Autrice : Valéry K. Baran.
Genres : Érotique, BDSM, hot.
Résumé : Pour Mathieu, ce devait n’être qu’un jeu. Une introduction rapide dans une propriété qui l’intrigue. Mais quand la maîtresse des lieux arrive, il se retrouve piégé, pas seulement par crainte d’être dénoncé, mais parce que tout en elle, du rouge fatal de ses lèvres à la cravache qu’elle tient, le trouble et le fascine.
Pour Claire, c’est un rêve, qui prend des allures de caprice : celui de perdre sa virginité dans les bras de l’homme qu’elle aime. Pourtant, quand il la traite comme une femme et non plus une gamine, elle ne sait si elle en éprouve de la gêne ou une curieuse excitation.
Note de l’autrice :
Seul le début de cet épisode est disponible. Vous pouvez le découvrir, en sachant qu’il s’agit de l’épisode inédit compris dans les intégrales papier de L’initiation de Claire.
Première partie - Mathieu
– Et si on y allait ?
Mathieu haussa un sourcil amusé.
– Tu crois ?
Olivier n’avait pas précisé où, mais ce n’était pas utile. Tous deux le savaient parfaitement. Ils en parlaient depuis l’après-midi, déjà.
– Ouais.
Mathieu jeta un œil à travers la vitre. L’obscurité extérieure ne permettait pas d’apercevoir plus que son reflet, rendu sombre et double par les éclairages du bar, mais l’humidité du verre témoignait du fait que la pluie glacée ne s’était pas calmée. Une heure du matin était passée depuis un moment mais Pierrot, le proprio, n’avait pas encore fermé les portes. Ce n’était pas rare. La municipalité d’Avignon était coulante à ce sujet et c’était l’une des raisons pour laquelle ils aimaient sortir dans ce bar : son agréable nonchalance et sa liberté prise avec les règles.
Un frisson agita ses épaules. De réflexe, il porta le regard sur son blouson, qui reposait à ses côtés. Même s’il le renfilait, son cuir peu épais ne le réchaufferait guère. Il abandonna l’idée et croisa les bras pour se pelotonner contre le dossier de la banquette. Ça faisait bien une semaine qu’ils fêtaient quotidiennement les dix-neuf ans d’Olivier. C’était devenu une blague entre eux. Ça avait commencé le lendemain de la première soirée entre potes : Mathieu avait de nouveau levé son verre en l’honneur de son anniversaire et ils avaient pris l’habitude aussi débile que drôle de continuer à le lui souhaiter tous les soirs. À chaque fois, ça se passait à coup de bières et de blagues avec les copains, mais ces derniers étaient rentrés chez eux les uns après les autres, et l’alcool avait fini par leur monter à la tête.
Mathieu observa le contenu de son verre, pensif, comme s’il pouvait trouver dans son ambre épais une réponse à ce qui le taraudait depuis plusieurs heures, maintenant.
Cette fichue baraque…
Olivier planait aussi à sa manière, un coin des lèvres doucement remonté. L’automne s’était installé et, si Oliv’ avait entamé des études supérieures depuis la rentrée, Mathieu s’était révélé incapable de se projeter dans quoi que ce soit une fois son baccalauréat en poche. Il n’avait même pas fait de démarche pour chercher un emploi, se contenant de quelques petits boulots pour avoir de quoi vivre, éphémères. Il attendait que la vie le prenne par les épaules, qu’elle lui assène une claque ou le pousse en avant… Qu’importe lequel des deux ce serait. Que quelque chose le fasse bouger, juste.
– Je ne sais pas s’il y aura quelqu’un dedans, remarqua-t-il, songeur. Cet après-midi, quand je suis passé pour déposer le devis fait par mon boss, c’était vide mais, si ça se trouve…
Olivier regarda sa montre.
– Il est tard.
Mathieu sourit.
– Ouais.
Vu l’heure, même si la baraque était habitée, il y avait fort à parier que tout le monde dormirait.
– Tu penses que ça vaut le coup ? le relança Olivier.
Mathieu rit.
– Oui… Sûr.
Qu’Oliv’ le suive dans ses conneries tenait toujours du surréalisme, même si Mathieu en restait touché. Il ne savait même pas pourquoi lui-même faisait ça, en réalité. Quelques mois plus tôt, il aurait pu dire que c’était pour avoir de quoi s’acheter un billet d’avion pour l’Amérique, mais cette explication n’avait jamais vraiment tenu, quelles que soient les imbécillités dont il avait pu s’emplir la tête. Pour le fun, alors… par désœuvrement. Pour dompter son sentiment d’avoir été écarté de la vie et de ne plus pouvoir s’y balader qu’en tant que visiteur… Ce n’était pas clair, alors il ne risquait pas de déterminer pourquoi Olivier, lui, l’accompagnait.
Parce que c’était eux.
Pour croire qu’ils étaient invincibles, qu’ils pouvaient décider de ce qu’ils voulaient et voir le monde s’écarter devant leurs envies…
Peut-être. Un joli rêve, en tout cas. Un rêve de quand on a encore dix-huit ans. Qui a envie de voir, à cet âge, les portes de la réalité se refermer sur soi ?
– Allez ! lança Olivier en prenant appui sur la table pour se redresser.
Mathieu haussa un regard paresseux sur lui.
– Pas fini ma bière…
– Petit joueur, se moqua Oliv’ avant de descendre la sienne d’un coup.
Mathieu ricana puis l’imita. Ils étaient saouls ! Ils étaient fous ! Et le monde était à eux.
Il accueillit avec amusement la main d’Olivier sur son épaule puis s’accrocha à lui pour tanguer vers la sortie. La morsure du froid le réveilla suffisamment pour qu’il s’empresse de refermer son blouson. La pluie était encore au rendez-vous, quoique faible. Il n’était pas assez couvert. Il n’avait pas assez de fric pour s’en acheter un plus chaud. La vie le faisait chier…
Il rit en s’appuyant plus fortement contre Olivier.
– C’est où ? demanda Oliv’.
– Par là.
Il l’entraîna dans les rues vides de la vieille ville. Le Rhône charriait un vent glacial qui pénétrait jusque dans leurs vêtements mais ils s’en moquaient. Ils crèveraient de froid, mais ils crèveraient vivants.
Tous deux battirent les pavés humides à bon pas, manquant parfois de se casser la figure dans une hilarité commune.
Une série de gargouilles surmontant de hautes portes ouvragées les suivirent du regard, comme pour les avertir des risques avec lesquels ils jouaient. Les murs du Palais des Papes se dressèrent à côté d’eux, figure imposante et familière avec laquelle ils frayèrent un moment avant de la dépasser. Seulement, Mathieu se retourna pour continuer à la suivre du regard. Les années passant, il aurait pu s’habituer à ce monument au point de ne plus en voir la beauté, mais ce n’était pas le cas. Cela ne l’avait jamais été. Sa force le stupéfiait. Il s’accrocha aux épaules d’Oliv’ et continua à traverser la vieille ville avec lui. Ils entrèrent dans des rues si étroites que seuls des piétons ou des deux roues pouvaient y pénétrer, ils suivirent un dédale trop complexe pour quiconque n’étant pas né ici, voire n’habitait pas justement dans ce quartier, mais Mathieu avait assez souvent fait l’école buissonnière pour s’y sentir en terrain connu. Enfin, ils cessèrent de rire et se turent, et s’écartèrent même silencieusement l’un de l’autre. Strictement aucun bruit ne traversait la ville, pas même les chants joyeux d’autres jeunes envinés ou le miaulement plaintif d’un chat, si ce n’était le tapotement humide des quelques gouttes qui leur tombaient toujours dessus. Mathieu tira sur le col de son blouson en arrivant devant les murs de la propriété.
– C’est là ? lui souffla Olivier.
– Ouais.
Là, la baraque dont il aurait continué longtemps à ignorer l’existence si le mec avec qui il venait de commencer à bosser ne lui avait demandé d’y porter un document… et si, comme ça, parce que personne ne lui répondait et que la longueur et la hauteur de ce mur l’avaient interloqué, il n’avait eu l’envie de se hisser dessus. La vue qu’il avait découverte l’avait captivé suffisamment pour qu’il finisse par se tenir droit, debout, en haut du mur, et à rester de longues minutes, frigorifié par le vent mais oublieux de sa morsure, à contempler tous les détails de la propriété.
– On va voir ? proposa-t-il, un sourire goguenard aux lèvres.
Ça devait probablement être la pire connerie qu’il pouvait faire mais, ça aussi, quelle importance ? Ce n’était pas bien terrible, juste sauter le mur et entrer dans le jardin, non ? Et regarder, s’approcher, découvrir… Il y avait quelque chose qui l’attirait dans cette maison : son aspect « oasis » au milieu de ces pavés, mais pas seulement. Son côté caché, mystérieux, aussi.
Il n’avait pas eu une vie malheureuse jusque-là ou, du moins, il ne l’aurait pas qualifiée ainsi. Il avait grandi sans être tout à fait aimé et sans ne pas l’être tout à fait non plus. Il n’avait été ni tout à fait important, ni tout à fait insignifiant. Sa mère avait toujours eu des histoires d’amour qui ne le concernaient pas ; son père avait été inexistant… Pour tous les autres gamins de son âge, il avait toujours eu tendance à passer pour un héros, mais il n’avait jamais ignoré ce qu’il pouvait y avoir de superficiel là-dedans. C’était facile de braver les règles quand personne ne veillait sur soi, facile de briller quand c’était transitoire : quand on passait juste, temporairement, dans la vie des gens. Un comportement qui s’apprenait, qu’il avait fini par maîtriser à la perfection. Aucune profondeur.
Il avait toujours été un gamin turbulent, à chercher le jeu, l’excitation de la transgression… C’était la famille d’Olivier qui lui avait fait prendre réellement conscience du décalage entre la liberté dont il jouissait et celle des autres. Ah bon, à seize ans, il ne pouvait pas continuer à sortir comme il le voulait toutes les nuits ? Il l’avait fait tout de même, y compris en habitant alors chez eux : faire le mur était une seconde nature pour lui. Il n’avait jamais su si les parents d’Oliv’ étaient dupes de son apparente obéissance quand, en fait, il faisait toutes les conneries possibles une fois hors de leur vue, ou s’ils acceptaient gentiment qu’il soit trop sauvage pour se conduire autrement. Comment aurait-il été différent, lui pour qui le mot « stabilité » n’avait qu’un sens confus ? En opposition, les vieilles pierres avaient tendance à le fasciner. Cette façon dont l’homme pouvait inscrire son histoire et sa culture, laisser une trace immuable, quelque chose qui perdure, de tangible et de profond. C’était ce qu’il éprouvait devant le Palais des Papes et c’était aussi ce que lui avait évoqué la maison qu’il avait découverte cet après-midi-là : ce sentiment d’ancestralité et, d’une certaine façon, d’immortalité. Au fond de lui, il ne voulait pas seulement savoir quels trésors elle recélait mais aussi qui pouvait y habiter…
Il déraillait, il s’en rendait compte. Ce n’était pas moins fort dans son esprit.
– Allez, souffla-t-il en posant le pied sur la surface verticale du mur puis sautant pour agripper de justesse son rebord supérieur.
Il poussa sur les aspérités qu’il sentait sous ses pieds pour parvenir à se hisser. Puis, une fois installé à califourchon sur le mur, il se pencha vers Oliv’ et tendit la main pour l’aider. La pierre était froide et trempée sous son jean, mais il était déjà assez mouillé pour ne pas être dérangé par l’idée de le faire davantage. Olivier n’hésita pas, l’attrapa, et prit aussi son élan pour le rejoindre. Mathieu le hissa avec effort, puis reporta le regard sur la villa tandis qu’Olivier finissait de grimper. Entièrement faite de pierres aux mêmes tons chauds que les bâtiments anciens qui donnaient à la vieille ville l’allure d’une cité sortie du sable, elle se hissait au bout d’un immense jardin planté d’arbres fruitiers, sur trois niveaux, et du lierre grimpait sur sa façade, jusqu’à envahir les pourtours de ses fenêtres à larges vantaux. Deux escaliers semi-circulaires montaient à l’entrée du premier niveau et le toit, presque plat, accueillait trois rangées successives de génoises. L’endroit exhalait l’histoire et la bourgeoisie avec tant de puissance que même la morosité du temps ne parvenait à en atténuer l’éclat. Il balança la jambe de l’autre côté du mur et se laissa tomber au sol dans un bruissement de verdure.
– Viens, murmura-t-il.
Il était totalement dégrisé.
Il se glissa à pas de chat dans le jardin. Aucune lumière n’apparaissait aux fenêtres du premier étage, en grande partie dépourvues de volets, ni à travers celles du niveau supérieur.
Sur la terrasse, de larges jarres accueillaient des massifs d’un vert bleuté. À l’entrée de l’escalier, une fontaine déversait par le bec d’un héron de pierre une eau semblant glaciale. Des sculptures bucoliques se succédaient, l’usure laissée par le passage des saisons leur octroyant un charme supplémentaire. Il se tassa sur lui-même pour gravir les marches. En voyant qu’Olivier était resté en bas, il lui fit un signe pour l’inviter à le suivre. Celui-ci resta immobile.
Non, lui indiqua-t-il en remuant la tête de droite à gauche.
Et il avait raison. Mathieu le savait. Il se rendait compte du gouffre dangereux dont il s’approchait, mais il ne pouvait pas se raisonner… Alors qu’il observait Olivier, il perçut, le cœur battant, la scission se faisant entre sa conscience et l’exaltation trouble que suscitait en lui cette escapade. Le fait qu’il prenait des risques inconsidérés, qu’il ne savait même pas vraiment ce qu’il fichait… Et l’attrait du danger.
Il n’avait envie d’écouter que ce dernier.
Il se retourna vers la terrasse supérieure. Elle semblait n’attendre que ses pas, immobile et déserte. Silencieusement, il y avança, le corps plié en deux, s’approcha d’une fenêtre et se leva à peine de sa position accroupie pour jeter un œil à travers. Toutes les lumières étaient éteintes mais, à la faveur de la clarté de la lune, il pouvait apercevoir un intérieur bourgeois mais pas seulement ; il eut un coup au cœur en s’en rendant compte.
Serti de statues de naïades dénudées, de longues bibliothèques aux livres ornementés séparés par des objets phalliques, et de tableaux exposant un érotisme sombre, l’endroit dans son entièreté exhalait une décadence troublante. Faire demi-tour devint, sans plus aucune hésitation, une option impossible. Curiosité malsaine, mais à laquelle il ne voyait aucune raison de résister. Il devait entrer.
– Math’, l’interpella dans un chuchotis Olivier en le rejoignant. Ça craint, on… On devrait repartir.
Oui. On « devrait ». Les mots survolaient son esprit sans parvenir à s’y accrocher. On devrait, oui… Mathieu ôta son blouson pour le placer devant l’une des vitres du salon et ramassa une lourde pierre qu’il trouva à ses pieds. Il était hors de toute réflexion, hors de tout raisonnement, et la peur, loin de le pousser au retrait, le galvanisait.
– Math’…
Il frappa. Le verre se brisa. Le son lui parut excessivement fort mais ça pouvait n’être que dans sa tête. Quand il témoignait d’une rupture avec l’ordre, le bruit semblait toujours trop important. Ce n’était pas la première fois que Mathieu avait une telle pensée. À chaque fois qu’il opérait une transgression, quelle qu’elle soit, il éprouvait ce sentiment. Comme un choc dans la réalité. L’ouverture d’une porte vers l’interdit…
Il ne bougea pas. L’épaule d’Olivier touchait la sienne, lui conférant sa chaleur, et leurs respirations rapides se répondaient l’une l’autre. À cause de la pluie, du froid et de son blouson manquant, il grelottait, mais à peine s’en rendait-il compte, tant toute son attention était sur le silence de l’autre côté de la fenêtre, ce silence qui se poursuivait, que rien ne venait altérer malgré les minutes passant.
– Il n’y a personne, dit-il, plus pour se rassurer lui-même que pour convaincre Olivier.
Ce type de vieille baraque, de toute façon, était rarement habité. Peut-être que ses propriétaires n’y mettaient les pieds que deux fois l’année et qu’ils ne verraient le devis qu’il avait posé dans leur boîte que dans plusieurs mois. Ça, et la brisure de la vitre.
Il leva la tête, avisa les entrées de la pièce. Personne ne venait. Il renfila prestement son blouson.
– On y va, souffla-t-il en glissant la main à travers le trou qu’il avait fait pour saisir la poignée de la fenêtre.
Le verre lui entailla légèrement le dessous du bras mais il retint suffisamment le sursaut réflexe qu’il eut pour ne pas se blesser plus vivement. La fenêtre grinça et, une fois celle-ci déverrouillée, il retira prudemment sa main pour la pousser depuis l’extérieur.
Toujours personne.
Il sauta le rebord. Olivier le suivit, plus mesuré.
– Putain… s’exclama sourdement celui-ci en découvrant l’intérieur à son tour.
– Ouais…
Quel que soit l’endroit où l’on posait son regard, tout dans ce lieu, dans son entièreté, suintait le sexe et la perversion. C’en était fascinant. Une longue table de salon d’un bois très sombre et patiné trônait au centre, et la plupart des murs n’étaient occupés que de bibliothèques, de dessertes et de tableaux, mais ceci n’était qu’une première façon de voir la pièce. Fugace, finalement. La deuxième montrait une succession de seins, de fesses et de verges tendues, de vêtements arrachés, de corps suppliciés dont les expressions ne traduisaient ni tout à fait le plaisir ni tout à fait la douleur, en gravures, en peintures, en sculptures, le métal succédant au bois, le bois à la toile et la toile à la pierre… Le bruissement du vieux papier lui parvint quand Olivier se saisit d’un livre sur le meuble le plus proche.
– « Littérature érotique et libertine au XVIIe siècle », annonça sa voix basse.
Mathieu parcourut à son tour les titres. « La Pensée sauvage », « Vénus dans le cloître », « Margot la ravaudeuse »… « Les Quarante Manières de foutre ». Il eut un sourire en découvrant celui-ci. Curieux, il l’attrapa pour se laisser tenter par l’envie de le feuilleter. Le bouquin datait de 1790 et représentait une sorte de manuel du sexe écrit à la manière d’un livre de recettes.
« Prenez une cuisse, ajoutez du beurre, couvrez, laissez mijoter… »
Il le referma, amusé.
– Math’…
Le murmure d’Olivier sonna comme une alarme.
Lorsqu’il releva la tête, il se retrouva paralysé.
Olivier s’était figé également, à un mètre de lui.
Devant eux, se tenait la femme la plus troublante qu’il ait jamais pu voir.