Autrice : Valéry K. Baran.
Genres : Érotique, BDSM, hot.
Résumé : C’est indéniable, pour Claire : Mathieu la fascine, la trouble, éveille en elle des désirs ardents et des sentiments oubliés. Pourtant, Mathieu reste dur et elle n’est pas sûre de pouvoir le suivre, pas sûre de pouvoir lui offrir ce dont il a besoin, surtout avec l’arrivée de la Nuit Noire et la présence de plus en plus oppressante de la Maîtresse au-dessus d’eux. Claire parviendra-t-elle à se libérer, tant sexuellement que sentimentalement ? Et surtout : y trouvera-t-elle enfin l’épanouissement ?
Roman sorti en numérique aux éditions Harlequin, et bientôt en papier ici ! Vous pouvez lire toute la première partie de ce roman (20%). Profitez-en !
Première partie
Avachi sur le canapé, Mathieu observait Claire. Elle était celle qu’il entraînait dans ses déviances. Celle dont les parts d’ombre répondaient aux siennes.
Elle releva le visage, et il observa l’arc que décrivaient ses longs cils, son regard, vague sur les premières secondes, qui se réaffirmait progressivement, alors qu’elle sortait de ses pensées, la forme de sa bouche, tandis qu’elle refermait ses lèvres bombées… Tout le captivait et l’intriguait. Tout éveillait en lui le besoin, sombre, de la mettre à l’épreuve.
Elle but quelques gorgées dans la tasse qu’elle serrait de ses deux mains, puis la posa sur la table basse qui les séparait. Ses doigts fins calèrent une mèche de sa chevelure ébène derrière son oreille. Puis elle plongea les yeux dans les siens. L’affrontant. Témoignant de son acceptation de se plier à ses envies, mais pas seulement : il décelait quelque chose de plus, dans son regard. Une forme de confiance qui le perturbait, probablement parce qu’il ne l’imaginait pas autrement qu’éphémère.
Il répéta sa question :
– Comment tu te sens ?
– Ça va.
Olivier remua sur le canapé, attirant son attention. Il se tenait à ses côtés, soutien autant que maître de cérémonies : le fait que l’acte qui se préparait se déroule dans son appartement le désignait comme tels. L’affection qu’il commençait à ressentir pour Claire jouait aussi, Mathieu ne pouvait l’ignorer.
Quand Olivier se pencha en avant, prenant appui de ses coudes sur ses genoux pour se rapprocher de Claire, son regard se fit incisif.
– Tu n’as pas peur ?
– Si, répondit-elle sans hésiter.
Il y avait quelque chose de provocant dans la manière d’agir de Claire. Mathieu aimait ça : qu’elle soit capable de reconnaître sa crainte sans s’y appesantir, témoignant simplement de son existence. Rares étaient les personnes qui y parvenaient. L’envie de la soumettre se mit à le tenailler plus durement.
Il appuya la tête sur le dossier du canapé. Un instant, il observa les détails du salon d’Olivier. Il connaissait cet appartement par cœur. Avant même qu’Oliv’ ne s’y installe, ils avaient pris l’habitude d’y venir, tous deux, quand il n’était pas loué par les parents d’Olivier. Entre deux baux. Parfois même durant les vacances des locataires. Ils avaient fait tellement de conneries, dans leurs plus jeunes années, qu’il en oubliait. Mais ça, c’était avant qu’il rencontre le BDSM.
Il avait toujours été captivé par le luxe de cet appartement, parce que très éloigné de ce qu’il possédait lui-même.
Il reporta son attention sur Claire. Elle semblait s’être de nouveau laissé envahir par ses pensées, mais elle se reprit rapidement. Il appréciait sa contenance, sa façon de se tenir sur un fil, à mi-chemin entre deux gouffres, et en même temps d’y rester droite, fière. C’était ce qui lui donnait toujours le plus envie de l’éprouver. De la faire vaciller. L’idée de la pousser à user de ses safewords l’effleura. Il avait rejeté ce désir, depuis qu’il lui avait demandé d’en choisir, mais il revenait par intermittence, toujours aux moments les plus dangereux. Sans doute avait-il été trop sage, ces derniers temps. Il s’était tant refréné ; il avait besoin d’ouvrir les vannes, de se lâcher. Et ce n’était pas forcément une bonne chose. Du moins, pour ce qui allait se passer.
– Et malgré tout, ça ne te freine pas ? insista Olivier.
– Non.
Le calme de Claire donna envie de sourire à Mathieu.
Olivier, lui, s’adossa au canapé en soupirant.
– Tu aurais dû l’exercer avant, dit-il à son intention.
Mathieu haussa les épaules.
– Peut-être…
Olivier soupira de nouveau, profondément, mais n’insista pas.
Il comprenait son anxiété. Il avait rencontré Claire deux mois plus tôt, à une soirée SM où elle s’était pointée comme une fleur dans une forêt épineuse. Elle n’avait rien eu à faire là, il n’avait eu aucune raison de s’occuper d’elle, pourtant, ils avaient fini, lui, son sexe profondément enfoncé dans sa bouche, elle, attachée, à sa merci. Elle avait remis en cause la légèreté avec laquelle il vivait les rapports de domination. Elle avait transformé un jeu sans conséquence en une obsession.
– Vous vous êtes mis d’accord sur combien de coups ? demanda Olivier.
– Cinq.
« Mis d’accord » n’était pas tout à fait exact. Il avait énoncé le compte, Claire avait accepté, c’était tout. Elle avait accepté malgré ses doutes, il le savait. Elle avait accepté parce qu’elle avait décidé de lui faire confiance. À chaque instant, elle pourrait pourtant tout arrêter.
– Bien, commenta Olivier.
Mathieu en eut un bref sourire.
Olivier avait toujours été plus rigoureux que lui. La discipline qu’il observait avec sa soumise, Vanessa, en témoignait. Pour lui, pratiquer la flagellation avec Claire, alors qu’elle n’en avait eu qu’une unique expérience, et ce, deux mois auparavant, était une aberration. Certainement avait-il raison, mais Mathieu ne s’était pas embarrassé de scrupules avec elle, la première fois, alors pourquoi le ferait-il ce coup-ci ? S’il partageait avec Oliv’ la fascination de voir de belles lignes rouges strier une peau lisse, Vanessa était plus portée sur les châtiments corporels que sur le sexe, il était donc normal qu’il donne la primauté à ces pratiques. Claire était différente. Et Mathieu ne la considérait pas comme sa soumise. De soumise, il n’en avait jamais vraiment eu, d’ailleurs, ou du moins pas de soumise régulière, et n’en voulait pas. Claire était juste Claire… Celle qui avait renversé tout ce qu’il avait cru stable ou persistant dans sa vie, celle qui suscitait chez lui le besoin de la protéger et de la tester, de la mener à ses limites, de la voir les franchir et lui céder. Il était curieux de découvrir si elle y trouverait la même libération que lui, la même perte de soi, dans ses désirs les plus viscéraux, les plus profonds…
Il ferma les yeux, conscient des turpitudes de son esprit. Olivier, lui, était moins torturé par rapport à ça. Il éprouvait moins de besoins, aussi. Ils ne vivaient pas de la même manière la domination.
Nerveux, il se leva. Il avait été trop calme, ces derniers temps, trop dans la réserve.
– Cinq coups, lui rappela Olivier d’un ton ferme.
– Oui.
Ils en avaient parlé avant qu’il ne prenne une décision à ce sujet. Il préférait suivre ses impulsions ; planifier, programmer le gonflait, quel que soit le domaine concerné, mais plus encore lorsqu’il s’agissait de sa vie sexuelle – et la domination en faisait partie –, pourtant Oliv’ avait été catégorique. Non seulement la séance se passerait chez lui, mais il s’était assez pris d’affection pour Claire, pour vouloir la protéger. Même s’il ne l’avait pas exprimé verbalement, Mathieu l’avait compris. Il en était amusé et s’était plié à sa demande en conséquence.
– Elle y arrivera, dit-il. Et puis, elle connaît déjà la canne.
– Ce n’est pas le même objet, objecta Oliv’.
– Ce n’est pas si différent.
Sur le plan de l’intensité, du moins. Celui qu’il allait utiliser offrait d’autres possibilités.
Voir Olivier lever les yeux au ciel ne fut pas loin de le faire rire. Son pote ne laissait que rarement passer ses légèretés.
– Tu n’avais pas frappé pour la marquer.
– Exact.
Olivier avait raison : en ce sens, oui, c’était différent.
– En quoi est-ce que ça change ? demanda Claire.
Elle était restée assise dans le fauteuil en face d’eux et buvait lentement son thé. Son calme le captivait. Il avait pris le temps de lui expliquer avec quel instrument il allait procéder à ces marques, mais Olivier faisait naître de nouvelles interrogations avec ses interventions.
Il réfléchit avant de lui répondre :
– La première fois, combien de temps as-tu gardé des traces sur la peau ?
Il la vit chercher dans sa mémoire.
– Trois-quatre jours.
– Celles-ci dureront plus longtemps.
Le regard de Claire ne vacilla pas.
Il ajouta :
– Dans quatre jours, elles seront parfaites.
Du moins, c’était ce qu’il voulait : des lignes sombres, dénuées de boursouflures, juste tracées comme un coup de pinceau.
– En plus du fait qu’il y en aura moins, ajouta-t-il. La différence est dans l’intention. On peut décider de frôler, de marquer des percussions…
Il repensa à la manière dont elle était parvenue à l’orgasme, la première fois, avec la canne. Il eut envie de l’y conduire de nouveau, mais il savait que ce serait différent.
– On peut décider d’apposer de jolies marques, également.
Il sourit, provocateur, et se pencha vers la table basse pour saisir son café et en boire quelques gorgées. Claire serrait toujours les doigts sur sa tasse ; l’acuité de son regard témoignait de l’attention qu’elle portait sur eux.
Pas une fois, depuis sa décision de l’accompagner de nouveau au club, elle n’était revenue dessus, même s’il n’avait cessé de penser qu’elle se défilerait. Elle l’avait assez fait, auparavant. Il en avait été étonné. Il savait qu’elle n’était pas sûre d’elle, ou ne l’était pas encore assez. Mais qui l’était jamais vraiment, dans cette sexualité ?
Il contempla son expression, cette façon qu’elle avait de sembler s’introduire dans l’esprit de ceux qu’elle regardait.
– Vas-y doucement, le mit de nouveau en garde Oliv’.
– Je sais, dit-il.
Seulement, il n’en avait pas envie.
Il fixa la lanière de cuir qu’il avait posée plus loin, sur une desserte. Sa simple vision nourrit un peu plus le feu qui grandissait en lui. Il devait passer à l’acte.
– Tu es prête ? demanda-t-il brusquement à Claire, tout à ses pensées.
– Oui, répondit-elle sans hésiter.
– Tes safewords ?
Elle les répéta, stoïque.
Même si elle avait décidé de lui faire confiance, elle pourrait revenir sur cette décision. Elle aimait la manière dont il prenait possession de son corps, dont il usait d’elle, la rudesse de ses gestes… Il voyait clairement l’excitation qu’elle en retirait. Mais, si ce n’était la fessée qu’il lui avait donnée entre-temps, elle n’avait pas goûté à ses coups depuis sa séance au donjon.
– Je vais avoir mal ? demanda-t-elle soudain.
La question le surprit. Qu’attendait-elle donc, en la posant ? Elle connaissait déjà la réponse ; elle ne pouvait pas chercher une simple confirmation. Il la savait plus fine que ça.
Olivier fut plus transparent dans sa réaction.
– Oui…
S’il ne laissa pas passer un mot, Mathieu comprit l’interrogation de Claire. Elle l’observait pour voir dans ses yeux à quel point la douleur serait forte. Ceux d’Oliv’ s’étaient suffisamment plissés pour lui en donner une idée.
Il ajouta :
– Mathieu frappe fort.
Claire acquiesça. Ce n’était pas une révélation pour elle.
Mathieu éprouva la nécessité de prendre le pouvoir. Immédiatement.
– Finis ton thé, dit-il d’un ton sec.
Elle but ses dernières gorgées. Olivier le seconda aussitôt ; lorsqu’il s’adressa à elle, son attitude ne laissait plus place à la contradiction.
– Lève-toi !
Elle obéit. Oliv’ se leva à son tour.
– Enlève ta jupe et ta culotte.
Elle déboutonna peu à peu la première, mais, ce faisant, elle tourna le visage vers Mathieu, et il put voir, dans son regard, à quel point elle se battait contre elle-même pour s’en remettre ainsi à ses mains, à quel point elle était dans le doute encore, bien qu’elle ait décidé de passer outre. Le trouble qu’il éprouvait en fut majoré.
Oliv’ dut se rendre compte de son malaise, puisqu’il intervint.
– Mathieu ?
– Qu’est-ce que tu attends de cette séance, Claire ? demanda-t-il brusquement.
Elle lui adressa un regard étonné. Après quelques secondes, elle fit glisser sa jupe sur ses cuisses, avant de la retirer.
– De voir… De voir si je peux l’endurer. De voir si c’est vraiment ce que je veux. De voir si…
Elle marqua une pause, puis reprit :
–… Si ça va me faire le même effet que la première fois.
– C’est-à-dire ?
Les mots qui suivirent, elle sembla se les arracher.
– Si ça va m’exciter de nouveau.
Elle saisit les bords de sa culotte et la fit descendre lentement le long de ses cuisses, exposant son bassin dénudé.
– Développe ! exigea-t-il.
Elle inspira profondément. Elle prenait sur elle, il le voyait.
– Je ne suis pas encore revenue du fait d’avoir joui avec ça. Je me demande même si je n’ai pas rêvé, parfois, si ce n’est pas mon esprit qui a construit cette idée et…
– Tu ne jouiras pas juste avec cinq coups.
– Je le sais.
Elle suçota sa lèvre inférieure.
– Je ne peux toujours pas dire si c’est ce que je veux vraiment, reprit-elle.
– Mais la fessée, oui, remarqua-t-il.
– Oui, confirma-t-elle.
Elle avait aimé ça. Il le savait. Il la détailla un moment. Ses confidences lui donnaient envie de la rassurer en la serrant contre lui. D’envoyer balader les limites posées par Oliv’. De la pousser dans ses retranchements, de la voir basculer, puis de lui écarter les fesses et de s’enfoncer profondément en elle. De coller son front à son cou et de se ressourcer au contact de sa peau. Que de contradictions… Il ne savait pas toujours que faire des multiples sentiments que Claire suscitait en lui, sinon constater qu’elle le remuait.
Il adressa un regard à Olivier, qui semblait suivre leur échange avec beaucoup d’attention. Ils n’étaient pas encore entrés véritablement dans la séance.
Oliv’ remarqua :
– Ça t’avait donc excitée, la première fois.
– Oui.
– Et maintenant ?
Elle haussa une épaule, façon sans doute de chercher le point sur ce qu’elle éprouvait.
– Il y a une part de ça, souffla-t-elle.
Elle ajouta :
– Et d’innombrables parts d’autres choses.
Mathieu se doutait bien de ce que pouvaient être toutes ces « autres choses ».
Dans une impulsion, il franchit la maigre distance les séparant et lui saisit la nuque aussitôt qu’il fut contre elle. Il la sentit vaciller à son contact. Il s’empara de sa bouche, y épanchant le besoin qu’il avait d’elle en un baiser dévorant qui lui tourna la tête et le laissa pantelant, bien qu’il se garde de le montrer. Il n’était pas encore habitué à l’émoi qu’elle provoquait en lui. Quand il la relâcha, il la vit placer les mains dans son dos pour s’appuyer, étourdie, à l’arrière du fauteuil, et en eut un sourire amusé. Il se dirigea vers l’endroit où la lanière était posée et essaya de modérer le trouble qui était monté en lui et qui persistait à lui être étranger.
– Mathieu ? souffla-t-elle.
– Oui ?
Il saisit l’objet. Claire le fixait et il voyait presque les rouages de son esprit tourner : ce besoin qu’elle avait de comprendre, toujours, avant de se laisser aller. Fille curieuse qui le perturbait perpétuellement dans ses convictions.
La question ne tarda pas.
– Qu’est-ce que tu cherches dans la domination ?
Il entendit : « Pourquoi est-ce que tu veux me frapper ? »
Durant un temps de silence, il la fixa, conscient de se montrer peu avenant. Cependant, puisqu’elle se livrait, pourquoi ne pas le faire aussi ? Il n’y avait rien d’étonnant à ce que cette question survienne maintenant.
– L’accomplissement d’une pulsion, répondit-il.
La mise en œuvre de son anormalité.
Il évacua aussitôt la gêne qu’il éprouva à cette idée.
Il s’appuya d’une fesse à la desserte où s’était trouvée la lanière, peu avant. Oliv’ était resté devant la table du salon. Rêveusement, Mathieu caressa le cuir entre ses doigts, en éprouva le contact souple, conscient de ce que ça lui coûtait d’ouvrir à Claire les aspects les plus obscurs de son esprit.
– Il n’y a pas que le plaisir sexuel, reprit-il. Il n’y a pas que la douleur, même si l’envie de dominer, de contrôler, est toujours sexuelle, bien sûr.
Il prit un temps avant de préciser :
– Il y a la fascination que suscite la possession de l’autre.
Il plongea les yeux dans le regard de Claire.
– Il y a quelque chose à faire sortir, quelque chose de viscéral, ce qui ne veut pas dire que je perds de vue la limite : pas le moindre instant, elle ne me sort de l’esprit. Ça peut paraître bizarre, je le sais. C’est une pulsion extrêmement puissante, qui a besoin de s’exprimer, mais que je vis pourtant dans un calme absolu. Le contrôle est toujours là. Et puis…
Un sourire sombre, qu’il savait provocant, fleurit sur sa bouche.
–… Il y a aussi la notion de pouvoir. Il m’a fallu un moment pour assumer mes pulsions dominantes et sadiques. Le masochisme, contrairement à ce qu’on pourrait penser, est nettement plus aisé. Prendre du plaisir à souffrir, c’est quelque chose. En prendre à infliger de la douleur…
Il s’arrêta.
–… Mais tu savais déjà que je n’étais pas normal, asséna-t-il enfin.
Il n’attendait pas de réaction à cette déclaration. Le temps des confidences venait de se tarir et il en avait dit bien assez.
– Allez, mets-toi en position ! exigea-t-il.
Elle le fixa un moment, comme si elle cherchait à lire dans ses pensées. Puis elle suivit Oliv’ jusqu’à l’espace du salon situé sous l’anneau fixé dans le plafond. Elle leva les yeux.
– Enlève ton haut aussi.
Olivier lui adressa un regard chargé de reproches. Il n’y prêta pas attention, tout à l’observation de Claire, dont l’expression traduisait un désarroi qu’elle tâchait de contenir.
Il déclara alors :
– Il y aura un sixième coup.
Claire marqua une hésitation, comme si elle attendait de lui des explications, comme si elle se demandait si, cette fois encore, elle lui accorderait sa confiance sans poser davantage de questions. Il aurait dû lui donner plus d’informations. Il ne le fit pas. Ce n’était pas qu’il ne le voulait pas, seulement, mettre des mots dessus lui coûtait. Il exigeait trop d’elle en lui demandant de le suivre les yeux fermés, de lui donner ce « tout » qu’il attendait… Mais c’était justement ce qu’il voulait d’elle, à s’en vriller l’esprit : tout.
Elle ne le lâcha pas des yeux, tandis qu’elle faisait passer son débardeur au-dessus de sa tête, puis dégrafait son soutien-gorge. Il savait à quoi elle songeait : elle avait pris la décision d’aller au bout et s’y raccrochait avec force. Il laissa son regard courir sur son corps.
Olivier, de son côté, arborait une moue de désapprobation. Mathieu décida de ne pas s’en soucier. Oliv’ glissa la corde dans l’anneau le surplombant. Lorsqu’il fut sur le point d’y attacher les deux poignets de Claire, Mathieu l’interrompit.
Sa voix claqua.
– Non !
Il ajouta :
– Laisse-la s’y accrocher d’elle-même. Qu’elle s’y tienne et soit libre ainsi de la lâcher à tout instant.
Claire saisit alors les extrémités de la corde, les enroulant autour de ses paumes pour mieux s’y soutenir, les deux bras tendus au-dessus d’elle. Ils avaient discuté de toutes ces étapes et elle avait accepté chacune d’elles. Même s’il savait qu’elle appréciait le fait d’être attachée, il ne voulait pas de ça, cette fois-ci : il voulait qu’elle puisse lâcher la corde si elle en avait besoin.
Il se concentra sur la lanière qui reposait dans ses mains. Le temps qu’il s’exerce à la mouvoir, Claire avait fermé les yeux. Elle paraissait d’un calme rare. Son corps pâle, dénué de toute trace, s’étendait dans son entière nudité.
Il s’approcha d’elle et repoussa les longs cheveux ébène qui retombaient sur ses épaules, dévoilant son cou. L’attrait de sa chair le saisit aussitôt, lui faisant fermer les paupières. Il posa le front contre elle et, doucement, murmura :
– Dis-moi si tu es prête.
– Je le suis.
Il retint son envie de lui baiser le cou et recula. Durant quelques secondes, il contempla cette chair vierge qui lui faisait face, ce livre aux pages blanches s’offrant à lui pour qu’il y inscrive les lignes de sa volonté.
Alors, il annonça d’une voix calme… si calme, si maîtrisée :
– Tes fesses.
La lanière de cuir fendit l’air, puis claqua sur la chair, faisant trembler Claire qui gémit presque en simultané. Elle s’accrocha aux cordes comme s’il s’agissait là du seul élément qui l’empêchait de sombrer. Le bruit de sa respiration rapide emplit la pièce, chargée des doutes qu’il pouvait entendre dans la moindre de ses expirations hachées.
– Tes cuisses.
Il les marqua d’une ligne rouge, puis en dessina une deuxième, parfaitement parallèle, assez bas pour laisser entre les deux une bande de chair intouchée. Il fut retourné en voyant Claire aller presque à la rencontre de la lanière, bien qu’elle ne semble pas s’en rendre compte… Elle avait des réactions si ambiguës, parfois. Sa manière de paraître à la fois se défiler devant ses coups et se tordre pour venir à leur rencontre le décontenançait, tout en l’excitant profondément.
Ça faisait trois coups.
Il la contourna.
Elle avait enfoui le visage dans le creux de son coude à demi plié et respirait avec force. Son corps nu, exposé à sa vue, ses paupières fermées, ses cheveux épars, collés en partie à ses joues qui commençaient à s’humidifier, ses lèvres entrouvertes… Elle était belle dans le don, fascinante dans l’offrande sans réserve de sa confiance, bouleversante dans l’émoi qu’elle manifestait.
– Tes cuisses. Devant, maintenant.
S’il la vit se raidir, il ne retint pas son geste et frappa la zone annoncée, la marquant à son tour, la faisant sienne, peignant une nouvelle ligne sur sa chair, sur le corps qu’il voulait modeler, l’âme dans laquelle il voulait se perdre, où, peut-être, il se perdait déjà. Il n’avait pas besoin de savoir. Son cœur battait lentement, mais puissamment, et sa tête était pleine de l’acte qui s’effectuait, pleine de Claire, pleine d’eux. Il dessina une seconde marque sur l’avant de ses cuisses.
Claire se tordit, geignit, paraissant de plus en plus fragile, ses réserves balayées, toute velléité de se protéger rendue caduque par la force de ce qui se produisait.
Il savait, à ses lèvres serrées et à ses yeux humides, qu’elle se retenait de toutes ses forces de prononcer ses safewords, qu’elle allait puiser au fond d’elle des ressources auxquelles elle n’avait pas l’habitude de faire appel… Il voyait à quel point elle s’offrait. Il lui caressa la joue. Elle s’y pressa instantanément, cherchant le réconfort de la main qui, pourtant, était la raison du bouleversement qu’elle éprouvait.
Il ne restait qu’un coup.
Il regarda ses seins : cette zone si riche en vaisseaux sanguins qui garderait la marque la plus nette, la plus visible… Celle qu’il était recommandé d’éviter de toucher, en temps normal, parce que plus fragile que la chair souple des fesses ou des cuisses. La plus innervée.
Il connaissait les risques. Il avait choisi volontairement un outil souple et savait qu’il était capable de gérer. Il serra fortement la lanière, obnubilé par l’endroit qu’il visait. Il ignorait comment réagirait la peau de Claire : si les marques resteraient aussi longtemps qu’il l’estimait, s’il ne s’était pas trompé en prévoyant le délai les séparant de la prochaine nuit au club, cette Nuit Noire dédiée au fétichisme, dont ils attendaient la venue.
La lanière partit comme d’elle-même, toucha juste à l’endroit qu’il avait choisi, claqua, revint. Sur le coup, Claire ne cria même pas. Elle ouvrit juste des yeux humides, des yeux surpris, et les referma ensuite pour drainer la douleur, l’accepter et la laisser la traverser… avant qu’elle ne parte, ne s’évanouisse et ne laisse plus que le souvenir de ce qu’ils avaient vécu. Les marques.
– Oliv’…
Sa propre voix lui parut extérieure, lointaine, comme si elle ne lui appartenait plus.
– Tu peux nous laisser ?
Olivier hocha peut-être la tête ou dit « oui ». Il ne le vit pas. Seule Claire captait son attention.
La porte de l’appartement claqua, résonnant dans le silence. Claire respirait fortement. Il contempla son travail, ces longues lignes rouges qui, sur sa peau, le fascinaient. Il la contourna pour voir celles qu’il lui avait faites sur les fesses et l’arrière des cuisses. Alors, il jeta la lanière et, doucement, posa les mains sur les hanches de Claire. Le contact de sa peau l’électrisa. Cette fois, il ne résista pas à lui embrasser le cou : cette chair, là, si accessible, dans laquelle il crevait du besoin de se verser…