Un hamburger, des frites et mon cœur avec (4)

Chapitre 4

Vendredi

– Encore un hamburger et des frites ! Sérieusement ?

La remarque provoqua un éclat de rire chez Mathieu. Il détourna le regard de son écran d’ordinateur pour le reporter à la porte de son bureau où se tenait Ludovic.

– Quoi ?

– Vous le faites exprès ? Vous avez perdu un pari ? Quelque chose ?

– Absolument pas.

– Vous avez conscience que c’est hyper mauvais pour la santé !! s’exclama le jeune homme en s’avançant jusqu’à son bureau où il déposa néanmoins ledit repas.

– Vous faites partie de la brigade anti-graisse saturée ou quoi ?

– Exactement !

– C’est moi où vous vous faites enrôler dans toutes les organisations possibles ?

– Je fais aussi partie des témoins de Jéhovah, je ne vous l’avais pas dit ?

Une fois de plus, Mathieu rit, avant de secouer négativement la tête. C’était idiot, mais c’était agréable cette petite pause dans la journée. En un peu plus d’une semaine, il en était venu à attendre Ludovic avec un intérêt croissant. Apprendre que le jeune homme était cent pour cent homo lui avait permis de le voir sous un autre jour, ou plutôt, il était tout d’un coup devenu accessible. Et cette accessibilité était terriblement tentante.

Néanmoins et, comme il le lui avait dit, il ne désirait pas afficher ouvertement son attirance au boulot. Aussi essayait-il de se montrer amical mais sans aller vraiment plus loin.

Autant l’admettre… c’était clairement compliqué : ce type était vraiment craquant.

Ce jour-là, la grisaille parisienne avait fait troquer à son livreur son pantacourt pour un jean droit mais qui mettait incroyablement bien ses fesses en valeur, comme il avait pu le constater à l’instant. La chemise et le pull qu’il portait changeaient aussi son apparence et il perdait un peu de son côté vadrouilleur, mais conservait quand même son charme. Charme auquel il était difficile de résister.

Il n’était pas le seul, d’ailleurs. Ses collègues étaient folles de lui. Même le départ d’Emeline, que tout le monde s’était accordé à trouver malheureusement normal, n’avait pas entaché ce nouveau petit rituel : surveiller la venue de Ludovic. Il avait honte de l’admettre, mais c’était Sonia qui lui avait appris le prénom du jeune homme. Au milieu de leurs courts échanges et de leurs plaisanteries, il n’avait pas pensé une seule fois à lui demander avant que l’information ne lui soit rapportée. Reconnaissons qu’elles parlaient beaucoup de lui. Il avait le sentiment que Ludovic monopolisait le sujet de conversation de onze à quinze heures.

C’était d’ailleurs hallucinant l’importance qu’il avait prise en si peu de temps. Les filles guettaient son arrivée comme dans cette vieille pub pour Coca-cola, où le gars vidait sa bouteille comme si c’était le truc le plus sexy qu’un type puisse faire. Il avait vraiment l’impression d’assister à une sorte de remake tous les midis.

Et s’il ne poussait pas les mêmes soupirs énamourés, il n’était pas mieux. Sa porte était ouverte sur le coup des douze heures, et il surveillait lui aussi le passage de Ludovic qui ne manquait jamais de lui faire un coucou avant de venir le rejoindre une fois débarrassé de sa petite cour. Le plus drôle était sans doute de constater que certaines de ses collègues qui insistaient sur le fait de déjeuner à l’extérieur au moins un jour sur deux ne décollaient plus. Même leur patron avait fini par s’intéressait au cas Ludovic et s’en était beaucoup amusé, demandant ce que ce jeune homme avait de si particulier, question reprises par deux de ses collègues masculins. Mathieu s’était bien gardé de participer à cette conversation là.

La seule qui s’était permis d’insister à ce sujet était Sonia, un matin dans son bureau, la porte bien fermée, car aussi curieuse qu’elle ait été, elle savait respecter son choix. Mais elle avait quand même remarqué que ça rigolait bien le midi quand Ludovic passait le voir. Néanmoins, et aussi sympathique que soit leur relation, il avait gentiment coupé court à la conversation par un :

– Je refuse de m’engager dans cette voie, Sonia. Je ne veux pas me retrouver à potiner avec toi.

– Parce que ce n’est pas déjà ce que tu fais devant Thérèse peut-être.

– Je t’écoute débiner l’ensemble de nos collègues, tout en savourant mon café, nuance !

– Salaud ! lui avait-elle lancé. Je suis certaine qu’une partie de toi est jalouse de ne plus être le centre des discussions entre filles, hein !

– Absolument pas.

– Ouais, tu devrais te méfier, maintenant qu’on a viré super gourdasse, je ne serais pas surprise que Virginie choisisse un autre mec, rien que pour te faire chier.

Mathieu avait repoussé la menace d’un vague geste de la main.

– Qu’elle fasse, qu’elle fasse. De toute façon, je sais qu’elle me garde un chien de sa chienne.

Sonia avait hoché la tête. La jeune femme n’avait pas digéré la façon dont Mathieu lui avait parlé, pas plus que le jugement qu’il avait porté sur son travail et ses qualités de recruteuse. C’était d’autant plus mal passé que tout le monde s’était accordé à dire qu’Emeline était mauvaise, même si certaines avaient nuancé par des « Il lui aurait sans doute fallu plus de temps ». Et le fait que Patrick tranche en faveur de Mathieu sur les prochains recrutements, l’avait encore plus agacée. Du coup, elle ne lui adressait la parole que du bout des lèvres et affichait un air pincé en permanence. Si ça pouvait lui faire plaisir, franchement, il avait d’autres chats à fouetter.

– Quoi qu’il en soit, si vous prenez un autre type, tu n’auras plus ton poulailler personnel ?! continua Sonia.

– Tu as conscience que tu es incluse dedans ?

– Non ! pas de sexe au bureau, c’est ma religion, tu le sais très bien.

– Parce que tu ne baves pas sur notre nouveau livreur.

Sonia avait affiché un sourire amusé.

– C’est différent. Il est trop jeune pour moi et je ne me verrais pas lui demander son numéro ou lui proposer de sortir boire un verre au milieu de nos collègues. Mais ça ne me dit pas ce que tu en penses.

Mathieu avait attrapé le dossier qu’elle était venue chercher et le lui avait tendu.

– Tiens de quoi t’occuper !

– Rabat joie, s’était-elle plainte avec une moue.

Quoi qu’il en soit, ce qu’elle avait dit résumait parfaitement bien les pensées de Mathieu, même s’il songeait de plus en plus à inviter Ludovic, il le repousserait au dernier jour. Ce serait plus simple. Ludovic était déjà tellement tentant sans y avoir goûté qu’il n’imaginait pas ce que cela donnerait si c’était le cas. Et puis, parviendraient-ils, l’un comme l’autre, à maintenir une façade de simple camaraderie s’ils savaient qu’ils allaient se voir. Franchement, avec ce que lui avait balancé Ludovic le premier jour et les regards qu’ils se lançaient de temps en temps, il était évident que ça aboutirait forcément dans un lit. Il ne pourrait pas en être autrement. Il fallait être réaliste.

Il n’était pas un grand spécialiste de l’approche en douceur. C’était un des avantages d’être gay pour lui, pouvoir se montrer direct et ouvert sur ses envies. Quand il voulait tirer un coup, il se trouvait un mec et le faisait. Si cela débouchait sur plus, il n’était pas contre, bien sûr. Et franchement, avec Ludovic, c’était peut-être une possibilité. Il appréciait de plus en plus leurs petites conversations dont il était évident qu’elles duraient toujours plus longtemps à chaque nouvelle journée. Et ils n’en étaient, fort heureusement, pas restés à ses choix alimentaires. La veille, ils avaient parlé cinéma parce que Ludovic arborait un tee-shirt du Seigneur des anneaux. La discussion avait rapidement dérivé sur les romans adaptés sur grand écran, ceux qu’ils jugeaient réussis et les ratés.

Et si Ludovic était clairement baisable, leurs échanges lui montraient qu’il était aussi beaucoup plus intéressant que ça. Qu’il y avait bien plus à découvrir avec lui qu’un un joli petit cul. A commencer par sa répartie et son humour. Et aujourd’hui ne semblait pas vouloir faire exception.

 – Vous allez essayer de me convertir ? demanda-t-il, rebondissant sur la réplique de Ludovic sur son appartenance aux témoins de Jéhovah.

– Ah non, je ne mélange jamais deux missions ! Et je ne vante les mérites et la gloire de Jéhovah qu’au domicile des gens.

Il pouffa à nouveau.

– Ah oui, au bureau, c’est lutte contre la malbouffe !

– Je ne vous permets pas de dire que mon cousin fait de la malbouffe.

– C’est vous qui critiquez mon alimentation.

– Oui parce que vous pourriez changer.

– J’ai pris des pâtes vendredi dernier et mercredi aussi ! se défendit Mathieu.

– Deux jours de pâtes, huit jours de hamburger, je suis épaté par tant de diversité.

– Ce n’est pas le même tous les jours.

– Et les légumes ?

– Y’en a dedans. Salade, tomates, céréales, protéines, un repas parfaitement équilibré. Je vous accorde que les frites, on peut faire mieux.

– Vous avez conscience que vous ne vous défendriez pas autant si vous jugiez qu’il n’y avait aucun problème avec vos repas !

– Absolument pas ! insista-t-il.

Ludovic secoua négativement la tête, avant de poser une fesse sur le coin du bureau de Mathieu. C’était la place qu’il s’était attribué ces derniers temps. La place qu’il attendait de prendre chaque matin. S’il avait pensé que Mathieu n’était pas intéressé le lundi précédent, les jours passant tendaient à mettre à mal ses certitudes. Mathieu soufflait le chaud et le froid. Ce n’était pas tant dans ce qu’il disait, même s’ils plaisantaient beaucoup, c’était plus dans les regards qu’il lui lançait et dont, peut-être, il ne semblait pas toujours avoir conscience. Il avait l’impression d’y lire une gourmandise, une envie qui était clairement sexuelle. Il s’était vu détaillé plusieurs fois, comme lors de leur première rencontre et, il voulait bien ne pas se faire de films, mais toutes les fois où il s’était fait mater de cette façon, cela s’était fini dans un lit, quand le gars lui plaisait bien évidemment.

Et franchement, il aurait dit oui tout de suite. Il avait conscience que Mathieu n’était sans doute pas aussi sexy que l’impression qu’il en avait, pas aussi beau non plus. S’il était objectif, il aurait reconnu qu’il avait déjà vu mieux, seulement son objectivité était passée par la fenêtre depuis belle lurette ou plus réalistement, elle s’était envolée avec la fumée de cette satanée cigarette dont il ne s’était pas remis. Est-ce qu’on pouvait tomber amoureux juste sur une connerie comme celle-là ? Y avait-il un évènement marquant comme ça, un truc qui faisait basculer ? Il n’en savait rien. Et honnêtement, il n’aurait pas non plus dit qu’il était amoureux, mais clairement, il était obsédé. Il n’arrêtait pas de penser à lui. Le matin, il s’effrayait du temps qu’il lui fallait pour choisir sa tenue, quelque chose qui soit suffisamment confortable pour jouer les livreurs mais qui le mette en valeur. Et il constatait que ses efforts n’étaient pas vains. La veille, son pantacourt fétiche, celui qui lui moulait vraiment bien les fesses lui avait valu sa part de regards appuyés. Soit dit en passant, il avait noté qu’il n’y avait pas que chez Mathieu que cela avait fait son petit effet. Les filles l’avaient zieuté encore plus que d’habitude même si elles avaient essayé de le faire le plus discrètement possible. Elles n’étaient pas très douées pour ça et il soupçonnait certaines de ne pas chercher à l’être réellement. Aucune d’elles n’avait osé lui demander d’aller boire un verre ou de se voir à l’extérieur mais les questions sur sa vie sentimentale avaient fusé. Il était volontairement resté discret.

Bien sûr, il avait plaisanté avec Mathieu à ce sujet, pour caser, l’air de rien, qu’il était parfaitement célibataire. Parce que s’il ne désirait pas qu’elles soient informées de cela, il escomptait bien que celui qui l’intéressait le soit. Mathieu n’avait pas vraiment eu de réactions, si ce n’était d’aller dans son sens, par rapport à ses collègues. Il n’avait pas cherché à insister davantage. Il avait compris que cela ne servait à rien. Mathieu réorientait toujours la conversation pour la maintenir dans le cadre de la virile camaraderie. Malgré cela, et surtout parce que Mathieu avait reconnu de lui-même le lundi ne pas souhaiter exposer son orientation sexuelle au travail, il supposait qu’il y avait de cette volonté de discrétion dans ses réactions. Du moins, était-ce ce qu’il pensait la plupart du temps mais par moment le doute le prenait et il se disait qu’il analysait mal les regards dont le gratifiait son beau comptable.

N’empêche que s’il en jugeait par celui qu’il recevait pour l’heure, il lui plaisait. Une fois de plus, il hésita à lui proposer discrètement d’aller boire un verre. L’idée le tentait de plus en plus. Il avait même failli le faire le mercredi, ne serait-ce que pour arrêter de s’interroger, de savoir si oui ou non il l’intéressait, mais ils avaient été interrompus juste comme il ouvrait la bouche. Il l’avait de nouveau envisagé la veille, mais… en fait, aussi contradictoire que cela était, il aimait bien cet état, ignorer exactement sur quel pied danser et quoi dire ou faire. S’il posait la question, il n’aurait plus le loisir d’analyser, de se prendre la tête, d’imaginer. Et, il adorait ces moments, il adorait se sentir envahi de la sorte par quelqu’un, avoir l’impression de le croiser dans la rue, de le voir dans une silhouette, se surprendre à penser à lui en plein milieu de la journée, et l’utiliser pour ses petits plaisirs du soir… Il se laissait aller à imaginer ce que cela ferait de défaire complètement cette cravate, de déboutonner cette chemise, de passer ses mains le long du torse qu’il trouverait en dessous, d’y déposer sa bouche, sa langue, d’y naviguer jusqu’à descendre au pantalon. Empressé de le sentir poursuivre plus bas, Mathieu le déferait rapidement et il pourrait s’agenouiller devant ce fauteuil de bureau, entre ses jambes et découvrir son sexe, le voir tendu d’excitation pour lui, par lui. Le toucher du bout des doigts serait ce qu’il ferait en premier, avant de faire glisser le long de sa paume, d’entendre les soupirs que cela provoquerait chez Mathieu, et puis de porter sa langue dessus, de le taquiner juste un peu, juste assez pour qu’il en demande plus, pour qu’il murmure son prénom. Et après, il le prendrait en bouche et le sucerait avidement, goûterait sa texture, sa douceur, sa forme autrement que par ses yeux et ses mains, le dévorerait et s’arrêterait juste à temps, juste au moment où Mathieu serait prêt à jouir. Il le forcerait ensuite à reprendre cette attitude qui l’avait tant excité quand il était sorti de ce bureau en colère, se ferait attraper, déshabiller et poser sur ce bureau, embrasser avec passion alors que les mains désireuses de Mathieu dévoreraient son corps de leurs caresses et l’envahiraient d’une toute autre façon, satisfaisante d’une toute autre manière. Enfin, ils feraient l’amour sur ce bureau, avec ses collègues, toutes ces femmes qui fantasmaient sur lui et sans aucun doute sur Mathieu aussi, à deux pas d’eux, ignorantes du plaisir qu’ils s’offraient l’un et l’autre, n’imaginant à aucun moment que ces deux mâles soient en train de prendre leur pied derrière cette porte fermée, maigre rempart qui protégerait leur intimité. Et il jouirait, jouirait en ayant Mathieu en lui, fermement ancré dans son corps, se collerait à lui, l’enserrerait de ses bras tandis qu’il surferait sur la vague de son plaisir, tairait son orgasme contre sa bouche, son épaule, son cou, aspergerait son ventre de sa semence tandis que la sienne se répandrait en lui, chose qu’il n’avait jamais fait dans la réalité, mais à laquelle son fantasme lui permettait de s’adonner sans aucune culpabilité, risques ou autre chose. Et l’idée finissait de l’achever.

– Ludovic ?

– Hein ?

Mathieu éclata de rire.

– Je ne sais pas où vous êtes parti, mais je vous ai perdu là ! se moqua-t-il.

– Oui, désolé, je pensais à… enfin… j’étais ailleurs.

– Vous cherchiez comment me convaincre d’abandonner mon régime alimentaire malsain ?

– C’est ça. Je vais dire à mon cousin de mettre plus de légumes et moins de frites.

– Allez, je vous fais une promesse, lundi, je commande un truc sain.

– Et je gagne quoi si vous perdez ?

– Je ne perdrai pas.

– Vous êtes bien sûr de vous.

– En même temps, j’en suis à commander des légumes, hein ! pas à tenter la traversée de la Manche à la nage.

Ludovic éclata de rire.

– Oui, c’est vrai. Mais vous ne devriez pas sous-estimer votre addiction au hamburger.

– Il y a bien d’autres choses auxquelles il me serait plus difficile de renoncer.

– La cigarette ?

Mathieu oscilla légèrement du chef.

– Oui et non. Mais, certains jours au boulot, c’est difficile de ne pas s’en griller au moins une.

– Pas le week-end.

– Jamais le week-end.

– Même en soirée ?

– Rarement, en fait.

Dommage, pensa Ludovic, l’idée de pouvoir le voir fumer de nouveau suffisait à l’émoustiller. Sérieusement, peut-être devrait-il envisager de consulter s’il en était à se dire qu’il encouragerait presque Mathieu à fumer.

– Donc pas la cigarette, continua-t-il. L’alcool ?

– Non plus, même si j’aime boire comme tout le monde et que parfois, c’est sans doute un peu trop. Encore que tout dépend pour combien de temps je dois m’en passer, en fait, s’amusa-t-il ensuite.

– OK, donc, j’ai un alcoolique en face de moi, le taquina Ludovic.

– Non, mais un bon plat avec un bon vin, c’est quand même agréable et sur certains fromages, c’est juste un sacrilège de boire de l’eau.

– Ah, je sens qu’on s’approche de quelque chose là : fromage ?

Mathieu lui adressa un grand sourire.

– Oui, définitivement, là ce serait vraiment, vraiment difficile.

– Connaisseur ?

– C’est un de mes péchés mignon, en réalité. J’ai mon fromager attitré et jamais, je dis bien jamais vous ne me verrez manger un truc acheté au supermarché ou sous vide !

– Pas de babybel ? se moqua Ludovic, lui-même adepte de ces fromages de son enfance.

– Autant ronger un Tupperware si vous voulez manger du plastique.

Il éclata de rire, à tel point qu’une tête passa par la porte du bureau pour voir ce qu’il se passait.

– C’est malin, on est en train de se faire repérer, le réprimanda gentiment Mathieu alors qu’il se levait pour fermer la porte.

– Je vous fais perdre votre statut de chef méchant ?

– Non, quand même pas.

– Bien, donc le fromage, reprit Ludovic tandis que Mathieu regagnait sa place.

Et puisqu’il était incapable de ne pas s’embarquer sur cette voie qui paraissait bien tentante, et qu’ils étaient seuls tous les deux, avec cette fameuse porte pour les protéger, il enchaina avec :

– Le sexe ?

Le sourire qu’afficha alors Mathieu gagna jusqu’à son regard. Il avait cette expression qui semblait vouloir dire qu’il s’attendait parfaitement à ce que la conversation en vienne là et qu’il était, en fait, amusé d’y être parvenu. Peut-être était-ce pour cela qu’il avait fermé la porte d’ailleurs. Et l’idée que cela en soit la cause, excita un peu plus Ludovic. Ses petits fantasmes pourraient-ils trouver prise dans la réalité ?

– Ce sera un nouveau « définitivement difficile » mais là encore, ça dépend sur combien de temps, répondit Mathieu.

– Si je vous suis, plus difficile de vous passer de fromage que de sexe ?!

 – L’un est plus facile à trouver que l’autre.

– Oh, vraiment ?

Mathieu haussa les épaules.

– Ca dépend, commença-t-il en s’accoudant un peu plus près de lui.

Quand il plongea son regard dans le sien, avec une lueur chaude, et en même temps sérieuse, Ludovic ne résista pas à s’approcher lui aussi. Dire qu’il suffirait de se pencher pour capturer ses lèvres. Il était certain que Mathieu ne le laisserait pas faire mais comme il était tentant de l’envisager. Le petit silence que ce dernier laissa planer emballa son imagination. Allait-il enfin saisir la perche qu’il lui tendait ? Oserait-il ? Avait-il envie qu’il le fasse ? Oui ? Non ?

– Certains bons fromages sont difficiles à obtenir, continua Mathieu.

Il sourit mais ne se démonta pas. Si Mathieu s’amusait visiblement à botter en touche, lui s’ingéniait à le ramener en terrain glissant. Le jeu auquel ils s’adonnaient tous les deux était plaisant. Il se pencha, Mathieu ne bougea pas, le fixant. Il lui serait facile de reculer à n’importe quel moment, mais il le laissa faire, le laissa s’avancer vers lui. Il choisit volontairement de s’approcher de son visage. Dieu qu’il l’embrasserait bien ! Il sentit son ventre se contracter d’envie et de désir de céder, mais il dévia. Il vint coller sa bouche à son oreille, inspira, l’air de rien, son parfum et son odeur.

– Certains bons amants aussi, chuchota-t-il, son sourire devenant taquin.

Le regard que Mathieu lui adressa alors qu’il se reculait tout doucement suffit à le faire bander cette fois. C’était exactement comme cela qu’il avait envie d’être regardé, c’était avec cette expression qu’il voulait que l’autre lui fasse l’amour. La porte fermée était en train de leur faire complètement perdre les pédales.

 – C’est ce qu’on dit, mais c’est plus difficile d’avoir un morceau pour la dégustation, s’amusa Mathieu.

– Ca dépend. Il suffit parfois de demander.

Mathieu allait-il répondre ou allait-il se retirer de la conversation et si oui, comment ?

 – Vous croyez ?

Moi, je dirais oui. C’était tentant de lui répondre ça mais en même temps, beaucoup trop facile. Plus tard, il s’en voudrait probablement mais pour l’heure, leur jeu de séduction demandait autre chose.

– J’en suis certain. Une belle gueule et un peu de politesse, ça ouvre bien des portes, affirma-t-il.

– En tout cas, ça m’a déjà ouvert celle de nombreuses caves d’affinage.

– Rassurez-moi, ce n’est pas vraiment dans une cave que vous espérez obtenir du sexe ?

– Vous savez que ça existe, n’est-ce pas ?

Ludovic opina positivement du chef.

– Mais non, à ce niveau, poursuivit Mathieu et rien qu’à son expression, il sut que c’était à ce moment qu’il allait ramener la conversation dans le droit chemin, je me passe des années d’affinage et de l’odeur !

Ludovic grimaça. Ce type allait le rendre fou.

– Vous me rassurez. Je ne vous voyais pas adepte des partenaires vieux et odorants.

– Je préfère la chair fraîche, comme pour mes hamburgers, conclut-il avec un clin d’œil.

Il réfléchit à ce qu’il allait répondre. Se proposer en tant que chair fraîche à dévorer ? Il y avait un certain nombre de très mauvais jeux de mots qu’il aurait pu sortir mais avant qu’il n’ait pris sa décision, on frappa à la porte.

– Oui ? lança Mathieu alors qu’il reculait légèrement mais suffisamment son siège.

 La porte s’ouvrit sur Sonia, si Ludovic ne se trompait pas.

– Ça rigole bien là-dedans.

– On ne s’ennuie pas, en effet.

– J’en conclus que tu n’as pas encore déjeuné.

– Non, mon hamburger est encore bien au chaud dans son emballage. Quoi ? demanda-t-il en voyant l’expression de Sonia.

– Rien, toi et tes hamburgers.

Ludovic pouffa gentiment.

– Je lui ai justement fait promettre de commander autre chose lundi, vous êtes témoin.

– Je commanderai pour lui, lança la comptable avec un clin d’œil.

– La confiance règne, remarqua Mathieu.

– Complètement. Tu me rejoins pour un café après ?

– Tu as des commérages à faire ?

– Des tas !

Ludovic sentit qu’il était temps de les laisser poursuivre leur journée. Il observa une dernière fois Mathieu. Mercredi prochain, pensa-t-il. Je lui donne mon numéro et je l’invite en toute discrétion, sauf si… la situation s’y prête avant.

– Je vais vous laisser à vos papotages alors, dit-il.

– Hé, je ne voudrais pas vous faire fuir.

– Ce n’est pas le cas mais il faut bien que j’y aille.

Il adressa un grand sourire à Mathieu.

– Je compte sur vous pour les légumes lundi donc ! sinon, vous aurez droit à un gage.

– Vendu !

– Bonne fin de journée, lança-t-il aux deux comptables alors qu’il passait la porte.

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