Fantasme ou désir
Assise dans le bus, alors que je roulais vers le travail, je repensais à la nuit qui s’était déroulée. J’avais croisé Ayme le matin avant de partir, et il ne m’avait pas posé de question sur ce qu’il s’était passé même si j’avais bien vu que ça lui brûlait les lèvres. On avait chacun notre café dans cette solitude inconfortable qui était notre quotidien.
J’avais filé avec un peu d’avance, du coup.
Bercée par les cahots, et du fond de mon spleen, je pensais à ce type, Loïc – moi, j’avais vraiment bien retenu son prénom – avec qui j’avais couché.
Est-ce que ça m’avait apporté quelque chose ?
Je me demandais.
Est-ce que c’était censé m’avoir apporté quoi que ce soit ?
J’avais éprouvé mon corps comme autre chose qu’un terrain de cendres, oui. J’avais vu que je pouvais encore ressentir de l’excitation. J’avais vu la complaisance que j’éprouvais à être baisée sur ce canapé défoncé, à ne pas avoir cette partie-là de moi qui était morte, au moins. À sentir encore de la vie couler dans ma chair oubliée. Quelque chose comme une claque. Qui m’avait secouée.
J’éprouvais le désir de retourner voir Loïc.
Le bus roulait et je rêvassais.
Je l’imaginais me prendre encore, sans me parler et avec cette indifférence dont il avait fait preuve, corps chaud à sa disposition dont il profitait parce qu’il se rendait disponible à lui. Je le voyais m’offrir à d’autres, me tenir contre lui tandis qu’un autre me prendrait, me maintenir les mains ou encore les cuisses ouvertes pour leur faciliter le passage…
Je peinais à distinguer ce qui était encore de mes fantasmes – de ce qui est ces « vrais » fantasmes : ceux que l’on laisse couler dans son esprit mais tout en sachant que jamais, jamais, on ne voudrait qu’ils se réalisent, que ce serait même pire qu’un cauchemar – et de ce qui était de mes envies. Il y avait une zone de flou, là-dedans, que je ne parvenais pas à éclaircir. Moi-même, je n’étais pas claire. J’aimerais pouvoir dire que l’on sait toujours plus ou moins ce que l’on veut, ou que quand on s’interroge suffisamment sur soi-même on y parvient, mais ce n’est pas vrai. Je n’y arrivais pas. J’avais juste des images, et des interrogations. De la souffrance, surtout.
Dans le fond, c’était bien ça : cette souffrance qui s’exprimait de manière bizarre, surprenante dans ce qu’elle faisait naître dans mon esprit.
Ce que je savais toutefois, et je le savais avec force, c’est que ces fantasmes — ou envies — prenaient une place de plus en plus importante chez moi. Et qu’on était en train de passer d’un monde de chimères à une réalité, et qu’elle était déjà là, cette réalité, après tout, puisque j’avais passé le cap avec ce mec. Puisque j’avais ouvert ma bouche et mes cuisses pour lui. Puisqu’il avait pénétré mon corps.
Et je savais que ça ne s’arrêterait pas là.
Sans en parler à personne, ni Ayme, bien sûr, qui n’avait plus de droits sur mon intimité, ni surtout à Violaine – qu’elle ne sache pas : elle m’avait téléphoné le lendemain pour me demander comment avait fini ma soirée, et je lui avais allègrement menti –, je décidais de reprendre contact avec Loïc.