser la tête de plaisir tandis qu’il finissait d’y glisser. Durant quelques secondes, il resta ainsi, mais eut besoin de voir Juan et rouvrit ses yeux humides sur lui. La tête tournée de côté et la respiration rapide, ce qu’il éprouvait semblait si intense que Florian se demanda s’il avait eu raison de le pénétrer si vite, sans même chercher à le préparer. Il ne savait pas, après tout, si Juan était habitué à ça ou si…

Mais celui-ci ouvrit un œil légèrement railleur.

— Alors ? Tu n’étais pas censé me faire crier ?

Oh, bon Dieu, si !

Il se recula, et ce fut comme si toute sa chair pleurait d’excitation et de besoin à la fois, avant qu’enfin, il rentre de nouveau l’enfouir dans le corps de Juan, et c’était érotique, et c’était pornographique, et c’était surtout fou, chaud, brûlant et bon à en perdre la tête. Sans plus hésiter, il pratiqua de longs va-et-vient en lui, toujours faiblement conscient, au fond de lui, de ce qu’il y avait de transgressif à prendre ainsi celui qui restait son patron : l’homme sur lequel il avait fantasmé des mois durant, celui avec qui il s’était promis de toujours garder ses distances, celui qu’il avait vu tant de fois prendre la place des acteurs devant ses yeux… Il s’abîma dans le plaisir de le posséder, de sentir son sexe entrer en lui et ressortir lentement, et engendrer ainsi des frictions si agréables qu’il en était pantelant.

Devant lui, Juan se tordait, son torse se soulevait et se rabaissait au gré de son souffle, son corps accueillant avec une envie palpable ses coups de reins. Sans réfléchir, Florian se mit à aller et venir plus fortement en lui. Juan gémit. Il lui avait promis de le faire crier fort et il voulait tenir sa parole. Il changea d’angle, chercha à frotter plus intensément sur sa prostate, recueillit quelques halètements et frissons plus marqués qui majorèrent encore son excitation. De doux frémissements de plaisir commencèrent à serpenter aux creux de ses aines, le long de son dos, montant… Et quand Juan se mit à se masturber, Florian resserra ses mains sur ses cuisses et se laissa aller à le marteler sans plus se retenir, lui arrachant des cris d’extase qui firent écho aux siens quand sa voix se libéra aussi. La jouissance monta, puissante, et il y sombra avec force, se déversant tandis que des éclairs de plaisir crépitaient jusqu’à l’intérieur de son crâne.

Enfin, il s’arrêta, assailli par une nuée inattendue d’images : de celles que les heures de visionnage de vidéos pornographiques avaient inscrites dans son esprit et sur lesquelles se superposaient celles que son amant venait de lui offrir. Il voulait plus de Juan, plus de son corps, plus de son souffle, plus de la sensation de sa chair et du son de sa voix dans le plaisir… Difficilement, il essaya de reprendre sa respiration. Il s’était tellement laissé emporter par le fait d’être en lui qu’il n’avait même pas essayé de l’attendre avant de jouir. Pas grave, il ne comptait pas s’arrêter là, de toute façon.

Après une dernière longue expiration, il se retira. Lorsqu’il leva les yeux sur Juan, il remarqua que ce dernier le dévisageait avec une lueur perverse dans le regard.

— Je pense qu’on peut faire encore plus porno…

Florian rit légèrement à la remarque de Juan, puis s’attarda à retirer sa protection.

— On est toujours en train de faire de la simulation pour le travail ? demanda-t-il d’un ton badin.

— Peut-être…

Celui de Juan était clairement joueur. Florian lui lança une œillade provocante.

— Tu n’as pas crié assez fort ?

— Non… Toi, tu n’as pas assez crié.

Le sourire en coin avec lequel Juan lui avait dit ça lui plut particulièrement. Tandis qu’il se dirigeait vers la poubelle pour jeter son préservatif, il put entendre son amant redescendre du bureau. Il se penchait à peine au-dessus de la corbeille qu’il sentit déjà son torse chaud se coller à son dos.

L’excitation regrimpa en lui, nullement entravée par son récent orgasme. Son sexe ne se releva pas pour autant aussi vite. Florian se redressa, accueillit les baisers de Juan dans son cou, se laissa étourdir.

— Encore, réclama celui-ci.

Le mot le plus chaud du monde…

Si la manière dont Juan caressa juste après l’espace entre ses fesses le surprit, celle dont il appuya ensuite sur l’entrée de son corps déclencha en lui une brusque montée de désir. Il posa une main sur le mur attenant à la corbeille, avant d’y appliquer l’autre en soufflant quand le doigt qui l’attisait plongea en lui. Il sentit sa verge réagir légèrement comme son amant touchait le point qu’il savait être le plus sensible de son corps. Putain, il en voulait encore…

Un murmure de plaisir lui échappa et il se cambra pour s’offrir plus intensément à ses caresses, laissant retomber la tête vers le bas. La manière dont Juan gémit alors d’envie en espagnol l’excita vivement.

Quand ce dernier enfonça un second doigt en lui, il se mordit les lèvres tandis que son amant continuait à le pénétrer de ses phalanges en veillant à chaque fois à bien appuyer sur sa prostate. Il se tordit sous les pressions insistantes, dévasté par le plaisir montant, et il se mit même à caresser par réflexe sa verge qu’il sentit si tendue soudain, et le fit si vivement qu’il aurait pu jouir ainsi, mais Juan l’arrêta d’une main ferme sur son poignet. Il cessa alors ses mouvements, mais son amant ne retira pas ses doigts, jouant encore avec sa boule de nerfs, faisant remonter des éclairs de pure extase dans tout son corps. Il en lâcha de longues expirations qui ne parvenaient que difficilement à modérer son besoin de gémir.

Juan finit par s’arrêter.

Sa bouche fut près de son oreille, son souffle brûlant.

— Tu as toujours envie de porno ? demanda-t-il enfin.

Florian n’attendait que ça.

— Oui, répondit-il sans hésitation.

Juan lui lécha l’oreille, provoquant des frissons tout le long de sa nuque.

— Tu veux bien écarter plus les jambes ?

Florian s’exécuta avec envie.

— Tu veux que je t’encule ? poursuivit Juan.

Le choix de vocabulaire le fit rire. Il tourna le visage pour découvrir l’expression amusée de son amant.

— OK, ça, c’est porno, acquiesça-t-il.

Juan sourit.

— Non, ça, ça l’est.

Et il s’enfonça lentement en lui.

Florian gémit fortement, conscient de la présence qui l’emplissait. Il pencha la tête, tremblant de savoir quel serait l’acte suivant de Juan. S’il continuerait à être doux ou s’il se mettrait à aller et venir vivement en lui.

Mais Juan ne bougea pas. Il resta simplement ainsi, à appuyer son sexe contre sa prostate déjà fortement stimulée, et à caresser longuement son dos et ses hanches. Puis, très progressivement, il recula, et Florian retint son souffle. Et quand son amant revint s’enfoncer en lui, il relâcha un râle de plaisir. Cette douceur, cette tendresse était agréable et remuait quelque chose en lui, mais pour l’heure, son excitation réclamait plus. Il dut se contenir pour ne pas faire lui-même des allées et venues sur la chair qui l’enflammait. Comme Juan s’immobilisa de nouveau, il tourna légèrement la tête vers lui et lui adressa un regard provocateur.

— Je suis sûr qu’on peut faire encore mieux, l’incita-t-il dans un sourire.

— Tu veux que je te baise plus fort ?

Putain, pourquoi les pornos étaient-ils toujours si ennuyeux quand, dans la vraie vie, de simples mots, une simple invitation, un geste pouvaient porter une telle tension en eux ? Il hocha vivement la tête. Juan ne se fit pas prier. Il serra aussitôt ses doigts sur ses hanches et accéléra son rythme. Grand Dieu, que c’était bon ! Il en avait eu besoin, en fait. Depuis combien de temps n’avait-il plus éprouvé cette sensation ? Et que ce soit Juan qui en soit à l’origine, lui qui avait accueilli sa propre verge quelques minutes seulement auparavant, rendait l’acte encore plus extraordinaire et excitant.

Il se cala contre le mur et accueillit les coups de reins avec un plaisir grandissant, savourant les mains qui enserraient ses hanches.

C’était bon, terriblement bon, il en voulait encore.

— Plus, gémit-il.

Et Juan accéléra, le pilonnant littéralement. Le plaisir crépita dans son corps, s’enflammant à chaque nouvelle pénétration. Mais ce n’était pas encore assez et il ne comprenait pas pourquoi ni comment, il savait juste qu’il voulait plus. Alors dans un mouvement qui ne fut pas sans douleur pour lui, il repoussa son amant, le forçant à sortir brutalement de son corps. D’un regard rapide, il engloba la scène : le visage surpris, frustré et même un peu hagard de Juan… plus loin, son fauteuil, toujours pas. Restait le sol…

— Parfait.

Alors il prit la bouche de son amant avec la même passion que précédemment et peut-être davantage de folie. L’exclamation de Juan fut étouffée sous ses lèvres, tandis qu’il le poussait fermement jusqu’à l’allonger sur le parquet.

— Flo…

Mais l’heure n’était pas aux paroles. Il l’enjamba pour se positionner au-dessus de lui avant de s’empaler violemment sur son sexe tendu. Juan laissa échapper un râle sonore. Florian ne lui laissa pas le temps de réfléchir. Lui-même n’en était plus capable. Il voulait juste voir Juan jouir. Alors il se mit à bouger vigoureusement, ses mains caressant, touchant, griffant, tandis que ses lèvres et sa langue faisaient des ravages sur le visage de Juan qui tentait de lui rendre baiser pour baiser, caresse pour caresse, mais qui semblait pourtant dépassé par sa fougue. Le plaisir grondait en lui avec tumulte, ses jambes devenaient douloureuses tant il s’échinait sur l’homme qui se décomposait sous ses assauts, mais il n’aurait rien changé. Il en aurait été incapable. Le regard fixé sur le visage de Juan, il attendait le moment où il chuterait, où ses onomatopées ne seraient plus le signe de sa montée, mais celui où il atteindrait son apogée.

Et puis, enfin, Juan jouit. Son corps se raidit sous le sien tandis que de longs râles lui échappaient encore et encore et qu’il laissait partir son crâne en arrière, le faisant rouler sur le sol. Absorbé par ce spectacle, Florian n’en enserra pas moins la verge à l’intérieur de son corps par une forte contraction avant d’empoigner son sexe et se masturber rapidement et sans aucune retenue. La présence du sexe en lui, la manière dont il le sentait pulser, l’expression de Juan dans la jouissance… Tout le poussa vers un nouvel orgasme qui l’emporta tandis qu’il se répandait sur le torse de son amant. Le plaisir fulgurant l’envahit entièrement, emplissant son cerveau, annihilant complètement les paroles précédentes de Juan sur la nécessité de ne pas laisser de traces de leurs ébats… Mais sur le coup, il s’en moquait. Ils se nettoieraient plus tard. Son corps se fit terriblement mou et il s’effondra sur lui.

Leurs deux poitrines collées gonflaient et se vidaient à un rythme rapide tandis que leurs souffles ne semblaient plus vouloir revenir à la normale. L’odeur de sperme, de sexe, de sueur qui assaillait les sens de Florian finissait de l’étourdir. Comment allait-il faire pour se relever après ça ? La question méritait d’être posée.

#MissionImpossible.

Mais pour l’heure, les mains de Juan, qu’il avait craint de sentir le repousser, caressaient son dos avec tendresse et c’était très bien ainsi.

— C’était définitivement pornographique, remarqua finalement Juan.

Et Florian éclata de rire parce qu’il ne s’y attendait pas et parce qu’il aimait ça, les gens qui ne perdaient pas le nord.

— Je crois qu’on peut dire ça.

— Est-ce qu’au moins ça t’a aidé ?

Juan avait l’air amusé et même légèrement taquin en disant ça. Florian se redressa afin de lui faire face. Il se força à considérer sa question.

En un sens oui, s’il restait sur la conception érotique/porno dont ils avaient parlé auparavant, ce qui venait de se passer entre eux lui faisait réaliser que c’était plus le contexte et les actions qui jouaient que le vocabulaire. Pour le reste… Son regard se balada sur le visage de Juan qu’il trouva encore plus attirant qu’avant leur étreinte, si seulement c’était possible. En fait, la véritable question qui le turlupinait était : « et maintenant ? ».

Que se passerait-il désormais entre eux ? En resteraient-ils à un coup d’un soir ou pouvait-il espérer plus ? Et comment allait-il gérer le fait de bosser ensemble en sachant à quel point le sexe pouvait être bon avec lui ?

Et peut-être plus que tout, Juan, que voulait-il ?

D’une petite mimique, ce dernier le relança. Il n’y avait sans doute qu’une seule façon de répondre à toutes ces questions.

— Je crois qu’il me faudrait approfondir le sujet, tenta-t-il, le cœur battant.

Le sourire de Juan se fit resplendissant. Il se redressa jusqu’à venir l’embrasser tendrement.

— Eh bien, je te propose qu’on se rhabille, qu’on range un peu, qu’on aère.

La remarque le fit pouffer.

— Et après une douche et un repas à la maison, nous aurons tout le reste de la soirée pour étudier cela. Qu’est-ce que tu en dis ?

Il acquiesça d’un mouvement de tête avant de se relever doucement et de se reculer. Le sol lui avait fait un peu mal aux genoux, mais il tenait sur ses jambes, c’était toujours ça de pris. Juan en fit autant et, d’un geste mécanique, enleva le préservatif. Avec son ventre portant les traces de leurs ébats, ses cheveux en bataille, ses lèvres rougies et son sexe pas tout à fait au repos, il était plus sexy que jamais et tandis qu’il attrapait ses vêtements, Florian ne put s’empêcher d’espérer qu’il y aurait plus que ce soir.

Quand ils se furent rhabillés, qu’ils eurent récupéré les deux préservatifs usagés (Florian aurait pu bénir Juan d’y avoir pensé), ils prirent le chemin des ascenseurs. Les bureaux étaient vides et plongés dans le noir. Alors qu’ils marchaient en silence, Florian chercha un moyen de tâter le terrain auprès de Juan pour savoir s’il attendait bien plus que cet interlude, mais ne le trouva pas.

Une fois arrivé dans le parking, Juan sortit ses clefs de voiture et lui demanda avec un sourire séducteur :

— Prêt pour une longue soirée de travail ?

Une façon comme une autre de lui permettre de faire machine arrière sans doute, quand tout ce qu’il voulait c’était au contraire avancer, avancer même très loin et très vite. Peut-être était-ce le moment idéal pour amener la discussion sur le sujet.

— Je…

Il ne savait pas comment s’y prendre. Il repensa à son job et à la manière dont son pétage de plombs les avait emmenés là.

— Tu sais, pour le boulot… je…, même si je suis content de la tournure qu’ont pris les choses ce soir, je ne sais pas si je pourrai rester à ce poste encore longtemps, lâcha-t-il soudainement, inquiet de ce qu’en dirait Juan.

Peut-être que sa proposition ne survivrait pas à cette demande de sa part.

Juan n’eut pourtant qu’un petit sourire en coin, montrant clairement qu’il s’était attendu à entendre ça un jour ou l’autre.

— Alors il faut qu’on se dépêche d’explorer toutes les facettes du porno et de l’érotisme ensemble avant, répondit-il avec une expression mutine.

Florian ne demandait que ça. Son ventre se tordit d’envie et d’anticipation. Il sauta néanmoins sur l’occasion :

— Oui… mais tu sais, j’aurai sûrement besoin de cours de rappel, je peux être long à la détente, parfois…

Juan sourit largement.

— J’ai remarqué ça.

— Comment ça ? réagit Florian en fronçant les sourcils.

Cette fois, Juan éclata franchement de rire.

— Disons que tous les moyens discrets et subtils que j’ai tentés pour te montrer que tu me plaisais ont fait chou blanc alors même que tu me dévorais des yeux à chaque fois qu’on se croisait. Très honnêtement, si je n’avais pas saisi l’occasion ce soir, je crois que le seul moyen de te coller dans mon lit aurait été de me balader avec une pancarte indiquant : « Florian, baise-moi ».

— Non, mais, mais… euh…

#LeRetourDuEuh.

Juan ricana.

— Il faudra aussi que nous nous penchions sur tes capacités d’élocution, tu as des progrès à faire à ce sujet.

Il en resta muet. Mais déjà Juan lui ouvrait la portière, et s’il hésitait entre rire à son tour et lui rabattre son caquet, il se dit qu’il aurait bien des moyens de le faire taire un peu plus tard… ou du moins d’occuper suffisamment sa bouche à autre chose qu’à le critiquer.

Ainsi sombre la chair – Chris (partie 1)

Chris

J’allais donc à la « fête » organisée chez le pote de Loïc, Chris.

Ayme taffait de nuit, ce jour-là. J’avais déjà commencé à ne plus calculer mes sorties en fonction de ses absences, les jours précédents, mais j’attendais quand même qu’il parte au travail pour sortir moi-même. Pas envie d’avoir des questions, pas envie de devoir me justifier, ou même que la simple éventualité que je puisse avoir à le faire soit évoquée. Merde, à tous les niveaux.

Je me souviens du regard qu’il tourna vers moi, juste avant de tirer la porte, au moment où il allait partir. Je ne crois pas qu’il y eut une compréhension de ce j’allais faire. Pas encore, en tout cas. Autre chose. Quelque chose de silencieux, qui passait entre nous. Une douleur réciproque. Je l’observais  comme j’aurais observé ma vie qui partait en éclat. Sans que je puisse faire quoi que ce soit pour la rattraper.

Longtemps, je restais à tourner sur place. Je ne parvenais pas à passer outre mes hésitations, incertaine de ce que j’allais faire…

Ça a toujours été comme ça, concernant Loïc et ses potes. À aucun moment, que ce soit avant ou après, ou même à distance, le doute m’a lâché. Ça allait avec le stress qui, du coup, ne me quittait jamais véritablement. J’étais incapable d’avoir le moindre recul sur ce que je faisais, mais au moins j’agissais. Je vivais. J’avais cette pulsion, interne, violente, de vie, de survie presque, qui m’invectivait de ne pas me laisser crever tout à fait et de bouger.

Je décollai donc.

Je pris le métro, le tram. Je songeais…

Je savais qu’il y aurait une piscine, une maison, plein de monde, de l’alcool et probablement de la drogue, aussi. Chris m’avait dit tout ça.

Disons-le franchement : je me demandais ce que j’allais y foutre. Mes fantasmes décadents me donnaient toujours des images de sexe orgiaque dont je serais le point d’orgue, mais je savais parfaitement que je me barrerais si ce devait être le cas. Quant à ma raison, elle était là pour me rappeler que je n’allais qu’à une soirée, même s’il était évident que Loïc ne m’avait pas fait cette proposition sans arrière-pensée. J’ignorais juste quel en serait l’aboutissement…

Ce qu’il se passerait.

Je n’avais pas assez d’affinités avec lui pour être motivée par la seule idée de le retrouver, et ce n’était pas différent pour Chris. Je ne m’intéressais pas à qui ils étaient, dans le fond. Ils étaient ces mecs susceptibles de me donner ce que je voulais. Ça s’arrêtait là.

La soirée avait lieu dans un petit pavillon dans le pourtour Lyonnais, que je devinais plus vraisemblablement être celui des parents de Chris que son propre logement. Il devait être 22h quand j’y arrivais. Chris fêtait son anniversaire et, que ce soit dans le jardin, la cour, la maison, tout débordait de monde. Je ne connaissais personne. Ça ne me dérangea pas. Je ne comptais pas vraiment m’intégrer, de toute façon.

J’avais eu l’habitude de ça, les années précédentes. J’avais fréquenté pas mal de teufs et été accoutumée aux discussions éphémères que l’on peut avoir dans ce type de cas. C’est facile. Il suffit de ne s’investir dans rien, de prendre ce qui s’offre à soi et de vivre l’instant présent. Il suffit de virevolter au gré du vent. Je l’avais beaucoup fait, aux côtés d’Ayme. On avait aimé ça, tous deux : rencontrer des inconnus, picorer des instants de rire et de découverte commune, et puis repartir en les gardant comme des moments funs de notre existence.

Bien sûr, ce soir-là, chez Loïc, j’étais loin d’être aussi légère, mais je picorais quand même, du coup. Par habitude, par attente… Par besoin de combler un vide que je n’étais pas en mesure de supporter. Pourvu qu’on reste dans le superficiel, c’était tout ce qui m’importait.

Je repérai Chris de loin : il semblait déjà saoul et se lançait dans un strip tease mi-sexy mi-comique au bord de la piscine. Je le regardai, du coup. Je le trouvai un peu lamentable et cool, en même temps. C’était marrant, que je puisse éprouver cette dualité de sentiments à son encontre aussi, comme pour Loïc. Chris était un beau mec. Vraiment. Je le notai particulièrement tandis qu’il se déshabillait. Je cherchai vaguement Loïc du regard mais je me fichais un peu de le repérer ou pas.

C’est lui qui finit par me trouver. Il vint vers moi pour m’embrasser et, encore une fois, je me demandai s’il considérait qu’on était ensemble. Et puis il le fit de cette façon pressante et intrusive qu’il pouvait avoir, comme s’il me déshabillait devant tout le monde. Comme s’il voulait signifier que j’étais à lui. Il me dépassait. C’était à peine s’il savait mon prénom et il n’avait toujours que cette façon de me regarder dans lequel je pouvais lire une distance, quelque chose de hautain, comme si je ne méritais que de très loin son attention. Objet à portée de sa main, ou objet consentant. Les deux, surement.

Je remarquai sa petite sœur, aux bras de deux autres mecs qui la collaient de vraiment près, surprise une nouvelle fois que Loïc soit si cool vis-à-vis de ça, et même surprise de m’en foutre moi aussi, du coup. A croire qu’ils m’influençaient dans ce détachement que je vivais dans un miroir du leur. Cette façon d’observer sans éprouver de sentiments. Je lâchai simplement à Loïc :

– Chris ne sort plus avec ta frangine ?

Il me répondit direct :

– Qu’est-ce que ça peut te foutre ?

Je le fixai, interloquée. Je ne sus déterminer si j’avais été indélicate en abordant ainsi un sujet sensible pour lui en tant que grand frère, ou si c’était le fait que je puisse m’intéresser à Chris qui le dérangeait. Je me sentis obligée de préciser :

– Je disais ça par rapport à Chris.

Je n’étais pas sûre que ce soit la bonne réponse pour autant. Elle sous-entendait le fait que je me moquais bien que sa sœur soit avec ces deux mecs. Elle sous-entendait que je m’intéressais à Chris. C’était celle qui était sincère, toutefois.

Loïc ne me répondit pas mais je vis qu’il m’étudiait. Je ne lui dis rien de plus. S’il comprenait que je voulais me faire son pote, je n’avais pas de raison de le détromper.

Je discutai brièvement avec des inconnus, déambulai et me servis des verres.

Je ne vis ni Violaine ni aucune des personnes qu’elle m’avait présentées, le jour où j’avais rencontré Loïc. Tant mieux.

Je croisai le pote de Chris et Loïc qui me répugnait, toujours aussi petit, toujours aussi dodu, toujours aussi laid, avec toujours ces cheveux trop longs qui retombaient en rideau de serpillère autour de son visage. Toujours aussi impraticable, quoi.

Je sais que je suis une connasse de m’exprimer ainsi, et même de penser ainsi. J’ai toujours méprisé les jugements au physique, mais j’étais différente, alors. C’était comme si je me glissais dans une seconde peau, ou peut-être était-ce plus un dépouillement : un abandon de toute valeur morale, de toute ouverture sur les autres, un seul repli sur moi, mon nombril, mon sexe, ma solitude et mes désirs.

L’âme pour Ayme et le corps pour les autres. Avec un cloisonnement parfait.

Plus j’éprouvais le besoin de m’émanciper de ma relation toxique, avec Ayme, plus je me retrouvais seule, finalement. Plus je m’enfermais différemment. Seule avec moi-même… J’en arrivais à songer que, si Loïc ou Chris avaient voulu que j’ouvre les jambes pour ce mec, je l’aurais fait. J’aurais juste fermé les yeux. Je me demandais… Est-ce que le sentir en moi pourrait être si différent, du moment que ce n’était qu’à sa queue que je m’offrais ?

Bien sûr, je remarquais que des gens étaient plus défoncés, aussi. Un type vint me parler, clairement perché. Je l’écoutai, avec une politesse dissimulant les sentiments que j’ai toujours éprouvés, dans ces cas-là, c’est-à-dire un mélange de tristesse, d’inquiétude et d’amusement. Un aspect « observatrice à distance » qui m’évitait de me laisser impacter émotionnellement.

Ce n’était pas nouveau pour moi. Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours eu cette tendance-là : à voir, mais à traiter avec légèreté même ce qui aurait affolé d’autres, peut-être parce que ma vie était si sérieuse, déjà, si grave, avec tant de responsabilités… Une façon de tout tenir à distance.

Il n’y avait qu’avec Ayme que j’avais vraiment baissé les armes, finalement.

A ce stade de ce récit, je me dois de constater que je n’ai pas développé plus que ça les raisons pour lesquelles je consommais ainsi ces joints et – je n’en ai pas parlé, mais il m’était aussi arrivé de prendre occasionnellement d’autres produits.

Allons-y.

Comme tout ce que je raconte ici, il n’y a pas de raison simple ou bien clichée. « Mon père me battait alors je me suis mise à me droguer ». « J’ai vécu dans la rue »… Les histoires qui servent ça n’ont rien compris, ou donnent dans la facilité, le superficiel. Il n’y a jamais qu’une seule cause. Il y en a toujours plusieurs, il y a des facteurs de personnalité, il y a des facteurs d’histoire personnelle, il y a des facteurs d’entourage et d’accessibilité du produit… Les rencontres que l’on fait, ce qu’on se voit proposé, ce qui est disponible ou bien inaccessible, et à quel moment de son existence on y est confronté. Tous ces éléments sont fondamentaux. On pourra être dans la pire dèche du monde, si on n’a personne qui nous dit « tiens, prends ça », on ne va pas en consommer, évidemment.

Me concernant, il y avait donc évidemment mon histoire familiale, la manière dont je m’étais construite dans l’accumulation de responsabilités, et qui s’était traduit à l’adolescence par un besoin viscéral de compenser en étant comme les autres ados, c’est-à-dire « conne », moi aussi. Comme on peut l’être à cet âge. Non pas seulement comme la jeune fille qui s’occupait de sa mère malade et de son père dépassé. C’était un besoin qui a perduré de par mon investissement associatif et puis dans mon métier, aussi. Ce besoin d’être au moins aussi inconséquente qu’investie quand j’y étais… Être aide-soignante, n’est pas faire que « torcher des culs », comme les gens le pensent parfois avec un mépris évident. Loin de là. Et encore moins en service de Réa, comme celui dans lequel je bossais. Et puis, bien sûr, il y avait aussi d’autres choses. Quelque chose de plus profond, en moi. Un besoin de me retourner l’esprit, comme un joker qui allait m’aider à m’accommoder du monde m’entourant. Ça, c’est vraiment un élément propre à ma personnalité, parce que ça a toujours été là. J’ai toujours eu, dans ma tête, quelque chose qui me donnait envie d’aller voir ce qu’il se passait dans un monde parallèle, de la foutre en vrac…

Avec la drogue, il ne faut pas chercher cinquante explications différentes. La plupart du temps, ça vient d’une envie de modeler la réalité. On sait qu’on ne pourra pas la changer mais on fait comme si : on lui met un filtre coloré par-dessus, on joue du photoshop virtuel. On n’enlève pas les merdes, on les peint en couleur. On leur dessine des moustaches au feutre noir, on pose un voile à la con sur la vie, la société, tout ce qui nous fait chier. Mais au fond, on ne change rien. On ne cherche pas vraiment à changer quoi que ce soit, d’ailleurs : juste à le fuir. Ces affreux drogués que l’on regarde comme des moins que rien sont juste des gens qui auraient aimé vivre dans le monde de Mickey. Qui ont remplacé leur imaginaire de l’enfance par un monde façonné par des produits toxiques. Et que ceux qui ne consomment pas de ces psychotropes que l’on avale, fume ou s’injecte n’imaginent pas être si différents. Les ordinateurs jouent exactement ce même rôle. Les jeux vidéo, les réseaux sociaux… L’histoire est toujours la même : on se plonge dans un univers cadré, choisi, rassurant, ciblé, et c’est pour ça que c’est addictif. C’est parce que ça se substitue si merveilleusement à la réalité… Trop.

Je connaissais toutes ces mécaniques-là. J’avais essayé de les enrayer, et même arrêté de fumer des années auparavant, à une époque où j’avais décidé de me prendre en main et d’être responsable.  Puis j’en avais repris la consommation au cours d’une mission humanitaire. Pays en guerre, je suppose que je n’ai pas besoin de détailler les raisons. Maintenant, si je ne fumais pas à une fréquence de folie, je le faisais quand même trop régulièrement, et je ne contrôlais plus vraiment, même si je serais tentée de dire que ça allait, que je gérais. C’est toujours ce qu’on veut se faire croire.

Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui fume et qui contrôle vraiment ça. Par contre j’en ai vu des paquets qui clamaient maîtriser. Inutile de se fatiguer à le leur dire, ceci-dit : il ne le reconnaitront pas, mais il faut savoir que c’est un mensonge. En vrai. Quand on est honnête avec soi. Quand sa vie se résume à trainer au fond de son canapé et que toute motivation semble impossible à atteindre, ce n’est pas que la vie est cool et qu’on s’éclate trop, hein ? Mais bon, c’est le propre de la drogue que de pousser à se mentir, et je l’ai assez fait moi-même pour savoir ce que c’est.

Toujours est-il que j’avais passé le stade de me leurrer. Je ne regardais plutôt mes excès, mes trébuchements et mes illogismes que de haut, à la fois observatrice cynique de ma vie et actrice de cette dernière.

Chris finit par venir me voir, partiellement à poil – il avait gardé un boxer, c’était tout –, et me sourit avec un fond de séduction, mais qui me sembla inhérent à sa personnalité. Je pris ce qu’il m’offrait. Ça me convenait tout à fait, ce léger flirt avec lui.

Lui s’intéressait à moi et, bien que je n’en attende pas forcément autant de lui, c’était agréable. Il me demanda ce que je faisais dans la vie, je préférai lui répondre que je bossais dans le social plutôt que nommer mon métier, ce qui était une pirouette tout à fait acceptable, et dont il se contenta. Lui travaillait dans un garage. Je voulais bien le croire avec ses mains noircies en permanence – j’avais déjà remarqué ça, chez lui – ses doigts épais et sa musculature prononcée. Je me pris à penser à ses doigts s’enfonçant en moi.

Je me pris à penser à lui et Loïc se partageant mon corps. C’était ce que je voulais, en fait, aussi curieuse que puisse être cette envie pour moi. La raison pour laquelle j’étais venue là.

Quand Loïc nous rejoignit, Chris passa son bras sur mon épaule pour me prendre par le cou. Je ne le repoussai pas. Nous passions un bon moment, je ne savais pas depuis quand nous parlions rien que tous les deux, mais je n’avais pas nécessairement envie que cela s’arrête.

– Tu me la prêteras un moment ? dit alors Chris à l’intention de Loïc.

Ces mots sonnaient comme une boutade, et la façon dont Chris me sourit le confirmait. Pourtant, ils éveillèrent quelque chose en moi, de trouble et de prégnant. De puissant.

Un mot clochait, seulement. Je le corrigeais :

– Loïc n’a rien à « prêter ».

Que ce soit clair, parce que je n’étais pas à Loïc. Il n’y avait rien d’exclusif entre lui et moi.

Chris sembla décontenancé.

Je tournai la tête vers Loïc.

– Tu lui as dit qu’on sortait ensemble ?

– Non.

Son regard était froid, pourtant, et je ne sus ce que je devais en penser. Que Loïc ne soit pas loquace sur les sujets qui ne touchaient pas à sa musique, je commençais à le comprendre mais, visiblement, je ne faisais même pas partie des sujets méritant d’être mentionnés entre lui et son pote.

Je me sentis obligée de préciser pour Chris :

– On couche juste ensemble.

– Je te baise, ajouta Loïc.

Des mots plus crus. Plus justes, aussi. Peut-être plus provocants.

J’acquiesçai.

– On baise, oui.

J’avais transformé le « je » en « on » volontairement, mais je n’insistai pas non plus dessus.

Ça m’a toujours dérangé qu’on parle des femmes en termes de choses qui « se font » baiser et seulement elles. Là, ça m’allait bien de revêtir cette image d’objet que l’on désire, que l’on prend et que l’on saute, certes, mais ça m’allait parce que c’était mon fantasme. Et que c’était temporaire, que c’était sans finalité précise, que ça n’avait pas d’importance. Mais, dans le fond, je considérais que je baisais Loïc tout autant.

– Tu resteras à la fin de la soirée ? lâcha Loïc.

Il m’examina en disant ça. Vraiment.

– Oui.

Il jeta un œil rapide à Chris et me dit :

– Nous aussi.

J’acquiesçai.

Je ne sus rien de plus de ce qu’il se produirait.

Plus tard, tandis que je me servais un verre d’alcool, je les vis toutefois parler ensemble, et ils me jetèrent chacun suffisamment de coups d’œil, durant ce temps, pour me laisser penser que c’était à mon sujet.

A un moment, je remarquai ce qu’il se passait dans l’une des pièces de la baraque de Chris. Je le devinais, en tout cas. J’avais assez côtoyé des toxicos pour savoir qu’il y avait de la drogue, là-bas. J’entends par là de la drogue moins commune que le shit qui passait de mains en mains ou l’alcool que tout le monde consommait. Je pensais à de l’héro. Il m’avait semblé voir un bout d’alu briller derrière un nuage de fumée, dans l’embrasure d’une porte devant laquelle j’étais passée. Au cas où ce soit nécessaire de le préciser, l’héroïne ne se consomme pas forcément en se piquant : il y a plein de gens qui la fument sur un bout d’aluminium, tout simplement. Je n’ai jamais rencontré que des gens qui la consommaient comme ça, d’ailleurs, ou si ce n’a plus été le cas, je les ai perdus de vue. On appelle ça « chasser le dragon ». Il faut voir le geste : c’est assez parlant. Ça ne m’amusa pas. On n’était plus dans la « petite connerie », mais je n’avais rien à dire à ce sujet. Rien à faire. Juste constater ce qu’il se passait.

Et bien sûr, je remarquais que Chris et Loïc entraient dans cette pièce, eux aussi.

Chris et Loïc…

A ce stade-là, j’étais forcée de me poser des questions.

Est-ce que j’étais vraiment prête à rester avec deux mecs que je ne connaissais finalement pas et qui seraient complètement défoncés ? Est-ce que je voulais vraiment avoir un rapport physique avec eux ?

Je ne fus pas capable de déterminer une réponse claire à l’une ou l’autre de ces questions : quelque chose avec lequel je puisse me sentir ne serait-ce qu’assurée, mais c’était comme ça. Je fis avec. Je me gardai juste de trop réfléchir.

Je passe sur les détails de la soirée. Elle se déroula normalement, plus ou moins. Personne ne sembla commettre trop d’excès ou ne partit « trop loin » : personne ne vomit, personne ne fit de bad trip, personne n’eut sa conscience suffisamment altérée pour ne plus pouvoir avoir de conversation. L’ambiance resta sympa et détendue.

Petit à petit, les invités partirent. Un à un, imperceptiblement, ou en gros packs, parfois. Je voyais passer les heures. Une heure, deux heures… Trois.

Je restai.

J’observai leurs disparitions avec cette distance que je m’étais mise à ressentir, ces derniers temps : ce détachement curieux, comme si tout ce qui m’arrivait ne me concernait pas vraiment. Comme si j’étais extérieure aux évènements. Ou peut-être comme si ça ne concernait qu’une imitation de moi-même, plutôt, quelque chose que je n’étais pas et qui était amené à disparaître, de toute façon. Que j’oublierai dès cette phase de mon existence passée.

Je larvais dans le canapé ou au bord de la piscine. Je buvais aussi, mais modérément, et je regardais les lumières des étoiles dans le ciel, captive de cet arrachement de moi qui me prenait de plus en plus vivement, mais ne me laissait pas la sensation d’être plus libre, pour autant. Juste ailleurs. Coincée par les mêmes merdes, dans le fond.

Et, bien sûr, je pensais à Ayme. Tout le temps. A ce qu’il avait pu être, pour moi, ce qu’il avait représenté. Et aux cendres qu’il en restait.

Je n’éprouvais pas mes actes comme une trahison envers lui parce que c’était lui qui m’avait trahie. Lui, en ruinant ce qui faisait qu’on aurait pu être heureux. Lui, en continuant à le ruiner, en ne changeant pas, quel que soit ce qu’il advenait de nous. En me laissant si démunie…

Que je reste avec Loïc et Chris était déjà convenu.

Quand tout le monde fut parti, tous deux vinrent me rejoindre dans le salon où je trainais sur le canapé, seule. Ils me proposèrent de fumer. J’acceptai.

Je me posai des questions sur ce qu’avait Loïc en tête. Vraiment. S’il voudrait juste m’entrainer dans une chambre pour me sauter ou si je devais m’attendre à autre chose… J’étais stressée, du coup. Normal. Quelles que soient les représentations que j’avais pu me faire, je ne pouvais pas être détendue.

Chris se posa à mes côtés, suffisamment près pour que nos peaux soient en contact, mais pas plus que lorsqu’il m’avait pris par l’épaule, plus tôt. Trop pour deux connaissances, c’était sûr. Assez pour un contexte de séduction.

J’étais troublée et je le fus plus encore quand Loïc s’assit de l’autre côté de mon corps, parce qu’il me touchait aussi et que ça n’avait rien d’anodin d’être encadrée ainsi par l’un et l’autre. Et que je n’étais pas sûre. Je ne l’ai jamais été. Et j’ai toujours continué à porter sur moi un regard sans concessions.

J’aurais aimé annihiler la part de moi-même qui jugeait chacun de mes actes, qui jugeait mes pensées, mes erreurs comme mes faiblesses, mais je ne le pouvais pas.

Loïc m’enleva des lèvres le joint que je tenais pour m’embrasser, penché sur moi, et ce fut déjà transgressif parce que Chris était bien trop proche pour qu’il se permette de fourrer de cette manière-là sa langue dans ma bouche. Pour que nos souffles soient si près de lui. Pour que ce soit aussi sexuel, avec lui juste à côté. J’accueillis néanmoins son baiser avec une langueur paresseuse, une conscience extérieure de ce qu’il se produisait, un abandon à une situation que je ne maîtrisais pas et qu’en aucune manière je n’aurais voulu maîtriser.

Mon cœur battait fort.

Quand Loïc me relâcha, je remarquai une ombre de sourire sur son visage. Un aspect supérieur que je ne pus m’empêcher d’interpréter comme moqueur, comme s’il y avait un jugement, là-dedans.

Peut-être la satisfaction d’avoir vu juste en moi.

Peut-être que j’hallucinais. Il était défoncé, j’étais défoncée, on aura fait mieux pour l’observation objective.

Quand il posa la main sur mon sein tout en penchant la tête pour baiser mon cou, je m’arquai dans un mélange de surprise et de gêne. Mon corps ne s’en échauffa pas moins et je crispai le poing pour retenir le réflexe que j’eus d’arrêter son geste. Son pouce passa sur mon mamelon et ma tête tomba sur le dossier du canapé, mes paupières fermées. J’haletais, prise dans les brumes, consciente que Chris était juste là à nous observer. Et qu’il nous observait encore quand Loïc étira soudain mon cache-cœur pour en faire sortir mon sein, et le dénuder d’un geste sur le tissu de mon soutien-gorge. Exposant ma poitrine, donc. Ma chair nue. M’exposant aux yeux de Chris.

Là, je ne pus m’empêcher de poser la main sur le poignet de Loïc et je serrai pour le retenir de bouger encore, mais il ne m’en empauma pas moins le sein. J’ouvris les yeux. Il me caressa le mamelon du pouce, et mon souffle se coupa un instant.

– Qu’est-ce qu’il y a ? dit-il.

Une voix froide et une question qui voulait plus dire « pourquoi tu protestes ? » que se soucier sincèrement de ce qui me dérangeait. J’entendis le sous-entendu derrière. N’est-ce pas ce que tu veux ? Ce que tu es venue chercher, ici ?

Je me retrouvai perdue entre mes réflexes qui restaient ceux d’avant, ceux qui n’auraient jamais permis à un homme – à quiconque – d’agir de cette manière avec moi, et mes désirs qui criaient que cette situation se poursuive. Et qu’elle aille plus loin, et qu’elle m’entraine plus loin, et qu’elle me pousse encore. Et qu’elle m’attire jusqu’à me faire me perdre totalement

Et j’avais voulu ce qui arrivait, alors.

Je le savais.

Je quittai l’échange de regards avec Loïc pour, puisque je ne pouvais ignorer sa présence, tourner la tête vers Chris. Je ne sais pas ce que j’attendais de voir exactement : si c’était du soutien, si c’était un sourire, si c’était une assurance qui pourrait me permettre d’en avoir plus moi-même… Je découvris un regard fixé sur mes lèvres. Je découvris un désir latent, une gêne manifeste, une plongée dans une situation qui ne lui était pas habituelle. Ce fut flagrant. Et je songeai que ce devait être similaire pour Loïc, en fait. Il y avait cette conscience brutale : qu’aucun de nous n’était dans la maîtrise de ce qu’il se produisait. Que chacun découvrait.

Je savais que je ne donnai pas beaucoup de clefs pour me comprendre, surtout pour Loïc : que j’étais juste claire quant aux raisons pour lesquelles j’étais là.

Et désormais claire quant au fait que je voulais me faire sauter par son pote aussi.

Je fixai à mon tour les lèvres de Chris.

Porn ? What Porn ? – Du porno ? Définitivement ! (2)

Deux jours plus tard, ses résolutions volèrent en éclats alors même que son front rencontrait une nouvelle fois la surface de son bureau. Ce n’était plus possible. Il prit une longue inspiration, poussa sur ses mains et se mit debout. Il regarda encore quelques instants la petite crevette qui se faisait prendre par le Musclor (alors celui-ci, c’était pile-poil entre les deux styles !) avant de mettre la vidéo sur pause. Il avait beau tourner et retourner le problème dans sa tête, il ne parvenait pas à définir des codes clairs qui lui permettaient de les classer dans une catégorie plus qu’une autre, et plus il en visionnait, plus le problème se complexifiait. Oh, il aurait bien tout collé dans « porno », hein ? Comme ça ç’aurait été plus simple. Mais il savait aussi que qui disait scénar et suggestion, mise en place d’une relation, disait « érotique ». Et que s’il le classait en porno, on viendrait lui reprocher que, non, si on ne voyait pas la pénétration en gros plan et surtout si on n’avait pas une belle éjaculation bien visible, ça n’en était pas. Et que les clients seraient déçus. Et ils allaient en dire quoi les amateurs d’érotique quand on leur proposerait celui dans lequel le minet se prenait un avant-bras dans le… hein ? Ils en diraient quoi ? Que le gars qui faisait le classement avait fait n’importe quoi !

Il était temps d’agir, parce que là, il en avait plein le pompon. Et sexy en diable ou pas, soit Juan lui filait un autre poste, soit il lui disait sur quels critères il se basait pour savoir si une vidéo était érotique ou porno, soit il se les classait lui-même !!! Non mais, oh !

Il ne répondit même pas au « bonjour » de l’une de ses collègues, qui était pourtant bien sympathique, il ne pouvait pas dire le contraire, et se dirigea d’un pas énergique jusqu’à la porte du bureau de Juan. Là, il prit quelques secondes pour tenter de se reprendre un minimum. Il n’allait pas l’agresser non plus. Quand il vit Juan lever la tête vers lui et se mettre debout pour venir à sa rencontre, il respira lentement, essayant de modérer son agacement.

— Oh, Florian, quelle belle surprise, constata Juan d’un ton qui avait quelque chose de mi-professionnel, mi-sucré, en lui ouvrant.

Il se tint ensuite dans l’encadrement de la porte dans une attitude qui semblait tenir autant de l’invitation que de la contemplation rêveuse, un sourire clairement charmeur sur les lèvres. Florian sentit refluer en lui son irritation et poindre tout autre chose. #JAuraisDûMEnDouter.

— Je… Euh…

Allez, il recommençait à être incapable d’aligner deux mots !

— Je pourrais te voir ? demanda-t-il en se reprenant.

— Je suis tout à toi.

Et comme si cette phrase à elle toute seule n’était pas suffisante pour que Florian perde complètement pied, Juan lui sourit avec un naturel qui finit de le déstabiliser. Après quoi, Juan ouvrit la porte en grand, mais ne s’ôta pas pour autant du passage. Et pendant tout ce temps, Florian ne put s’empêcher de contempler ses épaules et les formes de son torse que laissait deviner sa chemise impeccablement repassée, et le sourire joueur qu’il arborait au coin de ses lèvres… et d’imaginer ce que ça ferait d’avoir réellement tout ça rien que pour lui. Mal à l’aise, il releva les yeux pour tomber dans deux orbes le scrutant avec amusement. Juan fit enfin un pas en arrière pour le laisser pénétrer dans la pièce, mais resta suffisamment près pour que Florian ne puisse éviter de le frôler lors de son passage. Il aurait clos les yeux s’il l’avait pu, mais il n’était pas là pour fantasmer sur lui. Il souffla discrètement pour essayer de garder ses esprits.

— Qu’est-ce qui se passe, donc ? demanda Juan après avoir refermé la porte.

Florian prit une longue inspiration en le suivant du regard tandis qu’il retournait vers son bureau.

— Il y a que je n’en peux plus de ces vidéos.

OK, c’était sorti comme ça, d’un coup. Pourquoi pas, après tout ? Juan s’immobilisa. Comme il ne réagit que par un haussement de sourcil, Florian poursuivit :

— Déjà, les perversions habituelles (OK, celui-ci était sorti tout seul aussi !), ça m’use, mais ça va, je dirais au moins que je n’ai pas de difficultés à les classer. Que ce soit les sous-catégories ou la question du porno-érotique, je gère, mais les dernières, là…

Il s’était arrêté pour se pincer l’arête du nez.

— J’ai vu que tu avais demandé la création de catégories supplémentaires, commenta Juan en posant une fesse sur son bureau.

— Déjà, oui.

Maintenant qu’ils parlaient boulot, il se sentait gonflé à bloc. Il n’était pas sûr que ce soit une bonne chose, mais en tout cas, c’était ce qu’il éprouvait. Il sentit son débit de parole s’accélérer alors qu’il poursuivait :

— Mettons pour le tentacle porn, mettons pour tous les trucs bizarres avec les créatures surnaturelles, mettons pour les sexes de la taille d’un tronc d’arbre dans le pire des cas et, dans le meilleur, de mon avant-bras, mettons…

Si quelqu’un lui avait dit un jour qu’il tiendrait de tels propos…

— Mais moi, quand on me demande de dire si le tronc d’arbre qui sodomise le gars fin comme une brindille en lui susurrant des mots d’amour, sans qu’on voie les détails, est de l’érotique ou du porno, là, je suis désolé, mais ça me dépasse ! Si ça s’adresse à des femmes ou des hommes, mystère et boule de gomme, si certains types peuvent trouver leur came dans ce genre de personnages, pour le tronc d’arbre peut-être, pour la brindille ambulante, je ne sais pas…

Il prit une longue inspiration.

— Assieds-toi, lui proposa Juan d’un ton chaleureux, mais qui ne tolérait pas de refus.

Il ne pensait pas pouvoir, mais il prit quand même sur lui pour s’exécuter.

— Ouais…

Il se posa dans le fauteuil qui faisait face au bureau de Juan et essaya de se calmer.

— Je comprends, reprit Juan. J’avoue que je ne m’attendais pas non plus à ce qu’on nous donne ce genre de films. Je n’avais vu que les premiers, plutôt soft. Mais en remarquant les demandes de catégories que tu avais faites, j’ai bien compris que quelque chose clochait.

Florian hocha la tête, content en un sens de savoir que Juan n’y était pour rien.

— J’imagine bien que ça doit être assez perturbant. D’autant que j’ai trouvé les premiers plutôt plaisants à regarder.

— Euh… Oui, c’était euh…

#LeRetourDuEuh.

De nouveau, le sourire amusé fit son apparition sur les lèvres de Juan, à croire qu’il savait pertinemment bien ce qu’il faisait.

— Pour en revenir aux suivants, reprit Florian.

Juan l’invita à poursuivre d’un geste de la main.

— Je mettrais bien tout en porno franchement, mais…

Il haussa les épaules, comme si ce geste voulait tout dire.

Juan hocha la tête.

— Bref, tu n’y arrives pas, conclut ce dernier.

— Ouais.

Ou enfin, non. Bref, Juan l’avait compris. Il ne manquait plus qu’à ajouter qu’il n’en pouvait plus de ce taf et tout serait dit. Juan croisa les bras, l’air pensif.

— Pourtant, tu n’avais pas tant de mal avec les vidéos classiques.

« Classique » était sûrement un grand mot, mais…

— En effet.

— Alors, qu’est-ce qui te pose réellement problème avec celles-ci, en dehors des catégories particulières de certaines, bien sûr ?

Il essaya de réfléchir… La représentation graphique si différente de celle dont il avait l’habitude ? Le mélange des genres ? Le contraste entre les images et les paroles ?

— Je ne sais pas, avoua-t-il en se passant la main dans les cheveux, las. Je n’arrive plus à avoir de repères.

Juan hocha la tête et se leva.

— Et donc, tu aurais besoin d’aide ?

C’était le moment d’annoncer qu’il avait surtout besoin de changer de poste, mais avec le regard profond de Juan sur lui, il était incapable de trouver les mots.

— Oui, admit-il finalement, faute de dire autre chose.

— Bien. Je…

Juan consulta sa montre, avant de se pencher en arrière pour vérifier l’agenda papier qui se trouvait sur son bureau. Florian en profita pour se rincer l’œil. Ce type savait y faire dans le choix de ses chemises, celle-là le mettait une fois de plus particulièrement en valeur. La façon dont ses courtes mèches brunes tombaient tandis que Juan baissait un peu la tête était tout aussi charmante.

— Écoute, j’ai une conférence téléphonique dans vingt minutes, mais après je passe te voir et nous en parlerons.

— Oui. D’accord.

Lui et Juan enfermés dans son bureau avec des films pornos, en voilà une idée.

— Parfait.

Juan se redressa et le contourna. Quand ses mains se posèrent sur ses épaules, Florian se raidit.

— Nous étudierons tout cela en profondeur.

#ScienceFiction.

Florian se tendit un peu plus en percevant le souffle chaud dans son cou et il n’y avait aucune chance pour que Juan ne le remarque pas. Il se redressa brusquement, quitte à le bousculer.

— OK, eh ben, à tout à l’heure, alors.

Et il s’écarta de Juan dont les yeux pétillaient d’une étrange lueur. Il retint de justesse le coucou de la main qu’il avait été tenté de lui adresser (oh bon sang, il était ridicule…) et se contenta d’un petit sourire, d’un infime hochement de tête et il sortit.

***

Assis à son bureau, Florian attendait que Juan le rejoigne. Une bonne heure et demie s’était déjà écoulée et on approchait doucement du moment de la sortie. Et pendant tout ce temps, avait-il travaillé ? Absolument pas ! Il ne cessait de tourner et retourner dans sa tête les derniers gestes et paroles de Juan.

Son patron était gay. Si Florian n’avait pas réagi tout de suite quand il avait annoncé avoir trouvé excitants les premiers films Boy’s love, à peine était-il sorti de son bureau que l’évidence l’avait frappé de plein fouet.

— Merde, en avait-il murmuré.

Ce fait étant établi (à un moment donné, il fallait bien percuter), la deuxième question qui se posait était : Juan s’intéressait-il à lui ? Franchement, dans un autre cadre, Florian n’aurait eu aucun mal à déterminer que oui, mais là… Il s’agissait quand même de son patron. Personne ne faisait d’avances ouvertement comme ça à l’un de ses subordonnés surtout dans une grande boîte, non ? Juan était peut-être simplement charmeur et tactile, ce qui irait avec ses origines hispaniques…

OK, il était débile à essayer de trouver des justifications.

Mais si c’était le cas, que devait-il faire ? Très honnêtement, si Juan commençait à lui proposer d’aller boire un verre, par exemple, comment devrait-il réagir ? C’était chaud de sortir avec son supérieur… Si jamais ça se passait mal, si ça venait à se savoir ? Il risquait de perdre son job, déjà.

Mouais. D’un autre côté son job, hein ?

Non mais, il allait arrêter de tirer des plans sur la comète et essayer de rester zen… professionnel, oui, c’était ça, le mot (même si sa « profession » consistait à cocher « tentacle porn », « cougar », « infirmière » ou… ouais, « patron », en hésitant comme un âne à y ajouter « érotique » ou « porno »).

Perdu dans ses pensées, il sursauta lorsque la porte s’ouvrit sur Juan. Et s’il espéra que ce dernier ait raté son bond de surprise, le petit rire qui lui échappa lui prouva que non.

— Trop concentré ?

— Euh… oui.

— C’est ta phrase préférée, hein ?

Retenir le « Euh oui », retenir le « Euh oui ».

— Non, pas du tout.

Il avait dû faire quelque chose dans une existence antérieure pour que la vie le déteste à ce point. Ce n’était pas possible, autrement.

Juan posa sur le bureau les deux gobelets qu’il tenait.

— Je nous ai apporté du café. Ça m’a demandé un peu plus de temps que prévu, mais je suis à ta disposition.

Il défit le bouton de sa chemise pour se mettre à l’aise et Florian se serait collé des claques tellement il trouva le geste séduisant. Une fesse sur le bureau plus tard, Juan enchaîna comme si de rien n’était.

— Donc, tu disais que tu as des difficultés de classement.

— Oui.

— Sur quoi tu te bases habituellement ? poursuivit-il.

— Pour faire la différence ?

— Huhum.

— Eh bien… L’existence de scénario, la suggestion des actes, les dialogues, la présence visible d’une éjaculation… Enfin, j’ai pris la petite liste de consignes qu’on m’a remise quand j’ai commencé.

Juan hochait la tête.

— Mets un film en route.

Il plaisantait, n’est-ce pas ? Ils n’allaient pas vraiment regarder un porno ensemble, non ? Si ? Du genre… « si » comme « si » ?

— Vas-y, l’encouragea son boss.

Florian modéra le haussement de ses sourcils et obtempéra en relançant une des vidéos.

  1. Alors, celle-ci, c’était parfait : un truc japonais avec « Sexual harassment» dans le titree graphisme était plutôt pas mal et les mecs dedans fichus correctement : un peu fins (mais ça, il commençait à s’y habituer, c’était le style asiatique), mais avec des corps pas trop mal proportionnés. Et, effectivement, ça débutait par un scénario… quoique, tout était relatif à ce sujet. Ça aussi, ça aurait pu être un débat en soi. Mais contrairement à un porno plus conventionnel, il y avait un scénario.

— C’est érotique, jugea Juan au bout de plusieurs minutes.

— Non, c’est porno… quand même.

Ben oui.

Il avança la vidéo jusqu’à la première scène de sexe, non loin d’ailleurs. On y voyait le gars tout fin se faire sodomiser avec un sex-toy. Enfin… pas en gros plan : la vue était prise du côté de la tête, mais bon.

— Pas si tu t’en tiens à ta liste, insista Juan.

— Oui, mais cette liste, elle ne tient pas la route, je ne peux pas coller ça en érotique. Ce n’est pas…

Il regarda à nouveau la vidéo : certes, on ne voyait aucun gros plan sur les parties génitales, mais le gars était ligoté et… en train de subir un viol (même s’il en rougissait d’émoi, mais ça, c’était le n’importe quoi habituel). Du genre : érotique, vraiment ?

Il réfléchit à comment expliquer ça à Juan rapidement et se frotta le front en soupirant.

— C’est…, commença-t-il.

Il croisa les bras sur son torse et releva le regard sur Juan :

— À un moment donné, il se prend un épi de maïs gonflé à l’aide de traitements transgéniques façon Monsanto dans le fondement.

OK, celui-ci aussi était sorti tout seul ! Mais il fallait bien finir par dire les choses, non ?

Un éclat de rire retentit dans la pièce.  À la vision de Juan en partie plié en deux, il ne put s’empêcher d’être gagné par l’hilarité à son tour. Quand enfin, ils se calmèrent, Juan essuya ses yeux humides de larmes. Florian lui sourit avant de se passer de nouveau la main dans les cheveux, à la fois gêné et amusé de sa tirade. Au moins, la tension était tombée. Du moins était-ce ce qu’il pensa jusqu’à ce que Juan se lève. Un détail dans son sourire, dans sa démarche, dans ses pas lents et mesurés le fit se tendre à nouveau, dans l’attente de quelque chose qu’il ne voulait ni tout à fait voir venir, ni tout à fait manquer.

— OK, il faut donc que nous définissions ce que tu considères comme érotique et pornographique, reprit Juan.

— Huhum.

Retour au point de départ. Florian attendit. Pas que ça le gênait : le fessier de Juan, alors qu’il lui tournait le dos, était un spectacle suffisamment captivant pour l’occuper. Lorsque Juan tendit la main pour saisir son gobelet de café et le porter à ses lèvres, il fut incapable de détacher ses yeux de la silhouette qui se présenta à lui de profil : de la courbure masculine de ses reins que soulignaient les plis de sa chemise aux détails de sa gorge quand il déglutit doucement. Après s’être essuyé la bouche d’un geste léger du pouce que Florian ne put s’empêcher de trouver éminemment suggestif, Juan lui adressa un regard amusé.

— Ça, là, par exemple : tu trouves que c’est érotique ?

La question le tira de sa rêverie à la manière d’une claque.

— Quoi ?

— Quand je bois devant ce bureau. Ou quand je m’essuie d’une main.

Son sourire était autant moqueur que séducteur.

— Euh… Non, c’est potentiellement charmant, mais ça n’a rien d’érotique.

La réponse était pourtant « oui ».

Pour toute réaction, Juan se contenta de relever un sourcil.

— D’accord. Il faut donc qu’il y ait plus que cela.

Durant quelques secondes, plus aucun d’eux ne parla et Florian éprouva avec force le besoin de s’enfuir… Ou de fermer les yeux pour tester si, cette fois encore, Juan se rapprocherait. Il était incapable de décider. Lorsque Juan s’appuya au rebord du bureau et le fixa d’un regard pénétrant, il parvint encore moins à réfléchir. La main de Juan se leva, glissa sur la courbe de son cou, en suivant la ligne douce, parvint au col de la chemise, laissant apparaître les volumes de ses clavicules en tirant légèrement dessus…

Au moment où Juan défit un bouton en le fixant, Florian savait déjà quelle serait la prochaine question. Il en avait la gorge sèche.

— Et ça, demanda Juan, c’est érotique ?

La réponse était « oui », mais sans doute parce que tout en Juan criait l’érotisme. Si Paul, l’un de ses collègues, en avait fait autant, il aurait dit « non ».

— Peut-être, consentit-il à reconnaître, selon la personne. Mais là encore…

Ne jouait-il pas à un jeu dangereux ? Juan allait-il…

Un deuxième bouton suivit.

OK, la réponse était oui : Juan allait poursuivre.

Puis un troisième.

#AuSecours.

#LeQuatrièmeAussiParPitié.

Florian ne savait pas ce qu’il souhaitait le plus ardemment : que cette situation s’arrête ou continue. Par ailleurs, les mouvements de doigts de Juan et les encarts de peau mate qui se dessinaient progressivement au sein de la chemise blanche, pigmentés d’une pilosité sombre, lui grillaient désespérément le cerveau. Il devait être vraiment en manque : gavé de sexe virtuel et de fantasmes ambulants de son patron au point de finir par avoir des hallucinations.

Catégories : boss, voyeurisme, gay, striptease, bureau… masturbation, fellation, huile, latex, sodomie, switch… OK, là, il délirait.

Imperturbable, Juan poursuivait.

— Et ça ?

Juan fit glisser ses doigts sur la peau entre les pans de la chemise. Celle-ci était désormais défaite jusqu’en son milieu. Puis il les fit remonter lentement vers sa gorge.

— Oui, c’est érotique, avoua-t-il.

Un sourire léger se peignit sur les lèvres de Juan et il finit de déboutonner sa chemise avec moins de cérémonie. Le spectacle de sa chair dévoilée à son regard, puis du torse devant lequel s’écartèrent les deux pans de tissu, n’en fut pas moins captivant.

— Nous sommes toujours en érotique, là ? Pas de pornographique ?

— Non, pas de porno, répondit-il.

— Bien.

Juan sembla réfléchir avant de reprendre :

— C’est le mélange des genres qui te pose souci, hein ? Dans l’hétéro, ça ne te posait pas de problème. Dans le gay sex non plus.

Florian essaya de se concentrer sur ce que disait son patron. Oui, son patron ! Patron qui lui faisait un méchant gringue, là. Et pourtant, il ne pouvait s’empêcher de se dire qu’il déraillait complet : qu’il avait bu trop de café, passé trop de mois sans rapports sexuels, vu trop de vidéos de pénétrations en tout genre, trop fantasmé sur Juan, et que, la prochaine fois qu’il clignerait des yeux, ce dernier aurait sa chemise bien boutonnée et serait assis devant son bureau et il n’aurait qu’à se mettre une claque mentale. Ou serait encore torse nu et à quelques centimètres de lui. Ou allongé sur le bureau, à sa portée… Peut-être devrait-il essayer…

— Florian.

— Ouais ?

Vous pouvez répéter la question ?

— C’est le mélange ?

— Oui… Oui, confirma-t-il enfin, plus sûr de lui.

— OK, donc si je te dis : j’ai tellement envie de t’enculer maintenant sur ce bureau, c’est quoi ?

OK, c’était mort, Juan ne voulait pas vraiment qu’il réponde à ça. Et ses joues brûlantes devaient le faire pour lui. Genre… la réponse demandée, c’est « oui, moi aussi, je veux » ?

— Alors ? Pornographique ou érotique ?

Il déglutit, les yeux rivés sur le torse de Juan.

— É… érotique ?

Après tout, le vocabulaire était cru, mais Juan n’était qu’à moitié nu et encore.

— Approche, réclama ensuite Juan.

Florian ne bougea pas. Bien sûr. Il n’allait pas se diriger de lui-même vers ce qu’il pressentait être sa perte ! Enfin, ce fut surtout ce qu’il se dit parce qu’en réalité, il s’avança comme le papillon attiré par la lumière, dans un acte totalement irréfléchi… Et il ne reprit son contrôle qu’une fois qu’ils ne furent qu’à quelques pas l’un de l’autre.

— Continuons. Ça, par exemple…

Florian le vit caresser son torse, sensuellement, jusqu’à frôler et faire se plier son fin téton.

Il n’eut pas besoin que Juan l’interroge pour donner la réponse. Il savait déjà ce qu’il voulait :

— Érotique, déclara-t-il.

Juan descendit la main sur son ventre, et Florian la suivit des yeux, et plus le mouvement se poursuivait vers le bas, plus son regard se trouvait attiré par le pli du pantalon en dessous et… plus il dut se retenir de le détailler, peu sûr que la forme qui était devant lui soit seulement due à la raideur du tissu.

Il releva les yeux sur Juan.

— Je suis gay, dit-il.

Et il le dit comme ça, sans préambule, parce qu’il fallait bien l’avouer en de telles circonstances, avant que Juan aille trop loin ou que…

— Je sais, répondit ce dernier.

Florian essaya d’encaisser cette information, bien qu’hypnotisé par la manière dont Juan déboutonna lentement son pantalon, centimètre après centimètre… Que son patron ne se soit pas arrêté après sa déclaration le rendait encore plus incertain quant à la suite.

Juan renversa légèrement la tête en arrière, lui exposant la rondeur de son cou dans une image lascive, et se mit à respirer plus fort.

— Et ça ?

— Érotique, répondit-il sans tergiverser.

Et putain d’érotique quand Juan se mit à frotter doucement, par l’ouverture de son pantalon, son sexe qui, cette fois sans l’ombre d’une hésitation, était raide et dressé. Juan n’aurait eu qu’un mot à dire pour qu’il vienne l’aider.

Florian releva les yeux sur le visage de Juan, qui le fixait avec un regard amusé et tentateur. Visiblement l’un d’eux savait parfaitement à quoi il jouait et ce n’était pas lui.

— Aide-moi, exigea doucement son boss en ôtant la main de son sexe pour la poser sur le rebord de la table, s’y appuyant.

Florian ne se fit pas prier.

Il franchit la courte distance qui les séparait et frôla aussitôt son torse, percevant la force du courant électrique émanant de leur soudaine proximité. Un parfum se dégageait du cou de Juan et du col de sa chemise… Une odeur ambrée et masculine, légère mais entêtante.

Il faisait quoi, là, exactement ?

— À deux, ce sera plus explicite, précisa Juan.

Si celui-ci le disait, il n’irait pas le contredire. Grand Dieu, il se sentait tellement perdu et Juan avait l’air de tellement maîtriser la situation qu’il était tout prêt à se faire guider et à voir où cela les mènerait.

— Touche-moi, réclama son patron.

Le tout dit avec une autorité si naturelle…

Devait-il vraiment le faire ? Mais Juan avait dit « touche-moi » et là était le seul élément que son cerveau voulait bien intégrer. Le reste n’était que futilité, à oublier, à renvoyer au néant.

Le cœur battant, il leva la main, contempla le torse solide et sculpté de Juan, en approcha ses doigts et puis, doucement, il les y posa, suscitant un frémissement qu’il sentit se répercuter jusqu’au plus profond de lui. Juan aurait pu tout lui demander à cet instant. Il lui aurait dit de le sucer qu’il se serait jeté à ses genoux pour s’empresser de le faire. Pourquoi Juan ne le lui réclamait-il pas encore ?

— Plus bas.

Il obtempéra sans hésiter. Lentement, il descendit sa paume, suivant tous les reliefs des abdominaux défilant sous ses doigts, savourant la sensation des poils s’y frottant, avant de trouver enfin la rondeur qu’il attendait… et d’y poser la main. Le contact l’excita avec force, et plus encore en sentant le sexe de Juan tressauter en retour, mais celui-ci ne bougea pas pour autant.

— Et là ? demanda Juan.

Ce dernier ne pouvait pas vraiment vouloir une réponse à cette question… Un rictus de sidération monta aux lèvres de Florian parce que parler était la dernière chose dont il avait envie, là, tout de suite. Pourtant, et sa curiosité était à blâmer, il répondit :

— Érotique.

Et il attendit de voir quelle serait la suite des événements.

Juan hocha doucement la tête, puis murmura :

— D’accord.

Collé à lui et le regard insondable, Juan était tellement sexy que Florian n’en revenait pas. Quelle serait sa demande suivante ? Jusqu’où mènerait-il le jeu ? Rien qu’à cette idée, il se sentait plus dur que jamais. Quand Juan glissa la main dans ses cheveux jusqu’à l’arrière de son crâne et le rapprocha de lui avec une lenteur qui était autant torture que plaisir, il en vibra tout entier.

Ainsi sombre la chair – Statu quo

Statu quo

Je n’étais donc ni réellement séparée d’Ayme, ni réellement avec lui, et on habitait encore ensemble. Oui, c’est un concept, je le sais. A vrai dire, je ne savais plus vraiment dans quoi on était, si ce n’était qu’Ayme avait accepté toutes les barrières que j’avais finies par ériger entre nous, ce qui faisait qu’on ne se parlait plus, qu’on ne se touchait plus, qu’on ne dormait plus dans la même pièce, et qu’on ne se croisait quasi même plus.

J’ai employé le terme de « colocataires », nous concernant. Pourtant, ça ne valait rien, et je le savais. J’aurais dû quitter Ayme. Vraiment. C’était celle-ci, la seule vérité. Le « moi » d’avant l’aurait fait. Le moi d’avant ne savait pas encore à quel point l’idée même de le faire allait s’apparenter à un arrachage de ma poitrine et de mon âme. Je ne pouvais pas me résoudre à abandonner les petits morceaux de verre cassés qui restaient de notre couple. Et puis, c’était un deuil, qu’il vivait, c’était juste un putain de deuil, alors pourquoi il durait depuis quatre ans, ce putain de deuil ? Ce n’était pas censé être juste une phase ? Bien sûr, ce connard – parce que là-dessus, c’était vraiment un connard – d’Ayme refusait de faire une psychothérapie. Aller voir un psy, c’était admettre qu’il avait un problème, et c’était aussi avoir à en résoudre d’autres, parce qu’il y en avait d’autres, plus anciens, bien sûr. Je les connaissais. D’autres auxquels ce deuil s’était mêlé. Mais c’était tellement plus simple pour lui de faire comme si tout ceci n’existait pas…

Alors, on était arrivés à ce statu quo : on avait ce putain d’appart qu’on avait acheté, on avait cette putain de cette relation de merde qui était en train de crever, et donc, on faisait quoi ? Eh bien rien. On restait dans notre merde, dans notre appartement, avec tout ce qui y résidait de toxique, entre nous, mais on y vivait comme collocs. Pas de baisers, pas de contacts physiques, pas de confidences, surtout pas d’exigences, si ce n’était la mienne : qu’Ayme accepte cette forme de séparation bâtarde que je lui imposais.

Statu Quo. Un miracle nous sauverait peut-être.

Et je commençais à coucher avec d’autres. Je crois même que j’essayais de nous tuer plus vite, ainsi. Ou peut-être juste moi. Pas physiquement, mais quelque chose à l’intérieur de moi. J’avais un processus à faire, quelque chose qui ne passerait que par la perte. Je n’étais pas dans le renouveau. Peut-être juste arrivée à ce stade ultime où je ne pouvais qu’admettre qu’il n’y aurait plus jamais rien à reconstruire entre Ayme et moi. Que c’était fichu, que cette connerie de vie nous avait tout pris, et que notre couple était mort entre un accident de voiture aux portes de la Côte d’Azur et une porte vitrée qui s’écroule.

Ainsi sombre la chair – Rastouille

Rastouille

Ça me prit trois jours. Trois jours d’hésitations, de songeries, et d’attente d’un moment plus propice pour moi, dans le sens : qui n’avait pas à me mettre face au regard d’Ayme… Pas non plus face au mien à travers ses yeux.

Son taf faisait que, parfois, il bossait de nuit, alors j’attendis simplement que ça arrive. Je ne l’ai pas encore dit, mais Ayme est policier. Officier, pour être précise : il a fait l’École Nationale Supérieure de la Police après la fac’ de droit. Un jeune homme intelligent, sensible et engagé. Plein d’idéaux, d’humanité… Je n’étais pas tout à fait dans la même mouvance, quand je l’ai rencontré — mes parents, grands contestataires sociaux, avaient une image peu positive de la police, j’en avais hérité — mais je n’en avais pas moins éprouvé une forte estime à son égard. Tristement, je pense que ça rentre dans ce qui a fini par nous tuer, avec le temps. Je ne détaillerai pas ce qu’il vit dans son taf mais, pour l’aider à être apaisé dans sa tête et donc bien avec moi, on aura fait mieux. J’ai trop souvent eu le sentiment d’être là pour me prendre dans la gueule ce qu’il ne pouvait pas exprimer ailleurs, en tout cas. Mais bon, passons là-dessus.

Je partais donc voir si Loïc était dans son appartement, ce qui n’était pas gagné parce que je n’avais pas grand-chose pour le retrouver, finalement. Je savais où il habitait et son prénom. Ça s’arrêtait là. Je n’avais ni son numéro de téléphone, ni son adresse – je n’avais absolument pas fait attention à la rue et d’ailleurs, je galérais une fois sur place pour la retrouver. Enfin, si, j’avais Violaine, mais je ne voulais pas l’appeler : où aurait été la logique de demander le silence à Loïc si c’était pour me griller toute seule auprès d’elle ? Donc je choisissais l’option culot : débarquer chez lui – enfin, s’il y était – en mode : voici la fille dans laquelle tu as fourré ta langue et ta queue – et tes doigts – l’autre jour, et elle revient chez toi.

J’avais le cœur qui battait…

J’ai rarement eu un tel manque d’assurance quant à ce que je faisais. J’aurais pu changer d’avis d’un instant à l’autre, faire demi-tour…

Je ne le fis pas.

J’arrivai en bas de son immeuble, je cherchai l’interphone… Il n’y en avait pas. La porte du bas baillait, cassée depuis longtemps, le hall était toujours aussi crade et même un peu plus glauque maintenant que je le regardais avec la lumière du jour – il était 19h, pas minuit comme la fois précédente. Je montai. L’escalier penchait. Je m’en rendis compte en le gravissant. J’y avais à peine fait attention la première fois. La porte de Loïc était fermée, mais j’entendis distinctement du son à travers le bois mince. Une musique étouffée, entrecoupée très fréquemment : des essais auditifs, de toute évidence. Il n’y avait pas de voix. Pas d’autres personnes, visiblement. Tant mieux. Je n’aurais pas passé le cap de me présenter à lui s’il n’avait pas été seul. Je frappais.

Il se déroula plusieurs longues secondes avant qu’il vienne enfin m’ouvrir. Quand il me découvrit, son expression aurait pu être risible tant elle affichait la même interrogation que la première fois, mais plus marquée, encore : en mode répétition plus forte d’une situation déjà vécue. Mais qu’est-ce qu’elle fout là ?

Je n’en éprouvai bien sûr qu’une gêne encore plus forte.

– Euh… salut, me dit-il.

Ça sentait la beuh chez lui : une odeur plus verte et plus marquée que la dernière fois.

Il enchaîna, hésitant :

– Euh… Ça va ?

– Oui.

Je mentais, bien sûr. Je n’avais pas l’intention de lui donner à voir plus qu’une façade de surface de ma part.

– Tu veux…

Il ne savait vraiment pas comment réagir.

– Tu veux entrer ?

Je hochai la tête.

Il m’invita à le faire.

J’eus l’impression qu’il se sentait redevable d’avoir fourré sa queue en moi. C’était peut-être une idée que je me faisais mais, tandis qu’il repartait vers son salon en passant la main dans ses cheveux d’un air perdu, ce fut l’image que j’eus, vraiment. Un truc comme : « OK, la fille bizarre que j’ai sautée l’autre jour est de retour chez moi ». Ou bien « il va falloir que je m’en occupe ».

Il me conduisit jusqu’à son canapé.

– Tu veux un café ? me demanda-t-il, un peu démuni.

– Je veux bien, oui.

Il prit alors un temps pour m’examiner des pieds à la tête, avec toujours l’air d’atterrir mais pas seulement. Comme s’il se demandait s’il pourrait me sauter de nouveau, aussi. Ce fut ce que je vis dans son regard, en tout cas : cette réflexion qu’il se faisait sur mon arrivée chez lui et ce qui en sortirait.

Il alla à sa kitchenette. Son ordinateur était allumé et je pus voir le même logiciel ouvert, avec plein d’autres fenêtres ouvertes en même temps.

J’étais pensive quand il me rapporta une tasse qu’il posa devant moi sur la table basse. C’était l’effet que me faisait le fait d’être face à son travail de création. Il me proposa le joint de beuh qu’il tenait encore entre les lèvres. Je l’acceptai.

Je ne me souviens pas exactement de quoi on parla, tellement c’était bateau. Des banalités qui parlaient de tout sauf de lui et de moi. Je ne me souviens même pas qu’il ait eu l’air plus intéressé que je ne l’étais, dans le fond. Je crois qu’on meubla juste le silence. Par contre, je me rappelle parfaitement qu’on fuma en buvant du café, puis qu’il eut des coups frappés à la porte et que débarquèrent plusieurs des personnes qui allaient marquer cette période de ma vie, alors, puisqu’il s’agissait des potes de Loïc.

Et que, à peine furent-ils entrés que je leur consacrai ma plus grande attention.

Les amis de Loïc étaient des musicos, comme lui. Des mecs à l’image de son appartement. Plus ou moins attentifs à leur apparence – l’un d’eux, un type petit et large avec des cheveux longs et graisseux, semblait avoir abandonné depuis longtemps l’idée de séduire qui que ce soit —, avec cet air détaché qui caractérisait leur bande entière, et une attention plus portée sur la consommation de produits illicites que sur des projets de vie. Et ils avaient l’air tous plus ou moins célibataires. Les « potes », quoi.

Loïc fut mal à l’aise quand il fallut me présenter. Je vis bien que ça le dérangeait que je sois là tandis qu’ils débarquaient, mais il n’en dit rien. Par contre, il bloqua carrément sur mon prénom et, sérieusement, ce n’était pas possible qu’il ne l’ait pas encore imprimé, alors je me présentai moi-même à ses amis. Aucun ne me demanda ce que je faisais là, Loïc n’en parla pas, et ça passa comme ça.

Surtout, il y avait un mec qui attira mon attention. Il était plaisant à regarder – plus que Loïc dont la laideur me frappait plus vivement que la beauté, désormais –, et il avait l’air, tout autant que les autres, d’être un petit con. Il était aux bras de la petite sœur de Loïc. Celle-ci devait avoir, quoi ? 16, 17 ans ? Je ne sais pas, mais elle avait vraiment l’air gamine. Elle fuma autant d’herbe que chacun, et quand le pote de Loïc l’entraina dans la chambre de ce dernier pour… j’imaginai tout de suite du sexe, mais j’avais peut-être l’esprit trop axé sur le sujet, et peut-être n’était-ce que du pelotage, celui-ci ne moufta même pas.

J’observai donc ce petit groupe indifférent à leur entourage, évoluant dans un univers qui ne m’était pas inconnu, mais sans que j’y appartienne moi-même pour autant. Je veux dire… Je connaissais des gens qui craignaient vraiment, mais je ne les voyais qu’à quelques soirées, et de loin, la plupart du temps : je ne m’occupais pas de leur vie et je suis sûre qu’ils ne remarquaient même pas la mienne. Mais, du coup, j’avais ce regard-là, tout de même : celui qui repère les mecs un peu graves très rapidement.

Toujours était-il que ce mec me plaisait, et qu’il y avait quelque chose, chez lui, qui me remuait un peu profondément, comme avec Loïc. Du genre qui éveillait mes fantasmes.

Ce deuxième mec, donc, s’appelait Christophe, Chris, ce fut ainsi qu’il se présenta à moi, mais tout le monde l’appelait Rastouille. Magie des surnoms improbables. Chris, donc, était un joli blondinet que je situais plus proche de ma personnalité que ne l’était Loïc — moins connard égocentré, en tout cas —, et il sortait avec sa petite sœur.

On but des bières, on fuma… Moi, pas trop : je voulais garder un maximum de ma lucidité. Les mecs bossèrent un peu sur l’ordi. L’un d’eux alluma la console et ils se mirent à faire un jeu de baston, je jouai avec eux, je les éclatai tous – j’étais très forte à ce type de jeu, et très fière de les éclater – et Loïc se comporta avec moi comme si on était ensemble. Enfin, plus ou moins, mais il posa plusieurs fois son bras sur mon épaule, et il m’effleura même les seins à un moment.

Bien sûr, je me laissai faire.

Puis, quelques temps après que Chris et sa sœur soient sortis de sa chambre, il se pencha et chuchota « viens » à mon oreille, avant de m’y entraîner à mon tour.

Comme ça. Sans me demander mon avis. Comme si c’était évident, que je le fasse.

Du coup, je le suivis mais avec trouble, des questions plein la tête. Je veux dire… Il n’y avait qu’un mur entre le salon et cette chambre. Est-ce que Loïc allait vouloir me sauter alors que ses potes étaient à côté ?

La limite entre mes fantasmes et la réalité était flagrante. D’un côté, j’imaginais un rapport à plusieurs avilissants dont je serais le point central, et de l’autre je peinais à penser que ces mêmes personnes, de l’autre côté de la porte, puissent savoir ce que je faisais dans cette pièce, qu’on ne puisse être séparés que par cette mince paroi.

Alors que Loïc fermait la porte, je vérifiai si une clef permettait de fermer la serrure. Il n’y en avait pas. Que quelqu’un puisse débarquer était l’horreur.

Ou peut-être ce que je voulais.

Je ne le savais pas.

Loïc m’embrassa vivement et je me demandai ce qu’il pensait de notre rapport, dans le fond.

S’imaginait-il qu’on était ensemble ? Qu’il avait acquis des droits sur moi ?

Ou profitait-il toujours de cette fille qu’il ne connaissait pas vraiment mais qui était venue chez lui dans le but de se faire baiser ? Après tout, j’étais là, non ? Donc pourquoi ne pas en profiter ?

Très vite, le contact fut sexuel, cash et cru. Loïc s’assit en arrière sur son lit en m’attirant contre lui et me toucha les seins et les fesses comme si j’étais déjà nue, m’amenant rapidement à incandescence. Il essaya de me déshabiller mais j’étais mal à l’aise. Je résistai.

– Qu’est-ce qu’il y a ? me dit-il.

Il avait toujours ce regard entre curiosité et mépris. Comme s’il ne me comprenait pas, mais que je ne méritais absolument pas qu’il s’en soucie. Je le méprisais — en retour — pour ça, et le désirait tout autant.

– Ta porte ne ferme pas ?

Il fit non de la tête et ajouta :

– Personne ne rentrera, ne t’inquiète pas.

Je fis la moue.

– Je ne suis pas tranquille.

Le soupir qu’il poussa aurait pu me mettre en colère s’il ne s’était pas agi précisément de ce qui m’avait poussée vers lui : cette façon de considérer comme une contrainte lassante tout ce qui ne collait pas à ses envies personnelles.

– Personne ne va venir ici, répéta-t-il.

Je restai tout autant braquée.

Il soupira plus vivement encore. Puis il déboutonna son jean.

– Suce-moi, alors.

Je le fixai sans répondre.

D’un autre, vraiment, je ne l’aurais pas accepté.

Dans une autre situation.

A une autre période de ma vie…

Sa proposition avait l’avantage de permettre plus facilement de s’arrêter si quelqu’un entrait. De me permettre de garder mes vêtements, aussi… Pourtant, je n’étais pas plus à l’aise avec l’idée. Je n’étais pas à l’aise avec ce que je voyais de moi, en fait. Comment étais-je passé de la fille qui s’imaginait vivre jusqu’à la fin de ses jours avec l’homme qu’elle aime à cette situation ? Qu’est-ce qui m’était arrivé, dans l’intervalle ?

Je restai un moment hésitante. Puis je réclamai une capote. J’en avais dans mon sac mais il était resté dans le salon.

– Je croyais que tu ne voulais pas te désaper, remarqua-t-il.

– C’est pour te sucer.

Il haussa un sourcil. Ça m’agaça. Puis il dit :

– Il n’y en a pas besoin.

– Si.

Je tendis la main  en parlant, manifestant clairement que j’attendais ce que j’avais exigé.

– Je n’aime pas, objecta-t-il.

– Tu aimeras.

Il soupira et me donna enfin un préservatif, que j’attrapai pour le dérouler sur son sexe.

Il m’avait suffisamment saoulée pour rendre l’acte difficile.

Je levai les yeux sur lui, du coup.

La manière dont il m’observait, en attendant, avait un quelque chose de déplaisant et d’excitant à la fois.

Comme la fois précédente, je lui trouvais une beauté curieuse, une beauté que je pris quelques instants à contempler. Il passa une main sur le côté de mon visage, repoussant quelques mèches qu’il cala derrière mon oreille.

Alors, je commençai à le sucer. Je n’en fus pas excitée comme la première fois, j’étais trop mal à l’aise dans cette configuration, mais j’allai quand même au bout. Je me débrouillai pour le faire jouir ainsi. Je me surpris juste à observer la manière dont il renversa la tête en serrant les doigts sur mon crâne, son corps pris de soubresauts dans l’orgasme, avec une certaine fascination.

On revint ensuite au salon. J’avais l’impression que ce que je venais de faire était marqué sur mon visage, mais je fis comme si ce n’était pas le cas, bien sûr.

C’est facile de « faire comme si ». C’est un si joli masque, une si jolie façade, une bien belle barrière. Je sais que tu sais, et tu sais que je sais que tu sais, mais je fais comme si je ne savais pas.

Je passai quand même à la salle de bains pour me rincer la bouche. Le fait d’avoir mis une capote m’avait évité d’avaler du sperme, mais j’avais encore le goût du latex, et j’avais peur que l’odeur puisse se sentir, aussi.

Personne ne dit rien.

Ne parlons de rien. Ne faisons rien.

Les mecs se mirent à bosser pour de bon. Je constatai que la sœur de Loïc était partie et que j’étais devenue comme invisible. Du coup, je ne pus plus empêcher le flot de mes pensées de s’écouler et chacune était une interrogation. Qu’est-ce que tu fais là ? Qu’est-ce que tu attends ? Est-ce que tu te reconnais seulement, là-dedans ? Dans la fille que tu es, là, assise sur ce canapé après avoir sucé ce type à quelques mètres des autres ?

La conclusion arriva vite : je n’avais rien à foutre ici, je devais me barrer.

Casse-toi. Maintenant.

Je le fis. Je ramassai mon sac et me préparai à partir et, probablement, aurait-ce sonné le glas de mes venues chez ce mec – Loïc : c’était encore « ce mec », pour moi, et je doutais que ça cesse de l’être – quand il se tourna vers moi et me dit d’un ton détaché :

– On fait une fête, samedi prochain ? Tu viendras ?

Des images troublantes me vinrent en tête. Des images que je voulais. Et je me demandais pourquoi, cette fois-ci, il m’invitait.

– Où ?

– Chez moi, dit le mec qui m’intriguait : Chris.

Je pris quelques secondes pour réfléchir.

– OK. Ce sera où ?

Il me donna l’adresse. Je me penchai sur la table basse pour chopper un morceau de carton – un reste de paquet de feuilles déchiré – et un stylo, et la noter. Je fus consciente de ce que je montrais de mon anatomie, en faisant ça : de la cambrure de mes reins et la courbe de mes fesses, et mes cheveux qui tombaient sur le côté de mon cou.

Je me redressai.

Peu de temps avant, je m’étais sentie pas à ma place, avec le besoin de quitter cette situation en urgence. Soudain, je me sentais conquérante, une porte ouverte devant moi. Connerie de la psychologie changeante.

Au fond, c’était le vrac en moi. Rien n’avait de sens. Mais je faisais avec.

Je faisais avec, surtout.

Et j’observai longuement Loïc.

Je ne peux pas dire ce qui passa exactement entre nous, à ce moment, mais j’eus le sentiment d’une compréhension réciproque. Que Loïc savait ce que je cherchais. Qu’il savait ce que j’étais venue foutre chez lui.

Ainsi commença une relation curieuse dans laquelle nous ne chercherions jamais à savoir qui était véritablement l’autre, mais où nous avions tous deux notre compte à y trouver.

 

Ainsi sombre la chair – Fantasme ou désir

Fantasme ou désir

Assise dans le bus, alors que je roulais vers le travail, je repensais à la nuit qui s’était déroulée. J’avais croisé Ayme le matin avant de partir, et il ne m’avait pas posé de question sur ce qu’il s’était passé même si j’avais bien vu que ça lui brûlait les lèvres. On avait chacun notre café dans cette solitude inconfortable qui était notre quotidien.

J’avais filé avec un peu d’avance, du coup.

Bercée par les cahots, et du fond de mon spleen, je pensais à ce type, Loïc – moi, j’avais vraiment bien retenu son prénom – avec qui j’avais couché.

Est-ce que ça m’avait apporté quelque chose ?

Je me demandais.

Est-ce que c’était censé m’avoir apporté quoi que ce soit ?

J’avais éprouvé mon corps comme autre chose qu’un terrain de cendres, oui. J’avais vu que je pouvais encore ressentir de l’excitation. J’avais vu la complaisance que j’éprouvais à être baisée sur ce canapé défoncé, à ne pas avoir cette partie-là de moi qui était morte, au moins. À sentir encore de la vie couler dans ma chair oubliée. Quelque chose comme une claque. Qui m’avait secouée.

J’éprouvais le désir de retourner voir Loïc.

Le bus roulait et je rêvassais.

Je l’imaginais me prendre encore, sans me parler et avec cette indifférence dont il avait fait preuve, corps chaud à sa disposition dont il profitait parce qu’il se rendait disponible à lui. Je le voyais m’offrir à d’autres, me tenir contre lui tandis qu’un autre me prendrait, me maintenir les mains ou encore les cuisses ouvertes pour leur faciliter le passage…

Je peinais à distinguer ce qui était encore de mes fantasmes – de ce qui est ces « vrais » fantasmes : ceux que l’on laisse couler dans son esprit mais tout en sachant que jamais, jamais, on ne voudrait qu’ils se réalisent, que ce serait même pire qu’un cauchemar – et de ce qui était de mes envies. Il y avait une zone de flou, là-dedans, que je ne parvenais pas à éclaircir. Moi-même, je n’étais pas claire. J’aimerais pouvoir dire que l’on sait toujours plus ou moins ce que l’on veut, ou que quand on s’interroge suffisamment sur soi-même on y parvient, mais ce n’est pas vrai. Je n’y arrivais pas. J’avais juste des images, et des interrogations. De la souffrance, surtout.

Dans le fond, c’était bien ça : cette souffrance qui s’exprimait de manière bizarre, surprenante dans ce qu’elle faisait naître dans mon esprit.

Ce que je savais toutefois, et je le savais avec force, c’est que ces fantasmes ou envies prenaient une place de plus en plus importante chez moi. Et qu’on était en train de passer d’un monde de chimères à une réalité, et qu’elle était déjà là, cette réalité, après tout, puisque j’avais passé le cap avec ce mec. Puisque j’avais ouvert ma bouche et mes cuisses pour lui. Puisqu’il avait pénétré mon corps.

Et je savais que ça ne s’arrêterait pas là.

Sans en parler à personne, ni Ayme, bien sûr, qui n’avait plus de droits sur mon intimité, ni surtout à Violaine – qu’elle ne sache pas : elle m’avait téléphoné le lendemain pour me demander comment avait fini ma soirée, et je lui avais allègrement menti –, je décidais de reprendre contact avec Loïc.

Porn ? What Porn ? – Du porno ? Définitivement ! (1)

Autrices : Valéry K. Baran et Hope Tienfenbrunner.

Genres : Érotique, M/M, humour, hot.

Résumé : Florian est à la limite du burn out  à cause de son boulot pour lequel, en plus de classer des vidéos 18+ pour un site de VOD, il se retrouve à devoir trier des films boy’s love. S’il est déjà lassé par son boulot, cette nouvelle mission le rend fou : comment déterminer ce qui est porno et érotique là-dedans ? Heureusement pour lui, son boss terriblement sexy, Juan, est tout prêt à l’aider dans sa mission.

Du porno ? Définitivement !

Le couple à l’écran se sépara, le temps de changer de position. La femme, une belle blonde à la poitrine refaite, se plaça à quatre pattes sur le lit qui servait de terrain de jeu. La caméra zooma sur son arrière-train qu’elle caressa un instant, n’épargnant aux spectateurs aucun détail de son anatomie largement mise en valeur par une épilation intégrale. Ses doigts aux longs ongles vernis naviguèrent parmi les diverses possibilités qu’elle offrait, s’attardant largement sur son clitoris brillant. Après un nouveau gros plan, l’angle de vue se décala pour ne rien perdre de la large verge qui se dirigea vers son vagin avant de s’y enfoncer.

Un premier va-et-vient, un second, encore un autre où le pénis ressortit entièrement et rebelote. Avant, arrière, une fois, deux fois, trois fois…

Florian soupira profondément devant son écran, renversant même sa tête en arrière, avant de se décider à passer la suite en accéléré. À sa gauche, sur un second écran, deux gros gaillards, option cuir, faisaient son affaire à une brune qui semblait en avoir trop vu, trop fait, trop… tout en fait. Il grimaça. Comment des personnes pouvaient décemment choisir de regarder ce genre de porno ? Il ne comprendrait jamais. Au moins dans le premier film, l’actrice comme l’acteur étaient bien foutus. Certes le mec avait une gueule pas terrible, mais ce n’était pas franchement ce qu’on lui demandait. Et puis, pour ce qu’on la voyait, de toute façon…

Un coup d’œil à sa montre lui apprit qu’une petite heure s’était écoulée depuis qu’il s’était mis au boulot, bien trop tôt pour un café. Oui ? Non ? Allez, encore trente minutes, s’encouragea-t-il. Ce qui voulait dire, en pratique : trente minutes de pénétrations, de fellations et… À peine releva-t-il les yeux sur l’écran que le retour du gros plan de la mort qui tue qu’il se prit en pleine tronche ne fut pas loin de lui faire abandonner ses bonnes résolutions. Quant à la scène qui suivit, la seule considération hautement philosophique et profonde qui lui vint à l’esprit fut :

— Beurk.

OK… Il allait peut-être s’arrêter là, en fait ! Il n’avait pas forcément besoin d’en voir plus. Et puis il ne restait que trente minutes de vidéo, de toute façon. Il se pencha sur son bureau pour saisir la tablette qui lui servait d’outil de travail et cocha l’ensemble des catégories correspondant au film, et il y en avait ! Il n’aurait jamais pensé qu’il pouvait exister autant de façons de classer un porno, ni qu’il se retrouverait un jour à devoir regarder des films qui lui feraient mettre des croix quasi dans toutes (gonzo, fist fucking et autres joyeusetés). Enfin, comme tous les mecs, il en avait maté auparavant : pas ceux en mode Guinness des records qu’il devait désormais se taper, certes, mais des plus basiques. Comme beaucoup de femmes, aussi : toutes ne l’assumaient pas, mais l’industrie pornographique ne prospérait pas uniquement sur la libido masculine, il fallait arrêter de se voiler la face. En tout cas, elle ne vivrait plus grâce à lui. C’était bon, non seulement il avait sa dose, mais il avait fait le plein pour toute une vie et même pour les dix suivantes !

Un nouveau regard sur la team cuir et blousons cloutés le désespéra. Il ferma quelques secondes les paupières, comme si ce geste pouvait faire apparaître autre chose devant ses yeux lorsqu’il les rouvrirait. Ce ne fut pas le cas…

Quand il avait déniché ce boulot de « Classeur officiel de vidéos pornos pour le compte d’une boîte de VOD », il avait trouvé ça trop fort. Tellement qu’il en avait fait un post sur son mur Facebook pour narguer tous ses amis :

Je vais être payé à mater des pornos #JobEnOr. #SoyezPasTropDegLesGars.

Cela lui avait valu plus de comm’ et de like que toutes les conneries qu’il avait pu y poster jusque-là, et ce n’était pas peu dire. Six mois plus tard, il ne faisait plus le malin. Plus le malin du tout. Franchement, il n’était pas prude, mais il en avait tellement vu de toutes les couleurs, de toutes les tailles, de toutes les formes, masculines comme féminines, et il ne parlait même pas de tout ce qu’il aurait préféré ne jamais avoir à connaître, au point que, si ça continuait, il allait virer allergique au sexe, en mode éruption nerveuse à la moindre vue d’un attribut sexuel en gros plan. Pour contrebalancer, il avait découvert quelques trucs à tester plus tard. Enfin, quand il ne serait plus en overdose de sexe…

Heureusement pour lui, il ne se coltinait pas que les films pornos, il avait aussi droit aux films érotiques même si, par moments, la différence entre les deux était vraiment légère. Au moins avait-il la chance d’y voir un peu moins d’organes génitaux en action et ça, c’était déjà un soulagement. Il était d’ailleurs certain que c’était uniquement pour qu’il ne pète pas un câble que son boss les lui faisait aussi classer. Il y avait des limites à ce qu’une personne pouvait endurer en une journée et il frôlait déjà les siennes en permanence. Il en était à se demander comment pouvaient bien faire les professionnels de ce milieu… Quoique, à bien y réfléchir, ils en voyaient sans doute moins que lui.

À l’écran lui faisant face, la blonde peroxydée et son cavalier en étaient à la sodomie. Il soupira encore une fois. Sérieusement, ne pourraient-ils pas varier un peu ? La pensée eut à peine le temps de lui traverser l’esprit que ses alarmes y résonnèrent. Noooon, en fait, il savait trop bien que oui : ils pouvaient changer, mais que ce n’était pas forcément une bonne chose. Blasé, il enclencha un autre film sur le deuxième PC et continua à avancer en mode rapide sur le premier.

Un nouveau coup d’œil à sa montre s’ensuivit, un geste de lassitude de la main dans les cheveux, une légère hésitation… Vingt-cinq minutes s’étaient écoulées. Après tout, il n’était pas payé à la tâche, non ?

Oui café, pensa-t-il.

Il sortit de la pièce dans laquelle il travaillait ou, comme il l’appelait parfois, son placard. En réalité, c’était abusé de le décrire ainsi, même s’il bénéficiait de peu de place, mais c’était son ressenti. Meublé d’un bureau un peu large sur lequel trônaient trois ordis, dont l’un datait tellement qu’il mettait trois plombes à démarrer et sur lequel il n’avait mis encore aucun film ce matin-là (deux, déjà, ça allait bien pour sa tension nerveuse). Et puis, il plantait de toute façon une fois sur deux quand il lançait un visionnage en accéléré. Du coup, il l’utilisait la plupart du temps pour les pornos gay. Au moins était-ce plus agréable, compte tenu de sa propre orientation sexuelle, que l’action y passe à un rythme normal. Enfin, ça dépendait de quel genre de porno gay on parlait. Parce que, là encore, il y avait vraiment de tout. Il atteignait d’ailleurs un niveau de lassitude qui le désespérait à ce sujet aussi. Il allait finir asexuel, ce n’était pas possible autrement.

Pour le reste, il n’avait pas à se plaindre, le fauteuil était confortable, la vue par la fenêtre n’était pas déplaisante et le petit courant d’air qui en provenait rafraîchissait agréablement l’atmosphère de la pièce. Il fallait bien qu’il y ait des côtés sympas. Paraissait-il qu’ils avaient du mal à garder les gens très longtemps à ce poste. La bonne blague… Ce n’était pas lui qui aurait du mal à comprendre pourquoi. Dès qu’il le pourrait, il ferait une demande de mutation vers un autre secteur, d’ailleurs. Action, aventures ? Il prendrait même les comédies romantiques si on les lui proposait. Meg Ryan, Hugh Grant et cie, il signerait direct. Il se réjouirait de voir des ersatz de Buffy contre les vampires pour étudiants attardés… Tout et n’importe quoi, en fait. Il passerait juste son tour sur les films d’horreur : pour ce qui était des films 18+, il avait assez donné.

Se munissant de sa carte, il fit « pause » sur les vidéos en cours ; s’il n’avait pas été plus consciencieux, il les aurait laissé continuer en son absence, pas faute d’en être tenté… Prenant à droite en sortant de son bureau, il remonta le couloir d’un pas lent. Ce job était en train de le transformer en fonctionnaire de bas étage qui perdait son temps en pauses-café, commençait son heure de déjeuner cinq minutes en avance et la terminait avec un quart d’heure de retard.

Il salua une de ses collègues d’un petit sourire et tourna dans la pièce où se trouvait la rangée de machines. Café, thé, cappuccino, soupe, similimélange à la Starbucks, il y en avait pour tous les goûts. L’endroit était désert et c’était très bien comme ça. Sans être asocial, les conversations bateau avec ses collègues ne le passionnaient pas vraiment, et puis il y avait des moments comme celui-ci où il avait juste envie d’être seul.

Une fois sa carte dans l’une des machines à disposition, il choisit un café long et sucré dont le gobelet atterrit dans sa main une petite minute plus tard. Il se recula jusqu’à s’adosser au mur à côté de la fenêtre et laissa son regard vagabonder sur l’open space qui se trouvait au centre du bâtiment. Mis à part son « placard », les autres bureaux donnaient toutes par des baies vitrées sur cet espace où se rassemblait le plus gros des employés. L’ambiance y était studieuse, chacun à son poste, travaillant ou donnant le change sur son ordinateur. Peut-être que ça faisait mauvais genre d’être là à touiller le sucre de son café alors que les autres taffaient ? Qu’ils aillent se coltiner son boulot et on en reparlerait. Tout en soufflant sur sa boisson, il poursuivit son petit tour d’horizon jusqu’au bureau de son boss : Juan Horcas.

Juan Horcas. À prononcer à l’espagnole, comme pour Juan Pablo Montoya, le pilote automobile.n roulant les « r » sur le « J » du prénom : Juan.

Le type qui aurait dû être en train de poser sur des magazines à moitié nu plutôt qu’en costard-cravate dans un bureau. Juan avec sa belle gueule d’hidalgo et son accent à faire fondre l’iceberg du Titanic. Juan et ses chemises qui laissaient bien trop (ou pas assez) deviner ses épaules et son torse et ses saletés de pantalons à pince qui moulaient bien trop son cul. Juan qui lui donnait l’impression d’être en mode Robin de How I’ve met your mother à son retour de son trip argentin quand elle se radine à New York avec son amant « ibérique » et qu’il imaginait bien trop facilement lui susurrer un « savoure ta nourriture » tout en le nourrissant du bout des doigts. Bref, Juan sur lequel il fantasmait un peu trop à son goût.

Mais bon, qu’y pouvait-il ? D’une, il avait toujours eu un faible pour les accents et sa façon de prononcer « tou » au lieu de « tu » était tout à fait craquante même quand il passait une soufflante à quelqu’un. Encore qu’il préférait que ça ne soit pas à lui parce que, même si Juan était sympa et ouvert, quand il demandait que quelque chose soit fait, il fallait que ça le soit, point. De deux, parce qu’il était sexy à en crever et que c’était bien trop pour un type qui restait quand même son patron. Et de trois, parce qu’avec le merveilleux #JobEnOr qu’il se tapait, malgré tout son désespoir à ce sujet, son esprit était en permanence envahi d’images sexuelles dans lesquelles, bien contre son gré, Juan avait parfois tendance à apparaître. #MaVieProfessionnelleEstUneMisère. #TuezMoi. Du coup, il préférait éviter de se retrouver en tête à tête avec lui et faisait ce qu’il fallait pour que Juan n’ait rien à dire à son sujet, en mal comme en bien, au point que, la dernière fois que l’homme les avait rejoints, lui et ses collègues, pour une pause-café, il s’était cramé le palais et la langue en avalant trop vite sa boisson pour partir aussitôt se remettre au boulot.

#LaLoose.

Il ignorait si Juan se rendait compte qu’il le fuyait, mais si c’était le cas, il supposait que celui-ci l’analysait seulement comme une attitude classique d’un employé envers son patron et non pas comme le fait qu’il voulait juste s’éloigner de son crush du moment. Du moins le souhaitait-il parce qu’il avait parfois l’impression d’être terriblement transparent quand il ne parvenait pas à s’arracher à sa contemplation, comme maintenant : quand il le suivait du regard, l’observait se pencher au-dessus d’un bureau, quand ses yeux s’égaraient un peu trop longtemps sur les appétissants reliefs de son corps. Il espérait aussi que Juan n’avait jamais remarqué le rougissement qu’il sentait lui réchauffer les joues quand leurs regards se croisaient. D’un autre côté, Juan devait être habitué à ce genre d’attention. Et Florian était beaucoup, beaucoup, beaucoup (oui, tout ça) plus discret que certaines de ses collègues qui flirtaient ouvertement avec Juan #BourreauDesCœurs. Alors, oui, sans doute que son boss n’avait rien relevé et c’était très bien ainsi.

Ce n’était pas quelque chose d’inhabituel pour lui, en même temps. Le passé le lui avait bien appris : il se débrouillait systématiquement pour être attiré pile-poil par la personne avec qui il ne fallait pas, et ce avec une régularité absolument effrayante. Que ce soit son professeur de philosophie au lycée, le frère marié de sa meilleure amie, son ancien boss et le mec chelou en attente de procès pour vol de voiture qui l’avait pris en stop au retour de ses dernières vacances, il se retrouvait toujours dans ce cas de figure. Et pour avoir craqué avec deux d’entre eux (et il ne dirait jamais lesquels !), il était bien placé pour savoir que ça n’était pas une bonne idée.

D’une longue gorgée, il vida la quasi-totalité de son gobelet et en observa pensivement le fond pour arrêter de mater Juan et se concentrer sur autre chose… Et cette autre chose était qu’il allait falloir s’y remettre malgré sa motivation toujours aussi proche de zéro. Un long soupir lui échappa : un nouveau long soupir… Il aurait presque été tenté de prendre un second café, mais les enchaîner lui collait généralement des palpitations.

— Ah, Florian, l’homme que je voulais voir !

Il sursauta à cette exclamation (raté pour les palpitations !) et releva la tête vers Juan, accoudé nonchalamment contre le chambranle de la porte de la salle de repos, en mode photo pour Calvin Klein et il le faisait exprès, non ? Il ne pouvait que le faire exprès, ce n’était pas possible. Personne ne pouvait être aussi sexy comme ça naturellement ! Il avait dû travailler ça devant sa glace ou… Toujours est-il qu’il sentit aussitôt les battements de son cœur s’accélérer. Du coup, il fut incapable de retenir son expression de surprise à le voir là. Et puis comment était-il arrivé ici aussi rapidement ? Il n’avait pas eu un blanc si long que ça à essayer de se motiver pour retourner auprès de ses pornos, non ? Y’avait-il eu une faille spatio-temporelle ? S’il remarqua sa perplexité (et il ne doutait pas que ce fût le cas), Juan n’en laissa rien paraître. Le sourire qu’il lui décocha à cet instant fit juste se contracter son ventre qui vira en mode chamallow fondant, et il se retrouva à détailler du regard chaque trait et chaque courbe de son visage ô combien séduisant.

— Huhum ? lança-t-il, au maximum de ses capacités d’élocution.

— Tu vas bien ? l’interrogea Juan.

— Euh oui, oui. Je… j’y retournais, annonça-t-il en allant jeter son gobelet vide.

— Je voulais te parler, tu reprends un café ?

— Euh… Oui, oui.

Enfin, la réponse aurait dû être « non » (et ses palpitations ?), mais il n’était plus en mesure de faire mieux sur le coup.

— Tu sais dire autre chose ? s’amusa Juan, son rire rendant sa voix encore plus sexy.

C’était tout de même incroyable qu’il ait pu en arriver à ce que des dizaines de queues sur écran ne lui fassent plus aucun effet quand un simple roulement de « r » et un rire rauque suffisaient à lui coller la trique. Il ouvrit la bouche, prêt à répéter un nouveau « Euh, oui, oui » qu’il retint à peu près pour le transformer en un baragouinage pire encore :

— Euhou…

La vie le détestait. Et il se détestait encore plus. Il tenta de se reprendre :

— Bien sûr.

Il allait finir par rougir avec ces conneries. Il était un mec, merde ! Il n’allait pas se laisser décontenancer comme ça. Un nouveau petit rire s’échappa de Juan et Florian l’observa s’approcher de la machine à café d’une démarche prédatrice ou, du moins, ce fut son impression. Le regard profond que lui adressa Juan lui fit se racler la gorge, mal à l’aise, et détourner le sien. Quand il le ramena de nouveau sur son patron, celui-ci fixait la machine devant lui.

— Je te prends quoi ? Café, chocolat, thé.

— Un café avec du sucre.

— Tu ne veux pas changer, pour une fois ?

Florian fronça les sourcils. Les yeux noirs de Juan se posèrent sur lui comme il reportait son attention dans sa direction. Son visage légèrement penché vers le bas renforçait un peu plus l’impression de virilité qui se dégageait de lui.

— Co… comment sais-tu que je prends toujours ça ? demanda-t-il, surpris et sur la défensive.

— Je t’observe.

Florian en resta coi. Juan aurait dû dire… Un patron aurait dû dire : « je suis observateur », et non pas cette étrange tournure de phrase. Le fait qu’ils se trouvent dans un bureau vitré, soit un endroit où les autres employés pouvaient les voir discuter, même s’ils ne les entendaient pas, ne contribuait pas à le mettre à l’aise, mais avant qu’il puisse réfléchir davantage aux propos de Juan, celui-ci enchaîna.

— Tu n’aimes pas t’essayer à quelque chose de nouveau ?

« T’essayer ? » et pas « essayer » tout court ? C’était bizarre ça aussi comme tournure de phrase, non ?

— Euh…, répondit-il très intelligemment.

Pour sa défense, cette conversation, bien que potentiellement anodine, le perturbait. Il y avait quelque chose chez Juan qui était différent de son habitude, quelque chose de subtil… Une once de charme et peut-être de domination qu’il n’avait pas l’impression d’avoir vue avant.

Sa main passa nerveusement dans sa chevelure, tandis qu’il cherchait à se persuader qu’il s’imaginait des choses. Tous ces pornos où les acteurs se sautaient dessus pour n’importe quelle raison lui montaient à la tête, c’était évident. Il ne manquait plus que son attirance naturelle pour Juan s’y ajoute pour qu’il se fasse des films.

— Pourquoi pas ? répondit-il à sa proposition.

— Je choisis, alors.

Florian ne chercha pas à savoir ce qu’il lui prenait et se contenta de le remercier quand il lui tendit son gobelet. Un gobelet plus grand que celui de son café ordinaire. Il porta la boisson à son nez, humant une odeur sucrée de caramel et de café.

Un souffle chaud sur son visage lui fit de nouveau relever brusquement la tête pour se trouver à quelques centimètres de Juan. Il fallait qu’il arrête de regarder dans son verre si ce type se rapprochait comme ça à chaque fois. Ou alors, il fallait qu’il recommence… Il ne savait plus.

— Goûte.

OK, il se faisait sans doute des films, mais Juan n’était vraiment pas loin du « savoure ta nourriture » là, non ?

Il souffla sur la boisson avant d’en prendre une très légère gorgée, ses yeux toujours ancrés dans ceux de Juan. Le frisson qui le parcourut à cet instant fut forcément visible, mais Juan ne dit rien.

— Alors ? Tu aimes ?

Bon sang qu’elle était sexuelle, cette conversation !

— Oui, c’est bon, très sucré, mais bon.

Juan hocha la tête, visiblement satisfait, et se recula d’un pas. Florian eut la sensation bizarre de pouvoir mieux respirer.

— Je savais que tu aimerais.

— Pourquoi ?

— Je le trouve très bon aussi, et j’ai dans l’idée que nous avons des goûts en commun.

Il essaya d’évacuer de son esprit le fait qu’il avait entendu dans un premier temps « je te trouve très bon » et jeta un regard bref vers l’open space pour confirmer que personne ne les observait. Il était fatigué. Ce devait être ça. Pourtant, était-ce de la connivence qu’il avait l’impression de lire dans les yeux de Juan ? Il choisit de ne pas rebondir sur ce qui lui venait réellement à l’esprit, du genre que Juan lui faisait comprendre qu’il était gay lui aussi. Après tout, il n’avait jamais rien dit de sa propre orientation, même si sa manière de traiter les pornos gay avait de quoi le trahir. Quant à Juan, il n’en savait strictement rien et il s’était retenu autant que possible, jusque-là, d’émettre la moindre hypothèse à ce sujet. C’était bien mieux pour sa santé mentale, il fantasmait déjà suffisamment sur lui comme ça sans avoir besoin d’ajouter de l’eau à son moulin.

— Ah, j’aurais dit que tu prenais ton café noir, se permit-il de lâcher à Juan.

— Pourquoi ?

— Je sais pas, le côté…

Mâle, viril, corsé… aucun des mots qui lui venaient à l’esprit ne pouvait dignement être balancé à son boss.

— Enfin, je sais pas, c’était une idée comme ça. Tu voulais me parler ?

Changer de sujet, revenir sur quelque chose de cadré, comme discuter boulot.

— Oui, je voulais te dire que nous allions avoir un nouveau genre de films à partir de mercredi.

Florian ne retint pas une grimace. À quoi devait-il s’attendre si Juan venait lui en parler en personne ?

— Rien d’affreux, rassure-toi, s’amusa ce dernier. Ce sera une catégorie de films Boy’s love. Tu vois ce que c’est ?

— Absolument pas. Même si le nom donne une image.

Limite, dit comme ça, ça paraissait même plus anodin, mais il se méfiait de tout, au point où il en était.

— Nous voulons essayer de toucher un certain public féminin avec quelques-uns de ces films, tout en attirant également les hommes adeptes de ce genre de scénarios. Néanmoins, ils s’étalent de l’érotique au pornographique, on aura donc besoin de les classer comme les autres. Tu devrais en avoir une vingtaine pour commencer. On verra si ça fonctionne.

— D’accord.

Il peinait toujours à ne pas grimacer, mais il devait être un peu traumatisé par ce boulot, de toute façon. Et puis, surtout, il ne voulait pas prolonger la conversation avec Juan. Il s’envoya d’un coup le restant de son café/mocha/truc sucré dans la gorge, ce qui ne manqua pas de la lui brûler, forcément. #MaVieEstUnEnfer. Et il pivota sur ses talons.

— Florian ?

Lorsqu’il tourna la tête, Juan le fixait d’un regard beaucoup trop incisif à son goût. Ce type devrait absolument faire des photos pour Dolce & Gabbana : celles de Tom Ford, bien sexe et transgressives.

— Je compte sur toi, ajouta-t-il.

Florian hocha la tête, trop décontenancé pour émettre le moindre mot, puis fila loin de la machine à café, loin de Juan, loin de son crush incontrôlable… Plus près de ses vidéos pornos.

Une pensée suffisante pour lui faire voûter les épaules.

Alors qu’il traversait les couloirs, il ne put s’empêcher de s’interroger sur l’attitude de Juan.

***

Trois fois.

Florian laissa tomber son front sur le bureau face à lui et l’y frappa trois fois.

Il. Allait. Mourir.

Déjà, et ça Juan s’était bien gardé de le lui dire, les Boy’s Love, ce n’était pas des « films ». Ou pas seulement, en fait. Il y avait bien quelques films assez light et franchement, il avait été content. Rien de traumatisant, des mecs un peu efféminés pour certains, des jeunes hommes avec des histoires très romantiques qui lui auraient fait lever les yeux au ciel un an plus tôt, mais qu’il avait accueillies avec bonheur. C’était peut-être un peu niais par moments, mais les scènes de sexe étaient plutôt agréables à regarder même s’il n’était pas attiré par les physiques asiatiques. Mais en toute franchise, il avait senti une certaine excitation le gagner et ça faisait longtemps que ça ne lui était plus arrivé devant des vidéos de son taf. Mais, parce qu’il y avait un mais, ce n’était pas uniquement des films… oh non, il y avait aussi des « animes », ce qui voulait dire que :

Primo, on ne trouvait pas de vrais mecs dedans, mais des personnages dessinés dont les physiques se déclinaient de la crevette anorexique aux longs cheveux et cils chez qui on cherchait désespérément où pouvaient bien être les attributs masculins, aux gros warriors aux poils aussi nombreux que les muscles hypertrophiés, même à des endroits où, normalement, il n’aurait pas dû y en avoir, et avec des sexes si imposants qu’en vrai ce serait un handicap d’en avoir un comme ça.

Et deuxio, que tout, même le plus improbable physiquement, le plus extrême, le plus dégueulasse, tout y était possible !

Au départ bien sûr, il s’était dit que ce serait OK. Le premier qu’il avait lancé l’avait mis en confiance : Sensitive pornograph. C’était soft, une suite de petites histoires qu’il aurait qualifiées de mignonnes en soi, même si la deuxième était un peu limite niveau consentement. Il ne voyait pas bien en quoi cela pouvait viser une clientèle féminine, mais Juan lui avait expliqué devant un autre café (et il se faisait peut-être des films, mais il avait trouvé une fois de plus que la conversation avait des allures étranges, et il s’était de nouveau brûlé) que certaines femmes aimaient les films mettant en scène des relations sexuelles entre hommes. Florian avait bugué sur l’idée, avant de buguer sur la langue de Juan venue lécher sa lèvre pour ramasser le café qui s’y trouvait. Geste qui aurait pu être anodin s’il n’avait été accompagné par un de ces regards dont il se demandait de plus en plus s’il ne signifiait pas que Juan lui faisait des avances. Après ça, il avait de nouveau fui vers son bureau pour enchaîner sur son boulot. Et comme il l’avait regretté… Après le soft des premières vidéos, c’était parti en live total. Il avait même eu droit à du tentacle porn – alors, celui-ci, il avait dû carrément demander à ce que cette charmante catégorie soit ajoutée aux autres tant il ne voyait pas, sinon, où classer la vidéo concernée !

Et puis, en plus, comment faire pour distinguer l’érotique du porno, là-dedans ? Il la classait où, la vidéo dans laquelle le mec qui ressemblait à une fille poussait des cris aigus en se faisant pénétrer sans qu’aucun détail ne soit visible, soit de manière totalement suggestive par un tentacule du diamètre de son bras ? Il en faisait quoi des cinq types aux muscles et aux verges surdimensionnés qui partouzaient dans les vestiaires, mais en se susurrant tout le long des mots d’amour ? Et elle était où, au fait, la corde pour qu’il se suicide ? Est-ce que les gars en haut lieu s’étaient dit que c’était plus acceptable parce qu’il ne s’agissait pas de films avec des personnes réelles ? Eh bien, grande nouvelle, la réponse était non, NON, NON et NON !

— Rien d’affreux, râla-t-il devant la scène qui se déroulait face à lui. Rien d’affreux.

C’était ce que lui avait dit Juan, il s’en souvenait parfaitement bien. Si ça se trouvait, il avait essayé de lui faire vaguement du charme pour qu’il le croie et pas du tout parce qu’il avait une quelconque attirance envers lui. Il hocha la tête à cette pensée. Oui, c’était tout à fait possible, ça. Juan avait peut-être remarqué, malgré ses efforts pour le cacher, qu’il avait un faible pour lui et en avait lâchement profité. Quoi qu’il en soit, c’était du foutage de gueule, oui madame ! La seule chose qui le consolait était de se dire qu’un autre type (ou une nénette) s’était coltiné les mêmes films que lui pour en faire la traduction. Surtout que franchement, c’était quoi ces dialogues mélangeant mots crus et mots d’amour ? L’association des deux le laissait plus que perplexe.

De plus, tout cet ensemble soulevait de vraies questions quant au classement qu’il devait opérer. Il ne pouvait décemment pas mettre la vidéo qu’il était en train de se taper dans la même catégorie que les softs où, certes, on voyait les détails de pénétrations et où les dialogues pouvaient être tout aussi mièvres, mais qui restaient beaucoup plus romantiques et consensuels.

Il poussa un interminable soupir de lassitude… De la longueur du Mississippi, au moins. Devrait-il en parler à Juan ? Son patron pourrait peut-être être de bon conseil. Il le lui avait dit d’ailleurs, de ne pas hésiter à venir le voir s’il avait des questions… juste avant de poser sa main sur son épaule dans un geste de virile camaraderie avant que sa paume ne glisse avec douceur le long de son bras et que des frissons lui remontent tout le long de l’échine. #LifeSucks.

Aller lui parler, en voilà une idée qu’elle était bonne ou… Il y réfléchit un instant. Non, non, non, non, non, mauvaise idée. C’était bien trop dangereux. D’autant que, s’il était parvenu à fuir Juan au cours des mois précédents, il lui semblait que cela devenait de plus en plus compliqué. À croire que celui-ci lui avait collé un radar de manière à être alerté à chaque fois qu’il se pointait dans la salle de repos. Il avait même failli s’asseoir à côté de lui au self ! Et si jusque-là, il avait réussi à contrôler ses pensées et potentiels sentiments à son égard, ça, ajouté à leurs derniers échanges, risquait grandement de mettre en péril l’équilibre dans lequel il s’était complu.

Non, il décida qu’il devait rester coûte que coûte dans son bureau. Il passa donc à un autre film. Il lui restait quelques bons vieux pornos des familles de l’avant Boy’s love à traiter, ce serait parfait pour sa fin de journée.

Ainsi sombre la chair – Déni

Déni

J’ai toujours eu beaucoup de mal à supporter les campagnes contre la violence conjugale.

Ce que je ne supporte pas, c’est cette sempiternelle photo de coquard. J’ai été bénévole, à une époque, dans un centre d’accueil social et je les ai vues, les écorchures et les hématomes sur le bras, le dos ou la cuisse, ainsi que les regards fuyants quand elles expliquaient qu’elles étaient tombées. Ce fichu « escalier », qu’elles dégringolaient toutes. Quand elles sortaient leur mensonge. J’ai vu dans leurs yeux qu’elles savaient que c’était vain ; que je savais. Qu’on savait toutes les deux. J’ai écouté longuement l’histoire d’une jeune mariée d’origine sénégalaise qui n’osait pas porter plainte parce que son mariage était déjà soupçonné d’être un mariage blanc. Plus jeune, je ne comprenais pas pourquoi elles restaient. Ça me dépassait. Je me vantais que « moi, jamais » et autre « un homme me frappe une fois, je le quitte ». Conneries ! Conneries intersidérales… Ayme ne m’a jamais frappée, non. Jamais. Il ne m’a jamais fait mal volontairement, mais ces femmes blessées n’avaient pas toujours des traces de coups, pas dans le sens de ce coquard qui représente la caricature de la violence conjugale, en tout cas. Plutôt des mains serrées trop fort autour de leurs bras. Et des chutes, oui. Comment et où elles avaient été poussées déterminait plus l’ampleur des dégâts.

Ayme ne m’a jamais frappée, donc, mais il m’a poussée, et je l’ai poussé aussi, je l’ai frappé, moi, pas fort, des poings idiots sur son torse, je l’ai même surement poussé plus vivement que lui ne l’a fait, mais je suis faible vis-à-vis de lui alors l’effet ne pouvait pas être pareil. Et il y a eu des gestes choquants, des gestes qui continueraient de l’être. Ses mains, plaquées soudain contre mon cou. La façon dont il m’a fait tomber, une fois, sur le dos sur le lit. Pas de douleur, mais une putain de violence dans les gestes et un abominable frisson d’effroi. Et la peur, derrière, qui s’est installée lentement.

Il n’y a pas d’explication facile à donner à ces altercations, aussi. Je ne peux pas dire qu’on s’engueulait pour des raisons précises, parce qu’elles étaient toutes aussi connes les unes que les autres, ces raisons, et que ce n’était même pas les bonnes. Il y avait juste trop de souffrance. Ayme avait tellement de douleur en lui, et il n’arrivait pas à la faire sortir. Et, bien sûr, le fait de consommer certains produits n’arrangeait rien, pour moi non plus, mais à ce moment-là de nos vies, c’était devenu comme un médicament dont on ne pouvait plus se passer, aussi.

Alors parfois, parce qu’il y avait eu ce « trop » qui lui rendait plus intolérable, encore, toute sa souffrance – une situation plus dure que les autres au travail, l’arrivée de la date anniversaire de l’accident ou de naissance de son petit frère, une engueulade qui survenait pour un motif à la con… –, il y avait quelque chose qui se fissurait en lui, et qui partait vers l’extérieur et, comme j’étais la seule vers qui ça pouvait aller, ça me partait dans la gueule. Et je ne savais pas comment enrayer ça.

Et j’avais peur.

La peur est quelque chose qui peut être aussi violent que les coups, j’en suis certaine. Ne pas reconnaître la personne que l’on a en face de soi, voir l’étranger s’incarner à la place de l’être aimé, ne plus savoir ce qu’il va advenir, sentir à quel point tout peut devenir possible… Et se fermer. Pour se protéger. Ou parfois crier plus fort, ou parfois être plus violent, être parfois même juste la seule personne violente physiquement. Par peur. Par moyen de défense.

On ne peut pas avoir peur de la personne qu’on aime. Ce sont deux sentiments inconciliables, aliénants, insupportables…

Alors, je sais pourquoi elles ne partent pas, maintenant. Certaines, en tout cas. Pas toutes.

Elles ne partent pas parce qu’elles ne veulent pas admettre que c’est arrivé. C’est un déni commun. Aucun des protagonistes ne veut admettre que c’est arrivé. Qui veut admettre que sa vie rêvée avec l’être que l’on aime de toute son âme, et avec qui on s’est projeté si loin, s’est vu âgé, se tenant la main, s’est engagé de mille façons différentes – maison, enfants… – autour de qui on a construit son existence, vient d’être détruite de la même manière que ces centaines de petits bouts de verre qui glissent vers le sol ? Qui veut voir ça : ce rêve qui se brise, cette vie qui ne sera plus jamais la même ? Alors on se dit que ça n’arrivera plus jamais : normal, ça n’aurait jamais dû arriver, déjà. On ne part pas et on ne parle pas non plus. Que personne ne sache, surtout : ça donnerait aux évènements une réalité dont on ne veut pas.

Ça forcerait à l’admettre.

Ce n’est pas arrivé.

Et on fait tout ce que l’on peut pour s’en persuader.

Ainsi sombre la chair – Violaine (partie 2)

Durant le trajet, on ne parla que musique et encore musique. Pas un instant, il ne s’intéressa à ce que j’étais, moi. Même simplement me posa une question. Peut-être était-il habitué à avoir des groupies prêtes à dire « oui » à n’importe quoi pour le seul loisir de le suivre. Peut-être s’en foutait-il totalement. Ça m’interrogea mais, dans le fond, ce ne fut pas ce qui occupa le plus mon esprit. D’autres considérations y prenaient place. Des divagations.

Le poids de son corps sur le mien et la sensation de ses doigts dans mon sexe.

Et le fait que je ne le connaissais pas et que j’étais pourtant en train de le suivre chez lui au beau milieu de la nuit.

Il habitait un appart un peu crade, dans un de ces vieux immeubles à moitié délabrés du vieux Lyon, un appart avec du bazar partout, une hygiène douteuse, un carton scotché à une fenêtre pour remplacer un morceau de verre manquant et plein de bouteilles d’alcool.

– Je peux ? dis-je en en prenant une entamée.

Il se tourna vers moi depuis l’ordinateur qu’il venait d’allumer.

– Oui.

Je cherchais un verre. Sa table basse était pleine de feuilles de papier à cigarette, de verres sales – pas tout à fait ce que je voulais, et comment est-on censé se considérer quand on répugne à boire dans un verre déjà utilisé par un inconnu mais qu’on fantasme d’avoir sa langue et sa queue dans sa bouche, d’ailleurs ? –, de brouillons de paroles entassées et froissées, de tickets de métro déchirés et de cendriers pleins à l’odeur âcre de tabac froid. Un reste de joint y trainait. Je songeais à le rallumer – ce serait dégueulasse mais j’étais prête à faire n’importe quoi ; j’avais envie de faire n’importe quoi, en fait. Je le sentais au fond de moi-même. De « lâcher »…

– Tu as des verres dans ta cuisine ?

– Oui, me répondit-il sans se retourner. Cherche.

J’entrais dans la kitchenette. L’évier était plein d’une vaisselle à l’agonie et la petite table accolée au mur tellement recouverte de tout et n’importe quoi qu’il semblait qu’y aller à la pelleteuse aurait été le moyen le plus efficace de la dégager. J’ouvris le placard mural, en hauteur. Des verres de formes différentes me firent face. Ternes. Pleins de traces de calcaire. J’en pris un.

Une fois revenue au salon, je me servis de la vodka. Je trouvais ça juste bon à arracher la gueule, mais ça collait à mon comportement du moment. Puisque je voulais me saouler, ce serait on ne peut plus efficace.

J’avais arrêté de fumer – des clopes – depuis près de deux ans, mais je lui demandais quand même en avisant son paquet sur la table basse :

– Je peux ?

Il pivota vers moi depuis sa chaise de bureau. Il avait l’air de se rendre tout juste compte que j’étais là, meuble qu’il avait ramené chez lui sans trop savoir pourquoi.

– Si tu veux.

J’hésitai.

– Tu n’as pas plutôt de quoi faire un joint ?

– Euh…

Pendant un instant, je me demandai s’il allait me foutre dehors.

Puis il me dit « si » et il farfouilla sur la table pour me sortir un morceau de shit de l’un de ses paquets de clope. Il le roula lui-même. Je savais faire – ces dernières années, j’avais fini par en préparer moi-même plus qu’Ayme, même, au point qu’il avait fini par rire, quelques fois, en disant que je n’avais plus besoin de lui ; c’était avant qu’on arrive au point de rupture, quand on était encore dans le déni tous deux et qu’on parvenait encore à être heureux, du coup –, mais Loïc ne me le proposa pas. C’était une de ces conceptions à la con habituelle, toujours : une fille, ça ne roule pas de joints – mais ça les fume, parfois. Je lui demandais sur quoi il travaillait.

Il travaillait sur ordinateur, comme pas mal de musicos actuels, je crois. Il avait des instruments de musique, je le voyais, mais il ne poussait pas la chansonnette en grattant sa guitare. Plutôt, il bossait les sons, les mixait, les arrangeait… Des sons qu’il avait créés et travaillés lui-même surement déjà avec ses instruments. Le genre était électro-rock, plutôt intéressant, même si on sentait une approche qui pouvait être encore approfondie. Il alluma lui-même le joint. Je bus de l’alcool, en attendant, et il se tourna pour recommencer à bosser sur son ordi, puis me tendit enfin l’objet que j’attendais. Je tirai de longues tafs dessus. Ce mec était vraiment bizarre. Je n’avais jamais rencontré quelqu’un comme lui, comme s’il se foutait, même, alors de ma présence. En même temps, ça allait avec ce que j’avais déjà remarqué chez lui : cette façon qu’il avait de n’être centré que sur ses intérêts perso, comme si le reste n’existait pas, pour lui, à peine un gazouillement qui le détournait parfois. J’étais déjà saoule et je fus vite stone. Je poussai le barda de son canapé – cette chose molle, défoncée par le temps, avec une couverture dessus pour en masquer les déchirures – et fermai les paupières. Je songeai à son corps sur le mien, fis défiler les images de ce qui n’arrivait pas, ce qui n’arriverait pas, tant je ne faisais rien pour le provoquer, juste les inventant dans ma tête.

Quand il revint chercher le joint, j’ouvris les yeux sur lui. Je devais être aussi « prenable » que possible, disponible et offerte. Il me vola mon cône, tira lentement dessus en m’observant de sa hauteur avec un air interrogatif.

– Tu t’appelles comment, au fait ? me dit-il.

Je lui répondis.

C’était à se demander pourquoi il avait posé la question tant ce fut flagrant qu’il s’en foutait. Ça ne lui apportait pas grand-chose de plus sur moi, de toute façon. Il était censé dire quoi, mon prénom ?

Je me demandai comment il devait me considérer ? Une pauvre fille, qui ne parlait pas, l’avait suivi chez lui et venait de lui boire son alcool et fumer son shit avant de lui montrer désormais à quel point elle voulait qu’il la saute. Une fille à baiser, facile, là, disponible, et dont il ne saurait jamais les désordres de l’esprit. Une fille qu’il ne comprenait pas.

Drôle de fille, sûrement.

Drôle de moi-même. Je ne lui demandais pas de me comprendre quand je sais que, moi-même, devant pareille situation, je serais restée tout autant perplexe.

Je ne le comprenais pas plus moi-même par ailleurs.

Et moi aussi, je m’en foutais.

Il inhala une autre taf. Je ne dis toujours rien.

– Tu veux regarder ce que je fais ? me dit-il au bout d’un moment.

Il ne paraissait pas en être sûr. Il paraissait plus me demander « qu’est-ce que tu fous là ? ». Je répondis quand même :

– Oui.

Il retourna vers son ordinateur tandis que je me redressai. La tête me tourna mais je pris appui sur les meubles alentour pour me tenir, et puis voilà. Il était resté debout devant son écran. Des rectangles de couleurs et des courbes s’y affichaient : la version numérique de l’art, les chiffres de la création. Je me posai à côté de lui. Il tourna la tête vers moi. Il tenait toujours le joint en main.

– Tu me fais tirer ? lui dis-je.

Il me considéra encore avec cette expression distante qu’il avait si aisément et qui, en plus de me mettre mal à l’aise, m’échauffait curieusement.

– Tu veux une soufflette ? me proposa-t-il enfin.

La proposition tapait en plein dans mes fantasmes. J’eus le souffle court lorsque je dis :

– Oui.

– Viens, dit-il en se tournant vers moi.

Je m’approchai.

Il tira une longue latte en me dévisageant. Je le trouvais toujours beau, laid… dans cette dualité troublante à mes yeux… Beau. Troublant. Puis, il retourna le joint dans sa bouche, posa la main sur ma nuque tandis que je penchai la tête, et approcha ses lèvres des miennes. J’inspirai profondément la fumée depuis sa propre bouche et ce fut comme un baiser.

Je faillis tomber par terre après ça. J’étais vraiment défoncée. Il me retint. Je devais avoir l’air d’attendre si vivement de me faire sauter, avec mes collants et ma mini-jupe froissée… J’avais déjà laissé mes talons à côté de son canapé. Et ça marcha. Loïc posa son joint dans le cendrier puis m’embrassa.

Ce fut un baiser un peu crade, entre haleine cendreuse et lèvres un peu molles, s’écrasant sur les miennes. Un peu dégoûtant, un peu excitant, comme ce que je vivais jusque-là, comme ce que j’éprouvais pour lui, curieux, avec un côté « puisque c’est là, je prends » qui me troubla et me dérangea en même temps. Je n’y répondis pas moins vivement. Ça me possédait toute entière désormais : je voulais qu’il me baise. C’était comme une obsession. Je n’avais plus eu de corps en moi depuis si longtemps, plus de désir me dépassant, plus de mains sur ma peau dont les gestes soient encore de l’ordre de la découverte… Ayme avait occupé tout mon espace au point qu’il n’en restait plus la moindre parcelle vierge, et pourtant c’était comme un terrain inconnu que j’offrais à cet autre. Ses mains, sur moi, étaient bizarres, sa façon d’embrasser était bizarre, sa pression sur mon corps était bizarre… L’acte ne l’était pas pour autant. Les gestes de l’excitation restent les mêmes partout, quelle que soit la culture, quelle que soit l’époque. J’enroulai les bras autour de son cou, vacillante. Il s’assit sur sa chaise d’ordinateur, m’attira sur ses cuisses, et je sentis son sexe tendu, avec son corps penché légèrement en arrière, et cette attitude qui ne semblait plus être celle du type se demandant ce que je foutais là mais saisissant ce qui était à sa portée.

Il reprit d’une main son joint et en tira une nouvelle latte pendant qu’il me fixait, pressée sur sa queue, avec ma jupe relevée à cause de la position sur ses cuisses. Mon entrejambe était moite et je sentis à quel point cette chair contre la mienne m’excitait. Il tira une seconde latte puis… il glissa la main entre nos bassins, non pas pour me toucher mais pour défaire sa braguette dont il sortit son sexe en se tortillant légèrement. Et, toujours sans me parler, il pressa mes épaules vers le bas, pour me faire descendre en direction de sa queue, ce qui me heurta et en même temps me contenta puisque c’était exactement ce que j’attendais de ce type de rapport. Cette façon d’être, qu’il avait, et qui était ce qui m’avait attirée vers lui. Et ce geste allait bien avec son personnage.

Loïc m’incitait donc à le sucer comme le font tous les mecs qui ne savent pas comment le demander, c’est-à-dire en poussant sur ma tête, et mon pouls s’était accéléré jusqu’à taper frénétiquement.

Parce que, soudain, c’était concret.

Et ce n’était pas comme se « laisser faire ». C’était à des années-lumière de fermer les yeux et attendre que la situation se joue sans moi, même malgré moi, dans une passivité choisie jusqu’à ce que je décide soudain d’arrêter tout et de fuir comme je l’avais fait, les fois précédentes. Là, Loïc me demandait d’agir, et il me poussait à ça alors qu’on s’était à peine embrassés et que j’étais encore loin de savoir si je voulais vraiment ce qui était en train d’arriver. Je l’observai reprendre son joint pour tirer de nouveau dessus en me regardant, comme s’il se demandait ce que cette fille inconnue qui l’avait suivi chez lui allait faire désormais.

Je m’agenouillai.

Mon cœur battait à tout rompre, mon sexe pulsait, et ma tête était en vrac.

Dans le fond, j’aurais voulu qu’Ayme puisse être cet inconnu qui me baiserait pour rien d’autre que le sexe.

Ce fut ce que je pensai, à ce moment-là.

Ça aurait été tellement plus facile, ainsi, mais ce n’était pas possible, et c’était pour cela que le geste de Loïc représentait exactement ce dont j’avais besoin, dans le fond : soit celui d’un  mec que je ne pouvais pas estimer, qui ne représenterait jamais quoi que ce soit pour moi, que je n’appréciais même pas. Qu’il me prenne pour ce qu’il voulait, après tout. Pour un objet qui allait s’ouvrir sur son sexe ou pour une groupie débile ; rien de ce qui était moi, en définitive.

J’examinai sa queue qui était d’une taille tout à fait normale mais d’une belle forme, et j’hésitai à lui parler de capote. Je le devais mais, connement, le mot ne voulut pas sortir. Je décidai alors de le sucer, mais sans aller jusqu’à le faire jouir, et la sensation même de son sexe dans ma bouche me troubla… Je n’avais plus senti que celui d’Ayme pendant si longtemps. C’était comme si je réapprivoisais quelque chose en moi, et je vis bien que Loïc apprécia. Il respirait fort, renversait périodiquement la tête en arrière, et ne tirait plus du tout sur son joint, bien qu’il le tienne encore entre ses doigts. Quand je retirai enfin ma tête de son sexe et levait les yeux sur lui, il m’attrapa par le col, me relevant d’une façon un peu brusque, et m’embrassa avidement avant de me faire reculer vers le canapé.

Il était excité et pressant, et moi languide, liquide, entre ses mains.

Sa langue envahit ma bouche, ses mains le dessous de mes vêtements. J’étais stone, mais je perçus avec une grande acuité le toucher de ses mains sur ma peau, la pression de son corps contre le mien, le goût de sa langue, de sa bouche… Je chutai sur le canapé, et l’observai ôter son t-shirt avant de venir sur moi. Son corps me surplomba. Sa bouche ne lâcha pas la mienne, me laissant comme ivre, comme si le nœud du vertige se trouvait là et que rompre ce contact serait revenir à la réalité. Je ne le voulais pas. Je levai les bras pour faciliter son geste quand il releva le haut de ma tenue, me cambrai lorsqu’il baissa la dentelle de mon soutien-gorge pour embrasser l’un de mes seins et aspirer mon mamelon dans sa bouche. Il le fit suffisamment fortement pour que ce soit presque douloureux… Et excitant aussi. Je le laissai dégrafer ma jupe. Je poussai même moi-même sur la ceinture de son pantalon, pour l’inciter à le retirer. Il se redressa pour le faire, se déshabillant debout.

Je n’avais pas de capotes. Heureusement, il en avait. Et je n’eus pas besoin de lui demander d’en sortir.

J’eus juste peur. Peur parce que ça faisait trop longtemps qu’aucune verge ne m’avait pénétrée et je me mis vraiment à flipper que ça me fasse mal. Qu’il me fasse mal. Et que je ne puisse pas le lui dire comme je l’aurais fait avec un autre – comme je l’aurais fait avec Ayme –, ou qu’il ne m’écoute pas.

Il se rallongea sur moi, fourra ses doigts dans mon sexe, baisa mes seins, et revint, toujours, enfoncer sa langue dans ma bouche, et s’en emparer tandis qu’il possédait mon corps. C’était si bizarre d’avoir ces doigts anonymes en moi, et cette bouche inconnue contre la mienne, et ce corps inhabituel pesant sur le mien…

Sa queue, enfin, finit par me pénétrer. Il remonta mes jambes sur ses épaules, me faisant me raidir de crainte, puis entra d’un coup en moi, trouvant ma chair moite et humide et, en même temps, intensément étroite, ce qui me fit comme un coup de poignard. Et il le dit, d’ailleurs :

– Putain, qu’est-ce que tu es serrée.

Il ne se rendit pas compte de ce que ça signifiait, pour moi, et comment l’aurait-il pu, après tout ? Je m’étais tellement présentée en fille facile, accessible, alors il ne pouvait pas imaginer que ça faisait si longtemps que je n’avais plus été pénétrée. Les premiers temps ne furent donc pas agréables, mais mon corps retrouva finalement le chemin qu’il n’avait pas oublié et ce fut comme une délivrance. Quelque chose de violent, psychologiquement et physiquement, et j’accueillis avec un plaisir ivre les coups de reins qu’il me donna, allant jusqu’à le serrer avec force alors qu’il se déhanchait en haletant contre mes lèvres. Et, quand il me demanda de me retourner pour me prendre par derrière, je lui exposai mon postérieur avec une gêne rentrée que j’oubliai vite quand il serra les mains sur mes hanches pour me prendre avec vigueur.

Je ne jouis pas. Je n’en avais pas vraiment besoin. Loïc, lui, oui. Il atteint son orgasme assez rapidement, d’ailleurs, puis il se retira de moi, et ôta sa capote. Il la noua et posa sur la table basse, puis il ralluma son cône et recommença à le fumer, à poil sur son canapé et en sueur, tandis que je restais avec juste mon soutien-gorge encore sur moi, le corps pulsant et la tête comme vide… Un champ de bataille dévasté.

Je lui volai son joint.

Il me regarda le fumer.

Il me demanda encore :

– Redis-moi ton nom.

C’était drôle. Ça faillit me faire rire. Je le lui redis.

Je lui demandai juste :

– Tu ne le diras pas à Violaine ?

Il haussa un sourcil, comme si mon attitude achevait de le dépasser.

– Si tu le veux.

– Merci.

Je ne savais pas si je pourrais lui faire confiance, mais il avait suffisamment l’air de s’en foutre pour que je le croie.

Je me rhabillai.

Je ne pris pas encore la mesure de ce qui venait de se passer ou plus précisément : de ce que je venais de faire. De ce que ça impliquait, pour moi, pour Ayme, pour ce qu’allait être la vie, ensuite. C’était trop compliqué, sur le coup, mais je savais déjà que ça ne concernait que moi. Que je n’en parlerai pas.

J’éprouvai le besoin de partir.

Je regardai l’heure. Il était 1h30 du matin. Trop tard pour le métro. Merde. Comment j’allais faire pour rentrer ?

Ça me faisait vraiment chier de traverser Lyon à pied au milieu de la nuit et Loïc ne me proposa rien. Il me regarda juste me rhabiller et sortir, un peu stone, un peu saoule, très perdue, toujours.

Je sais que j’aurais pu appeler un taxi depuis son appart’ mais je préférais rejoindre l’arrêt de métro voisin pour en chercher. Puis j’étais pressée de me casser. Le fait que Loïc ne se soucie même pas le moindre instant du fait que j’étais à pieds et loin de chez moi à une heure où les transports en commun ne roulaient plus m’agaçait, ce qui était une pure incohérence, encore, puisque cette indifférence était justement ce qui m’avait attiré chez lui, mais bon.

Je me retrouvai donc dans la rue. Je marchais, seule, et finis par apercevoir plusieurs taxis au même endroit. Je choisis celui qui n’avait pas l’air de dealer je ne savais trop quoi avec les mecs louches que je voyais penchés à sa fenêtre, pour me retrouver avec un chauffeur bourré – mauvaise pioche, et on n’était même pas dans un quartier mal famé – conduisant comme un malade, mais qui finit quand même par me poser chez moi vivante – miracle.

Alors que je remontai les escaliers, mon ventre se crispa. A m’en faire mal. Et j’eus tellement de palpitations d’angoisse que je dus m’arrêter pour me calmer, pour faire redescendre mon souffle, affligée par la conscience de ce que me faisait éprouver le simple fait de rentrer chez moi.

Chez moi, putain.

Ayme dormait sur le canapé, la télévision allumée diffusant un halo blanc, changeant, dans l’obscurité.

J’évoluais le plus silencieusement possible pour ne pas le réveiller et allais m’enfermer dans la chambre, saoule… Troublée. Avec encore la sensation de ce sexe inconnu entre mes jambes.

Et incapable de savoir ce que m’avait véritablement apporté cette première fois.