Pas assez de toi – Scène coupée

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : M/M, romance.

Ceci est une scène coupée du roman Pas assez de toi, sorti aux éditions Harlequin.

C’est une scène que j’ai écrite entre les séquences Quatre ans, deux mois et dix-huit jours et Cinq ans et neuf jours, mais que je n’ai pas conservée, d’une part parce qu’elle est du point de vue de Yohan et que j’ai eu envie de développer plutôt celui de Thomas, et d’autre part parce que l’action s’est finalement déroulée ailleurs et cette scène n’a donc plus sa place dans la suite à venir.

Cependant, ça reste un passage avec un début et une fin, qui parle de ces personnages, et un texte que j’aime bien, d’autant plus qu’il a un aspect légèrement « politique », sociétal, avec la mention de la « manif’ de la honte » et d’éléments d’homophobie. Si je n’avais pas pris d’autres décisions, je l’aurais poursuivi avec plaisir, donc je le poste ici, pour ceux qui voudraient lire une séquence bonus sur Tom et Yo.

Pas assez de toi - Scène coupée

Les premiers rayons de soleil sur la route réveillèrent Yohan. Il ouvrit les yeux. Sur les côtés, les herbes défilaient, vertes et jaunes. Une boule de feu se levait sur leur gauche au milieu des strates orangées de l’air matinal. Ils étaient seuls sur la quatre voies.
― On est où ?
― On vient juste de passer Lyon.
― D’acc’…
Encore deux heures de route. Au mieux.
― Tu n’as pas fait de pause.
― Non.
― Alors arrête. On va aller prendre un café.
Des cernes marquaient le visage de Tom et il paraissait plus pâle qu’en temps habituel. Yohan n’eut qu’à le voir se mettre soudain à bailler pour savoir qu’il était plus que temps qu’il s’arrête. Ils prirent la première sortie vers une aire d’autoroute qu’ils rencontrèrent. Là, une tasse en plastique chaude réchauffant ses mains, Yohan prit le temps d’essayer de se réveiller. Il tourna longuement sa touillette en plastique dans son café crème miniature.
― Je vais prendre le relai, va.
L’expression de Tom se durcit.
― Pas la peine.
― Non mais… tu ne vas pas conduire comme ça jusqu’à la fin.
― C’est bon, je te dis.
― Tom…
Mais celui-ci ne daigna pas répondre. Yohan resta un moment décontenancé avant de laisser tomber sa tête en avant dans un soupir. Thomas s’était verrouillé exactement de la même manière que la veille quand il lui avait fait remarquer l’heure qu’il était. Selon toute évidence, ce sujet était tendu au-delà de ce qu’il avait imaginé. Il essaya de débloquer la situation. Peut-être aurait-il dû se taire, cette fois aussi. Se taire et savourer ce qui pouvait encore être savouré, si ses craintes devaient s’avérer justes. Il avait vécu le rêve, jusque-là : presque dix mois, sans heurts. Neuf mois et vingt-deux jours, pour être précis, sans qu’aucun d’eux n’ait une aventure avec quelqu’un d’autre, du moins à ce qu’il en savait, sans aucune disparition de Tom, sans aucun coup de tête de sa part qui n’ait pu être discuté à deux. Selon toute évidence, Thomas avait toutefois fini par atteindre sa limite. Il avait besoin de pouvoir suivre ses pulsions, ainsi, sans réfléchir. A lui de le suivre, s’il voulait le garder. Yohan releva un regard qu’il voulut persuasif vers lui.
― Je peux conduire… Ça ne me dérange pas.
― Je croyais que ça te faisait chier de faire la route de nuit.
C’était donc bien un reste de l’échange de la veille. Thomas se montrait plus que sur la défensive sur le sujet.
― Il fait jour, maintenant, contra Yohan avec un sourire.
Il embrassa du regard l’ensemble du hall de la cafétéria composé d’un espace de vente de barres chocolatées et de chips, d’un accès aux toilettes et de trois machines à café avec une pauvre table de bistrot devant laquelle ils se tenaient debout.
― Et puis, franchement, on n’est pas bien, là ? poursuivit-il avec une mimique amusée. C’est pas trop chouette, cet endroit, avec le coin pour les sandwitchs rectangle et… oh, regarde ! Un mini Dark Vador en boule de neige à secouer. On devrait tout le temps s’arrêter ici pour prendre notre café.
Et ce disant, il vida sa tasse d’un coup, puis attrapa Tom par la nuque, le tirant vers lui. Une lueur d’amusement s’était inscrite dans les yeux de celui-ci.
― T’en as encore sur les lèvres, d’ailleurs.
― Ce serait dommage de le laisser gâcher…
― Ouais…
Puis, ils s’embrassèrent au milieu du relai d’aire d’autoroute, en plein cœur de l’espace normalité par excellence : celui de la petite famille et du couple d’hétéro. Comme des cons. Comme des mecs fatigués qui, sur l’instant, n’avaient pas envie de penser que faire un geste si normal chez les autres pouvait passer, chez eux, pour un acte transgressif. Yohan fit durer le baiser, s’y versant, laissant le désir naître tout doucement au fond de son cœur et l’amour embraser sa poitrine. Il n’avait pas de raison de ne pas profiter de cette escapade. Il devait parvenir à chasser le sentiment de danger de ses pensées.
Alors qu’ils étaient sur le point de repartir, appuyés contre la carrosserie de la voiture de Tom dans le partage d’une cigarette, ils le virent. Un gamin de peut-être dix-huit ans, manifestement mal à l’aise, qui se dirigeait vers eux. Pas tout à fait gamin, mais avec une allure de lycéen et, pour eux, qui en avaient peut-être cinq de plus, ce fut l’impression qu’il leur fit.
― Euh… excusez-moi.
Yohan fut le premier à lui répondre. Quand il planta le regard dans celui du mec qui s’était approché, la constatation qui le frappa fut qu’il était outrageusement beau. Comme on ne le voyait que rarement. Et que, même si ça ne remettait aucunement en compte les sentiments qu’il portait à Thomas, il se serait bien perdu dans sa contemplation.
― Oui ?
― Vous… descendez au sud ?
― Si on ne s’est pas trompé de sens d’autoroute, tout me semble indiquer que oui. Pourquoi ?
― Parce que je cherche justement à descendre.
Il portait un jean et un t-shirt blanc, avec un sac à bandoulière sur une épaule. Pas grand-chose dedans, selon toute évidence. Un mec assez grand. Élancé.
― Tu vas où ? l’interrogea Tom.
Il eut l’air mal à l’aise.
― Je ne sais pas. Au sud.
Thomas sourit.
― Comme nous.
Yohan se passa une main lasse sur le front. Il n’avait rien contre les auto-stoppeurs mais il n’était pas convaincu que prendre un type qui ne savait pas plus qu’eux où il allait était la meilleure des idées.
― Tu as quel âge ? Pas que je veuille t’embêter mais, si tu as moins de dix-huit ans…
― Non non, c’est bon.
Après avoir fouillé dans son sac, il en sortit une carte d’identité, la leur montra. Il avait tout juste dix-huit ans. Pas vraiment un gamin, non. Plutôt un jeune mec. Yohan adressa un regard à Thomas, qui haussa les épaules en réponse.
― On va à la mer, de notre côté.
― Ce serait parfait.
― Bon…
Un signe de tête entre eux les fit convenir qu’il n’y avait pas de raison de ne pas le prendre avec eux. Yohan tâcha de maîtriser tout ce qui, en lui, lui criait de toutes ses forces « danger ».
― Tu veux mettre ton sac dans le coffre ?
― Non, c’est bon. Je vais le garder avec moi.
― OK.
Il attrapa au vol le trousseau que Tom lui lança. Tous trois s’installèrent ensuite : Yohan au volant, Tom à côté de lui, le coussin calé entre sa tête et la fenêtre, et leur passager à l’arrière de la voiture. Thomas l’interrogea :
― Tu t’appelles comment ?
― Kevin.
Le prénom de type sorti de l’adolescence par excellence… Yohan adressa un regard à Tom et, durant une seconde, ils échangèrent leur amusement par rapport à ce détail. Puis il démarra.
Quand Thomas alluma la radio et la station sur laquelle ils tombèrent émit un vieux tube d’Abba, la fatigue aidant, il commença à chanter en même temps les paroles. Yohan éclata de rire. Peu après, il le secondait dans un duo lui rappelant une époque loin-lointaine où ils avaient un pote qui ressortait suffisamment souvent son best-of de ce groupe des années soixante-dix pour qu’ils en connaissent le refrain par cœur :
« You are the Dancing Queen, young and sweet, only seventeen  !!! »
La suite de la chanson accompagna la sortie de l’aire d’autoroute et l’entrée dans la voie rapide. Yohan pensa que, si avec ça, leur passager ne pigeait pas qu’ils étaient gay, il ne savait pas ce qu’il fallait. La réaction de ce dernier arriva peu après, alors que la voiture avalait le bitume.
― Vous êtes ensemble… C’est ça ?
― Oui…
Thomas tourna la tête vers lui.
― Ça te dérange ?
― Non. C’est pour ça que je me suis adressé à vous.
La réponse les surprit tous deux. Yohan lui adressa un regard à travers le rétroviseur.
― Pourquoi ?
Kevin soupira. Abba reprenait le refrain de « Dancing Queen » en faisant durer longuement chaque rime.
― Je vous ai vus vous embrasser.
Forcément.
― Laisse-moi deviner : tu fais une fugue, c’est ça ? reprit Tom.
Yohan lui adressa une petite bourrade de reproche sur l’épaule.
― Il est majeur !
― Et alors ? Moi, à dix-huit ans, je faisais tout le temps des fugues.
― Non mais toi, c’est particulier, rit Yohan.
― Je sais, oui. Label déposé, je suis le seul et l’unique, ironisa-t-il en partageant de nouveau un regard amusé avec Yohan.
Il se tourna ensuite vers Kevin. Celui-ci leva un sourcil avant de leur répondre :
― Non.
Si Yohan se tut, son expression dit tout à Tom de sa satisfaction de ne pas s’être trompé.
― Qu’est-ce qui t’es arrivé, alors ? reprit celui-ci à l’intention de Kevin.
― Rien… J’en avais marre. Je fais un job d’été en ce moment qui me gonfle. Je bosse dans une usine de fabrication de brioches. Mon patron me saoule, mes collègues n’ont rien à foutre de rien…
Il prit une pause.
― Je suis encore tombé sur une action de rue des excités du « pas les mêmes droits pour les homosexuels »…
― Ah, constata Yohan.
La manif’ de la honte, donc. Ou la manif’ pour personne, comme la qualifiait aussi parfois Thomas. Yohan s’exprimait peu sur le sujet. Il n’avait pas spécialement envie de se marier ― sa relation avec Thomas était loin de lui permettre d’y songer, de toute façon ― mais Tom avait été plus remonté que lui sur le sujet et l’espèce de décomplexion de l’homophobie à laquelle ils avaient assisté avait quand même fini par l’agacer fortement, lui aussi, et ils étaient allés à une contre-manifestation, un jour. Yohan n’était pas sûr de la pertinence de leurs actions, vu le show qu’avaient fait certains de leurs potes, notamment deux qui étaient venus en tenue de cuir digne des années quatre-vingt, menottes et chaînes à la main. Mais, eh, certains s’étaient travestis en caricatures d’hétéros respectables ne faisant pas un pas en dehors du rang, pourquoi d’autres ne pourraient pas se travestir en caricatures de gays façon Village people ? Toujours est-il qu’il était content d’avoir fait son coming-out avant la triste période qu’ils vivaient. Il n’avait pas eu tant de mal à accepter son homosexualité étant donné que, d’une certaine manière, il l’avait toujours su, mais faire le premier pas pour l’assumer lui avait cependant demandé une part de courage et il ne savait pas comment il l’aurait vécu s’il avait dû le faire dans un tel climat de rejet.
― Alors, tu es parti ?
― Oui. Ça m’a gonflé. Tout a fini par me gonfler. Je fais la route tous les jours pour aller bosser. Tous les jours, je passe devant le panneau « Lyon ». Tous les jours, j’ai envie de le suivre. Aujourd’hui, j’ai demandé au pote avec qui je fais le trajet de m’y déposer.
― Et te voilà.
Yohan le vit hocher la tête dans le rétroviseur.
― Me voilà, oui.
― Tu n’as pas ta propre bagnole ?
― Non.
― Et pourquoi nous ? intervint Thomas. Parce que tu as vu qu’on était gay ?
― Oui.
Thomas eut un temps de réflexion.
― Tu as fait ton coming out ?
― Tom…, réagit Yohan.
― Et alors ? S’il est venu vers nous en particulier, c’est bien qu’il y a une raison !
― Oui, répondit Kévin. Il y a quelques mois.
Le jeune homme fit une pause.
― Je me suis fait jeter par le mec à qui je me suis déclaré.
― Classique…
― J’ai fait quelques sorties dans des bars, poursuivit-il.
― Eh !
Tom lança la main vers Yohan pour lui claquer l’épaule, mais lui n’avait pas envie de rire.
― J’ai dit quelque chose de drôle ? reprit Kevin.
― Non, lui répondit Thomas. C’est juste que ça me rappelle mes seize ans.
Yohan se força à sourire. Qu’il soit comme eux ne l’amusait pas tant que ça. Tel qu’il le voyait, il était surtout comme Thomas : impulsif, soumis à des envies d’autres horizons brutales. Tout ça craignait. Voilà des mois qu’ils étaient fidèles l’un envers l’autre et voici que le sort leur mettait sur les bras un jeune homme honteusement attirant, libre, trop proche du cas particulier qu’était Thomas et, qui plus est, attiré par la même liberté sexuelle qu’ils l’avaient tant vécue eux-mêmes. Fut encore quelque temps, il se serait arrêté à la première aire pour le baiser contre le mur des toilettes tout en prenant la bouche de Tom. Fut encore quelque temps, seulement. Désormais, tout dans ce genre de pensée lui criait de toutes ses forces « danger ».
Il anticipa sur ce que pourrait dire Thomas, de peur que celui-ci soit en train de songer aux même éventualités. Il évita même de croiser son regard, qu’aucune confirmation ne puisse risquer de se faire entre eux.
― Et Lyon ne t’a pas suffi, donc.
― Non, je voulais descendre plus bas.
― Tu es de Paris ?
― Oui.
Avec la mention des manif’s en question, il n’y avait pas eu trop de doute.
― Tu es parti quand ?
― Hier. J’ai trouvé des gens sympas qui m’ont pris en stop.
― Et tu as dormi… ?
Kevin haussa une épaule.
― La tête sur mon sac.
Il précisa :
― Dans un espace vert.
― Donc que dalle, remarqua Tom.
C’était une évidence. Malgré la chaleur estivale, il n’y avait aucune chance pour qu’il n’ait pas eu froid au cœur de la nuit.
― Un peu, quand même, modéra Kévin.
Tom tendit cependant le bras en arrière pour lui faire passer son coussin. Tous deux connaissaient très bien ce genre de scénario : ils l’avaient déjà vécu plein de fois. Les « viens, on part » de Thomas, s’étaient souvent finis en catastrophe. En recherche désespérée de lieu où dormir, pour finir grelottant dans une grange squattée aux heures les plus sombres. En descente de bouteilles d’alcool pour oublier le froid. En rencontres formidables, parfois, aussi. C’était à chaque fois un jeu de roulette. La bille pouvait tomber sur « excellente expérience » comme « galère sans nom ». Le seul élément faisant que jamais aucun d’eux n’en était revenu qu’en riant sur leurs mésaventures était leur propre opiniâtreté. D’autres en auraient fait des récits dramatiques.
Yohan regarda le cadran du lecteur de DVD. Il indiquait huit heures.
― Marseille ? lança-t-il.
― N’importe. La mer, dit Tom en pliant le coude contre la fenêtre pour y appuyer sa tête.
Yohan concentra son attention sur la route tandis que la voiture avalait le bitume et que ses passagers fermaient les yeux.

La femme de l’ombre

Autrice : Magena Suret.

Genres : Masturbation féminine, femme seule, soft.

Résumé : « Ce n’est pourtant pas la première fois que leurs projets sont contrariés. Elle est habituée à être la femme de l’ombre, à ne pas avoir la priorité. »

La femme de l'ombre

Alors que la porte se referme dans son dos, elle lâche sa valise au sol. Elle l’abandonne au milieu du passage, n’ayant aucune envie de la vider, puis l’enjambe pour aller découvrir sa chambre. Du regard, elle fait le tour de la pièce. C’est un lieu impersonnel, typique des hôtels. Il y a un bureau et une chaise pliante sous la fenêtre ; au mur est fixée une télévision. Et les lits jumeaux sont identiques, bordés de manière presque militaire. Dormir seule dans un grand lit lui paraissait insupportable quelques minutes auparavant quand elle avait demandé ce changement à la réception, toutefois elle doit réviser son jugement. L’impression d’être dans un dortoir est encore pire. Sa présence ici est censée lui faire oublier son quotidien, pas renforcer sa solitude.

Elle se retourne et s’agenouille pour ouvrir sa valise. Elle laisse ses doigts courir un instant sur ses tenues, effleurant les différentes étoffes. D’une poignée nerveuse, elle écarte le satin et la dentelle de sa lingerie puis attrape sa trousse de toilette. Dans la salle de bains, elle ôte ses vêtements, les laisse choir au sol. Un coup d’œil dans le miroir lui confirme ce qu’elle pressentait. Le regard fuyant des employés avait été une bonne indication sur sa mine défaite.

Malgré sa tentative de démaquillage dans les toilettes de l’aéroport, il lui reste des traces de mascara. Ses yeux sont bouffis des larmes qu’elle a versées en silence durant le vol. Ce n’est pourtant pas la première fois que leurs projets sont contrariés. Elle est habituée à être la femme de l’ombre, à ne pas avoir la priorité. Mais la raison de l’annulation de dernière minute la rend malade. Elle se souvient de leur conversation téléphonique, du moment de l’annonce, de la joie dans sa voix plus forte que le remords de la laisser partir seule. Un bébé. Elle ne peut pas lutter contre cette grossesse, le bonheur d’un couple.

Elle nettoie rageusement le contour de ses yeux, le faisant rougir pour effacer le noir, puis s’asperge le visage d’eau. Maintenant qu’elle est nue, elle n’a plus le courage de prendre sa douche. Elle est juste épuisée de son voyage et de sa déception. Elle dénoue ses cheveux, laissant ses boucles brunes retomber sur ses épaules et retourne dans la chambre. Elle a un regard désolé pour sa lingerie éparpillée au sol. Même s’il fait frais dans la pièce, elle préfère ne rien enfiler. Elle n’a pas envie d’être séduisante, elle n’a personne à charmer. Elle n’a pas plus envie de se glisser entre ces draps et s’allonge simplement sur le dessus de lit aux losanges horripilants. Les paupières à présent closes, elle ne peut s’empêcher de penser à ce qu’il se passerait si elle était accompagnée, des images s’incrustant dans son esprit.

Un corps assis près du sien, une main dans ses cheveux, une bouche dans son cou, des rires coquins et des mots d’amour susurrés. Elle sent sa gorge se serrer, l’idée la fait souffrir autant qu’elle échauffe ses sens. Elle tourne la tête vers la fenêtre, vers l’autre lit où l’absence devient cuisante. D’un doigt, elle descend de sa clavicule à la naissance de son décolleté, du côté de son cœur. Elle sent ses mamelons pointer ; la peau autour, tendue par la faible température de la pièce, la tiraille légèrement et lui donne l’impression qu’elle va se craqueler. Elle s’efforce d’oublier qu’elle s’inflige elle-même cet effleurement, imagine que c’est une autre main que la sienne qui prend son sein en coupe. Elle le masse doucement, égarant son pouce sur le sommet sensible. Elle se mord la lèvre, retenant un soupir. C’est peut-être le soleil qui tape contre la vitre ou son fantasme, toujours est-il que la tiédeur l’envahit.

Elle ne veut pas perdre cette sensation de tranquillité et repousse de toute sa volonté les doutes, se concentre sur l’étincelle que le désir éveille en elle. Sa main poursuit sa route, la faisant frissonner quand elle chatouille délicatement son flanc. Elle arrive à sa hanche, dessine la ligne au bas de son ventre, comme si elle se glissait sous l’élastique d’une culotte. Son sexe commence à s’humidifier, lui réclame une jouissance apaisante. Elle replie son genou gauche, espérant rencontrer un obstacle de chair sur le lit voisin. Elle refuse d’ouvrir les yeux quand elle ne fait que fendre l’air, elle n’a pas besoin de rompre sa digression en visualisant la réalité. Pour elle, il y a une autre personne qui n’attend que le bon moment pour venir écraser son corps de son poids. La jambe écartée, elle dirige ses doigts vers son intimité, recueille quelques gouttes de son excitation et s’amuse à taquiner ses lèvres gonflées par l’attente.

Son souffle se fait plus court, chargé d’élans de contentement et d’angoisse. Elle a envie de resserrer ses cuisses, d’interdire l’accès à ses doigts. Son esprit commence à se rebeller ; elle ne veut pas de ce bien-être solitaire et amer dont son corps se languit. Affirmant sa contradiction, elle place sa main droite sur son aine, fait pression pour rester ouverte. Tout comme on la forcerait à augmenter la puissance de sa satisfaction plutôt que de la brimer. Elle se résigne, accepte de soulager, ne serait-ce que physiquement, sa peine. Son index droit rejoint son clitoris déjà érigé ; elle reçoit une décharge de plaisir au premier cercle qu’elle dessine au-dessus. De son autre main, elle taquine son entrée humide, plonge doucement ses appendices pour caresser sa paroi intérieure.

L’agréable enivrement efface finalement la froide réalité. Dans son imaginaire, ce n’est plus elle qui se masturbe. Ce sont d’autres membres qui la pénètrent, une langue gourmande qui la déguste et lui fait tourner la tête. Elle, si réticente au départ, n’aspire plus qu’à se libérer rapidement. Ses mouvements se font plus rapides et imprécis à mesure que ses hanches se soulèvent et s’écrasent contre le matelas sous elle. Elle sent cet embrasement dans ses entrailles, recherche l’instant du ravissement. Soudain, elle se cambre légèrement, suspend tous ses gestes. Elle retient un gémissement entre ses dents et se régale de cette délicieuse brûlure qui semble se répandre à travers son corps. Elle accueille l’orgasme et la torpeur qu’il entraîne avec bienveillance. Elle sait que cela ne durera pas. Cette sensation est toujours trop brève, pourtant elle veut la mettre à profit pour céder à la somnolence.

Comme elle s’en doutait, le flottement est vite interrompu. D’abord par la chair de poule qui recouvre sa peau déjà refroidie, puis par la mélodie de son téléphone. Elle se lève à regret et fouille dans son sac pour répondre.

« Marie ? »

Le ton est tendre. Elle sent ses larmes se former. Simplement l’entendre prononcer son prénom lui provoque un bouleversement. C’est doux et violent à la fois.

« Tu es fâchée ?

— Non, assure-t-elle, bien sûr que non.

— Tu sais que ça ne changera rien entre nous. »

Elle a un rire déçu. Évidemment que tout va changer. Cela leur était déjà difficile de se voir ailleurs que sur leur lieu de travail, un bébé à naître ne fera que compliquer leur situation. L’enfant aura la priorité. Sur son couple et sur elle. Elle ne peut pourtant pas lui reprocher de préférer cette vie, de privilégier sa famille. En revanche, elle lui en veut de la bercer d’illusions. Leur histoire n’a pas d’avenir. Elle n’en a jamais eu et n’en aura jamais.

« Je crois, commence-t-elle, qu’être ta maîtresse ne me suffit plus.

— Marie, on en a déjà parlé. Tu ne peux pas me demander de choisir.

— C’est ma décision. Même si ça me déchire le cœur, c’est mieux pour nous deux.

— Non, c’est juste un contretemps. À ton retour, on…

— Félicitations pour ton bébé, Audrey. »

Elle raccroche tant qu’elle a encore de la volonté. Il vaut vraiment mieux qu’elles cessent dès maintenant. Elle ne supportera pas de voir ce ventre s’arrondir de jour en jour, de savoir qu’elle a été incapable de combler chaque désir de la femme qu’elle aime. La distance est la meilleure solution, elle peut se faire muter dans un autre établissement pour la rentrée. Audrey aura sa famille pour se consoler. Dans quelques années, elle ne songera à elle que comme une parenthèse dans vie. Quant à elle, elle espère avoir tiré les leçons de sa tristesse. La prochaine fois qu’elle aimera, ce sera à la lumière du jour.

Ulcère et belles dentelles

Autrice : Magena Suret.

Genres : Duo M/M, tranche de vie, soft.

Résumé : La première fois qu’il avait envisagé qu’Alex ait un intérêt autre que professionnel concernant la lingerie féminine, Lionel avait balayé l’idée d’un sourire amusé.

Ulcère et belles dentelles

La première fois qu’il avait envisagé qu’Alex ait un intérêt autre que professionnel concernant la lingerie féminine, Lionel avait balayé l’idée d’un sourire amusé. Certes son conjoint passait davantage de temps sur les compositions de ces pages de catalogues que sur d’autres, mais peut-être était-ce que le sujet l’inspirait moins. En tant qu’infographiste indépendant, Alex était contacté pour différents travaux, de la création d’un site intranet à la conception de catalogues, et il disait souvent que le plus compliqué était de respecter le cahier des charges tout en obtenant un résultat alléchant pour le consommateur. Lionel en avait donc conclu qu’en homme gay, Alex prêtait deux fois plus d’attention à ce genre de réalisation parce qu’il était bien plus en proie au doute sur un domaine qu’il ne connaissait qu’en théorie.

La seconde fois que Lionel avait eu un doute, ils regardaient une émission de reportages au thème évocateur, les dessous de la mode. Son concubin avait été agité durant un passage sur un défilé de lingerie ; Lionel avait cru à une simple impatience avant de le voir se lever brusquement puis annoncer qu’il allait se coucher. Encore aujourd’hui, il ne pourrait pas en jurer, mais il était convaincu d’avoir deviné une érection sous son pyjama. Dix ans plus tôt, il aurait sûrement poursuivi Alex jusque dans la chambre pour en avoir le cœur net et en profiter, mais l’expérience lui avait appris la réserve et il n’était pas certain de vouloir une réponse à ses questions. Aussi était-il resté sur leur canapé à tenter de trouver une explication logique à cette réaction.

La troisième fois n’avait plus laissé la place aux peut-être, mais plutôt à savoir qui était concerné par ce fantasme. Était-ce Alex qui souhaitait se travestir ou voulait-il voir Lionel dans ces tenues ? Ce dernier procédait au classement annuel de leurs photos sur un disque dur quand il avait ouvert un fichier nommé « Divers Alex », sans se douter qu’il tomberait sur une série de clichés d’hommes en lingerie féminine. Inquiet de la réaction d’Alex – et s’il pensait que l’incident était volontaire ? –, Lionel n’avait pas osé aborder le sujet.

Alors, il avait entrepris de réaliser ce fantasme. Lionel n’avait pas pu avoir de lingerie adaptée aux hommes : leur ville n’avait pas de boutique proposant ce genre d’articles et les commander en ligne était hors de question. Puisque Alex travaillait de la maison, il aurait sans doute été celui qui réceptionnerait le colis ; et si Lionel savait que son compagnon n’aurait jamais ouvert le paquet, il n’était pas sûr, quant à lui, d’avoir pu garder le secret. Il avait donc mis au placard ses hésitations pour trouver son bonheur dans un magasin de prêt-à-porter.

D’abord, il avait pris soin de s’y rendre pendant sa pause-déjeuner en sachant que le personnel était moins nombreux à ce moment-là, afin d’éviter de devoir présenter ses articles à une vendeuse à l’entrée des cabines d’essayage. Trouver quelque chose de sexy qui lui allait avait été le véritable défi. A trente-huit ans, il se trouvait encore en forme – si l’on exceptait les petites poignées d’amour qui empâtait sa taille depuis deux années et dont il ne parvenait pas à se délester. Pourtant Lionel avait dû se résoudre à faire sa sélection parmi les plus grandes tailles. Après un premier essayage, il avait d’emblée éliminé les guêpières : même si c’était un élément récurrent sur les photos qu’il avait fait défiler, elles n’étaient vraiment pas adaptées aux hommes et à leur absence de poitrine.

Lionel avait fini par se décider pour un ensemble de nuit en satin, composé d’un caraco et d’une simple culotte qu’il avait pris une taille au-dessus, en espérant être assez à l’aise. Dans un premier temps, il avait opté pour une tenue blanche, mais en avait finalement acheté une rose. Quitte à le faire, il voulait être le plus affriolant possible et, les pommettes en feu, il avait complété le tout d’un porte-jarretelles en dentelle rouge et de bas noirs. L’ensemble rose lui paraissait donc plus approprié – s’il osait mettre un jour son plan en action.

Un mois plus tard, Lionel s’était lancé.

Et voilà comment il en était arrivé là. Planqué dans les toilettes d’un restaurant à tenter de retrouver un peu de contenance, hésitant à ôter ces sous-vêtements et à les abandonner ici-même. L’estomac noué par la nervosité depuis le début du repas, il n’avait pas eu à forcer le trait pour s’excuser quelques minutes parce qu’il ne se sentait pas bien. Si le stress au travail ne lui déclenchait pas l’ulcère promis par son médecin, cette soirée pourrait y remédier. De plus, le serveur n’allait plus tarder à amener leurs desserts et, si Alex n’avait pas encore perçu son attitude étrange, Lionel serait démasqué car il serait incapable d’avaler une bouchée de la forêt noire qu’il aimait tant. Il avait été stupide de penser pouvoir passer une soirée à l’extérieur ainsi sans en être embarrassé. Tout le chemin, tandis qu’Alex conduisait, il avait serré les dents, priant pour qu’ils n’aient pas d’accident ; il n’aurait certainement pas survécu à l’humiliation si les secours avaient découvert ce qu’il portait sous son jean et sa chemise.

Une fois de plus, Lionel se fustigea d’avoir agi sur une impulsion. En sortant de la douche pour se préparer, il avait juste repensé au paquet soigneusement caché dans son armoire, derrière un tas de linge qu’ils n’utilisaient plus que pour de rares occasions. Dans son élan, il avait abandonné son boxer et ses chaussettes pour enfiler ces sous-vêtements plus sexy. Ensuite, il avait passé un long moment devant le miroir, à apprécier la différence de texture sous son jean, le frottement moins rugueux contre ses cuisses, l’élastique de la culotte qui mordait ses aines – il était moins à l’aise qu’il ne l’avait espéré. En s’observant une fois habillé, Lionel s’était demandé si quelqu’un pourrait deviner ce que camouflaient ses vêtements. La pensée avait failli le pousser à remiser la lingerie dans sa cachette, mais Alex l’avait appelé d’un ton pressant : ils allaient perdre leur réservation au restaurant s’ils ne partaient pas dans l’instant.

La porte des sanitaires grinça et un « Lionel ? » inquiet résonna. Il se tassa dans la cabine individuelle, tentant de rassembler son courage pour affronter Alex. Lionel regrettait plus que jamais de ne pas avoir gardé cette expérience pour chez eux, à l’abri dans leur intimité. Au moins, si son compagnon devait être furieux que Lionel ait fouiné dans ses affaires, il aurait pu le laisser claquer la porte et aller bouder. En tout cas, il n’aurait pas été mortifié à l’idée de devoir se justifier en public. Et, dans l’éventualité où Alex le trouverait ridicule, Lionel aurait pu ravaler sa fierté pour le laisser rire, quitte à ce que cela devienne un sujet de taquinerie quand il serait moins sensible. Mais non, il avait fallu que Lionel choisisse de se travestir ce soir. Quand il posa la main sur le verrou pour quitter son refuge et rassurer son conjoint, il savait qu’il allait tout lui avouer.

Lorsqu’il ouvrit la porte, Lionel se retrouva nez-à-nez avec son compagnon et, avant même de le laisser lui poser la moindre question, il souleva sa chemise et entrouvrit son jean, faisant apparaître un aperçu de satin rose et de dentelle rouge. Sous les yeux stupéfaits d’Alex, il se rhabilla en hâte et profita de son choc ébahi pour justifier son comportement. Son discours sortit sans vraiment avoir de sens. Lionel parla des photos, expliqua qu’il n’avait pas cherché à être indiscret, qu’ils pouvaient se parler de tout, qu’il ne jugerait pas les fantasmes d’Alex, quand bien même il ne pourrait pas l’aider à tous les assouvir, qu’il avait pensé lui faire plaisir, mais qu’il était effrayé de sa réaction… Il aurait pu poursuivre encore longtemps s’il n’avait pas relevé la tête et découvert le regard dur d’Alex. Soudain, le silence était préférable, aucun argument ne semblait plus pouvoir faire le poids ; le visage fermé, Alex avait l’air furieux. Seulement Lionel ignorait où résidait le problème et comment désamorcer la situation. Si au moins, il avait réussi à rester calme et exposer les faits un par un, il aurait su à quel moment son compagnon avait craqué.

Alex dut le prendre en pitié puisqu’il ferma les yeux et soupira avant de lui demander de revenir à table ; ils régleraient ça de retour chez eux. Le silence sur la fin du repas fut pesant et, même si Lionel gardait la tête baissée honteusement, il sentait sur lui le regard perçant de son conjoint. Quand ce dernier régla l’addition, l’attente parut interminable. Et lorsque Lionel prit son courage à deux mains et tenta d’en glisser une dans celle d’Alex, celui-ci s’écarta brusquement, comme brûlé par le contact. Penaud, Lionel essaya de se remémorer une fois où il avait vexé à ce point Alex – en quinze ans, il avait bien eu le temps de faire pire –, mais n’en trouva pas. Par conséquent, il n’avait pas la moindre idée par où commencer pour se faire pardonner. Ne rien dire et attendre la suite lui semblait une bonne défense dans l’immédiat.

Arrivés chez eux, Lionel attendit que la porte soit verrouillée, se préparant à la dispute monumentale à venir. Cependant, Alex resta face à la porte, comme s’il refusait même sa présence. Face à ce mur, Lionel s’avoua vaincu ; leur conversation était remise à plus tard. Un peu lâchement, et même si cela signifiait une mauvaise nuit à passer, il devait reconnaître qu’il était soulagé. Peut-être que demain matin, ils pourraient en rire. Alors qu’il se tournait pour monter les escaliers, Alex lui attrapa le poignet et, ignorant ses protestations, fit sauter les boutons de sa chemise pour en écarter les pans. Ses joues s’enflammèrent quand le regard de son compagnon se posa sur le tissu du caraco tendu sur ses pectoraux et la dentelle du porte-jarretelles – qu’il avait placé un peu haut sur sa taille pour camoufler ses poignées d’amour. Puis il sentit des mains tremblantes tracer le contour du décolleté puis des bretelles et ce ne fut plus la gêne qui lui donna chaud.

Soudain, Lionel réalisa que la froideur d’Alex n’était pas de la colère mais de la retenue. Qu’ils n’arriveraient pas au lit et que sa lingerie si péniblement acquise avait peu de chances de survivre à la soirée. Tout cela lui était égal. Il se sentait bien plus léger et plutôt fier de pouvoir encore obtenir une telle réaction. Alex entreprit de lui ôter son jean, tout en bredouillant comme lui un peu plus tôt au restaurant. Des propos sur une surprise agréable, qu’il n’en avait pas cru ses yeux, que Lionel l’avait échappé belle dans les toilettes, qu’il était magnifique en rose… Lionel savait qu’il regretterait de ne pas s’en souvenir, mais il ne parvenait pas à prêter attention aux mots : il pouvait lire le désir dans les yeux de son compagnon et cela suffisait à nourrir sa propre excitation. Il se pencha sur l’homme à genoux devant lui et l’embrassa sans retenue. Alex remonta les mains le long de ses bas, provoquant des sensations nouvelles, puis l’attira au sol avec lui, lui répétant combien il était désolé mais qu’il allait certainement déchirer cette culotte en la lui arrachant. Lionel répondit dans un sourire de ne pas s’en faire, qu’ils rachèteraient de la lingerie ensemble.

Pour la prochaine fois.

Au nom d’Épicure

Autrice : Magena Suret.

Genres : Duo M/F, tranche de vie, soft.

Résumé : Les yeux rivés sur le livre, Théo faisait de son mieux pour ignorer Marion. Elle détestait ça.

Au nom d'épicure

Les yeux rivés sur le livre, Théo faisait de son mieux pour ignorer Marion. Elle détestait ça.

— Théo, chantonna-t-elle.

— Non.

Son ton, plus sec qu’il ne l’avait voulu, ne sembla pas la décourager : son chemisier atterrit sur l’oreiller près de lui, bientôt suivi par son soutien-gorge. Théo les ramassa de sa main libre pour les jeter au sol, comme s’il n’était pas intéressé. Il fit semblant de réajuster ses lunettes pour détourner un instant le regard de sa lecture, mais s’y replongea vite lorsqu’il aperçut Marion, la tête renversée en arrière, une main sur sa gorge et deux doigts de l’autre titillant un mamelon. Il allait lui prouver qu’il pouvait être plus têtu qu’elle.

— Allez, j’ai envie de me coucher.

— Rien ne t’en empêche, rétorqua-t-il en tapotant l’espace vide à côté de lui.

— Épicure me fait penser le contraire. Ce qui est un comble, si tu y réfléchis.

— Pas tant que ça. Si on ne souffrait pas un peu, on ne tirerait aucun plaisir du reste.

Théo retint un sourire en levant le nez de son livre : l’agacement de Marion était visible, mais il n’était pas prêt à céder. Elle aussi semblait déterminée à lui faire abandonner sa lecture puisqu’elle se reprit vite et le gratifia d’un sourire narquois. Puis elle profita d’avoir son attention : elle se déhancha doucement pour faire glisser sa jupe et sa culotte. Théo la regarda alors qu’elle enjambait les tissus et venait s’asseoir près de ses pieds.

— Je dois finir ce chapitre, Marion, lui dit-il d’une voix plus suppliante. Je ne peux pas arriver demain en cours sans l’avoir au moins lu.

— Les élèves adorent avoir des remplaçants pour ne pas avoir à suivre le programme. Amène-leur des coloriages.

— À des terminales ? s’exaspéra Théo.

Marion haussa les épaules et se laissa basculer en arrière, en appui sur ses coudes. Théo se força à retourner à sa lecture, mais sa concentration était perdue. Il n’était même plus sûr de savoir où il s’était interrompu. Les mots n’avaient plus de sens.

Ses abdominaux se contractèrent au contact des orteils glacés et il dut se retenir pour rester impassible. Malgré la surprise, il sentait sa résolution vaciller. Marion retenait de plus en plus son attention. À chaque fois que son regard glissait des lignes d’écriture aux courbes de ses jambes, son excitation devenait palpable. Il plia un genou pour camoufler son érection, mais son geste ne lui attira qu’un nouveau « Théo », soupiré plus sensuellement.

— Donne-moi dix minutes, okay ?

Il était à deux doigts de gémir de frustration quand Marion acquiesça. Son soulagement fut néanmoins de courte durée : il n’avait pas lu un paragraphe qu’elle poussait un nouveau soupir, empli de contentement. Une fois de plus, Théo oublia Épicure pour contempler Marion.

À l’autre bout du lit, juste hors de sa portée, elle en avait eu assez de l’attendre et avait décidé de commencer sans lui. Elle avait les yeux fermés et, devant ses lèvres, deux doigts qu’elle s’amusait à lécher d’une langue de chat. La main de Théo se crispa sur le livre. Il imaginait son sexe à la place de ces doigts. Marion devait y penser aussi. C’était un jeu commun entre eux : qu’elle affole le bout sensible de sa verge et qu’il la prive du poids de son sexe sur sa langue. Au premier qui craquerait. Théo n’avait pas honte d’admettre qu’il était souvent celui qui s’impatientait ; Marion avait bien plus de volonté que lui dans ces cas-là.

Le frottement du talon sur son érection le ramena à l’instant présent. De sa main libre, il saisit la cheville de Marion et l’obligea à rester immobile. Elle ouvrit les yeux et le fixa :

— Tu ne lis plus ?

Elle voulait se moquer, mais son souffle était plus court. Théo ne lui répondit pas, se contenta d’observer la main qu’elle avait glissée entre ses cuisses. Le rythme de ses caresses sur son clitoris était calme. Pour l’instant. Ils s’étaient déjà regardés se masturber à plusieurs reprises. Et il avait toujours ressenti un mélange de fierté et de jalousie à la voir maîtriser ainsi son propre plaisir : elle était capable de le faire monter très vite, de le faire durer de longues minutes ou d’atteindre l’orgasme en quelques mouvements de poignet lorsqu’elle l’avait décidé.

— Si tu ne te dépêches pas, je vais jouir sans toi, menaça-t-elle.

— Tu n’oserais pas me laisser m’endormir frustré, non ?

Il avait toujours Épicure entre les mains, mais sa lecture était bel et bien oubliée. La lueur malicieuse dans le regard de Marion lui rappela un peu tard qu’elle n’était pas du genre à refuser de relever un défi.

— Si tu finis tes devoirs, tu pourrais me convaincre de te sucer. Ou tu pourrais te branler sur mes seins.

Les deux le tentaient. Sa poigne se desserra de la cheville et il remonta la main le long du tibia de Marion. Celle-ci en profita pour faire de nouveau pression sur son érection.

— Maintenant, tu veux que je lise ? s’amusa-t-il, d’un ton faussement irrité. Alors que tu es vulgaire et que tu mériterais que je te renverse sur mes genoux pour te donner une fessée ?

La perspective sembla plaire à Marion : son majeur s’activa davantage sur son clitoris tandis qu’elle suçait avec avidité deux doigts de sa main gauche. À peine quelques secondes plus tard, il la vit entrouvrir les lèvres, trop proche de l’orgasme pour réussir à se concentrer sur son autre tâche. Avec son index en guise de marque-page, il referma le livre et se concentra sur la respiration de Marion. Le souffle se faisait plus saccadé, les gémissements s’intensifiaient et Théo se redressa légèrement, puis abattit le livre sur la cuisse de Marion. Un petit cri de surprise lui échappa alors qu’elle se cambrait dans sa jouissance. Théo apprécia la vue un moment, puis se réinstalla contre son oreiller et rouvrit Épicure, comme s’il n’était pas affecté par le spectacle.

Distrait, il caressait le mollet de Marion, créant une friction agréable contre son sexe insatisfait. Il ne resterait pas longtemps ainsi, juste les quelques minutes dont avait besoin Marion pour savourer son orgasme.

Il n’avait plus qu’une demi-page à lire quand la jambe se fit moins docile entre ses doigts et un rire léger retentit du pied du lit. Un instant plus tard, Marion l’avait rejoint au niveau des oreillers :

— Je te dis bonne nuit ? ricana-t-elle, en déposant un baiser sur son épaule.

Théo repoussa la couette et lui désigna son érection :

— J’aimerais autant que tu m’embrasses ici.

— Avec la langue ?

Il leva les yeux au ciel, mais soupira vite d’aise quand Marion s’installa entre ses cuisses et enroula les doigts autour de sa verge.

— Rends-moi juste un service, Théo : même si tu as fini, garde le livre, ça m’excite.

Elle lui fit un clin d’œil et le prit aussitôt dans sa bouche. D’une main tremblante, il s’agrippa à son livre : il n’avait pas cédé, mais Marion avait eu le dernier mot. Encore une fois. Et il s’en moquait bien.

Calin chez beau-papa & belle-maman

Autrice : Hope Tiefenbrunner.

Genres : MF, soft, humour, tranches de vie

Résumé: La première fois que Léa et Pierre font l’amour chez les parents de ce dernier resterait dans leurs mémoires comme : un souvenir à la fois comique et embarrassant pour Léa, un exemple typique de la façon dont « tu te prends la tête pour des choses futiles que n’importe qui d’autre laisserait couler » pour Pierre.

Câlin chez beau-papa et belle-maman

La première fois que Léa et Pierre font l’amour chez les parents de ce dernier resterait dans leurs mémoires comme : un souvenir à la fois comique et embarrassant pour Léa, un exemple typique de la façon dont « tu te prends la tête pour des choses futiles que n’importe qui d’autre laisserait couler » pour Pierre.

Sans vouloir prendre la défense de Léa, et au risque de paraître, de par ma condition de femme, de parti pris, je dirais quand même que cette dernière n’avait pas vraiment tort. Mais, je m’en voudrais de vous imposer mon propre jugement et je vous propose donc de vous faire votre idée. Remontons donc légèrement dans le temps.

La scène se déroule dans l’ancienne chambre d’enfant de Pierre, depuis longtemps transformée en chambre d’amis. Étroite, le lit double qui a pris la place de celui une personne en occupe la majeure partie, n’offrant à ses occupants qu’un petit espace, de chaque côté, pour passer, plus large vers l’entrée pour poser leurs affaires et se dévêtir. Comme dit plus tôt, c’est là la première fois que le jeune couple a l’occasion d’y dormir. Léa n’a rencontré ses beaux-parents qu’à deux reprises avant cela, autant dire qu’elle n’est pas encore complètement à l’aise en ce lieu étranger, pas plus qu’avec eux.

Cette dernière se trouve déjà sous les couvertures, pieds bien au chaud dans une paire de chaussettes et un long pyjama (dont elle avait presque oublié l’existence, cadeau de sa grand-mère maternelle trois ans plus tôt), extirpé d’un fond de tiroir, sur le corps. Reconnaissons pour sa défense que : d’une, elle ne peut décemment pas descendre le lendemain matin dans la cuisine de ses beaux-parents en petite nuisette sexy de deux : ma foi le chauffage, bien qu’ouvert le matin même par la mère de Pierre, n’a guère eu le temps de faire son office, malgré la petitesse de la pièce et la jeune femme est gelée.

Pierre, lui, habitué sans doute, se tient devant le lit, sa petite idée en tête. Tendons donc un peu l’oreille.

« Allez.

— Non.

— Oh, allez.

— Non, pas avec tes parents à côté.

— Ils ne sont pas à côté, ils sont à l’étage au-dessus. Et puis, à partir de demain, il y a toute la smala qui débarque et là, c’est clair que c’est mort pour les cinq prochains jours.

— Eh ben, tant pis. »

Léa s’enfonce alors sous les couvertures, comme pour appuyer ses dires. Hors de question de faire l’amour maintenant. Bien sûr, son cher et tendre, lui, n’abandonne pas aussi vite. Petit sourire charmeur en coin, il lance son offensive.

« Franchement ? Tu résisterais à ça ? ».

Il fait alors voler son tee-shirt, dévoilant un torse musclé et commence à danser sur une musique imaginaire. L’humour a, jusque-là, toujours été un bon moyen d’obtenir ce qu’il voulait avec elle. Et se ridiculiser dans le processus ne lui pose absolument aucun problème, comme peuvent en attester ses déhanchements pour le moins… sujets à amélioration. Léa cache son sourire derrière la couette, mais ses yeux rieurs la trahissent déjà.

« Pense que tu ne pourras pas profiter de mon superbe petit cul pendant quatre lonnnnngs jours. »

Le dandinement de fesses qui s’en suit la fait glousser bêtement.

« Et ça non plus ! » ajoute-t-il en se retournant, son sexe à moitié érigé. Quand il reprend sa petite danse, faisant balancer ses testicules par la même occasion, la scène est si cocasse et idiote que sa compagne éclate de rire : vaincue.

Pierre saute alors sur le lit, fier de lui, cela va s’en dire.

« D’accord, mais rapide », cède finalement Léa.

Il négocierait bien sur ce dernier point, mais lui et sa verge ne prennent que deux secondes avant de conclure qu’un petit coup rapide vaut mieux que rien du tout.

Il pénètre alors sous la couette. Léa ne retient pas un grognement quand la chaleur que son corps avait commencée à transmettre aux draps s’envole en un coup de vent.

Au départ, tout va bien. Le baiser, simple contact des lèvres, s’approfondit rapidement, leurs langues s’emmêlent et se taquinent, un peu de salive se répand entre eux et autour de leurs bouches mais ils ne s’en plaignent pas. Pierre défait hâtivement sa compagne de son bas de pyjama et, au vu du grognement qu’elle émet parce qu’elle a froid, n’envisage même pas de la débarrasser de ses chaussettes. De toute manière, il n’a pas plus envie que ça de se taper ses pieds froids sur les cuisses et les fesses, déjà que ses mains lui filent la chair de poule. Son haut de pyjama se fait ouvrir par contre et si elle râle, pour la forme, quand l’air froid s’attaque à ses tétons humides d’avoir été léchés par son amant, elle en apprécie bien trop la caresse pour l’empêcher d’y revenir. L’entrejambe humide, elle écarte les cuisses naturellement quand il y glisse la main, lui rendant la pareille en le masturbant. Elle ne retient pas un sourire quand Pierre grogne un coup quand ses doigts congelés (dont on se demande si le sang y circule) se posent sur sa verge brûlante.

Ils en sont aux choses sérieuses quand justement tout se corse.

Pierre vient de pénétrer Léa et commence à bouger et :

« C’est le lit qui fait ce bruit ?! s’exclame celle-ci, ses yeux observant leur couche comme si elle était vivante.

— Ah ben, qui dit vieux lit en bois dit grincements, s’amuse son compagnon, reprenant ses mouvements que la jeune femme avait interrompu d’un plaquage des mains sur son torse.

— Non, mais on va rameuter toute la maison, c’est pas possible.

— Mais non. Ce n’est pas la première fois que je fais l’amour dans ce lit et personne ne m’a jamais rien dit.

— Ça ne veut pas dire qu’ils n’ont rien entendu. Hors de question que tes parents sachent qu’on fait l’amour. »

La remarque a le don de faire éclater de rire Pierre.

« Tu imagines bien qu’ils se doutent que nous avons une vie sexuelle, n’est-ce pas ? »

Léa émet un grognement agacé avant de poursuivre.

« Évidemment, mais entre savoir et être témoin, y’a une différence.

— Mais allez, détends-toi.

— Non ! »

Pierre lève les yeux au ciel, c’est pas que ça le ferait débander le petit débat mais clairement, son excitation en prend un coup. Mais, il ne sera pas dit qu’il n’a pas de la ressource.

« Mets-toi dans l’autre sens, ça devrait moins grincer. »

Léa lui adresse un regard suspicieux, avant de se décider à obtempérer. Maintenant qu’ils en sont là… Ils se meuvent sur le côté, version amibe pour que Pierre ne quitte pas son corps. La position est moins confortable, surtout pour lui qui déborde du matelas mais il ne se plaint pas et reprend rapidement son activité.

Le lit grince bien toujours un peu mais le plaisir que Léa ressent lui fait oublier cette gêne jusqu’à…

« C’était quoi ça ? demande-t-elle en se contractant vivement.

— Quoi ?

— Ce bruit-là, y’a quelqu’un dans le couloir ? chuchote-t-elle.

— Si c’est nul à chier ce que je te fais, tu peux me le dire directement.

— Rhô, fais pas l’andouille, ronchonne Léa alors qu’elle se redresse, l’oreille à l’affût, là, là, tu as entendu. »

Effectivement, on entend des grincements.

« C’est du parquet au sol, ça travaille c’est tout. Il n’y a personne.

— Et moi, je te dis que si. Pousse-toi », insiste-t-elle, alors qu’elle se dégage de son étreinte.

Pierre jette un coup d’œil à sa verge, comme si elle était capable de lui répondre et de lui dire « Oui, je suis d’accord, elle fait chier là. »

« Non, mais Léa franchement, faut arrêter la parano. Je te dis qu’il n’y a personne, c’est une vieille maison, les vieilles maisons, c’est comme les vieux lits, ça craque, ça grince. Alors, est-ce qu’on pourrait passer à autre chose et finir ce qu’on a commencé ? »

La jeune femme décide quand même d’en avoir le cœur net et se lève, réajustant son haut de pyjama avant de se diriger vers la porte et de l’ouvrir en mode ninja. Pierre l’observe en se disant que sa nénette est foldingue.

Bien sûr, comme il l’a prévu, le couloir est désert.

« Je te l’avais dit, se vante-t-il.

— Mouais.

— On peut reprendre avant que j’aie définitivement perdu l’envie ?

— Hé, t’es pas le seul que ça coupe alors ça va bien, hein !

— Tu vas quand même pas m’accuser de…

— Laisse tomber. »

Avec autant de grâce qu’un colonel des paras, elle revient vers le lit, s’allonge devant son compagnon et écarte les jambes.

« Bon, on y va ou tu attends la Saint-Glinglin ? »

Pierre s’arrête et la contemple un instant.

« Quoi ?

— Tu as conscience que ça ne me donne pas du tout envie là ? et la Saint-Glinglin ? Sérieusement, j’ai pas entendu cette expression depuis des lustres.

— On est là pour faire de la rhétorique ou pour faire l’amour. »

Le « ce que tu peux être chiante » est suffisamment marmonné pour qu’elle fasse semblant de ne pas l’avoir entendu et ils reprennent leur petite affaire.

Si Pierre n’était pas aussi proche de sa délivrance, il réagirait au fait que Léa n’est pas du tout dans ce qu’ils font mais qu’elle reste à l’affût du moindre bruit. Mais, il sait qu’il ne lui en faut pas beaucoup plus pour jouir et ma foi, ce serait une fin plutôt positive à ce fiasco.

Et alors qu’il y est presque, Léa l’arrête de nouveau.

« Mais quoi merde ! crie-t-il de frustration.

— Un bruit dans le couloir.

— Putain Léa, y’a pas de bruit ailleurs que dans ta tê… »

Mais le léger toc qui retentit à la porte, le coupe dans sa phrase. Pierre s’arrête, tend l’oreille : un nouveau toc.

« Euh… oui ? », tente-t-il.

Sous lui, Léa lui adresse le regard qu’il sait traduire par : « je te l’avais bien dit ».

« C’est moi, je me demandais si vous vouliez une couverture supplémentaire ? »

La voix de la mère de Pierre leur parvient un peu étouffée au travers de la porte.

« Non, non, ça va, répond son fils.

— Vous êtes sûrs ?

— Oui, oui.

— D’accord. »

Pour Pierre, il est certain que si sa mère s’est permis de frapper c’est qu’elle n’a rien entendu et il s’apprête à le dire à Léa parce qu’il est hors de question qu’elle ait le dernier mot quand il est clair qu’elle a tort.

« Mais laisse, Régine, je crois qu’ils ont trouvé comment se réchauffer. »

Indigne père, pense Pierre alors que Léa s’extirpe une nouvelle fois en mode panique.

« Oh mon Dieu, murmure-t-elle, je ne vais jamais pouvoir les regarder en face demain. »

Pierre soupire, la semaine va être longue…

La chambre d’Adélaïde

Autrice : Hope Tiefenbrunner.

Genres : Nouvelle, Past/present, drame, M/F, M/M, F/F, M/M/F/F.

Résumé : Un petit essai sur le thème du passé/présent et de ce que des murs peuvent voir passer. Pas plus de précision pour ne pas gâcher le texte.

La chambre d'Adélaïde

La porte claqua contre le mur de la chambre, faisant trembler les bibelots qui se trouvaient dessus. Un magazine en chuta au sol. Le pied qui glissa sur une des pages ne provoqua qu’éclats de rire.

— Attention, Lenee.

Adélaïde rattrapa sa meilleure amie par le coude, l’accompagnant comme elle le pouvait au milieu du désordre de sa chambre, jusqu’à ce qu’elles ne s’écroulent sur le lit, qui grinça sous leur poids combiné. Leur ridicule chute les fit pouffer à nouveau alors même qu’elles échangeaient un regard complice et joyeux.

Grand Dieu, elle avait trop bu et trop fumé mais elle s’en fichait. Lenee était belle, allongée sous elle, ses cheveux bruns s’étalant autour de son visage, les fleurs qu’elles y avaient tressées un peu plus tôt complétant un tableau bucolique et romantique à la fois. Oui, elle était belle avec ses yeux qui brillaient d’amusement et de tendresse, belle avec cet esprit de liberté qui émanait d’elle.

La main qui claqua ses fesses la sortit de sa rêverie et la fit rire mais moins que le haussement de sourcils de Lenee.

— Hé les filles, commencez pas sans nous.

Deux poids enfoncèrent un peu plus le lit. Adélaïde conserva les yeux rivés sur sa meilleure amie. Celle-ci lui sourit, de ce sourire taquin, celui qu’elle avait quand elle s’apprêtait à faire une bêtise, celui qu’elle avait eu quand elle l’avait entrainée dans cette manif en mai de cette année-là, celui qu’elle avait eu en jetant ces pavés, celui qu’elle avait eu quand elles avaient fini au poste dans la même cellule qu’une dizaine d’autres étudiants. La cellule dans laquelle ils s’étaient tous rencontrés. Celle dont le père de Lenee les avait fait sortir quelques heures plus tard, après qu’ils aient eu chanté toutes les chansons des Beatles qu’ils connaissaient.

Tout ça paraissait étrangement loin et proche en même temps. Elles avaient promis qu’on ne les y reprendrait plus, pour un temps. Juste assez pour que leurs parents se calment et cessent de faire des remarques sur ce mouvement hippie soi-disant ridicule mais dans lequel elles se retrouvaient pourtant toutes les deux.

Oui, elle aimait ce sourire et quand sa meilleure amie s’avança pour l’embrasser, elle lui rendit son baiser avec envie. Les garçons sifflèrent mais ce fut le léger rire à la porte qui lui fit relâcher la bouche gourmande de Lenee.

Elle se retourna. Yann les observait. Comme toujours il l’a soufflée. Avec son pantalon moutarde et son tee-shirt vert, il était solaire. Les cheveux un peu longs qui englobaient son visage, ses petites lunettes rondes qui camouflaient son regard et sa moustache lui donnaient ce côté viril qui la faisait littéralement fondre.

Un baiser vorace dans son cou attira son attention. Pierre. Le meilleur ami de Yann.

— Bas les pattes, elle est à moi, s’amusa Lenee alors qu’elle le repoussait gentiment.

Ils pouffèrent. Elles n’étaient pas les seules à avoir trop abusé de l’alcool et de ce joint qu’ils n’avaient cessé de se passer tandis qu’ils écoutaient la musique de plus en plus enivrante de ce groupe dont elle avait complètement oublié le nom. Mince ! Ce n’était pas grave, ça et le fait qu’ils soient stones. Ils étaient libres, jeunes, conscients que le monde avait besoin de changement, besoin de plus d’amour.

L’amour.

Elle avait envie de faire l’amour.

Alors elle embrassa Pierre, sans se décoller de sa meilleure amie, leurs deux poitrines si différentes s’écrasant l’une contre l’autre. La langue du jeune homme s’insinua dans sa bouche tandis que sa barbe chatouillait agréablement son visage. La morsure dans son cou la fit se tendre, puis relâcher les lèvres de son compagnon.

— Ne m’oublie pas, Adel, soupira Lenee avec une petite moue craquante.

— Jamais.

Elles s’embrassèrent à nouveau. Ce n’était pas la première fois, loin de là et elle y prenait toujours autant de plaisir. Les doigts de Lenee qui remontaient son léger débardeur étaient doux en comparaison de ceux de Pierre plus fermes.

Elle s’agenouilla, levant les bras pour les laisser lui ôter son haut. Ses seins lourds suivirent le mouvement. Les mains de Jonathan les empaumèrent. Cela la fit rire, ces trois paires de mains qui parcouraient son corps, flattaient ses courbes, titillaient ses points sensibles.

Elle se sentait belle et désirable.

Elle se retourna.

— Tu ne viens pas ?

— Je regarde, répondit Yann qui avait remonté ses lunettes sur son front.

— Ne boude pas pour lui, chuchota Jonathan à son oreille.

— Je ne boude pas.

Et comment l’aurait-elle pu alors qu’ils étaient tous les trois occupés à l’exciter ? Un de plus serait de trop ? Peut-être pas, pensa-t-elle lorsque Lenee se redressa, usant de sa souplesse pour glisser entre ses jambes et se mettre debout sur le lit. D’un rapide mouvement, elle fit voler sa tunique avant de hausser ses sourcils d’une manière aguicheuse. Et puis mue par une musique imaginaire, elle se mit à danser sur un rythme lent et sensuel.

Adel s’allongea et l’observa, émerveillée. Lenee était maladroite et magnifique, ses bras et ses mains créant des arabesques dans les airs tandis que ses hanches se balançaient doucement. Moulée dans son pantalon pattes d’ef, ses longs cheveux couvrant en partie ses seins, Adel sentit les siens se tendre un peu plus.

La bouche gourmande d’un des garçons se posa dessus et commença à l’aspirer et le titiller. Un lourd soupir de plaisir lui échappa tandis que la chaleur de son entrejambe augmentait. Une main glissa le long de son abdomen, passa sous sa jupe, sous sa culotte et continua au milieu de son épaisse toison. Elle se pâma sous la caresse. Lenee se pencha vers elle et chassa Jonathan qui tentait une approche.

Adel éclata de rire.

Un clic attira leur attention, elle renversa la tête en arrière, retenant de justesse un gémissement quand le doigt qui s’activait jusque-là sur son clitoris la pénétra. Yann avait sorti son appareil et immortalisé la danse de Lenee. D’un ample mouvement de tête, celle-ci balança sa chevelure sur le côté, dévoilant de nouveau ses seins.

Et comme Adel avait envie de les toucher. Mais quand elle tendit les mains vers son amie pour l’inviter à s’allonger sur elle, cette dernière la tira à elle. Pierre la retint tandis que Jonathan essayait d’attraper Lenee pour la ramener à eux.

Le tout fini en roulé-boulé sur le lit.

Le clic, clic de l’appareil de Yann résonna de nouveau, ne s’arrêtant pas quand les vêtements commencèrent à voler dans tous les sens, quand les mains, les langues s’égarèrent sur l’un ou l’autre des corps qui se présentaient. Perdue sous les caresses qu’elle recevait et qu’elle donnait, Adélaïde ne prêtait plus attention à l’homme qu’elle aimait et qui tournait autour d’eux à la recherche du meilleur angle. Lenee ne lâchait guère sa bouche, s’intéressant plus à elle qu’aux garçons, comme souvent. À tel point que ces derniers finirent par les séparer, chacun s’appropriant l’une d’elles.

— Hé, se plaignait Lenee en riant, tandis qu’elle finissait assise sur les genoux de Jon.

Adélaïde, de son côté, sourit quand Pierre la fit passer sur les siens et que sa verge tendue frotta contre son intimité.

Elle avait envie de lui, envie de Yann qui n’avait toujours pas lâché son appareil.

— Tu nous rejoins ? demanda-t-elle.

— Tout à l’heure.

Elle haussa les épaules. Yann était un artiste et c’est ce qu’elle aimait chez lui. Par ailleurs, le sexe de Pierre qui la pénétrait était bien assez pour l’occuper et lui apporter le plaisir que son corps désirait. Écrasant le visage du jeune homme entre son imposante poitrine, elle observa sa meilleure amie.

Celle-ci lui adressa un regard brûlant et tendit les mains vers elle. Un appel auquel Adélaïde, malgré le plaisir qui commençait à vriller ses reins, ne sut pas résister. Et puis, mues par le même instinct, elles tirèrent. Les garçons cédèrent facilement et s’allongèrent, leur offrant ainsi toute la liberté qu’elles souhaitaient pour reprendre leur baiser.

La bouche de Lenee, le sexe de Pierre qui la pénétrait de plus en plus rapidement.

C’était parfait.

***

La porte claqua contre le mur de la chambre, faisant trembler les bibelots qui se trouvaient dessus. Un magazine en chuta au sol. Le pied qui glissa sur une des pages ne provoqua qu’éclats de rire.

Nathan se rattrapa aux bras de Paul pour éviter de tomber.

— Attention, murmura ce dernier.

— T’inquiète. Tu crois que c’est quoi ? Un magazine de tricot ?

Paul  rit un peu plus.

— Probable. Ou un truc de coincé, répondit-il. En tout cas, je doute qu’il s’agisse d’un magazine porno et même un truc de déco, je n’y croirais pas. C’est…
Paul engloba la pièce du regard.

— Pas le genre, finit-il.

Cela fit sourire Nathan. Oui, pas le genre du tout même.

— Ne critique pas ainsi cette chère tante Adélaïde, répliqua-t-il néanmoins.

— Loin de moi cette idée. Je ne critique pas la main qui nous loge. Même si elle doit déjà être en décomposition à l’heure qu’il est, non ?

— Tu es horrible.

— Réaliste plutôt, non ? Mais rassure-toi, je lui suis avant tout très reconnaissant.

Ils se sourirent. Reconnaissant, Nathan l’était lui aussi. Etonné aussi, toujours autant. Avoir hérité de la maison d’Adélaïde, c’était le coup de chance que vous n’attendiez pas dans la vie. L’héritage surprise qu’on n’imagine jamais recevoir. Et pourtant, le notaire le lui avait bien signifié : Adélaïde l’avait expressément désigné comme légataire de la demeure et de ce qu’elle contenait. Adélaïde… Quelle mouche avait donc bien pu piquer cette vieille bigote pour faire un geste pareil ? Il la connaissait à peine, ne l’avait vu qu’à de rares réunions familiales et elle semblait tellement soulante qu’il l’avait toujours fui.

Bien sûr, elle n’avait pas de descendants directs, mais ils étaient nombreux dans la famille à être de potentiels héritiers, des couples avec enfants ou en passe de devenir parents pour lesquels une maison comme celle-ci aurait été parfaite et surtout, surtout des couples hétérosexuels dignes de ce nom ! Lui et Paul avaient beau être un couple solide, ils ne collaient tout bonnement pas à l’image qu’il avait d’Adélaïde.

Elle n’avait jamais rien dit sur son orientation sexuelle, contrairement à d’autres, il devait bien le reconnaitre, mais elle semblait si « classique », si « étroite d’esprit », si dépressive et rabat-joie que ce choix était illogique. D’ailleurs, personne n’avait compris pourquoi c’était à lui qu’elle avait fait ce legs.

Avec son frère aîné, il avait plaisanté en supposant qu’il y avait peut-être un cadavre caché et qu’elle avait réservé cette funeste découverte à l’homo de la famille. Paul avait proposé que la cave ou le grenier étaient en fait un donjon BDSM. Avant qu’ils ne poursuivent, sa belle-sœur, les avait fait taire, non s’en avoir pouffé au préalable. Nathan avait simplement conclu qu’avec plus de 50 % de droits de succession, il n’était peut-être pas gagnant. Au final, ce n’était pas le cas et au pire, il pourrait toujours revendre. En tout cas, c’est ce que lui avait dit le notaire qui semblait convaincu qu’ils faisaient là une bonne affaire.

Alors voilà, il avait accepté l’héritage, sous la pression de ses parents qui avaient promis de lui donner un coup de main au besoin, celle de son frère, celle de Paul qui parlait déjà de chien, de chat, de barbecues au soleil. Les clefs lui avaient été remises en milieu de semaine et ils profitaient de leur samedi matin pour effectuer un premier tour du propriétaire, voir un peu ce qu’il y avait à faire, quel meuble garder, donner, et si vraiment, vraiment ils allaient conserver la demeure.

La visite avait commencé sagement. La maison était parfaitement entretenue. La décoration vieillotte et dépassée et les pièces étroites. Paul avait parlé de deux murs à abattre. C’était un bon bricoleur, il avait déjà des tas d’idées. Visiblement, il n’envisageait pas qu’ils revendent. Quand ils avaient gagné le premier étage, les idées de Paul avaient suivi un tout autre chemin. La faute aux escaliers : avoir ainsi ses fesses sous le nez l’avait irrémédiablement excité, avait-il dit.

Se faire coincer contre le mur du couloir et ravager la bouche avait suffi à rendre Nathan tout à fait réceptif aux avances de son compagnon.

 La première chambre se trouvait être celle d’Adélaïde, mais peu importait. Le regard que Paul portait sur lui à cet instant pouvait complètement lui faire oublier que le lit vers lequel il reculait avait accueilli une vieille fille pendant des années.

— Embrasse-moi, réclama-t-il.

— Tout ce que tu veux.

La main de Paul passa le long de son visage, jusqu’à l’arrière de son crâne, alors que sa bouche se posait sur la sienne, l’épousant à merveille. D’un mouvement du bassin, il l’incita à poursuivre et Nathan fut son obligé jusqu’à ce qu’il bute sur le lit où il se laissa tomber. Le regard taquin, il commença à y reculer tout en se défaisant de son tee-shirt qu’il envoya voler, il ne savait où.

Paul grogna d’envie, ses yeux le détaillant avec gourmandise. Nathan adorait cela, être au centre de son attention, voir l’excitation tendre son pantalon. Il passa la main sur son torse, avant de masser sa propre érection.

— Tu sais que ces murs n’ont jamais dû être témoin d’un spectacle aussi érotique, commenta Paul.

Cela le fit sourire.

— Je n’en doute pas. Et rassure-moi, on va leur montrer bien plus que ça ?

Paul se débarrassa de sa chemise et commença à déboutonner sa braguette.

— J’envisage même de faire rougir ces draps qui n’ont certainement jamais vu une queue de leur vie.

Nathan pouffa.

— Voilà un programme qui me plait bien.

Et quand Paul descendit son pantalon, il l’imita.

***

Bobby MCGee de Janis Joplin résonnait dans la chambre. Sur le lit, le corps encore humide de sueur, Adélaïde fumait. La tête de Yann reposait sur son ventre et de sa main libre de cigarette, elle caressait sa chevelure avec amour. Dieu seul savait l’heure qu’il pouvait être, le soleil couchant colorait la pièce d’une lumière orangée particulièrement apaisante.

Lenee porta un joint à ses lèvres et l’alluma.

Il faudrait qu’Adélaïde aère, entre le tabac, l’herbe et le sexe, l’odeur de sa chambre rendrait fous ses parents. Fort heureusement, ils ne seraient pas là avant deux jours encore, alors pour l’heure… Elle attrapa le joint et en tira une taffe avant de le passer à Pierre. Sa cigarette avait fini dans la bouche de Jonathan.

— J’ai faim, lança-t-il.

— Moi aussi, répondit Lenee mais j’ai pas envie de bouger.

D’un bond, Pierre se redressa.

— Je vais chercher quelque chose.

Nu, comme au premier jour de sa naissance, il sortit de la pièce.

Adélaïde poussa un petit soupir de bien-être. La vie était parfaite ainsi. Elle voulait les avoir tous les quatre pour encore de nombreuses années. Ils ne feraient pas comme leurs parents, ils ne s’enfonceraient pas dans le conservatisme et la rigueur. Elle quitterait cette maison et tout ce qui allait avec sans une once de regret. Avec Lenee et Yann, ils parlaient souvent de rejoindre une communauté. L’Ardèche en abritait de très sympas. D’autres gens qui partageaient leurs avis sur le monde, le sexe, la paix et l’amour.

— À quoi tu penses ? demanda Lenee.

— À nous, à l’avenir.

Elle récupéra le joint qui avait fait le tour.

Lenee lui sourit paresseusement.

— Et ?

Yann se retourna.

— Je vais continuer à faire des photos, vous allez finir votre année et cet été, on prend ma voiture et on part, loin.

Les deux filles se sourirent, avant d’acquiescer en même temps.

Et tandis qu’elle prenait une nouvelle bouffée, Adélaïde ne voyait pas comment sa vie pourrait tourner autrement.

***

Bobby MCGee de Janis Joplin résonnait dans la chambre. Sur le lit, le corps encore humide de sueur, Nathan fumait.

— Cigarette et Janis Joplin, elle en découvre des choses cette chambre.

Nathan sourit.

Le soleil éclairait la pièce et les rideaux en atténuaient la luminosité, la rendant agréable. Le lit confortable avait à peine grincé quand le rythme s’était accéléré.

— C’est triste, dit-il.

— Quoi ?

— Adélaïde. Elle…

Nathan se retourna pour se mettre sur le ventre, bousculant l’iPhone de Paul qui le reposa correctement pour que la musique ne soit plus étouffée.

— Elle a vécu là toute sa vie. Tu imagines ? Cette chambre, elle l’a toujours occupée, même quand ses parents sont morts.

— En même temps, elle est très agréable et grande.

— Je te reconnais bien là, toujours pratique.

Paul haussa les épaules et Nathan admira son dos et ses fesses.

— Plus sérieusement, tu te vois vivre toute ta vie dans ta chambre d’enfant, d’ado ?

Paul éclata de rire.

— Grand Dieu, non ! Je tolère mes parents en les voyant une fois par an et je déteste leur maison.

Cela fit sourire Nathan.

— Oui, les igloos ne sont faits que pour les Esquimaux.

Il fit tomber sa cendre dans un petit pot qu’il avait trouvé sur la table de nuit. Adélaïde commençait peut-être à se retourner dans sa tombe si elle le voyait faire.

— Je suis certain que le chauffage peut y être augmenté, rétorqua Paul, mais je déteste cette baraque. Elle est mal foutue, sombre et… non, je la hais, y’a rien à sauver.

— Je n’envisagerais pas d’y vivre, pas plus que dans celle de mes parents.

Paul s’approcha pour embrasser son épaule.

— Et celle-ci ?

Nathan observa la chambre. Il ignorait encore comment étaient les autres, mais celle-ci dégageait quelque chose de très paisible. La maison lui plaisait vraiment, en tout cas ce qu’ils en avaient vu, l’extérieur, le rez-de-chaussée, la cuisine était grande et lumineuse, la déco était à chier avec ses meubles rustiques mais il savait que Paul pourrait en faire quelque chose de moderne et confortable, si possible à petits prix !

— Oui.

Il tira une latte.

— Toi ?

— Aussi.

Ils se sourirent.

***

La boite sur la table contenait bien des babioles. Adélaïde aimait à y entasser ses petites choses qu’elle raccrochait à de beaux souvenirs. C’était un bric-à-brac, des fleurs, des bouts de papier avec des poèmes, un morceau de chaine, des photos. Beaucoup de photos, des moments qu’elle chérissait. Elle s’imaginait les regarder dans quelques dizaines d’années, lorsque son visage serait ridé et son corps flasque. Yann se moquait d’elle, en disant qu’elle serait toujours belle mais puisqu’il était l’auteur de la plupart des clichés, il pouvait difficilement critiquer qu’elle les conserve.

Elle sourit devant les nouveaux. Si ses parents tombaient là-dessus, elle chevauchant Pierre et tendant les mains à Lenee qui en faisait tout autant sur Jonathan. Elle ricana. Elles étaient chouettes ces photos, elle se trouvait belle dessus et heureuse. Ils en feraient d’autres, des tas d’autres. Encore quelques mois et ils partiraient tous dans le centre de la France. Pierre avait des amis qui y vivaient et il leur tardait à tous de les rejoindre.

Elle poussa un soupir de contentement et referma la boite avant de la cacher à nouveau.

***

La boite sur la table contenait bien des babioles. Nathan l’avait trouvée dans un autre carton, dans le grenier. Ils habitaient la maison depuis quelques jours seulement et s’ils avaient en grande partie trié le rez-de-chaussée, l’étage restait encore à finir, quant au grenier, c’était une friche complète. Mais Nathan ne pouvait pas poser de congés, aussi avaient-ils bossé essentiellement sur les week-ends. Heureusement, ils avaient eu l’aide de la famille et des amis.

— Qu’est-ce que tu regardes ? demanda Paul.

— Des photos ?

— Merci, j’avais remarqué.

Nathan lui tira la langue. Paul s’approcha jusqu’à être au-dessus de lui et des clichés qu’il avait étalés devant lui.

— Chaud ! dis donc.

— C’est Adélaïde, se contenta de répondre Nathan en pointant une des deux jeunes femmes.

— Non !

— Je te promets que si, regarde.

Et il lui tendit un des rares albums photo de la maison. Adélaïde y était présente sur de nombreux clichés, plus tout à fait une enfant, pas encore une adolescente et pourtant la jeune femme dévergondée, en train d’embrasser cette autre, de se déshabiller au milieu de deux hommes ne pouvait être qu’elle et, quand il l’avait compris, Nathan avait buggé. Il n’aurait jamais cru cela possible.

— Alors, ça alors ! s’exclama Paul qui prit la chaise à côté de la sienne.

La trouvaille méritait certainement de s’asseoir.

— Et c’est dans sa chambre ? continua Paul.

— Oui.

— Moi qui pensais qu’on lui avait fait découvrir des choses à cette pièce, je réalise qu’elle…

— En a vu des vertes et des pas mûres.

— Purée !

Paul passa les clichés en revue.

— Mais comment…

— Comment elle est devenue cette vieille fille ?

— Mais ouais.

— J’avoue que ça m’interroge.

— Sérieux, on dirait des photos pornos des années 70 ! Je… T’as vu ces touffes ?

Nathan pouffa.

— Les mecs aussi sont bien poilus, précisa-t-il en tapotant un des clichés.

— Clair ! J’apprécie d’autant plus que tu tailles tes poils.

La remarque lui fit lever les yeux au ciel, mais il ne pouvait pas lui donner tort.

— J’en reviens pas, reprit plus sérieusement Paul. On a vidé ses affaires, je veux dire… Je…

Nathan lui sourit. Lui non plus n’en croyait pas ses yeux. Vider la maison avait été un plongeon dans la vie et la personnalité d’Adélaïde. Et jusque-là, rien n’avait jamais contredit l’image qu’ils avaient d’elle.

Ça le perturbait.

Ça n’avait probablement pas vraiment d’importance, mais passer des jours à pénétrer ainsi l’intimité d’une personne, en triant tout ce qui avait fait sa vie et son quotidien jusqu’à ses culottes, et Dieu qu’ils en avaient ri comme des idiots, créait une sorte de lien. Ils avaient naïvement pensé la connaitre.

— Qu’est-ce qu’on en fait ? demanda finalement Paul.

— Je ne sais pas. Je suppose qu’il faudrait les jeter ?

— Sans doute.

Ils se fixèrent.

— Ou on les remet au grenier, on ne manque pas vraiment de place, non ? proposa Nathan.

Paul lui sourit.

— Ouais. C’est une bonne idée.

Nathan continua à vider la boite. Plus tard, quand il aurait le temps, il essaierait sans doute de comprendre comment cette jeune femme en train de s’envoyer en l’air avec trois autres personnes, qui respiraient la liberté, les années 70 et le flower power était devenue cette vieille fille, triste et grincheuse.

— Tu viens m’aider à déballer les cartons ? appela Paul depuis le salon.

Un dernier coup d’œil.

— Oui.

Il replaça tout dans la boite et la referma.

Tout cela serait pour une autre fois.

***

Morts.

Le mot tournait dans sa tête encore et encore, à tel point qu’il n’avait plus de sens, il était vide, comme elle.

Creuse.

Comme si rien ne pouvait l’atteindre, comme si elle ne parvenait ni à comprendre ni à ressentir.

Morts.

Cinq petites lettres qui allaient à jamais changer sa vie.

Amour.

 Un autre mot qui aurait dû être bien plus fort.

 Joie, bonheur… Il y avait tellement d’autres mots bien plus beaux que celui-là.

Morts.

 — Adélaïde?

 La voix de sa mère lui parvint à travers le brouillard de ses pensées.

 — Adélaïde.

 La voix de Son père  lui fit relever le visage. Que veut-il

— Il faut y aller.

Aller où ? Faire quoi ?

Elle devrait être morte elle aussi, avec Lenee, avec Yann et Pierre, morte comme eux, percutée par ce camion dans la petite deux chevaux de Yann. Ecrasée, écrabouillée, à peine reconnaissable.

Partir.

Ils devaient partir dans deux semaines. Tout était prêt. Lenee était tellement excitée qu’elle en était usante.

Et maintenant… Maintenant.

Un flot de larmes la rattrapa alors qu’elle éclatait en sanglots une nouvelle fois. Sa gorge était douloureuse de ces sons informes qui s’échappaient de sa bouche mais qu’elle ne pouvait contrôler, comme si elle vomissait son chagrin et son mal.

Des mains sur ses épaules, des bras autour des siens. Rien de tout cela ne l’atteignait, ne pouvait apaiser sa douleur, rien, même la présence lointaine de Jonathan qui s’effondrait comme elle.

Rien.

Plus rien.

Il n’y aurait plus jamais rien.

***

Morts.

Nathan n’aurait pas dû en être surpris. Il avait forcément fallu quelque chose d’aussi fort et dramatique que cela pour transformer cette jeune femme.

Une fois de plus les clichés d’une Adélaïde jeune et libre étaient posés devant lui, à côté d’un article de journal jauni.

Joie, bonheur, amour.

C’était les mots qui lui venaient à l’esprit quand il les regardait.

Ses doigts caressèrent le visage d’Adélaïde.

Comme il regrettait maintenant de n’avoir jamais parlé à cette femme, de n’avoir jamais essayé de comprendre ce qui se cachait derrière la façade. De n’avoir vu que cette vieille fille, d’avoir naïvement pensé qu’elle avait toujours été comme cela et rien de plus, même lorsqu’il triait ses affaires.

Le bruit de la serrure résonna dans la maison et Nathan se leva presque d’un bond.

— C’est moi, cria Paul.

Et avant qu’il n’ait ne serait-ce que le temps de poser sa veste, Nathan l’avait déjà pris dans ses bras.

 — Je t’aime.

— Wahou, quel accueil !

Nathan releva le visage et l’embrassa, goulûment avec autant de passion qu’il pouvait en mettre.

S’il devait perdre Paul, il ignorait comment il réagirait mais il voulait profiter au maximum de lui. Il voulait le chien dont ils avaient parlé, le chat aussi et putain même des gosses ! Il voulait de la vie dans cette maison. Il voulait remercier Adélaïde de son geste en vivant encore plus fort, en remplissant cette maison de joie, de bonheur, de rire et tout ce qu’il y avait sur ces photos et qu’un chauffard avait volé.

Un soir comme un autre

Autrice : Hope Tiefenbrunner

Genres : Tranche de vie, duo MF, sexualité.

Résumé : Un soir comme un autre, un couple comme un autre.

Un soir comme un autre

— Tu fais quoi ?
— Je lis ?
— Tu lis quoi ?
— Un livre.
Allongé sur le lit, Pierre soupira quand la jambe de Linda se glissa contre son torse.
— Tu n’étais pas censé être au téléphone avec ta mère ?
Raison pour laquelle, il s’était pris un bon bouquin et s’était glissé (à poil certes) dans son lit pour une soirée peinarde. Parce que Linda et sa mère, c’était un cliché à elles toutes seules. Et qu’il ne voulait absolument de chez absolument pas connaitre l’étendu de ce qu’elles partageaient, aussi s’isolait-il lors de ces séances papotages.
— Elle avait rendez-vous.
— Huhum.
—Tu ne me demandes pas avec qui ?
— Non, je lis.
Un petit coup de pied.
— Allez.
Il soupira. Il la sentait mal sa soirée lecture là.
— Qui ?
— Un nouveau mec avec qui elle tchat depuis quelque temps sur meetic.
— Super.
— Hé, je suis contente pour elle moi !
— Pas moi, si elle se retrouve un mec, elle sera moins disponible pour vos interminables conversations et j’aurais moins de temps pour moi.
— Tu sais que normalement ça soule les mecs ce genre de truc.
Il haussa les épaules.
— Je ne suis pas comme tous les mecs. En attendant, je peux m’y remettre ? demanda-t-il en montrant son livre.
— C’est quoi ?
— Comme le port-salut, c’est marqué dessus.
Linda lui tira la langue, lui se replongea dans sa lecture. Pas longtemps, le pied qui jusque-là n’avait été posé que sur son torse commença à s’y balader. Un mouvement de main le repoussa et un petit rire résonna dans la chambre. Il refusa de relever le nez.
— Tu trouves que mes pieds sont jolis ?
— Huhum.
— Et mes chevilles ?
— Ahhum
— Et mes jambes, tu les aimes mes jambes?
— Quand tu auras fini avec ton remake du Mépris, tu me laisseras lire ? D’autant que chérie, le prends pas mal mais Brigitte Bardot avait 20 bons kilos de moins que toi.
— Oh ! Salaud !! hurla Linda avant de lui balancer un oreiller. C’est petit, bas et mesquin.
Il pouffa.
— Oui, mais c’était trop tentant.
Linda croisa les bras sur sa poitrine, une moue faussement boudeuse sur le visage, essayant de se retenir de rire, mais ses yeux la trahissait, comme toujours. Il posa son livre.
— Et tu sais quoi ?
— Quoi ?
Il se redressa et s’avança jusqu’à sa femme.
— Je préfère. Même si BB était une femme superbe, j’adore tes rondeurs.
Il embrassa son pied, grignota sa cheville avant d’attaquer son mollet. Elle gloussa lorsqu’il souleva sa jambe pour lécher le dessous de son genou.
— J’adore tes jambes. J’adore la culotte de cheval juste là dont tu passes ton temps à te plaindre.
— À juste titre !
Il embrassa sa cuisse.
— Elle te fait un cul superbe, auquel j’adore m’accrocher quand on fait l’amour et que j’adore voir quand je te prends en levrette.
— Ah oui ?
— Huhum.
Il continua à parsemer sa peau de baisers, suivant sa hanche pour redescendre entre ses jambes.
— J’adore l’intérieur de tes cuisses, si accueillantes.
— Ah ah ?
Linda s’allongea.
— J’aime tes petits bourrelets, j’adore sentir ta chair chaude et tendre sous mes mains.
Ces dernières caressèrent le ventre rebondi de sa compagne.
— Ça compense avec ma minceur.
— Laurel et Hardy, commenta Linda.
On les appelait de temps en temps comme ça. Il s’en foutait. Linda était une des premières femmes pour laquelle il ne s’était jamais posé de questions. Elle était son évidence.
— J’adore tes seins.
— Ils tombent.
— Pas quand je fais ça, lança-t-il en les empaumant.
Le sourire de Linda s’agrandit.
— Ils sont parfaits pour une bonne branlette espagnole, je ne peux pas leur retirer ça !
Il lui adressa un clin d’œil et embrassa son ventre, sa langue s’immisçant dans les lignes entre les monts de son ventre.
— Ça chatouille.
Il poursuivit jusqu’à ses seins, les embrassant, les titillant. Linda poussa un long soupir de bien-être.
— J’aime la façon dont tu te tends sous mes caresses, dont tu t’humidifies juste ici.
Ses doigts avaient de nouveau parcouru l’étendue de ses cuisses pour venir caresser son sexe. Il bandait depuis de longues minutes déjà.
— Et tu sais ce que j’aime aussi.
— Quand tu me fais un cunnilingus ?
— Non, ça c’est toi qui aime.
— Je ne suis pas la seule, je crois bien.
— Certes. Non, j’aime aussi la rondeur de tes joues, la bonne humeur qu’elles te confèrent, car elles sont le signe extérieur de qui tu es : généreuse, riche, tendre, aimante, maternelle, chaude et gaie. Et puis, franchement quelle femme accepterait de se faire balancer dans la tête qu’elle a vingt kilos de plus que BB, sans me faire une scène ?
— En même temps c’est vrai.
— Oui, mais tu sais que j’ai raison.
— C’est parce que de toi, je peux accepter n’importe quoi.
— Parce que tu me le rends bien, hein ! La crevette, un surnom tellement viril.
Linda sourit. Des vannes, elle n’était pas la dernière à lui en balancer quand elle le pouvait, sur sa finesse, ses cheveux qui commençaient à tomber. Ça hallucinait les gens, encore plus que leurs différences de morphologie. Combien avaient prédit qu’ils ne resteraient pas ensemble ? Beaucoup.
Il gagna ses lèvres et l’embrassa passionnément. Leurs langues se trouvèrent et les mains de Linda coururent sur son corps, caressant son dos, ses côtes qu’il trouvait trop saillantes, qu’il n’avait pas osé mettre au soleil pendant des années, passant sur son petit cul, comme elle aimait à le décrire. Ils n’étaient pas parfaits pour les standards en cours et les magazines et les images de « belles gens » sur Facebook et internet. Mais putain, quand ils s’embrassaient comme ça, quand ils se touchaient, ils étaient bien. Ni mieux, ni pire que les autres, juste bien et le reste ne comptait pas. Et tandis qu’il se glissait dans le corps rond et en chair de sa femme et que ses reins se mettaient en mouvement pour leur offrir le plaisir de la jouissance, rien d’autre ne comptait.
Il aimait Linda, elle l’aimait aussi.

Point final.

Petite bêtise, grammes résiduels et six pieds dans un lit

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : F/F , bisexualité.

Résumé : Il est des matins où tout est drôle ou lamentable, ou à pleurer. Remets tes yeux en face des trous et ne regarde pas derrière toi : on vit tous avec nos conneries ! Hé Ho, poulette, tu m’écoutes ? Et arrête de te marrer, va.

Petite bêtise, grammes résiduels et six pieds dans un lit

– Allez, chuchote Clémence, le regard pétillant dépassant des draps dans lesquels elle est profondément blottie.

Nathalie plisse les lèvres en une petite moue, hésitante. Le bleu gris de ses prunelles semble aussi pâle que la lumière matinale et leurs visages ne sont qu’à quelques centimètres l’un de l’autre.

– Tu ne veux pas le lui dire toi-même ?

– Pas motivée.

Le ton de Clémence est celui d’une gamine, l’éclat de ses yeux se faisant rieur, comme si ce qu’elles s’apprêtent à faire n’est qu’une bêtise sans importance.

Nathalie se renfonce dans la couette. Lorsqu’elle déglutit, sa gorge sèche lui fait mal. Elle cherche du regard une bouteille d’eau à proximité.

– Je dois avoir encore au moins trois grammes, gémit-elle à voix basse, et je ne suis pas sûre de pouvoir aligner plus de deux neurones pour bredouiller quelque chose d’intelligible.
La fin de sa phrase se finit dans un rire étouffé, que Clémence partage aussitôt, la blancheur de ses dents ressortant au rebord du drap clair.

D’un air coquin, cette dernière jette alors un œil aux jambes masculines qui dépassent de l’autre côté de la petite brunette près d’elle. Puis, elle sort légèrement le nez de la couette, méfiante quant à la température extérieure. L’air est frais ; sa peau est nue ; ses vêtements sont elle ne sait où. Elle a envie de retourner sous la chaleur des draps, mais les balance tout de même de côté en un acte de bravoure, tandis que Nathalie y enfouit plus profondément le bas de son visage, et s’assoit au bord du matelas. L’absence brusque de contact sur sa chair la fait frissonner. Elle resserre les pieds l’un contre l’autre sur l’amas de vêtements qui jonche le sol. Misère… Apercevoir son débardeur sur le dossier de sa chaise de bureau la fait se lever, une grimace se peignant sur ses lèvres quand elle prend conscience de la manière dont son crâne se met à pulser, ainsi que l’état dans lequel est l’appartement. Elle passe les doigts dans ses cheveux emmêlés. Un instant, elle se demande s’il est seulement possible de retrouver quoi que ce soit dans ces tas d’habits, roulés-jetés-propulsés à l’angle de la porte d’une armoire – tiens voici son soutien-gorge. Cette petite victoire lui procure du courage, lui permettant de se couvrir la poitrine, avant d’enfiler son haut. Puis, comme sa culotte lui échappe et que, bien que ça la fasse rire, se promener cul nu ainsi ne lui soit pas habituel, elle se décide pour le caleçon masculin qu’elle voit traîner plus loin, un peu bouffant et avec des carreaux, s’en amusant. S’en attifer lui donne une drôle d’allure, la couture du vêtement lui frôlant curieusement l’entrejambe. Il y a un quelque chose de sexuel, là-dedans, qui ne lui déplaît pas. Elle en expérimente plus nettement la sensation lorsqu’elle fait quelques pas et passe à son poignet l’élastique qu’elle déniche plus loin, en attendant de pouvoir se coiffer.

L’appartement est dans un état… lamentable ! Risible ! Elle ne sait comment le dire autrement. À prendre en photo panoramique et à envoyer sur Facebook. Voilà qui ferait rire les copines, tiens. Partout s’amassent des vestiges de la soirée passée : verres d’alcool, morceaux desséchés de pizza, mégots, cendriers pleins, huile pour massage au bouchon disparu, et des sapes, et des morceaux de cigarettes déchiquetés, et des cadavres de bouteille, et des emballages de préservatifs… Youhou ! La fête, quoi. La débauche. La jeunesse. Le grand n’importe quoi, mais le bon n’importe quoi : celui qui fait marrer et qu’on a envie de raconter plus tard, qui reste avec le temps et sur lequel les copains nous charrient même plusieurs années après, et qui peut faire rire aux larmes, parfois, aux dernières heures d’une soirée un peu arrosée. Elle a envie de rigoler. Il doit lui rester encore quelques grammes, à elle aussi. Il est hors de question qu’elle prenne la voiture aujourd’hui, songe-t-elle soudain. Elle risquerait de se faire arrêter pour alcoolisme en plein jour : la honte ! « Mais non, m’sieur l’agent, c’est juste que j’ai pris une grosse cuite hier soir et… » Elle imagine la scène tout en se dirigeant d’un pas léger vers la salle de bains. Non, non, non, non. Elle restera toute la journée chez elle, passera à la rigueur à la supérette au coin de la rue d’en face et bouffera du chocolat toute la journée, entre deux clopes, boira de l’Orangina. Son haleine doit être un avant-goût de la porte des enfers, elle pourrait tuer le joli cœur de voisin du dessous s’il lui venait l’idée regrettable de sonner une fois de plus à leur porte. « Vous avez du sel, les filles ? — Non ! » Il faut faire quelque chose.

Un instant, Clémence jette un regard aux deux larves qui cuvent dans les draps enroulés autour de leurs jambes, une longue chevelure d’ébène apparaissant, là, une cuisse masculine largement découverte, une bouche ouverte à gober les mouches… Ah, elle est belle, la jeunesse ! C’est eux qu’elle devrait prendre en photo, en fait, en les identifiant bien clairement sur le net. Non, elle n’est pas si mauvaise, mais ce serait amusant. Et il ne faut jamais se priver de songer à quelque chose de drôle. Elle imagine déjà le commentaire qu’elle pourrait y associer et les réactions des autres, dessous. Elle se trouve bête.

Puis elle file dans la salle de bains.

Elle a une gueule, mazette ! Tu es belle, dis donc. Tu as dormi dans un sac poubelle ?

La barrette à fleurs roses qui traîne sur le rebord du lavabo tombe à pic pour relever la masse informe de ses cheveux.

« Les jeunes d’aujourd’hui n’ont plus aucune distinction », dirait Nadine, sa collègue. Bien balancé, poulette. Ah, cette pauvre jeunesse totalement égarée ! Sortez les drapeaux ! Brandissez les baïonnettes ! Un petit coup bien enfoncé tout en bas des reins devrait remettre tout le monde dans le droit chemin ! Elle se fait rire toute seule.

La fraîcheur du dentifrice dans sa bouche soulage agréablement sa sensation d’haleine fétide.

Tandis qu’elle se penche sur le lavabo, une claque sur ses fesses la fait sursauter. En se retournant, elle aperçoit Nathalie, passant près d’elle. Comme toujours, le port d’épaule de cette dernière est droit et sa démarche légèrement bourgeoise, ses longs cheveux noirs ondulant dans son sillage. Le regard complice que la brunette adresse à Clémence fait pétiller les yeux de cette dernière, les lèvres fermées sur sa brosse à dents. Puis Bob ? Tom ? — mince, comment pourrait-elle l’identifier sur Facebook si elle n’est plus capable de se souvenir de son nom ? — suit Nathalie, tandis qu’elle entre dans la douche. Son sourire à lui est le charme à l’état pur. Elle se fait honte, à avoir oublié comment il s’appelle. Elle prend tout de même quelques secondes pour contempler ses fesses. Il faut reconnaître que Roméo a tout pour plaire. Sportif, endurant, inventif… Pas un mot de trop, une assurance à toute épreuve et même de l’humour lorsqu’il en faut… Vous avez réussi le test d’entrée, monsieur. Vous aurez peut-être le droit de revenir. Et puis il est beau comme un dieu. Bonne pêche, pense-t-elle, tandis qu’elle se rince la bouche. Les seins de Nathalie viennent de s’écraser contre le plexiglas de la vitre de douche et Apollon a déjà glissé la main entre ses jambes.

Tandis qu’elle ressort de la pièce, Clémence ne peut s’empêcher de se moquer : tout plaisant qu’il puisse être, Cupidon s’est cependant montré incapable d’attendre une seconde avant de viser les points stratégiques. Ah, ces hommes et leur cerveau ridiculement bas placé…

Elle se fait un café, se fume une clope à la fenêtre en contemplant les allées et venues des passants et des voitures en contrebas.

Quand les deux autres sortent de la salle de bains, elle est allongée sur le lit, une jambe pliée, et a chaussé ses lunettes pour lire un document administratif de son travail. Coquetterie idiote : si Adonis n’avait pas été là, elle se serait pris un magazine people traitant du dernier bouton d’acné de Britney Spears ou du divorce de Katy Perry.

Ils ont dû vider toute l’eau chaude. Elle n’a pas été invitée. Elle se sent conne et de sale humeur. Elle a bien le droit, non ?

– Allez, casse-toi, lance-t-elle, un sourire mauvais aux lèvres et sans même lever les yeux.

Il faut qu’il y ait une salope, non ? Et puisque Nathalie se refuse à l’être…

– Tire-toi, va. Tu as bien rempli ton rôle. Maintenant, on ne veut plus de toi.

Elle redresse le visage. Casanova s’est figé juste devant elle. Clémence se prend à penser que son sang n’a pas encore eu le temps de remonter au cerveau, consciente, cependant, que n’importe qui serait pris au dépourvu par un tel accueil. Qu’est-ce qu’il attend, de toute façon ? Qu’ils partent en nuit de noces derrière ? Eh mec, tu as ramassé deux pétasses bourrées dans une boîte de nuit, hier. Tu crois que tu vas avoir une déclaration d’amour ?

– On te rappellera éventuellement à l’occasion.

Un rire sort de sa bouche. C’est mal, c’est méchant, c’est totalement stupide. Nathalie se met, elle aussi, à pouffer, rampant en serviette de bain sur le lit. Elles sont encore saoules, elles se sentent puissantes, elles ont envie d’être connes.

– Alors, qu’est-ce que tu attends ?

Puis, comme elle se rend compte qu’elle a encore son caleçon sur les fesses, elle se redresse et l’enlève rapidement, le jetant d’un geste imbécile vers lui. Nathalie s’étouffe à moitié de rire.

– Allez, tire-toi ! se mettent-elles soudain à crier, toutes deux. Va-t’en ! Barre-toi ! On n’a plus besoin de toi !

Et elles rigolent, et elles se noient dans leur hilarité. Il s’agit clairement d’une vengeance idiote de femme, d’une envie de penser qu’elles aussi peuvent être de vraies salopes, bien que ce ne soit pas réfléchi. Au moment où Apollon s’apprête à sortir, Clémence se sent prise d’un léger remords et court soudain pour lui tenir la porte, les yeux brillants et sa proximité la faisant se sentir plus taquine encore. Qu’il s’en aille, maintenant. Vite. Elle ne sait pas ce qu’elle pourrait ajouter comme connerie et elle se croit même capable de le sucer pour se faire pardonner.

Puis elle s’appuie de tout son poids sur la porte pour la refermer derrière lui, y restant quelques secondes, tandis que Nathalie écarte les pans de sa serviette et s’étale de tout son long sur les draps froissés.

En le remarquant, Clémence ironise :

– Pas encore rassasiée ?

Puis, comme Nathalie réagit par un sourire, Clémence prend une expression conquérante et balance, d’un geste négligent, le document qu’elle lisait en l’air, profitant du moment où les feuilles volent autour d’elle pour grimper, à quatre pattes, surplomber le corps de son amie sur le matelas. Lentement, elle appuie le bassin contre celui de cette dernière, savourant le contact de leurs peaux nues. Son ventre se tord cependant d’une inquiétude. Elle déglutit douloureusement.

– Ça te manque, parfois ?

Son ton est redevenu sérieux.

– Quoi ?

– La queue.

La petite tape que Nathalie lui assène sur les fesses la fait sourire.

– Mais que vous êtes vulgaire, madame…

– Horriblement…

– Parce qu’on a ramené ce mec ?

– Oui.

Nathalie prend quelques secondes avant de lui répondre.

– Non.

Puis elle enchaîne.

– Idiote.

L’expression de Nathalie est à croquer sur place, à immortaliser sur un tableau. Clémence fait une mine de petite fille coquine, essayant d’oublier le besoin qu’elle a de se convaincre qu’elles n’ont pas fait une bêtise. Elle se sent fragile.

Le regard de Nathalie sur elle n’est cependant empli que d’amour et de certitudes.

Alors, Clémence se penche sur ses lèvres, les frôlant de son souffle et, lorsque qu’elles s’embrassent de nouveau, elle oublie peu à peu leur nuit passée dont chaque trace se trouble, s’efface, se transforme en une brume pâle qui s’étiole lentement.