Mariée, oui mais avec qui ? (5)

Chapitre 5

Mercredi

Collonges-au-Mont-d’Or est la ville la plus stupéfiante que l’on peut rencontrer dans le pourtour lyonnais. J’aime Lyon. J’y ai toujours vécu et je ne pourrais vivre nulle part ailleurs. Tout me plaît ici : les quais, la presqu’île, le merveilleux quartier de Saint-Jean, la cathédrale de Fourvières dominant le fleuve… Et puis, soyons honnêtes, j’adore aussi cette métropole pour ses bars, ses sorties, ses hauts lieux de vie étudiante et ses bas lieux de sorties sexuelles, pour sa diversité et ses rencontres. Mais il faut bien admettre une chose : Lyon et la verdure, ça fait deux. Des murs, il y en a beaucoup : des hauts, des gris, des longs… qui donnent parfois une sensation d’enfermement, comme s’ils empêchaient de percevoir le passage des saisons. À Collonges, en revanche, à quelques kilomètres de là seulement, on se sent déjà à la campagne. Enfin une campagne où tout transpire le fric, ce qui me donne une idée du genre de famille à laquelle doit appartenir Marc. Je sais déjà que son père dirige une entreprise et que sa mère est femme au foyer. Ça nous fait un point commun côté paternel. Côté maternel, par contre, je crains le choc, parce que si Chantal (oui, c’est le prénom de ma belle-mère) est du genre carré Hermès, Anémone (la mienne, on sent déjà l’écart de milieu) serait plutôt du style bab’ à pantalons fleuris.

Quand nous arrivons, je n’en crois pas mes yeux. C’est… spectaculaire. Passé le haut mur d’enceinte, une interminable allée bordée de platanes mène à une demeure qui s’apparente à un petit manoir, avec une cour immense côté entrée et, si je ne me trompe (mais il semble que non), un accès direct à la Saône un peu plus loin derrière. Tranquille, quoi.

Dans ma tête, ce qui était jusque-là une forte probabilité s’impose désormais comme une certitude : je ne vais jamais parvenir à faire illusion !

La voiture s’arrête dans l’allée, à côté d’une Audi TT et d’un Porsche Cayenne. Garée en retrait, une Twingo rouge qui a visiblement bien vécu fait tache. J’imagine qu’elle appartient au jardinier ou à je ne sais quel employé de maison. Vu la taille de la baraque, ils en ont forcément plus d’un.

– Tout va bien se passer, chérie, je te jure, tente de me rassurer Marc.

J’émets un coassement qui doit lui donner une idée de mon scepticisme.

– Tu crois qu’ils vont penser que j’en veux à ton argent ?

Il éclate de rire et, franchement, je ne vois pas ce qu’il y a de drôle. Après tout, ce serait plausible.

– Premièrement, c’est l’argent de mes parents. Et ils ont toujours insisté sur le fait que Jérém et moi devions apprendre à gagner le nôtre.

« Jérém », c’est Jérémy, son cadet de deux ans, dont je ne sais pas grand-chose de plus que les deux mots qu’il a bien voulu m’en dire.

– Deuxièmement, tu gagnes très bien ta vie toute seule.

Je hoche la tête. Je n’ai pas à me plaindre, c’est vrai.

– Troisièmement, je m’en fous royalement.

Sur quoi, il sort de la voiture et vient galamment ouvrir ma portière. OK, s’il s’en fout, alors je vais essayer d’en faire autant. Je lisse ma robe, que j’ai choisie volontairement passe-partout. Marc s’approche de moi et mêle ses doigts aux miens. Ça paraît idiot mais quand nous sommes comme ça tous les deux, j’ai l’impression que je pourrais conquérir le monde. Donc ses parents…

Il me guide sur le perron et ouvre la porte comme chez lui – ce qui est logique, en fait. Je suis presque surprise de ne pas voir un bichon foncer sur lui en jappant. Ça collerait bien avec la maison.

– C’est nous ! annonce-t-il joyeusement.

– Dans la cuisine ! répond une voix féminine.

Je suis Marc à travers cette demeure très claire, à la déco chic, classique et élégante, pas mon genre, mais de bon goût.

Nous slalomons entre les vases et les guéridons et, avant que je sois totalement prête, nous débarquons dans la cuisine. Chantal est là, avec son jean impeccable et son polo Ralph Lauren rose pâle.

– Mon chéri, lance-t-elle en contournant le plan de travail pour venir l’embrasser. Et Rose, je suppose.

Son sourire est éclatant et elle semble ravie de me voir.

– Enchantée.

– On s’embrasse.

Deux bises plus tard, elle me détaille de la tête aux pieds.

– Vous êtes magnifique !

– Merci.

Je me sens cruche et mal à l’aise. Il faut reconnaître que mes expériences en matière de belle-mère sont proches du néant. Je ne suis jamais vraiment restée assez longtemps avec un mec pour en arriver là. Une fois encore, je réalise à quel point tout ceci ne me ressemble pas, à quel point je me sens paumée dans cette aventure.

– Venez, Philippe est sur la terrasse. Marc, tu peux prendre le plateau avec la citronnade, s’il te plaît ?

Je dois être débile parce que rien que les mots « plateau » et « citronnade » me donnent envie de pouffer. Pourtant, ce n’est pas drôle, en soi (si ?).

– Bien sûr.

Chantal me prend le bras et m’entraîne par la porte-fenêtre grande ouverte.

– Alors, racontez-moi tout. Marc nous a parlé de vous, mais j’étais vraiment curieuse de vous rencontrer.

– J’imagine… Moi aussi, je suis ravie. À vrai dire, j’appréhendais un peu.

– Mais pourquoi, voyons ?

– Oh ! euh… la… situation.

– Ah ça, avec Marc, soupire-t-elle, nous avons l’habitude.

Je hausse un sourcil curieux sans oser rien dire. Dieu que je me sens mal à l’aise…

– Philippe !

Un peu plus loin, j’aperçois un homme à la carrure proche de celle de Marc, en version bedonnante. J’espère que ce n’est pas une vision de ce qui m’attend !

– Laisse ces rosiers tranquilles et viens donc rencontrer notre magnifique belle-fille.

On va dire que je suis parano si je trouve que tout se passe trop bien ? Philippe de Servigny s’approche de nous et me détaille à son tour. S’il se montre courtois et avenant, je constate aussitôt qu’il est moins enjoué que Chantal ce qui, paradoxalement, m’aide plutôt à me détendre. J’observe son visage marqué par les rides et aussi bronzé que celui de son épouse. Ils font peut-être du golf ? Cliché, certes, mais qui collerait bien avec l’ensemble.

Il me tend une main que je serre avec fermeté. Je sais que ça ne représente que la première étape dans son évaluation de sa future belle-fille et reste donc sur mes gardes. Je lui souris. Convaincre un interlocuteur, qui plus est de sexe masculin, ça, je sais faire. Et puis s’il a fait jouer ses relations pour nous faire passer devant tout le monde à la mairie, c’est bien qu’il n’est pas opposé à ce mariage.

– Allez, allez, asseyons-nous ! lance Chantal.

Nous prenons place tous les quatre autour d’une petite table d’extérieur appartenant à un salon de jardin moderne. Marc s’assied tout près de moi et pose une main sur ma jambe. C’est terrible, parce que ce n’est vraiment pas le lieu, mais ça m’échauffe un peu, comme chaque fois qu’il me touche. Oh ! gentiment, hein ? Je ne suis pas non plus (totalement) nymphomane, mais très légèrement quand même. Je tâche de ne rien laisser paraître et lui adresse un sourire qu’il me rend aussitôt. Il semble parfaitement détendu, comme s’il se fichait éperdument de l’issue de cette rencontre.

Chantal nous sert, je la remercie poliment et elle m’explique comment elle fabrique sa citronnade à base de citrons bio qu’elle achète au marché. Quelques instants, nous échangeons sur des petits riens, avant que Philippe ouvre enfin les hostilités.

– Alors Rose, racontez-nous un peu.

Je me prépare mentalement.

– Eh bien, par quoi voulez-vous que je commence ?

– Papa, tu ne vas pas lui faire passer un interrogatoire !

– Je n’ai jamais dit une chose pareille.

– Je te connais.

– Marc, laisse ton père parler, tempère sa mère d’une petite tape sur le bras. J’ai très envie d’en apprendre plus sur Rose également.

Et moi, j’ai très envie de m’enfuir à toutes jambes mais je n’en laisse, bien évidemment, rien paraître.

– Marc m’a dit que vous étiez manager de l’équipe commerciale dans la société de votre père.

– En effet. Je l’ai rejointe à la fin de mes études.

… Parce que je n’avais pas foutu grand-chose à l’IUT pour tout dire, et que mon père m’a catapultée là histoire de me garder à l’œil en me disant que je faisais assez de conneries comme ça dehors et qu’il voulait s’assurer que j’aie de quoi assurer ma pitance. Hum… Je vais peut-être éviter de dire ça. Je sens que ça ne colle pas trop à l’esprit « de Servigny ». D’autant qu’au final, je m’en suis très bien sortie !

– Ça ne doit pas être toujours évident d’être la fille du boss, relève Marc.

J’acquiesce d’un mouvement de tête.

– Il est certain que ça crée quelques jalousies.

– Ça, je veux bien le croire, commente Philippe avec un sourire plus sympathique.

– C’est pour ça que je n’ai jamais voulu travailler avec toi, papa.

– Et je le regrette. J’ai toujours été déçu que mes enfants ne marchent pas dans mes traces.

– Je comprends. Pour ma part, j’aime vraiment travailler avec mon père.

C’est la vérité. J’adore mon père et, professionnellement parlant, je l’admire. J’adore le voir mener son entreprise, sa manière de gérer ses affaires, ses employés. J’ajoute :

– Et puis, sans ça, je n’aurais pas rencontré Marc.

Je me tourne vers lui et lui souris. Mon Dieu, ai-je suffisamment remercié mon père pour cela ?

– Et j’en suis ravi, me souffle Marc avant de m’embrasser.

– Nous aussi, commente Chantal. Ce projet de mariage m’enchante !

– Un peu rapide, si je peux me permettre.

Je ne peux retenir une grimace.

– Philippe, arrête de jouer les rabat-joie.

– Non, je le comprends. J’avoue que je suis surprise que vous soyez aussi compréhensifs.

– Oh ! Marc est comme ça. Les dix premières années, ça surprend, les dix suivantes, on se dit que ça va se calmer et puis après, on se fait une raison et on essaye de suivre.

La phrase de Philippe me fait rire.

– C’est donc ça, le mode d’emploi ?

– Comme vous dites !

Nous nous sourions. Je l’aime bien !

– Et vos parents, qu’en disent-ils ? reprend mon futur beau-père.

– Ils sont contents. Papa connaît déjà Marc et l’apprécie autant pour ses qualités professionnelles que personnelles. Je crois qu’il n’en espérait pas moins pour moi.

– On veut toujours le bonheur de ses enfants, commente Chantal. Et je suis tellement heureuse que Marc ait trouvé quelqu’un avec qui il envisage enfin de se poser.

Elle me ferait limite peur, en fait. Elle semble absolument adorable, mais elle est si contente de caser son fils que j’en viendrais presque à me demander s’il n’y aurait pas un vice caché quelque part.

– Vous verrez, vous aussi, quand vous aurez des enfants… Vous voulez des enfants ?

Aleeeerrrttte ! ! ! La voilà, la raison : elle veut des petits-enfants ! Mon Dieu, est-ce qu’elle ne voit que la mère porteuse en moi ? Est-ce qu’elle ne se montre aussi aimable que parce qu’elle a été rassurée de constater que mes gènes n’endommageront pas les siens ?

– Heu…

Marc éclate de rire.

– Maman, on va peut-être commencer par le mariage et on verra après, non ? Je crois qu’on va déjà assez vite comme ça.

– Oui, bien sûr, je ne m’attends pas à ce que…

– Il ne m’épouse pas parce que je suis enceinte, rassurez-vous !

Je sursaute en entendant le rire de Philippe, si semblable à celui de Marc. Ces deux-là ne peuvent pas se renier, c’est certain.

– Et si vous n’êtes pas enceinte, pour quelles raisons vous épouse-t-il ?

– Papa !

J’avoue qu’un « parce que je suce comme une déesse » me vient en tête mais est-ce que je peux vraiment répondre ça ? Non.

– Parce que nous sommes sans doute un peu rêveurs tous les deux. Mais après tout, eh bien, pourquoi faudrait-il attendre des années avant de savoir si c’est ce que l’on veut ?

Philippe hoche la tête et m’offre un grand sourire, comme si j’avais dit pile-poil ce qu’il attendait, le mot de passe pour entrer dans cette famille.

– Je ne vous le fais pas dire. Quand j’ai rencontré Chantal, elle était fiancée à un autre mais j’ai su que c’était elle à l’instant où je l’ai vue. Et regardez-nous : des années plus tard, et toujours heureux.

OK, ça explique beaucoup de choses. À commencer par cette manière de garder leur calme devant notre mariage express.

– Mais contrairement à vous, elle m’a fait patienter deux longues années.

Ça, c’est parce que je suis une fille facile. Mais je vais aussi éviter de le leur dire. Oui, ce sera mieux.

– Je suis un homme chanceux !

– Alors, ce mariage ? Marc vous a-t-il dit que nous serions ravis de mettre la maison à votre disposition ? J’adore recevoir et j’ai déjà des tas d’idées. Mais attention, je ne veux pas être la belle-mère qu’on déteste alors je vous propose et vous avez obligation de dire non si quelque chose ne vous plaît pas.

Un peu gênée (non, franchement horrifiée), j’écoute Chantal dérouler son programme. Repas, invitations, décoration, invités, vin d’honneur, champagne, animations… Waouh ! Chantal a dû être wedding planner dans une autre vie, parce qu’elle semble avoir déjà pensé à des millions de choses. Ou alors elle attendait décidément d’avoir une belle-fille comme le Messie. Redevrais-je me poser des questions à ce sujet ? En tout cas, avant que j’aie pu comprendre l’ampleur de ce guêpier, elle réussit à m’extorquer le numéro de ma mère et me farcit la tête à la faire déborder. D’ailleurs, ça marche : alors que Marc semble suivre la conversation et donne régulièrement son avis, moi je capitule. Il a visiblement déjà bien réfléchi à tout, sa mère aussi, et je me fais l’impression d’être le vilain petit canard du groupe – pas que ce soit un sentiment qui me soit inhabituel, remarque. Voyant Philippe m’observer du coin de l’œil, je suis certaine qu’il a compris à quel point je suis paumée. Bientôt, il va réaliser que son fils fait la plus grosse connerie de sa vie.

Quand Chantal me propose d’aller voir l’une de ses amies couturière pour confectionner ma robe, j’ai beau être terrifiée, je me retrouve quand même une carte de visite pleine de dentelle à la main. Je la fixe, confuse.

– Rose, les toilettes sont juste à côté de la cuisine.

Je fronce les sourcils. Philippe m’adresse un clin d’œil et je comprends qu’il m’offre une échappatoire. Je crois que je tombe amoureuse du deuxième de Servigny de ma vie.

– Merci, Philippe.

Je me lève et m’éclipse un instant pour regagner la maison. La pause est bienvenue et puis Marc et Chantal sont tellement à fond que je me sens limite de trop. Enfin… j’ai aussi besoin d’encaisser un peu avant de me lancer dans ces préparatifs de folie. Si ça continue, je vais finir par paniquer ! Comme si j’avais une raison de le faire, ha, ha.

Puisque je suis là, j’en profite pour faire la fameuse pause pipi qui m’a servi d’excuse pour m’absenter. Lorsque je reviens dans la cuisine, un jeune homme me tourne le dos. Ça doit être l’employé de maison. Comme je suis une fille polie, je ne vais pas sortir en catimini rejoindre les autres sans saluer le personnel.

– Bonjour.

Il se retourne et, après un instant de surprise, son expression se fait plus méfiante. Booon… J’ai fait quelque chose qui n’allait pas ? Je recommence.

– Bonjour…

– J’avais entendu la première fois.

Bon, bis. Je rétorque, par réflexe :

– Et la politesse est une notion qui vous échappe ?

– Ça dépend. Vous êtes ma future belle-sœur express, je présume ?

Drôle d’appellation mais pourquoi pas ? Ce n’est donc pas l’employé de maison mais le fameux Jérémy, alias futur beau-frère express, lui aussi. Il a l’air sympa, le frangin… Un instant, j’hésite à le planter là et rejoindre Marc et ses parents dans le jardin, mais ça ne le ferait sans doute pas. Allez, va pour le faisage de connaissance.

– On dirait bien que c’est moi.

Il hoche la tête et s’approche tout en me détaillant des pieds à la tête. Limite grossier, quand même ! Mais puisqu’il ne se prive pas, eh bien, j’en fais autant.

Une chose est claire, les deux frères ne se ressemblent pas. Jérémy est un peu plus petit, plus fluet aussi, sans être catastrophique. En tout cas pour ce que je peux deviner sous son immonde jogging. Non, mais sérieusement, de quand date cette horreur ? 1986 ? 1989 ? Pourquoi se faire du mal comme ça ? Je relève les yeux pour tomber sur les siens.

– Alors, lui dis-je, je passe le test ?

Un léger sourire en coin s’affiche sur son visage et le rend plutôt mignon. Il faut juste éviter de regarder plus bas.

– Et moi ?

Il croise les bras sur le torse. J’esquive :

– J’ai posé la question la première.

Ses lèvres s’étirent avec un peu plus de malice et il s’avance pour me tourner autour. Je me raidis. Mon futur beau-frère est-il réellement en train de me reluquer le cul ? Mais dans quelle famille ai-je atterri ?

– Beau cul.

Ben, alors ça ! Je n’en reviens pas mais je me reprends bien vite. S’il croit que je vais me laisser démonter, il est mal tombé.

– On me le dit souvent.

– J’imagine.

– Et vous ?

– Je n’ai pas à me plaindre.

Je hoche la tête et, puisque c’est lui qui a commencé, je l’imite et en profite pour le mater ouvertement, même si je ne peux décidément pas voir grand-chose avec le sac à patates qu’il porte. Quand je reviens devant lui, je me contente d’un :

– Ah oui…

– Ça veut dire quoi ?

Je fais une petite moue.

– Rien, rien. Joli jogging.

Sa bouche affiche un pli de contrariété et je ne retiens pas mon sourire.

– C’est… C’est une longue histoire, je ne…

– Pas la peine de vous défendre. Ça a le mérite d’être confortable, je suppose.

– Je ne… Ce n’est pas à moi.

– D’accord.

– Vraiment !

On dirait bien que j’ai touché un point sensible.

– Je vous crois, il ne faut pas être sur la défensive comme ça.

– Je ne le suis pas.

– Si vous le dites.

Nos regards s’affrontent un moment et, s’il croit que je vais baisser les yeux la première, il rêve.

À travers la porte-fenêtre, j’entends Marc m’appeler depuis le jardin :

– Rose, ça va ?

– Oui, très bien. Je fais connaissance avec ton frère.

Pas un instant, je ne dévie de notre petit duel oculaire, et lui non plus. Enfin, jusqu’à ce que Marc arrive et l’attrape. Je souris, heureuse qu’il me rejoigne.

– Ah, dit-il, mon petit frère.

Puis il le coince sous son bras avant de lui ébouriffer les cheveux en un geste dont je devine tout de suite le caractère rituel.

– Putain, Marc, arrête.

– Jérémy, ton langage, lui reproche sa mère qui arrive, elle aussi.

Je ne peux m’empêcher de rire doucement. Je crois que j’aime beaucoup Chantal aussi.

Jérémy se recoiffe.

– C’est sa faute, se plaint-il.

– Arrête d’agir comme un gamin, dit Marc.

– Commence par grandir et on en reparlera. Et c’était de la triche, ça ne compte pas ! lance-t-il à mon intention.

Je vais répondre mais Marc, qui n’a rien suivi de notre petit duel, reprend :

– J’y travaille. Je vais bientôt devenir un homme marié, s’amuse-t-il en venant passer son bras autour de ma taille.

Une douce chaleur se répand en moi au contact de sa peau et je lèverais presque les yeux au ciel en sentant une pointe d’excitation me gagner.

– C’est ce que j’ai entendu dire.

– Et alors ? Et nos félicitations ? lance Marc.

– C’est vrai ça. Et nos félicitations ?

Je ne sais pas pourquoi mais j’ai, moi aussi, envie de me montrer taquine. Peut-être est-ce la manière dont le petit frère m’a accueillie ou sa façon de me regarder avec défi, ou encore la relation entre eux deux… Encore que là, le Jérémy, il me fusillerait plutôt du regard.

– Félicitations, Marc.

– Et pas moi ?

– Je le félicite d’avoir déniché un aussi joli lot que vous. Par contre, vous, franchement, vous auriez pu faire mieux.

Estomaquée, j’ouvre des yeux ronds comme des soucoupes. En même temps, il me fait rire… Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est désarçonnant. Mais, entre nous soit dit, s’il avait la moindre idée du genre de fille que je suis, il ne tiendrait pas de tels propos. Marc le traite d’imbécile, leur mère claque dans ses mains pour les faire taire et, à la porte de la cuisine, leur père sourit. Je réalise qu’aussi étonnante que soit la famille de Marc, j’ai une chance incroyable d’y être tombée. Et je me demande à quel moment elle va tourner.

L’heure qui suit file à une vitesse folle et, lorsque Marc me propose de faire le tour du jardin, je prends plaisir à parcourir les allées à ses côtés. L’herbe me chatouille les pieds et la sensation de sa main sur ma taille est douce et rassurante.

– Viens, dit-il enfin en m’entraînant plus au fond de la propriété.

Nous passons à côté d’une haie d’arbustes, continuons dans un verger puis, après un petit parcours dans les massifs de fleurs, nous parvenons à un endroit où le grondement de la Saône se fait entendre derrière une rangée d’arbres. Je peux même deviner les maisons de l’autre côté de l’eau, à travers les feuillages.

– En allant de ce côté, il y a une petite chapelle qui se trouvait sur le terrain bien avant que la maison ne soit construite, m’indique-t-il.

Je suis la direction qu’il me montre du doigt.

– Quand j’étais môme, j’y ai élevé des crapauds.

J’éclate de rire.

– Sérieux ?

– Oui, je leur donnais des croquettes pour chatons. En cachette de mes parents, bien sûr.

Je souris. Depuis le début, je trouve Marc étonnant, mais j’ai l’impression que toute la famille l’est aussi.

Mon attention est attirée par le fleuve dont je me rapproche, avant de m’arrêter.

Là, le haut mur des de Servigny s’efface pour laisser une barrière métallique qui, seule, nous isole encore de la Saône. Le soleil dépose des flaques d’or sur les eaux et quel que soit l’endroit où je pose mon regard, tout est superbe : les bâtiments anciens sur la rive opposée, le ciel qui luit d’un bleu serein, les plantes qui descendent sur les berges ou le fleuve en lui-même.

– Il y a une ouverture un peu plus loin pour accéder directement à la Saône, me dit Marc.

Je me retourne pour lui sourire.

Quand il m’embrasse, je savoure de toutes mes forces ce moment de bonheur, cet instant hors de tout, où le reste du monde semble loin et l’avenir radieux.

Puis nous retournons vers la maison.

À peine arrivés, Philippe intercepte Marc et part en grande conversation avec lui. Je me retrouve donc inoccupée et, comme il est question de préparer un petit quelque chose à grignoter, je propose de donner un coup de main. Chantal, elle, a filé à l’étage pour faire je ne sais quoi que font les belles-mères, et je rejoins donc Jérémy en cuisine. Il y a quelque chose de très amusant chez lui, qui me donne envie de profiter plus de sa présence.

– Marc m’a appris que tu étais chef.

– En effet. Et toi ? À vrai dire il n’a pas dit grand-chose te concernant.

J’imagine. Un instant, j’observe mon futur époux dehors, incapable d’éviter de me demander à nouveau si je ne fais pas n’importe quoi, mais je tâche d’éluder la question. En fait, je me demande surtout pourquoi personne dans cette maison ne semble le penser.

– Tu ne sembles pas très choqué par notre mariage, dis-je.

Jérémy hausse les épaules.

– Marc nous a habitués à ses coups de tête.

La tournure de phrase est drôle.

– J’aime l’idée d’être un coup de tête.

Cela le fait sourire. Il est mignon, finalement. Totalement différent de Marc, mais craquant.

– Je dois reconnaître que tu es le plus joli lot qu’il ait ramené à la maison. Pas très loin devant sa Harley Davidson.

– Question de carrosserie, je suppose.

– Ça va les chevilles ? me balance-t-il.

– Quoi ?

– Rien, rends-toi utile et passe-moi le couteau.

– Oui, chef !

– Voilà une belle-sœur comme je les aime.

– Dans tes rêves.

C’est si facile de jouer au chat et à la souris avec lui, de lui balancer des vannes et d’en encaisser en retour… Cela m’amuse follement. Au bout d’un moment, alors que nous sommes toujours en train de nous envoyer des piques en riant, Marc nous rejoint. Lorsqu’il vient se coller contre moi et que ses bras entourent ma taille, je pousse un long soupir de bien-être.

– Eh bien, je vois que vous vous entendez bien, tous les deux, dit-il.

– À merveille, répond Jérémy.

– N’essaye pas de me la voler, petit frère, poursuit Marc. Tu n’as aucune chance cette fois-ci.

– Ça reste à prouver.

– Elle m’aime trop !

D’un geste de la main, Jérémy balaye l’objection de son frère.

– Elle te connaît à peine, elle n’a pas eu le temps de vraiment s’attacher.

Qu’il est gonflé ! J’éclate de rire.

– En plus, je la fais rire, reprend-il.

– Mais moi aussi, se défend Marc. N’est-ce pas, chérie ?

– Tout à fait.

Encore qu’en réalité, maintenant qu’on en parle, nous avons échangé des petits rires oui, mais… Bon, en même temps, on ne peut pas baiser comme des lapins et se taper des barres de rire non plus.

– Ne te sens pas obligée d’acquiescer pour lui faire plaisir. On sait à quoi s’en tenir dans la famille. Marc a hérité de la beauté éclatante, moi, de l’humour et du talent en cuisine. Je dis ça, je ne dis rien, mais la beauté se fane, l’humour et la bouffe restent.

– Et l’intelligence, dans tout ça ?

– Je lui accorde que nous en avons hérité à parts égales.

– Quelle magnanimité, se moque Marc.

Mais il sourit, preuve une fois de plus que ce genre d’échanges est habituel ente eux. Ils m’amusent. D’ailleurs, finalement, tout m’amuse cet après-midi : l’humour des conversations, la tolérance surprenante de la famille de Marc, l’aspect décalé de cet univers à la fois bourgeois et un peu foufou, jusqu’à la perspective de ce mariage vers lequel je me dirige mais qui me paraît encore très abstrait. C’est comme si je m’étais embarquée dans un bateau aux couleurs séduisantes et que je suivais le cours de la rivière mais en touriste, sans parvenir à me rendre compte de la destination vers laquelle ce voyage va me mener. Pinocchio en route vers l’Île des plaisirs, dans l’espoir de devenir un « vrai » garçon… Finirai-je moi aussi avec des oreilles et une queue d’âne, pour me punir de ma légèreté ?

#

Quand je rentre chez moi, le soir, je me sens bien. J’ai passé après-midi, la famille de Marc est formidable, je dois rencontrer demain sa bande d’amis (ce qui, après l’épreuve du jour remportée haut la main, me parait un jeu d’enfant) et je commencerais presque à me sentir moins angoissée. Je fais comme dans les sitcoms américaines : je balance mes chaussures à talons de deux longs coups de pieds, je me prends une douche chaude avant de m’enrouler dans un adorable déshabillé tout confort, et je passe la tête dans mon bar pour faire mon choix. Enfin, je me prépare une tequila sunrise avec des glaçons, parce que je le vaux bien, et je m’affale dans mon canapé.

Et là, je me rappelle que je suis une femme moderne et que poser mes pieds nus sur ma table basse où trône un rabbit rose, avec un cocktail dans la main, n’a rien d’inhabituel dans ma vie…

Me marier, en revanche, si.

Le rabbit lui-même a l’air de me sermonner. Quoi, lui aussi, il trouve que je fais n’importe quoi ? Pourquoi les doutes reviennent-ils dès lors que je me retrouve seule ? Et pourquoi toujours plus fort ?

Mon portable sonne.

Je hausse un sourcil. Je commence à me méfier des appels téléphoniques, mais vu la mélodie, je sais au moins qu’il ne s’agit pas de Geoffroy. Ce doit être Jo ou… bingo : Fée. Je décroche et laisse tomber ma tête en arrière sur le dossier du canapé, lasse.

– Bureau des célibataires perdues, j’écoute ?

J’entends la voix familière dans le téléphone.

– Ici l’office des mariages arrangés… Madame, vous ne vous seriez pas trompée dans vos rendez-vous ?

Je souris.

– Pourquoi donc ?

– Parce qu’on vous avait programmé une rencontre torride avec trois de nos meilleurs clients : Rocco alias Marteau-pilon infernal, Samouel le stripteaseur le plus sexy de l’Ouest et Paulo-dégaine-plus-vite-que-son-ombre, et qu’il semble que vous ayez finalement eu un rencard avec le père Santo di Marco la vertu de la chapelle… Or je ne suis pas sûre qu’il soit bien adapté à votre cas.

– Si ça peut vous rassurer, je vous jure qu’il n’a pas eu l’air malheureux, madame.

– Non, mais vous êtes-vous bien présentée sous votre pseudo ? Parce que, d’après nos sources, il semble qu’il ne se soit pas rendu compte que c’était avec Diabolessa, la nymphomane démoniaque au fouet de feu, qu’il avait passé la journée. Vous ne lui auriez pas caché votre queue fourchue, j’espère ?

Fée est toujours très forte pour me faire marrer.

– Allez, arrête, dis-je.

Sous l’éclat de rire, mon soupir ne lui échappe pas.

– Tout va bien ?

– Je ne sais plus où j’en suis.

– État des lieux ?

Je prends un moment pour réfléchir.

– Marc est toujours aussi charmant, sa famille est adorable, accueillante, compréhensive, son frère est, en dehors de ses goûts vestimentaires pour le moins discutables, tout à fait craquant, beaucoup trop craquant pour mon bien, son bien, le bien de la famille, tout le monde, et… (Il me faut un temps pour le reconnaître. Je m’envoie une grande rasade de ma tequila sunrise.) Et je crois que j’ai échoué à oublier Geoffroy.

Pas que « je crois », d’ailleurs. Échec est mon deuxième prénom.

– Tu parles ! confirme Fée, sans pitié.

– Moque-toi.

– Tu avais déjà échoué avant de partir à Venise.

– Mais Venise m’a propulsée dans une merveilleuse pause hors de la réalité…

– Rebienvenue dans la vraie vie.

Je ne réponds rien, parfaitement consciente qu’elle a raison. Je bois une nouvelle gorgée de mon cocktail.

– Tu en as parlé à ton futur époux, au moins ?

– Tu plaisantes ?

– Pourquoi ?

– Qu’est-ce que tu voudrais que je lui dise ? Que mon ex a rappelé et puis… et puis quoi ? Je ne suis pas la seule fille que son ex rappelle.

– Non, mais…

Elle marque une pause. Elle sait qu’elle s’aventure sur un terrain glissant.

– Qu’est-ce que t’a dit Geoffroy ?

– Qu’il n’était pas d’accord et qu’il arrivait.

J’étouffe un rire nerveux et change ostensiblement de sujet.

– Et de ton côté, état des lieux ?

Fée prend une seconde pour répondre.

– Mon cul dit merci à monsieur ibuprofène, mon crâne aussi. Quant à Jo…

– Qu’est-ce qu’il y a ?

– Oh ben, je crois qu’elle est jalouse, ou inquiète, ou je ne sais pas mais elle m’a fait une telle crise à propos de ce mariage, une fois que tu es partie, que je songe à faire appel à l’antenne psychiatrique.

– Tant que ça ?

– Non, j’exagère un peu mais bon… tu imagines bien comment elle peut le prendre.

Sans difficulté. Jo et Fée ont toujours compté autant l’une que l’autre pour moi, mais ça a toujours été particulier avec Jo. Cependant, si je comprends qu’elle puisse être désorientée par ma décision brutale, je préférerais qu’elle me soutienne plutôt qu’avoir un séisme supplémentaire à gérer. Mais je ne me sens pas d’attaque pour ça ce soir.

– Je crois que je vais me noyer dans la tequila.

– Réserve-moi une place…

– Et que je vais brûler tous mes sex-toys…

Parce que partout où je regarde… non mais sérieusement, partout, j’ai l’impression de ne voir que ça, en fait… Il y a une paire de menottes encore accrochée au tuyau de mon radiateur, le copain rabbit posé sur la table basse, un string suspendu à la poignée de la fenêtre, une guêpière par terre, mon ventilateur accueille un superbe tissu noir qui m’a servi à bander les yeux d’un charmant jeune homme récemment, et les photos de bondage accrochées à mes murs sont certes très belles mais super osées. Je crois que si Marc pose le pied ici, je pourrais me tatouer le mot « débauchée » sur le front que ce serait pareil. Je veux bien qu’il soit ouvert et prompt aux coups de tête mais je suis certaine que mes habitudes sexuelles feraient fuir pas mal de mecs « non habitués ». Manquerait plus que Chantal débarque aussi pour préparer le mariage. J’ai des sueurs froides, soudain.

– Et ce beau-frère, alors ? Si tu m’en disais plus ?

– Bon, allez, Fée, on se rappelle.

J’ai à peine le temps de l’entendre protester dans le combiné avant de lui raccrocher au nez. Je reste à fixer le bazar qui m’entoure…

Mon appartement est une catastrophe ! Je ne peux pas le laisser comme ça, ce n’est pas possible. Je me lève d’un coup, hagarde, m’envoie le reste de mon cocktail au fond du gosier et jette un regard circulaire à la recherche de… trouvé ! Un carton pour m’aider à ranger tout ça. Vive le shopping en ligne !

Je me lance, prise d’une frénésie de rangement. Tout ce qui me semble afficher un gros « warning! Je ne suis pas la femme que vous croyez » finit dans le carton, le reste dans la machine à laver, dans les placards, sous le lit… Je déniche un nombre de sex-toys et de godes que c’en est une honte ! Enfin presque. Il faut dire que j’ai tenu pendant un certain temps un blog sexe, et que ce qui était à l’origine un jeu est devenu une activité franchement lucrative quand certains fabricants de lingerie ou d’accessoires se sont mis à me proposer leurs produits en échange d’une petite chronique. Autant dire que j’ai fait le plein et que mon appart a désormais des faux airs de sex-shop. Comment ne l’avais-je pas réalisé avant ? C’est comme si j’ouvrais tout à coup les yeux sur ma façon de vivre. Et ça va changer !

Enfin, après avoir passé en revue chaque mètre carré de l’appart, je vais m’échouer sur le canapé et contemple le résultat de mon heure de frénésie. Les cartons débordent (oui, « les » : ils sont désormais trois), ma bouteille de tequila a vu son niveau descendre méchamment, et la tête me tourne… Pour parfaire le tout, mon téléphone m’informe de l’arrivée d’un nouveau SMS. Nouveau tour de manège dans mon crâne : Geoffroy m’a renvoyé un message.

Qui dit :

Demain. Chez toi.

Et merde.

 

Qu’est-ce que je fais ?

 

Je lui réponds pour l’envoyer bouler ? (Chapitre 6)

Ou j’efface sans me manifester ? (Chapitre 7)

Note des autrices : Pour les choix à la fin des chapitres, attention, s’ils ont été relativement simples jusque-là, ils vont ensuite grandement se complexifier !

Mariée, oui mais avec qui ? (4)

Les préparatifs

Chapitre 4

Pour être honnête, j’appréhendais depuis un moment l’arrivée à la mairie. Non, en réalité, ça me terrifie depuis le début : j’avais beau faire la maligne devant les filles, je me voyais déjà prendre mes jambes à mon cou une fois devant le bâtiment. Alors, avec mes fichus doutes qui ont pris de l’ampleur entre-temps… Bien sûr, déposer la demande, faire les paperasses ne scellent pas définitivement mon destin mais cela donne un côté concret à notre décision assez effrayante. J’ai la sensation d’être montée dans un TGV dont je ne peux plus descendre. Et puis, en fin de compte, Marc ne me laisse pas l’occasion de stresser plus longtemps : il me prend la main et nous emmène jusqu’au bureau de l’état civil comme s’il y était venu des dizaines de fois. Nous prenons place et c’est parti.

L’employée qui s’occupe de nous est charmante, et la paperasserie a l’avantage de me permettre d’oublier un instant mes angoisses.

On sort tous les papiers, on prend rendez-vous, et soudain la vie est simple. On est déjà au printemps et le maire n’a pas de créneau avant une éternité ? Qu’à cela ne tienne, beau-papa, alias figure locale de Collonges-au-Mont-d’Or, a fait jouer ses contacts. (Collonges, si on ne connaît pas, c’est facile à repérer : c’est la région située juste au-dessus de Lyon, en amont sur la Saône, qui regorge de maisons bourgeoises, de promenades en bord de fleuve et de superbes espaces arborés. Si on a encore du mal à se représenter le coin, il suffit de se rappeler que c’est là que Bocuse a son resto : ça aide, généralement.) Et quand Philippe de Servigny (oh, mon Dieu, je vais m’appeler « de Servigny » !) demande quelque chose, on l’écoute. Enfin, c’est ce que m’a raconté Marc : en vrai, il faut encore que je rencontre ses parents demain, mais je le crois volontiers, parce qu’il lui a suffi de décliner son identité pour que l’employée du service d’état civil affiche un grand sourire en mode « Oui, mais bien sûr, on vous a trouvé un créneau samedi en huit, on est désolé, c’est à 17 heures ! ». Donc pas ce samedi, mais le suivant, ce qui me laisse quand même un peu de temps encore pour aborder l’événement avec (à peine) moins de précipitation et tout préparer.

Au moment d’inscrire mon nom sur le papier, je grimace intérieurement, parce que, déjà que mes parents n’ont rien trouvé de mieux que me prénommer Rosemonde, me retrouver avec un « Rosemonde de Servigny » c’est me tuer une seconde fois. À ce rythme, je vais finir en tailleur Chanel et carré Hermès à servir des petits fours à l’heure du thé les mercredis après-midi…

Cette histoire de prénoms, c’est d’ailleurs ce qui nous a rapprochées à l’IUT, Fée, Jo et moi. Il faut dire que se retrouver entre Rosemonde, Félicie et Joséphine, ça avait quelque chose de magique. On était un peu comme des rescapées du siècle dernier, perdues dans un monde où nos prénoms étaient devenus le summum de la ringardise. Avouez que donner des prénoms pareils à sa progéniture, c’est de la maltraitance, non ? À ça s’est ajouté, avec Jo et Fée, un goût commun pour la boisson, pour les mecs, puis pour tout ce qui pouvait se regrouper sous le label « Cindy “Girls Just Want to Have Fun” Lauper ». Bref, nos prénoms dignes de figurer devant des noms à particule ne nous ont jamais sauvées de la débauche, au contraire.

Quand nous sortons de la mairie, je teste ce nouveau patronyme à voix haute : Rosemonde de Servigny… L’effet est immédiat : nous éclatons de rire. Puis Marc me dépose devant mon immeuble et je sens, dans son baiser, son désir de monter chez moi. Mais il a des engagements à tenir et des copains à prévenir. Il me propose de le retrouver plus tard mais franchement… après ce véritable marathon émotionnel, la seule chose à laquelle j’aspire est m’échouer sur mon lit comme un zombie. D’autant que demain, je dois rencontrer la famille de mon futur mari. Or, allez savoir pourquoi, j’ai comme le pressentiment que je ne parviendrai jamais à jouer la belle-fille bien sous tous rapports. Mais Marc m’a assuré, à ma grande surprise, qu’ils se réjouissaient d’avance de me connaître. Moi qui pensais qu’il n’y avait que mes parents pour ne pas paniquer en apprenant que leur enfant allait se marier avec un presque inconnu dans moins de quinze jours… Visiblement, je me trompais. Sur quel genre de famille est-ce que je suis tombée ? Je dois dire que ça pique ma curiosité (en plus de me stresser au dernier degré, mais je ne suis plus à ça près).

Comme si ça ne suffisait pas, en sortant de ma douche, je m’aperçois que Geoffroy m’a envoyé un nouveau message. Je ne sais plus quoi faire… Alors pour éviter d’avoir à décider, j’efface tout. Je reste un instant face à mon téléphone. La banane enveloppée dans un préservatif avec écrit « safe sex » sur fond rose qui fait office de fond d’écran ne me fait plus rire comme avant. Je me sens écartelée entre ce que je suis et ce que je veux. Ce que j’ai été et ce vers quoi je vais. Je ferme les paupières, sans pouvoir ignorer la question qui revient, insidieuse et persistante, dans mon esprit :

Mais qu’est-ce que je fous ?

Mariée, oui mais avec qui ? (3)

 Chapitre 3

J’envoie tout balader : mon téléphone, qui vient s’échouer à mes pieds, mes doutes, mes hésitations (du moins, je fais tout pour)… et je lui saute dessus. J’ai besoin de ça, profondément. C’était si simple, à Venise, si bon de ne plus penser qu’à cet homme en face de moi quand je l’observais discourir, qu’à ses lèvres quand nous nous sommes embrassés, qu’à son poids sur mon corps et la sensation de son sexe m’ouvrant… On avait décroché de nos vies, et c’était comme s’il n’y avait plus eu de lendemain, et c’était bien ainsi. Je veux retrouver ça.

Je dois lui faire l’effet d’une nympho en manque, mais qu’importe : ce n’est pas la première fois, et pour autant que je  sache, il ne s’en est pas plaint jusqu’ici. Il a même voulu m’épouser ! Et puis de toute façon, je m’en moque. La dernière chose que je veux, là, c’est réfléchir. J’ai juste besoin de savoir si l’alchimie qui a explosé entre Marc et moi durant cette semaine de folie à Venise est toujours présente, si elle n’était pas juste passagère, si elle peut vraiment durer face à la réalité de nos vies, surtout la mienne, si elle peut résister à la réapparition de Geoffroy…

Allez, Marc, dis-moi que tu es le bon.

Le bon, merde… je n’ai jamais eu de telles pensées auparavant. Mais après tout, n’est-ce pas lui ? Celui qu’on épouse ? Qu’on attend ? Le bon.

– Qu’est-ce qui t’arrive ?

En guise de réponse, je tire sur ma ceinture pour me coller à lui. La posture, avec le levier de vitesse au milieu, est tout sauf confortable et on aurait eu du mal à trouver plus blindé de voitures et de passants autour de nous mais ce n’est pas grave. On roule assez vite, de toute façon, et je pourrais être sur un tas de cailloux que je me tortillerais encore pour me rapprocher de lui. Je plonge mes lèvres dans son cou tandis que mes doigts glissent entre les boutons de sa chemise pour chercher son torse. Son odeur me grise, la nacre de sa peau, sa sensation contre moi… Je veux qu’il me baise comme il l’a fait à Venise…

Comme le faisait Geoffroy.

Cette pensée involontaire me fait serrer les dents de frustration et je me venge en mordillant doucement la gorge de Marc.

Un petit rire me répond. Il a très bien compris où je veux en venir et, si j’en crois son sourire, il n’est pas contre. Je parcours son torse du plat de la main et descends lentement jusqu’à atteindre son bas-ventre. Le sentir légèrement gonflé attise la chaleur entre mes cuisses, qui enfle encore en le sentant qui se tend plus durement sous mon contact. C’est terrible : je me fais l’effet d’être une ado prépubère, incapable de me retenir… Non que ç’ait été bien différent à Venise, remarquez : de vrais lapins en rut. Si vous cherchez un jour la définition d’« insatiable », tapez « Marc + Rose + Venise » dans un dico en ligne, vous devriez nous trouver sans difficulté.

– Rose, grogne Marc.

Je masse sa verge sans cesser de mordiller son cou. Je le veux entre mes jambes.

– Rose, il y a des gens partout.

Mais ce ne sont pas des reproches que je perçois dans sa voix.

– Je m’en fous.

Et c’est vrai. Grave comme je suis, je serais prête à lui avouer qu’avoir des spectateurs à mes ébats ne m’a jamais bien traumatisée, mais ce n’est peut-être pas le moment de faire ce genre de révélations sur ma vie sexuelle. On a dit ouverte pas débauchée (alors, cerveau, merci de te mettre en veille). Pour couronner le tout, des images de Geoffroy dans l’une de ces séances sexuelles où d’autres corps se mêlaient autour de nous me reviennent en mémoire (cerveau !). Pour me venger, je déboutonne le pantalon de Marc et glisse la main dans sa braguette. Son sexe bondit dans ma paume tandis qu’il passe plus nerveusement ses doigts dans mes cheveux. Mon entrejambe est en feu. Alors qu’il s’engage dans une voie rapide, je le caresse avec force, suçant la peau de son cou et me collant autant que je le peux contre lui. Quand ses doigts quittent mes cheveux pour changer de vitesse et que sa main effleure ma peau, je pousse un petit grognement de frustration. Je veux qu’il me touche. Si je m’écoutais, je déferais ces ceintures encombrantes pour lui grimper dessus et m’empaler sur son membre. Je souffle contre sa peau.

– Tu ne peux pas t’arrêter ?

– Non. Pas là. Malgré l’envie.

Effectivement, la circulation est dense autour de nous et ne permet aucune échappatoire vers un endroit tranquille. Heureusement, les autres automobilistes ont bien d’autres centres d’intérêt que nous. De désir, je relève ma jupe… Je veux qu’il me cède. Je veux me rappeler pourquoi j’ai succombé ainsi avec lui, je veux qu’il balaye tout souvenir d’une peau qui n’est pas la sienne, d’un corps autre que le sien, d’un sexe différent de celui que je tiens dans ma main. Je me gave de son odeur, de son contact, du désir que j’ai pour lui.

Les bâtiments défilent, se font plus épars, pour laisser la place à des maisons bourgeoises. Sur l’autre rive du fleuve, des arbres s’étendent, longue rangée de verdure rappelant que nous nous écartons de plus en plus du centre vivant de Lyon pour nous diriger vers l’une des villes les plus prisées de son pourtour. Moi, je caresse doucement sa verge, juste assez pour lui faire pousser de longs soupirs, pour lui faire tourner la tête et le rendre complètement réceptif à mon désir. Et mon désir, c’est que cette main, posée sur le pommeau de vitesse, juste à côté de mon entrejambe, se plaque sur mon sexe, que ces doigts s’enfoncent en moi.

– Touche-moi…

Je lui susurre ces mots de ma voix la plus enjôleuse, celle qui m’a toujours permis d’obtenir ce que je voulais. Mon sourire s’élargit lorsqu’il se rabat sur la voie la plus lente et que sa main lâche enfin le levier de vitesse pour venir effleurer ma culotte. Ses doigts sont impatients et je me tends contre lui, le souffle court. Il me caresse comme si mon sous-vêtement n’était pas là, pressant le tissu pour agacer mon clitoris gonflé. Je tremble d’excitation, sentant mon entrejambe pulser et des éclairs de plaisir se répandre dans tout mon corps. La voiture roule encore, mais de plus en plus doucement.

– Rose, grogne-t-il.

J’adore quand il prononce mon prénom comme ça. Combien de fois l’a-t-il fait à Venise ? Chaque fois, une nouvelle décharge de désir explosait en moi. La magie est là, aujourd’hui encore.

N’y tenant plus, je dégage la portion de ceinture qui empêche encore mon torse de se pencher et fonds sur son sexe, que j’embouche aussitôt. Marc se raidit.

– Rose, gémit-il, cette fois.

J’aime les intonations de sa voix. J’accélère mes mouvements. Sa verge contre mes lèvres, sa peau fine sur ma langue, ses hanches qui frémissent à chacun de mes mouvements de succion, tout m’excite au plus haut point. Je le veux en moi… Quand peut-on se garer, dans ce fichu coin ? Je relève le visage. Le regard de Marc ne traduit plus que son désir, et il opère une brusque sortie de voie pour se garer sur le bas-côté, devant le long mur de briques d’une propriété anonyme, sous les branches d’un arbre qui nous couvre de son ombre et nous donne une illusion d’intimité.

En un instant, nos ceintures claquent et son corps se retrouve penché sur moi, sa bouche sur la mienne, dont je me sépare un instant pour laisser un « oui » lascif s’échapper de mes lèvres. Sa main sur mon entrejambe en exacerbe la moiteur et fait croître mon lancinant besoin de lui. Dans un réflexe, j’enlace son cou et l’attire plus encore contre moi. Nos bouches se reprennent de plus belle, nos corps se repaissent l’un de l’autre, et je ne suis plus que sensation et désir… Quand enfin il écarte la dentelle de mon sous-vêtement pour plonger les doigts dans mon vagin, je tremble de soulagement. En quelques va-et-vient, il me rend liquide, soumise à sa caresse, le moindre de mes muscles tendu à sa rencontre et un feulement m’échappe quand son visage fond sur mon cou pour l’embrasser avec fougue. C’était ça que je voulais. Exactement ça.

– Marc…

Je halète contre sa peau. À tâtons, mes doigts partent à la recherche de son membre, que j’enserre avec délice tandis que ses doigts me pénètrent plus profondément et que son pouce s’active sur mon clitoris. Mes cuisses s’écartent plus encore, comme pour l’inviter à poursuivre cette merveilleuse partition.

Le besoin de délivrance me brûle et je peux sentir que Marc est dans le même état. Nos poignets s’activent plus vivement, sa chair dans ma paume, la sienne en et sur moi. Nos souffles courts se mêlent, mon corps se contracte autour de ses doigts comme pour appeler l’orgasme qui se trouve là, juste là, et, sous une dernière pression de son pouce, la jouissance me frappe. Je gémis fortement contre son cou, me tords, serre plus vivement son sexe et le caresse plus vite… Enfin, je le sens qui se tend à son tour, et des gouttes chaudes se répandent sur mon avant-bras…

Parfait.

Quand je rouvre les yeux, Marc me regarde, ébouriffé et beau à ne plus en pouvoir, et je pourrais vivre l’instant de grâce le plus fabuleux au monde si là, derrière lui, un peu plus loin dans mon champ de vision, ne se trouvait une petite vieille figée avec son caniche en laisse et des yeux au moins aussi écarquillés que ceux de Jo et Fée quand je leur ai annoncé mon mariage.

Au-se-cours.

Je me laisse volontairement glisser sur mon siège, cherchant à m’enfoncer sous la ligne du pare-brise, quitte à finir sous le tableau de bord s’il le faut.

– Qu’est-ce qu’il y a ? souffle Marc.

– Ne te retourne surtout pas.

Je garde son visage contre moi. Je l’agrippe, même, des fois qu’il puisse cacher le mien à la petite vieille.

Il se met à pouffer.

– Ne me dis pas que…

– Si.

– Merde.

Mes épaules sont spontanément prises de soubresauts et je me trouve incapable de retenir le fou rire qui monte malgré le plaisir dont pulse encore mon entrejambe.

On reste comme ça encore un moment, hilares, incapables d’éloigner nos visages l’un de l’autre, puis Marc se redresse, passe une main dans ses cheveux avec une classe et un aplomb incroyable. Il enclenche la première et me lance, avec un sourire terriblement sexy :

– Allez, on s’en va.

Comme si de rien n’était. J’ignore d’ailleurs si la petite vieille est toujours là car je m’évertue avec tant de force à me tasser sur mon siège et à regarder partout sauf dans sa direction que je ne peux pas le savoir.

Nous reprenons la route.

C’est au premier panneau indiquant la mairie que je réalise que mes doutes sont déjà revenus.

Mariée, oui mais avec qui ? (2)

 Chapitre 2

Je cède à la tentation et je jette un coup d’œil rapide à mon téléphone. Comme je le supposais, il s’agit bien d’un message de Geoffroy.

Tu es où ?

Court et direct, comme il l’a toujours fait. Geoff n’a jamais été un homme de discours. Son type de communication, c’est plutôt « viens » (que je te saute, que je t’enlève ta culotte, que je te plaque contre un mur et que je te baise comme tu l’attends – je n’ai jamais prétendu être réticente). Pendant un certain temps, je m’en suis satisfaite. Jusqu’à ce que j’aie besoin de plus de sa part. Mais ça, je savais que c’était perdu d’avance.

Que dois-je répondre ? Je finis par opter pour un message aussi lapidaire que le sien :

Nulle part.

D’une part parce que je suis en voiture avec Marc et que je ne vais peut-être pas lui faire un message de quinze lignes. D’autre part parce que si ça le dissuade d’insister, eh bien… ça simplifierait les choses, pour moi.

Enfin, pour tout dire, je ne peux m’empêcher de me sentir coupable, mais je me colle quelques baffes mentales qui me remettent efficacement les idées en place. Après avoir reposé mon téléphone sur les genoux, je relève les yeux vers Marc. Il m’adresse un sourire. C’est sur lui que je dois me concentrer, on est bien d’accord, hein ?

– Un petit coup de stress avant d’aller à la mairie ? me dit Marc, comme s’il avait senti la tension en moi.

– Non, ça va.

– Toujours prête à m’épouser, alors ?

– Oui.

Et je le sens de tout mon cœur, ce « oui » qui me relie à lui, celui que je suis prête à prononcer le jour J, même si je sais que c’est une folie. Je lui souris en retour. Pourtant, lorsque mes yeux tombent à nouveau sur le téléphone, je ne peux ignorer la sensation qui me déchire en deux la poitrine. Je tente de me raisonner : si j’ai quitté Geoffroy, c’est parce que je ne peux rien espérer de lui, hormis des étreintes torrides dans un club/un jacuzzi/un ascenseur, ou tout ce qui comporte une surface horizontale ou verticale (ça fait beaucoup, je sais). Alors pas question qu’il revienne dans l’équation, pas maintenant.

En entendant le court avertissement sonore m’informant de sa réponse, je me retiens de me taper, de dépit, le crâne contre l’appui-tête de mon siège. Ça ne pouvait pas être si simple, forcément. Et si je l’effaçais sans le regarder, tout simplement ? Incapable de me retenir, je profite d’un moment où Marc double une voiture pour saisir mon portable. Sûrement un de ses habituels : « Chez toi/à tel endroit dans trente minutes ». Dommage que j’aie toujours su qu’il n’y aurait rien de plus de sa part, et sûrement pas quelque chose du genre…

Je sais de quoi tu voulais qu’on parle.

Du genre de cette phrase qu’il vient de m’écrire.

Pardon ?

Je n’ai que le temps de lire son message, confuse, avant de recevoir le suivant :

Je sais ce que tu ressens.

Mais qu’est-ce qu’il dit ? Toutes les interprétations possibles de cette phrase se mettent à tournoyer dans ma tête.

Ce que je ressens…

Je ne lui ai jamais confié les sentiments que j’éprouvais pour lui, tout simplement parce qu’il a toujours été un mec avec qui il ne fallait s’attendre à rien de ce côté-là : un mec qui ne s’attache pas, qui passe de bras à d’autres, et ne laisse personne pénétrer son intimité au-delà de celle de son slip. Je l’ai su du jour où j’ai commencé à fréquenter les sex-clubs lyonnais. Je l’ai su en le laissant glisser la main dans ma culotte, la première fois. Je l’ai su à chaque fois que j’ai couché avec lui. Je n’ai jamais été naïve, je n’ai jamais été crédule, rien ne m’a jamais surprise, tout n’a toujours fait que confirmer ce que j’avais déjà compris, quand bien même ces confirmations ont fini par avoir un goût amer, bien malgré moi. Le truc, c’est que je n’aurais pas dû tomber amoureuse de lui, voilà tout. Sans ça on aurait continué à avoir des relations sexuelles incendiaires qui se suffisaient à elles-mêmes, et ç’aurait été parfait. Je n’avais même pas imaginé que ça pourrait m’arriver. Un bon gros raté, oui.

Pour autant que je sache, on s’est justement quittés avant que je lui en parle. Enfin, « quittés »… J’ai surtout fait le fantôme en attendant qu’il se lasse de me relancer dans le vide, ce qui a fini par arriver.

Je ne réponds pas. Je ne sais pas quoi dire, de toute façon. Je ne suis même pas sûre de ne pas surinterpréter ses mots.

À côté de moi, Marc se concentre sur la route, sans me poser la moindre question. Sa discrétion me touche. Il est vraiment l’homme parfait, sur tous les points. Je l’ai déjà dit ? Je devrais ne penser qu’à lui et effacer Geoffroy de ma vie, mais le retour de ce dernier ne fait que mettre en lumière la fragilité de mes dernières résolutions. Je me sens soudain horrible de douter à ce point.

– Rose ?

Je lève le visage vers Marc.

Il me regarde d’un air soucieux.

– Tu es sûre que ça va ?

– Oui.

Je lui mens encore, j’en suis consciente, mais qu’est-ce que je pourrais bien faire d’autre ? Quand il pose sa main sur ma cuisse en un geste tendre et réconfortant, je sens cependant ce contact m’attiser légèrement et je me laisserais bien accaparer entièrement par cette sensation. Je ne sais plus si je dois écouter ma tête ou bien mon corps. La première m’incite à garder l’esprit froid jusqu’à la mairie, et le deuxième me crie de laisser parler mon envie de Marc. Après tout, c’est peut-être ce dont j’ai besoin : de voir s’il est bien celui avec lequel je veux finir ma vie… Si le retour en France n’a rien gâché, si la magie est encore là.

 

Qui dois-je écouter des deux ?

Mariée, oui mais avec qui ? (1)

Autrices : Hope Tiefenbrunner & Valéry K. Baran.

Genre : MF, livre dont vous êtes le héros, chick-lit.

Résumé : Rose et Marc ont eu le coup de foudre à Venise et ils vont se marier. Classique ? Disons que de la part d’une collectionneuse de sex-toys et de rencontres furtives dans les clubs libertins de Lyon, l’annonce a de quoi surprendre  !
Et si vous décidiez vous-même de la suite de cette histoire  ? Rose va-t-elle vraiment épouser le beau Marc  ? Succombera-t-elle au charme de Geoffroy, son ex ténébreux  ? Ou bien se laissera-t-elle séduire par Jérémy, son futur beau-frère particulièrement craquant  ? À vous de choisir.

Lien vers les différents chapitres

Chapitre 1Chapitre 2Chapitre 3Chapitre 4Chapitre 5

Roman original puisque c’est un roman dont vous êtes l’héroïne une chick-lit dans laquelle vous pouvez décider du destin de l’héroïne !, sorti aux éditions Harlequin.

Toute la première partie de ce roman(20%) est publiée ici, en accord avec l’éditeur, alors foncez ! C’est une histoire totalement fun, faite pour se marrer. Jouez à pousser Rose vers les choix de la raison ou à vous laisser tenter par les pires possibles !

L’annonce

Chapitre 1

Mardi

 

Dans la vie, on a beau déployer tous nos talents pour tenter de se persuader que tout va bien, que l’on ne fait pas n’importe quoi et que si, si, on maîtrise, il se trouve toujours quelqu’un en face de soi pour nous renvoyer le contraire en pleine tronche d’un simple regard. Et, pour le coup, des regards sidérés, j’en ai deux très beaux spécimens juste devant moi : deux paires d’yeux parfaitement ronds — enfin autant qu’ils puissent l’être quand leurs propriétaires ont du mal à les garder ouverts à la base. En l’occurrence, ce sont ceux de mes deux meilleures amies, avec qui je suis installée en terrasse. Félicie, alias ma Fée préférée, tortille son postérieur endolori sur sa chaise en sirotant son mojito, tandis que Joséphine, alias mon deuxième Ange gardien (oui, comme dans la série, c’est d’ailleurs ce qui a valu à Félicie son surnom : la Fée et l’Ange), lâche une aspirine effervescente dans le verre d’eau qui accompagne l’expresso qu’elle a commandé très serré dans l’espoir qu’il la ramène parmi les vivants. Quant à moi, je me dis que je n’ai vraiment pas choisi mon jour mais bon, si j’étais plus douée, ça se saurait, et on n’en serait peut-être pas là. Autant dire qu’on a beau être attablées à l’une des terrasses les plus chics de la place des Terreaux, au centre de Lyon, un lieu certes magique mais où le moindre café coûte un bras, on n’est probablement pas la clientèle la plus glorieuse dont le patron puisse rêver aujourd’hui.

Je les observe, en attendant leur verdict. Fée aspire désespérément son mojito avec des airs d’avoir au moins besoin de ça pour se remettre de sa nuit de débauche, et Jo regarde fixement son cachet se dissoudre dans l’eau comme si ça pouvait l’aider à réagir à mon annonce. Et pendant qu’elles digèrent, analysent, dessoûlent, ou les trois à la fois, j’allume ma cinquante-douzième cigarette depuis ma descente de l’avion, parce que toute aide, toxique ou non, est bonne à prendre pour affronter mon retour à la réalité. Quand je pense que je n’ai pratiquement rien fumé pendant ce séjour à Venise… Mais où es-tu passé, voyage idyllique ?

– Et donc c’est pour ça que tu as loupé la super soirée d’hier ? lance soudain Fée d’une voix rauque trahissant un mélange d’alcoolisation, de manque de sommeil et d’usure, à force d’avoir trop crié.

J’ai une petite idée de la nature des cris en question mais je préfère en préserver vos chastes oreilles.

– Oui.

Je tire une latte sur ma clope puis m’envoie une gorgée de mojito, ou l’inverse, je ne sais déjà plus très bien, et précise :

– On aurait dû rentrer samedi, normalement. Le séminaire s’est fini vendredi soir, après une semaine de…

Je cherche le terme. « Ennui profond » correspond bien à l’aspect professionnel mais « galipettes sous la couette » serait tout aussi véridique… Je laisse tomber et reprends :

– Bref, tous les autres sont revenus direct, mais nous on a décidé de rester deux jours de plus.

– À Venise ? insiste Fée, les yeux toujours écarquillés.

La pauvre, elle me fait tellement peur que j’envisage d’aller lui chercher du collyre : à ce rythme, elle risque la sécheresse oculaire. Elle tortille distraitement les mèches plus longues qui tombent devant ses oreilles. Fée est la seule fille que je connaisse qui se coupe les cheveux toute seule, ce qui m’impressionne d’autant plus qu’elle arbore une coupe à la garçonne à la fois spontanée et sophistiquée, du genre qu’on voit plutôt dans les vitrines des coiffeurs renommés. C’est aussi la seule qui assume une couleur bleue foncée parfaitement assortie à ses yeux, ce qui fait d’elle un bon point de repère dans les soirées.

Je hausse une épaule.

– Ben oui.

Venise… ou le dernier lieu auquel on penserait pour organiser un séminaire d’entreprise consacré à la « synergie et coopération des équipes », mais le premier pour succomber à un coup de foudre. Et pour succomber, on peut dire j’ai succombé. De toute la force de mon cœur, de toute mon âme de romantique, enfouie au fond de moi, qui a fini par en avoir assez des mecs interchangeables et des plans cul auxquels on s’adonne depuis l’IUT avec Jo et Fée. À croire qu’une relation plus conventionnelle me manquait ou que… je ne sais pas… Venise, le voyage, le fait d’être loin de Lyon, de ces soirées, de mon milieu, de mon quotidien… Là-bas, , dans ce cadre idyllique, avec ce parfait prince charmant, l’idée de me poser ne m’a soudain plus semblé si incongrue.

Bien sûr, cette histoire de mariage était peut-être un chouille too much, je le réalise maintenant, mais sur le coup, dans la folie du moment, ça paraissait tellement logique et naturel… Marc est fou d’amour et moi, folle tout court — même si ça, ce n’est pas une révélation. Tout ça pour dire que, sous le regard éberlué de mes deux copines, j’ai comme l’impression que le retour à la réalité va être rude.

Concentrée sur son verre, les sourcils froncés, Jo touille son aspirine qui n’a pas encore fini de se dissoudre tout en massant ses tempes avec le pouce et le majeur. La pauvre, elle a vraiment l’air d’être au trente-sixième dessous ! Il faut dire qu’on a toujours eu une relation très fusionnelle, toutes les deux, pour ne pas dire « particulière », et je comprends qu’elle ait du mal à encaisser.

– Attends, lance-t-elle enfin, en relevant les yeux vers moi. Tu veux bien nous réexpliquer l’affaire, là ? Parce que je crois que je n’ai rien compris.

Puis elle se penche en avant au dessus de la table avec sa plus belle expression d’incrédulité. J’acquiesce et reprends en articulant, très lentement, pour être bien sûre que ça pénètre dans leurs cervelles embrumées.

– Je me marie avec Marc, que j’ai rencontré à mon séminaire à Venise.

S’ensuit un silence de quelques secondes, rompu par Jo.

– Tu vas te marier ? Sérieusement ?

Elle dit cela avec cette intonation que j’ai toujours adorée, cette voix sexy et désabusée à la fois, à la Fanny Ardant, où je perçois néanmoins aujourd’hui en plus une nuance de sidération.

– Voilà.

Mais bon, j’ai beau faire la maligne, essayer de paraitre assurée, à l’intérieur de moi, tous les warnings clignotent frénétiquement. Je crois qu’en dépit de tous mes efforts, le mot « mariage » continue à déclencher mes alarmes internes, qui ne se sont d’ailleurs plus tues depuis le jour où je suis passée de « je m’envoie l’intervenant de ce séminaire chiant comme la mort : normal » à « oh mon Dieu, mais c’est en train de devenir sérieux : anormal ». Mais je refuse de me laisser abattre. Après tout, c’est une décision que j’ai prise : à moi de l’assumer et à Jo de l’accepter.

– Non mais… grimace cette dernière avant d’être interrompue par Fée.

– Non mais sérieusement !  Tu déconnes, Rose !

Puis elle absorbe son mojito à grandes goulées, comme un plongeur en apnée en manque d’oxygène.

– Tu ne peux pas te marier, c’est… c’est…

– Mais pourquoi pas ? je m’insurge. Je peux bien avoir envie de me poser, moi aussi, un jour ! Ce n’est pas un truc qui n’est réservé qu’aux… qu’aux… qu’aux…

On les appelle comment, au fait, déjà, les gens qui ne passent pas leurs soirées dans les sex-clubs à fricoter avec les mecs les plus craignos du coin, et qui peuvent envisager l’idée de se construire un avenir ?

– Non mais… Non non non, insiste Fée en balayant le reste de ma tirade d’une main. Il t’a fait quoi, ce mec ? Je veux dire… il t’a sautée, c’est ça ? C’est un super bon coup, il t’a fait voir Disneyland et la grande parade de Mickey avec ?

– Ben…

Sur le coup, je ne sais pas quoi répondre, parce que je n’ai pas d’explication et que si je réfléchis trop… Non, ne surtout pas faire ça. Alors je me venge sur ma cigarette, que je consume avec vigueur avant de l’écraser rageusement.

– Oui, bien sûr.

– Et après ?

– Et après, ben…

Je songe à mon père, et au fait que ce soit lui qui ait organisé ce fameux séminaire (oui, je travaille dans l’entreprise qu’il dirige). Forcément, il connait Marc. Pour une fois que je m’étais promis de jouer les employées modèles, je me suis envoyée en l’air avec le dernier type avec qui je l’aurais dû. Mais en même temps, j’ai craqué sur sa verve et son charme magnétique (ne vous moquez pas, je vous assure que l’expression est de rigueur)… Et puis je ne suis pas quelqu’un de bien sous tous rapports, ce n’est pas nouveau. Ma libido est ma meilleure copine comme ma pire ennemie, et elle a la fâcheuse tendance à toujours gagner la guerre contre ma raison.

– Eh bien, il est intelligent, il est beau, il est gentil, il est… (Je me penche en avant pour poursuivre, façon grandes confidences.) C’est un parfait gentleman !

Fée lève plus encore les yeux au ciel, comme si je venais de dire la dernière des conneries.

– Parce que tu aimes les gentlemen, maintenant ?

Je me rassieds au fond de ma chaise et sirote mon mojito.

– Et pourquoi pas ?

Jo et Fée arborent une moue dubitative en parfait miroir. J’hésite à sortir mon smartphone pour immortaliser l’image, décide de m’abstenir et reprends.

– Je veux dire, qu’est-ce que je fais de ma vie ? On va continuer combien de temps comme ça, les filles ? Eh, Jo, Fée, on a 29 ans ! Vingt-neuf ! (Je dis ça comme si on avait déjà un pied dans la tombe.) On va passer combien d’années, encore, à se coltiner les mecs les plus relous de la planète en passant de coup d’un soir en… euh… coup d’un soir ?

Bon, d’accord, la verve, ce n’est pas pour moi, aujourd’hui. Mais ce qui compte c’est que le message passe, et il me semble que c’est à peu près le cas.

Perdue dans ses pensées, Jo contemple ses ongles manucurés. Avec ses traits fins et sa longue chevelure blonde retenue en une queue-de-cheval haute, elle n’a rien perdu de ses airs de poupée slave qui mettaient tous les hommes à ses pieds à l’IUT. Lorsqu’elle reprend la parole, elle a toutefois plutôt l’air d’avoir avalé un chat, façon Jeanne Moreau shootée au whisky.

– Et il est comment ce mec ? Parce qu’à la limite (rire nerveux), que tu aies envie de te poser, je veux bien, mais (raclement de gorge) pourquoi avec lui ? Je veux dire, vous n’avez même pas eu le temps de vous connaitre. Il a quoi de particulier, celui-là ?

– Il est dingue…

C’est la seule réponse qui me vient. J’éclate de rire en repensant à son air de défi quand il m’a proposé le mariage pour me prouver qu’il n’était pas disposé à retourner à sa vie d’avant — et à me laisser retourner à la mienne.

– Il est dingue, et moi avec, et puis… je ne sais pas. C’est allé tellement vite…

– Justement ! rétorque Jo.

Bon, j’ai compris. Elle est jalouse, là.

– Et pourquoi pas ? Ça arrive dans la vraie vie.

– Parce que nous, on n’est pas dans la vraie vie ?

– Tu sais très bien ce que je veux dire, Jo !

Fée, qui a l’air d’avoir du mal à tout encaisser à la fois (les suites de sa soirée, ma déclaration, l’engueulade avec Jo…), lance des mains vers nous pour essayer de nous calmer. Je me cale à nouveau contre mon dossier.

À vrai dire, je ne suis pas tellement surprise de leur réaction. Enfin, surtout pour Jo. Fée, je savais qu’elle serait cool et que ça l’amuserait plus qu’autre chose, mais je me doutais bien que ce ne serait pas si simple avec Jo.

– Et vous êtes rentrés quand ? demande Fée.

– Cette nuit.

– Vous êtes complètement malades, dit Jo.

– Sûr.

Je peux difficilement prétendre le contraire. Pourtant, j’ai envie d’y croire, malgré tout : de prolonger la magie de ces journées vénitiennes.

Fée se tortille encore sur sa chaise et Jo avale sa dernière gorgée d’aspirine.

– Je ne peux pas rester assise, gémit Fée en se penchant sur le côté pour ne garder qu’une fesse en contact avec son siège dur.

Elle me fait pouffer.

– Mais vous n’êtes pas vraiment engagés, encore ? insiste Jo.

– Ben… On a quand même profité des derniers jours à l’hôtel pour demander nos extraits d’acte de naissance. Je dois le retrouver tout à l’heure pour passer à la mairie déposer les bans et fixer une date pour le mariage…

Alerte warning ! Oui, ça va vite. Oui ! Oui ! Je le sais !

À ce rythme, Jo et Fée vont bientôt avoir les yeux hors de leurs orbites. Je décide de ne pas m’arrêter pour autant. De toute façon, il va bien falloir que je parvienne à leur extorquer leurs pièces d’identité.

– Et je voudrais que vous soyez mes témoins.

– Quoi ?!

Elles ont crié en chœur. Encore un coup comme ça et les malheureuses s’étouffent avec leurs boissons.

– Mais… mais mais mais…

Fée ne semble plus capable de prononcer un mot et Jo a l’air proche de la syncope. Je décide de calmer le jeu, parce que bon, je me marie, OK, mais ce n’est pas la fin du monde, que je sache.

– Eh, les copines, je ne vous ai pas annoncé mon entrée dans les ordres, hein ?

– Non mais… intervient Fée en me regardant comme si j’étais Alice, revenue du Pays des merveilles, et que je venais de leur annoncer mon union imminente avec la chenille. Quand même ! Et il… il sait pour toi ? Je veux dire, tu lui as dit quoi, de toi ?

– Eh bien… (Ouch ! Elle a tapé juste, là.) L’essentiel.

Mais Jo me connait trop bien et capte tout de suite que quelque chose cloche. Maudite soit-elle. Elle insiste :

– Mais encore ?

– Que je suis la fille de mon père… Ils se connaissent, oui. Que je suis une employée modèle de l’entreprise et que je… fais de merveilleuses pipes ?

Je tente un sourire charmeur. Raté ! Jo et Fée me regardent comme si j’étais l’Ultime Désespérance à moi toute seule, majuscules comprises.

– Tu ne lui as rien dit, quoi.

– Ben…

– Il ne sait pas pour tes soirées, il ne sait pas pour tes conquêtes, il ne sait pas pour ta collection de sex-toys…

– Non, mais qu’est-ce que vous vouliez que je lui dise ? Que j’aime le sexe, ça, ça va, il a eu l’occasion de s’en apercevoir ! Et il ne s’en est pas plaint. Le reste… ma vie sexuelle dissolue, mes aventures ou mésaventures diverses… On était à Venise, c’était romantique à l’extrême… Ce n’était pas trop le lieu pour ce genre de confidences.

– Enfin sans vouloir faire la morale, ça m’aurait paru un minimum avant de te marier, insiste Jo.

Une fois de plus, je ne peux pas dire le contraire. Et c’est bien ce qui me dépite, mais bon : pourquoi serait-on obligé de dire toute la vérité, aussi ?

– En même temps, c’est sûr que ce n’est pas vendeur, s’amuse Fée avec sa légèreté habituelle et cette franchise qui font son charme.

– Peu importe, insiste Jo, tu ne peux pas… (Elle secoue la tête.) Je ne sais même pas par quoi commencer, Rose. Cette histoire, c’est juste du grand n’importe quoi. Tu pars en séminaire une semaine et tu reviens en nous disant que tu vas épouser un gars que tu connais à peine, ce qui, à mon avis, est déjà synonyme d’échec, alors en ajoutant à ça que tu ne lui as rien raconté de ta vie… Autrement dit, il ne te connait pas. Et je parie que tu n’en sais pas plus sur lui.

– C’est vrai, Jo, mais voilà, j’en ai envie. Ça fait longtemps que je me dis que j’ai passé l’âge des conneries, que je ne peux pas continuer comme ça indéfiniment…

– Mais tu ne peux pas…

– Si, je peux. Maintenant la question est de savoir si vous me suivez ou pas.

Le visage de Jo s’est fermé et je sais parfaitement qu’elle prend mon annonce comme une trahison. Fée bascule sur son autre fesse pour soulager la pression et finit son mojito.

– Moi, s’il y a des mecs, à boire et à manger, tu me connais je ne sais pas dire non.

– Fée, grogne Jo.

– Quoi ? Tu connais Rose ? Quand elle a une idée en tête, rien ne peut la faire changer d’avis. Je te rappelle que c’est la fille qui a réussi à se faire sauter dans une partouze gay, et contrairement à toi, sans essayer de se faire passer pour un mec !

Je pouffe parce que c’est Fée, parce que c’est vrai et que ça reste un moment épique et délirant. Et parce que c’est Fée, les lèvres de Jo esquissent un vague sourire.

– Il me faut de l’alcool, finalement.

Elle hèle le serveur pour commander un verre. Après une longue expiration, elle reporte son attention vers moi.

– De quoi as-tu besoin ?

Sa question m’enlève instantanément un poids des épaules.

– De vos pièces d’identité pour tout à l’heure, enfin, une copie. Et que vous ne disiez rien à Marc.

Mes sirènes internes retentissent toujours mais je fais ce qu’il faut pour les étouffer de toutes mes forces. Le visage de Jo se renfrogne et, avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit, je termine ma phrase en jetant un œil à mon smartphone.

– Et que vous vous teniez bien quand il arrivera. Dans moins de dix minutes.

– Rose, me sermonne Jo sans desserrer les dents.

Fée intervient, pragmatique :

– En gros, je peux dire que j’ai juste une horrible gueule de bois mais j’évite d’expliquer que mon vagin est un vaste champ de bataille ?

– Et moi, grogne Jo, quand il va me demander ce que je fais dans la vie, je lui réponds quoi ? Vendeuse de chaussures ?

– Il sait que tu travailles dans un sex-shop.

– Ah tiens ? Tu as été honnête sur ce point ?

Je m’insurge :

– Ce n’est pas parce que tu bosses dans ce genre de magasin que ça fait de toi une accro au sexe et une libertine !

– Sauf que c’est le cas !

– Je sais !

Ça m’agace qu’elle réagisse comme ça. J’ai juste envie qu’elles me suivent dans ce délire comme on l’a toujours fait. Et puis il y aura du cul et de l’alcool, comme dans tout bon mariage qui se respecte ! Enfin… je crois, non ?

Mais comme je m’apprête à leur répondre exactement ça, le serveur pose notre commande sur la table et Jo s’empare de son verre. Un bon tiers de son mojito disparait en une seule et longue gorgée. Fée et moi restons admiratives. Jo s’essuie les lèvres du revers de la main puis repose lourdement son verre.

Fée hoche la tête avec conviction et appelle le serveur à son tour.

– Un autre aussi !

Puis elle commente :

– Soigner le mal par le mal, il n’y a que ça de vrai ! Je devrais peut-être tenter le vibro pour les douleurs de mon cul, d’ailleurs.

Jo lève les yeux au ciel avec un petit sourire amusé et moi je réalise à quel point c’est mort pour que je continue à passer pour la fille bien sous tous rapports (même si ouverte sexuellement) auprès de Marc. Alcooliques, délurées et accros au sexe : par quel miracle va-t-il passer à côté de ça en les rencontrant ? Je grimace intérieurement, et probablement pas seulement, puisque Fée pose soudain sa main sur la mienne.

– T’inquiète, j’en profite tant qu’il n’est pas là.

Je sais que je devrais lui faire confiance… enfin j’espère, quoi !

– D’acc.

Je regarde mon paquet de clopes avec envie mais me dis qu’il faut que je me calme sur le goudron et le range dans mon sac.

– Tu sais qu’il faudra arrêter si tu veux faire des bébés avec monsieur, hein ?

Grands dieux, des bébés ?

– Ben quoi ? poursuit Fée. Je suis sûre que tu serais très bien en maman.

Je suis stupéfaite.

– Tu me vois… maman, mais pas mariée ?

– Ah ben ça…

Jo l’interrompt.

– Ce n’est pas tant le mariage en soi que le fait que tu t’engages avec un inconnu. Sans parler de la précipitation et du mensonge, bien sûr.

– Je n’ai pas menti !

Je sais très bien que Jo a raison mais je proteste par réflexe.

– Par omission, ce n’est pas vraiment mieux.

– Oh, lâche-la un peu, Jo. Après tout, nous ne sommes plus toutes jeunes. Tu ne l’entends pas, toi, ton horloge biologique qui fait tic tac, tic tac, tic tac ? lance Fée avec une expression diabolique.

– Non, ce que j’entends, c’est plutôt le marteau piqueur de ma cuite.

Tandis que Fée éclate de rire, je m’interroge. Serait-ce une envie inconsciente de mouflets qui m’aurait poussée à accepter la proposition de Marc ? Faire des enfants n’a jamais vraiment fait partie de mon plan de vie mais, à vrai dire, je n’ai jamais vraiment eu de plan de vie, alors… Je crois que là, réfléchir est ce qui peut m’arriver de pire : mon stress est monté en flèche et je ne suis pas sûre de pouvoir gérer si on continue dans cette voie.

– Eh bien moi, siffle Fée en relevant le menton, quitte à faire des bébés, je choisirai un bel apollon comme celui-là. Il est bandant.

Je me retourne et mon cœur se met à battre la chamade tandis que mon ventre se contracte délicieusement. Comme quoi, il y a quand même des éléments tangibles sur lesquels je peux me reposer pour apaiser mes craintes. Je me lève.

– Marc !

Le sourire qu’il m’offre aussitôt me fait fondre. Bon Dieu, je l’ai quitté il y a quelques heures seulement et je me sens devenir une vraie guimauve en le voyant. Je sais que ça me donne l’air d’avoir douze ans mais il est tellement beau et bien foutu et sexy et… bon, du calme.

Il avance jusqu’à notre table d’une démarche énergique tandis que je jauge d’un œil discret les réactions des filles : Jo l’observe attentivement et Fée est déjà en train de baver. Il faut dire qu’avec son mètre quatre-vingt-dix de sex appeal, son sourire enjôleur qui donne envie de boire sans réfléchir la la moindre de ses paroles, ses courts cheveux châtains et la plus jolie barbe de trois jours qui puisse exister après un weekend de sexe sous la couette (le nôtre qui plus est), il y a effectivement de quoi baver.

– Bonjour ! lance Marc quand il est à côté de nous.

Et puis il se penche vers moi et m’embrasse, et je jure que mes doigts de pieds se tordent et que mes ovaires explosent de joie anticipée.

– Salut, toi, souffle-t-il.

– Salut.

Je ne sais plus parler. Je lui souris. Je suis folle de lui, c’est clair et net. Mais je me reprends quand même pour faire les présentations. Il faut croire qu’il me reste un minimum de dignité.

– Marc : les filles. Fée, Jo : Marc.

– Enchanté, dit-il.

Il attrape une chaise libre à la table d’à côté et vient s’installer tout contre moi. Je ne manque pas le regard de Fée qui mate ouvertement son arrière-train, mais je ne peux pas lui en vouloir : au séminaire, chaque fois qu’il se tournait pour montrer un truc au rétroprojecteur, je fondais lentement en mode loukoum abandonné au soleil.

– Alors, pas trop choquées par l’annonce de Rose ? lance-t-il.

– Un peu, si, répond Fée.

– Complètement, approuve Jo.

Marc leur offre le sourire qui m’a fait dire qu’il finirait dans mon lit avant la fin du séminaire, et je vois que le charme opère. Good boy !

– Je comprends. Les amis à qui je l’ai annoncé ont eu l’air totalement choqué, mais en même temps, ils sont habitués à mes coups de tête. Et franchement, là… (Il se retourne vers moi, les yeux brillants.) C’est le plus beau coup de tête de ma vie.

Je souris, comme une cruche j’en suis certaine, mais je m’en fous. Je crois que je perds un neurone chaque fois que ce type m’adresse un regard. Il est tout ce que j’ai toujours voulu, que j’ai imaginé dans mes rêves les plus fous. Le prince charmant de Disney version rock’n roll. Je me retourne vers les filles. Fée me sourit.

– OK, il est très beau, dit-elle.

– J’espère que ce n’est pas que pour ça qu’elle m’épouse.

– En même temps, vous n’avez pas eu vraiment le temps d’aller tellement au-delà, non ?

– Jo !

Mais au lieu de se vexer, Marc éclate de rire.

– C’est exactement ce que m’a dit mon meilleur ami, Paul. Enfin dans l’idée.

– Il a accepté d’être témoin ? demande Fée.

– Oui, il m’a dit que j’étais timbré, qu’il voulait rencontrer Rose et je crois qu’après ça, il a commencé à organiser mon enterrement de vie de garçon.

Je vois une lueur de sadisme dans les yeux de Fée. Jo, elle, continue de détailler Marc, et je le trouve très à l’aise sous son regard.

– N’envisage même pas d’organiser quoi que ce soit, dis-je à l’attention de Fée. Et toi, arrête de le fixer comme s’il était le Diable incarné.

Jo détourne le regard vers moi et je ne sais pas trop quoi penser. Que mes amies soient perturbées par mon annonce subite, surtout quand on a été habituées, comme nous, à faire les quatre-cents coups, je peux le comprendre. Mais Jo a l’air d’avoir vraiment du mal à l’avaler. Notre échange se poursuit, et je suis consciente que la bière que commande Marc jure au milieu de tous nos verres vides de mojito parce qu’on a l’air de pochtronnes à côté de lui, mais je fais comme si de rien était.

– Alors, les filles, reprend-il finalement, je suppose que vous avez des questions.

Il se recule légèrement dans son siège.

– Je suis tout à vous.

– Au sens figuré ? demande Fée.

Le rire de Marc me rassure.

– Bien, commence Jo.

Elle fait craquer ses doigts, et je me dis que, si elle se lance dans un interrogatoire façon Gestapo, ça va être gai !

À cet instant-là, mon téléphone sonne — fort heureusement, me dis-je dans un premier temps. Ou pas, rectifié-je aussitôt après. Parce qu’il ne me faut qu’une seconde pour identifier la mélodie, que je ne connais que trop bien. Et le fait que cette mélodie se fasse entendre juste à ce moment-là, et que je sache précisément depuis combien de semaines (sept, exactement) ça ne s’était plus produit, me donne la sensation soudaine que certains éléments du destin s’entrechoquent dans le seul but de me faire tomber dans un trou noir.

J’observe Jo et Fée, qui savent aussi bien que moi qui appelle. Son nom est d’ailleurs écrit en gros sur l’écran : Geoffroy. Le type qui aurait pu être à la place de Marc s’il n’avait pas été aussi inaccessible et incapable de sentiments amoureux. Celui qui incarne avec la plus grande force le milieu que j’ai pris la décision de quitter. Celui dont j’aurais mille fois dû supprimer le numéro au lieu d’hésiter au moment d’appuyer sur la touche fatidique, parce qu’une partie de moi voulait encore et toujours croire que quelque chose était possible entre nous (ce qui est complètement débile et ridicule, que cela soit dit). Celui à qui je m’étais promis de cesser de répondre, pour prendre mes distances, décision à laquelle je m’étais d’ailleurs tenue, et lui aussi, ce qui m’avait laissé penser que ma décision était la bonne…

Il ne peut pas trouver pire moment pour refaire surface. Et c’est sûrement pour cette raison que je me sens totalement indécise, incapable de savoir si je dois décrocher ou non. La réponse devrait être évidente : c’est le moment où jamais de tourner définitivement la page « Geoffroy » ! Dans ma main, le vibreur me fait l’effet d’un quitte ou double : prendre ? Ne pas prendre ? Et merde, je suis une grande fille et je vais me marier. Je me lève brusquement et saisis mon smartphone en m’éloignant de quelques pas.

– Eh, Rose.

Un frisson me parcourt. Je me flanquerais des baffes. Sa voix ne devrait pas me faire un tel effet. Elle devrait m’énerver, plutôt, me mettre hors de moi.

Je jette un œil à Marc, assis plus loin avec Jo et Fée, et remarque que ces dernières semblent avoir commencé à lui poser des questions. Par réflexe, ma main plonge dans mon sac et en sort un briquet et une cigarette, que j’allume d’une main tremblante. Autant pour les bonnes résolutions.

– Ça fait longtemps, reprend Geoffroy.

– En effet.

Je ne sais pas ce que Geoff a fait durant ces deux derniers mois, parce que je n’ai pas voulu le savoir, et je ne m’en porte pas plus mal. Il a vécu sa vie, moi la mienne, et c’est exactement ce dont j’avais besoin : une pause. J’inspire une longue latte en tournant la tête vers Marc, qui me regarde.

– Tu es libre ce soir ? poursuit Geoff d’un ton curieusement mal assuré.

Je ne sais ce que je dois en penser. Pourquoi ce retour maintenant ?

– J’ai… dit-il avant de s’interrompre un instant, comme s’il était gêné. J’ai besoin de te voir.

– Je vais me marier.

C’est sorti d’un coup. Je dois calmer toute velléité de sa part de reprendre contact avec moi, parce que je sais très bien comment je réagis quand je le vois : je craque (« comme une merde », diraient les filles). Et c’est justement pour ça que j’avais besoin de prendre mes distances. Parce qu’à un moment donné, il faut cesser de craquer et avancer.

Il y a un blanc à l’autre bout de la ligne. Puis, au bout d’un moment qui me parait une éternité :

– Tu plaisantes ?

– Non.

Plus loin, mon futur mari continue de répondre à mes copines sans se formaliser. Au contraire, je le vois sourire et j’entends même l’éclat de rire de Fée. J’aimerais être aussi à l’aise que lui dans la vie. J’inspire une longue bouffée.

– Mais… Mais quand ? reprend Geoff.

– On passe tout à l’heure prendre rendez-vous à la mairie.

Mon Dieu, que ça va vite ! Et ça me parait encore plus absurde à cet instant, avec Geoffroy au bout du fil. En fait, je ne sais pas si je voudrais que ça se précipite encore plus, façon de me sauver de moi-même (et j’en ai besoin !), ou que ça s’arrête d’un coup, parce que je mesure à quel point je suis loin d’avoir tourné cette page de mon existence.

Après un nouveau silence, Geoff déclare :

– Non, c’est hors de question, tu… nous… Bon. J’arrive.

Et il raccroche.

Quoi ?

Je fixe l’écran de mon smartphone, en pleine hallucination. Je ne parviens pas à croire ce qu’il vient de dire. Ce n’est pas possible ! Comment ça, il arrive ? Mais non ! Je ne suis pas d’accord !

J’ai au moins atteint les tréfonds du Désespoir Ultime (toujours avec des majuscules) quand je reviens à notre table. Hé, ho, je vais me marier ! Geoffroy ne peut pas revenir maintenant ! C’est rigoureusement impossible. Marc m’observe, interrogatif, tandis que les filles ont l’air franchement soucieuses.

– C’était quoi ? me demande-t-il.

– Oh ! Mon père : il me file des jours de congé pour qu’on puisse préparer le mariage. C’est cool.

Jo et Fée me fixent avec inquiétude, teintée, pour la première, d’une pointe d’agacement. Je sais très bien ce qu’elle pense : non seulement elle n’a jamais pu supporter Geoffroy (je vous ai dit qu’elle était possessive comme pas deux ?), mais dans son esprit, je viens de grimper un nouveau palier dans le mensonge avec Marc. Enfin… j’ai quand même bien eu mon père au téléphone, et il m’a bien donné des jours de congé, mais c’était dans la matinée. Enfin bon, à la fois qu’est-ce qu’elle voulait que je dise ? Je ne sais déjà pas quoi penser de l’appel de Geoff, alors en parler… Tout ce que je sais, c’est que les doutes que j’avais sur ce mariage (oui, j’en avais quand même un peu) me semblent soudain beaucoup plus conséquents, et que je suis paumée. Du coup, le seul truc que je trouve à faire, c’est me pencher vers Marc pour l’embrasser, pour chercher dans la sensation de ses lèvres la confirmation que je ne fais pas une bêtise, et m’enivrer du contact de nos bouches. Quand nos visages se séparent, Fée nous observe, et je décèle dans son regard une lueur d’amusement :

– Et alors, vous avez vraiment couché ensemble dans une gondole ?

Heureusement qu’elle est là pour me faire rire. Ben oui, on a vraiment fait ça, une idée de Marc, qui ne plaisante pas quand il dit qu’il fonctionne aux coups de tête. Déjà, j’étais sciée qu’il parvienne à convaincre un gondolier de lui louer, même à prix d’or, son outil de travail, mais quand en plus il lui a emprunté son canotier pour me chanter la sérénade dans un italien approximatif, ça m’a complètement vrillé la tête : je lui ai sauté dessus dès qu’on s’est retrouvé dans un petit canal isolé.

Il esquive avec un rire charmant, puis se lève et pose la main sur ma taille pour me serrer contre lui. Me voilà donc avec la tête retournée, pleine de doutes, le cœur mi-exalté mi-souffrant, et un brasier s’allumant dans ma culotte. Ma vie est formidable.

– On y va ? me souffle-t-il.

– Ça marche. Les filles, vous me passez vos cartes d’identité, je vous les rends le plus vite possible.

Fée se penche vers son sac avec une grimace discrète.

– Tout va bien ? s’inquiète Marc.

– Ce n’est rien, j’ai repris l’aérobic hier. Après des mois sans faire de sport, je le sens passer.

Je la remercie silencieusement d’avoir mis tant de conviction dans sa voix. Même moi, je pourrais la croire, si je ne savais pas qu’elle était irrémédiablement allergique au sport et que… Bref, passons. Jo me tend ses papiers à son tour et je me promets de leur faire un super cadeau à toutes les deux. Des bises plus tard, je me pelotonne contre Marc, comme si sa présence pouvait me protéger de moi, mon inconstance et mes doutes.

Nous traversons la place des Terreaux en traçant directement par le parterre des petits jets d’eau : ils sont si légers que c’est à peine si quelques gouttes nous atteignent. Je suis en train de grimper dans sa voiture quand mon téléphone émet le son caractéristique signalant l’arrivée d’un nouveau message. Geoffroy, forcément. Mais pourquoi est-il revenu ? Il ne lâchera plus l’affaire, maintenant, et c’est pourtant tout, mais alors tout sauf le moment.

J’observe Marc qui s’installe au volant, sans savoir que penser. Peut-être devrais-je lui en parler, en fin de compte. Après tout, c’est vrai qu’il ne sait pas grand-chose de ma vie, et parler de ses ex, ça doit bien se faire entre futurs époux, non ? Mais je ne le sens pas et je ne saurais même pas comment mettre le sujet sur le tapis. Non. Je ne vais pas commencer à me reposer sur lui. Je vais gérer ça comme une grande.

Marc démarre la voiture et rejoint le trafic des quais de Saône, tandis que mon téléphone me semble pulser dans mes mains.

 

Alors ? Qu’est-ce que je fais pour ce SMS ?

Quitte ou double (3)

Chapitre 3

La fraîcheur matinale et les premiers rayons de soleil ont raison de son envie de traîner au lit. Matthias remarque la place vide à ses côtés et se blottit davantage dans les bras qui l’enlacent. Le corps derrière lui réagit en resserrant son étreinte et il entend un bâillement qui se termine en grognement. Toni n’a jamais été du matin, quand bien même il a eu son compte de sommeil. Matthias retient sa moquerie et se tourne pour lui faire face sans se déloger de son embrassement. Il glisse une jambe entre ses cuisses et le bras autour de sa taille. Alors que Matthias s’apprête à parler, son ami le fait taire en lui collant le front contre son torse. Docile, il reste ainsi de longues minutes, avant de commencer à paniquer. Seuls dans le lit de Justin, les draps encore souillés de leurs ébats nocturnes — même s’ils ne se sont pas réveillés pour recommencer —, leur nudité ranime d’autres désirs à mesure que les images de la nuit lui reviennent en mémoire.

— Toni ?

— Tout va bien, rendors-toi, répond son ami à son ton affolé.

Il est bien tenté de le croire : il ne s’est jamais senti autant en confiance que dans les bras de Toni. Que ce soit quand il l’enlaçait pour le rattraper d’une chute, chaque fois qu’il essayait de tenir sur des patins, ou quand il le consolait après ses ruptures et autres disputes avec Justin. Pourtant, il a besoin d’éclaircir ce qu’il s’est passé. Surtout maintenant que les doigts de son ami frôlent la peau de son dos en des arabesques auxquelles son corps répond de manière obscène.

— Pourquoi Justin t’a demandé à toi ? Pourquoi tu as accepté ?

— Il ne revient que vers midi, on a le temps d’en parler, repose-toi, soupire Toni.

— Dors si tu veux, je me lève, décrète Matthias en se libérant de l’étreinte.

Il est surpris du froid qui l’agresse quand il pose les pieds au sol et lutte contre l’envie de retourner au creux de l’enveloppe chaude qu’était le corps de son ami. Toni s’étire bruyamment et se redresse sur un coude :

— D’accord, commence-t-il. Justin en a marre de vos jeux et est persuadé que tu craques pour moi. C’est son pari : quitte ou double. Soit tu te contentes de lui, soit tu romps et on finit tous les deux.

— Quoi ? Mais il n’a jamais…

— Et moi, le coupe Toni, si j’ai accepté sa proposition, c’est parce que j’y ai vu une bonne opportunité.

Matthias en perd la voix et se borne à afficher un air offusqué. Toni doit le trouver amusant puisqu’il ricane avant de reprendre :

— Ne le prends pas mal, mais Justin n’a jamais caché qu’il trouvait notre relation ambiguë, non ?

— C’est vrai, admet Matthias. La première fois que je l’ai abordé, il a cru qu’on était en couple et que je lui proposais un plan à trois.

Le souvenir lui provoque un sourire, mais l’écho entre cette rencontre et leur situation actuelle crée une sorte de malaise. C’est comme si, toutes ces années, Justin était resté sur cette impression.

— J’avoue, reprend Toni, que je me suis toujours demandé ce que ça donnerait nous deux si on dépassait le stade amical. Pas toi ?

— Je…

— Ne nie pas, le coupe à nouveau Toni, avant d’ajouter : pas après ta réaction d’hier.

— L’idée m’a déjà effleuré l’esprit, est obligé de concéder Matthias.

D’ailleurs, il a du mal à soutenir le regard de son ami pendant qu’il se confesse et lui est reconnaissant de leur épargner cette épreuve en se remettant sur le dos pour observer le vide. Ainsi, il peut détailler Toni à loisir sans avoir la crainte du jugement :

— J’ai eu un tas de fantasmes sur toi et c’était encore mieux en vrai, mais si Justin ne s’en était pas mêlé, je n’aurais jamais fait quoi que ce soit qui puisse gâcher ce qu’on a. Est-ce que, ajoute Matthias, en hésitant, quand il le voit se raidir, notre amitié ne te suffit plus ?

— Bien sûr que si, le rassure Toni, le troublant davantage.

Perplexe, Matthias attrape la bouteille d’eau ramenée pendant la nuit et en boit quelques gorgées, appréciant que la sensation pâteuse du réveil quitte sa bouche. Il remonte dans le lit et ramène le drap sur lui. La question qui lui brûle les lèvres l’effraie et il espère un signe de Toni qui lui éviterait de la poser. Toutefois, ce dernier laisse le silence s’étirer, les yeux rivés au plafond. Matthias prend une longue inspiration pour rassembler son courage :

— Je dois choisir entre toi et Justin ?

— Nous deux, ça serait du tonnerre, argumente Toni sans se détourner du point imaginaire qu’il fixe depuis tout à l’heure. On se connaît par cœur. Je n’envisage pas de gâcher quoi que ce soit, sans compter que tout le monde nous prend déjà pour un couple. Et puis, on a démontré hier que le sexe est génial.

Matthias ne sait plus ce qu’il doit dire. Il ne peut rien réfuter, sans pour autant oser accepter l’évidence. Doucement, il sent poindre de la colère : Toni est injuste de lui laisser porter la responsabilité de ce choix, surtout quand il semble si soudain et définitif.

— Tu exagères ! s’emporte-t-il. Hier, je me retrouve devant le fait accompli et là, tu me balances presque un ultimatum. C’est facile pour toi…

— J’ai rencontré quelqu’un, l’interrompt Toni en daignant enfin le regarder.

Le moins que Matthias puisse dire, c’est qu’il est soufflé. Toute cette comédie commence à ressembler à une farce. Il n’est plus sûr d’en comprendre l’enjeu, toutefois. S’il accepte la proposition de Toni, il blesse Justin et perd en quelque sorte son meilleur ami. Mais s’il refuse, il doute de pouvoir continuer à fréquenter Toni aussi régulièrement sans avoir l’impression de trahir à la fois son petit-ami et celui, potentiel, de son ami. Il déglutit et tente de paraître nonchalant :

— Comment il s’appelle  ?

— Nicolas. Il travaille dans l’une des succursales de ma boîte. On est sur le même projet depuis plusieurs mois et l’attirance est mutuelle. Je crois que je lui ai envoyé des signaux plus que confus parce qu’au début, je ne me gênais pas pour flirter. Et puis, Justin m’a appelé pour m’expliquer ce qu’il avait prévu. Il a dit vrai, tu sais : j’ai accepté sans hésiter. Après coup, j’ai réalisé que je ne pouvais pas continuer sur la même lancée avec Nicolas si je finissais avec toi. Je l’ai un peu évité depuis.

Les informations sont difficiles à digérer en quelques secondes alors qu’il s’agit d’une décision qui va affecter leurs vies. D’autant plus que Toni ne lui a pas donné un avis tranché sur la question.

— Au final, ça veut dire quoi ?

— Que nous deux, c’est naturel. Sans effort. Notre couple serait peut-être un cliché ambulant, mais il marcherait. Ceci dit, si tu aimes toujours Justin, il mérite une vraie chance. Lui et moi, on ne s’entendra jamais si bien que ça, mais je comprends mieux son attitude. Si cette idée lui trotte dans la tête depuis votre rencontre, je pense qu’il a intériorisé beaucoup de choses à ton égard. Et j’ai Nicolas qui devrait se remettre du chaud et froid que je lui ai soufflé ces dernières semaines. Il habite loin, ne te connaît pas encore. Ce sera plus facile de construire quelque chose avec lui sans l’ombre de notre amitié.

Matthias trouve un intérêt soudain à la contemplation du plafond et il comprend mieux, lui aussi, le comportement de Toni. Ce dernier attend sa décision, mais ne le presse pas ; il lui laisse le temps d’y réfléchir. Il pourrait encore se plaindre de la lâcheté de son ami, cependant il se rend compte que celui-ci ne veut pas lui arracher un accord. Leurs options sont exposées et Toni est prêt à suivre Matthias quelle que soit celle qu’il préfère.

— Et si ça ne marche pas ? le relance Matthias.

— C’est plus risqué pour moi que pour toi. Justin m’a l’air bien décidé à te garder si tu restes.

— On va se voir beaucoup moins.

Ce constat fait réaliser à Matthias que son choix est fait. Toni et lui se sont toujours aimés et il serait aisé de tomber amoureux. Pourtant, Justin a aussi une place particulière dans son cœur et, malgré les crises qu’ils ont traversées, Matthias n’est pas prêt à tourner cette page de sa vie.

— Ça demandera une période d’ajustement, lui répond Toni. Justin finira par nous faire confiance. Surtout si je ne joue plus l’éternel meilleur ami célibataire. Quant à Nicolas, il ne saura rien de cette nuit et je ne te le présenterai que si c’est vraiment sérieux.

— Tu sais ce qui craint ?

— D’avoir un plan de secours en cas de rupture ? ironise Toni.

— Ouais, ça aussi. En fait, la seule chose à laquelle je pense, c’est que j’ai loupé l’occasion de goûter à tes talents en matière de fellation. Justin avait l’air aux anges.

L’éclat de rire à ses côtés l’étonne puis le rassure : leur relation est trop solide pour s’entacher de gêne après cet écart. Sa surprise ne s’arrête toutefois pas là puisque Toni soulève le drap pour venir s’agenouiller entre ses cuisses. Matthias l’interroge du regard et sursaute quand les doigts de son ami s’enroulent autour de son sexe. Son érection matinale, fanée depuis un moment, reprend de la vigueur. Un rapide baiser est déposé sur ses lèvres.

— Sans regret, tu n’auras aucune excuse pour foirer les choses avec Justin.

La réponse de Matthias s’étouffe dans un gémissement quand la langue de Toni s’attaque à son aine. Ce dernier navigue d’ailleurs longuement de son pubis à ses testicules en ignorant la verge qui réclame son attention. Matthias tâche de le convaincre en glissant les doigts dans ses mèches brunes et l’encourage d’une pression dès qu’il le sent frôler son gland. Il finit par se cogner l’arrière du crâne dans le mur devant l’entêtement de son ami à nier son désir.

Un soupir stupéfait lui échappe quand les lèvres se referment enfin sur son membre et coulissent en douceur jusqu’à sa base. La tête monte et descend à un rythme lent entre ses cuisses. Toni lui offre un souvenir d’une incroyable douceur. Matthias se noie dans ces sensations et baisse le regard sur Toni pour graver le moindre détail dans sa mémoire. La combinaison de ces stimulations le met en sueur. Il écarte davantage les jambes et se crispe sous l’affluence du plaisir. Soulagé, Matthias laisse échapper ce qui ressemble à un sanglot lorsque l’orgasme le terrasse enfin, plus puissant que ceux qu’il a connus suite à d’autres fellations. Son sperme gicle contre le palais et la langue de Toni, trace amère de leur secret matinal.

Il s’est douché, les draps sont changés et le repas a refroidi. Matthias vérifie la pendule pour constater que Justin a près de deux heures de retard. Comme il est chez son petit-ami, il se doute bien qu’il a juste à patienter pour le voir revenir, mais l’attente se fait longue. Surtout que Toni est parti en avance pour ne pas risquer de le croiser. Leur séparation n’a pas été différente de leur habitude : ils se sont promis de se revoir bientôt, même s’ils savent que plusieurs mois vont s’écouler avant de pouvoir tenir parole. Durant ce laps de temps, ils se contenteront de communiquer par technologies interposées.

La porte s’ouvre enfin et Matthias se tourne vers l’entrée. C’est bref, mais Justin se détend soudain en le voyant : ses épaules retombent légèrement et ses paupières se ferment une seconde de trop tandis qu’il laisse échapper un soupir de soulagement. Ce constat serre un peu le cœur à Matthias ; il n’imaginait pas combien il avait causé de souci à son petit-ami. Justin est le deuxième homme de sa vie et Matthias est déterminé à faire en sorte que leur relation fonctionne cette fois. Il se lève et se dirige vers la cuisine :

— Tu as faim ? J’ai préparé des pâtes, je peux te les faire réchauffer ou…

Deux bras qui l’enlacent par derrière lui coupent le souffle.

— J’ai envie de toi, murmure Justin d’une voix tremblante.

Matthias lui saisit les mains pour lui faire desserrer sa prise et se retourne pour l’embrasser. Le geste de réconfort qu’il veut tendre devient presque rageur alors que Justin le pousse et tente de le faire basculer sur le canapé, sans y parvenir.

— Attends, on va au lit, lui propose Matthias.

Puis, voyant le regard hésitant que jette Justin vers la chambre, il ajoute :

— J’ai changé les draps.

À ces mots, les réticences de Justin semblent s’apaiser et il se laisse entraîner puis déshabiller avant de s’étendre en travers du matelas. Après leur soirée et sa séance matinale, Matthias craint de ne pas pouvoir achever ce qu’il entreprend, cependant il tient à faire plaisir à son compagnon. D’autant que le voir si fragile, lui qui respire habituellement l’assurance, est assez perturbant — et touchant, il se doit de l’admettre. Matthias a l’impression de découvrir une nouvelle facette de son petit-ami, bien loin de l’aplomb insolent dont il faisait preuve la veille. Cela lui donne envie de le réconforter et il se demande depuis quand Justin peut bien masquer ses véritables sentiments. Malgré une pulsion protectrice, Matthias ne veut pas lui faire de promesses vaines. Déjà, ils doivent repartir sur des bases saines. À son tour, il ôte ses vêtements et s’allonge tout contre le corps offert, le recouvrant en partie. De ses mains, il prodigue des caresses qu’il espère apaisantes pour calmer l’affolement du rythme cardiaque qu’il sent sous ses lèvres quand il embrasse le cou de Justin. Celui-ci est crispé. Sa respiration est hachée, comme s’il se retenait de l’étreindre à l’en étouffer. Ou de pleurer. Matthias pose un doigt sur sa mâchoire et le force à le regarder. Les cernes et les yeux rouges lui confirment que son petit-ami est épuisé.

— Est-ce que tu as dormi ?

— À ton avis ?

Au regard fuyant de Justin, Matthias comprend ce qu’entendait Toni quand il lui a dit que son petit-ami méritait une vraie chance. Celui-ci lui a donné une opportunité de le quitter, d’en choisir un autre que lui et s’est rendu malade à l’idée de rentrer dans un appartement vide. Certes, il s’en est fallu de peu pour que ce soit le cas et Justin doit en être conscient. Le risque est qu’il se montre hostile envers Toni, ou qu’il cède à tous les caprices de Matthias de peur de le pousser dans les bras de son prétendu rival. Or, Matthias veut éviter cette attitude à tout prix. Il a quelques remords à l’idée de mentir à Justin, mais il doit calmer ses craintes pour que sa relation avec Toni ne soit plus considérée comme une épée de Damoclès.

— Toni et moi, on se connaît depuis des années et je sais que notre complicité peut paraître ambiguë. Mais, entre nous, il n’y a jamais eu le moindre malentendu. On est de très bons amis, mais ça ne dépasse pas ce stade. Je n’avais jamais eu envie de coucher avec lui et je n’ai pas l’intention de recommencer.

— C’est ce qu’il a dit aussi.

Matthias devine à la façon amère dont Justin s’exprime qu’il n’est pas si naïf. Si Matthias ou Toni n’avaient jamais eu de désir latent, l’un d’entre eux aurait refusé cette soirée. Et ils n’y auraient certainement pas pris autant de plaisir. Justin a bien vu leurs réactions et Matthias sait qu’il n’est pas dupe. Cependant, Matthias fait mine de rien et reprend ses caresses pour distraire Justin. Ce dernier encourage ses attouchements en posant une main sur la sienne, la forçant à descendre plus bas. Là où son petit-ami est impatient, lui préférerait prendre son temps et le persuader de sa sincérité.

— Dépêche-toi, Matt, je veux te sentir en moi.

— On n’est pas pressés. Tu peux te reposer. Je reste là.

Les mots rassurants n’ont aucun effet : Justin ne l’entend pas de cette oreille et écarte les jambes, se collant de son mieux contre lui. Matthias finit par céder, se plaçant plus confortablement entre ses cuisses. Néanmoins, il n’a pas le lubrifiant à portée de main et son érection est bien trop timide pour lui permettre de pénétrer son petit-ami, aussi se contente-t-il de simuler l’acte, faisant frotter, l’un contre l’autre, leurs sexes en un rythme brutal. Sous les coups de reins secs et rapides, Justin semble satisfait et se jette sur sa bouche. Au bout de plusieurs minutes, le baiser se fait moins violent, tout comme les déhanchements de Matthias. Leurs corps moites s’apaisent, même si la jouissance leur restera interdite pour l’heure, et c’est haletant que Justin pose ses conditions :

— Il n’y a pas qu’Antonin. C’est devenu trop difficile et je ne peux plus faire semblant de m’en moquer quand je te vois avec un autre homme, Matt.

— J’ai compris le message, ne t’en fais pas. Finis les plans foireux, je m’en tiens à toi.

Il n’ajoute pas que Justin aurait dû lui en parler plus tôt, parce qu’il n’est pas évident que sa réponse aurait été la même avant leur aventure de la veille ou sa discussion avec Toni de ce matin. Ils roulent l’un contre l’autre, Justin cherchant le contact de sa peau. Malgré la chaleur qui irradie de leurs corps, Matthias rabat la couette sur eux et se colle un peu plus contre Justin. Les yeux mi-clos, il joue avec les boucles blondes et sent leurs respirations ralentir, tous deux plongeant lentement vers le sommeil. Un reniflement amusé lui fait hausser les sourcils.

— Je déteste cet appartement, avoue soudain Justin.

La remarque peut sembler innocente, mais Matthias comprend que c’était vraiment un moyen qu’avait trouvé Justin pour le tenir éloigné de chez lui. Il se contente de répondre d’un simple « Moi aussi ».

Ils échangent un regard complice et Matthias voit le coin de la bouche de son petit-ami se relever en un demi-sourire, faisant poindre cette fossette taquine qu’il affectionne tant. Malgré des semaines à venir qui risquent d’être compliquées, Matthias est confiant. Certes, des ajustements sont à faire et il sait qu’ils ne seront pas à l’abri de disputes teintées de ressentiment. Toutefois, quand Justin dépose un baiser léger sur son torse et repose la tête sur son épaule, Matthias resserre son étreinte dans un réflexe protecteur. Sentir le poids familier contre son corps est plaisant et il réalise qu’il s’en est fallu de peu pour qu’il perde Justin. Savoir Toni disponible pour le consoler n’est pas si rassurant au final. À chaque souffle de Justin sur sa peau, Matthias est conforté dans son choix. Le nez plongé dans les boucles blondes, il finit par s’endormir à son tour.

Quitte ou double (2)

Chapitre 2

Un bruit de plastique crépite non loin de son oreille, mais il n’en comprend la nature qu’un instant après. Le poids de Justin sur lui se décale légèrement et Matthias sursaute à la sensation froide qui enveloppe soudain son sexe bandé. Malgré tout, la lingette que son petit-ami utilise pour le nettoyer ne suffit pas à calmer ses ardeurs. Son orgasme n’a en rien soulagé sa tension à ce niveau ; le lent mouvement de bassin de Justin lui fait prendre conscience qu’il est déjà fin prêt à recommencer. Il écarte les cuisses pour permettre à Justin de se caler entre elles, mais il obtient l’effet inverse. La main sur son sexe le relâche, le corps se soulève et Matthias gémit sa frustration. Toutefois, il n’a pas le temps de geindre davantage : Justin joue de sa langue et de ses lèvres pour suçoter son gland. Alors, Matthias lève les bras au-dessus de sa tête et soupire d’aise, se cambrant pour inciter son petit-ami à le satisfaire sans le taquiner davantage. À nouveau, il est déçu et se redresse vivement sur ses coudes pour exprimer sa façon de penser à son bourreau. Ses arguments — sa colère, même — meurent au bord de ses lèvres quand il manque de percuter la tête de Toni. Soudain, Matthias ne ressent plus l’urgence entre ses jambes. Le contact de l’épaule de son ami contre la sienne et la main que ce dernier vient de poser sur sa hanche laissent entrevoir une perspective autrement plus palpitante. Cette proximité inédite l’étourdit autant qu’elle l’embarrasse.

— Tourne-toi.

Le son rauque l’enveloppe et il n’est pas certain de savoir qui lui a donné l’ordre. En revanche, son corps ne semble pas disposé à obéir : il se trouve bien où il est. Du bout des lèvres, Matthias découvre le cou de Toni. Sa clavicule. Sa pomme d’Adam. Quand il arrive à son menton, il ne se contente plus de chastes baisers : il lèche sa peau et trépigne à l’idée de sa langue contre la sienne. Une sorte de grognement et les doigts qui tirent sur son bassin le font sortir de sa transe.

— Mets-toi sur le côté.

C’est donc la voix de Toni qui prend des accents aussi graves. À contrecœur, Matthias s’exécute. L’espace d’un instant, il panique quand son ami descend du lit, mais Justin lui lance un petit regard moqueur avant de reprendre sa tâche précédente. Matthias ne peut que gémir en signe d’approbation maintenant que son petit-ami se fait pardonner son attitude de la plus délicieuse des manières. Lorsque les doigts lubrifiés de Toni viennent caresser son orifice, il hoquette de surprise. Plaçant un bras sous sa tête pour être bien installé, il se fait quasiment dorloter par les deux autres hommes. Justin le suce avec un plaisir évident tandis que Toni s’applique à détendre son muscle anal. Au vu de son excitation du moment, il doute que son ami ait fort à faire ; il est même tenté de l’inviter à le prendre sur l’instant. Toutefois, Matthias trouve agréable de les observer. C’en est apaisant et cela va peut-être lui permettre de tenir plus longtemps. Sa sérénité est rompue quand son regard accroche celui de Toni. Il n’est pas nécessaire de le connaître pour y lire de la pure concupiscence. Matthias l’a déjà vu draguer, quasiment faire l’amour sur une piste de danse ou même ressortir des toilettes d’un bar après avoir tiré un coup ; jamais, pourtant, il n’a vu cette intensité dans son regard. Savoir qu’il est celui — avec Justin ? — qui provoque cette réaction le rend fébrile. Une vague de chaleur le submerge et il sent ses testicules se durcir. Toute stimulation supplémentaire est à bannir s’il ne veut pas jouir dans la seconde.

— Vas-y, souffle-t-il à Toni, tout en tirant en arrière la tête de Justin.

Le premier ne se fait pas prier, ôte les doigts de son corps et prend appui sur sa fesse pour avancer son membre couvert à l’entrée de son orifice. Quant à Justin, il saisit son genou pour lui lever la jambe et embrasser l’intérieur de ses cuisses. À cet instant, Matthias ne peut se focaliser que sur le sexe qui le pénètre et la langue qui chatouille son aine. Quand Toni est entièrement en lui, Justin revient lécher la pointe de sa verge. Et lorsque celui-ci fait glisser ses lèvres pour l’avaler sur toute sa longueur, l’autre se recule de quelques centimètres pour revenir taper de son bassin contre ses fesses une poignée de secondes après. Les sensations sont trop extrêmes pour lui et le rythme a tout juste le temps d’accélérer que Matthias perçoit l’orgasme sourdre en lui. Demander à ses amants de ralentir pour qu’il puisse se retenir devient impossible et ses émotions débordent. Un coup de reins un peu plus prononcé et un de langue sur son gland trop sensibilisé et Matthias étouffe un sanglot en jouissant. Les mouvements en lui, sans se stopper, ralentissent et, malgré ses yeux humides, il constate que Justin s’essuie le visage de sa semence. La panique envahit alors Matthias. Pouvoir passer de l’extase à la catastrophe en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire est étonnant, mais il fixe tour à tour ses ami et petit-ami, cherchant à deviner ce qu’ils pensent de lui.

— Désolé… Désolé, Justin, je…, bégaie-t-il avant de tourner ses excuses vers Toni. Je tiens plus longtemps normalement. Je sais pas pourquoi aujourd’hui…

Ses propos incohérents sont interrompus par une morsure sur son mamelon. La douleur est brève, mais elle a le mérite de lui faire oublier momentanément ses craintes. Celle d’avoir agacé Justin qui n’apprécie en aucun cas les éjaculations faciales. Celle de paraître ridicule auprès de Toni à cause de ce manque d’endurance — surtout après avoir déjà joui quelques instants auparavant. Il retrouve un semblant de clarté dans ses idées quand le sexe de Toni s’échappe hors de lui :

— Non  ! Continue.

Malgré sa supplique, son ami secoue la tête et tend le bras vers le pied du lit. Matthias est affolé, mais Justin le plaque sur le dos et vient se placer à quatre pattes au-dessus de lui. Cette fois, Matthias redoute vraiment de l’avoir mis en colère. Le baiser lui coupe le souffle autant qu’il le surprend. Justin rompt leur embrassade aussi vite qu’il s’est jeté sur ses lèvres :

— Quelle honte, lui reproche-t-il, laissant Matthias perplexe.

— Je sais que je suis pitoyable. Tu m’aides pas vraiment, là.

— Tu rigoles ? Putain, c’est un des trucs les plus chauds que j’ai vus. Je pourrais m’habituer à te voir pleurer de plaisir.

— T’es dérangé.

— Peut-être, admet Justin dans un sourire avant de regarder par-dessus son épaule et de faire un signe de tête à Toni.

Matthias se penche sur le côté juste à temps pour voir un nouvel emballage de préservatif plonger vers le sol, puis entend le sifflement d’inconfort de son petit-ami. A priori, ce dernier n’a droit ni à une courte préparation ni à une pénétration en douceur. Matthias se demande si Toni est impatient à cause de sa frustration ou si c’est une façon de leur faire comprendre que sa présence n’est qu’une faveur pour Matthias. Celui-ci prend Justin en pitié et capture ses lèvres tout en passant une main entre eux pour aller le masturber.

Bientôt, la chambre est emplie des soupirs satisfaits des deux hommes et du bruit de leurs peaux qui claquent. Si Matthias n’est pas encore d’attaque pour se joindre à eux, il ne boude pas son plaisir. Du regard, il dévore le corps de Toni en pleine action, sans savoir s’il pourra un jour être rassasié de cette vision. Un peu jaloux de Justin qui supporte bien mieux que lui les assauts de Toni, il aime cependant sentir son petit-ami tremblant contre lui, l’embrassant à perdre haleine. La langue de celui-ci ralentit et il se recule, la bouche entrouverte et le souffle suspendu, puis pousse un râle, presque animal. Matthias sent le membre pulser sous sa paume et le sperme se répandre entre eux. Ils échangent un nouveau baiser, mais son autre poignet est saisi, ce qui le fait se détourner au bout de quelques secondes. Toni s’est rapproché et enroule leurs mains autour de sa verge. Elle est encore chaude d’avoir été en Justin, malgré la fine protection. Matthias laisse son ami imposer le rythme pour sa libération, fasciné par la façon dont leurs doigts s’entrelacent sur ce morceau de chair qu’il n’aurait jamais imaginé toucher. Matthias se penche de côté pour approcher son visage et Justin en profite pour venir lui faire un suçon dans le cou. Il ne se crispe qu’un instant, mais la pression involontaire de sa main a raison de Toni, qui n’évite de projeter sa semence sur ses joues qu’en s’appuyant contre les draps dès la première giclée.

Matthias peine à reprendre son souffle bien qu’il n’ait pas fait tant d’efforts ; son cœur cogne dans sa poitrine d’une cadence affolée. Justin se laisse rouler sur le côté et s’étire contre son flanc tandis que Toni s’étale à leurs pieds, en travers du matelas. L’ambiance enfiévrée semble se calmer à mesure que leurs respirations se font moins laborieuses et Matthias laisse la somnolence de la satisfaction l’emporter.

La torpeur lui permet de récupérer des forces sans pour autant négliger les présences qui l’entourent. Matthias perd la notion du temps, mais la brume dans laquelle baigne son esprit se dissipe. S’il est persuadé de ne pas s’être endormi, sa peau se couvre de frissons et il remarque que la nuit commence à tomber ainsi qu’ils ont tous trois retrouvé un souffle paisible. Au moins trois heures se sont donc écoulées depuis son arrivée. La réalisation de leur situation menace de balayer son calme, comme la vague de désir a brisé ses faibles résistances de départ. Savoir les deux autres si sereins après ce qu’il vient de se passer est assez perturbant ; Matthias ne saurait dire si c’est un signe de bon ou mauvais augure. Quand Toni lui chatouille les orteils, Matthias retient un rire nerveux et ramène les genoux vers le bord du lit pour se lever :

— Qui a soif  ?

— Laisse, j’y vais, l’arrête Toni.

Matthias veut insister, mais Justin l’a de nouveau attiré contre lui et promène les mains sur sa taille tout en léchant sa nuque. Sortir de la pièce aurait pu lui aérer l’esprit et il soupçonne les deux autres d’agir de la sorte afin d’éviter qu’il ne se sauve. Justin n’a aucun souci à lui vider la tête de toutes ces réflexions ; il le connaît trop bien et chacune de ses caresses vise ses points sensibles. Le dos contre le torse derrière lui, Matthias se détend et tourne la tête pour caler son visage dans le cou de Justin et respirer son parfum.

Du bout des doigts, son petit-ami frôle sa peau et Matthias ferme les yeux sous ce toucher léger. Il y a bien longtemps qu’il ne s’est plus senti aussi serein dans les bras de Justin. Il y a bien longtemps que ce dernier ne s’est pas montré aussi tendre avec lui. C’est un peu comme s’il redécouvrait le corps de Matthias. Celui-ci lève paresseusement un bras pour passer la main dans les boucles qui viennent lui flatter le front. Justin se penche à son oreille et sa respiration a un accroc : comme s’il voulait lui dire quelque chose, mais il s’abstient et préfère lui grignoter le lobe. Alors que les minutes s’égrènent, que les mains de Justin réchauffent son corps nu, la même scène se répète. Matthias sait qu’il y a un malaise derrière cette tentative chaque fois avortée de communiquer, mais il n’a pas envie d’y faire face dans l’immédiat. L’absence de Toni est soudain pesante et il prie pour un rapide retour. C’est d’ailleurs étrange qu’il s’éternise tant dans la cuisine.

— Toni  ! l’appelle-t-il.

Derrière lui, Justin se raidit et enfonce les doigts dans ses hanches. Un instant après, une troisième main vient prendre sa joue en coupe :

— Je suis là, lui souffle son ami. Je vous laissais juste un peu d’intimité.

Les appliques au-dessus de la tête de lit ont été allumées et Matthias fixe Toni avec surprise. Il n’avait même pas remarqué sa présence dans la chambre, mais sa rapidité à lui répondre prouve qu’il était tout proche. Sous une impulsion, il passe les bras autour du cou de Toni et le force à approcher son visage. Son ami ne se défend pas — ne prend pas d’initiative non plus. Ils ne sont plus qu’à un souffle de s’embrasser et Toni ne semble pas vouloir combler l’espace. Décider et assumer ce choix lui reviennent donc et Matthias hésite. Ce n’est pas l’envie qui lui manque, au contraire. Un peu plus tôt, si Toni ne l’avait pas distrait, il l’aurait fait sans même y penser ; cependant la chaleur des sens est quelque peu retombée. Et s’il cède et se penche, Matthias ne pourra plus prétexter s’être laissé entraîner par les deux autres. Le regard de Toni, obscurci par le désir, le fait craquer et, d’une simple pression de ses lèvres, il sent son univers basculer. Quand leurs langues s’enroulent, ses certitudes volent en éclat.

Justin passe un doigt le long de sa colonne, le griffant gentiment par endroits, tandis que Toni s’occupe de son ventre et de ses cuisses, ne faisant qu’effleurer son entrejambe. Matthias gémit dans la bouche de son ami ; il aime être au centre de leurs attentions et se cambre sous leur toucher. Il se complaît dans ce rôle d’intermédiaire. Justin et lui ne partagent pas un amant occasionnel : c’est lui qui se partage entre son petit-ami et son meilleur ami.

L’excitation renaît et son désir s’enflamme une nouvelle fois. Ses hanches reprennent vie, frottant son sexe à celui de Toni. Un râle rauque roule dans sa gorge, lui donnant l’impression de ronronner, quand Justin le pénètre de deux doigts et que Toni capture leurs verges dans son poing. Matthias a les yeux fermés, mais il ne doute pas que les deux autres ont trouvé un moyen de communiquer pour s’assurer une telle synchronisation. Il savoure les sensations qui le submergent. D’un côté, il est caressé doucement et embrassé avec l’hésitation et la passion de la nouveauté. De l’autre, il semble être marqué sur sa peau et dans sa chair par les dents et les doigts de son petit-ami, douleur exquise infligée par celui qui connaît son corps par cœur. Les stimuli sont efficaces et Matthias a depuis longtemps oublié qu’il pouvait se servir de ses mains autrement que pour s’accrocher au cou de Toni.

Toujours sans paroles, celui-ci et Justin s’accordent sur leur prochain mouvement et Matthias se laisse déplacer à l’envi. Il n’est plus qu’une vulgaire poupée de chiffon soumise à leur volonté et s’en trouve comblé. Justin s’assoit contre le mur, en haut du lit, et l’attire vers lui. Matthias s’avance à quatre pattes et honore la demande non formulée quand, de son pouce, Justin lui dessine le contour des lèvres tout en lorgnant vers son propre sexe. Alors, Matthias s’abaisse et prend conscience des différences entre son petit-ami et Toni. Il n’y a pas prêté attention plus tôt et songe vaguement qu’il va regretter de s’être précipité jusque-là. De sa langue, il humidifie le membre bandé, s’amuse à sucer et faire glisser entre ses dents la peau du prépuce, puis engloutit le pénis sur presque toute sa longueur, la toison blonde lui chatouillant le nez. C’est à ce moment qu’il s’aperçoit qu’il était trop focalisé sur ses sentiments contradictoires pour vraiment profiter des sensations. Il ne se souvient déjà plus du poids du sexe circoncis de Toni contre sa langue, de la douceur surprenante de son pubis rasé. Une exclamation de plaisir au-dessus de lui le ramène à l’instant présent et les mains flattant ses hanches et ses fesses lui rappellent qu’il peut encore se créer d’autres souvenirs plus précis.

Les baisers de Toni dans le bas de son dos et les mains de Justin qui jouent avec ses cheveux le distraient du gland qui fait pression sur son anus. Son muscle n’est plus si détendu, mais la mémoire du corps fait son œuvre et, bientôt, Matthias sent toute résistance s’effacer pour autoriser le membre engorgé à fondre en lui. La brûlure de la friction du latex est présente lors des premières poussées, puis s’estompe jusqu’à ce qu’il ne reste plus que le plaisir. Sans que Matthias ne parvienne à décider ce qui est le meilleur : sentir ses chairs s’étirer ou ce sexe se mouvoir en profondeur ? La pénétration rendue douce par le lubrifiant ou la force appliquée sur son bassin pour le garder immobile ? La satisfaction d’avoir une autre verge à sucer en rythme ou la frustration de ne pouvoir se soulager lui-même ?

La cadence de Toni s’accélère brusquement et Matthias ne peut plus poursuivre sa caresse buccale sans craindre de s’étouffer ou de donner un malheureux coup de dents. Il se redresse sur ses bras pour offrir davantage de résistance aux va-et-vient de son ami, mais aussi pour éviter de s’écraser contre Justin. Celui-ci se masturbe lentement et se penche en avant pour l’embrasser dans le cou. Matthias rejette la tête en arrière, permettant à son petit-ami d’accéder plus librement avec sa langue aux zones qui lui font du bien, tandis que derrière lui les coups de reins se saccadent. Prenant appui sur l’épaule de Justin, Matthias se relève presque à genoux et pose son autre main sur le haut de la cuisse de Toni ; il se régale de l’intensité de l’orgasme qui se prépare. Une poignée de secondes plus tard, son ami trouve son plaisir en lui et Matthias crispe les doigts sur cette peau en sentant le membre pulser contre ses parois.

Quand Toni se retire, il émet une plainte : la jouissance n’est plus très loin et il désespère d’être soulagé à la hauteur de son excitation. Maintenant que le poids et la chaleur de son ami ont disparu de son dos, Justin le fait basculer en arrière pour continuer l’exploration de sa clavicule puis de son torse. Matthias ne peut nier combien ces attentions sont agréables, toutefois il préférerait une action plus directe au sud de son anatomie. D’un coup de hanches, il tente d’interpeller l’un des deux hommes sur son urgence du moment, mais il ne s’attire qu’un clin d’œil malicieux de Justin. Qui a décidé de le priver de toute possibilité de chercher Toni du regard puisqu’il se hâte de revenir lui sucer la langue tout en le forçant d’une main à abaisser les paupières. Matthias commence à regretter que Toni et Justin aient enfin trouvé un terrain d’entente à son détriment. D’habitude, ils se considèrent avec défi et ne s’estiment pas vraiment, mais il semble que le mettre au supplice ait réussi à créer un lien entre eux.

Justin le libère à temps pour que Matthias voie son ami faire couler du lubrifiant au creux de sa main. Cela lui permet d’éviter un sursaut trop brutal quand son amant déroule un préservatif sur son sexe, puis que Toni entreprend d’y étaler le produit. Il se cambre pour l’encourager à poursuivre son œuvre en une caresse moins superficielle. Cependant, son ami glisse ses doigts de son gland à son ventre, le laissant une fois de plus aux portes de la délivrance. Il veut se rebeller, mais Justin saisit ses poignets et les bloque au-dessus de sa tête tandis que Toni prend appui sur son torse et vient s’agenouiller autour de sa taille. Matthias se calme aussitôt, son intérêt soudain décuplé par la perspective. Néanmoins, il ne s’interdit pas quelques mouvements de bassin contre les fesses de Toni pour montrer son impatience et est récompensé par un haussement de sourcil allumeur.

Après quelques instants à tâtonner pour trouver une position confortable, Toni s’assoit sur son sexe et Matthias profite d’être pleinement en lui, avant de le sentir se soulever à nouveau. La prise sur ses poignets se desserre et il remarque que Justin a repris sa masturbation silencieuse. De la part de son petit-ami, une telle discrétion est presque inquiétante et Matthias craint de l’avoir trop négligé jusqu’alors. Il glisse un bras entre ses genoux et, d’un doigt, s’amuse à frôler la peau sensible de son périnée. Son initiative lui récolte quelques murmures appréciateurs. Encouragé, il s’enhardit à tourner autour de l’orifice de Justin. Les gémissements sont plus sincères et Matthias retourne son attention vers Toni, rassuré. Celui-ci a les paupières plissées sous l’effort et se mordille nerveusement la lèvre. Matthias sait qu’une pénétration juste après un orgasme est une souffrance exquise et voir son ami sautiller sur ses hanches — lutter contre le besoin de se reposer — n’attise que d’autant plus son désir. Il remue le bassin de manière à augmenter l’amplitude des allées et venues ainsi que la force avec laquelle il prend possession de Toni. Soudain, la jouissance le rattrape et Matthias ferme les yeux. Sans le prévenir, il introduit deux doigts en Justin et le spasme en réponse lui confirme que cela a suffi pour le faire céder au plaisir. Lui-même ne cherche plus à se retenir et la vague de bien-être se propage jusque dans ses aines avant de se déverser en courts jets dans le corps qui l’a accueilli. Le poids de Toni se pose sur sa poitrine tandis que celui de Justin fait pression contre lui. Des lèvres s’emparent des siennes et il répond au baiser mécaniquement, sans chercher à savoir lequel l’embrasse, lequel le débarrasse de la protection souillée ; il n’aspire qu’à succomber au sommeil qui semble vouloir engourdir tout son être. Et, peut-être, plus tard, profiter encore.

Quitte ou double (1)

Autrice : Magena Suret.

Genres : M/M/M, hot, contemporain.

Résumé : Plutôt que de continuer à se déchirer à causes de leurs infidélités, Matthias et Justin ont décidé de devenir un couple ouvert. Cela leur permet de retrouver la passion des débuts et de surmonter les disputes sans avoir à discuter de leurs problèmes. Pour pimenter encore leur nouvelle vie, ils veulent franchir une étape en organisant un plan à trois… Mais un couple déjà fragilisé par des mois de non-dits peut-il survivre lorsque ses secrets pas forcément cachés sont révélés au grand jour ?

Liens vers les différents chapitres

Chapitre 1Chapitre 2Chapitre 3

Chapitre 1

Le choc du sac dans son genou lui fait étouffer un juron. Matthias lève les yeux de son téléphone, prêt à maudire l’imbécile qui vient de le bousculer pour fendre la foule sitôt les portes du métro ouvertes, mais ses insultes ne franchissent pas la barrière de ses lèvres. L’adolescent coupable lui fait un signe d’excuse tout en courant pour rejoindre une jeune fille. Sa colère retombe aussi vite et Matthias se surprend à regarder le couple s’éloigner, leur sac sur l’épaule, vers ce qui ressemble à un premier rendez-vous. Une certaine nostalgie l’envahit devant cette innocence depuis longtemps oubliée. La sonnerie prévenant le départ de la ligne le rappelle à l’ordre et il se précipite sur le quai avant de se faire enfermer dans la rame.

Après quelques minutes de marche, il arrive à destination. Le choix de Justin de venir habiter dans ce quartier paraît toujours aussi incompréhensible à Matthias. Quand ils avaient décidé que vivre ensemble était prématuré et qu’ils feraient mieux de reprendre chacun un appartement, Matthias ne s’était pas attendu à voir son petit-ami déménager à l’autre bout de la ville. Une heure de transports en commun, avec trois changements, semble un peu excessif. D’autant que Justin s’est aussi éloigné de son travail et de sa famille pour s’installer dans une rue qui ressemble davantage à une zone commerciale qu’à une résidence. La seule raison logique à laquelle Matthias a pu songer est justement que lui-même n’aime pas venir ici, ce qui rend ses visites plutôt rares. Et c’est plutôt révélateur quant à l’état de leur relation.

Toutefois, aujourd’hui, il est reconnaissant de pouvoir profiter des toilettes du commerce voisin pour se rafraîchir avant de rejoindre les étages. Ce n’est pas une étape habituelle, mais il réalise en pénétrant dans le hall combien il a besoin d’un moment d’isolement pour calmer sa nervosité. Matthias s’enferme dans les toilettes réservées aux handicapés afin de bénéficier d’un espace plus confortable et d’une vraie solitude.

Il ôte sa veste et ouvre son sac. Celui-ci est presque vide ; Matthias n’a emmené que le strict nécessaire pour se rendre plus présentable après son expédition dans le métro. Il se remet du déodorant sous les aisselles puis se brosse les dents. Ensuite, il s’asperge le visage d’eau et glisse ses doigts mouillés dans ses longues mèches, les plaquant vers l’arrière. Les mains appuyées sur le bord du lavabo, Matthias s’observe un instant dans le miroir. Ses cheveux humidifiés paraissent presque bruns et rendent plus visibles encore ses taches de rousseur. Celles-ci s’étendent de part et d’autre de son nez, rehaussant ses pommettes, et sont suffisamment nombreuses pour l’avoir complexé durant son adolescence. Néanmoins, c’est un vieux souvenir : il sait maintenant qu’elles sont un atout auquel beaucoup d’hommes succombent. Il remarque alors ses lèvres pincées, preuve qu’il a des difficultés à se détendre. Pourtant, il ne devrait pas être aussi angoissé : Justin et lui sont habitués à ce genre de jeu. À un détail près, cependant : ils n’y ont jamais participé en même temps.

Les premières infidélités, Matthias se souvient qu’il les a vécues comme de véritables trahisons. Trois années de relation et à peine une de vie commune qu’ils en étaient déjà à papillonner à droite et à gauche. Si Justin a été le premier à admettre qu’il l’avait trompé, Matthias sait que lui-même avait déjà commis quelques incartades auparavant. Au final, il ignore lequel des deux a commencé ces tromperies et ne voit pas grand intérêt à le savoir. Toujours est-il qu’imaginer son amant dans les bras d’un autre l’avait blessé dans son amour-propre et, aussi hypocrite cela peut-il sonner, peu lui importait à l’époque qu’il ait fait de même de son côté.

Les mois suivant l’aveu de Justin avaient été chaotiques, entre séparations et réconciliations. À aucun moment Matthias n’avait envisagé de rupture définitive et la facilité avec laquelle Justin lui retombait dans les bras l’avait conforté dans l’idée que ni l’un ni l’autre ne souhaitait mettre un terme à leur histoire. Néanmoins, aucun ne parvenait à accorder son pardon et le désir de vengeance était toujours trop présent. L’équilibre précaire de leur situation n’aurait pas pu durer bien longtemps. Ils avaient fini par trouver un compromis sans vraiment en avoir discuté. Un jour, peut-être trop ivre pour avoir pleine conscience de ses actes, Matthias avait laissé un message à Justin pour le prévenir qu’il ramenait un homme chez eux. Après coup, il avait réalisé combien c’était stupide et sûrement un peu cruel pour son petit-ami, mais il ne parvenait pas à le regretter. Alors qu’il venait de jouir quelques secondes auparavant, Justin était arrivé pour virer le pauvre mec qui n’avait pas dû comprendre ce qui lui arrivait. Puis Justin avait décidé de se venger en abusant du corps encore trop sensible de Matthias.

Après cette soirée, les règles ont rapidement évolué. Toujours en couple, pas vraiment libertins, Matthias et Justin avaient rassuré leur famille en expliquant que reprendre chacun un appartement ne signifiait pas qu’ils rompaient. Au contraire, Matthias pouvait jurer qu’il était plus heureux que jamais avec Justin. Ces faux flagrants délits d’adultère donnaient une autre dimension à leurs propres ébats. Depuis, le sexe entre eux était encore meilleur ; comme si ces incartades, parfois trop bien orchestrées, leur permettaient de retrouver la passion de la nouveauté.

Cependant, la rencontre qu’ils ont organisée aujourd’hui marque une étape. Matthias inspire par le nez et souffle longuement, conscient que sa décision est déjà prise malgré ses doutes. Il libère les toilettes, puis se rend à l’ascenseur qui l’emmène à l’étage de Justin. La main sur la poignée, son cœur semble vouloir quitter sa poitrine. Juste derrière cette porte, Matthias sait que Justin a trouvé un homme d’accord pour partager leur lit le temps d’une soirée. Cependant, Matthias ignore s’il y a un protocole à suivre dans ce genre de situation. Vont-ils l’avoir attendu pour faire connaissance  ? Va-t-il les trouver déjà nus  ? Ou même en pleine action  ?

La réponse à ses questions lui saute aux oreilles dès qu’il ouvre la porte. Des gémissements lui parviennent de la chambre. Il sourit : Justin a toujours aimé exagérer son plaisir. Il ne s’agit pas de le simuler, mais son amant adore s’entendre —  un aphrodisiaque avéré pour lui, un brin narcissique tout de même. Tranquillement, Matthias se déleste de son sac, prend soin de verrouiller derrière lui, puis ôte ses chaussures et les balance contre le mur. Rester silencieux ne lui semble pas primordial ; pour une fois qu’il est vraiment attendu, il éprouve même un petit plaisir à laisser entendre qu’il est arrivé. Il traverse le salon et pousse le battant entrouvert.

La scène sur le lit le fait s’arrêter un instant.  Les volets de la fenêtre sont à moitié tirés et la lumière qui filtre par les interstices donne une atmosphère tamisée à la pièce. Justin est à genoux, face à l’entrée, les bras en appui sur les oreillers derrière lui et les jambes écartées pour laisser toute latitude à la tête entre ses cuisses de manœuvrer sur son sexe. Malgré les années passées ensemble, Matthias se laisse encore surprendre par la beauté atypique de son amant  : des yeux en amande qui donnent l’impression d’un noir trop intense, des cheveux bouclés trop blonds pour avoir l’air naturels, un nez trop fin et retroussé pour un adulte et une fossette au coin de la lèvre qui accentue son côté malicieux dès qu’il sourit. Pourtant, tout son visage est harmonieux et sa personnalité enjouée éclipse souvent ceux qui l’entourent, y compris Matthias qui, sans manquer de confiance en lui, se trouve bien fade lorsqu’il se compare à Justin.

—  Oui, juste là… Continue, souffle Justin.

Le murmure est censé encourager le brun qui lui fait la fellation, à quatre pattes devant lui, mais Justin ancre son regard dans celui de Matthias tandis qu’il se penche en avant pour doigter l’anus de leur partenaire. L’invitation est claire et l’idée de baiser un mec dont il ne connaît même pas le visage a quelque chose de terriblement excitant. De cet homme, outre ses fesses tendues vers lui, Matthias ne devine que peu de choses  : quelques mèches corbeau, une peau claire peu exposée au soleil, des cuisses serrées — certainement pour comprimer son sexe bandé contre son bas-ventre — et des orteils crispés par l’excitation. Sa silhouette est familière et commune à la fois. Les jeux d’ombre sur sa peau empêchent Matthias de rechercher le moindre signe distinctif, mais il ne s’en inquiète pas pour l’instant. D’un coup de menton, Justin lui désigne le pied du lit ; Matthias y voit le lubrifiant, une boîte de préservatifs et des lingettes pour bébés. Le message, limpide, lui provoque un nouveau sourire : Justin ne veut pas d’interruption, pas même pour un détour par la salle de bains. Matthias se déshabille en toute hâte et Justin lui adresse un rictus entendu en découvrant son sexe déjà à demi érigé. Tout en ignorant la moquerie, Matthias les rejoint, le matelas s’affaissant légèrement sous son poids quand il monte dessus. L’inconnu s’arrête alors un court instant puis, sans épargner un regard à Matthias, il reprend ses succions avec plus d’entrain encore.

Matthias pose les mains sur les fesses du brun qui va l’accueillir sous peu et les écarte pour y plonger la bouche. Du bout de la langue, il lèche autour du doigt de Justin. Deux gémissements résonnent à ses oreilles et Matthias camoufle un léger rire moqueur en reniflement. Avec ardeur, Matthias découvre l’inconnu, dont la saveur est encore empreinte du parfum d’une douche récente. Le temps d’une seconde, il s’imagine qu’il recommencera peut-être plus tard, quand le goût de leurs corps sera imprégné de la moiteur du sexe. En attendant, l’index de Justin s’enfonce plus profondément et ses exclamations de plaisir se font plus bruyantes encore. Matthias se redresse, enfile un préservatif sur son membre désormais tendu, puis l’enduit de lubrifiant. Tout en se masturbant doucement, il donne une tape sur la main de son petit-ami pour qu’il lui laisse la place. Justin cède sans réfléchir et ses doigts vont aussitôt se perdre dans les mèches brunes du troisième homme alors qu’il semble faire un effort intense pour retenir ses coups de reins. Matthias gémit à ce constat et espère pouvoir vite goûter au talent de cette bouche.

Pour l’instant, il a la primeur de la pénétration et compte bien la savourer. Matthias encercle sa verge d’une main et pose l’autre au creux des reins du brun. De son pouce, il écarte un peu l’une de ses fesses et y glisse son membre lubrifié. Se mouvoir le long de la raie est déjà une torture et il est impatient de s’engouffrer dans le corps chaud qui s’offre à lui. Pourtant, il se fait languir en retardant ce moment. À chaque passage de son gland sur l’orifice, Matthias exerce une pression plus prononcée que la précédente. Bientôt, rien ne pourra plus l’empêcher de s’y introduire mais, tant qu’il maîtrise sa raison, il veut la faire perdre aux deux autres. Justin, toujours aussi vocal dans son plaisir, se passe la langue sur les lèvres de manière compulsive dès qu’il croit que Matthias va vraiment entrer en jeu, tandis que leur compagnon tente, par une légère poussée, de le prendre en lui sitôt qu’il sent ses chairs s’étirer.

Finalement, Matthias ne peut se retenir davantage ; il incite le troisième homme à écarter un peu plus les jambes pour s’installer confortablement à genoux entre elles. Il n’a pas à forcer pour franchir la barrière du muscle anal et sa satisfaction trouve un écho agréable dans le gémissement venant de son inconnu. Il baisse les yeux pour regarder son sexe se faire lentement aspirer puis achève de pénétrer son nouvel amant d’un coup de reins plus sec. Le jeune homme se tend de tout son être et Matthias se demande un instant s’il n’a pas été trop brusque. Cependant, il est vite rassuré quant à son innocence dans ce frisson lorsqu’il aperçoit les sillons rouges sur les omoplates de l’inconnu : Justin a eu davantage de difficultés à se contenir et vient de le griffer. Matthias sourit et décide de faire oublier la brutalité de son petit-ami en amorçant un rythme lent et peu profond, supplice nécessaire s’il ne veut pas jouir prématurément. Ondulant du bassin, il ne quitte la gaine que de quelques centimètres avant d’y replonger. Y être enserré est délicieux et Matthias émet des murmures appréciateurs quand il sent l’anus se détendre autour de son sexe, lui permettant de s’enfouir plus profondément, ou se contracter, l’obligeant à imprimer ses mouvements plus fortement pour s’autoriser le passage.

Matthias remarque que Justin ne tiendra plus longtemps : les yeux fermés, il se soutient d’une main à la tête de lit tandis que la seconde est passée entre ses cuisses. Le connaissant, Matthias devine que son petit-ami se caresse les testicules, voire le périnée. Lui maintient sa cadence. Il ignore combien de temps avant son arrivée ils ont débuté, mais il veut profiter encore de prendre son plaisir dans un corps inconnu. Justin prévient de sa jouissance dans un murmure incompréhensible, mais le brun saisit l’avertissement et abandonne le sexe, le dépouillant de sa protection d’un geste rapide et précis. Puis il pose la joue contre la cuisse de Justin pour assister à son éjaculation. Maintenant qu’il a vu son visage, Matthias sait qu’il est perdu. Dans une dernière tentative pour se contenir, il essaie de se concentrer sur le sperme de Justin qui gicle sur les draps, ou même sur la lèvre que celui-ci se mordille sous l’intensité de son orgasme, mais ses efforts sont vains. Les traits de son ami d’enfance occultent le reste et, s’il aimerait pouvoir prétexter que la surprise ruine son excitation, celle-ci s’enflamme bien trop pour qu’il puisse être hypocrite et il perd le contrôle. Le rythme saccadé auquel il soumet soudain son ami lui vaut une douce plainte de ce dernier, mais cela ne dure pas et, bientôt, un simple «  Toni  » murmuré pour tout avertissement, il remplit le préservatif de sa jouissance.

Matthias n’avait jamais gémi ce surnom et la sensualité sur ses lèvres se dispute à la culpabilité d’avoir profané leur amitié. Il n’a pourtant pas le temps de pousser sa réflexion plus loin puisque Justin l’a déjà rejoint et s’empare de sa bouche. Le baiser est pressant et a le goût amer de la trahison — à la fois de l’adultère et du mauvais tour qu’il lui a joué. Matthias cède vite sous cet assaut alors qu’il devrait le repousser, furieux, mais il ferait n’importe quoi pour oublier l’autre présence. Son vœu n’est cependant pas exaucé et il est attiré par le mouvement à leurs côtés. Toni s’est tourné pour s’étendre sur le dos et leur présente son sexe suintant de liquide séminal. Cette vision à elle-seule suffirait à faire renaître son désir, toutefois il semble que Toni cherche à le faire se consumer sur place. Il lance à Matthias un regard brûlant ; ses pupilles dilatées hurlent son insatisfaction. Matthias sait qu’il doit prendre une décision. La plus sensée serait d’arrêter là ce manège, tant que la ligne n’a été que mordillée. Mais ce serait renier un désir refoulé depuis des années et il ne se sent plus capable de se raisonner. Franchir cette satanée ligne est si alléchant. Si facile. Si risqué. La bouche de Justin quitte la sienne et, de la langue, ce dernier trace un chemin sur sa joue, jusqu’à son oreille. Lui reste pantelant, les lèvres entrouvertes dans une tentative désespérée pour reprendre son souffle.

— Tu ne comptes pas le soulager, Matt ? lui chuchote Justin, tout en le débarrassant de sa protection usagée. Si c’est pour le laisser souffrir, je m’occupe de lui moi-même.

— Enfoiré.

— Donc, je suce Antonin ? le taquine-t-il.

Matthias repousse son petit-ami avec un regard agacé. Voir Justin dans d’autres bras que les siens ne l’émeut pas outre-mesure ; c’est même plutôt excitant. En revanche, imaginer les mains ou la bouche de son amant sur Toni l’irrite au plus haut point. Rien que l’entendre prononcer ce prénom, pourtant détesté par son ami, le contrarie. Il n’a pas envie d’analyser ce sentiment ; il veut juste faire en sorte de limiter les contacts entre les deux hommes. Alors, Matthias se penche vers leur partenaire d’un soir, faisant taire son conflit intérieur. Toni l’accueille avec un plaisir non dissimulé en écartant davantage les cuisses. Matthias ferme les yeux et capture le sexe entre ses lèvres sans préambule : il n’est plus temps d’attiser le désir, il doit juste apaiser cette tension. Sous l’assaut de sa bouche, son ami se tend et accroche les doigts dans ses cheveux pour l’inciter à poursuivre.

Alors qu’il goûte la saveur de l’interdit, il sent la paume de Justin en bas de son dos. Les premières caresses le long de sa colonne ne sont que des encouragements mais, au fur et à mesure que les gémissements de Toni se transforment en plaintes réclamant sa libération, la main remonte entre ses omoplates, puis dans sa nuque. Toni relâche soudain sa prise sur sa chevelure et — s’il en croit le froissement qu’il entend — agrippe les draps de ses poings. Son prénom soufflé par cette voix familière, dans un timbre si étranger, intime à Matthias de s’écarter. Toutefois, Justin le maintient en place quand il essaie de se redresser. Son cerveau a du mal à traiter cette nouvelle information et il ne saisit l’ordre silencieux de Justin qu’en sentant le membre de Toni pulser contre sa langue. Matthias plisse les paupières, soudain pris de remords de ne pas avoir pensé au préservatif, et se prépare à recueillir la jouissance de son ami d’enfance. Au premier jet, il déglutit de surprise ; le sperme qui s’écoule dans sa gorge lui donne l’impression d’avaler les flammes de l’enfer. La giclée suivante frappe son palais alors qu’il est en pleine inspiration. Avide, il se surprend à emprisonner fermement le sexe entre ses lèvres pour s’assurer de ne pas perdre une goutte de ce plaisir : le péché a un goût d’encore. La pression sur sa nuque s’efface à ce moment, Justin doit être satisfait de voir ses barrières céder. Ce dernier se colle tout contre lui et vient mordiller le lobe de son oreille. De nouveau, il murmure pour n’être entendu que de Matthias :

— Tu aimes ma surprise, pas vrai  ? Et pas la peine de faire des simagrées, ajoute-t-il alors que Matthias libère enfin le sexe de sa bouche pour protester. Antonin a accepté sans même réfléchir. Je me demande si je devrais être jaloux…

Matthias fait taire son amant d’un baiser sauvage, n’hésitant pas à lui râper les lèvres de ses dents. Justin apprécie visiblement le traitement puisqu’il lui répond avec autant d’enthousiasme. Matthias tente un regard vers son ami, sans savoir ce qu’il y cherche. Peut-être pour s’assurer qu’il est bien là et va y rester ? Lui, maintenant qu’il y a goûté, veut profiter de cette nuit avec les deux hommes de sa vie. Pour essayer de comprendre pourquoi il a accepté de se joindre à eux alors que Toni n’a jamais caché qu’il désapprouvait leur conception du couple ? Ou juste pour calmer tous les doutes qui le traversent ? En effet, si quelqu’un peut l’aider à aborder cet instant de façon pragmatique, c’est bien Toni. Tente-t-il de deviner si les sous-entendus de Justin ne sont qu’une façon de déchirer un peu plus leur amitié ? Pourtant lui et Toni avaient ri en se révélant mutuellement leur homosexualité et s’étaient promis de ne pas tomber dans le cliché des meilleurs amis devenant amants. Matthias soupire dans le baiser encore plus impatient de Justin et se laisse aller quand ce dernier le pousse en arrière. Étendu sur le dos, son petit-ami vient couvrir son corps du sien, puis Matthias clôt les paupières avant de risquer de croiser le regard de Toni qui commence à se redresser : après tout, un simple coup d’œil ne suffirait pas pour lui fournir les réponses à ses interrogations.

Un fiancé presque parfait

Autrice : Magena Suret.

Genres : Érotique, M/F, hot.

Résumé : « Tu m’évites. »
[…]
« Oui, admet-il. Constant t’a demandé en mariage et tu as accepté.
— Et alors ?
— Et alors, je me suis dit que tu avais peut-être besoin d’entraînement avant de lui jurer fidélité. »

Un fiancé presque parfait

Comme chaque matin, devant le miroir de la salle de bains, il apporte la touche finale à sa tenue. Il enroule la cravate autour de son cou et sa respiration se fait tout de suite plus rapide. Les extrémités satinées sont nouées de ses mains légèrement tremblantes. Le nœud glisse vers sa gorge et sa bouche s’assèche. La cravate serrée et ajustée, il la lisse de sa paume et se fait violence pour arrêter son geste à l’endroit où attacher la pince. Il a envie de poursuivre plus bas, comme à son habitude, et de s’occuper de son érection.

Les bruits d’agitation qui proviennent du salon l’en dissuadent. Il a un peu trop traîné au lit et s’est fait griller la priorité dans la salle de bains par ses colocs. Bientôt Constant quittera l’appartement pour aller travailler et laissera Fred seul avec Nadia alors qu’il a réussi à éviter le face-à-face depuis près de trois semaines. Le fil de ses pensées le fait sourire : jusqu’au mois dernier, il aurait pris son temps en espérant qu’elle le rejoigne et le trouve ainsi, la main rapide sur sa queue, essoufflé, déjà rouge d’avoir une cravate trop serrée à son cou. Nadia l’a initié à l’asphyxie érotique, et l’a rendu accro. Pourtant, il ne devrait plus y jouer avec elle, même si l’acte est moins savoureux en solitaire.

La porte d’entrée claque. Fred sait qu’il devrait quitter la pièce, simuler qu’il est en retard, se dépêcher de ramasser ses affaires pour quitter l’appartement. Néanmoins, il préfèrerait éviter de parader au milieu de leur salon avec la bosse évidente qui déforme son pantalon. Il se presse un peu plus contre le rebord du lavabo dans l’espoir de calmer son excitation. Ces quelques instants d’hésitation sont suffisants pour ruiner ses résolutions. La porte de la salle de bains coulisse dans son dos et, dans le miroir, Fred voit Nadia s’appuyer contre le chambranle et le détailler de la tête au pied. Il ne se prive pas d’en faire autant – prend note de sa nuisette qui joue sur la transparence, si courte qu’il devine la naissance de son sexe et l’absence même d’une culotte.

Il mentirait s’il prétendait que la situation ne le fait pas frissonner de désir.

« Tu m’évites. »

L’accusation met quelques secondes à prendre son sens tant Fred est perdu dans sa contemplation. Il se retourne pour lui faire face et prend appui sur le lavabo. La position rend son érection encore plus évidente et il s’amuse du bref moment où le regard de Nadia s’y égare. Elle frotte doucement ses cuisses l’une contre l’autre.

« Oui, admet-il. Constant t’a demandé en mariage et tu as accepté.

— Et alors ?

— Et alors, je me suis dit que tu avais peut-être besoin d’entraînement avant de lui jurer fidélité. »

Nadia a un rire léger, comme s’il venait de faire un lapsus à la fois adorable et embarrassant. Elle fait un pas en avant et refait coulisser le panneau pour les enfermer dans la pièce. Fred s’imagine qu’il devrait se sentir menacé, mais le regard gourmand qu’arbore Nadia éveille bien d’autres souvenirs et sensations en lui. Elle s’approche et Fred la laisse s’arrêter à un souffle de son visage. Il ne ressent pas la pression de son corps contre le sien, mais il ne s’en faut que d’un petit pas. Il est certain que le tissu de son pantalon frôle la peau de Nadia et qu’elle ne cherche qu’à tester sa détermination.

Du bout des doigts, elle joue avec sa cravate, la caressant doucement tout en remontant vers sa gorge. Fred déglutit de façon audible lorsqu’elle en ajuste le nœud, la resserrant encore un peu sous sa pomme d’Adam. La pression n’est pas désagréable – loin de là si l’on devait se fier à son érection – mais il ne peut plus l’ignorer.

« Tu as des problèmes avec ta conscience ? Parce que moi pas. Constant est sans aucun doute l’homme idéal pour me marier. Il est romantique, je suis folle amoureuse de lui et mes parents l’adorent.

— Tes parents m’adorent aussi.

— On pourrait presque croire que tu es jaloux », s’amuse Nadia.

Fred se contente d’un bref geste négatif de la tête. Nadia et lui sont amis depuis trop longtemps pour confondre leur alchimie sexuelle avec de l’amour. Et il pourrait renchérir sur la perfection de Constant. Il se redresse, achevant de coller son corps à celui de Nadia et passe un bras autour de sa taille. Alors qu’il fait glisser sa main sous ses fesses, elle se cambre pour lui faciliter l’accès. Du bout des doigts, il atteint son vagin et le caresse un court instant avant d’enfoncer les premières phalanges de son index et de son majeur. La position n’est certainement pas confortable pour Nadia, mais elle pousse un grognement satisfait.

« Tu es encore trempée, remarque Fred. Tu viens de t’envoyer en l’air avec lui, ça ne t’a pas suffi ? »

Alors qu’il cherche à repérer la serviette la plus proche pour s’essuyer la main, Nadia se dépêche de saisir son poignet pour l’en empêcher. Puis, en un geste agressif, elle porte ses doigts à la bouche et les suce brièvement.

« Il m’a fait l’amour, oui. Mais, même si j’apprécie son côté romantique, j’ai besoin de me faire baiser. »

Fred finit de se redresser et, de sa main libre, saisit Nadia à la taille avant de la faire pivoter pour inverser leurs positions. Il aperçoit une légère grimace de douleur sur son visage lorsqu’il la plaque contre le lavabo, mais elle se remet vite de sa surprise et passe la langue sur ses lèvres tout en poussant un soupir ravi.

« Tu pourrais simplement lui proposer. »

Malgré sa suggestion, il glisse déjà sa main droite entre les cuisses de Nadia jusqu’à son genou, puis la soulève pour l’asseoir sur le meuble. Il la sent se contracter à cause du froid de la surface contre sa peau brûlante ; elle se détend néanmoins rapidement, écartant les jambes pour permettre à Fred de se caler entre. Sans ménagement, il plonge trois doigts en elle et accompagne le va-et-vient sec de sa main de coups de rein prometteurs. Nadia lui caresse la nuque et Fred est certain que, si elle le pouvait, elle ronronnerait de contentement. Toutefois, elle n’est pas encore ivre de plaisir, pas encore réduite à de simples gémissements, et se décide à lui répondre :

« Parce qu’un mec adepte du missionnaire, qui trouve que notre vie sexuelle est pimentée quand je le suce deux fois la même semaine ou qui ne doit même pas savoir que l’anus est une zone érogène va très bien accepter mes requêtes ? »

Vexé qu’elle soit encore si loquace, Fred place sa main gauche au creux des reins de Nadia et l’attire vers lui. Elle se retrouve les fesses presque dans le vide et le dos courbé, avec sa tête appuyée contre le miroir. Il sort les doigts de son autre main de sa chatte et les fait glisser le long de son périnée. Il profite du liquide vaginal qui enduit ses phalanges pour forcer son majeur dans l’anus de Nadia. Dans le reflet du miroir, il voit ses orteils qui se contractent tandis qu’elle gémit de plaisir :

« Putain, ce que ça me manque…

— Dis-le-lui.

— Quoi donc ? Que je veux qu’il me force à me mettre à quatre pattes comme une chienne et qu’il m’encule, qu’il me traite de salope ? Ou que j’adorerais l’attacher et qu’il me laisse l’étrangler quand il jouit ? »

Fred acquiesce sans vraiment y réfléchir. Nadia lui a déjà dit tout ça, et bien plus. Ils ont déjà fait tout ça, et bien plus. Il sait de première main que Constant n’est pas si innocent qu’elle le croit et qu’il pourrait la combler s’ils osaient simplement se parler et tomber les masques. En attendant, il ne va pas se priver de cette opportunité.

« Tu gardes des préservatifs par ici ? »

Il a lâché Nadia pour tenter de déboutonner son pantalon, mais il n’est pas gaucher et il se sent maladroit. La pause un peu trop longue sans réponse lui fait relever les yeux vers Nadia qui le regarde d’un air surpris.

« Tu as couché avec quelqu’un depuis la dernière fois ?

— Un mec, avoue-t-il en s’efforçant de rester vague. On s’est protégés, mais toi et Constant… »

Il s’arrête, surpris à son tour, en réalisant que, malgré son inspection profonde, il n’a pas trouvé la moindre trace de sperme en Nadia.

« Ne me dis pas que vous attendez le mariage pour virer les capotes ? »

Nadia lève les yeux au ciel et le relance :

« Tu veux continuer à jouer les conseillers matrimoniaux ou tu comptes me baiser comme j’en ai envie ? »

Fred sait reconnaître un ton de défi et a bien l’intention de le relever. Il se contente d’ouvrir sa braguette, d’abaisser l’élastique de son boxer et de libérer son sexe. Il s’en saisit d’une main et marque une courte pause, le regard baissé entre leurs corps, alors que son gland repose à l’entrée du vagin de Nadia. Son côté sadique a envie de la torturer un peu, de glisser entre les lèvres, de chatouiller son clitoris et de la faire supplier. Mais il a déjà assez résisté et l’idée de la baiser sans plus tarder l’emporte. D’un mouvement de hanches, il s’enfonce en elle jusqu’à la garde et lui impose aussitôt un rythme rapide.

Pendant deux ou trois minutes, il n’entend que les claquements de leurs corps, les hoquets de plaisir de Nadia et le bruit d’un flacon qui roule au sol. Nadia a les yeux fermés, savourant chaque instant. Elle ressentira les effets de cette baise pendant plusieurs jours : sa tête cogne contre le miroir, le bas de son dos doit frotter le bord du lavabo à chaque mouvement et Fred sent les parois de sa chatte se détendre sous la violence de ses coups de reins.

Alors qu’il va bientôt jouir, ses fesses se contractent et il perd peu à peu le rythme qu’il imposait. Il voit Nadia ouvrir les yeux et le jauger. Elle soulève le haut de son corps et accroche d’une main l’épaule de Fred. Il est obligé d’ajuster leur position, pliant les genoux pour permettre à Nadia de s’asseoir davantage.

Dès qu’il la sent prête, il reprend ses va-et-vient, le besoin de jouir devenant pressant. À peine quelques secondes plus tard, il sent les mains de Nadia caresser sa cravate. Elle s’arrête au niveau de la pince. Fred baisse la tête juste à temps pour la voir la détacher et la jeter au sol. Il s’était habitué à la pression contre sa gorge et se crispe lorsqu’elle se fait plus forte. Nadia fait tourner la cravate pour qu’elle pende dans son dos, entre ses omoplates. Le frottement lui laisse l’impression qu’on lui brûle le cou. Le coude de Nadia se soulève à trois reprises et le tissu comprime de plus en plus sa trachée. Pour l’avoir vu faire de nombreuses fois, Fred sait que Nadia vient d’enrouler la cravate autour de son poing et qu’elle va s’en servir pour l’étrangler. Il espère que Nadia est assez baisée à son goût parce que son propre orgasme est imminent.

Le souffle de plus en plus court à chaque mouvement, Fred chasse son plaisir. Et Nadia est redevenue volubile :

« En fait, tu ne t’inquiètes pas pour mon couple, le nargue-t-elle. Tu aimes quand on s’envoie en l’air mais, si Constant était partant, je suis sûre que tu t’imagines bien entre nous deux. »

L’air se fait rare, précieux, et Fred sent ses jambes flageoler, ses yeux rouler sous ses paupières, mais a encore assez de présence d’esprit pour acquiescer. Constant lui a aussi fait ce genre de remarques et il visualise, en effet, parfaitement la scène : debout, comme à cet instant, avec Constant, les doigts enroulés autour de son cou, qui impose la cadence à laquelle Fred pourrait baiser Nadia. Ou attaché à leur lit avec Nadia et Constant se servant de sa bouche à tour de rôle…

Nadia relâche la tension de la cravate un bref instant, permettant à Fred d’avaler une goulée d’air. Il en profite pour augmenter la rapidité de ses allées et venues. Sous lui, Nadia se tend dans un long gémissement, enfin rassasiée par un orgasme. Le mouvement la fait s’agripper à la cravate et Fred halète sous l’intensité de la pression contre sa gorge. À son tour, il jouit, enfonçant les ongles dans la peau des fesses de Nadia, puis se laisse retomber contre elle.

Ils restent ainsi quelques instants, à reprendre leur souffle. Quand Fred relève la tête, il aperçoit son reflet dans le miroir, le visage rouge et les yeux brillants de larmes. Nadia détend ses doigts restés trop contractés sur la cravate, les serrant en poing avant de les desserrer à plusieurs reprises. Puis il se détache d’elle, lui permettant de descendre de son assise peu confortable.

Fred laisse son pantalon lui tomber sur les chevilles et s’en extirpe du mieux possible. Il se débarrasse de sa cravate et s’attaque alors à sa chemise tout en allant dans le salon pour trouver son téléphone. Tandis qu’il fait défiler ses contacts, Nadia le rejoint. Sa nuisette lui colle à la peau, elle a un sein qui s’en est échappé et il est presque certain que la trace humide qu’il devine sur le haut de sa cuisse est son sperme qui s’écoule déjà. Ou peut-être que Nadia a plongé ses doigts en elle avant de s’essuyer négligemment ici. Fred la renverserait bien sur le canapé pour plonger la tête entre ses cuisses et la nettoyer de sa langue. Mais la tonalité du téléphone l’aide à se concentrer sur ses priorités.

« Tu appelles qui ?

— Mon boulot. Pour prévenir que je ne viendrais pas aujourd’hui.

— On va baiser toute la journée ? »

Son ton émerveillé et ses yeux écarquillés le font sourire. Même si la perspective est tentante, il décide d’être plus raisonnable. Il passe son appel sans répondre à Nadia ou la quitter des yeux. Quand il en a terminé, il s’avance vers elle et la sent pratiquement vibrer d’excitation. Il lui tend son téléphone :

« Je vais prendre une douche. Profites-en pour appeler Constant. Dis-lui de rentrer après son cours et de ne pas déjeuner au lycée, les autres profs peuvent se passer de lui.

— Tu vas vraiment insister pour que je lui dise tout ? s’indigne Nadia. Très bien. Mais ce sera ta faute si ça brise mon couple. »

Fred lève les yeux au ciel, mais se retient de pointer en quoi elle serait aussi fautive. Ça n’en vaut pas la peine. Et si la conversation entre Nadia et Constant se déroule comme il l’imagine, ce ne sera qu’à son propre avantage. Ces deux-là se sont bien trouvés. Ils n’ont qu’à descendre l’autre de son piédestal… Fred s’arrête sur le pas de la salle de bains et se tourne pour faire face à Nadia, l’air satisfait par anticipation :

« Laisse-lui une chance puisque c’est le mec parfait, selon toi. Commence déjà par le sexe anal. La semaine dernière, en tout cas, ça n’avait pas l’air de le déranger de me bouffer le cul ou d’y plonger sa queue. »