Je voulais qu’il m’embrasse.
Je ne sais pas vraiment pourquoi j’eus cette envie, étant donné que ça m’avait écœurée la première fois avec l’homme dans la voiture, et que ça m’avait fait de même avec Loïc. J’éprouvais ces baisers comme invasifs, à chaque fois, presque plus qu’une entrée dans mon sexe ou une possession du reste de mon corps.
Mais peut-être que Chris me plaisait plus que Loïc ou que, au fond, j’avais encore besoin de tendresse. Il était si près de moi, aussi… Sa cuisse collait la mienne, son corps était tourné vers le mien, et il avait observé la manière dont Loïc attisait mon sein dans une intimité qui n’avait rien de commun, pleine d’ambiguïté sexuelle. Loïc, lui, avait posé l’épaule contre le dossier du canapé dans une posture d’observateur.
Je levai les yeux sur ceux de Chris et le regardai avec envie.
Baise-moi, disais-je silencieusement.
Je voulais qu’il fourre sa main entre mes cuisses et qu’il s’empare de mon corps, et qu’ils me prennent à deux, avec Loïc. Deux anonymes, moi entre eux. Et rien d’autre que de la chair. Rien d’autre que de l’emprise.
Rien d’autre que du cul.
Le stress ne me lâchait pas pour autant ; je tâchais de passer outre.
Je murmurai à Chris :
– Embrasse-moi.
Chris hésita, clairement troublé, et je me demandai de nouveau ce que Loïc et lui avaient pu se dire quand ils avaient discuté, un peu plus tôt. S’ils avaient parlé de ce qui arriverait. S’ils l’avaient anticipé.
Je ne savais rien de ça.
Tout ce que je sus, ce fut la façon dont sa main se posa doucement sur mon cou, et celle dont je me sentis me tendre dans l’attente de ses lèvres, et le temps qu’il prit à m’observer. Puis la main de Loïc revint sur mon sein, et je me raidis tandis que Chris penchait son visage vers le mien. Puis il m’embrassa et ce fut bizarre parce que son baiser ne m’écœura pas du tout.
Ça me fit même peur parce que ce fut tendre, et que c’était la dernière chose à laquelle je m’étais attendue, et que je ne voulais pas, que ça me rappelait trop douloureusement tout ce que j’avais perdu, et tout ce qui me manquait, tout ce que j’avais laissé derrière moi. Mes échecs.
Mes pertes et mes abandons.
J’en fus comme fracturée, et le trouble que j’en éprouvai brusquement aurait pu me faire repousser Chris, mais Loïc pinça et fit rouler à ce moment-là mon mamelon, et ce geste agit comme un contrepoids bienvenu, me rappelant ce dans quoi on était. Ce sexe qui était l’objectif unique de ce rapport. Ce cul, pour lequel j’étais là. Je n’avais pas à avoir peur du baiser d’un inconnu, aussi tendre qu’il soit.
J’accueillis alors la langue qui vint au contact de la mienne avec une envie lancinante qui se mêla à une volonté de m’en détacher sentimentalement, me poussant à devenir plus entreprenante. Dans un élan, je passai la main sur la cuisse de Loïc et remontai jusqu’à la masse de son entrejambe. Son sexe raide, dur, gonflé, apparut sous ma paume. Mon cœur battait à toute vitesse parce que ça me restait plus que bizarre d’agir ainsi, même si ça peut sembler une suite normale de ce qui était en train de se produire entre nous. Ce n’était pas rien, en fait. Ce n’est pas rien de poser la main sur le sexe d’un homme tandis qu’on est en train d’embrasser un autre, mais c’était ce dont j’avais besoin, sur le coup. De revenir à quelque chose de cru. De purement charnel. Et ça me plut de percevoir ainsi son excitation. J’avais une consciente brute de mes actes, de ce que je montrais de moi en agissant ainsi, et j’eus envie de faire de même avec Chris, mais je manquais encore de témérité et me contentais de laisser ma main sur son genou.
A peine Chris eut-il lâché ma bouche que je tournai le visage vers Loïc. M’offrant à lui. Caressant sa verge dans le même temps. L’attisant, comme il avait attisé mon sein. Et l’incitant à prendre le relai. A prendre ce qu’il voulait de moi, aussi. Tout, s’il le pouvait.
Il m’embrassa, sa langue profondément enfoncée en moi, et je retrouvai ce qui m’écœurait en lui, et ce qui faisait qu’ils étaient si différents, avec Chris. Il n’embrassait pas juste : il défonçait ma bouche de sa langue. Et en même temps, c’était ce que je voulais de lui, ce que je retrouvais aussi quand il me touchait. Ce qui m’excitait : ce « trop », avec lui, ce « trop » que je voulais que me donne aussi Chris.
Loïc finit par défaire véritablement mon cache-cœur, et me l’enlever en le faisant passer par mes bras, un à un…
C’était tellement troublant de me plier ainsi à ces gestes, de me déshabiller sous leurs yeux. J’en avais le souffle court.
Et ce le fut plus encore quand je me retrouvai torse nu et que Chris m’embrassa de nouveau avec cette tendresse effrayante. Pourquoi ? Et qu’une main se mit à faire sauter les boutons de mon jean. Durant un instant, je ne sus même pas à qui elle appartenait, puis bien sûr je compris. Loïc. Je m’étais encore crispée, mais c’était surtout dû à la surprise que me faisaient éprouver ses gestes. Enfin, les lèvres de Chris se posèrent sur mon cou, et quand sa main empauma doucement mon sein tandis que les doigts de Loïc plongeaient dans ma culotte, je tremblai pour de bon, perdue entre leurs chaleurs duelles et le contraste de leurs manières de me toucher.
Je crois qu’après ça, je me laissai véritablement sombrer. Mon corps était hypersensible, mon entrejambe trempée, mon esprit perdu… parti à un endroit d’où je ne voulais surtout pas le voir revenir.
Loïc se mit soudainement debout pour déboutonner son jean et ôter prestement son t-shirt. Puis il se réinstalla sur le canapé, à demi allongé sur le dos, et sortit son sexe avant de me dire :
– Suce-moi.
J’observais sa queue dure, raide… tout comme l’avait été son ton. Son attitude était à l’exact opposé de celle de Chris : au-delà de la tendresse, au-delà de la douceur.
Je levai les yeux sur les siens.
Il me regardait comme s’il voulait voir comment je réagissais. Une façon de répondre à une interrogation, me concernant, ou peut-être de mettre en lumière ce que j’étais… de détromper son pote, des fois qu’il ait eu une autre impression de moi. Ce n’était pas clair mais je sentais la légère provocation, et le jugement latent qu’il y avait dedans.
Je ne m’en souciai pas.
Je songeai juste que me pencher sur sa verge serait tourner le dos à Chris. Lui montrer une image curieuse de moi-même, aussi, mais n’étais-je pas venue pour vivre ça ? Ce sexe, avec eux deux ?
Je regardai sa queue. Je la voulais dans ma bouche, c’était bizarre de le percevoir autant. Je réclamai juste une capote.
Loïc fit la grimace.
– Je n’aime pas, protesta-t-il.
– Je le sais.
J’ajoutai :
– Moi non plus, mais ce n’est pas la question.
Il soupira profondément et je pris sur moi pour ne pas plus m’en agacer. Je n’avais pas envie de me battre pour qu’on puisse se protéger correctement.
Je penchai le visage et effleurai son sexe de la langue, avec une envie contenue, mais n’allai pas plus loin, puis levai les yeux sur lui. Loïc savait ce à quoi je tenais à ce sujet. Il aurait dû y tenir aussi. Il avait méchamment besoin de plomb dans la tête et le fait que ce soit moi qui en ait conscience, alors que j’étais celle coincée entre eux deux, n’aurait pas dû me sembler bizarre.
Je me redressai pour m’asseoir sur mes mollets et tournai le visage vers Chris.
Il m’observait.
– Je peux t’enlever ton jean ? dit-il.
Il était mignon, avec ses questions. Loïc prenait, et lui demandait.
– Oui.
Je me rassis et haussai les reins pour l’aider. Il m’ôta mon jean, mes chaussettes… Il ne toucha pas à ma culotte. Mon soutien-gorge était déjà parti.
J’avais la tête en vrac, les idées à la dérive, les lèvres brulantes d’avoir été tant embrassées et le corps pulsant de désir.
– Tu as des capotes ? lança Loïc à son pote, alors qu’il enlevait son pantalon à son tour.
– Ouais.
Chris en sortit une série de trois du sien. Pas sûre qu’il y en ait besoin d’autant mais, visiblement, il avait été prévenant.
Il se déshabilla ensuite, avec un empressement et une excitation qui avait un quelque chose d’attendrissant, mais qui le fut moins quand il se pencha sur moi, me faisant chuter sur le dos. Visiblement, il n’était plus question de sucer Loïc. Plutôt d’être prise par lui, ou par Loïc, d’abord, je ne savais pas.
Parce que je n’oubliai pas la douleur que j’avais ressentie la fois précédente, quand Loïc m’avait pénétrée, je ne pus m’empêcher de stresser.
Les mains de Chris se posèrent sur ma peau avec fébrilité, et il attrapa des deux côtés ma culotte pour me la retirer. Il la fit glisser le long de mes jambes, libéra chacun de mes pieds puis la jeta au sol. Il m’attrapa ensuite les cuisses pour les écarter.
Je tremblai.
Chris m’avait beaucoup embrassée jusque-là, mais il ne le ferait probablement plus, maintenant. Du moins, était-ce ce que me laissait penser son attitude. Il ne regardait plus mon visage, en tout cas : seulement mon sexe.
J’étais crispée, pas super participatrice, et pour cause : j’étais vraiment très défoncée, mais ça ne semblait pas le déranger. Peut-être ne le voyait-il simplement pas.
J’observai sa verge quand il se redressa pour dérouler un préservatif dessus. Elle était légèrement plus grosse que celle de Loïc, ce qui ne me rassura pas des masses vu que, visiblement, les préliminaires n’étaient plus d’actualité. Que je devrais me contenter du peu qu’on avait eu, en tout cas, et ils ne m’avaient même pas pénétré de leurs doigts…
Loïc s’était levé et il se tenait debout, sa queue toujours tendue, nous observant. Je lui adressai un regard, du coup, et il dut y voir quelque chose parce qu’il fronça soudain les sourcils. Ma peur, probablement. Peut-être une demande d’aide. Je n’en étais pas vraiment consciente. Je ne le sais pas mais il dit à Chris :
— Fais attention, elle est serrée.
Chris ne répondit pas mais acquiesça.
Je n’éprouvai de la gratitude, même si mes craintes ne furent pas moins fortes.
Puis Loïc caressa doucement mon téton et, malgré mon stress, je me tendis et me rendis compte à quel point le moindre contact m’excitait.
La situation en entier m’excitait. Avoir Chris prêt à me pénétrer, Loïc spectateur, attendant de prendre son tour, ensuite… La peur ne me rendait pas moins fébrile, juste un peu trop crispée. Alors, je tâchai de me relaxer et, quand Chris m’ouvrit plus nettement les cuisses, les remontant, je pinçai juste ma lèvre inférieure en me préparant à son entrée.
Il finit par me pénétrer et, s’il le fit avec facilité, cette fois encore, la sensation fut perturbante. Pas tant à cause de la douleur, qui resta plus que modérée ; c’était plus comme si mon corps s’était réellement fermé, était devenu un temple aux portes infranchissables et qu’il y avait quelque chose de violent à le sentir ainsi enfoncées. Ou probablement était-ce juste moi, qui m’étais close ainsi. Moi qui avais bouclé trop de choses au fond de mon être, qui avais posé trop de verrous.
Je me retrouvai haletante, et je redressai pour poser la main sur le ventre de Chris, le poussant à rester immobile, un instant. Il le fit. Puis, avant que je puisse ne serait-ce que reprendre mes esprits, il me surprit en se penchant pour m’embrasser.
Je tombai en arrière.
Enfin, il commença à me baiser, mais ce fut parfait, parce que mon corps s’était relaxé et que le plaisir déjà présent. Chris alla et vint en moi, me tenant les cuisses, me possédant, et c’était comme une danse, un embrasement des sens où l’esprit n’avait plus vocation à être interrogé. Ses déhanchements était lourds, le poids son corps sur moi aussi, son souffle également… Tout m’emportait.
Il me pénétra longtemps comme ça puis, d’un coup, il se retira de mon corps.
Je peinai à rouvrir les yeux, le corps languide et la tête pleine de brume.
– Tu peux te retourner ? demanda-t-il dans un souffle rapide, témoignant de nouveau de cet empressement qui, associé à la douceur de son regard, avait un quelque chose de touchant.
Le sens de ses paroles peina à pénétrer mon cerveau. Puis je soufflai « oui », et regardai Loïc pendant une seconde.
Le voir nous observer en attendant son tour restait perturbant.
Je me mis en position, à quatre pattes, exposant mon cul à Chris.
– Non, comme ça.
Il me fit pivoter, de manière à ce que je sois face au dossier du canapé et lui debout derrière moi, me surprenant dans sa manière de me manipuler pour me positionner comme il le voulait.
Puis il me saisit les reins et me pénétra, avant de commencer à aller et venir en moi, mais avec une vigueur toute autre. Je dus m’appuyer de mes coudes au dossier du canapé, et pousser de toutes mes forces contre lui pour résister à ses à-coups. Ce fut nettement plus intense, du fait de sa position debout. Ou peut-être parce qu’il le voulait : me baiser plus vivement, désormais. Ses mains me tenaient fermement et ses va-et-vient créaient des vibrations dans tout mon corps, m’envoyaient des décharges de plaisir, me donnant même l’impression que j’allais jouir comme ça, que je pourrais jouir comme ça, et peut-être y serais-je parvenue si Chris n’atteignit pas l’orgasme avant.
Haletante, je le sentis se retirer, et fus proche de m’écrouler je n’avais pas su, et perçu à quel point je le désirais, que Loïc allait prendre sa suite.
Je le cherchai des yeux et remarquai, en tournant la tête, son sexe dressé, alors qu’il finissait de dérouler une capote dessus.
Puis ce regard hautain, toujours. Avec cet air de me juger. « Cette fois, c’est à mon tour de te baiser », semblait-il dire. Et je ressentis, avec une égale intensité, tout l’agacement et toute l’envie que cette attitude me faisait éprouver.
Lui ne me posa pas de questions, ne me demanda pas si j’étais OK pour qu’il me baise aussi, si j’étais capable de continuer ou quoi que ce soit qu’il aurait bien pu dire. Je n’attendais rien de sa part, de toute façon, sinon qu’il me pénètre à son tour et qu’il se comporte exactement comme il le faisait.
Ses mains se posèrent sur mes hanches. J’en frémis.
Quand il entra en moi, mon corps déjà ouvert le laissa entrer avec facilité. Je m’agrippai au canapé. Et je m’y agrippai plus vivement encore, car il y alla avec une force plus importante encore que celle de Chris. Je ne sus pas pourquoi. Connerie de la rivalité, peut-être, besoin de montrer qu’il pouvait me traiter plus rudement. Et il me baisa, dans le sens le plus pur du terme, prenant son plaisir en moi, et me martela tant que j’en eus du mal à soutenir ses à-coups, et que mes yeux s’humidifièrent, et que je me sentis sur le point de jouir, chacun de mes nerfs incendiés, à vif. Mais je n’atteignis pas ce point-là. Il me relâcha après avoir atteint son propre orgasme, qu’il draina en de longs coups de reins et un souffle lourd, qui me laissa tremblante, tout mon être pulsant, tandis qu’il s’écartait.
Cette fois, je tombai sur le canapé.
Mes yeux ne voyaient plus rien. J’étais le brouillard, le flou, la perte de repères complète.
J’essayai de faire le tri en moi : entre l’exaltation puissante de mon corps, l’imminence de l’extase qui y sinuait encore, et cette curieuse image qui m’était renvoyée, soudain, et dans laquelle je me voyais en train de me faire baiser par ces deux mecs. Aucun des deux n’avait cherché à me donner du plaisir. Ils avaient juste pris le leur.
Mais peut-être n’était-ce que ce que j’avais voulu, dans le fond.
Ce que j’avais attendu.
Là aussi, je ne le savais pas.