Quitte ou double (3)

Chapitre 3

La fraîcheur matinale et les premiers rayons de soleil ont raison de son envie de traîner au lit. Matthias remarque la place vide à ses côtés et se blottit davantage dans les bras qui l’enlacent. Le corps derrière lui réagit en resserrant son étreinte et il entend un bâillement qui se termine en grognement. Toni n’a jamais été du matin, quand bien même il a eu son compte de sommeil. Matthias retient sa moquerie et se tourne pour lui faire face sans se déloger de son embrassement. Il glisse une jambe entre ses cuisses et le bras autour de sa taille. Alors que Matthias s’apprête à parler, son ami le fait taire en lui collant le front contre son torse. Docile, il reste ainsi de longues minutes, avant de commencer à paniquer. Seuls dans le lit de Justin, les draps encore souillés de leurs ébats nocturnes — même s’ils ne se sont pas réveillés pour recommencer —, leur nudité ranime d’autres désirs à mesure que les images de la nuit lui reviennent en mémoire.

— Toni ?

— Tout va bien, rendors-toi, répond son ami à son ton affolé.

Il est bien tenté de le croire : il ne s’est jamais senti autant en confiance que dans les bras de Toni. Que ce soit quand il l’enlaçait pour le rattraper d’une chute, chaque fois qu’il essayait de tenir sur des patins, ou quand il le consolait après ses ruptures et autres disputes avec Justin. Pourtant, il a besoin d’éclaircir ce qu’il s’est passé. Surtout maintenant que les doigts de son ami frôlent la peau de son dos en des arabesques auxquelles son corps répond de manière obscène.

— Pourquoi Justin t’a demandé à toi ? Pourquoi tu as accepté ?

— Il ne revient que vers midi, on a le temps d’en parler, repose-toi, soupire Toni.

— Dors si tu veux, je me lève, décrète Matthias en se libérant de l’étreinte.

Il est surpris du froid qui l’agresse quand il pose les pieds au sol et lutte contre l’envie de retourner au creux de l’enveloppe chaude qu’était le corps de son ami. Toni s’étire bruyamment et se redresse sur un coude :

— D’accord, commence-t-il. Justin en a marre de vos jeux et est persuadé que tu craques pour moi. C’est son pari : quitte ou double. Soit tu te contentes de lui, soit tu romps et on finit tous les deux.

— Quoi ? Mais il n’a jamais…

— Et moi, le coupe Toni, si j’ai accepté sa proposition, c’est parce que j’y ai vu une bonne opportunité.

Matthias en perd la voix et se borne à afficher un air offusqué. Toni doit le trouver amusant puisqu’il ricane avant de reprendre :

— Ne le prends pas mal, mais Justin n’a jamais caché qu’il trouvait notre relation ambiguë, non ?

— C’est vrai, admet Matthias. La première fois que je l’ai abordé, il a cru qu’on était en couple et que je lui proposais un plan à trois.

Le souvenir lui provoque un sourire, mais l’écho entre cette rencontre et leur situation actuelle crée une sorte de malaise. C’est comme si, toutes ces années, Justin était resté sur cette impression.

— J’avoue, reprend Toni, que je me suis toujours demandé ce que ça donnerait nous deux si on dépassait le stade amical. Pas toi ?

— Je…

— Ne nie pas, le coupe à nouveau Toni, avant d’ajouter : pas après ta réaction d’hier.

— L’idée m’a déjà effleuré l’esprit, est obligé de concéder Matthias.

D’ailleurs, il a du mal à soutenir le regard de son ami pendant qu’il se confesse et lui est reconnaissant de leur épargner cette épreuve en se remettant sur le dos pour observer le vide. Ainsi, il peut détailler Toni à loisir sans avoir la crainte du jugement :

— J’ai eu un tas de fantasmes sur toi et c’était encore mieux en vrai, mais si Justin ne s’en était pas mêlé, je n’aurais jamais fait quoi que ce soit qui puisse gâcher ce qu’on a. Est-ce que, ajoute Matthias, en hésitant, quand il le voit se raidir, notre amitié ne te suffit plus ?

— Bien sûr que si, le rassure Toni, le troublant davantage.

Perplexe, Matthias attrape la bouteille d’eau ramenée pendant la nuit et en boit quelques gorgées, appréciant que la sensation pâteuse du réveil quitte sa bouche. Il remonte dans le lit et ramène le drap sur lui. La question qui lui brûle les lèvres l’effraie et il espère un signe de Toni qui lui éviterait de la poser. Toutefois, ce dernier laisse le silence s’étirer, les yeux rivés au plafond. Matthias prend une longue inspiration pour rassembler son courage :

— Je dois choisir entre toi et Justin ?

— Nous deux, ça serait du tonnerre, argumente Toni sans se détourner du point imaginaire qu’il fixe depuis tout à l’heure. On se connaît par cœur. Je n’envisage pas de gâcher quoi que ce soit, sans compter que tout le monde nous prend déjà pour un couple. Et puis, on a démontré hier que le sexe est génial.

Matthias ne sait plus ce qu’il doit dire. Il ne peut rien réfuter, sans pour autant oser accepter l’évidence. Doucement, il sent poindre de la colère : Toni est injuste de lui laisser porter la responsabilité de ce choix, surtout quand il semble si soudain et définitif.

— Tu exagères ! s’emporte-t-il. Hier, je me retrouve devant le fait accompli et là, tu me balances presque un ultimatum. C’est facile pour toi…

— J’ai rencontré quelqu’un, l’interrompt Toni en daignant enfin le regarder.

Le moins que Matthias puisse dire, c’est qu’il est soufflé. Toute cette comédie commence à ressembler à une farce. Il n’est plus sûr d’en comprendre l’enjeu, toutefois. S’il accepte la proposition de Toni, il blesse Justin et perd en quelque sorte son meilleur ami. Mais s’il refuse, il doute de pouvoir continuer à fréquenter Toni aussi régulièrement sans avoir l’impression de trahir à la fois son petit-ami et celui, potentiel, de son ami. Il déglutit et tente de paraître nonchalant :

— Comment il s’appelle  ?

— Nicolas. Il travaille dans l’une des succursales de ma boîte. On est sur le même projet depuis plusieurs mois et l’attirance est mutuelle. Je crois que je lui ai envoyé des signaux plus que confus parce qu’au début, je ne me gênais pas pour flirter. Et puis, Justin m’a appelé pour m’expliquer ce qu’il avait prévu. Il a dit vrai, tu sais : j’ai accepté sans hésiter. Après coup, j’ai réalisé que je ne pouvais pas continuer sur la même lancée avec Nicolas si je finissais avec toi. Je l’ai un peu évité depuis.

Les informations sont difficiles à digérer en quelques secondes alors qu’il s’agit d’une décision qui va affecter leurs vies. D’autant plus que Toni ne lui a pas donné un avis tranché sur la question.

— Au final, ça veut dire quoi ?

— Que nous deux, c’est naturel. Sans effort. Notre couple serait peut-être un cliché ambulant, mais il marcherait. Ceci dit, si tu aimes toujours Justin, il mérite une vraie chance. Lui et moi, on ne s’entendra jamais si bien que ça, mais je comprends mieux son attitude. Si cette idée lui trotte dans la tête depuis votre rencontre, je pense qu’il a intériorisé beaucoup de choses à ton égard. Et j’ai Nicolas qui devrait se remettre du chaud et froid que je lui ai soufflé ces dernières semaines. Il habite loin, ne te connaît pas encore. Ce sera plus facile de construire quelque chose avec lui sans l’ombre de notre amitié.

Matthias trouve un intérêt soudain à la contemplation du plafond et il comprend mieux, lui aussi, le comportement de Toni. Ce dernier attend sa décision, mais ne le presse pas ; il lui laisse le temps d’y réfléchir. Il pourrait encore se plaindre de la lâcheté de son ami, cependant il se rend compte que celui-ci ne veut pas lui arracher un accord. Leurs options sont exposées et Toni est prêt à suivre Matthias quelle que soit celle qu’il préfère.

— Et si ça ne marche pas ? le relance Matthias.

— C’est plus risqué pour moi que pour toi. Justin m’a l’air bien décidé à te garder si tu restes.

— On va se voir beaucoup moins.

Ce constat fait réaliser à Matthias que son choix est fait. Toni et lui se sont toujours aimés et il serait aisé de tomber amoureux. Pourtant, Justin a aussi une place particulière dans son cœur et, malgré les crises qu’ils ont traversées, Matthias n’est pas prêt à tourner cette page de sa vie.

— Ça demandera une période d’ajustement, lui répond Toni. Justin finira par nous faire confiance. Surtout si je ne joue plus l’éternel meilleur ami célibataire. Quant à Nicolas, il ne saura rien de cette nuit et je ne te le présenterai que si c’est vraiment sérieux.

— Tu sais ce qui craint ?

— D’avoir un plan de secours en cas de rupture ? ironise Toni.

— Ouais, ça aussi. En fait, la seule chose à laquelle je pense, c’est que j’ai loupé l’occasion de goûter à tes talents en matière de fellation. Justin avait l’air aux anges.

L’éclat de rire à ses côtés l’étonne puis le rassure : leur relation est trop solide pour s’entacher de gêne après cet écart. Sa surprise ne s’arrête toutefois pas là puisque Toni soulève le drap pour venir s’agenouiller entre ses cuisses. Matthias l’interroge du regard et sursaute quand les doigts de son ami s’enroulent autour de son sexe. Son érection matinale, fanée depuis un moment, reprend de la vigueur. Un rapide baiser est déposé sur ses lèvres.

— Sans regret, tu n’auras aucune excuse pour foirer les choses avec Justin.

La réponse de Matthias s’étouffe dans un gémissement quand la langue de Toni s’attaque à son aine. Ce dernier navigue d’ailleurs longuement de son pubis à ses testicules en ignorant la verge qui réclame son attention. Matthias tâche de le convaincre en glissant les doigts dans ses mèches brunes et l’encourage d’une pression dès qu’il le sent frôler son gland. Il finit par se cogner l’arrière du crâne dans le mur devant l’entêtement de son ami à nier son désir.

Un soupir stupéfait lui échappe quand les lèvres se referment enfin sur son membre et coulissent en douceur jusqu’à sa base. La tête monte et descend à un rythme lent entre ses cuisses. Toni lui offre un souvenir d’une incroyable douceur. Matthias se noie dans ces sensations et baisse le regard sur Toni pour graver le moindre détail dans sa mémoire. La combinaison de ces stimulations le met en sueur. Il écarte davantage les jambes et se crispe sous l’affluence du plaisir. Soulagé, Matthias laisse échapper ce qui ressemble à un sanglot lorsque l’orgasme le terrasse enfin, plus puissant que ceux qu’il a connus suite à d’autres fellations. Son sperme gicle contre le palais et la langue de Toni, trace amère de leur secret matinal.

Il s’est douché, les draps sont changés et le repas a refroidi. Matthias vérifie la pendule pour constater que Justin a près de deux heures de retard. Comme il est chez son petit-ami, il se doute bien qu’il a juste à patienter pour le voir revenir, mais l’attente se fait longue. Surtout que Toni est parti en avance pour ne pas risquer de le croiser. Leur séparation n’a pas été différente de leur habitude : ils se sont promis de se revoir bientôt, même s’ils savent que plusieurs mois vont s’écouler avant de pouvoir tenir parole. Durant ce laps de temps, ils se contenteront de communiquer par technologies interposées.

La porte s’ouvre enfin et Matthias se tourne vers l’entrée. C’est bref, mais Justin se détend soudain en le voyant : ses épaules retombent légèrement et ses paupières se ferment une seconde de trop tandis qu’il laisse échapper un soupir de soulagement. Ce constat serre un peu le cœur à Matthias ; il n’imaginait pas combien il avait causé de souci à son petit-ami. Justin est le deuxième homme de sa vie et Matthias est déterminé à faire en sorte que leur relation fonctionne cette fois. Il se lève et se dirige vers la cuisine :

— Tu as faim ? J’ai préparé des pâtes, je peux te les faire réchauffer ou…

Deux bras qui l’enlacent par derrière lui coupent le souffle.

— J’ai envie de toi, murmure Justin d’une voix tremblante.

Matthias lui saisit les mains pour lui faire desserrer sa prise et se retourne pour l’embrasser. Le geste de réconfort qu’il veut tendre devient presque rageur alors que Justin le pousse et tente de le faire basculer sur le canapé, sans y parvenir.

— Attends, on va au lit, lui propose Matthias.

Puis, voyant le regard hésitant que jette Justin vers la chambre, il ajoute :

— J’ai changé les draps.

À ces mots, les réticences de Justin semblent s’apaiser et il se laisse entraîner puis déshabiller avant de s’étendre en travers du matelas. Après leur soirée et sa séance matinale, Matthias craint de ne pas pouvoir achever ce qu’il entreprend, cependant il tient à faire plaisir à son compagnon. D’autant que le voir si fragile, lui qui respire habituellement l’assurance, est assez perturbant — et touchant, il se doit de l’admettre. Matthias a l’impression de découvrir une nouvelle facette de son petit-ami, bien loin de l’aplomb insolent dont il faisait preuve la veille. Cela lui donne envie de le réconforter et il se demande depuis quand Justin peut bien masquer ses véritables sentiments. Malgré une pulsion protectrice, Matthias ne veut pas lui faire de promesses vaines. Déjà, ils doivent repartir sur des bases saines. À son tour, il ôte ses vêtements et s’allonge tout contre le corps offert, le recouvrant en partie. De ses mains, il prodigue des caresses qu’il espère apaisantes pour calmer l’affolement du rythme cardiaque qu’il sent sous ses lèvres quand il embrasse le cou de Justin. Celui-ci est crispé. Sa respiration est hachée, comme s’il se retenait de l’étreindre à l’en étouffer. Ou de pleurer. Matthias pose un doigt sur sa mâchoire et le force à le regarder. Les cernes et les yeux rouges lui confirment que son petit-ami est épuisé.

— Est-ce que tu as dormi ?

— À ton avis ?

Au regard fuyant de Justin, Matthias comprend ce qu’entendait Toni quand il lui a dit que son petit-ami méritait une vraie chance. Celui-ci lui a donné une opportunité de le quitter, d’en choisir un autre que lui et s’est rendu malade à l’idée de rentrer dans un appartement vide. Certes, il s’en est fallu de peu pour que ce soit le cas et Justin doit en être conscient. Le risque est qu’il se montre hostile envers Toni, ou qu’il cède à tous les caprices de Matthias de peur de le pousser dans les bras de son prétendu rival. Or, Matthias veut éviter cette attitude à tout prix. Il a quelques remords à l’idée de mentir à Justin, mais il doit calmer ses craintes pour que sa relation avec Toni ne soit plus considérée comme une épée de Damoclès.

— Toni et moi, on se connaît depuis des années et je sais que notre complicité peut paraître ambiguë. Mais, entre nous, il n’y a jamais eu le moindre malentendu. On est de très bons amis, mais ça ne dépasse pas ce stade. Je n’avais jamais eu envie de coucher avec lui et je n’ai pas l’intention de recommencer.

— C’est ce qu’il a dit aussi.

Matthias devine à la façon amère dont Justin s’exprime qu’il n’est pas si naïf. Si Matthias ou Toni n’avaient jamais eu de désir latent, l’un d’entre eux aurait refusé cette soirée. Et ils n’y auraient certainement pas pris autant de plaisir. Justin a bien vu leurs réactions et Matthias sait qu’il n’est pas dupe. Cependant, Matthias fait mine de rien et reprend ses caresses pour distraire Justin. Ce dernier encourage ses attouchements en posant une main sur la sienne, la forçant à descendre plus bas. Là où son petit-ami est impatient, lui préférerait prendre son temps et le persuader de sa sincérité.

— Dépêche-toi, Matt, je veux te sentir en moi.

— On n’est pas pressés. Tu peux te reposer. Je reste là.

Les mots rassurants n’ont aucun effet : Justin ne l’entend pas de cette oreille et écarte les jambes, se collant de son mieux contre lui. Matthias finit par céder, se plaçant plus confortablement entre ses cuisses. Néanmoins, il n’a pas le lubrifiant à portée de main et son érection est bien trop timide pour lui permettre de pénétrer son petit-ami, aussi se contente-t-il de simuler l’acte, faisant frotter, l’un contre l’autre, leurs sexes en un rythme brutal. Sous les coups de reins secs et rapides, Justin semble satisfait et se jette sur sa bouche. Au bout de plusieurs minutes, le baiser se fait moins violent, tout comme les déhanchements de Matthias. Leurs corps moites s’apaisent, même si la jouissance leur restera interdite pour l’heure, et c’est haletant que Justin pose ses conditions :

— Il n’y a pas qu’Antonin. C’est devenu trop difficile et je ne peux plus faire semblant de m’en moquer quand je te vois avec un autre homme, Matt.

— J’ai compris le message, ne t’en fais pas. Finis les plans foireux, je m’en tiens à toi.

Il n’ajoute pas que Justin aurait dû lui en parler plus tôt, parce qu’il n’est pas évident que sa réponse aurait été la même avant leur aventure de la veille ou sa discussion avec Toni de ce matin. Ils roulent l’un contre l’autre, Justin cherchant le contact de sa peau. Malgré la chaleur qui irradie de leurs corps, Matthias rabat la couette sur eux et se colle un peu plus contre Justin. Les yeux mi-clos, il joue avec les boucles blondes et sent leurs respirations ralentir, tous deux plongeant lentement vers le sommeil. Un reniflement amusé lui fait hausser les sourcils.

— Je déteste cet appartement, avoue soudain Justin.

La remarque peut sembler innocente, mais Matthias comprend que c’était vraiment un moyen qu’avait trouvé Justin pour le tenir éloigné de chez lui. Il se contente de répondre d’un simple « Moi aussi ».

Ils échangent un regard complice et Matthias voit le coin de la bouche de son petit-ami se relever en un demi-sourire, faisant poindre cette fossette taquine qu’il affectionne tant. Malgré des semaines à venir qui risquent d’être compliquées, Matthias est confiant. Certes, des ajustements sont à faire et il sait qu’ils ne seront pas à l’abri de disputes teintées de ressentiment. Toutefois, quand Justin dépose un baiser léger sur son torse et repose la tête sur son épaule, Matthias resserre son étreinte dans un réflexe protecteur. Sentir le poids familier contre son corps est plaisant et il réalise qu’il s’en est fallu de peu pour qu’il perde Justin. Savoir Toni disponible pour le consoler n’est pas si rassurant au final. À chaque souffle de Justin sur sa peau, Matthias est conforté dans son choix. Le nez plongé dans les boucles blondes, il finit par s’endormir à son tour.

Quitte ou double (2)

Chapitre 2

Un bruit de plastique crépite non loin de son oreille, mais il n’en comprend la nature qu’un instant après. Le poids de Justin sur lui se décale légèrement et Matthias sursaute à la sensation froide qui enveloppe soudain son sexe bandé. Malgré tout, la lingette que son petit-ami utilise pour le nettoyer ne suffit pas à calmer ses ardeurs. Son orgasme n’a en rien soulagé sa tension à ce niveau ; le lent mouvement de bassin de Justin lui fait prendre conscience qu’il est déjà fin prêt à recommencer. Il écarte les cuisses pour permettre à Justin de se caler entre elles, mais il obtient l’effet inverse. La main sur son sexe le relâche, le corps se soulève et Matthias gémit sa frustration. Toutefois, il n’a pas le temps de geindre davantage : Justin joue de sa langue et de ses lèvres pour suçoter son gland. Alors, Matthias lève les bras au-dessus de sa tête et soupire d’aise, se cambrant pour inciter son petit-ami à le satisfaire sans le taquiner davantage. À nouveau, il est déçu et se redresse vivement sur ses coudes pour exprimer sa façon de penser à son bourreau. Ses arguments — sa colère, même — meurent au bord de ses lèvres quand il manque de percuter la tête de Toni. Soudain, Matthias ne ressent plus l’urgence entre ses jambes. Le contact de l’épaule de son ami contre la sienne et la main que ce dernier vient de poser sur sa hanche laissent entrevoir une perspective autrement plus palpitante. Cette proximité inédite l’étourdit autant qu’elle l’embarrasse.

— Tourne-toi.

Le son rauque l’enveloppe et il n’est pas certain de savoir qui lui a donné l’ordre. En revanche, son corps ne semble pas disposé à obéir : il se trouve bien où il est. Du bout des lèvres, Matthias découvre le cou de Toni. Sa clavicule. Sa pomme d’Adam. Quand il arrive à son menton, il ne se contente plus de chastes baisers : il lèche sa peau et trépigne à l’idée de sa langue contre la sienne. Une sorte de grognement et les doigts qui tirent sur son bassin le font sortir de sa transe.

— Mets-toi sur le côté.

C’est donc la voix de Toni qui prend des accents aussi graves. À contrecœur, Matthias s’exécute. L’espace d’un instant, il panique quand son ami descend du lit, mais Justin lui lance un petit regard moqueur avant de reprendre sa tâche précédente. Matthias ne peut que gémir en signe d’approbation maintenant que son petit-ami se fait pardonner son attitude de la plus délicieuse des manières. Lorsque les doigts lubrifiés de Toni viennent caresser son orifice, il hoquette de surprise. Plaçant un bras sous sa tête pour être bien installé, il se fait quasiment dorloter par les deux autres hommes. Justin le suce avec un plaisir évident tandis que Toni s’applique à détendre son muscle anal. Au vu de son excitation du moment, il doute que son ami ait fort à faire ; il est même tenté de l’inviter à le prendre sur l’instant. Toutefois, Matthias trouve agréable de les observer. C’en est apaisant et cela va peut-être lui permettre de tenir plus longtemps. Sa sérénité est rompue quand son regard accroche celui de Toni. Il n’est pas nécessaire de le connaître pour y lire de la pure concupiscence. Matthias l’a déjà vu draguer, quasiment faire l’amour sur une piste de danse ou même ressortir des toilettes d’un bar après avoir tiré un coup ; jamais, pourtant, il n’a vu cette intensité dans son regard. Savoir qu’il est celui — avec Justin ? — qui provoque cette réaction le rend fébrile. Une vague de chaleur le submerge et il sent ses testicules se durcir. Toute stimulation supplémentaire est à bannir s’il ne veut pas jouir dans la seconde.

— Vas-y, souffle-t-il à Toni, tout en tirant en arrière la tête de Justin.

Le premier ne se fait pas prier, ôte les doigts de son corps et prend appui sur sa fesse pour avancer son membre couvert à l’entrée de son orifice. Quant à Justin, il saisit son genou pour lui lever la jambe et embrasser l’intérieur de ses cuisses. À cet instant, Matthias ne peut se focaliser que sur le sexe qui le pénètre et la langue qui chatouille son aine. Quand Toni est entièrement en lui, Justin revient lécher la pointe de sa verge. Et lorsque celui-ci fait glisser ses lèvres pour l’avaler sur toute sa longueur, l’autre se recule de quelques centimètres pour revenir taper de son bassin contre ses fesses une poignée de secondes après. Les sensations sont trop extrêmes pour lui et le rythme a tout juste le temps d’accélérer que Matthias perçoit l’orgasme sourdre en lui. Demander à ses amants de ralentir pour qu’il puisse se retenir devient impossible et ses émotions débordent. Un coup de reins un peu plus prononcé et un de langue sur son gland trop sensibilisé et Matthias étouffe un sanglot en jouissant. Les mouvements en lui, sans se stopper, ralentissent et, malgré ses yeux humides, il constate que Justin s’essuie le visage de sa semence. La panique envahit alors Matthias. Pouvoir passer de l’extase à la catastrophe en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire est étonnant, mais il fixe tour à tour ses ami et petit-ami, cherchant à deviner ce qu’ils pensent de lui.

— Désolé… Désolé, Justin, je…, bégaie-t-il avant de tourner ses excuses vers Toni. Je tiens plus longtemps normalement. Je sais pas pourquoi aujourd’hui…

Ses propos incohérents sont interrompus par une morsure sur son mamelon. La douleur est brève, mais elle a le mérite de lui faire oublier momentanément ses craintes. Celle d’avoir agacé Justin qui n’apprécie en aucun cas les éjaculations faciales. Celle de paraître ridicule auprès de Toni à cause de ce manque d’endurance — surtout après avoir déjà joui quelques instants auparavant. Il retrouve un semblant de clarté dans ses idées quand le sexe de Toni s’échappe hors de lui :

— Non  ! Continue.

Malgré sa supplique, son ami secoue la tête et tend le bras vers le pied du lit. Matthias est affolé, mais Justin le plaque sur le dos et vient se placer à quatre pattes au-dessus de lui. Cette fois, Matthias redoute vraiment de l’avoir mis en colère. Le baiser lui coupe le souffle autant qu’il le surprend. Justin rompt leur embrassade aussi vite qu’il s’est jeté sur ses lèvres :

— Quelle honte, lui reproche-t-il, laissant Matthias perplexe.

— Je sais que je suis pitoyable. Tu m’aides pas vraiment, là.

— Tu rigoles ? Putain, c’est un des trucs les plus chauds que j’ai vus. Je pourrais m’habituer à te voir pleurer de plaisir.

— T’es dérangé.

— Peut-être, admet Justin dans un sourire avant de regarder par-dessus son épaule et de faire un signe de tête à Toni.

Matthias se penche sur le côté juste à temps pour voir un nouvel emballage de préservatif plonger vers le sol, puis entend le sifflement d’inconfort de son petit-ami. A priori, ce dernier n’a droit ni à une courte préparation ni à une pénétration en douceur. Matthias se demande si Toni est impatient à cause de sa frustration ou si c’est une façon de leur faire comprendre que sa présence n’est qu’une faveur pour Matthias. Celui-ci prend Justin en pitié et capture ses lèvres tout en passant une main entre eux pour aller le masturber.

Bientôt, la chambre est emplie des soupirs satisfaits des deux hommes et du bruit de leurs peaux qui claquent. Si Matthias n’est pas encore d’attaque pour se joindre à eux, il ne boude pas son plaisir. Du regard, il dévore le corps de Toni en pleine action, sans savoir s’il pourra un jour être rassasié de cette vision. Un peu jaloux de Justin qui supporte bien mieux que lui les assauts de Toni, il aime cependant sentir son petit-ami tremblant contre lui, l’embrassant à perdre haleine. La langue de celui-ci ralentit et il se recule, la bouche entrouverte et le souffle suspendu, puis pousse un râle, presque animal. Matthias sent le membre pulser sous sa paume et le sperme se répandre entre eux. Ils échangent un nouveau baiser, mais son autre poignet est saisi, ce qui le fait se détourner au bout de quelques secondes. Toni s’est rapproché et enroule leurs mains autour de sa verge. Elle est encore chaude d’avoir été en Justin, malgré la fine protection. Matthias laisse son ami imposer le rythme pour sa libération, fasciné par la façon dont leurs doigts s’entrelacent sur ce morceau de chair qu’il n’aurait jamais imaginé toucher. Matthias se penche de côté pour approcher son visage et Justin en profite pour venir lui faire un suçon dans le cou. Il ne se crispe qu’un instant, mais la pression involontaire de sa main a raison de Toni, qui n’évite de projeter sa semence sur ses joues qu’en s’appuyant contre les draps dès la première giclée.

Matthias peine à reprendre son souffle bien qu’il n’ait pas fait tant d’efforts ; son cœur cogne dans sa poitrine d’une cadence affolée. Justin se laisse rouler sur le côté et s’étire contre son flanc tandis que Toni s’étale à leurs pieds, en travers du matelas. L’ambiance enfiévrée semble se calmer à mesure que leurs respirations se font moins laborieuses et Matthias laisse la somnolence de la satisfaction l’emporter.

La torpeur lui permet de récupérer des forces sans pour autant négliger les présences qui l’entourent. Matthias perd la notion du temps, mais la brume dans laquelle baigne son esprit se dissipe. S’il est persuadé de ne pas s’être endormi, sa peau se couvre de frissons et il remarque que la nuit commence à tomber ainsi qu’ils ont tous trois retrouvé un souffle paisible. Au moins trois heures se sont donc écoulées depuis son arrivée. La réalisation de leur situation menace de balayer son calme, comme la vague de désir a brisé ses faibles résistances de départ. Savoir les deux autres si sereins après ce qu’il vient de se passer est assez perturbant ; Matthias ne saurait dire si c’est un signe de bon ou mauvais augure. Quand Toni lui chatouille les orteils, Matthias retient un rire nerveux et ramène les genoux vers le bord du lit pour se lever :

— Qui a soif  ?

— Laisse, j’y vais, l’arrête Toni.

Matthias veut insister, mais Justin l’a de nouveau attiré contre lui et promène les mains sur sa taille tout en léchant sa nuque. Sortir de la pièce aurait pu lui aérer l’esprit et il soupçonne les deux autres d’agir de la sorte afin d’éviter qu’il ne se sauve. Justin n’a aucun souci à lui vider la tête de toutes ces réflexions ; il le connaît trop bien et chacune de ses caresses vise ses points sensibles. Le dos contre le torse derrière lui, Matthias se détend et tourne la tête pour caler son visage dans le cou de Justin et respirer son parfum.

Du bout des doigts, son petit-ami frôle sa peau et Matthias ferme les yeux sous ce toucher léger. Il y a bien longtemps qu’il ne s’est plus senti aussi serein dans les bras de Justin. Il y a bien longtemps que ce dernier ne s’est pas montré aussi tendre avec lui. C’est un peu comme s’il redécouvrait le corps de Matthias. Celui-ci lève paresseusement un bras pour passer la main dans les boucles qui viennent lui flatter le front. Justin se penche à son oreille et sa respiration a un accroc : comme s’il voulait lui dire quelque chose, mais il s’abstient et préfère lui grignoter le lobe. Alors que les minutes s’égrènent, que les mains de Justin réchauffent son corps nu, la même scène se répète. Matthias sait qu’il y a un malaise derrière cette tentative chaque fois avortée de communiquer, mais il n’a pas envie d’y faire face dans l’immédiat. L’absence de Toni est soudain pesante et il prie pour un rapide retour. C’est d’ailleurs étrange qu’il s’éternise tant dans la cuisine.

— Toni  ! l’appelle-t-il.

Derrière lui, Justin se raidit et enfonce les doigts dans ses hanches. Un instant après, une troisième main vient prendre sa joue en coupe :

— Je suis là, lui souffle son ami. Je vous laissais juste un peu d’intimité.

Les appliques au-dessus de la tête de lit ont été allumées et Matthias fixe Toni avec surprise. Il n’avait même pas remarqué sa présence dans la chambre, mais sa rapidité à lui répondre prouve qu’il était tout proche. Sous une impulsion, il passe les bras autour du cou de Toni et le force à approcher son visage. Son ami ne se défend pas — ne prend pas d’initiative non plus. Ils ne sont plus qu’à un souffle de s’embrasser et Toni ne semble pas vouloir combler l’espace. Décider et assumer ce choix lui reviennent donc et Matthias hésite. Ce n’est pas l’envie qui lui manque, au contraire. Un peu plus tôt, si Toni ne l’avait pas distrait, il l’aurait fait sans même y penser ; cependant la chaleur des sens est quelque peu retombée. Et s’il cède et se penche, Matthias ne pourra plus prétexter s’être laissé entraîner par les deux autres. Le regard de Toni, obscurci par le désir, le fait craquer et, d’une simple pression de ses lèvres, il sent son univers basculer. Quand leurs langues s’enroulent, ses certitudes volent en éclat.

Justin passe un doigt le long de sa colonne, le griffant gentiment par endroits, tandis que Toni s’occupe de son ventre et de ses cuisses, ne faisant qu’effleurer son entrejambe. Matthias gémit dans la bouche de son ami ; il aime être au centre de leurs attentions et se cambre sous leur toucher. Il se complaît dans ce rôle d’intermédiaire. Justin et lui ne partagent pas un amant occasionnel : c’est lui qui se partage entre son petit-ami et son meilleur ami.

L’excitation renaît et son désir s’enflamme une nouvelle fois. Ses hanches reprennent vie, frottant son sexe à celui de Toni. Un râle rauque roule dans sa gorge, lui donnant l’impression de ronronner, quand Justin le pénètre de deux doigts et que Toni capture leurs verges dans son poing. Matthias a les yeux fermés, mais il ne doute pas que les deux autres ont trouvé un moyen de communiquer pour s’assurer une telle synchronisation. Il savoure les sensations qui le submergent. D’un côté, il est caressé doucement et embrassé avec l’hésitation et la passion de la nouveauté. De l’autre, il semble être marqué sur sa peau et dans sa chair par les dents et les doigts de son petit-ami, douleur exquise infligée par celui qui connaît son corps par cœur. Les stimuli sont efficaces et Matthias a depuis longtemps oublié qu’il pouvait se servir de ses mains autrement que pour s’accrocher au cou de Toni.

Toujours sans paroles, celui-ci et Justin s’accordent sur leur prochain mouvement et Matthias se laisse déplacer à l’envi. Il n’est plus qu’une vulgaire poupée de chiffon soumise à leur volonté et s’en trouve comblé. Justin s’assoit contre le mur, en haut du lit, et l’attire vers lui. Matthias s’avance à quatre pattes et honore la demande non formulée quand, de son pouce, Justin lui dessine le contour des lèvres tout en lorgnant vers son propre sexe. Alors, Matthias s’abaisse et prend conscience des différences entre son petit-ami et Toni. Il n’y a pas prêté attention plus tôt et songe vaguement qu’il va regretter de s’être précipité jusque-là. De sa langue, il humidifie le membre bandé, s’amuse à sucer et faire glisser entre ses dents la peau du prépuce, puis engloutit le pénis sur presque toute sa longueur, la toison blonde lui chatouillant le nez. C’est à ce moment qu’il s’aperçoit qu’il était trop focalisé sur ses sentiments contradictoires pour vraiment profiter des sensations. Il ne se souvient déjà plus du poids du sexe circoncis de Toni contre sa langue, de la douceur surprenante de son pubis rasé. Une exclamation de plaisir au-dessus de lui le ramène à l’instant présent et les mains flattant ses hanches et ses fesses lui rappellent qu’il peut encore se créer d’autres souvenirs plus précis.

Les baisers de Toni dans le bas de son dos et les mains de Justin qui jouent avec ses cheveux le distraient du gland qui fait pression sur son anus. Son muscle n’est plus si détendu, mais la mémoire du corps fait son œuvre et, bientôt, Matthias sent toute résistance s’effacer pour autoriser le membre engorgé à fondre en lui. La brûlure de la friction du latex est présente lors des premières poussées, puis s’estompe jusqu’à ce qu’il ne reste plus que le plaisir. Sans que Matthias ne parvienne à décider ce qui est le meilleur : sentir ses chairs s’étirer ou ce sexe se mouvoir en profondeur ? La pénétration rendue douce par le lubrifiant ou la force appliquée sur son bassin pour le garder immobile ? La satisfaction d’avoir une autre verge à sucer en rythme ou la frustration de ne pouvoir se soulager lui-même ?

La cadence de Toni s’accélère brusquement et Matthias ne peut plus poursuivre sa caresse buccale sans craindre de s’étouffer ou de donner un malheureux coup de dents. Il se redresse sur ses bras pour offrir davantage de résistance aux va-et-vient de son ami, mais aussi pour éviter de s’écraser contre Justin. Celui-ci se masturbe lentement et se penche en avant pour l’embrasser dans le cou. Matthias rejette la tête en arrière, permettant à son petit-ami d’accéder plus librement avec sa langue aux zones qui lui font du bien, tandis que derrière lui les coups de reins se saccadent. Prenant appui sur l’épaule de Justin, Matthias se relève presque à genoux et pose son autre main sur le haut de la cuisse de Toni ; il se régale de l’intensité de l’orgasme qui se prépare. Une poignée de secondes plus tard, son ami trouve son plaisir en lui et Matthias crispe les doigts sur cette peau en sentant le membre pulser contre ses parois.

Quand Toni se retire, il émet une plainte : la jouissance n’est plus très loin et il désespère d’être soulagé à la hauteur de son excitation. Maintenant que le poids et la chaleur de son ami ont disparu de son dos, Justin le fait basculer en arrière pour continuer l’exploration de sa clavicule puis de son torse. Matthias ne peut nier combien ces attentions sont agréables, toutefois il préférerait une action plus directe au sud de son anatomie. D’un coup de hanches, il tente d’interpeller l’un des deux hommes sur son urgence du moment, mais il ne s’attire qu’un clin d’œil malicieux de Justin. Qui a décidé de le priver de toute possibilité de chercher Toni du regard puisqu’il se hâte de revenir lui sucer la langue tout en le forçant d’une main à abaisser les paupières. Matthias commence à regretter que Toni et Justin aient enfin trouvé un terrain d’entente à son détriment. D’habitude, ils se considèrent avec défi et ne s’estiment pas vraiment, mais il semble que le mettre au supplice ait réussi à créer un lien entre eux.

Justin le libère à temps pour que Matthias voie son ami faire couler du lubrifiant au creux de sa main. Cela lui permet d’éviter un sursaut trop brutal quand son amant déroule un préservatif sur son sexe, puis que Toni entreprend d’y étaler le produit. Il se cambre pour l’encourager à poursuivre son œuvre en une caresse moins superficielle. Cependant, son ami glisse ses doigts de son gland à son ventre, le laissant une fois de plus aux portes de la délivrance. Il veut se rebeller, mais Justin saisit ses poignets et les bloque au-dessus de sa tête tandis que Toni prend appui sur son torse et vient s’agenouiller autour de sa taille. Matthias se calme aussitôt, son intérêt soudain décuplé par la perspective. Néanmoins, il ne s’interdit pas quelques mouvements de bassin contre les fesses de Toni pour montrer son impatience et est récompensé par un haussement de sourcil allumeur.

Après quelques instants à tâtonner pour trouver une position confortable, Toni s’assoit sur son sexe et Matthias profite d’être pleinement en lui, avant de le sentir se soulever à nouveau. La prise sur ses poignets se desserre et il remarque que Justin a repris sa masturbation silencieuse. De la part de son petit-ami, une telle discrétion est presque inquiétante et Matthias craint de l’avoir trop négligé jusqu’alors. Il glisse un bras entre ses genoux et, d’un doigt, s’amuse à frôler la peau sensible de son périnée. Son initiative lui récolte quelques murmures appréciateurs. Encouragé, il s’enhardit à tourner autour de l’orifice de Justin. Les gémissements sont plus sincères et Matthias retourne son attention vers Toni, rassuré. Celui-ci a les paupières plissées sous l’effort et se mordille nerveusement la lèvre. Matthias sait qu’une pénétration juste après un orgasme est une souffrance exquise et voir son ami sautiller sur ses hanches — lutter contre le besoin de se reposer — n’attise que d’autant plus son désir. Il remue le bassin de manière à augmenter l’amplitude des allées et venues ainsi que la force avec laquelle il prend possession de Toni. Soudain, la jouissance le rattrape et Matthias ferme les yeux. Sans le prévenir, il introduit deux doigts en Justin et le spasme en réponse lui confirme que cela a suffi pour le faire céder au plaisir. Lui-même ne cherche plus à se retenir et la vague de bien-être se propage jusque dans ses aines avant de se déverser en courts jets dans le corps qui l’a accueilli. Le poids de Toni se pose sur sa poitrine tandis que celui de Justin fait pression contre lui. Des lèvres s’emparent des siennes et il répond au baiser mécaniquement, sans chercher à savoir lequel l’embrasse, lequel le débarrasse de la protection souillée ; il n’aspire qu’à succomber au sommeil qui semble vouloir engourdir tout son être. Et, peut-être, plus tard, profiter encore.

Quitte ou double (1)

Autrice : Magena Suret.

Genres : M/M/M, hot, contemporain.

Résumé : Plutôt que de continuer à se déchirer à causes de leurs infidélités, Matthias et Justin ont décidé de devenir un couple ouvert. Cela leur permet de retrouver la passion des débuts et de surmonter les disputes sans avoir à discuter de leurs problèmes. Pour pimenter encore leur nouvelle vie, ils veulent franchir une étape en organisant un plan à trois… Mais un couple déjà fragilisé par des mois de non-dits peut-il survivre lorsque ses secrets pas forcément cachés sont révélés au grand jour ?

Liens vers les différents chapitres

Chapitre 1Chapitre 2Chapitre 3

Chapitre 1

Le choc du sac dans son genou lui fait étouffer un juron. Matthias lève les yeux de son téléphone, prêt à maudire l’imbécile qui vient de le bousculer pour fendre la foule sitôt les portes du métro ouvertes, mais ses insultes ne franchissent pas la barrière de ses lèvres. L’adolescent coupable lui fait un signe d’excuse tout en courant pour rejoindre une jeune fille. Sa colère retombe aussi vite et Matthias se surprend à regarder le couple s’éloigner, leur sac sur l’épaule, vers ce qui ressemble à un premier rendez-vous. Une certaine nostalgie l’envahit devant cette innocence depuis longtemps oubliée. La sonnerie prévenant le départ de la ligne le rappelle à l’ordre et il se précipite sur le quai avant de se faire enfermer dans la rame.

Après quelques minutes de marche, il arrive à destination. Le choix de Justin de venir habiter dans ce quartier paraît toujours aussi incompréhensible à Matthias. Quand ils avaient décidé que vivre ensemble était prématuré et qu’ils feraient mieux de reprendre chacun un appartement, Matthias ne s’était pas attendu à voir son petit-ami déménager à l’autre bout de la ville. Une heure de transports en commun, avec trois changements, semble un peu excessif. D’autant que Justin s’est aussi éloigné de son travail et de sa famille pour s’installer dans une rue qui ressemble davantage à une zone commerciale qu’à une résidence. La seule raison logique à laquelle Matthias a pu songer est justement que lui-même n’aime pas venir ici, ce qui rend ses visites plutôt rares. Et c’est plutôt révélateur quant à l’état de leur relation.

Toutefois, aujourd’hui, il est reconnaissant de pouvoir profiter des toilettes du commerce voisin pour se rafraîchir avant de rejoindre les étages. Ce n’est pas une étape habituelle, mais il réalise en pénétrant dans le hall combien il a besoin d’un moment d’isolement pour calmer sa nervosité. Matthias s’enferme dans les toilettes réservées aux handicapés afin de bénéficier d’un espace plus confortable et d’une vraie solitude.

Il ôte sa veste et ouvre son sac. Celui-ci est presque vide ; Matthias n’a emmené que le strict nécessaire pour se rendre plus présentable après son expédition dans le métro. Il se remet du déodorant sous les aisselles puis se brosse les dents. Ensuite, il s’asperge le visage d’eau et glisse ses doigts mouillés dans ses longues mèches, les plaquant vers l’arrière. Les mains appuyées sur le bord du lavabo, Matthias s’observe un instant dans le miroir. Ses cheveux humidifiés paraissent presque bruns et rendent plus visibles encore ses taches de rousseur. Celles-ci s’étendent de part et d’autre de son nez, rehaussant ses pommettes, et sont suffisamment nombreuses pour l’avoir complexé durant son adolescence. Néanmoins, c’est un vieux souvenir : il sait maintenant qu’elles sont un atout auquel beaucoup d’hommes succombent. Il remarque alors ses lèvres pincées, preuve qu’il a des difficultés à se détendre. Pourtant, il ne devrait pas être aussi angoissé : Justin et lui sont habitués à ce genre de jeu. À un détail près, cependant : ils n’y ont jamais participé en même temps.

Les premières infidélités, Matthias se souvient qu’il les a vécues comme de véritables trahisons. Trois années de relation et à peine une de vie commune qu’ils en étaient déjà à papillonner à droite et à gauche. Si Justin a été le premier à admettre qu’il l’avait trompé, Matthias sait que lui-même avait déjà commis quelques incartades auparavant. Au final, il ignore lequel des deux a commencé ces tromperies et ne voit pas grand intérêt à le savoir. Toujours est-il qu’imaginer son amant dans les bras d’un autre l’avait blessé dans son amour-propre et, aussi hypocrite cela peut-il sonner, peu lui importait à l’époque qu’il ait fait de même de son côté.

Les mois suivant l’aveu de Justin avaient été chaotiques, entre séparations et réconciliations. À aucun moment Matthias n’avait envisagé de rupture définitive et la facilité avec laquelle Justin lui retombait dans les bras l’avait conforté dans l’idée que ni l’un ni l’autre ne souhaitait mettre un terme à leur histoire. Néanmoins, aucun ne parvenait à accorder son pardon et le désir de vengeance était toujours trop présent. L’équilibre précaire de leur situation n’aurait pas pu durer bien longtemps. Ils avaient fini par trouver un compromis sans vraiment en avoir discuté. Un jour, peut-être trop ivre pour avoir pleine conscience de ses actes, Matthias avait laissé un message à Justin pour le prévenir qu’il ramenait un homme chez eux. Après coup, il avait réalisé combien c’était stupide et sûrement un peu cruel pour son petit-ami, mais il ne parvenait pas à le regretter. Alors qu’il venait de jouir quelques secondes auparavant, Justin était arrivé pour virer le pauvre mec qui n’avait pas dû comprendre ce qui lui arrivait. Puis Justin avait décidé de se venger en abusant du corps encore trop sensible de Matthias.

Après cette soirée, les règles ont rapidement évolué. Toujours en couple, pas vraiment libertins, Matthias et Justin avaient rassuré leur famille en expliquant que reprendre chacun un appartement ne signifiait pas qu’ils rompaient. Au contraire, Matthias pouvait jurer qu’il était plus heureux que jamais avec Justin. Ces faux flagrants délits d’adultère donnaient une autre dimension à leurs propres ébats. Depuis, le sexe entre eux était encore meilleur ; comme si ces incartades, parfois trop bien orchestrées, leur permettaient de retrouver la passion de la nouveauté.

Cependant, la rencontre qu’ils ont organisée aujourd’hui marque une étape. Matthias inspire par le nez et souffle longuement, conscient que sa décision est déjà prise malgré ses doutes. Il libère les toilettes, puis se rend à l’ascenseur qui l’emmène à l’étage de Justin. La main sur la poignée, son cœur semble vouloir quitter sa poitrine. Juste derrière cette porte, Matthias sait que Justin a trouvé un homme d’accord pour partager leur lit le temps d’une soirée. Cependant, Matthias ignore s’il y a un protocole à suivre dans ce genre de situation. Vont-ils l’avoir attendu pour faire connaissance  ? Va-t-il les trouver déjà nus  ? Ou même en pleine action  ?

La réponse à ses questions lui saute aux oreilles dès qu’il ouvre la porte. Des gémissements lui parviennent de la chambre. Il sourit : Justin a toujours aimé exagérer son plaisir. Il ne s’agit pas de le simuler, mais son amant adore s’entendre —  un aphrodisiaque avéré pour lui, un brin narcissique tout de même. Tranquillement, Matthias se déleste de son sac, prend soin de verrouiller derrière lui, puis ôte ses chaussures et les balance contre le mur. Rester silencieux ne lui semble pas primordial ; pour une fois qu’il est vraiment attendu, il éprouve même un petit plaisir à laisser entendre qu’il est arrivé. Il traverse le salon et pousse le battant entrouvert.

La scène sur le lit le fait s’arrêter un instant.  Les volets de la fenêtre sont à moitié tirés et la lumière qui filtre par les interstices donne une atmosphère tamisée à la pièce. Justin est à genoux, face à l’entrée, les bras en appui sur les oreillers derrière lui et les jambes écartées pour laisser toute latitude à la tête entre ses cuisses de manœuvrer sur son sexe. Malgré les années passées ensemble, Matthias se laisse encore surprendre par la beauté atypique de son amant  : des yeux en amande qui donnent l’impression d’un noir trop intense, des cheveux bouclés trop blonds pour avoir l’air naturels, un nez trop fin et retroussé pour un adulte et une fossette au coin de la lèvre qui accentue son côté malicieux dès qu’il sourit. Pourtant, tout son visage est harmonieux et sa personnalité enjouée éclipse souvent ceux qui l’entourent, y compris Matthias qui, sans manquer de confiance en lui, se trouve bien fade lorsqu’il se compare à Justin.

—  Oui, juste là… Continue, souffle Justin.

Le murmure est censé encourager le brun qui lui fait la fellation, à quatre pattes devant lui, mais Justin ancre son regard dans celui de Matthias tandis qu’il se penche en avant pour doigter l’anus de leur partenaire. L’invitation est claire et l’idée de baiser un mec dont il ne connaît même pas le visage a quelque chose de terriblement excitant. De cet homme, outre ses fesses tendues vers lui, Matthias ne devine que peu de choses  : quelques mèches corbeau, une peau claire peu exposée au soleil, des cuisses serrées — certainement pour comprimer son sexe bandé contre son bas-ventre — et des orteils crispés par l’excitation. Sa silhouette est familière et commune à la fois. Les jeux d’ombre sur sa peau empêchent Matthias de rechercher le moindre signe distinctif, mais il ne s’en inquiète pas pour l’instant. D’un coup de menton, Justin lui désigne le pied du lit ; Matthias y voit le lubrifiant, une boîte de préservatifs et des lingettes pour bébés. Le message, limpide, lui provoque un nouveau sourire : Justin ne veut pas d’interruption, pas même pour un détour par la salle de bains. Matthias se déshabille en toute hâte et Justin lui adresse un rictus entendu en découvrant son sexe déjà à demi érigé. Tout en ignorant la moquerie, Matthias les rejoint, le matelas s’affaissant légèrement sous son poids quand il monte dessus. L’inconnu s’arrête alors un court instant puis, sans épargner un regard à Matthias, il reprend ses succions avec plus d’entrain encore.

Matthias pose les mains sur les fesses du brun qui va l’accueillir sous peu et les écarte pour y plonger la bouche. Du bout de la langue, il lèche autour du doigt de Justin. Deux gémissements résonnent à ses oreilles et Matthias camoufle un léger rire moqueur en reniflement. Avec ardeur, Matthias découvre l’inconnu, dont la saveur est encore empreinte du parfum d’une douche récente. Le temps d’une seconde, il s’imagine qu’il recommencera peut-être plus tard, quand le goût de leurs corps sera imprégné de la moiteur du sexe. En attendant, l’index de Justin s’enfonce plus profondément et ses exclamations de plaisir se font plus bruyantes encore. Matthias se redresse, enfile un préservatif sur son membre désormais tendu, puis l’enduit de lubrifiant. Tout en se masturbant doucement, il donne une tape sur la main de son petit-ami pour qu’il lui laisse la place. Justin cède sans réfléchir et ses doigts vont aussitôt se perdre dans les mèches brunes du troisième homme alors qu’il semble faire un effort intense pour retenir ses coups de reins. Matthias gémit à ce constat et espère pouvoir vite goûter au talent de cette bouche.

Pour l’instant, il a la primeur de la pénétration et compte bien la savourer. Matthias encercle sa verge d’une main et pose l’autre au creux des reins du brun. De son pouce, il écarte un peu l’une de ses fesses et y glisse son membre lubrifié. Se mouvoir le long de la raie est déjà une torture et il est impatient de s’engouffrer dans le corps chaud qui s’offre à lui. Pourtant, il se fait languir en retardant ce moment. À chaque passage de son gland sur l’orifice, Matthias exerce une pression plus prononcée que la précédente. Bientôt, rien ne pourra plus l’empêcher de s’y introduire mais, tant qu’il maîtrise sa raison, il veut la faire perdre aux deux autres. Justin, toujours aussi vocal dans son plaisir, se passe la langue sur les lèvres de manière compulsive dès qu’il croit que Matthias va vraiment entrer en jeu, tandis que leur compagnon tente, par une légère poussée, de le prendre en lui sitôt qu’il sent ses chairs s’étirer.

Finalement, Matthias ne peut se retenir davantage ; il incite le troisième homme à écarter un peu plus les jambes pour s’installer confortablement à genoux entre elles. Il n’a pas à forcer pour franchir la barrière du muscle anal et sa satisfaction trouve un écho agréable dans le gémissement venant de son inconnu. Il baisse les yeux pour regarder son sexe se faire lentement aspirer puis achève de pénétrer son nouvel amant d’un coup de reins plus sec. Le jeune homme se tend de tout son être et Matthias se demande un instant s’il n’a pas été trop brusque. Cependant, il est vite rassuré quant à son innocence dans ce frisson lorsqu’il aperçoit les sillons rouges sur les omoplates de l’inconnu : Justin a eu davantage de difficultés à se contenir et vient de le griffer. Matthias sourit et décide de faire oublier la brutalité de son petit-ami en amorçant un rythme lent et peu profond, supplice nécessaire s’il ne veut pas jouir prématurément. Ondulant du bassin, il ne quitte la gaine que de quelques centimètres avant d’y replonger. Y être enserré est délicieux et Matthias émet des murmures appréciateurs quand il sent l’anus se détendre autour de son sexe, lui permettant de s’enfouir plus profondément, ou se contracter, l’obligeant à imprimer ses mouvements plus fortement pour s’autoriser le passage.

Matthias remarque que Justin ne tiendra plus longtemps : les yeux fermés, il se soutient d’une main à la tête de lit tandis que la seconde est passée entre ses cuisses. Le connaissant, Matthias devine que son petit-ami se caresse les testicules, voire le périnée. Lui maintient sa cadence. Il ignore combien de temps avant son arrivée ils ont débuté, mais il veut profiter encore de prendre son plaisir dans un corps inconnu. Justin prévient de sa jouissance dans un murmure incompréhensible, mais le brun saisit l’avertissement et abandonne le sexe, le dépouillant de sa protection d’un geste rapide et précis. Puis il pose la joue contre la cuisse de Justin pour assister à son éjaculation. Maintenant qu’il a vu son visage, Matthias sait qu’il est perdu. Dans une dernière tentative pour se contenir, il essaie de se concentrer sur le sperme de Justin qui gicle sur les draps, ou même sur la lèvre que celui-ci se mordille sous l’intensité de son orgasme, mais ses efforts sont vains. Les traits de son ami d’enfance occultent le reste et, s’il aimerait pouvoir prétexter que la surprise ruine son excitation, celle-ci s’enflamme bien trop pour qu’il puisse être hypocrite et il perd le contrôle. Le rythme saccadé auquel il soumet soudain son ami lui vaut une douce plainte de ce dernier, mais cela ne dure pas et, bientôt, un simple «  Toni  » murmuré pour tout avertissement, il remplit le préservatif de sa jouissance.

Matthias n’avait jamais gémi ce surnom et la sensualité sur ses lèvres se dispute à la culpabilité d’avoir profané leur amitié. Il n’a pourtant pas le temps de pousser sa réflexion plus loin puisque Justin l’a déjà rejoint et s’empare de sa bouche. Le baiser est pressant et a le goût amer de la trahison — à la fois de l’adultère et du mauvais tour qu’il lui a joué. Matthias cède vite sous cet assaut alors qu’il devrait le repousser, furieux, mais il ferait n’importe quoi pour oublier l’autre présence. Son vœu n’est cependant pas exaucé et il est attiré par le mouvement à leurs côtés. Toni s’est tourné pour s’étendre sur le dos et leur présente son sexe suintant de liquide séminal. Cette vision à elle-seule suffirait à faire renaître son désir, toutefois il semble que Toni cherche à le faire se consumer sur place. Il lance à Matthias un regard brûlant ; ses pupilles dilatées hurlent son insatisfaction. Matthias sait qu’il doit prendre une décision. La plus sensée serait d’arrêter là ce manège, tant que la ligne n’a été que mordillée. Mais ce serait renier un désir refoulé depuis des années et il ne se sent plus capable de se raisonner. Franchir cette satanée ligne est si alléchant. Si facile. Si risqué. La bouche de Justin quitte la sienne et, de la langue, ce dernier trace un chemin sur sa joue, jusqu’à son oreille. Lui reste pantelant, les lèvres entrouvertes dans une tentative désespérée pour reprendre son souffle.

— Tu ne comptes pas le soulager, Matt ? lui chuchote Justin, tout en le débarrassant de sa protection usagée. Si c’est pour le laisser souffrir, je m’occupe de lui moi-même.

— Enfoiré.

— Donc, je suce Antonin ? le taquine-t-il.

Matthias repousse son petit-ami avec un regard agacé. Voir Justin dans d’autres bras que les siens ne l’émeut pas outre-mesure ; c’est même plutôt excitant. En revanche, imaginer les mains ou la bouche de son amant sur Toni l’irrite au plus haut point. Rien que l’entendre prononcer ce prénom, pourtant détesté par son ami, le contrarie. Il n’a pas envie d’analyser ce sentiment ; il veut juste faire en sorte de limiter les contacts entre les deux hommes. Alors, Matthias se penche vers leur partenaire d’un soir, faisant taire son conflit intérieur. Toni l’accueille avec un plaisir non dissimulé en écartant davantage les cuisses. Matthias ferme les yeux et capture le sexe entre ses lèvres sans préambule : il n’est plus temps d’attiser le désir, il doit juste apaiser cette tension. Sous l’assaut de sa bouche, son ami se tend et accroche les doigts dans ses cheveux pour l’inciter à poursuivre.

Alors qu’il goûte la saveur de l’interdit, il sent la paume de Justin en bas de son dos. Les premières caresses le long de sa colonne ne sont que des encouragements mais, au fur et à mesure que les gémissements de Toni se transforment en plaintes réclamant sa libération, la main remonte entre ses omoplates, puis dans sa nuque. Toni relâche soudain sa prise sur sa chevelure et — s’il en croit le froissement qu’il entend — agrippe les draps de ses poings. Son prénom soufflé par cette voix familière, dans un timbre si étranger, intime à Matthias de s’écarter. Toutefois, Justin le maintient en place quand il essaie de se redresser. Son cerveau a du mal à traiter cette nouvelle information et il ne saisit l’ordre silencieux de Justin qu’en sentant le membre de Toni pulser contre sa langue. Matthias plisse les paupières, soudain pris de remords de ne pas avoir pensé au préservatif, et se prépare à recueillir la jouissance de son ami d’enfance. Au premier jet, il déglutit de surprise ; le sperme qui s’écoule dans sa gorge lui donne l’impression d’avaler les flammes de l’enfer. La giclée suivante frappe son palais alors qu’il est en pleine inspiration. Avide, il se surprend à emprisonner fermement le sexe entre ses lèvres pour s’assurer de ne pas perdre une goutte de ce plaisir : le péché a un goût d’encore. La pression sur sa nuque s’efface à ce moment, Justin doit être satisfait de voir ses barrières céder. Ce dernier se colle tout contre lui et vient mordiller le lobe de son oreille. De nouveau, il murmure pour n’être entendu que de Matthias :

— Tu aimes ma surprise, pas vrai  ? Et pas la peine de faire des simagrées, ajoute-t-il alors que Matthias libère enfin le sexe de sa bouche pour protester. Antonin a accepté sans même réfléchir. Je me demande si je devrais être jaloux…

Matthias fait taire son amant d’un baiser sauvage, n’hésitant pas à lui râper les lèvres de ses dents. Justin apprécie visiblement le traitement puisqu’il lui répond avec autant d’enthousiasme. Matthias tente un regard vers son ami, sans savoir ce qu’il y cherche. Peut-être pour s’assurer qu’il est bien là et va y rester ? Lui, maintenant qu’il y a goûté, veut profiter de cette nuit avec les deux hommes de sa vie. Pour essayer de comprendre pourquoi il a accepté de se joindre à eux alors que Toni n’a jamais caché qu’il désapprouvait leur conception du couple ? Ou juste pour calmer tous les doutes qui le traversent ? En effet, si quelqu’un peut l’aider à aborder cet instant de façon pragmatique, c’est bien Toni. Tente-t-il de deviner si les sous-entendus de Justin ne sont qu’une façon de déchirer un peu plus leur amitié ? Pourtant lui et Toni avaient ri en se révélant mutuellement leur homosexualité et s’étaient promis de ne pas tomber dans le cliché des meilleurs amis devenant amants. Matthias soupire dans le baiser encore plus impatient de Justin et se laisse aller quand ce dernier le pousse en arrière. Étendu sur le dos, son petit-ami vient couvrir son corps du sien, puis Matthias clôt les paupières avant de risquer de croiser le regard de Toni qui commence à se redresser : après tout, un simple coup d’œil ne suffirait pas pour lui fournir les réponses à ses interrogations.

Porn ? What Porn ? – Du porno ? Définitivement ! (3)

— Déshabille-toi.

Florian dut cligner des yeux pour essayer de garder même un minimum ses esprits. Déjà ? Là ?

— Hein ? lâcha-t-il.

— Si je te dis…

Juan sembla réfléchir.

— … « Je veux que tu me défonces si fort que j’en hurlerai à réveiller tout l’immeuble », c’est quoi ?

OK… Juan jouait encore ou… bossait… ou… Et, putain, ils étaient au travail, là.

Confus, il leva les yeux vers la pendule et se rendit compte qu’ils avaient dépassé l’heure du départ. Plus personne ne devait se trouver dans les bureaux ou plus pour longtemps. Mais il fut incapable de pousser plus loin sa réflexion. Comment diable Juan faisait-il pour poursuivre sur cette histoire de classification quand ils auraient pu se sauter dessus sans autre préambule ?

— Le fait que toi et moi, nous soyons habillés, le relança Juan, ça joue, n’est-ce pas ? Ça nous place forcément dans l’érotique.

— Oui, admit Florian.

— Si je te dis la même chose, nu, tu le percevras différemment.

Ce n’était pas vraiment une question. Mais il connaissait la réponse. Il la désirait même.

— Oui.

Juan fit alors tomber son pantalon et s’occupa d’enlever ses vêtements de ses chevilles avant de l’inviter d’un mouvement de tête à en faire autant. Florian resta coi. Il avait une trique à servir de bélier pour enfoncer une porte et son cœur battait tellement vite que c’était comme s’il allait finir par s’arrêter. Et pourtant, il était incapable de bouger et d’attaquer sa mise à nu, ses yeux suivant chaque geste de Juan, chaque contraction de muscle avant de se poser sur la bosse proéminente qui déformait son boxer. Juan le fixa avant de sourire et de baisser son dernier vêtement.

Quand il se retrouva entièrement dénudé devant lui, Florian le dégusta du regard, détaillant son sexe tendu, le halo de poils noirs qui l’entourait, celui qui recouvrait ses jambes. La combustion spontanée le menaçait, il en était certain.

— Alors, si je te répète que « Je veux que tu me défonces si fort que j’en hurlerai à réveiller tout l’immeuble », cette fois ?

Il inspira pour reprendre un tout petit peu contenance et ne pas simplement dire : « Oui, tout ce que tu veux, l’immeuble et la ville entière tant qu’on y est ».

— Érotique, choisit-il pourtant.

Et franchement ? Il méritait une médaille pour son self-control. Méritait qu’on lui érige une statue : Florian, l’homme qui, non content de se taper du porno à longueur de journée sans sourciller, fut capable de rester stoïque face à son sex-symbol de patron alors qu’il lui suggérait, à poil, l’idée de le baiser de toutes ses forces…

— Bien, donc, ce n’est pas tant ce que je dis que mes actions, alors ?

Qu’allait faire Juan quand il répondrait oui ? Parce qu’il allait répondre oui, c’était évident. C’était la vérité d’ailleurs, mais surtout, surtout…

— Oui.

Juan se rapprocha de lui et posa soudainement les mains sur ses hanches. Le contact de sa peau sur celle sous son t-shirt l’électrisa et il le laissa le lui ôter avec envie. Quand son patron s’attaqua aux boutons de son jean, il ne protesta pas davantage, devant plutôt lutter pour se retenir de se jeter sur lui que pour lui résister. Mais il était nu, là, devant lui et toute résistance était futile. Cela faisait un moment qu’il avait perdu, de toute façon.

Lorsqu’il fut dénudé lui aussi, le sexe plus dur que jamais et Juan tout aussi raide, il eut vraiment le sentiment d’être en train de rêver et bon Dieu il ne voulait surtout pas se réveiller, jamais.

Puis Juan le fit reculer de manière à l’appuyer contre le bord du bureau et tomba brusquement à ses genoux. Lorsqu’il leva ensuite les yeux pour le regarder, Florian aurait pu en jouir sur l’instant.

— Et là ? lui demanda son patron.

Porno ! pensa Florian, et ce avec la plus grande force qui soit et sans la moindre hésitation, mais il dit quand même de la voix la plus assurée qu’il put :

— Érotique.

Juste pour voir ce que ferait Juan par la suite.

Celui-ci ne fut pas dupe, car son sourire eut ce petit quelque chose d’amusé qu’il lui avait déjà vu.

— Tu es vraiment sûr ?

— Oui.

#Menteur.

— D’accord.

Alors, Juan prit une profonde inspiration et, tout doucement, il souffla sur sa verge de haut en bas. Le frisson que Florian en éprouva le parcourut des pieds à la tête avant de faire le chemin inverse. Et si ce n’était pas la caresse la plus érotique qu’on lui ait jamais prodiguée, il ne savait pas ce que c’était. Il ne sut même pas pourquoi il ne projeta pas les reins vers l’avant pour venir à sa rencontre et… il se concentra sur sa posture… OK, il venait de le faire, en fait. Quand Juan reprit une nouvelle inspiration, son ventre se contracta de plaisir anticipé. Le second passage de son souffle fut tout aussi délicieux que le premier.

— Érotique, énonça-t-il sans que Juan n’ait besoin de dire quoi que ce soit.

Cela fit sourire ce dernier.

Avec un regard plus brûlant que jamais, Juan amena ses doigts à sa bouche et entreprit de les lécher. Voir sa langue naviguer malicieusement à quelques centimètres de sa verge qui n’attendait que cela était la pire des tortures. Et en même temps, son excitation et son envie grimpaient de plus en plus haut, de plus en plus vite et c’était délicieux, atrocement délicieux.

Et puis les doigts humides se posèrent sur sa verge, glissant avec facilité le long de sa chair. Il gémit.

— Pornographique ? demanda Juan.

— Ça dépend…

Sa réponse sembla décontenancer Juan, et si le plaisir ne l’avait pas en partie étourdi, il aurait apprécié que la situation s’inverse enfin un peu.

— Ça dépend de ce que filme la caméra, continua-t-il.

Les va-et-vient sur son sexe se poursuivaient. Que ça dure encore, surtout…

— Si elle filme ton visage et la façon dont tu te mords la lèvre ? demanda Juan.

Qu’il ait décrit ainsi l’expression qu’il devait avoir le perturba, mais il répondit quand même :

— Érotique.

— Si elle descend sur ton torse et ta main crispée dessus ?

— Érotique.

— Si elle se recule pour nous englober, toi et moi à tes pieds ?

— Érotique.

— Si elle vient sur ma main qui te caresse ?

— Pornographique.

— Sur mon visage qui s’approche de toi ?

— Érotique.

— Ma langue qui suit ta verge ?

Alors qu’il le faisait pour de bon, Florian se trouva incapable de répliquer, sa gorge laissant juste passer un long halètement.

— Porno, parvint-il enfin à dire alors que la langue de Juan se détachait de sa chair.

Ce dernier leva les yeux vers lui pour le fixer durant quelques secondes.

— Sur ma bouche qui embrasse ton gland ?

Juan ne bougea pas. Florian prit quelques secondes pour répondre, frémissant à l’idée que Juan mette en pratique cette dernière suggestion :

— Porno.

Et Juan engloba son sexe de ses lèvres.

Dans un gémissement, Florian glissa les mains dans la chevelure de Juan, les y crispant. Sa bouche le rendait fou et le savoir, là, agenouillé devant lui en train de le sucer comme s’il s’en était privé durant des années, avait un quelque chose d’autant excitant qu’irréaliste. Il caressa sa tête, sa joue, frémissant alors que Juan le prenait plus profondément. Si ses allers-retours étaient lents, Florian pouvait les sentir avides, accompagnés de longs mouvements de langue et de succions si délectables qu’il en ferma les yeux… un instant seulement. Il était hors de question qu’il se prive du spectacle s’offrant à lui. En observant la bouche ouverte autour de son sexe, il n’eut aucune hésitation sur le caractère pornographique de ce qu’il voyait, mais il aurait pu regarder ce film-là pendant des heures sans se lasser. Les mains qui vinrent caresser ses testicules le laissèrent de marbre, mais il prenait bien assez de plaisir par les attentions buccales pour signifier son manque de sensibilité à cet endroit. Juan laissa finalement ressortir sa verge et embrassa son bas-ventre, avant de poursuivre sur son estomac.

— Érotique ? demanda-t-il.

— Putain, oui, souffla Florian.

Juan remonta légèrement pour atteindre son plexus solaire avant de continuer jusqu’à ses pectoraux. Sa langue y navigua par petites circonvolutions jusqu’à trouver le pic qu’elle recherchait. Florian s’agrippa plus fort à lui quand Juan aspira son téton entre ses lèvres.

— Érotique, souffla-t-il encore.

Il savoura la caresse, frissonna quand Juan le relâcha et que la pointe humide se raidit au contact de l’air frais. Mais Juan était déjà sur l’autre, et il se laissa emporter au rythme de ses succions et coups de langue. Les lèvres poursuivirent finalement le long de son cou.

Ses mains posées sagement sur les hanches de Juan le tirèrent à lui, collant leurs deux corps et alignant leurs verges. Et tandis qu’il ondulait très légèrement du bassin, le visage de Juan lui fit face.

— Érotique, répondit-il machinalement.

Excitant, enivrant, torride lui vinrent aussi à l’esprit.

— Et le fait que nous ne nous soyons pas encore embrassés ?

— Frustrant.

Et il ne chercha pas plus longtemps, il agrippa Juan, se pencha et l’embrassa à pleine bouche. Sa langue eut vite fait de se frayer un chemin entre les lèvres collées aux siennes. Prendre son temps n’était plus vraiment de circonstance. Il aurait adoré être patient et déguster ce baiser avec retenue, mais cela lui était impossible, et toute son envie, son excitation, il les y déversa, dévorant la bouche qui s’offrait à lui.

Juan, maître du jeu depuis le départ, lui cédait le pouvoir. Et il ne le faisait pas seulement dans ce baiser et la façon dont il penchait la tête pour lui fournir toute la latitude qu’il désirait. C’était visible aussi dans la façon subtile dont son corps se faisait plus souple contre le sien, plus soumis aussi. Florian voulait saisir l’invitation. Ses mains n’hésitèrent plus et il se mit à lui caresser le dos ainsi que les fesses offertes. Le baiser se poursuivit, vorace et exigeant et bientôt l’envie de plus, de plus de chair, de plus de contacts devint incontrôlable, au point où son corps se mettait déjà en mouvement, mime de l’acte qu’il rêvait de pratiquer. Il fallait qu’il passe à la suite, là, maintenant, tout de suite et…

— On n’a pas de préservatifs, réalisa-t-il, complètement catastrophé.

Juan laissa échapper un petit rire avant de se reculer. Il s’approcha de la porte et pendant un instant, Florian pensa qu’il allait sortir comme ça, nu et en érection et ç’aurait été encore plus délirant que ce qu’il avait vécu jusque-là, mais il la verrouilla et la prise de conscience le frappa de plein fouet. N’importe qui aurait pu pénétrer dans la pièce et les surprendre, bien qu’il ignore s’ils étaient ou non les derniers présents dans les lieux. Déjà, Juan se dirigeait vers son pantalon et lorsqu’il le vit se pencher pour l’attraper, la vision fut suffisante pour lui faire oublier cet instant d’inquiétude.

Il se décala pour mieux l’apprécier et eut un petit sourire en lui lançant :

— Pornographique.

— Et où donc est braquée la caméra ? s’amusa Juan.

Florian n’y tint plus et s’approcha. Juan ne fit pas un mouvement, offrant à son regard l’impudeur de son intimité dévoilée.

— Là, souffla Florian alors que d’un geste il passait entre les fesses légèrement écartées de Juan, effleurant l’entrée qu’il convoitait pour descendre jusqu’à ses testicules.

Il le voulait tellement ! Enhardis, ses doigts poursuivirent jusqu’au sexe tendu de son partenaire et s’enroulèrent autour de lui. La caresse qui suivit lui valut le plus beau des gémissements et il se sentit désormais prêt à tout, et en particulier à faire tout ce que Juan avait demandé à titre d’exemple plus tôt : le baiser fort, tellement fort que l’immeuble, la ville, le pays entier l’entendrait jouir sous ses coups de reins.

Il se pencha et ses lèvres effleurèrent la peau de sa nuque, poussant Juan à chercher en urgence un appui, qu’il trouva sur le rebord du bureau. Alors, il grignota sa chair, la lécha, la mordit au besoin tandis que sa main poursuivait son œuvre. Contre lui, Juan se frottait lascivement, relâchant par moments des soupirs si chauds qu’ils finissaient de l’achever. Il accéléra ses caresses jusqu’à ce que Juan l’interrompe et lui tende, le souffle court, le lubrifiant et le préservatif qu’il avait extraits de son pantalon. Aussitôt, Florian les attrapa et se recula. Il ouvrit le paquet et plaça la protection sur son sexe alors que Juan le surprenait en se redressant pour en faire tout autant.

— On ne voudrait pas laisser des traces derrière nous, précisa-t-il.

— Tu penses à tout, chuchota Florian et même lui put sentir à quel point son souffle se faisait désormais empressé.

Juan lui sourit, se retourna puis, d’un léger bond, grimpa sur le bureau. Lorsqu’il écarta les jambes dans une position offerte, Florian fut fasciné par la vision qui s’offrait à lui.

— Érotique, commenta-t-il, même si ça pouvait sembler surprenant.

Mais il n’y avait rien de pornographique pour lui à cet instant. Juan, nu, en érection, simplement éclairé par la lumière de rue, maintenant que l’obscurité de la nuit hivernale était tombée… L’image était magnifique.

— Tu as toujours du mal à faire la différence entre les deux, se moqua Juan.

Florian sourit, amusé.

— Sûr…

Et il se pencha sur lui pour baiser de nouveau sa bouche, la capturer et la faire sienne. Et l’intensité avec laquelle il se fondit dans ce contact reflétait celle avec laquelle il désirait désormais prendre Juan. Puis il redressa légèrement la tête et plongea dans son regard.

— À toi de décider si la suite sera érotique ou bien porno, souffla-t-il.

Un coin des lèvres de Juan se releva.

— Celle des deux que tu voudras, dit-il.

Florian voulait tout.

La respiration accélérée par l’excitation, il se redressa et considéra l’entrée où il mourait d’envie de s’enfoncer.

Voir son sexe à l’orée du corps tant désiré était clairement porno, mais du porno comme ça, il en voudrait tous les jours. Il se pressa contre sa chair et se mordit les lèvres en regardant sa verge entrer, progresser dans cet antre chaud et serré et… il finit par fermer les paupières et renverser la tête de plaisir tandis qu’il finissait d’y glisser. Durant quelques secondes, il resta ainsi, mais eut besoin de voir Juan et rouvrit ses yeux humides sur lui. La tête tournée de côté et la respiration rapide, ce qu’il éprouvait semblait si intense que Florian se demanda s’il avait eu raison de le pénétrer si vite, sans même chercher à le préparer. Il ne savait pas, après tout, si Juan était habitué à ça ou si…

Mais celui-ci ouvrit un œil légèrement railleur.

— Alors ? Tu n’étais pas censé me faire crier ?

Oh, bon Dieu, si !

Il se recula, et ce fut comme si toute sa chair pleurait d’excitation et de besoin à la fois, avant qu’enfin, il rentre de nouveau l’enfouir dans le corps de Juan, et c’était érotique, et c’était pornographique, et c’était surtout fou, chaud, brûlant et bon à en perdre la tête. Sans plus hésiter, il pratiqua de longs va-et-vient en lui, toujours faiblement conscient, au fond de lui, de ce qu’il y avait de transgressif à prendre ainsi celui qui restait son patron : l’homme sur lequel il avait fantasmé des mois durant, celui avec qui il s’était promis de toujours garder ses distances, celui qu’il avait vu tant de fois prendre la place des acteurs devant ses yeux… Il s’abîma dans le plaisir de le posséder, de sentir son sexe entrer en lui et ressortir lentement, et engendrer ainsi des frictions si agréables qu’il en était pantelant.

Devant lui, Juan se tordait, son torse se soulevait et se rabaissait au gré de son souffle, son corps accueillant avec une envie palpable ses coups de reins. Sans réfléchir, Florian se mit à aller et venir plus fortement en lui. Juan gémit. Il lui avait promis de le faire crier fort et il voulait tenir sa parole. Il changea d’angle, chercha à frotter plus intensément sur sa prostate, recueillit quelques halètements et frissons plus marqués qui majorèrent encore son excitation. De doux frémissements de plaisir commencèrent à serpenter aux creux de ses aines, le long de son dos, montant… Et quand Juan se mit à se masturber, Florian resserra ses mains sur ses cuisses et se laissa aller à le marteler sans plus se retenir, lui arrachant des cris d’extase qui firent écho aux siens quand sa voix se libéra aussi. La jouissance monta, puissante, et il y sombra avec force, se déversant tandis que des éclairs de plaisir crépitaient jusqu’à l’intérieur de son crâne.

Enfin, il s’arrêta, assailli par une nuée inattendue d’images : de celles que les heures de visionnage de vidéos pornographiques avaient inscrites dans son esprit et sur lesquelles se superposaient celles que son amant venait de lui offrir. Il voulait plus de Juan, plus de son corps, plus de son souffle, plus de la sensation de sa chair et du son de sa voix dans le plaisir… Difficilement, il essaya de reprendre sa respiration. Il s’était tellement laissé emporter par le fait d’être en lui qu’il n’avait même pas essayé de l’attendre avant de jouir. Pas grave, il ne comptait pas s’arrêter là, de toute façon.

Après une dernière longue expiration, il se retira. Lorsqu’il leva les yeux sur Juan, il remarqua que ce dernier le dévisageait avec une lueur perverse dans le regard.

— Je pense qu’on peut faire encore plus porno…

Florian rit légèrement à la remarque de Juan, puis s’attarda à retirer sa protection.

— On est toujours en train de faire de la simulation pour le travail ? demanda-t-il d’un ton badin.

— Peut-être…

Celui de Juan était clairement joueur. Florian lui lança une œillade provocante.

— Tu n’as pas crié assez fort ?

— Non… Toi, tu n’as pas assez crié.

Le sourire en coin avec lequel Juan lui avait dit ça lui plut particulièrement. Tandis qu’il se dirigeait vers la poubelle pour jeter son préservatif, il put entendre son amant redescendre du bureau. Il se penchait à peine au-dessus de la corbeille qu’il sentit déjà son torse chaud se coller à son dos.

L’excitation regrimpa en lui, nullement entravée par son récent orgasme. Son sexe ne se releva pas pour autant aussi vite. Florian se redressa, accueillit les baisers de Juan dans son cou, se laissa étourdir.

— Encore, réclama celui-ci.

Le mot le plus chaud du monde…

Si la manière dont Juan caressa juste après l’espace entre ses fesses le surprit, celle dont il appuya ensuite sur l’entrée de son corps déclencha en lui une brusque montée de désir. Il posa une main sur le mur attenant à la corbeille, avant d’y appliquer l’autre en soufflant quand le doigt qui l’attisait plongea en lui. Il sentit sa verge réagir légèrement comme son amant touchait le point qu’il savait être le plus sensible de son corps. Putain, il en voulait encore…

Un murmure de plaisir lui échappa et il se cambra pour s’offrir plus intensément à ses caresses, laissant retomber la tête vers le bas. La manière dont Juan gémit alors d’envie en espagnol l’excita vivement.

Quand ce dernier enfonça un second doigt en lui, il se mordit les lèvres tandis que son amant continuait à le pénétrer de ses phalanges en veillant à chaque fois à bien appuyer sur sa prostate. Il se tordit sous les pressions insistantes, dévasté par le plaisir montant, et il se mit même à caresser par réflexe sa verge qu’il sentit si tendue soudain, et le fit si vivement qu’il aurait pu jouir ainsi, mais Juan l’arrêta d’une main ferme sur son poignet. Il cessa alors ses mouvements, mais son amant ne retira pas ses doigts, jouant encore avec sa boule de nerfs, faisant remonter des éclairs de pure extase dans tout son corps. Il en lâcha de longues expirations qui ne parvenaient que difficilement à modérer son besoin de gémir.

Juan finit par s’arrêter.

Sa bouche fut près de son oreille, son souffle brûlant.

— Tu as toujours envie de porno ? demanda-t-il enfin.

Florian n’attendait que ça.

— Oui, répondit-il sans hésitation.

Juan lui lécha l’oreille, provoquant des frissons tout le long de sa nuque.

— Tu veux bien écarter plus les jambes ?

Florian s’exécuta avec envie.

— Tu veux que je t’encule ? poursuivit Juan.

Le choix de vocabulaire le fit rire. Il tourna le visage pour découvrir l’expression amusée de son amant.

— OK, ça, c’est porno, acquiesça-t-il.

Juan sourit.

— Non, ça, ça l’est.

Et il s’enfonça lentement en lui.

Florian gémit fortement, conscient de la présence qui l’emplissait. Il pencha la tête, tremblant de savoir quel serait l’acte suivant de Juan. S’il continuerait à être doux ou s’il se mettrait à aller et venir vivement en lui.

Mais Juan ne bougea pas. Il resta simplement ainsi, à appuyer son sexe contre sa prostate déjà fortement stimulée, et à caresser longuement son dos et ses hanches. Puis, très progressivement, il recula, et Florian retint son souffle. Et quand son amant revint s’enfoncer en lui, il relâcha un râle de plaisir. Cette douceur, cette tendresse était agréable et remuait quelque chose en lui, mais pour l’heure, son excitation réclamait plus. Il dut se contenir pour ne pas faire lui-même des allées et venues sur la chair qui l’enflammait. Comme Juan s’immobilisa de nouveau, il tourna légèrement la tête vers lui et lui adressa un regard provocateur.

— Je suis sûr qu’on peut faire encore mieux, l’incita-t-il dans un sourire.

— Tu veux que je te baise plus fort ?

Putain, pourquoi les pornos étaient-ils toujours si ennuyeux quand, dans la vraie vie, de simples mots, une simple invitation, un geste pouvaient porter une telle tension en eux ? Il hocha vivement la tête. Juan ne se fit pas prier. Il serra aussitôt ses doigts sur ses hanches et accéléra son rythme. Grand Dieu, que c’était bon ! Il en avait eu besoin, en fait. Depuis combien de temps n’avait-il plus éprouvé cette sensation ? Et que ce soit Juan qui en soit à l’origine, lui qui avait accueilli sa propre verge quelques minutes seulement auparavant, rendait l’acte encore plus extraordinaire et excitant.

Il se cala contre le mur et accueillit les coups de reins avec un plaisir grandissant, savourant les mains qui enserraient ses hanches.

C’était bon, terriblement bon, il en voulait encore.

— Plus, gémit-il.

Et Juan accéléra, le pilonnant littéralement. Le plaisir crépita dans son corps, s’enflammant à chaque nouvelle pénétration. Mais ce n’était pas encore assez et il ne comprenait pas pourquoi ni comment, il savait juste qu’il voulait plus. Alors dans un mouvement qui ne fut pas sans douleur pour lui, il repoussa son amant, le forçant à sortir brutalement de son corps. D’un regard rapide, il engloba la scène : le visage surpris, frustré et même un peu hagard de Juan… plus loin, son fauteuil, toujours pas. Restait le sol…

— Parfait.

Alors il prit la bouche de son amant avec la même passion que précédemment et peut-être davantage de folie. L’exclamation de Juan fut étouffée sous ses lèvres, tandis qu’il le poussait fermement jusqu’à l’allonger sur le parquet.

— Flo…

Mais l’heure n’était pas aux paroles. Il l’enjamba pour se positionner au-dessus de lui avant de s’empaler violemment sur son sexe tendu. Juan laissa échapper un râle sonore. Florian ne lui laissa pas le temps de réfléchir. Lui-même n’en était plus capable. Il voulait juste voir Juan jouir. Alors il se mit à bouger vigoureusement, ses mains caressant, touchant, griffant, tandis que ses lèvres et sa langue faisaient des ravages sur le visage de Juan qui tentait de lui rendre baiser pour baiser, caresse pour caresse, mais qui semblait pourtant dépassé par sa fougue. Le plaisir grondait en lui avec tumulte, ses jambes devenaient douloureuses tant il s’échinait sur l’homme qui se décomposait sous ses assauts, mais il n’aurait rien changé. Il en aurait été incapable. Le regard fixé sur le visage de Juan, il attendait le moment où il chuterait, où ses onomatopées ne seraient plus le signe de sa montée, mais celui où il atteindrait son apogée.

Et puis, enfin, Juan jouit. Son corps se raidit sous le sien tandis que de longs râles lui échappaient encore et encore et qu’il laissait partir son crâne en arrière, le faisant rouler sur le sol. Absorbé par ce spectacle, Florian n’en enserra pas moins la verge à l’intérieur de son corps par une forte contraction avant d’empoigner son sexe et se masturber rapidement et sans aucune retenue. La présence du sexe en lui, la manière dont il le sentait pulser, l’expression de Juan dans la jouissance… Tout le poussa vers un nouvel orgasme qui l’emporta tandis qu’il se répandait sur le torse de son amant. Le plaisir fulgurant l’envahit entièrement, emplissant son cerveau, annihilant complètement les paroles précédentes de Juan sur la nécessité de ne pas laisser de traces de leurs ébats… Mais sur le coup, il s’en moquait. Ils se nettoieraient plus tard. Son corps se fit terriblement mou et il s’effondra sur lui.

Leurs deux poitrines collées gonflaient et se vidaient à un rythme rapide tandis que leurs souffles ne semblaient plus vouloir revenir à la normale. L’odeur de sperme, de sexe, de sueur qui assaillait les sens de Florian finissait de l’étourdir. Comment allait-il faire pour se relever après ça ? La question méritait d’être posée.

#MissionImpossible.

Mais pour l’heure, les mains de Juan, qu’il avait craint de sentir le repousser, caressaient son dos avec tendresse et c’était très bien ainsi.

— C’était définitivement pornographique, remarqua finalement Juan.

Et Florian éclata de rire parce qu’il ne s’y attendait pas et parce qu’il aimait ça, les gens qui ne perdaient pas le nord.

— Je crois qu’on peut dire ça.

— Est-ce qu’au moins ça t’a aidé ?

Juan avait l’air amusé et même légèrement taquin en disant ça. Florian se redressa afin de lui faire face. Il se força à considérer sa question.

En un sens oui, s’il restait sur la conception érotique/porno dont ils avaient parlé auparavant, ce qui venait de se passer entre eux lui faisait réaliser que c’était plus le contexte et les actions qui jouaient que le vocabulaire. Pour le reste… Son regard se balada sur le visage de Juan qu’il trouva encore plus attirant qu’avant leur étreinte, si seulement c’était possible. En fait, la véritable question qui le turlupinait était : « et maintenant ? ».

Que se passerait-il désormais entre eux ? En resteraient-ils à un coup d’un soir ou pouvait-il espérer plus ? Et comment allait-il gérer le fait de bosser ensemble en sachant à quel point le sexe pouvait être bon avec lui ?

Et peut-être plus que tout, Juan, que voulait-il ?

D’une petite mimique, ce dernier le relança. Il n’y avait sans doute qu’une seule façon de répondre à toutes ces questions.

— Je crois qu’il me faudrait approfondir le sujet, tenta-t-il, le cœur battant.

Le sourire de Juan se fit resplendissant. Il se redressa jusqu’à venir l’embrasser tendrement.

— Eh bien, je te propose qu’on se rhabille, qu’on range un peu, qu’on aère.

La remarque le fit pouffer.

— Et après une douche et un repas à la maison, nous aurons tout le reste de la soirée pour étudier cela. Qu’est-ce que tu en dis ?

Il acquiesça d’un mouvement de tête avant de se relever doucement et de se reculer. Le sol lui avait fait un peu mal aux genoux, mais il tenait sur ses jambes, c’était toujours ça de pris. Juan en fit autant et, d’un geste mécanique, enleva le préservatif. Avec son ventre portant les traces de leurs ébats, ses cheveux en bataille, ses lèvres rougies et son sexe pas tout à fait au repos, il était plus sexy que jamais et tandis qu’il attrapait ses vêtements, Florian ne put s’empêcher d’espérer qu’il y aurait plus que ce soir.

Quand ils se furent rhabillés, qu’ils eurent récupéré les deux préservatifs usagés (Florian aurait pu bénir Juan d’y avoir pensé), ils prirent le chemin des ascenseurs. Les bureaux étaient vides et plongés dans le noir. Alors qu’ils marchaient en silence, Florian chercha un moyen de tâter le terrain auprès de Juan pour savoir s’il attendait bien plus que cet interlude, mais ne le trouva pas.

Une fois arrivé dans le parking, Juan sortit ses clefs de voiture et lui demanda avec un sourire séducteur :

— Prêt pour une longue soirée de travail ?

Une façon comme une autre de lui permettre de faire machine arrière sans doute, quand tout ce qu’il voulait c’était au contraire avancer, avancer même très loin et très vite. Peut-être était-ce le moment idéal pour amener la discussion sur le sujet.

— Je…

Il ne savait pas comment s’y prendre. Il repensa à son job et à la manière dont son pétage de plombs les avait emmenés là.

— Tu sais, pour le boulot… je…, même si je suis content de la tournure qu’ont pris les choses ce soir, je ne sais pas si je pourrai rester à ce poste encore longtemps, lâcha-t-il soudainement, inquiet de ce qu’en dirait Juan.

Peut-être que sa proposition ne survivrait pas à cette demande de sa part.

Juan n’eut pourtant qu’un petit sourire en coin, montrant clairement qu’il s’était attendu à entendre ça un jour ou l’autre.

— Alors il faut qu’on se dépêche d’explorer toutes les facettes du porno et de l’érotisme ensemble avant, répondit-il avec une expression mutine.

Florian ne demandait que ça. Son ventre se tordit d’envie et d’anticipation. Il sauta néanmoins sur l’occasion :

— Oui… mais tu sais, j’aurai sûrement besoin de cours de rappel, je peux être long à la détente, parfois…

Juan sourit largement.

— J’ai remarqué ça.

— Comment ça ? réagit Florian en fronçant les sourcils.

Cette fois, Juan éclata franchement de rire.

— Disons que tous les moyens discrets et subtils que j’ai tentés pour te montrer que tu me plaisais ont fait chou blanc alors même que tu me dévorais des yeux à chaque fois qu’on se croisait. Très honnêtement, si je n’avais pas saisi l’occasion ce soir, je crois que le seul moyen de te coller dans mon lit aurait été de me balader avec une pancarte indiquant : « Florian, baise-moi ».

— Non, mais, mais… euh…

#LeRetourDuEuh.

Juan ricana.

— Il faudra aussi que nous nous penchions sur tes capacités d’élocution, tu as des progrès à faire à ce sujet.

Il en resta muet. Mais déjà Juan lui ouvrait la portière, et s’il hésitait entre rire à son tour et lui rabattre son caquet, il se dit qu’il aurait bien des moyens de le faire taire un peu plus tard… ou du moins d’occuper suffisamment sa bouche à autre chose qu’à le critiquer.

Porn ? What Porn ? – Du porno ? Définitivement ! (2)

Deux jours plus tard, ses résolutions volèrent en éclats alors même que son front rencontrait une nouvelle fois la surface de son bureau. Ce n’était plus possible. Il prit une longue inspiration, poussa sur ses mains et se mit debout. Il regarda encore quelques instants la petite crevette qui se faisait prendre par le Musclor (alors celui-ci, c’était pile-poil entre les deux styles !) avant de mettre la vidéo sur pause. Il avait beau tourner et retourner le problème dans sa tête, il ne parvenait pas à définir des codes clairs qui lui permettaient de les classer dans une catégorie plus qu’une autre, et plus il en visionnait, plus le problème se complexifiait. Oh, il aurait bien tout collé dans « porno », hein ? Comme ça ç’aurait été plus simple. Mais il savait aussi que qui disait scénar et suggestion, mise en place d’une relation, disait « érotique ». Et que s’il le classait en porno, on viendrait lui reprocher que, non, si on ne voyait pas la pénétration en gros plan et surtout si on n’avait pas une belle éjaculation bien visible, ça n’en était pas. Et que les clients seraient déçus. Et ils allaient en dire quoi les amateurs d’érotique quand on leur proposerait celui dans lequel le minet se prenait un avant-bras dans le… hein ? Ils en diraient quoi ? Que le gars qui faisait le classement avait fait n’importe quoi !

Il était temps d’agir, parce que là, il en avait plein le pompon. Et sexy en diable ou pas, soit Juan lui filait un autre poste, soit il lui disait sur quels critères il se basait pour savoir si une vidéo était érotique ou porno, soit il se les classait lui-même !!! Non mais, oh !

Il ne répondit même pas au « bonjour » de l’une de ses collègues, qui était pourtant bien sympathique, il ne pouvait pas dire le contraire, et se dirigea d’un pas énergique jusqu’à la porte du bureau de Juan. Là, il prit quelques secondes pour tenter de se reprendre un minimum. Il n’allait pas l’agresser non plus. Quand il vit Juan lever la tête vers lui et se mettre debout pour venir à sa rencontre, il respira lentement, essayant de modérer son agacement.

— Oh, Florian, quelle belle surprise, constata Juan d’un ton qui avait quelque chose de mi-professionnel, mi-sucré, en lui ouvrant.

Il se tint ensuite dans l’encadrement de la porte dans une attitude qui semblait tenir autant de l’invitation que de la contemplation rêveuse, un sourire clairement charmeur sur les lèvres. Florian sentit refluer en lui son irritation et poindre tout autre chose. #JAuraisDûMEnDouter.

— Je… Euh…

Allez, il recommençait à être incapable d’aligner deux mots !

— Je pourrais te voir ? demanda-t-il en se reprenant.

— Je suis tout à toi.

Et comme si cette phrase à elle toute seule n’était pas suffisante pour que Florian perde complètement pied, Juan lui sourit avec un naturel qui finit de le déstabiliser. Après quoi, Juan ouvrit la porte en grand, mais ne s’ôta pas pour autant du passage. Et pendant tout ce temps, Florian ne put s’empêcher de contempler ses épaules et les formes de son torse que laissait deviner sa chemise impeccablement repassée, et le sourire joueur qu’il arborait au coin de ses lèvres… et d’imaginer ce que ça ferait d’avoir réellement tout ça rien que pour lui. Mal à l’aise, il releva les yeux pour tomber dans deux orbes le scrutant avec amusement. Juan fit enfin un pas en arrière pour le laisser pénétrer dans la pièce, mais resta suffisamment près pour que Florian ne puisse éviter de le frôler lors de son passage. Il aurait clos les yeux s’il l’avait pu, mais il n’était pas là pour fantasmer sur lui. Il souffla discrètement pour essayer de garder ses esprits.

— Qu’est-ce qui se passe, donc ? demanda Juan après avoir refermé la porte.

Florian prit une longue inspiration en le suivant du regard tandis qu’il retournait vers son bureau.

— Il y a que je n’en peux plus de ces vidéos.

OK, c’était sorti comme ça, d’un coup. Pourquoi pas, après tout ? Juan s’immobilisa. Comme il ne réagit que par un haussement de sourcil, Florian poursuivit :

— Déjà, les perversions habituelles (OK, celui-ci était sorti tout seul aussi !), ça m’use, mais ça va, je dirais au moins que je n’ai pas de difficultés à les classer. Que ce soit les sous-catégories ou la question du porno-érotique, je gère, mais les dernières, là…

Il s’était arrêté pour se pincer l’arête du nez.

— J’ai vu que tu avais demandé la création de catégories supplémentaires, commenta Juan en posant une fesse sur son bureau.

— Déjà, oui.

Maintenant qu’ils parlaient boulot, il se sentait gonflé à bloc. Il n’était pas sûr que ce soit une bonne chose, mais en tout cas, c’était ce qu’il éprouvait. Il sentit son débit de parole s’accélérer alors qu’il poursuivait :

— Mettons pour le tentacle porn, mettons pour tous les trucs bizarres avec les créatures surnaturelles, mettons pour les sexes de la taille d’un tronc d’arbre dans le pire des cas et, dans le meilleur, de mon avant-bras, mettons…

Si quelqu’un lui avait dit un jour qu’il tiendrait de tels propos…

— Mais moi, quand on me demande de dire si le tronc d’arbre qui sodomise le gars fin comme une brindille en lui susurrant des mots d’amour, sans qu’on voie les détails, est de l’érotique ou du porno, là, je suis désolé, mais ça me dépasse ! Si ça s’adresse à des femmes ou des hommes, mystère et boule de gomme, si certains types peuvent trouver leur came dans ce genre de personnages, pour le tronc d’arbre peut-être, pour la brindille ambulante, je ne sais pas…

Il prit une longue inspiration.

— Assieds-toi, lui proposa Juan d’un ton chaleureux, mais qui ne tolérait pas de refus.

Il ne pensait pas pouvoir, mais il prit quand même sur lui pour s’exécuter.

— Ouais…

Il se posa dans le fauteuil qui faisait face au bureau de Juan et essaya de se calmer.

— Je comprends, reprit Juan. J’avoue que je ne m’attendais pas non plus à ce qu’on nous donne ce genre de films. Je n’avais vu que les premiers, plutôt soft. Mais en remarquant les demandes de catégories que tu avais faites, j’ai bien compris que quelque chose clochait.

Florian hocha la tête, content en un sens de savoir que Juan n’y était pour rien.

— J’imagine bien que ça doit être assez perturbant. D’autant que j’ai trouvé les premiers plutôt plaisants à regarder.

— Euh… Oui, c’était euh…

#LeRetourDuEuh.

De nouveau, le sourire amusé fit son apparition sur les lèvres de Juan, à croire qu’il savait pertinemment bien ce qu’il faisait.

— Pour en revenir aux suivants, reprit Florian.

Juan l’invita à poursuivre d’un geste de la main.

— Je mettrais bien tout en porno franchement, mais…

Il haussa les épaules, comme si ce geste voulait tout dire.

Juan hocha la tête.

— Bref, tu n’y arrives pas, conclut ce dernier.

— Ouais.

Ou enfin, non. Bref, Juan l’avait compris. Il ne manquait plus qu’à ajouter qu’il n’en pouvait plus de ce taf et tout serait dit. Juan croisa les bras, l’air pensif.

— Pourtant, tu n’avais pas tant de mal avec les vidéos classiques.

« Classique » était sûrement un grand mot, mais…

— En effet.

— Alors, qu’est-ce qui te pose réellement problème avec celles-ci, en dehors des catégories particulières de certaines, bien sûr ?

Il essaya de réfléchir… La représentation graphique si différente de celle dont il avait l’habitude ? Le mélange des genres ? Le contraste entre les images et les paroles ?

— Je ne sais pas, avoua-t-il en se passant la main dans les cheveux, las. Je n’arrive plus à avoir de repères.

Juan hocha la tête et se leva.

— Et donc, tu aurais besoin d’aide ?

C’était le moment d’annoncer qu’il avait surtout besoin de changer de poste, mais avec le regard profond de Juan sur lui, il était incapable de trouver les mots.

— Oui, admit-il finalement, faute de dire autre chose.

— Bien. Je…

Juan consulta sa montre, avant de se pencher en arrière pour vérifier l’agenda papier qui se trouvait sur son bureau. Florian en profita pour se rincer l’œil. Ce type savait y faire dans le choix de ses chemises, celle-là le mettait une fois de plus particulièrement en valeur. La façon dont ses courtes mèches brunes tombaient tandis que Juan baissait un peu la tête était tout aussi charmante.

— Écoute, j’ai une conférence téléphonique dans vingt minutes, mais après je passe te voir et nous en parlerons.

— Oui. D’accord.

Lui et Juan enfermés dans son bureau avec des films pornos, en voilà une idée.

— Parfait.

Juan se redressa et le contourna. Quand ses mains se posèrent sur ses épaules, Florian se raidit.

— Nous étudierons tout cela en profondeur.

#ScienceFiction.

Florian se tendit un peu plus en percevant le souffle chaud dans son cou et il n’y avait aucune chance pour que Juan ne le remarque pas. Il se redressa brusquement, quitte à le bousculer.

— OK, eh ben, à tout à l’heure, alors.

Et il s’écarta de Juan dont les yeux pétillaient d’une étrange lueur. Il retint de justesse le coucou de la main qu’il avait été tenté de lui adresser (oh bon sang, il était ridicule…) et se contenta d’un petit sourire, d’un infime hochement de tête et il sortit.

***

Assis à son bureau, Florian attendait que Juan le rejoigne. Une bonne heure et demie s’était déjà écoulée et on approchait doucement du moment de la sortie. Et pendant tout ce temps, avait-il travaillé ? Absolument pas ! Il ne cessait de tourner et retourner dans sa tête les derniers gestes et paroles de Juan.

Son patron était gay. Si Florian n’avait pas réagi tout de suite quand il avait annoncé avoir trouvé excitants les premiers films Boy’s love, à peine était-il sorti de son bureau que l’évidence l’avait frappé de plein fouet.

— Merde, en avait-il murmuré.

Ce fait étant établi (à un moment donné, il fallait bien percuter), la deuxième question qui se posait était : Juan s’intéressait-il à lui ? Franchement, dans un autre cadre, Florian n’aurait eu aucun mal à déterminer que oui, mais là… Il s’agissait quand même de son patron. Personne ne faisait d’avances ouvertement comme ça à l’un de ses subordonnés surtout dans une grande boîte, non ? Juan était peut-être simplement charmeur et tactile, ce qui irait avec ses origines hispaniques…

OK, il était débile à essayer de trouver des justifications.

Mais si c’était le cas, que devait-il faire ? Très honnêtement, si Juan commençait à lui proposer d’aller boire un verre, par exemple, comment devrait-il réagir ? C’était chaud de sortir avec son supérieur… Si jamais ça se passait mal, si ça venait à se savoir ? Il risquait de perdre son job, déjà.

Mouais. D’un autre côté son job, hein ?

Non mais, il allait arrêter de tirer des plans sur la comète et essayer de rester zen… professionnel, oui, c’était ça, le mot (même si sa « profession » consistait à cocher « tentacle porn », « cougar », « infirmière » ou… ouais, « patron », en hésitant comme un âne à y ajouter « érotique » ou « porno »).

Perdu dans ses pensées, il sursauta lorsque la porte s’ouvrit sur Juan. Et s’il espéra que ce dernier ait raté son bond de surprise, le petit rire qui lui échappa lui prouva que non.

— Trop concentré ?

— Euh… oui.

— C’est ta phrase préférée, hein ?

Retenir le « Euh oui », retenir le « Euh oui ».

— Non, pas du tout.

Il avait dû faire quelque chose dans une existence antérieure pour que la vie le déteste à ce point. Ce n’était pas possible, autrement.

Juan posa sur le bureau les deux gobelets qu’il tenait.

— Je nous ai apporté du café. Ça m’a demandé un peu plus de temps que prévu, mais je suis à ta disposition.

Il défit le bouton de sa chemise pour se mettre à l’aise et Florian se serait collé des claques tellement il trouva le geste séduisant. Une fesse sur le bureau plus tard, Juan enchaîna comme si de rien n’était.

— Donc, tu disais que tu as des difficultés de classement.

— Oui.

— Sur quoi tu te bases habituellement ? poursuivit-il.

— Pour faire la différence ?

— Huhum.

— Eh bien… L’existence de scénario, la suggestion des actes, les dialogues, la présence visible d’une éjaculation… Enfin, j’ai pris la petite liste de consignes qu’on m’a remise quand j’ai commencé.

Juan hochait la tête.

— Mets un film en route.

Il plaisantait, n’est-ce pas ? Ils n’allaient pas vraiment regarder un porno ensemble, non ? Si ? Du genre… « si » comme « si » ?

— Vas-y, l’encouragea son boss.

Florian modéra le haussement de ses sourcils et obtempéra en relançant une des vidéos.

  1. Alors, celle-ci, c’était parfait : un truc japonais avec « Sexual harassment» dans le titree graphisme était plutôt pas mal et les mecs dedans fichus correctement : un peu fins (mais ça, il commençait à s’y habituer, c’était le style asiatique), mais avec des corps pas trop mal proportionnés. Et, effectivement, ça débutait par un scénario… quoique, tout était relatif à ce sujet. Ça aussi, ça aurait pu être un débat en soi. Mais contrairement à un porno plus conventionnel, il y avait un scénario.

— C’est érotique, jugea Juan au bout de plusieurs minutes.

— Non, c’est porno… quand même.

Ben oui.

Il avança la vidéo jusqu’à la première scène de sexe, non loin d’ailleurs. On y voyait le gars tout fin se faire sodomiser avec un sex-toy. Enfin… pas en gros plan : la vue était prise du côté de la tête, mais bon.

— Pas si tu t’en tiens à ta liste, insista Juan.

— Oui, mais cette liste, elle ne tient pas la route, je ne peux pas coller ça en érotique. Ce n’est pas…

Il regarda à nouveau la vidéo : certes, on ne voyait aucun gros plan sur les parties génitales, mais le gars était ligoté et… en train de subir un viol (même s’il en rougissait d’émoi, mais ça, c’était le n’importe quoi habituel). Du genre : érotique, vraiment ?

Il réfléchit à comment expliquer ça à Juan rapidement et se frotta le front en soupirant.

— C’est…, commença-t-il.

Il croisa les bras sur son torse et releva le regard sur Juan :

— À un moment donné, il se prend un épi de maïs gonflé à l’aide de traitements transgéniques façon Monsanto dans le fondement.

OK, celui-ci aussi était sorti tout seul ! Mais il fallait bien finir par dire les choses, non ?

Un éclat de rire retentit dans la pièce.  À la vision de Juan en partie plié en deux, il ne put s’empêcher d’être gagné par l’hilarité à son tour. Quand enfin, ils se calmèrent, Juan essuya ses yeux humides de larmes. Florian lui sourit avant de se passer de nouveau la main dans les cheveux, à la fois gêné et amusé de sa tirade. Au moins, la tension était tombée. Du moins était-ce ce qu’il pensa jusqu’à ce que Juan se lève. Un détail dans son sourire, dans sa démarche, dans ses pas lents et mesurés le fit se tendre à nouveau, dans l’attente de quelque chose qu’il ne voulait ni tout à fait voir venir, ni tout à fait manquer.

— OK, il faut donc que nous définissions ce que tu considères comme érotique et pornographique, reprit Juan.

— Huhum.

Retour au point de départ. Florian attendit. Pas que ça le gênait : le fessier de Juan, alors qu’il lui tournait le dos, était un spectacle suffisamment captivant pour l’occuper. Lorsque Juan tendit la main pour saisir son gobelet de café et le porter à ses lèvres, il fut incapable de détacher ses yeux de la silhouette qui se présenta à lui de profil : de la courbure masculine de ses reins que soulignaient les plis de sa chemise aux détails de sa gorge quand il déglutit doucement. Après s’être essuyé la bouche d’un geste léger du pouce que Florian ne put s’empêcher de trouver éminemment suggestif, Juan lui adressa un regard amusé.

— Ça, là, par exemple : tu trouves que c’est érotique ?

La question le tira de sa rêverie à la manière d’une claque.

— Quoi ?

— Quand je bois devant ce bureau. Ou quand je m’essuie d’une main.

Son sourire était autant moqueur que séducteur.

— Euh… Non, c’est potentiellement charmant, mais ça n’a rien d’érotique.

La réponse était pourtant « oui ».

Pour toute réaction, Juan se contenta de relever un sourcil.

— D’accord. Il faut donc qu’il y ait plus que cela.

Durant quelques secondes, plus aucun d’eux ne parla et Florian éprouva avec force le besoin de s’enfuir… Ou de fermer les yeux pour tester si, cette fois encore, Juan se rapprocherait. Il était incapable de décider. Lorsque Juan s’appuya au rebord du bureau et le fixa d’un regard pénétrant, il parvint encore moins à réfléchir. La main de Juan se leva, glissa sur la courbe de son cou, en suivant la ligne douce, parvint au col de la chemise, laissant apparaître les volumes de ses clavicules en tirant légèrement dessus…

Au moment où Juan défit un bouton en le fixant, Florian savait déjà quelle serait la prochaine question. Il en avait la gorge sèche.

— Et ça, demanda Juan, c’est érotique ?

La réponse était « oui », mais sans doute parce que tout en Juan criait l’érotisme. Si Paul, l’un de ses collègues, en avait fait autant, il aurait dit « non ».

— Peut-être, consentit-il à reconnaître, selon la personne. Mais là encore…

Ne jouait-il pas à un jeu dangereux ? Juan allait-il…

Un deuxième bouton suivit.

OK, la réponse était oui : Juan allait poursuivre.

Puis un troisième.

#AuSecours.

#LeQuatrièmeAussiParPitié.

Florian ne savait pas ce qu’il souhaitait le plus ardemment : que cette situation s’arrête ou continue. Par ailleurs, les mouvements de doigts de Juan et les encarts de peau mate qui se dessinaient progressivement au sein de la chemise blanche, pigmentés d’une pilosité sombre, lui grillaient désespérément le cerveau. Il devait être vraiment en manque : gavé de sexe virtuel et de fantasmes ambulants de son patron au point de finir par avoir des hallucinations.

Catégories : boss, voyeurisme, gay, striptease, bureau… masturbation, fellation, huile, latex, sodomie, switch… OK, là, il délirait.

Imperturbable, Juan poursuivait.

— Et ça ?

Juan fit glisser ses doigts sur la peau entre les pans de la chemise. Celle-ci était désormais défaite jusqu’en son milieu. Puis il les fit remonter lentement vers sa gorge.

— Oui, c’est érotique, avoua-t-il.

Un sourire léger se peignit sur les lèvres de Juan et il finit de déboutonner sa chemise avec moins de cérémonie. Le spectacle de sa chair dévoilée à son regard, puis du torse devant lequel s’écartèrent les deux pans de tissu, n’en fut pas moins captivant.

— Nous sommes toujours en érotique, là ? Pas de pornographique ?

— Non, pas de porno, répondit-il.

— Bien.

Juan sembla réfléchir avant de reprendre :

— C’est le mélange des genres qui te pose souci, hein ? Dans l’hétéro, ça ne te posait pas de problème. Dans le gay sex non plus.

Florian essaya de se concentrer sur ce que disait son patron. Oui, son patron ! Patron qui lui faisait un méchant gringue, là. Et pourtant, il ne pouvait s’empêcher de se dire qu’il déraillait complet : qu’il avait bu trop de café, passé trop de mois sans rapports sexuels, vu trop de vidéos de pénétrations en tout genre, trop fantasmé sur Juan, et que, la prochaine fois qu’il clignerait des yeux, ce dernier aurait sa chemise bien boutonnée et serait assis devant son bureau et il n’aurait qu’à se mettre une claque mentale. Ou serait encore torse nu et à quelques centimètres de lui. Ou allongé sur le bureau, à sa portée… Peut-être devrait-il essayer…

— Florian.

— Ouais ?

Vous pouvez répéter la question ?

— C’est le mélange ?

— Oui… Oui, confirma-t-il enfin, plus sûr de lui.

— OK, donc si je te dis : j’ai tellement envie de t’enculer maintenant sur ce bureau, c’est quoi ?

OK, c’était mort, Juan ne voulait pas vraiment qu’il réponde à ça. Et ses joues brûlantes devaient le faire pour lui. Genre… la réponse demandée, c’est « oui, moi aussi, je veux » ?

— Alors ? Pornographique ou érotique ?

Il déglutit, les yeux rivés sur le torse de Juan.

— É… érotique ?

Après tout, le vocabulaire était cru, mais Juan n’était qu’à moitié nu et encore.

— Approche, réclama ensuite Juan.

Florian ne bougea pas. Bien sûr. Il n’allait pas se diriger de lui-même vers ce qu’il pressentait être sa perte ! Enfin, ce fut surtout ce qu’il se dit parce qu’en réalité, il s’avança comme le papillon attiré par la lumière, dans un acte totalement irréfléchi… Et il ne reprit son contrôle qu’une fois qu’ils ne furent qu’à quelques pas l’un de l’autre.

— Continuons. Ça, par exemple…

Florian le vit caresser son torse, sensuellement, jusqu’à frôler et faire se plier son fin téton.

Il n’eut pas besoin que Juan l’interroge pour donner la réponse. Il savait déjà ce qu’il voulait :

— Érotique, déclara-t-il.

Juan descendit la main sur son ventre, et Florian la suivit des yeux, et plus le mouvement se poursuivait vers le bas, plus son regard se trouvait attiré par le pli du pantalon en dessous et… plus il dut se retenir de le détailler, peu sûr que la forme qui était devant lui soit seulement due à la raideur du tissu.

Il releva les yeux sur Juan.

— Je suis gay, dit-il.

Et il le dit comme ça, sans préambule, parce qu’il fallait bien l’avouer en de telles circonstances, avant que Juan aille trop loin ou que…

— Je sais, répondit ce dernier.

Florian essaya d’encaisser cette information, bien qu’hypnotisé par la manière dont Juan déboutonna lentement son pantalon, centimètre après centimètre… Que son patron ne se soit pas arrêté après sa déclaration le rendait encore plus incertain quant à la suite.

Juan renversa légèrement la tête en arrière, lui exposant la rondeur de son cou dans une image lascive, et se mit à respirer plus fort.

— Et ça ?

— Érotique, répondit-il sans tergiverser.

Et putain d’érotique quand Juan se mit à frotter doucement, par l’ouverture de son pantalon, son sexe qui, cette fois sans l’ombre d’une hésitation, était raide et dressé. Juan n’aurait eu qu’un mot à dire pour qu’il vienne l’aider.

Florian releva les yeux sur le visage de Juan, qui le fixait avec un regard amusé et tentateur. Visiblement l’un d’eux savait parfaitement à quoi il jouait et ce n’était pas lui.

— Aide-moi, exigea doucement son boss en ôtant la main de son sexe pour la poser sur le rebord de la table, s’y appuyant.

Florian ne se fit pas prier.

Il franchit la courte distance qui les séparait et frôla aussitôt son torse, percevant la force du courant électrique émanant de leur soudaine proximité. Un parfum se dégageait du cou de Juan et du col de sa chemise… Une odeur ambrée et masculine, légère mais entêtante.

Il faisait quoi, là, exactement ?

— À deux, ce sera plus explicite, précisa Juan.

Si celui-ci le disait, il n’irait pas le contredire. Grand Dieu, il se sentait tellement perdu et Juan avait l’air de tellement maîtriser la situation qu’il était tout prêt à se faire guider et à voir où cela les mènerait.

— Touche-moi, réclama son patron.

Le tout dit avec une autorité si naturelle…

Devait-il vraiment le faire ? Mais Juan avait dit « touche-moi » et là était le seul élément que son cerveau voulait bien intégrer. Le reste n’était que futilité, à oublier, à renvoyer au néant.

Le cœur battant, il leva la main, contempla le torse solide et sculpté de Juan, en approcha ses doigts et puis, doucement, il les y posa, suscitant un frémissement qu’il sentit se répercuter jusqu’au plus profond de lui. Juan aurait pu tout lui demander à cet instant. Il lui aurait dit de le sucer qu’il se serait jeté à ses genoux pour s’empresser de le faire. Pourquoi Juan ne le lui réclamait-il pas encore ?

— Plus bas.

Il obtempéra sans hésiter. Lentement, il descendit sa paume, suivant tous les reliefs des abdominaux défilant sous ses doigts, savourant la sensation des poils s’y frottant, avant de trouver enfin la rondeur qu’il attendait… et d’y poser la main. Le contact l’excita avec force, et plus encore en sentant le sexe de Juan tressauter en retour, mais celui-ci ne bougea pas pour autant.

— Et là ? demanda Juan.

Ce dernier ne pouvait pas vraiment vouloir une réponse à cette question… Un rictus de sidération monta aux lèvres de Florian parce que parler était la dernière chose dont il avait envie, là, tout de suite. Pourtant, et sa curiosité était à blâmer, il répondit :

— Érotique.

Et il attendit de voir quelle serait la suite des événements.

Juan hocha doucement la tête, puis murmura :

— D’accord.

Collé à lui et le regard insondable, Juan était tellement sexy que Florian n’en revenait pas. Quelle serait sa demande suivante ? Jusqu’où mènerait-il le jeu ? Rien qu’à cette idée, il se sentait plus dur que jamais. Quand Juan glissa la main dans ses cheveux jusqu’à l’arrière de son crâne et le rapprocha de lui avec une lenteur qui était autant torture que plaisir, il en vibra tout entier.

Porn ? What Porn ? – Du porno ? Définitivement ! (1)

Autrices : Valéry K. Baran et Hope Tienfenbrunner.

Genres : Érotique, M/M, humour, hot.

Résumé : Florian est à la limite du burn out  à cause de son boulot pour lequel, en plus de classer des vidéos 18+ pour un site de VOD, il se retrouve à devoir trier des films boy’s love. S’il est déjà lassé par son boulot, cette nouvelle mission le rend fou : comment déterminer ce qui est porno et érotique là-dedans ? Heureusement pour lui, son boss terriblement sexy, Juan, est tout prêt à l’aider dans sa mission.

Du porno ? Définitivement !

Le couple à l’écran se sépara, le temps de changer de position. La femme, une belle blonde à la poitrine refaite, se plaça à quatre pattes sur le lit qui servait de terrain de jeu. La caméra zooma sur son arrière-train qu’elle caressa un instant, n’épargnant aux spectateurs aucun détail de son anatomie largement mise en valeur par une épilation intégrale. Ses doigts aux longs ongles vernis naviguèrent parmi les diverses possibilités qu’elle offrait, s’attardant largement sur son clitoris brillant. Après un nouveau gros plan, l’angle de vue se décala pour ne rien perdre de la large verge qui se dirigea vers son vagin avant de s’y enfoncer.

Un premier va-et-vient, un second, encore un autre où le pénis ressortit entièrement et rebelote. Avant, arrière, une fois, deux fois, trois fois…

Florian soupira profondément devant son écran, renversant même sa tête en arrière, avant de se décider à passer la suite en accéléré. À sa gauche, sur un second écran, deux gros gaillards, option cuir, faisaient son affaire à une brune qui semblait en avoir trop vu, trop fait, trop… tout en fait. Il grimaça. Comment des personnes pouvaient décemment choisir de regarder ce genre de porno ? Il ne comprendrait jamais. Au moins dans le premier film, l’actrice comme l’acteur étaient bien foutus. Certes le mec avait une gueule pas terrible, mais ce n’était pas franchement ce qu’on lui demandait. Et puis, pour ce qu’on la voyait, de toute façon…

Un coup d’œil à sa montre lui apprit qu’une petite heure s’était écoulée depuis qu’il s’était mis au boulot, bien trop tôt pour un café. Oui ? Non ? Allez, encore trente minutes, s’encouragea-t-il. Ce qui voulait dire, en pratique : trente minutes de pénétrations, de fellations et… À peine releva-t-il les yeux sur l’écran que le retour du gros plan de la mort qui tue qu’il se prit en pleine tronche ne fut pas loin de lui faire abandonner ses bonnes résolutions. Quant à la scène qui suivit, la seule considération hautement philosophique et profonde qui lui vint à l’esprit fut :

— Beurk.

OK… Il allait peut-être s’arrêter là, en fait ! Il n’avait pas forcément besoin d’en voir plus. Et puis il ne restait que trente minutes de vidéo, de toute façon. Il se pencha sur son bureau pour saisir la tablette qui lui servait d’outil de travail et cocha l’ensemble des catégories correspondant au film, et il y en avait ! Il n’aurait jamais pensé qu’il pouvait exister autant de façons de classer un porno, ni qu’il se retrouverait un jour à devoir regarder des films qui lui feraient mettre des croix quasi dans toutes (gonzo, fist fucking et autres joyeusetés). Enfin, comme tous les mecs, il en avait maté auparavant : pas ceux en mode Guinness des records qu’il devait désormais se taper, certes, mais des plus basiques. Comme beaucoup de femmes, aussi : toutes ne l’assumaient pas, mais l’industrie pornographique ne prospérait pas uniquement sur la libido masculine, il fallait arrêter de se voiler la face. En tout cas, elle ne vivrait plus grâce à lui. C’était bon, non seulement il avait sa dose, mais il avait fait le plein pour toute une vie et même pour les dix suivantes !

Un nouveau regard sur la team cuir et blousons cloutés le désespéra. Il ferma quelques secondes les paupières, comme si ce geste pouvait faire apparaître autre chose devant ses yeux lorsqu’il les rouvrirait. Ce ne fut pas le cas…

Quand il avait déniché ce boulot de « Classeur officiel de vidéos pornos pour le compte d’une boîte de VOD », il avait trouvé ça trop fort. Tellement qu’il en avait fait un post sur son mur Facebook pour narguer tous ses amis :

Je vais être payé à mater des pornos #JobEnOr. #SoyezPasTropDegLesGars.

Cela lui avait valu plus de comm’ et de like que toutes les conneries qu’il avait pu y poster jusque-là, et ce n’était pas peu dire. Six mois plus tard, il ne faisait plus le malin. Plus le malin du tout. Franchement, il n’était pas prude, mais il en avait tellement vu de toutes les couleurs, de toutes les tailles, de toutes les formes, masculines comme féminines, et il ne parlait même pas de tout ce qu’il aurait préféré ne jamais avoir à connaître, au point que, si ça continuait, il allait virer allergique au sexe, en mode éruption nerveuse à la moindre vue d’un attribut sexuel en gros plan. Pour contrebalancer, il avait découvert quelques trucs à tester plus tard. Enfin, quand il ne serait plus en overdose de sexe…

Heureusement pour lui, il ne se coltinait pas que les films pornos, il avait aussi droit aux films érotiques même si, par moments, la différence entre les deux était vraiment légère. Au moins avait-il la chance d’y voir un peu moins d’organes génitaux en action et ça, c’était déjà un soulagement. Il était d’ailleurs certain que c’était uniquement pour qu’il ne pète pas un câble que son boss les lui faisait aussi classer. Il y avait des limites à ce qu’une personne pouvait endurer en une journée et il frôlait déjà les siennes en permanence. Il en était à se demander comment pouvaient bien faire les professionnels de ce milieu… Quoique, à bien y réfléchir, ils en voyaient sans doute moins que lui.

À l’écran lui faisant face, la blonde peroxydée et son cavalier en étaient à la sodomie. Il soupira encore une fois. Sérieusement, ne pourraient-ils pas varier un peu ? La pensée eut à peine le temps de lui traverser l’esprit que ses alarmes y résonnèrent. Noooon, en fait, il savait trop bien que oui : ils pouvaient changer, mais que ce n’était pas forcément une bonne chose. Blasé, il enclencha un autre film sur le deuxième PC et continua à avancer en mode rapide sur le premier.

Un nouveau coup d’œil à sa montre s’ensuivit, un geste de lassitude de la main dans les cheveux, une légère hésitation… Vingt-cinq minutes s’étaient écoulées. Après tout, il n’était pas payé à la tâche, non ?

Oui café, pensa-t-il.

Il sortit de la pièce dans laquelle il travaillait ou, comme il l’appelait parfois, son placard. En réalité, c’était abusé de le décrire ainsi, même s’il bénéficiait de peu de place, mais c’était son ressenti. Meublé d’un bureau un peu large sur lequel trônaient trois ordis, dont l’un datait tellement qu’il mettait trois plombes à démarrer et sur lequel il n’avait mis encore aucun film ce matin-là (deux, déjà, ça allait bien pour sa tension nerveuse). Et puis, il plantait de toute façon une fois sur deux quand il lançait un visionnage en accéléré. Du coup, il l’utilisait la plupart du temps pour les pornos gay. Au moins était-ce plus agréable, compte tenu de sa propre orientation sexuelle, que l’action y passe à un rythme normal. Enfin, ça dépendait de quel genre de porno gay on parlait. Parce que, là encore, il y avait vraiment de tout. Il atteignait d’ailleurs un niveau de lassitude qui le désespérait à ce sujet aussi. Il allait finir asexuel, ce n’était pas possible autrement.

Pour le reste, il n’avait pas à se plaindre, le fauteuil était confortable, la vue par la fenêtre n’était pas déplaisante et le petit courant d’air qui en provenait rafraîchissait agréablement l’atmosphère de la pièce. Il fallait bien qu’il y ait des côtés sympas. Paraissait-il qu’ils avaient du mal à garder les gens très longtemps à ce poste. La bonne blague… Ce n’était pas lui qui aurait du mal à comprendre pourquoi. Dès qu’il le pourrait, il ferait une demande de mutation vers un autre secteur, d’ailleurs. Action, aventures ? Il prendrait même les comédies romantiques si on les lui proposait. Meg Ryan, Hugh Grant et cie, il signerait direct. Il se réjouirait de voir des ersatz de Buffy contre les vampires pour étudiants attardés… Tout et n’importe quoi, en fait. Il passerait juste son tour sur les films d’horreur : pour ce qui était des films 18+, il avait assez donné.

Se munissant de sa carte, il fit « pause » sur les vidéos en cours ; s’il n’avait pas été plus consciencieux, il les aurait laissé continuer en son absence, pas faute d’en être tenté… Prenant à droite en sortant de son bureau, il remonta le couloir d’un pas lent. Ce job était en train de le transformer en fonctionnaire de bas étage qui perdait son temps en pauses-café, commençait son heure de déjeuner cinq minutes en avance et la terminait avec un quart d’heure de retard.

Il salua une de ses collègues d’un petit sourire et tourna dans la pièce où se trouvait la rangée de machines. Café, thé, cappuccino, soupe, similimélange à la Starbucks, il y en avait pour tous les goûts. L’endroit était désert et c’était très bien comme ça. Sans être asocial, les conversations bateau avec ses collègues ne le passionnaient pas vraiment, et puis il y avait des moments comme celui-ci où il avait juste envie d’être seul.

Une fois sa carte dans l’une des machines à disposition, il choisit un café long et sucré dont le gobelet atterrit dans sa main une petite minute plus tard. Il se recula jusqu’à s’adosser au mur à côté de la fenêtre et laissa son regard vagabonder sur l’open space qui se trouvait au centre du bâtiment. Mis à part son « placard », les autres bureaux donnaient toutes par des baies vitrées sur cet espace où se rassemblait le plus gros des employés. L’ambiance y était studieuse, chacun à son poste, travaillant ou donnant le change sur son ordinateur. Peut-être que ça faisait mauvais genre d’être là à touiller le sucre de son café alors que les autres taffaient ? Qu’ils aillent se coltiner son boulot et on en reparlerait. Tout en soufflant sur sa boisson, il poursuivit son petit tour d’horizon jusqu’au bureau de son boss : Juan Horcas.

Juan Horcas. À prononcer à l’espagnole, comme pour Juan Pablo Montoya, le pilote automobile.n roulant les « r » sur le « J » du prénom : Juan.

Le type qui aurait dû être en train de poser sur des magazines à moitié nu plutôt qu’en costard-cravate dans un bureau. Juan avec sa belle gueule d’hidalgo et son accent à faire fondre l’iceberg du Titanic. Juan et ses chemises qui laissaient bien trop (ou pas assez) deviner ses épaules et son torse et ses saletés de pantalons à pince qui moulaient bien trop son cul. Juan qui lui donnait l’impression d’être en mode Robin de How I’ve met your mother à son retour de son trip argentin quand elle se radine à New York avec son amant « ibérique » et qu’il imaginait bien trop facilement lui susurrer un « savoure ta nourriture » tout en le nourrissant du bout des doigts. Bref, Juan sur lequel il fantasmait un peu trop à son goût.

Mais bon, qu’y pouvait-il ? D’une, il avait toujours eu un faible pour les accents et sa façon de prononcer « tou » au lieu de « tu » était tout à fait craquante même quand il passait une soufflante à quelqu’un. Encore qu’il préférait que ça ne soit pas à lui parce que, même si Juan était sympa et ouvert, quand il demandait que quelque chose soit fait, il fallait que ça le soit, point. De deux, parce qu’il était sexy à en crever et que c’était bien trop pour un type qui restait quand même son patron. Et de trois, parce qu’avec le merveilleux #JobEnOr qu’il se tapait, malgré tout son désespoir à ce sujet, son esprit était en permanence envahi d’images sexuelles dans lesquelles, bien contre son gré, Juan avait parfois tendance à apparaître. #MaVieProfessionnelleEstUneMisère. #TuezMoi. Du coup, il préférait éviter de se retrouver en tête à tête avec lui et faisait ce qu’il fallait pour que Juan n’ait rien à dire à son sujet, en mal comme en bien, au point que, la dernière fois que l’homme les avait rejoints, lui et ses collègues, pour une pause-café, il s’était cramé le palais et la langue en avalant trop vite sa boisson pour partir aussitôt se remettre au boulot.

#LaLoose.

Il ignorait si Juan se rendait compte qu’il le fuyait, mais si c’était le cas, il supposait que celui-ci l’analysait seulement comme une attitude classique d’un employé envers son patron et non pas comme le fait qu’il voulait juste s’éloigner de son crush du moment. Du moins le souhaitait-il parce qu’il avait parfois l’impression d’être terriblement transparent quand il ne parvenait pas à s’arracher à sa contemplation, comme maintenant : quand il le suivait du regard, l’observait se pencher au-dessus d’un bureau, quand ses yeux s’égaraient un peu trop longtemps sur les appétissants reliefs de son corps. Il espérait aussi que Juan n’avait jamais remarqué le rougissement qu’il sentait lui réchauffer les joues quand leurs regards se croisaient. D’un autre côté, Juan devait être habitué à ce genre d’attention. Et Florian était beaucoup, beaucoup, beaucoup (oui, tout ça) plus discret que certaines de ses collègues qui flirtaient ouvertement avec Juan #BourreauDesCœurs. Alors, oui, sans doute que son boss n’avait rien relevé et c’était très bien ainsi.

Ce n’était pas quelque chose d’inhabituel pour lui, en même temps. Le passé le lui avait bien appris : il se débrouillait systématiquement pour être attiré pile-poil par la personne avec qui il ne fallait pas, et ce avec une régularité absolument effrayante. Que ce soit son professeur de philosophie au lycée, le frère marié de sa meilleure amie, son ancien boss et le mec chelou en attente de procès pour vol de voiture qui l’avait pris en stop au retour de ses dernières vacances, il se retrouvait toujours dans ce cas de figure. Et pour avoir craqué avec deux d’entre eux (et il ne dirait jamais lesquels !), il était bien placé pour savoir que ça n’était pas une bonne idée.

D’une longue gorgée, il vida la quasi-totalité de son gobelet et en observa pensivement le fond pour arrêter de mater Juan et se concentrer sur autre chose… Et cette autre chose était qu’il allait falloir s’y remettre malgré sa motivation toujours aussi proche de zéro. Un long soupir lui échappa : un nouveau long soupir… Il aurait presque été tenté de prendre un second café, mais les enchaîner lui collait généralement des palpitations.

— Ah, Florian, l’homme que je voulais voir !

Il sursauta à cette exclamation (raté pour les palpitations !) et releva la tête vers Juan, accoudé nonchalamment contre le chambranle de la porte de la salle de repos, en mode photo pour Calvin Klein et il le faisait exprès, non ? Il ne pouvait que le faire exprès, ce n’était pas possible. Personne ne pouvait être aussi sexy comme ça naturellement ! Il avait dû travailler ça devant sa glace ou… Toujours est-il qu’il sentit aussitôt les battements de son cœur s’accélérer. Du coup, il fut incapable de retenir son expression de surprise à le voir là. Et puis comment était-il arrivé ici aussi rapidement ? Il n’avait pas eu un blanc si long que ça à essayer de se motiver pour retourner auprès de ses pornos, non ? Y’avait-il eu une faille spatio-temporelle ? S’il remarqua sa perplexité (et il ne doutait pas que ce fût le cas), Juan n’en laissa rien paraître. Le sourire qu’il lui décocha à cet instant fit juste se contracter son ventre qui vira en mode chamallow fondant, et il se retrouva à détailler du regard chaque trait et chaque courbe de son visage ô combien séduisant.

— Huhum ? lança-t-il, au maximum de ses capacités d’élocution.

— Tu vas bien ? l’interrogea Juan.

— Euh oui, oui. Je… j’y retournais, annonça-t-il en allant jeter son gobelet vide.

— Je voulais te parler, tu reprends un café ?

— Euh… Oui, oui.

Enfin, la réponse aurait dû être « non » (et ses palpitations ?), mais il n’était plus en mesure de faire mieux sur le coup.

— Tu sais dire autre chose ? s’amusa Juan, son rire rendant sa voix encore plus sexy.

C’était tout de même incroyable qu’il ait pu en arriver à ce que des dizaines de queues sur écran ne lui fassent plus aucun effet quand un simple roulement de « r » et un rire rauque suffisaient à lui coller la trique. Il ouvrit la bouche, prêt à répéter un nouveau « Euh, oui, oui » qu’il retint à peu près pour le transformer en un baragouinage pire encore :

— Euhou…

La vie le détestait. Et il se détestait encore plus. Il tenta de se reprendre :

— Bien sûr.

Il allait finir par rougir avec ces conneries. Il était un mec, merde ! Il n’allait pas se laisser décontenancer comme ça. Un nouveau petit rire s’échappa de Juan et Florian l’observa s’approcher de la machine à café d’une démarche prédatrice ou, du moins, ce fut son impression. Le regard profond que lui adressa Juan lui fit se racler la gorge, mal à l’aise, et détourner le sien. Quand il le ramena de nouveau sur son patron, celui-ci fixait la machine devant lui.

— Je te prends quoi ? Café, chocolat, thé.

— Un café avec du sucre.

— Tu ne veux pas changer, pour une fois ?

Florian fronça les sourcils. Les yeux noirs de Juan se posèrent sur lui comme il reportait son attention dans sa direction. Son visage légèrement penché vers le bas renforçait un peu plus l’impression de virilité qui se dégageait de lui.

— Co… comment sais-tu que je prends toujours ça ? demanda-t-il, surpris et sur la défensive.

— Je t’observe.

Florian en resta coi. Juan aurait dû dire… Un patron aurait dû dire : « je suis observateur », et non pas cette étrange tournure de phrase. Le fait qu’ils se trouvent dans un bureau vitré, soit un endroit où les autres employés pouvaient les voir discuter, même s’ils ne les entendaient pas, ne contribuait pas à le mettre à l’aise, mais avant qu’il puisse réfléchir davantage aux propos de Juan, celui-ci enchaîna.

— Tu n’aimes pas t’essayer à quelque chose de nouveau ?

« T’essayer ? » et pas « essayer » tout court ? C’était bizarre ça aussi comme tournure de phrase, non ?

— Euh…, répondit-il très intelligemment.

Pour sa défense, cette conversation, bien que potentiellement anodine, le perturbait. Il y avait quelque chose chez Juan qui était différent de son habitude, quelque chose de subtil… Une once de charme et peut-être de domination qu’il n’avait pas l’impression d’avoir vue avant.

Sa main passa nerveusement dans sa chevelure, tandis qu’il cherchait à se persuader qu’il s’imaginait des choses. Tous ces pornos où les acteurs se sautaient dessus pour n’importe quelle raison lui montaient à la tête, c’était évident. Il ne manquait plus que son attirance naturelle pour Juan s’y ajoute pour qu’il se fasse des films.

— Pourquoi pas ? répondit-il à sa proposition.

— Je choisis, alors.

Florian ne chercha pas à savoir ce qu’il lui prenait et se contenta de le remercier quand il lui tendit son gobelet. Un gobelet plus grand que celui de son café ordinaire. Il porta la boisson à son nez, humant une odeur sucrée de caramel et de café.

Un souffle chaud sur son visage lui fit de nouveau relever brusquement la tête pour se trouver à quelques centimètres de Juan. Il fallait qu’il arrête de regarder dans son verre si ce type se rapprochait comme ça à chaque fois. Ou alors, il fallait qu’il recommence… Il ne savait plus.

— Goûte.

OK, il se faisait sans doute des films, mais Juan n’était vraiment pas loin du « savoure ta nourriture » là, non ?

Il souffla sur la boisson avant d’en prendre une très légère gorgée, ses yeux toujours ancrés dans ceux de Juan. Le frisson qui le parcourut à cet instant fut forcément visible, mais Juan ne dit rien.

— Alors ? Tu aimes ?

Bon sang qu’elle était sexuelle, cette conversation !

— Oui, c’est bon, très sucré, mais bon.

Juan hocha la tête, visiblement satisfait, et se recula d’un pas. Florian eut la sensation bizarre de pouvoir mieux respirer.

— Je savais que tu aimerais.

— Pourquoi ?

— Je le trouve très bon aussi, et j’ai dans l’idée que nous avons des goûts en commun.

Il essaya d’évacuer de son esprit le fait qu’il avait entendu dans un premier temps « je te trouve très bon » et jeta un regard bref vers l’open space pour confirmer que personne ne les observait. Il était fatigué. Ce devait être ça. Pourtant, était-ce de la connivence qu’il avait l’impression de lire dans les yeux de Juan ? Il choisit de ne pas rebondir sur ce qui lui venait réellement à l’esprit, du genre que Juan lui faisait comprendre qu’il était gay lui aussi. Après tout, il n’avait jamais rien dit de sa propre orientation, même si sa manière de traiter les pornos gay avait de quoi le trahir. Quant à Juan, il n’en savait strictement rien et il s’était retenu autant que possible, jusque-là, d’émettre la moindre hypothèse à ce sujet. C’était bien mieux pour sa santé mentale, il fantasmait déjà suffisamment sur lui comme ça sans avoir besoin d’ajouter de l’eau à son moulin.

— Ah, j’aurais dit que tu prenais ton café noir, se permit-il de lâcher à Juan.

— Pourquoi ?

— Je sais pas, le côté…

Mâle, viril, corsé… aucun des mots qui lui venaient à l’esprit ne pouvait dignement être balancé à son boss.

— Enfin, je sais pas, c’était une idée comme ça. Tu voulais me parler ?

Changer de sujet, revenir sur quelque chose de cadré, comme discuter boulot.

— Oui, je voulais te dire que nous allions avoir un nouveau genre de films à partir de mercredi.

Florian ne retint pas une grimace. À quoi devait-il s’attendre si Juan venait lui en parler en personne ?

— Rien d’affreux, rassure-toi, s’amusa ce dernier. Ce sera une catégorie de films Boy’s love. Tu vois ce que c’est ?

— Absolument pas. Même si le nom donne une image.

Limite, dit comme ça, ça paraissait même plus anodin, mais il se méfiait de tout, au point où il en était.

— Nous voulons essayer de toucher un certain public féminin avec quelques-uns de ces films, tout en attirant également les hommes adeptes de ce genre de scénarios. Néanmoins, ils s’étalent de l’érotique au pornographique, on aura donc besoin de les classer comme les autres. Tu devrais en avoir une vingtaine pour commencer. On verra si ça fonctionne.

— D’accord.

Il peinait toujours à ne pas grimacer, mais il devait être un peu traumatisé par ce boulot, de toute façon. Et puis, surtout, il ne voulait pas prolonger la conversation avec Juan. Il s’envoya d’un coup le restant de son café/mocha/truc sucré dans la gorge, ce qui ne manqua pas de la lui brûler, forcément. #MaVieEstUnEnfer. Et il pivota sur ses talons.

— Florian ?

Lorsqu’il tourna la tête, Juan le fixait d’un regard beaucoup trop incisif à son goût. Ce type devrait absolument faire des photos pour Dolce & Gabbana : celles de Tom Ford, bien sexe et transgressives.

— Je compte sur toi, ajouta-t-il.

Florian hocha la tête, trop décontenancé pour émettre le moindre mot, puis fila loin de la machine à café, loin de Juan, loin de son crush incontrôlable… Plus près de ses vidéos pornos.

Une pensée suffisante pour lui faire voûter les épaules.

Alors qu’il traversait les couloirs, il ne put s’empêcher de s’interroger sur l’attitude de Juan.

***

Trois fois.

Florian laissa tomber son front sur le bureau face à lui et l’y frappa trois fois.

Il. Allait. Mourir.

Déjà, et ça Juan s’était bien gardé de le lui dire, les Boy’s Love, ce n’était pas des « films ». Ou pas seulement, en fait. Il y avait bien quelques films assez light et franchement, il avait été content. Rien de traumatisant, des mecs un peu efféminés pour certains, des jeunes hommes avec des histoires très romantiques qui lui auraient fait lever les yeux au ciel un an plus tôt, mais qu’il avait accueillies avec bonheur. C’était peut-être un peu niais par moments, mais les scènes de sexe étaient plutôt agréables à regarder même s’il n’était pas attiré par les physiques asiatiques. Mais en toute franchise, il avait senti une certaine excitation le gagner et ça faisait longtemps que ça ne lui était plus arrivé devant des vidéos de son taf. Mais, parce qu’il y avait un mais, ce n’était pas uniquement des films… oh non, il y avait aussi des « animes », ce qui voulait dire que :

Primo, on ne trouvait pas de vrais mecs dedans, mais des personnages dessinés dont les physiques se déclinaient de la crevette anorexique aux longs cheveux et cils chez qui on cherchait désespérément où pouvaient bien être les attributs masculins, aux gros warriors aux poils aussi nombreux que les muscles hypertrophiés, même à des endroits où, normalement, il n’aurait pas dû y en avoir, et avec des sexes si imposants qu’en vrai ce serait un handicap d’en avoir un comme ça.

Et deuxio, que tout, même le plus improbable physiquement, le plus extrême, le plus dégueulasse, tout y était possible !

Au départ bien sûr, il s’était dit que ce serait OK. Le premier qu’il avait lancé l’avait mis en confiance : Sensitive pornograph. C’était soft, une suite de petites histoires qu’il aurait qualifiées de mignonnes en soi, même si la deuxième était un peu limite niveau consentement. Il ne voyait pas bien en quoi cela pouvait viser une clientèle féminine, mais Juan lui avait expliqué devant un autre café (et il se faisait peut-être des films, mais il avait trouvé une fois de plus que la conversation avait des allures étranges, et il s’était de nouveau brûlé) que certaines femmes aimaient les films mettant en scène des relations sexuelles entre hommes. Florian avait bugué sur l’idée, avant de buguer sur la langue de Juan venue lécher sa lèvre pour ramasser le café qui s’y trouvait. Geste qui aurait pu être anodin s’il n’avait été accompagné par un de ces regards dont il se demandait de plus en plus s’il ne signifiait pas que Juan lui faisait des avances. Après ça, il avait de nouveau fui vers son bureau pour enchaîner sur son boulot. Et comme il l’avait regretté… Après le soft des premières vidéos, c’était parti en live total. Il avait même eu droit à du tentacle porn – alors, celui-ci, il avait dû carrément demander à ce que cette charmante catégorie soit ajoutée aux autres tant il ne voyait pas, sinon, où classer la vidéo concernée !

Et puis, en plus, comment faire pour distinguer l’érotique du porno, là-dedans ? Il la classait où, la vidéo dans laquelle le mec qui ressemblait à une fille poussait des cris aigus en se faisant pénétrer sans qu’aucun détail ne soit visible, soit de manière totalement suggestive par un tentacule du diamètre de son bras ? Il en faisait quoi des cinq types aux muscles et aux verges surdimensionnés qui partouzaient dans les vestiaires, mais en se susurrant tout le long des mots d’amour ? Et elle était où, au fait, la corde pour qu’il se suicide ? Est-ce que les gars en haut lieu s’étaient dit que c’était plus acceptable parce qu’il ne s’agissait pas de films avec des personnes réelles ? Eh bien, grande nouvelle, la réponse était non, NON, NON et NON !

— Rien d’affreux, râla-t-il devant la scène qui se déroulait face à lui. Rien d’affreux.

C’était ce que lui avait dit Juan, il s’en souvenait parfaitement bien. Si ça se trouvait, il avait essayé de lui faire vaguement du charme pour qu’il le croie et pas du tout parce qu’il avait une quelconque attirance envers lui. Il hocha la tête à cette pensée. Oui, c’était tout à fait possible, ça. Juan avait peut-être remarqué, malgré ses efforts pour le cacher, qu’il avait un faible pour lui et en avait lâchement profité. Quoi qu’il en soit, c’était du foutage de gueule, oui madame ! La seule chose qui le consolait était de se dire qu’un autre type (ou une nénette) s’était coltiné les mêmes films que lui pour en faire la traduction. Surtout que franchement, c’était quoi ces dialogues mélangeant mots crus et mots d’amour ? L’association des deux le laissait plus que perplexe.

De plus, tout cet ensemble soulevait de vraies questions quant au classement qu’il devait opérer. Il ne pouvait décemment pas mettre la vidéo qu’il était en train de se taper dans la même catégorie que les softs où, certes, on voyait les détails de pénétrations et où les dialogues pouvaient être tout aussi mièvres, mais qui restaient beaucoup plus romantiques et consensuels.

Il poussa un interminable soupir de lassitude… De la longueur du Mississippi, au moins. Devrait-il en parler à Juan ? Son patron pourrait peut-être être de bon conseil. Il le lui avait dit d’ailleurs, de ne pas hésiter à venir le voir s’il avait des questions… juste avant de poser sa main sur son épaule dans un geste de virile camaraderie avant que sa paume ne glisse avec douceur le long de son bras et que des frissons lui remontent tout le long de l’échine. #LifeSucks.

Aller lui parler, en voilà une idée qu’elle était bonne ou… Il y réfléchit un instant. Non, non, non, non, non, mauvaise idée. C’était bien trop dangereux. D’autant que, s’il était parvenu à fuir Juan au cours des mois précédents, il lui semblait que cela devenait de plus en plus compliqué. À croire que celui-ci lui avait collé un radar de manière à être alerté à chaque fois qu’il se pointait dans la salle de repos. Il avait même failli s’asseoir à côté de lui au self ! Et si jusque-là, il avait réussi à contrôler ses pensées et potentiels sentiments à son égard, ça, ajouté à leurs derniers échanges, risquait grandement de mettre en péril l’équilibre dans lequel il s’était complu.

Non, il décida qu’il devait rester coûte que coûte dans son bureau. Il passa donc à un autre film. Il lui restait quelques bons vieux pornos des familles de l’avant Boy’s love à traiter, ce serait parfait pour sa fin de journée.

Porn ? What Porn ? – C’est du porno ! (2)

En voyant Nathan ainsi, Lucas fit glisser son regard de la carotte qui touchait presque son menton aux yeux de son amant. Sa lèvre supérieure frémit doucement, avant de se lever. La lueur froide dans son regard se réchauffa peu à peu, adoucissant tout autant celle de Nathan. Ses paupières se plissèrent de plus en plus, alors que ses épaules commençaient à être agitées d’un léger tremblement. Bien malgré lui, une image de Nathan nu, le légume lui sortant du derrière, avec un air efféminé sur le visage et gémissant de façon aussi fausse qu’une actrice de porno, avait germé dans son esprit. Et c’était ridicule, hilarant et ridicule. Il ne saurait jamais ce que son conjoint avait pu imaginer, mais c’est ensemble qu’ils éclatèrent de rire comme ça ne leur était pas arrivé depuis longtemps.

Ils finirent effondrés au sol, Nathan à moitié allongé sous lui, la carotte échouée à leurs côtés.

— Je voudrais bien t’entendre faire la nympho en manque, finit-il par avouer lorsqu’il parvint à suffisamment reprendre son souffle.

— Hum, répondit Nathan, avant de passer la main dans ses cheveux.

— Écoute, je sais que tu n’es pas très fier de ce que je fais pour vivre. Ce n’est pas très classe lors des dîners, mais il se trouve que ça me paie. Et puis, je ne ferai pas ça toute ma vie. Je le terminerai un jour mon roman, j’avance, tu sais.

— Je sais, Lucas. C’est moi qui suis désolé. Je… je ne devrais pas agir de la sorte. Par ailleurs, j’aime bien voir la tête des gens quand tu annonces ce que tu fais en soirée.

Il sourit. La dernière, organisée par les parents de Nathan, en avait fait les frais. Le jeune homme avait été ravi d’éclairer un de ses oncles, qu’il ne pouvait pas supporter, sur ce que son petit ami faisait pour gagner sa vie. À la mention de « films X, tu en as certainement déjà vu…. Ça ne te dit rien Partie de fesses à la campagne ou quel était le dernier déjà, chéri ? Analgeddon ? » l’homme avait fui à l’autre bout de la pièce, rouge et bégayant. Oh, il s’était bien pris un sale regard de la part de son père, mais Nathan avait simplement fait un grand sourire. Parfois, Lucas admirait son compagnon pour sa capacité à tout assumer du moment qu’il en avait décidé ainsi, et comme il le lui disait régulièrement, ce n’était pas comme si les autres n’avaient jamais regardé un porno de leur vie. Ils étaient plutôt mal placés pour critiquer. Il avait raison, c’était certain.

Nathan se releva et lui tendit la main.

— Allez viens, on y retourne et je te promets de t’aider.

Et comme pour appuyer ses dires, il dézippa son sweat-shirt, le jeta sur le canapé et ôta son t-shirt.

Lucas ouvrit de grands yeux et trotta derrière son homme, torse nu, comme un chiot derrière son maître.

— Tu fais quoi ? demanda-t-il.

Nathan se retourna.

— Ne me dis pas que Roberta est très habillée dans cette cuisine ?

Le sourire de Lucas s’agrandit lorsqu’il vit la lueur taquine dans le regard de Nathan et ses mains qui en étaient déjà au dernier bouton de sa braguette. S’il avait eu une queue, elle aurait sûrement battu l’air derrière lui quand son compagnon lui jeta son jean et son caleçon.

Celui-ci prit appui sur le plan de travail et y posa les fesses. Lucas détailla son physique si gracieux : son torse glabre, son ventre ferme, sa peau douce et blanche. Ses épaules s’étaient encore un peu plus développées grâce à ses séances de musculation. Oh, c’était léger, mais ce n’était pas pour lui déplaire. Nathan ne pourrait jamais devenir aussi carré que lui, c’était une question de morphologie.

Pour autant, et pour avoir déjà eu à l’affronter lors de jeux idiots de couples amoureux, il savait que sa plus grande musculature n’était pas forcément un avantage. Nathan était plus souple, plus agile aussi, ce qui l’aidait grandement pour les esquives. Et lorsqu’il portait un coup, sa force n’était pas tellement inférieure à la sienne. Par-dessus tout, il aimait ses longues jambes, surtout quand elles s’enroulaient autour de sa taille. Bien sûr, son regard ne manqua pas la zone plus sombre, au milieu de laquelle trônait le sexe encore au repos de Nathan. Le sien connut une croissance rapide lors de cet examen. Qui pouvait vraiment dire que le désir diminuait avec le temps ? Plein, d’après ce qu’il entendait à droite, à gauche. C’était bien triste. De son côté, l’envie était toujours là, peut-être pas comme au premier jour, mais pas moins forte. Différente, définitivement. Les années passées ensemble leur avaient permis de mieux se connaître. Et s’il n’avait pas eu à se plaindre des quelques amants qu’il avait eus avant Nathan, avec lui… c’était différent. Ils avaient expérimenté des choses, petit à petit, l’amour et la confiance leur permettant de faire tomber les barrières de la pudeur, des craintes de ce que l’autre dirait, penserait. Et si leurs caractères avaient parfois eu du mal à s’accorder, il y avait bien un lieu où ils s’entendaient à merveille : dans un lit. Le sexe leur avait parfois sauvé la mise, même si, avec le temps, il était moins devenu le ciment de leur couple que son piment.

Nathan savait comme personne ce qui lui faisait perdre la tête, ce qu’il fallait faire, dire et à quel moment pour qu’il s’abandonne totalement et atteigne des sommets de jouissance. Et tout le plaisir qu’il prenait était décuplé par le fait de savoir qu’il n’y avait qu’avec lui que Nathan se lâchait ainsi, qu’il était le seul avec qui il osait certaines choses et laissait s’exprimer ses désirs sans crainte. Alors, l’avoir là, nu, devant lui, c’était la promesse de bien des choses à venir.

Et, tout à coup, son problème de scène passait tout à fait au second plan. Il s’approcha en se léchant les lèvres et vint se mettre entre les cuisses de son compagnon. Lorsqu’il se tendit pour l’embrasser, Nathan le repoussa. Il garda cependant les jambes écartées, posant même un de ses pieds sur le plan de travail pour avoir une meilleure stabilité.

— Le texte, demanda-t-il en lui tendant la main.

Il afficha une moue déçue.

— Peut-être une fois qu’on aura fini ça, lui proposa Nathan.

Il lui rendit les feuillets fissa, très pressé d’en terminer avec son scénario.

— Alors, où en étais-je, lança Nathan. Ah oui.

Sa main droite, qui avait récupéré la carotte, la fit glisser sur son ventre. Lucas déglutit en suivant le cheminement du légume des yeux, le cercle qu’il décrivit autour du nombril dans lequel, lui, serait bien allé mettre sa langue, la lente descente qui le fit s’enfoncer très légèrement dans la ligne noire qui menait à la toison plus épaisse avant de poursuivre le long de la verge qui commença à se dresser doucement. Quand, après avoir titillé ses testicules, Nathan l’aligna avec son sexe et commença à se masturber, le ventre de Lucas se contracta violemment alors qu’une vague de désir l’assaillait.

— Ça t’excite ? demanda Nathan d’une voix suave.

Il hocha la tête, ses yeux rivés sur la scène devant lui. C’était beaucoup plus chaud que ce qu’il avait visualisé. Parce qu’il avait beau écrire du porno hétéro, c’était bien souvent Nathan qu’il imaginait dans les positions et les situations qu’il décrivait.

— Plus que tu ne le crois.

— Je le devine bien, va, répondit ce dernier, ses yeux insistant sur la bosse qui déformait son pantalon.

Quand son membre fut au garde à vous, Nathan le relâcha. Il pointa de nouveau la carotte contre son corps, l’amenant plus bas cette fois. Lorsqu’il eut dépassé ses bourses, il appuya un peu sur son périnée. Il soupira de plaisir. Les yeux de Lucas allaient lui sortir de la tête tant tout cela lui paraissait incroyable. Sans même s’en rendre compte, il commença à se toucher au travers de son jean.

— Humm, ooh, c’est bon, aaaah, attaqua alors Nathan, reprenant son texte, mais en y mettant beaucoup plus de conviction.

Le jeu l’allumait très sérieusement. Nathan n’avait sans doute repris la carotte que pour le fun, mais à voir ses réactions, peut-être qu’il commençait à prendre le jeu plus au sérieux.

— Bon dialogue, remarqua Nathan narquois, avant de lui lancer un sourire aguicheur.

Lorsque la pointe du légume commença à descendre plus bas encore, Lucas sentit son cœur battre fort et il se demanda si Nathan allait oser, surtout quand la partie la plus charnue de la carotte frotta contre son intimité.

— Tu sais quoi ? ronronna Nathan.

— Quoi ? demanda-t-il les yeux fixés sur cette vision aussi décadente qu’érotique.

— Je plains les actrices pornos, ce n’est pas très confortable en fait, énonça Nathan, toute nuance séductrice disparue de sa voix et le légume tendu vers Lucas comme pour bien appuyer ses dires.

Celui-ci éclata de rire.

— Non, vraiment, c’est désagréable, ça glisse mal et ce n’est pas doux. Les pauvres, quoi.

— Tu veux le concombre ?

— Je ne crois pas que ça sera mieux !

— Je peux mettre un préservatif dessus, si tu veux ? proposa-t-il avec un air coquin un peu gâché par l’éclat rieur de ses yeux.

Nathan pouffa :

— Tu as vraiment envie que je me sodomise avec la carotte, toi !

Il haussa les épaules.

— Ça me permettrait de visualiser, commenta-t-il.

— Et c’est uniquement pour ça bien sûr. Pervers.

— Évidemment, je prends mon travail très à cœur, acquiesça-t-il.

Nathan afficha une mine dubitative.

— J’ai une idée, reprit-il finalement en sautant du plan de travail. Ne bouge pas.

Lucas l’observa sortir de la cuisine, ne cherchant même pas à prétendre qu’il ne matait pas ses fesses. Il ne fallut que quelques minutes pour que Nathan revienne, cachant quelque chose dans son dos que, bien sûr, il essaya de voir. D’un geste du doigt, Nathan lui fit un signe négatif. Alors, Lucas s’approcha de lui, l’attrapa par la nuque et l’attira à lui. Il sourit avant de porter sa bouche sur celle de Nathan pour un langoureux baiser.

Finalement, Nathan le repoussa et lui présenta ce qu’il cachait. Les yeux de Lucas s’agrandirent.

— Je savais que ça allait te rendre muet.

Et pour cause. Ce que Nathan lui montrait était le godemiché que Lucas avait ramené quelques mois plus tôt pour s’amuser et pimenter autrement leurs rapports sexuels. La réponse avait été un « non » à peu près aussi catégorique que lorsqu’il lui avait présenté la carotte et le concombre un peu plus tôt. Nathan n’était pas prude au lit, loin de là. Il assumait ses envies et sa manière de les exprimer à voix haute avait bien souvent eu raison de son endurance sexuelle, mais le coup du sex-toy l’avait littéralement bloqué. Lucas avait réussi à force de persuasion, de « s’il te plaît » et d’une bonne dose de suppliques à l’utiliser une fois, mais Nathan était tellement gêné qu’il n’y avait finalement pris aucun plaisir et qu’ils s’étaient arrêtés en plein milieu de leurs ébats pour se disputer. Un mauvais souvenir donc. Autant dire qu’il ne s’attendait pas du tout à ce que son compagnon aille le déterrer du tiroir dans lequel il était rangé depuis.

D’un petit saut, Nathan s’assit sur le plan de travail, le sex-toy toujours bien en main, un sourire triomphant sur le visage alors que Lucas le regardait, scotché.

— Imagine que c’est la carotte et prends des notes, lui lança-t-il en le repoussant jusqu’à la table d’un léger coup de pied.

Lucas s’y assit et regarda le show, se demandant jusqu’où il irait, toujours pas certain qu’il oserait vraiment le faire.

Nathan n’arrivait pas à croire qu’il était en train de faire ça ni qu’il s’agissait là de son idée. Il avait pourtant été catégorique sur le gode en question et voilà qu’il était celui qui le ressortait et même pas dans le secret de leur chambre. Il se lécha les lèvres de manière aguicheuse et dirigea le jouet jusqu’à son intimité sur laquelle il le fit tourner. Pourquoi son amant avait-il le don de réussir à lui faire faire ce genre de choses ? Il appuya un peu plus, le sex-toy forçant très légèrement l’entrée de son corps sans le faire pénétrer. Il avait chaud, ses joues étaient rouges, il savait que c’était en partie dû à la gêne de ce qu’il faisait, mais aussi à l’excitation de le faire et surtout de voir l’effet sur Lucas.

Celui-ci respirait fort, se mordillait les lèvres, et la main sur son entrejambe accélérait de plus en plus.

— Ouvre ton pantalon, ordonna-t-il.

— Ce n’est pas dans le scénario, répondit Lucas d’un ton amusé.

— Obéis !

Il put voir à l’expression de Lucas que son ordre s’était répercuté directement dans son sexe. Son compagnon s’exécuta et défit sa braguette.

— Sors ton sexe.

— Tout ce que tu veux.

La verge se dressa à peine eut-il baissé son caleçon, droite, fière et désireuse. Nathan laissa passer un « huhum » appréciateur en voyant l’humidité poindre à la tête charnue. Son propre sexe était dans le même état. Faire obéir Lucas le mettait toujours dans cet état. Il ne savait même plus vraiment quand ils avaient joué à cela pour la première fois, pas tout de suite, non, il n’aurait pas osé. Il y avait eu un mot une fois, suivi d’une réaction positive, un autre quelque temps plus tard, avec toujours cette même réaction d’excitation chez l’un et chez l’autre. Et petit à petit, il s’était lâché. Il adorait cela. Être dessous certes, mais être celui qui contrôlait ce qu’il se passait, être le maître du jeu. Lucas se moquait régulièrement de lui en prétendant que c’était son côté maître du monde qui s’exprimait. Malgré cela, il n’était jamais réticent à se plier à ses ordres et il avouait qu’il y prenait un plaisir différent qui le laissait parfois comme embrumé après l’amour, un état qui n’avait rien à voir avec l’orgasme, et qu’il ne savait pas bien décrire. Comme si le seul fait de lui plaire en lui apportant plaisir et obéissance, sans avoir aucune autre responsabilité, pouvait lui procurer une jouissance. Ils n’allaient jamais très loin dans ce jeu de domination et de soumission, le caractère de Lucas ne le lui aurait pas permis et il reprenait parfois la main, mais c’était suffisant pour qu’ils y prennent leur pied en tout cas.

— Maintenant, touche-toi en me regardant.

Lucas ne se le fit pas dire deux fois. Il semblait plus excité que jamais. Sa main se jeta sur sa verge et il commença à se masturber en le détaillant. Et puisqu’il avait toute son attention, Nathan porta le gode à ses lèvres, le léchant consciencieusement pour le lubrifier.

Lucas grogna. Certainement qu’il imaginait être à la place de l’objet, sentant sa bouche et sa langue sur son érection, sa chaleur et son humidité. Et c’était exactement ce qu’il voulait que Lucas ressente.

Il se repositionna pour bien écarter les jambes face à lui, ne rougissant que légèrement de son comportement. C’était le jeu et le jeu était excitant. Il descendit le sex-toy jusqu’à son anneau de chair. Son regard se fixa sur le visage de Lucas, rouge et en pleine décomposition. L’expression que prit celui-ci lorsqu’il poussa le jouet dans son corps lui arracha un sourire de pure satisfaction. Son gémissement fut couvert par celui beaucoup plus sonore de son amant. La sensation n’était pas aussi désagréable qu’elle lui avait paru la première fois. Bien sûr, c’était moins souple qu’une verge et moins chaud aussi, mais comme il commençait à le faire aller et venir, le plaisir était bien là.

De son côté, Lucas sentait la sueur poindre légèrement, la température était montée d’un cran et ses yeux ne voyaient rien d’autre que l’intimité de Nathan accueillant le sex-toy.

— Caresse-toi moins vite, ordonna ce dernier.

— Mais…

— Moins vite !

Lucas eut un frisson tout le long de son corps quand la phrase claqua dans la pièce. Un jour, il faudrait qu’il comprenne pourquoi il aimait à ce point quand Nathan le dominait de cette façon. Il s’était essayé à la psychologie de bas étage, cherchant dans la manière dont ses parents l’avaient éduqué – à la culpabilité, comme le disait Nathan –, mais n’avait trouvé rien de probant. Peut-être qu’il avait simplement des tendances sado-maso et que dans quelques années, il finirait gainé de cuir, menotté à un lit à se faire cravacher les fesses. L’idée l’amusa. Quoi qu’il en soit, il obtempéra et diminua la cadence.

— Je ne veux pas que tu jouisses avant d’être en moi.

Ça va être dur si tu continues, pensa-t-il. Il n’en revenait pas que Nathan ose faire quelque chose comme ça. Il devait vraiment l’aimer pour se lâcher à ce point, pas qu’il en doutait réellement. En tout cas, vivre cette nouvelle expérience l’excitait comme jamais.

Des gémissements s’élevèrent qui n’avaient rien à voir avec le dialogue qu’il avait écrit mais qui traduisaient bien le plaisir que ressentait Nathan, plaisir qui était amplifié par le côté très coquin de ce qu’il commettait. Il avait complètement oublié le scénario dont les feuilles gisaient au sol, tombées là, quand il avait un peu plus écarté ses cuisses pour que Lucas ne rate rien du spectacle.

— Déshabille-toi.

Nathan sut, à la grimace qu’afficha Lucas, que l’idée de lâcher son sexe ne l’enchantait guère. Malgré le rythme lent qu’il lui imposait, et il savait qu’il le torturait en faisant cela, c’était sans doute mieux que de ne pas se toucher du tout, ne serait-ce qu’une minute. Il ne retint pas un petit sourire quand Lucas se précipita sur sa chemise.

— Moins vite.

Sadique ? Définitivement. Lucas grogna littéralement de frustration.

— Je te fais un… ah… show, fais-m’en un… humm aussi.

Alors Lucas s’exécuta. Il bougea les hanches sur une musique imaginaire, défaisant doucement les boutons les uns après les autres. Nathan prit son sexe en main et commença à se caresser lentement. Il sentait le plaisir se faire de plus en plus fort en lui. Son autre main accélérait les mouvements à l’intérieur de son corps. Il admira la vue, la peau qui se dénudait progressivement devant lui. Il avait toujours été presque jaloux du hâle naturel de Lucas. Il détailla les pectoraux tendus, les abdominaux qui se contractaient en réponse aux ondulations des hanches un peu marquées sur lesquelles le jean glissait peu à peu.

Il dévora des yeux le fessier musclé lorsque Lucas se retourna et dandina son arrière-train pour finir de se déshabiller. Il aurait presque pu rire en le voyant s’empêtrer un instant avec ses baskets et son jean, mais l’excitation se frayait un chemin de plus en plus net dans son corps, le coupant de toute autre sensation.

Lorsqu’il fut entièrement nu, Lucas se retourna à nouveau et écarta les bras.

— Ta-daa !

Il sourit.

— Caresse-toi.

La large main de Lucas se dirigea vers son érection.

— Non ! D’abord le torse.

Il se savait exigeant, mais au point de plaisir où il se trouvait, ce n’était pas important. Au contraire même, il avait besoin de jouer avec les limites de Lucas, de le soumettre à son bon vouloir.

Les doigts de ce dernier partirent alors de la clavicule, titillèrent un téton ce qui lui valut un râle appréciateur avant de continuer sur le ventre où d’un hochement de tête, il l’autorisa à reprendre la verge luisante.

— Mainte… maintenant, haleta-t-il en enfonçant le gode plus loin en lui, l’appuyant sur sa prostate, ouvre bien les yeux et… humm… pro… ah… profite… ahhhhh.

Son orgasme explosa dans ce dernier cri, il s’arqua, son corps se contracta et expulsa son jouet tandis que deux jets de sperme jaillissaient de sa verge pour s’écraser sur le carrelage blanc de la cuisine, à côté de la carotte tombée là quelques minutes plus tôt.

Il garda les yeux fermés, savourant les dernières légères contractions qui animaient son corps, les ultimes gouttes de plaisir. Ce fut un grognement qui lui fit redresser la tête et ouvrir les yeux. Ceux de Lucas étaient fixés sur lui, un air d’intense concentration sur le visage. Il était manifeste que le voir jouir de cette façon l’avait amené au bord de son propre orgasme. Mais il ne l’avait pas autorisé à venir et c’était le jeu, il devait se retenir.

Il s’allongea sur le plan de travail, faisant tomber par terre le paquet de céréales que Lucas n’avait pas rangé le matin. Des ronds multicolores roulèrent au sol, certains vinrent s’échouer dans les taches de sperme. Aucun des deux n’y prêta attention. Lucas essayait visiblement encore de se contrôler, ce qui semblait loin d’être une partie de plaisir à en juger par la manière dont il le regardait. D’ailleurs, Nathan laissa une de ses propres mains courir un instant sur son torse avant d’aller essuyer une dernière goutte sur son sexe et de la porter à sa bouche. Lucas fut incapable de retenir le gémissement que cette scène occasionna chez lui.

— Viens là, ordonna-t-il.

Lucas avança, écrasant quelques céréales sans s’en rendre compte. Nathan posa sa main gauche sur sa hanche pour l’approcher de lui. Maintenant qu’il l’avait mis dans cet état, il allait l’achever avec son autre petit truc, car s’il y avait bien quelque chose qui pouvait faire perdre la tête de Lucas, en plus de lui asséner des ordres, c’était de se lancer dans un langage volontairement cru et direct. Le dirty talk était un autre des points faibles de Lucas. Et Nathan adorait s’en servir dans ces moments-là, quand il se sentait suffisamment décomplexé pour exprimer ouvertement ses désirs et ses besoins sans avoir à en rougir.

— Maintenant, écoute-moi bien. Je vais te prendre dans ma bouche et tu vas jouir. Je veux sentir ton sperme tapisser mon palais et s’écouler au fond de ma gorge. Je veux garder ton goût sur ma langue pendant que tu me prendras sur ce plan de travail et que tu me feras crier comme tu sais si bien le faire. Je veux que tu me baises jusqu’à ce que ma voix se casse…

La main de Lucas serra de nouveau sa verge pour s’empêcher d’exploser.

— Et quand j’aurai joui si fort que ma tête me tournera, tu auras le droit de me remplir à nouveau.

Lucas afficha une expression, comme s’il avait pu éjaculer rien qu’à écouter ses mots. Oh oui, il allait faire tout ça et bien plus encore : ce fut évident, vu la manière dont il hocha la tête. Nathan avança son visage au ralenti. Un sourire supérieur s’y dessina lorsqu’il entendit le grognement menaçant de son amant.

Il écarta doucement les lèvres et laissa glisser lentement, très lentement la verge de Lucas à l’intérieur de sa bouche.

— Ahhmmmm, gémit celui-ci.

Il savait qu’il ne faudrait pas grand-chose pour l’amener à l’orgasme. Il fit deux allers-retours, avant de faire ressortir entièrement la verge de sa bouche. Sa main gauche vint caresser les bourses pleines.

— Tu es prêt ? La prochaine fois que je te prends dans ma bouche, je veux que tu jouisses en criant mon nom.

— Oui, oui, oui, supplia presque Lucas.

Sans le torturer plus longtemps, il ouvrit de nouveau sa bouche et enfonça fortement le sexe de Lucas jusqu’au fond de sa gorge où il sentit le premier flot de sperme gicler.

— Ahh, Nathan, ahhhhhhhhh.

Il le pompa violemment tout le temps que dura son orgasme, savourant le liquide chaud et âcre qui s’écoulait sur sa langue et maculait son palais.

Lorsqu’il laissa le sexe ressortir de sa bouche, Lucas tituba jusqu’à la table, ayant besoin de s’y appuyer. La jouissance avait été brutale, les mots de Nathan avaient fait monter son désir, l’attente et la retenue l’avaient à ce point frustré qu’il s’était complètement abandonné quand il en avait eu le droit. Et cette façon qu’il avait de parler : il suffisait qu’il lui balance un ou deux « baise-moi, remplis-moi » et il n’était plus lui-même. Ce n’était finalement peut-être pas étonnant qu’il soit scénariste de films pornos quand ce genre de dialogues réussissait à décupler son excitation et son envie. Il y avait dans ces mots un côté vulgaire, coquin, ouvert qui avait facilement raison de lui.

Avec une longue inspiration, il essaya de reprendre son souffle et surtout ses esprits.

— Tu m’as vidé, finit-il par dire.

— J’espère bien que non, ronronna Nathan.

Il reporta son attention sur lui. Ce dernier s’était de nouveau assis et se masturbait lentement.

— Viens me sucer un peu en attendant de te remettre.

Le ton était doux et tendre, la proposition tentante. Il attrapa une des chaises et la plaça entre les jambes écartées de Nathan. Il s’assit et commença à le lécher. Sa langue courut sur la longueur, s’amusant de la sensation différente de ce sexe encore mou dans sa bouche. Sous ses attentions, celui-ci se redressa petit à petit, se gorgeant de sang sous l’effet de l’excitation qui gagnait de nouveau Nathan. Ce dernier avait appuyé sa tête contre la porte du placard, les mains caressant affectueusement ses cheveux blonds. Les dix minutes s’étaient envolées depuis un moment maintenant, mais il n’y pensait même pas, désireux de poursuivre son programme.

— Tu te sens prêt ? lui demanda finalement Nathan.

Il se redressa et vint murmurer à son oreille.

— Oh oui, prêt à te faire crier.

— Humm.

Nathan tendit sa main droite, ouvrit le placard et sortit la bouteille d’huile. Lucas ne s’en étonna pas : il était certain qu’après la petite séance précédente, un peu de lubrifiant serait nécessaire. Il laissa échapper un rire pervers. Nathan lui fit signe d’un doigt de s’approcher de lui et versa un filet gras sur sa verge avant de reposer la bouteille un peu plus loin. De nombreuses gouttes s’échouèrent au sol, venant pour certaines se mêler aux récentes taches blanchâtres. Il étala l’huile sur son érection avant d’en enduire sa propre intimité.

Lucas s’avança et agrippa ses hanches pour le tirer un peu plus vers lui. Nathan posa ses pieds sur le dossier de la chaise, écartant bien les jambes.

— Je ne peux pas attendre de te remplir de mon sperme aussi ici, chuchota-t-il en passant son doigt sur l’intimité huilée.

— Pas avant de m’avoir fait jouir, Lucas.

— Ce n’est pas toi le scénariste, tu sais.

Une main douce mais ferme passa derrière son crâne et approcha son visage de celui de Nathan. L’expression de ce dernier se durcit légèrement et il sentit poindre en lui la naissance d’une vague de désir qui s’élança avec force quand Nathan grogna un « Tu te tais, tu obéis et tu me baises » avant de prendre sa bouche avec férocité.

Il lui mordit la lèvre en représailles.

— Si tu veux jouer à ça…

Il empoigna son sexe et le pénétra d’un coup sec, gagnant un cri : mélange de surprise et de plaisir.

— Je vais te baiser aussi fort que je le peux.

Il n’était pas le seul chez qui ce genre de langage faisait effet, même si Nathan n’était guère prompt à l’admettre.

— Vas-y !

Il n’en demanda pas plus, se recula et se rengaina vivement une première fois.

— Oui, comme ça, réclama Nathan en passant ses bras autour de son cou.

Il ne répondit rien et ressortit presque entièrement avant de donner un brusque coup de reins. Il maintint ce rythme pendant plusieurs allers-retours, s’arrangeant pour toujours frapper la prostate de Nathan qui se décomposait contre lui. Les petits gémissements qu’il avait émis au début de la pénétration avaient déjà gagné en volume.

— Plus vite, ordonna-t-il quand même.

Il accéléra.

— Comme ça ?

— Hummm.

Il allait ouvrir la bouche lorsque les doigts de Nathan saisirent une poignée de ses cheveux pour tirer dessus.

— Je… ahh t’ai dit de… ahhnn te taire et ahhnn oui… et… et de me baiser.

D’un coup de pied indélicat, Lucas envoya voler la chaise plus loin avant que les jambes de Nathan ne s’enroulent autour de ses hanches. Ses mains se firent plus agressives sur le corps qu’il possédait et son bassin accéléra la cadence.

— Plus fort, fais-moi crier, bordel, Lucas ! se plaignit Nathan.

Lucas se pencha et lui infligea une légère morsure au cou lui arrachant un râle. Un peu de douleur avait toujours eu un effet amplificateur sur le plaisir de Nathan. Sa tête se rejeta en arrière, chaque coup de reins qu’il lui infligeait la faisant cogner contre la porte du placard. Cela ne dura pas et il redressa le visage pour croiser son regard.

— Sur la table, prends-moi sur la table, lui indiqua-t-il.

Il acquiesça d’un hochement de tête, l’attrapa et le posa sur le meuble avant de sortir de lui et de le retourner, écrasant son visage sur la surface froide. Nathan se redressa sur ses coudes et lui jeta un regard noir dont il ne tint pas compte. En fait, peu lui importait, son sexe criait son besoin de retourner dans son antre chaud et il ne comptait pas le priver de ce qu’il voulait. Il écarta les fesses rebondies de Nathan avant de s’enfoncer vivement entre elles, se mettant aussitôt en mouvement. La pénétration se fit plus profonde et son amant s’effondra sur le plateau de la table en laissant des râles de plaisir lui échapper.

— Tu voulais crier, Nathan ? Je vais te donner exactement ce que tu veux.

— Encore, vas-y, l’encouragea celui-ci.

Comme Nathan le lui avait ordonné, il continua à le prendre en usant de sa puissance pour le pénétrer toujours plus fort. Dans ses oreilles, la voix de Nathan se cassa petit à petit tant il criait, montrant à quel point il savourait le plaisir puissant qui parcourait son corps. Il faisait ce qu’il fallait pour cela, son sexe gonflé allait et venait, frappant durement sa prostate à chaque fois, la frottant lorsqu’il se retirait, pour revenir la stimuler à son retour. Le va-et-vient se fit plus rapide, plus fort encore et le visage de Nathan prit cette expression douloureuse du plaisir qui devient torture autant que bonheur. La position dans laquelle il l’avait mis l’empêchait de se masturber et toute la responsabilité de sa jouissance lui incombait à lui et ça l’excitait encore plus.

La table tanguait dangereusement, reculant sous chaque assaut pour s’échouer contre le mur sur lequel elle cognait sans cesse.

Il se gorgeait de la voix rauque de Nathan, mais il se sentait à la limite. La pression se faisait de plus en plus forte, le frottement légèrement désagréable et il n’avait qu’une idée en tête, se libérer.

— Nathan, je vais jouir.

— Pas… ahhh… droit… moi… ohhhahhh… d’abord.

Il grogna entre ses dents et ressortit de Nathan, le retourna une nouvelle fois, forçant sur ses bras pour le manipuler sans le blesser. Il plaça ses jambes sur ses épaules et le reprit en le pliant sur lui-même, appréciant une fois de plus sa grande souplesse. D’une de ses mains, il empoigna le sexe de son compagnon que l’excitation avait déjà lubrifié.

— Ahhhh… Oui… Lucas, Lucas, Lucas, gémit ce dernier.

Il fit deux allers-retours et sentit enfin son amant venir dans un dernier cri. Il l’observa jouir, observa son souffle se couper alors que la vague de plaisir se répandait en lui, observa l’abandon avec lequel il s’offrait à sa jouissance, les expressions sur son visage et son corps qui se relâchait dans l’orgasme. Il ne lui en fallut pas plus et il se vida au plus profond de son amant avant de s’effondrer sur lui.

Quand le souffle lui fut revenu, tout du moins en partie, il aida Nathan à reprendre une position plus confortable, puis il posa ses coudes autour de son visage dont les joues étaient rouges et humides de sueur. Délicatement, il amena ses lèvres sur les siennes, réalisant qu’ils n’avaient pour ainsi dire échangé aucun baiser au cours de leurs ébats. Nathan ouvrit la bouche pour l’inviter à approfondir. Il n’aimait rien autant que la tendresse qu’ils pouvaient s’offrir après avoir fait l’amour de manière aussi brutale. Un craquement sonore retentit et ils se regardèrent. Lucas se redressa, entraînant Nathan avec lui. Il s’assit au sol, glissant contre la paroi du meuble et donna un coup de pied dans la carotte. Il laissa son amant se mettre à califourchon sur lui. Il sentit son propre sperme couler du corps de ce dernier jusqu’à sa jambe.

— Je ne crois pas que notre table supportera un autre round comme celui-là, remarqua-t-il finalement.

— Huhum.

De la main droite, il récupéra son texte. Lui comme la cuisine étaient dans un état lamentable.

— Ça ne t’a pas beaucoup avancé tout ça, hein ? murmura Nathan.

— Oh, si, si, je crois que Roberta va devenir une vilaine petite dominatrice.

Nathan sourit.

— Ah oui ?

— Humm.

— En tout cas, moi, ça ne va pas m’avancer, ce sera dur à caser dans mon rapport, finit par ajouter Nathan en se collant un peu plus à lui pour bénéficier de sa chaleur maintenant que la sueur sur son corps refroidissait.

Lucas laissa échapper un petit rire avant de caresser son dos, l’invitant à se blottir contre son torse. Ils restèrent encore un moment dans cette position et finalement se relevèrent. Il vit Nathan attraper son jean à lui, l’enfiler et sortir de la pièce.

— Heu… tu ne m’aides pas à ranger ? lança-t-il.

La tête brune de Nathan passa par l’entrebâillement de la porte.

— Tu plaisantes, j’espère. Je devais te consacrer dix à quinze minutes, on a très largement dépassé. Alors tu te charges du reste.

Et sur ce, il disparut dans le salon.

Lucas resta cinq minutes comme un couillon dans sa cuisine, ses feuilles à moitié froissées à la main, regardant le sol couvert de céréales en partie écrasées et maculé de taches d’huile et de sperme. Il réalisa d’ailleurs que son jean allait être bon pour un tour en machine puisque Nathan l’avait mis sans rien d’autre… Oui, il resta là cinq bonnes minutes à se dire que son amant le prenait peut-être un peu pour un con là.

Mais peut-être qu’en fait ce n’était pas grave parce que… quelle putain de partie de jambes en l’air il venait de s’offrir !

Il sourit, attrapa la carotte, la balança directement dans la poubelle et au moment où il saisissait la pelle et la balayette, son jean passa la porte en glissant sur le carrelage.

Son sourire s’agrandit alors qu’il se dirigeait vers le vêtement pour le ramasser. Il regarda dans le salon pour voir Nathan lui jeter un coup d’œil rapide avant de prendre la direction de la salle de bain.

— C’était juste histoire de le dégueulasser que tu l’as mis ou quoi ? demanda-t-il.

— Arrête de te plaindre et viens me frotter le dos.

— Je ne suis pas ta bonne !

— Oui, mais si tu es gentil, peut-être que la prochaine fois, j’utiliserai vraiment la carotte en guise de sex-toy.

Oh, il y avait quoi ? Une chance sur cent pour que ce soit vraiment le cas, mais… Lucas jeta son jean sur la table et trottina jusqu’à la salle de bain… il avait toujours été chanceux au jeu.

Porn ? What Porn ? – C’est du porno ! (1)

Auteur : Hope Tiefenbrunner.

Genre : Érotique, M/M, humour, fluff.

Résumé : Lucas, écrivain en herbe et scénariste de films pornographiques pour gagner sa vie, a besoin du coup de main de son compagnon, Nathan, pour la scène  sur laquelle il bloque. Et oui, c’est du porno !

C'est du Porno !

D’un rapide « contrôle S », Nathan enregistra son fichier et soupira. Il s’étira, son dos craquant au passage avant de poser les mains sur ses épaules qu’il massa légèrement tout en faisant rouler sa tête d’avant en arrière pour détendre sa nuque. Les tensions dans ses muscles, conséquence de plusieurs heures passées sur l’ordinateur, diminuèrent légèrement. Un nouveau soupir et il baissa les yeux sur le rapport auquel il travaillait depuis maintenant plus de trois heures. C’était la partie de son boulot qu’il détestait le plus. Il aimait être sur le terrain, pas coincé chez lui à rédiger des pages et des pages qui ne seraient lues par personne, mais qu’il avait obligation de pondre.

Il finissait de relire son précédent paragraphe lorsqu’il aperçut une ombre à la porte de son bureau. Il leva le nez pour découvrir son compagnon. Son œil parcourut rapidement l’harmonieuse silhouette de Lucas, habilement mise en valeur dans un jean foncé et un simple t-shirt blanc, avant de s’arrêter sur sa main qui tenait un petit paquet de feuilles.

— Non, dit-il en ramenant son regard sur l’écran.

— Quoi non ?

— Non, c’est tout.

— Mais je n’ai encore rien dit ?

— Pas la peine, je sais ce que tu veux et c’est non.

— Allez, j’ai besoin de finir ce scénario pour demain au plus tard. Ça fait une heure que je tourne en rond, je n’arrive à rien.

— Non.

Lucas fronça les sourcils et s’avança jusqu’à son bureau.

— Nath, chouina-t-il.

Mais ce dernier avait reporté son attention sur son travail et ses doigts commencèrent à se remettre en mouvement sur le clavier. Lucas grogna. Nathan avait parfaitement conscience que son compagnon ne supportait pas de se faire ignorer de la sorte. Le plus discrètement possible, il l’observa du coin de l’œil passer la main dans ses cheveux blonds, replaçant une mèche derrière son oreille et se pencher. La mèche, bien sûr, se sauva et vint taquiner sa joue. Lucas la laissa faire, habitué à cette bataille perdue d’avance.

— Allez, bébé, aide-moi, reprit-il et Nathan reporta toute son attention sur son écran, ses doigts n’interrompant pas leur cliquetis.

— Naaaaatttthhhh.

Il ferma un instant les yeux avant d’inspirer un grand coup. Il ne répondrait pas, non, il ne le ferait pas.

— Aide-moi, aide-moi, aide-moi, ai…

— Lucas ! cria-t-il en tapant légèrement du poing sur son bureau, parce qu’il voulait bien l’ignorer, mais il y avait des limites à ce qu’il pouvait endurer.

Son compagnon se recula, juste un peu.

— Moi aussi, j’ai du travail, rétorqua-t-il, prenant sur lui pour maîtriser son ton.

— Mais tu as encore plus d’une semaine pour rendre ton rapport alors que moi…

— Non.

— Allez, je suis bloqué.

— Va au vidéoclub.

Lucas laissa échapper un petit rire.

— Tu sais bien que Mathieu n’est pas gay, bébé.

Nathan leva le regard sur lui et le fixa droit dans les yeux.

— Justement, il sera de bien meilleur conseil que moi.

— Il ne voudra pas m’aider et tu le sais très bien.

Oui, il le savait, mais il s’en foutait royalement. Ce qu’il voulait lui, c’était boucler cette saleté de rapport.

— Va te louer un film alors. Ils en ont des tonnes, lâcha-t-il.

— Mais, c’est inutile, je veux juste tester une scène. Y’en aura pas pour plus de dix minutes. Tu peux quand même m’accorder dix minutes de ton temps. Moi, je m’ar…

— Me culpabiliser ne servira à rien, Lucas, quand le comprendras-tu ?

Il retint le « Ce n’est pas parce que tes parents t’ont élevé à la culpabilité qu’il faut croire que ça marche sur tout le monde » qui lui chatouillait les lèvres. Ç’aurait été cruel de le lui balancer, d’autant qu’il n’était qu’en partie la source de son agacement.

— Mais heu…

— Et tes répliques dignes d’un gamin de dix ans non plus.

— Oh, je t’assure que ce que j’ai là, répondit Lucas en agitant ses feuilles, aucun enfant de dix ans ne peut l’écrire.

Nathan put l’entendre penser : « Et heureusement », rien qu’à voir son expression amusée. Le regard qu’il lui adressa en réponse aurait pu se traduire par « je demande à voir ». Lucas réagit par une moue, mais n’abandonna pas pour autant. Personne ne pourrait dire de son compagnon qu’il n’était pas plein de ressources, se désespéra Nathan.

Adoptant une démarche féline qui, c’était vrai, lui réussissait la plupart du temps, Lucas fit le tour du bureau, se plaça derrière lui et posa ses mains sur ses épaules, massant doucement. De prime abord, Nathan sentit ses muscles se contracter, mais l’habileté de son amant les força à se détendre. Celui-ci se pencha alors à son oreille.

— Humm, tu es tout tendu, ça te fait du bien ?

Nathan, même s’il appréciait grandement ce petit massage improvisé, n’était pas dupe.

— On n’est pas dans un de tes films.

— Tu vois vraiment le mal partout, toi.

— Bah, tiens.

Il continua encore un peu, espérant de toute évidence l’amadouer.

— Lucas ! cria-t-il en chassant la langue qui venait de titiller son cou.

Le regard noir de Nathan se fit meurtrier et il recula un peu. Son visage adopta de nouveau une petite moue déçue, essayant de l’apitoyer : peine perdue.

— Rhôo, t’es vraiment pas sympa, tu sais.

— Retourne sur ton ordinateur et laisse-moi travailler maintenant !

Lucas croisa les bras sur sa poitrine et, tirant la tronche, sortit de la pièce tout en marmonnant des « Injuste… moi, je me plie en quatre pour lui et demande-lui quelque chose… son idée à la base… ».

Nathan n’entendit pas la fin. Il soupira. S’il avait le pouvoir de remonter dans le temps, il se rendrait directement à ce jour fatidique de l’année précédente quand il avait suggéré à un Lucas déprimé et ne trouvant pas de travail d’accepter la proposition délirante que Pôle emploi lui avait fait suivre. Après tout, quand il s’agissait de manger, scénariste de films pornos, c’était toujours de l’écriture. C’était mieux que rien et en attendant, c’était ça de pris, c’était du moins ce qu’il lui avait dit pour le convaincre. Il n’aurait jamais cru que son compagnon serait doué pour ça, suffisamment pour qu’on lui en redemande.

Il s’écoula peut-être dix minutes avant que celui-ci ne repointe le bout de son nez par la porte. Nathan remarqua tout de suite qu’il portait son blouson.

— Je sors, annonça ce dernier.

Aussitôt, son minois disparut et Nathan entendit ses pas dans le couloir.

— Tu vas au vidéoclub ?

— Non.

Il haussa un sourcil. Il avait un mauvais pressentiment.

— Où, alors ? cria-t-il.

— Chez Guillaume.

Les mains de Nathan s’arrêtèrent, son majeur toujours sur la touche « i ». Guillaume ? Il avait bien entendu Guillaume, là ?

Il se leva brusquement et sortit de la pièce, emprunta rapidement le petit couloir qui menait au salon. Lucas était assis sur une des deux marches qui séparaient ce dernier de l’entrée et était en train de nouer sa seconde basket.

— Pourquoi tu vas chez lui ?

— C’est son jour de repos, il voudra sûrement bien m’aider.

— Et qu’est-ce qu’il y connaît ?

— C’est un mec hétéro, il a déjà vu des pornos dans sa vie, tu sais.

C’était vrai, mais Nathan n’était pas objectif dès qu’il s’agissait de Guillaume.

— Oui, enfin, ça ne fait pas de lui un spécialiste surtout que nous savons tous les deux quel genre de porno il aimerait regarder en vrai et avec qui et…

Lucas serra son lacet et releva la tête vers lui.

— Écoute, Nath, tu ne veux pas m’aider, soit. Maintenant, je suis bloqué. Tu m’as dit de me débrouiller, eh bien, c’est ce que je vais faire. De quoi te plains-tu ?

— Je ne me plains pas, se défendit-il.

— Mouais.

Lucas se leva, attrapa ses clefs sur la console de l’entrée et se dirigea vers la porte.

— Att…

— Quoi ?

Lucas observa son visage. Nathan savait bien qu’il devait être fermé, comme toujours lorsqu’il s’apprêtait à capituler, ses lèvres étaient pincées, ses sourcils se fronçaient juste un petit peu et ses yeux se plissaient légèrement. Lucas le lui avait mimé une fois qu’ils en discutaient tous les deux. Le truc, c’est qu’il avait une sainte horreur de céder et que ça se voyait sur lui. Il n’y pouvait rien.

— Tu as bien dit qu’il n’y en aurait que pour dix minutes ?

De son côté, Lucas arborait un grand sourire, fier et satisfait. La jalousie marchait toujours avec Nathan. Il suffisait de prononcer le prénom « Guillaume » et hop, il faisait ce qu’il voulait de son mec.

Son ami n’était même pas gay, mais Nathan était persuadé qu’il se rabattait sur les femmes uniquement parce qu’il n’avait pas pu avoir Lucas. « Ses fesses crient prends-nous à chaque fois qu’il te voit. Il est toujours en train de se pencher pour te les montrer ». Voilà le genre de propos que Nathan tenait sur Guillaume. Oh bien sûr, lui-même entretenait cette jalousie en déclarant ledit postérieur tout à fait appétissant, ce qui n’était d’ailleurs pas faux. Il était difficile de ne pas succomber au charme de son meilleur ami. Il était beau garçon, bien fait, cultivé, gagnait bien sa vie et quand il connaissait suffisamment les gens, se révélait très drôle. Mais Guillaume n’était pas de ce bord, définitivement pas. Il n’y avait bien que Nathan pour en douter. Toujours est-il que grâce à lui, il allait une fois de plus obtenir ce qu’il voulait. Et il adorait ça.

— Oui, un quart d’heure, grand maximum, confirma-t-il.

Nathan soupira et maudit Guillaume et peut-être sa jalousie, mais seulement « peut-être » alors.

— Bon, on va où ? La chambre ?

— Non, la cuisine, le contredit Lucas en se débarrassant de sa veste et en reprenant ses papiers.

Nathan lui jeta un œil suspicieux, mais ne chercha pas plus. Il traversa leur salon pour rejoindre la pièce, Lucas sur ses talons.

— Et maintenant, on fait quoi ?

Son compagnon ne parvint pas à cacher son sourire. Il lui tendit un paquet de feuilles et posa son double du scénario, observant la pièce du regard.

— J’avais pensé à la table, mais en fait, c’est trop cliché.

Nathan se contenta de lever les yeux au ciel. Trop cliché dans le porno ? Il aurait tout entendu.

— Oui, voilà, tu vas te mettre là, reprit Lucas en le poussant jusqu’à l’asseoir sur le plan de travail.

Cela fait, il ratura sa feuille. Nathan l’observa écrire consciencieusement. Il avait toujours admiré la rapidité avec laquelle Lucas était capable de se concentrer. Vous l’abandonniez cinq minutes et à votre retour il sursautait comme s’il était dans sa bulle depuis deux heures, complètement coupé du monde. C’était exactement comme cela qu’il l’avait rencontré, dans un bar, bondé de types hurlant devant le match de foot qu’il ne fallait pas rater. Comme lui, il avait été traîné là par des amis. Les siens avaient prétexté que ce n’était pas parce qu’il était gay qu’il ne pouvait pas apprécier un bon sport viril. Ce à quoi, il leur avait répondu qu’on voyait dans un match bien plus de mecs se coller les uns aux autres que dans un bar gay. Cela lui avait valu des « ah, sacrilège » et autres idioties du genre. Le truc, c’est qu’il n’aimait pas suivre du sport à la télé et n’avait jamais compris l’intérêt de passer une heure et demie ou plus de son temps à regarder des types en shorts moches courir après un ballon. Mais il avait fait l’effort. Autant dire qu’il ne le regrettait pas.

Lucas avait été là, assis à une table avec un agité braillant à ses côtés, ne prêtant attention à rien autour de lui, passionné par ce qu’il était en train d’écrire dans un cahier. Nathan n’avait pas réussi à détacher son regard de lui et de l’aura de calme qu’il dégageait. Ce n’était pas le plus beau petit lot du bar. Contrairement à lui, Lucas était plutôt commun, en tout cas tant que son sourire chaleureux n’éclairait pas son visage, tant que ses yeux ne se teintaient pas de cette lueur qui vous donnait l’impression d’être unique et merveilleux.

Lui avait un visage dont la symétrie, la finesse et, disait-on, l’élégance lui avaient toujours attiré aussi bien des femmes que des hommes. Autant dire qu’il n’avait jamais vraiment eu d’efforts à faire pour trouver des partenaires. Tant mieux, car draguer n’était pas son fort. Et sans doute que si ses regards persistants avaient réussi à attirer l’attention de Lucas, n’aurait-il rien eu à faire. Mais il était rapidement devenu évident que le fixer n’aurait aucun effet. Alors après deux pintes, il avait finalement rassemblé suffisamment de courage pour l’aborder. Le bond que Lucas avait fait quand il lui avait tapoté l’épaule l’avait fait sursauter lui aussi. Un éclat de rire, une présentation et un verre plus tard, ils s’étaient éclipsés, abandonnant avec plaisir les hurlements de colère des supporters déçus autour d’eux. Depuis, ils ne s’étaient plus quittés. Enfin… pour ainsi dire. La vie n’avait pas été rose, loin de là. Nathan avait rapidement découvert que sous sa jovialité et son apparent calme Lucas avait un caractère de cochon et qu’il pouvait s’emporter très facilement. Il reconnaissait lui-même ne pas être facile, avec des tendances colériques qu’il maîtrisait particulièrement mal. Autant dire que les disputes étaient arrivées très rapidement, parfois pour des broutilles, un mot plus haut qu’un autre, une exaspérante manie de laisser traîner son linge sale, cette lenteur à manger, …, parfois pour des sujets plus lourds.

Nathan pouvait ajouter à ses propres défauts une jalousie excessive, trait renforcé par l’attachement qu’il avait tout de suite ressenti pour Lucas. Il n’était pas comme les autres et la peur de le perdre avait au départ bien souvent obscurci son jugement. Il voyait des rivaux partout et avec le caractère enjoué de Lucas et sa manie de toucher les autres, c’était difficile de ne pas réagir, voire surréagir. Il s’était amélioré avec le temps malgré ses réactions toujours épidermiques en ce qui concernait Guillaume, mais personne ne parviendrait à lui prouver qu’il avait tort sur ce point.

Quoi qu’il en soit, Lucas, d’un naturel confiant, avait eu beaucoup de mal à supporter sa possessivité et ses remarques, tout comme ses regards suspicieux. Cela avait engendré de longues disputes, une ou deux séparations également : de quelques heures, parfois d’un jour ou deux. Elles n’avaient jamais été plus longues, mais elles avaient été fréquentes, accompagnées de « si c’est comme ça, je crois que nous n’avons rien à faire ensemble » où l’autre acquiesçait ou renchérissait par un « parfait, casse-toi ». Les mots s’étaient faits blessants, jouant sur les faiblesses qu’ils découvraient au fur à mesure, appuyant où cela faisait mal, le regrettant amèrement ensuite.

Pourtant, ils étaient toujours revenus l’un vers l’autre, à grand renfort d’excuses, de « plus jamais » et de « je t’aime ».

L’amour…

Il n’avait jamais été aussi amoureux de quelqu’un que de Lucas. Même cinq ans plus tard, il lui arrivait encore d’avoir le cœur qui battait bêtement la chamade et de ressentir des papillons dans le ventre quand ils se rejoignaient quelque part. Il y avait aussi ces petits moments, surprenants, imprévisibles, où ils se baladaient ensemble, regardaient un film ou s’occupaient chacun de ses petites affaires dans la même pièce, où la certitude qu’à cet instant précis, il était pleinement et totalement heureux le frappait. Cette minute où le temps se suspendait suffisamment longtemps pour qu’il puisse graver ce moment et cette plénitude en lui.

Il n’était pas le type le plus romantique de la terre, mais il avait le bon goût de reconnaître que Lucas était l’homme de sa vie. Et s’il l’oubliait parfois, pris dans le quotidien, son travail et les petits soucis qui s’accumulaient de-ci de-là, il y avait toujours quelque chose pour le rappeler à l’ordre.

Bien sûr, tout n’était pas parfait. Il travaillait parfois trop, s’enfermait trop longtemps dans son bureau et Lucas se plaignait de ne pas le voir, de vivre à côté de lui et non avec lui. Lucas, le cœur sur la main, se faisait embarquer dans des plans foireux par certains de ses amis, acceptait sans réfléchir toujours aux conséquences, et les tensions renaissaient au fil des jours.

Mais, avec le temps, des compromis, beaucoup de compromis, les choses s’étaient naturellement calmées. Ils avaient appris à parler plus et à crier moins. Ils avaient compris qu’il fallait faire avec leurs différences, avec leurs histoires et leurs passifs et cela malgré les écarts qu’il y avait parfois entre eux.

Ils ne venaient pas du tout du même milieu socioculturel, et si Lucas avait compensé ses modestes origines autant par une soif d’apprendre et de lire qu’une vive intelligence, il y avait parfois des incompréhensions entre eux, de sérieux ajustements à entreprendre. Un exemple parmi d’autres était leurs habitudes de vacances. Lucas n’était que rarement parti et toujours en mode économie : tente et camping, mais il adorait cela. Nathan était définitivement allergique à la vie en communauté et à l’absence d’un minimum de confort. Cela se reflétait également dans leur goût en matière de décoration. Lucas se fichait bien un peu de l’endroit où il vivait et de la tête que cela avait. Nathan avait le besoin de se recréer un petit cocon où il se sentait bien et chez lui, d’avoir un canapé confortable dans lequel se vautrer, et quand sa mère leur avait offert l’énorme plaid en fausse fourrure qui y trônait maintenant, Lucas s’était foutu de lui, mais lui en avait été enchanté. Il n’en prêtait un bout que parce que sa mère avait insisté pour dire que c’était un présent commun et non uniquement pour lui.

Leur famille était justement une autre de ces grosses différences avec laquelle il avait fallu apprendre à composer. Si la sienne avait accepté son homosexualité, non sans quelques grincements de dents, celle de Lucas n’avait jamais voulu le comprendre ou l’admettre. Ce n’était pas tant un rejet qu’une incapacité à comprendre que cela ne changerait jamais, qu’il n’y avait pas là une histoire de passage et de jeunesse et que non, leur fils ne finirait pas par leur ramener une belle-fille et les abreuver de petits enfants. Ce n’était pas non plus une maladie dont il pouvait se soigner avec un petit effort.

Et les remarques incessantes que Lucas recevait chez eux l’avaient poussé à ne presque plus y mettre les pieds. Lui-même ne les avait rencontrés que deux fois et cela n’avait jamais été volontaire. Et il avait alors été le bouc émissaire parfait, celui qui empêchait désormais leur fils de revenir dans le droit chemin. S’il avait eu la politesse de se taire, ce n’était que par respect pour Lucas, mais il avait eu du mal, tellement que son dédain et sa colère avaient transpiré par tous les pores de sa peau. Évidemment, Lucas souffrait de la situation, mais il avait trouvé dans sa famille à lui une acceptation qu’il lui enviait, mais qui lui faisait aussi le plus grand bien.

— Tu me rappelles déjà sur quel film tu travailles ?

— Cochonnes en cuisine.

Un éclat de rire retentit dans la pièce.

— Pardon ?

— Cochonnes en cuisine.

— Non mais, c’est quoi ce titre ?

— Oh, ça va, ça va, c’est du porno, hein ? et puis, c’est pas moi qui l’ai choisi, je fais le deux là.

— Parce qu’il y a un numéro un.

— Eh bien oui, monsieur !

Lucas prit une mine renfrognée et se dirigea vers le frigo. Nathan leva les yeux au ciel. Pourquoi avait-il accepté de l’aider, déjà ?

Ah oui, Guillaume !

Pourtant, il s’était juré qu’il ne serait plus jaloux de cet homo refoulé et aussi, ah oui, qu’il n’assisterait plus Lucas lorsque celui-ci avait besoin de tester ses cochonneries.

Mais voilà… il avait encore échoué.

Il soupira, appuya l’arrière de sa tête contre le placard et ferma les yeux. Il ne voulait même pas savoir ce qu’il y avait sur la feuille que Lucas avait entre les mains.

— Alors, que se passe-t-il dans cette scène ?

— Et bien Roberta…

— Non !

— Quoi ?

— Roberta ?

— Je t’ai déjà dit que c’est la suite. Moi, je n’y suis pour rien, répondit Lucas en se penchant en arrière pour pouvoir le voir malgré la porte du frigo. Et puis, je te le rappelle, c’est du porno !

Nathan se passa la main sur le front.

— OK ! Donc, Roberta ?

— Et bien, elle est dans la cuisine.

— Et c’est une cochonne.

Un gros soupir retentit.

— Si c’est pour faire des commentaires désobligeants sans arrêt, ce n’est pas la peine.

— Excuse-moi.

— Donc, Roberta est dans la cuisine et se fait un petit plaisir.

— Huhum.

Le bruit du frigo qu’on refermait attira son attention sur Lucas. Il ouvrit de grands yeux en voyant ce que son compagnon posait sur la table.

— Oh là, oh là ! Minute ! Qu’est-ce que tu espères me faire faire avec ça ?

— Ben, je viens de te dire…

— Il est hors de question que cette carotte ou ce concombre s’approchent de moi et de mon…

Lucas leva les yeux au ciel.

— Ce que tu peux être prude !

— Tu plaisantes, j’espère. Je crois que tes histoires de cul te montent à la tête.

Lucas s’arrêta un instant, une petite moue sur les lèvres.

— Mouais, peut-être. Bref, est-ce que tu peux faire semblant ? De toute façon, je n’attendais pas que tu le fasses pour de vrai.

Nathan soupira et attrapa la carotte que lui tendait son compagnon.

— Alors ?

— Tu prends la page cinq, quatrième scène.

Il tourna les quatre premiers feuillets.

— Bien, dit-il.

Il fit une sale tête en lisant les premières lignes, se demandant encore pourquoi il avait proposé d’aider Lucas.

« Scène quatre : La scène s’ouvre directement sur Roberta dans la cuisine, assise sur la table, elle se pénètre avec les légumes. Gros plan sur son visage et on descend pour découvrir ce qu’elle fait.

Roberta : Hum, oh, c’est bon, ah.

C’est alors que Paul entre dans la pièce. Roberta ne le remarque pas et continue à se masturber. Paul se déshabille et commence à en faire autant.

Paul : Hum, je vois que tu t’amuses bien.

Il s’avance.

Paul : Regarde, j’ai un gros concombre pour toi. Si tu veux, je te laisserai jouer avec, petite cochonne. »

Oh mon Dieu, mais c’était quoi ce dialogue ? pensa-t-il avant de continuer.

« Roberta : — Dialogue à trouver.

À trouver : que fait Roberta avant de laisser Paul la sauter ? »

Et il était payé pour… ça ? Nathan n’en revenait tout simplement pas. C’était nul ! En même temps, il avait rarement regardé des pornos hétéros, mais quand même. D’un autre côté, les pornos gay n’étaient pas vraiment plus glorieux.

— J’ai écrit tout le reste de la scène, précisa Lucas, c’est le départ qui me pose problème, alors si tu pouvais me montrer ce que ça donne pour que je voie si… enfin…

— Je refuse de…

— Je sais, juste, fais semblant.

Nathan soupira et ses yeux se posèrent de nouveau sur les pages qu’il tenait. Il y eut un silence, qui se prolongea.

— C’est quand tu veux, Nath ! grogna Lucas.

— Oui, oh, ça va, hein ?

Il soupira encore une fois, fusilla Lucas du regard. Il garda la carotte à la main, la posa sur son entrejambe et ne fit rien de plus. Il était hors de question qu’il mime l’acte.

— Hum, oh, c’est bon, ah, dit-il d’une voix monocorde et sans aucun enthousiasme, le tout en roulant des yeux pour bien montrer ce qu’il pensait de cette scène.

Il fut surpris lorsque les feuilles furent arrachées de ses mains et que Lucas sortit en trombe de la cuisine. Il sauta en bas du plan de travail et rejoignit son compagnon dans le salon. Celui-ci venait de reprendre sa veste.

— Quoi ? cracha-t-il.

— Écoute, si c’est pour y mettre aussi peu de bonne volonté, ce n’est pas la peine, franchement.

Il sentit la tension monter en lui, ses poings commencèrent à se serrer.

— Mais qu’est-ce que tu veux, bon Dieu ?

— Oh rien, Nath, laisse tomber.

— Mais putain, tu veux quoi ? Que je me mette cette carotte dans le cul et que je gémisse comme une nympho en manque ? demanda-t-il en brandissant le légume sous le nez de Lucas.

Il y eut un nouveau silence.

Porn ? What Porn ? – Ce n’est pas du porno ! (2)

La pièce comportait un lavabo que jouxtait un petit coin repos composé d’une machine à café et d’un canapé. Une fois débarbouillé, Alex se posa dans celui-ci, espérant que prendre une légère distance avec Gabriel pourrait l’aider à recouvrer ses esprits. La voix de ce dernier retentit aussitôt.

— Et… tu es sûr de vouloir garder le début de ta scène comme ça ?

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas. J’ai l’impression qu’ils se sautent dessus bien facilement. Et si tu les faisais picoler ? ajouta-t-il avec un amusement marqué.

— C’est cliché.

Gabriel haussa les épaules.

— C’est sûr. Ce n’est pas grave non plus. En même temps, comme je te le dis, pour un porno…

La phrase était purement moqueuse et Alex en lâcha un rire. Quand il se tourna vers Gabriel, il remarqua que son regard venait de se teinter d’une forme de provocation purement sensuelle.

— D’un autre côté, l’alcool c’est bien pratique : ça désinhibe.

— Ça attaque la mémoire, contra-t-il. Ça fait oublier ce qu’il s’est passé.

— Pas forcément.

Alex eut un sourire, sincère malgré la gêne que le rappel de ces événements avait provoquée en lui. Il pivota sur lui-même pour s’allonger de tout son long sur le canapé, la tête vers Gabriel. Son regard se perdit au plafond.

— Tu…

Il hésita. Un peu. Pas si longtemps, en fait.

— Tu te souviens, toi, de ce qu’il s’est passé lors de la dernière soirée ?

Le souvenir de Gabriel se raidissant contre ses reins était encore vif.

— Bien sûr.

Alex reprit son souffle.

Au-dessus de sa tête, les planches de bois vieillies se succédaient, dessinant des motifs abstraits. Son crâne se renversa en arrière. Quand il reporta son regard sur Gabriel, la vision qu’il eut de lui fut curieuse, inversée, comme ça. Il laissa glisser légèrement son crâne contre la matière noire du canapé, y étalant plus largement les mèches brunes de ses cheveux.

— Tu sais, j’ai vraiment cru que tu allais m’embrasser, lâcha-t-il soudain.

Contre toute attente, la confidence n’avait pas été difficile. Il se sentit néanmoins pris de vertige, comme si la Terre venait de s’offrir un tour de tourniquet et qu’il devait en attendre l’arrêt. Puisque Gabriel ne répondit pas, il essaya de calmer sa respiration et attendit que le plafond cesse de bouger.

Enfin, un grincement parvint à ses oreilles : celui du siège duquel Gabriel venait de se lever. Alex ferma les paupières, écoutant le pas lent qui s’approcha de lui. Lorsqu’un poids se fit des deux côtés de sa tête, il rouvrit le regard dans un mélange d’inquiétude et d’espoir. Là, appuyant ses paumes sur l’assise du canapé, Gabriel était penché juste au-dessus de sa tête. Alex se perdit dans ses yeux.

— J’en ai envie, murmura-t-il d’une voix plus faible.

Les lèvres qui s’entrouvrirent le captivèrent.

— Tu en es sûr ?

— Oui.

Il y eut alors un instant de flottement, leurs regards restant plongés l’un dans l’autre, puis le visage de Gabriel se rapprocha. Enfin, sa bouche se posa sur la sienne.

Le contact fut doux, plus qu’Alex ne l’aurait imaginé. Les lèvres de Gabriel avaient gardé le goût sucré de la boisson qu’ils avaient partagée. Lorsqu’une langue partit à la quête de la sienne, il leva la main pour s’accrocher à la chevelure de Gabriel et ouvrit plus largement la bouche dans une invitation muette. Le baiser s’approfondit. L’excitation monta, puissante, le poussant à refermer inconsciemment le poing sur les cheveux dans lesquels il avait glissé les doigts.

Un souffle passa sur ses lèvres.

— Tu as peur que je m’échappe ?

Alex perçut aussitôt la force avec laquelle il l’avait agrippé. Il desserra la main.

— Peut-être, avoua-t-il.

Le désir pulsait violemment à l’intérieur de son ventre, réduisant à néant tout ce qui ne tournait pas autour de la bouche de Gabriel au-dessus de la sienne, de son regard et de la chaleur de son souffle contre sa peau. Lorsque les lèvres de Gabriel s’emparèrent de nouveau des siennes, ses paupières se fermèrent et il se laissa aller à cette sensation d’irréalité qu’il éprouvait. La lenteur avec laquelle Gabriel l’embrassait pouvait bien être un rêve. Chaque contact de leurs lèvres l’une contre l’autre avait des airs de mondes à découvrir. S’il éprouvait l’envie d’aller plus vite, au fond de lui quelque chose lui chuchotait qu’il n’avait pas besoin de se presser, qu’il était inutile de brûler les étapes, qu’il avait le temps de les savourer. Longuement, leurs langues se caressèrent, leurs souffles se répondant, au point que, lorsque le baiser se rompit, Alex se rendit compte qu’il avait des difficultés à se réhabituer à la lumière et que la tête lui tournait.

Il cligna plusieurs fois des yeux, absorbé par l’expression de Gabriel, penché sur lui. Le souffle qui s’évada des lèvres de ce dernier fut brûlant :

— J’ai envie de toi.

Un temps, il laissa ces paroles le parcourir. Il effleura de ses dents la pulpe de ses lèvres, les percevant irritées par leur baiser.

— Tu veux que je t’apprenne comment on fait un bon porno ? reprit Gabriel avec une certaine ironie, mais qu’Alex sentit mal assurée.

Il pouvait percevoir l’envie sous-jacente, massive.

— On ne tourne pas un film.

— C’est une idée…

L’inquiétude resserra le ventre d’Alex. Gabriel ne fut pas loin de rire.

— Je parle pour le bouquin ! Ça pourrait te donner des idées.

— Dis surtout que c’est trop tentant de continuer à te moquer de moi sur ce sujet.

Un sourire de connivence monta aux lèvres de Gabriel.

— Je suis incapable de résister, avoua-t-il en se penchant pour l’embrasser.

Alex se tendit vers lui. Lorsque Gabriel s’attaqua à la chair tendre de son cou, il laissa échapper un soupir lascif, puis sentit ses doigts plonger dans sa chevelure, la parcourant avant d’atteindre la peau de sa nuque, sur laquelle ils s’attardèrent. Enfin, la main glissa dans le col de sa chemise en atteignant les muscles de son dos.

— Tu en avais vraiment envie ? murmura Gabriel.

— Oui.

— Beaucoup ?

Alex prit une seconde pour répondre. En percevant le pouce de Gabriel passer sur l’un de ses mamelons, à travers le tissu du t-shirt, il soupira :

— Oui.

— C’est vrai ?

Doucement, Gabriel fit rouler son téton entre ses doigts, le poussant à se mordre les lèvres tandis qu’il hochait la tête.

— Pas toi ?

Gabriel laissa planer un silence. Puis, il grimpa soudain jusqu’à se retrouver à quatre pattes au-dessus de lui.

Le cœur d’Alex s’emballa. Il contempla le pan de chemise blanche sortie du pantalon qui se trouvait tout près de son nez… et la peau qui apparaissait, à peine, à cet endroit.

— Si, finit par reconnaître Gabriel. Si. Tu aurais dû me le dire avant.

Alex le sentit soulever le rebord inférieur de son t-shirt.

— Si tu me l’avais dit, reprit Gabriel en lui embrassant le ventre – et cette sensation fut la plus incendiaire qu’il soit –, je t’aurais déjà pris sur ce canapé… Et ce bureau, là, ajouta-t-il après un temps de réflexion.

Alex fut parcouru d’un frisson lorsque Gabriel baisa la peau douce un peu plus loin.

— Et contre le mur, à côté de la porte d’entrée. Et…

— Tant que ça ?

Un sourire monta aux lèvres d’Alex. Il fixa de nouveau la portion de chair blanche qui se trouvait tout juste à côté de son visage, au bord de la chemise. Délicatement, il y passa un doigt.

— Tu es sûr de vouloir le faire ? demanda Gabriel.

— Oui.

Lentement, les mains de ce dernier glissèrent sur les hanches découvertes d’Alex, longeant ses côtes. Les lèvres qui se posèrent à nouveau sur la peau sensible de son ventre le firent se tordre d’envie et sa chair se couvrit de frissons sous les traînées humides que laissa sa langue.

Son cœur battait fortement dans sa poitrine. Ils n’étaient plus seulement en train de s’embrasser. La position dans laquelle ils se trouvaient l’inquiétait tout autant qu’elle suscitait en lui une excitation presque insoutenable. Gabriel était si proche de son entrejambe… Toute la tension qu’il ressentait était juste là, à peine un peu plus loin, là où tout son corps réclamait son contact. Que Gabriel y pose la main, la joue, n’importe quoi qui puisse apaiser son besoin : c’était tout ce qu’il désirait.

La pensée qu’il devait avouer maintenant son inexpérience s’imposa avec évidence.

D’un coup, le canapé bougea et il se sentit décontenancé en voyant Gabriel se relever. Son crâne se renversa en arrière et il ouvrit des yeux embrumés sur lui pour le découvrir en train de reculer de quelques pas dans une image hypnotique. Il roula sur lui-même pour se mettre sur le ventre et le suivre plus facilement du regard.

La voix de Gabriel s’éleva :

— Le canapé ou le bureau ? À moins que tu ne préfères le mur ?

Alex sentit sa respiration s’accélérer. Il observa Gabriel défaire les boutons de sa chemise, fasciné par la façon dont elle s’écarta devant son buste, avant de glisser le long de ses épaules. En le voyant déboutonner son pantalon, il se redressa pour s’asseoir nerveusement.

— Comme tu le veux, répondit-il enfin avant de s’affairer à ôter ses chaussures.

Fichue fierté qui le rendait incapable d’avouer son inexpérience.

Une fois pieds nus, il passa son t-shirt par-dessus sa tête, puis glissa la main dans sa chevelure. Il s’immobilisa en découvrant Gabriel finir de retirer son pantalon. Entièrement nu.

Le sexe tendu vers lui avait quelque chose de magnétique. Sa forme était parfaite, sa teinte toute en délicatesse. Il ressentit avec violence le besoin de le toucher. Lentement, il se leva, la tête brumeuse et le désir pulsant fortement dans son ventre. Une fois parvenu devant Gabriel, il ferma les paupières et se laissa griser par sa proximité. Il aima se noyer dans la langueur de l’instant, s’en laisser emporter.

Puis, d’un coup, il tomba à genoux devant ce membre dur, gonflé, superbe dans sa rectitude qui se trouva juste en face de son visage. Et il le prit dans sa bouche.

Il ne l’avait jamais fait auparavant. Ce n’eut aucune espèce d’importance, car à l’instant où ses lèvres glissèrent sur sa longueur, il sut qu’il s’agissait de tout ce qu’il voulait. Sa main s’enroula à la base de la hampe de Gabriel et il se laissa aller à de longs va-et-vient. Le sexe dur glissait à l’intérieur de sa bouche, frottait contre ses lèvres et effleurait l’intérieur de ses joues dans une sensation grisante, comme s’il s’agissait là de sa place, comme si leurs chairs avaient été faites pour se rencontrer. Au-dessus de lui, la respiration de Gabriel s’accéléra. Quelques soupirs hachés s’élevèrent de sa gorge, faisant parfois entendre un son légèrement plus rauque que les autres, et Alex s’en retrouva puissamment excité. Quand une main glissa dans ses cheveux, il appuya la tête contre elle, appréciant la caresse. Gabriel poussa alors lentement de manière à entrer plus profondément dans sa bouche, et si le premier réflexe d’Alex fut de reculer, le murmure qui parvint à ses oreilles le fit reléguer la gêne ressentie au loin. Il s’évertua ensuite à faire lui-même de longs mouvements sur la chair chaude qu’il prenait en lui, tout en se délectant des sons et des soupirs qu’il suscitait.

Au bout d’un moment, il dut reprendre son souffle et le fit en se frottant doucement le visage contre le membre dont la chair pulsait encore entre ses doigts. La paume qui descendit le long de sa joue le fit s’y frotter comme l’aurait fait un chat. Puis, il attrapa la main qui l’aida à se redresser, mais eut à peine le temps de se mettre debout que Gabriel se jetait déjà sur lui pour l’embrasser vivement. La voix de ce dernier se chargea d’urgence.

— Tu veux faire ça où ?

— Je ne sais pas…

— Le bureau ?

Alex regarda le meuble en question. Il ne savait pas.

— Oui.

Gabriel continua à l’embrasser en le faisant reculer jusqu’à ce qu’il se sente buter contre le rebord de bois. Le crissement des feuilles de papier qui s’envolèrent pour atterrir au sol emplit brièvement la pièce.

— Leçon un, murmura Gabriel en le soulevant par les fesses pour l’asseoir sur la surface plane.

Il fit une pause en fermant les paupières, comme s’il se retenait de toutes ses forces ou bien priait intérieurement.

— Dis-moi que tu as des préservatifs.

Alex sentit une chaleur incontrôlable lui monter au visage.

— Non.

— Merde…

La voix de Gabriel se fit plus impatiente, presque désespérée.

— Dans ton bureau ? Dehors à un distributeur, quelque part ?

— Je…

De toutes ses forces, Alex essaya de rassembler ses esprits pour se remémorer les enseignes de la rue, l’éventuelle présence d’une pharmacie ou d’un distributeur… mais Gabriel choisit cet instant pour déboutonner son jean et plonger la main à l’intérieur. Les doigts qui enserrèrent son membre pour y imprimer de longs mouvements de va-et-vient le firent fermer les paupières alors que sa tête se vidait de toute forme de pensée. Il entendit à peine le bruit que fit Gabriel en inspectant, fébrile, le contenu de ses tiroirs de l’autre main.

— Mike, parvint alors à émettre Alex dans un éclair de conscience.

Son collègue transportait systématiquement la moitié de sa maison lorsqu’il venait à l’atelier. En outre, il avait une sexualité suffisamment débridée pour que l’espoir soit permis.

— Où ?

Alex avala sa salive. Il ne savait même pas comment il avait pu penser à cette éventualité.

— Le bureau, là. Peut-être.

Son corps protesta quand Gabriel lâcha son sexe pour inspecter le meuble de travail de son collègue.

Il ne vit pas ce qu’il découvrit en ouvrant le tiroir. Il aperçut juste son sourire : le mélange de soulagement et d’amusement qui s’afficha sur son visage. Le préservatif que Gabriel déposa à côté de lui ne l’étonna pas. Le flacon associé le rendit incapable d’en détourner le regard.

— Tu t’allonges sur le dos ?

Tout dans la façon dont Gabriel venait de s’exprimer, criait le désir et l’urgence. Alex parcourut d’une main la surface lisse du torse lui faisant face. Puis il se laissa repousser en arrière. Il s’étendit en prenant appui sur ses coudes. Le geste brusque qui fit descendre ses vêtements au-delà de ses hanches le poussa à se raidir. Quand Gabriel reprit ses caresses sur son sexe, il tressaillit vivement.

— Écarte les cuisses.

La voix de Gabriel était brûlante. Sous son impulsion, Alex posa les pieds au bord du bureau.

— Putain ce que tu es beau…

Ces mots soupirés le firent fermer les paupières, autant par gêne que pour s’en laisser pénétrer.

Il se doutait de ce que Gabriel devait voir, depuis les traces de baisers sur sa peau à ses mamelons dressés, humides, en passant par ses cheveux emmêlés et ses lèvres rougies… son sexe qui se tendait désormais vers lui et vers le ciel.

Gabriel enserra leurs membres pour les caresser en même temps. Sous le plaisir, Alex trembla.

— Tu veux que je te prenne ?

La pensée qu’il devait parler du fait qu’il s’agissait de sa première fois se rappela de nouveau à lui, mais il ne sut pas comment l’exprimer et les caresses sur sa verge ne lui permettaient pas d’émettre quoi que soit, de toute façon. Il était tellement aisé de se laisser guider et enivrer par les mains et la voix de Gabriel.

— Reste comme ça, poursuivit ce dernier en se penchant sur le côté.

Hagard, Alex le regarda enfiler un préservatif. Il leva le doigt pour le passer avec curiosité sur son sexe, sentant le contact devenu différent à cause du fin latex et de la couche de lubrifiant. Puis il laissa ses genoux se faire écarter plus largement et lâcha un gémissement étouffé sous la langue qui passa au bout de son gland. Les premiers mouvements de succion qui suivirent le rendirent pantelant, le firent se tordre et donner un coup de reins pour entrer davantage dans la bouche chaude qui l’enserrait. Par réflexe, ses doigts cherchèrent la chevelure de Gabriel, la douceur de sa peau… Puis, Gabriel se redressa et Alex eut de la peine à rouvrir les paupières. La façon dont ses genoux furent repoussés vers le haut le fit détourner son visage dans un accès d’embarras, mais Gabriel passa à cet instant la langue au niveau de son entrée la plus intime et tout ce qu’il put faire fut de s’effondrer sur le bois de la table en gémissant. Son corps s’arqua. Le plaisir déferla, puissant, irrésistible, le surprenant par son intensité.

Une seconde, le déchaînement des sens qu’il était en train de vivre se calma et Alex essaya de retrouver son souffle, mais le doigt lubrifié qui plongea à ce moment-là dans son corps ne lui en laissa pas le temps. La voix de Gabriel s’éleva, calme :

— Pourquoi est-ce que tu ne me l’as jamais dit ?

Alex eut du mal à reprendre ses esprits. La présence à l’intérieur de lui ne l’y aidait pas.

— Que ?

— Que tu ne l’avais jamais fait.

Lorsque le doigt de Gabriel fit quelques allers-retours en lui, Alex se crispa, dérangé par la sensation. Il déglutit nerveusement.

— Aujourd’hui ? parvint-il à demander.

— Aujourd’hui… Avant…

— Je ne sais pas…

Sa voix se cassa, une pression plus profonde venant de faire naître un picotement le long de sa colonne vertébrale. La façon dont Gabriel insista sur l’endroit qu’il venait d’atteindre le fit s’arquer, son corps scindé entre la gêne et le plaisir qu’il éprouvait.

Enfin, Gabriel retira son doigt. En levant les yeux vers lui, Alex le vit enduire plus largement ses doigts de lubrifiant.

— Je ne sais pas, répéta-t-il, l’esprit trop embrumé et la chair impatiente.

Il remarqua seulement le regard de Gabriel sur son corps, comme captivé. Une respiration plus ample souleva son torse.

Quand Gabriel descendit de nouveau entre ses cuisses pour prendre son sexe dans sa bouche, Alex laissa retomber son crâne sur la table, à peine conscient de la manière dont ses fesses se firent écarter avant que deux doigts s’enfoncent à l’intérieur de lui.

— Tu aimes ? demanda Gabriel.

À cause de la pression, Alex eut du mal à répondre, mais la percussion qui suivit à l’intérieur de son corps fit naître de si puissants éclairs de plaisir en lui que les mots sortirent d’eux-mêmes.

— Oui… Oui, c’est bon.

Son corps entier réclamait que cette sensation se répète et il se tordit sous les nouveaux allers-retours qui se produisirent en lui, de manière si vive que, lorsque Gabriel retira ses doigts, il eut l’impression d’avoir passé un instant hors du monde. Hagard, il observa Gabriel pousser un long soupir, comme s’il tentait lui-même de calmer son excitation. Ses hanches se firent ensuite tirer, positionnées juste au bord de la table.

— Je n’arrive pas à croire que ce soit ta première fois, murmura Gabriel. Et en même temps, j’en suis content.

Alex l’écouta silencieusement. Il ne savait que répondre sinon admettre que Gabriel l’avait compris malgré lui. La sensation de son sexe se plaçant contre son entrée de chair le fit frissonner d’anticipation.

— Tu veux toujours que je sois ton premier ? demanda celui-ci.

La réponse s’imposa immédiatement.

— Oui.

— Ne me lâche pas des yeux.

— OK, répondit Alex.

Il prit appui sur ses coudes pour relever son buste. Un temps, il eut le sentiment de se perdre dans le regard qui était posé sur lui. Puis, Gabriel s’enfonça en lui, lentement, le faisant se crisper lorsque son membre franchit l’entrée de son corps. Pas un instant, il ne cessa cependant de fixer son visage. Lorsque Gabriel parvint au bout de son geste, il ne put toutefois se tenir sur ses coudes plus longtemps et retomba sur la table.

— Ça va ? murmura Gabriel.

— Oui.

Ce ne fut pas tout à fait la réalité.

Ce ne fut pas non plus tout à fait un mensonge.

La façon dont il se sentait ouvert s’avérait inconcevable. Si son corps ne s’adaptait pas aussi bien à la pénétration que leurs premières caresses le lui avaient laissé penser, il y avait pourtant quelque chose d’extraordinaire dans le fait de percevoir ainsi le sexe de Gabriel en lui, presque jouissif, et il eut le sentiment que si ce dernier n’avait pas marqué de pause pour s’immobiliser, l’orgasme aurait pu l’emporter. Après un moment durant lequel il attendit que se tasse la douleur initiale, il soupira doucement.

— Tu peux y aller.

— Sûr ?

— Oui.

Gabriel prit alors un instant pour enrouler ses doigts autour du sexe d’Alex, y pratiquant quelques caresses qui ne furent pas loin de le projeter dans la jouissance, tant la sensation fut vive. Puis sa main le relâcha.

— Ne te caresse pas avant que tu n’en puisses plus.

Alex n’eut aucune difficulté à comprendre pourquoi.

— OK.

— Fais-moi confiance.

Alex acquiesça. Lorsque Gabriel l’embrassa, il se versa totalement dans leur baiser, appréciant le répit qui lui était offert. Puis Gabriel se redressa et posa les mains dans le creux de ses genoux. Lentement, il les repoussa, s’aidant de ce geste pour se retirer lentement avant de plonger de nouveau à l’intérieur de lui. De plaisir, Alex rejeta la tête en arrière. La sensation était curieuse, inhabituelle, mais si intense… Il avait envie que Gabriel continue. Qu’il aille et vienne encore en lui.

Progressivement, comme il se détendait, les gestes de Gabriel devinrent moins retenus. Ses coups de reins se firent plus amples, plus saccadés. Alex haletait. Malgré la sensation inhabituelle et la pression presque trop forte, il ressentait le besoin de jouir à chaque fois que le sexe de Gabriel s’enfonçait en lui. L’envie de se caresser se faisait également lancinante, mais il ne voulait pas précipiter la fin de leur rapport. Quant à l’expression de Gabriel, bouche ouverte et paupières légèrement crispées sous le plaisir, elle était tout ce qu’il avait rêvé de voir.

Lorsque Gabriel ouvrit les yeux, il lui adressa un sourire, assorti d’un : « c’est bon », puis il se raidit en sentant ses genoux se faire relever plus haut et Gabriel entrer différemment en lui. De surprise, un râle lui échappa : son sexe venait de se presser juste au niveau de l’endroit le plus sensible de son organisme et le plaisir l’avait foudroyé. En le sentait recommencer, il gémit, sa tête roulant de côté et sa respiration devenant plus hachée. Petit à petit, les coups de reins s’intensifièrent.

Soudain, il sentit son bassin se faire tirer en dehors de la table et il eut un réflexe de sauvegarde et essayant de se retenir en appui sur les coudes, mais Gabriel le soutenait déjà en revenant s’enfoncer à l’intérieur de lui. Sa nuque partit vers l’arrière alors qu’un soupir rauque s’évadait de sa gorge.

La position était plus souple, ainsi. Gabriel lui maintenait le bassin dans le vide et s’y déhanchait plus vivement, faisant se couvrir son torse de sueur dans une image qu’Alex trouva d’une rare sensualité. N’y tenant plus, il s’effondra sur la table et lança une main vers son sexe pour se caresser vivement. Le plaisir fusa. En réaction, Gabriel accéléra son rythme, le faisant pousser des gémissements d’extase qui gagnèrent en intensité au fur et à mesure qu’il s’approchait de l’orgasme. Et lorsqu’il fut sur le point de succomber, Gabriel le pénétra avec tant de force, butant contre ses fesses, qu’il se tendit de tout son être. Chaque muscle de son corps se contracta et il se vida par à-coups alors que la jouissance l’emportait. Gabriel ne tarda pas à le suivre, se déversant à son tour en quelques mouvements saccadés. Leurs souffles et leurs voix se mêlèrent. Le monde devint blanc, l’univers impalpable. Le torse de Gabriel finit par s’échouer sur le sien. Leurs poitrines à tous deux se soulevaient et s’abaissaient fortement. Puis Gabriel l’aida à redescendre au sol et ils se traînèrent jusqu’au canapé sur lequel ils s’écroulèrent. Une seule pensée lui vint : il était bien, là.

Le silence se fit alors, seulement troublé par le son de leurs respirations.

Alex leva la main pour la poser sur le crâne de Gabriel. Un long souffle s’échappa de ses lèvres. Son cœur battait encore trop vite, lui résonnant dans les oreilles.

Il se sentait incroyablement heureux. Il caressa la chevelure de Gabriel, jouant avec la douceur de ses mèches.

Au bout d’un moment, il reprit la parole. Son esprit était encore ailleurs.

— Tu t’es arrêté à la leçon numéro un.

Gabriel leva les yeux sur lui. Un doux sourire s’était affiché sur les lèvres.

— On va devoir recommencer, alors.

— Sûr…

Le visage de Gabriel glissa contre son ventre.

— D’autant plus qu’on doit encore le faire contre le mur… et puis par terre.

Il embrassa sa peau. Alex sourit, amusé.

— Et puis les pièces de l’appartement, ajouta Gabriel. La table de la cuisine, la chambre… La salle de bains…

Ce coup-ci, Alex se mit à rire.

— On va se retrouver aux prises avec une Mél en train d’essayer d’entrer avec un appareil photo.

— Sans faute.

— Sans parler de ses copines.

— Que de bonnes choses en perspective, ironisa Gabriel en levant la main pour caresser en un geste aérien le torse d’Alex.

Il annonça ensuite, d’un ton plein de certitudes :

— On recommencera. Demain. Ce soir. Tout à l’heure. Tout de suite. Laisse-moi juste le temps de récupérer.

Le sourire de Gabriel était un mélange de satisfaction post-orgasmique et d’une rare douceur.

— Oui.

Les yeux d’Alex se fermèrent. Derrière ses paupières closes prirent place de nouvelles images, des pensées qui n’avaient désormais plus rien à voir avec celles qu’il avait eues auparavant, tout simplement parce qu’il ne s’agissait plus d’imagination, mais de ce qui était possible maintenant, de ce qui arriverait…

Et que la réalité était encore plus belle que les rêves.

Porn ? What Porn ? – Ce n’est pas du porno ! (1)

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Érotique, M/M, humour, fluff.

Résumé : Alex cherche à poursuivre dans le secret le roman épicé qu’un de ses amis n’a pas pu terminer. Mais Gabriel, son meilleur ami et celui pour lequel il ressent une attirance difficile à repousser, risque de tomber dessus…

Ce n'est pas du porno !

— Hein ?

Mélissa se tourna pour observer avec désolation l’expression ahurie de son colocataire, la bouche ouverte dans l’incompréhension et le geste en suspens, alors qu’il s’apprêtait à ouvrir son sachet de pâtes déshydratées. Gênée, elle attrapa un bol en attendant que ses mots fassent leur trajet dans son cerveau bien ralenti.

Les lèvres d’Alex se refermèrent avant de se rouvrir dans la seconde en une imitation très réussie de la carpe cherchant à attraper une mouche.

— Il…

Un rictus d’incompréhension déformait sa bouche.

— Il va faire, euh… Il va, il, bégaya-t-il avant de froncer les sourcils et de répéter : Hein ?

Mél eut un sourire crispé. Elle s’assit à côté de lui à la petite table à la peinture piquée qui entrait à peine entre les meubles de cuisine et le plan de travail de leur appartement, puis coinça quelques-unes de ses longues tresses derrière son oreille avant de se verser de l’eau chaude.

— Il va passer à ton atelier, répéta-t-elle en articulant lentement. J’y ai oublié mon téléphone hier en venant te voir. Je lui ai juste demandé de s’y arrêter pour me le récupérer.

Son regard se leva sur Alex. Il était resté immobile exactement dans la même position qu’auparavant et ne fit que de cligner plus fortement des paupières.

— Quoi ?

Après un rire nerveux, Mél plongea un sachet de thé dans son bol, appréhendant la nausée qui la menacerait quand Alex lui ferait subir l’odeur de bouillon déshydraté de sa nourriture quotidienne.

— Alex…

Elle agita une main devant ses yeux vitreux.

— Tu sais bien qu’il y a un double des clefs ici ! Ses cours sont à côté. Lui, il se lève tôt pour étudier. Toi, tu… bon ben, tu mènes une vie d’artiste, quoi ! Tu as vu quelle heure il est, encore ?

Durant une seconde, il regarda l’horloge Corto Maltese accrochée au mur, hagard. Mél l’observa avec désespoir tant il semblait planer et bien, là. Rien qui ne tranche véritablement avec son tempérament rêveur, toutefois. Allô, Alex, ici la terre…

Le voir se ressaisir, comme s’il atterrissait soudain, eut quelque chose de risible :

— Mais je m’en fous, de l’heure !

— Écoute, reprit-elle aussi calmement qu’elle le put en pressant ses doigts sur ses tempes. Il a bien l’habitude de venir à ton atelier, non ? Qu’est-ce que tu veux qu’il y fasse ? Il ne va pas fouiller ! Et puis je lui ai dit où était mon téléphone, de toute façon. Je m’en souviens parfaitement : juste sur ta table de travail…

Pour toute réponse, les doigts d’Alex se resserrèrent nerveusement sur son paquet de pâtes déshydratées.

— À côté des… documents sur lesquels tu travailles ces derniers jours, tu sais… Alex ? Tu te souviens ?

Le plastique de l’emballage émit une faible protestation. Mél se sentit de plus en plus hésitante.

— D’ailleurs, je n’ai pas eu l’occasion de te le demander : ce sont des notes que tu prenais ? Parce que je n’ai pas vu un seul dessin, en fait, et ça m’a étonnée…

Elle grimaça alors qu’un son de pâtes écrasées lui parvenait. Alex devait être méchamment perturbé… Avait-elle fait une boulette ? Elle eut un regard compatissant devant son visage blême et sa façon de cligner des yeux comme s’il essayait de reprendre ses esprits. Il ouvrit lentement la bouche comme s’il tâchait de formuler une pensée cohérente.

— … Quoi ? »

Ce coup-ci, Mélissa laissa retomber son front sur la surface de la table.

— Mais qu’est-ce que tu as, Alex ? gémit-elle en se redressant. Ça t’embête tant que ça qu’il aille là-bas ? Tu nous caches des trucs ou quoi ?

Le petit rire qui l’avait prise à la fin de cette phrase fut rapidement interrompu par l’évidence : mais oui, bien sûr qu’il leur cachait des trucs ! Miiince…

— Mais rien du tout ! se défendit-il en déchirant d’un geste nerveux son sachet de pâtes, les répandant autant dans son bol que sur la table. Je m’en fous, moi, qu’il aille là-bas, s’il veut récupérer ton portable à la noix, là. Tu ne peux pas faire gaffe à tes affaires, aussi ?

Avec stupéfaction, elle l’observa plonger vivement ses baguettes dans le mélange d’eau tiède et de pâtes écrasées, au milieu duquel flottait le petit sachet de bouillon orange qu’il en était même arrivé à oublier d’ouvrir, et le remuer. Elle prit son bol de thé entre ses mains et but une gorgée de liquide en tâchant de faire semblant de n’avoir rien remarqué.

— Enfin bon. Il rentrera donc tout à l’heure. À moins que tu veuilles le rejoindre à ton atelier ? tenta-t-elle dans un élan de compassion. Tu sais, Gabriel y passera peut-être après ses cours au lieu d’avant, on ne sait jamais. Et puis tu devrais en profiter pour bosser sur tes planches, toi aussi. Tu crois qu’il va attendre encore longtemps ce fameux éditeur qui avait l’air tellement intéressé par ce que tu fais ?

Le sourire qu’elle avait tenté à la fin de cette tirade se fana devant l’expression grimaçante d’Alex. OK… À chaque fois qu’elle ouvrait la bouche, c’était pour empirer la situation, en fait. En même temps, déjà que le pourcentage de chances que Gabriel remette à plus tard quelque chose qu’il pouvait faire tout de suite était quasi nul, elle devait le reconnaître, si elle se mettait à évoquer en plus les problèmes de boulot d’Alex, elle allait l’achever. D’autant plus qu’il se levait à peine, le pauvre.

Il finit par déclarer :

— Ouais, c’est bon, je vais y aller.

Il engloutit ensuite à toute vitesse le contenu de son bol.

— Mais pourquoi est-ce que tu lui as demandé ça ? reprit-il. J’aurais pu te le ramener, moi.

— J’attends un appel.

— Ah ?

— Tu sais, ce mec avec qui tu bosses… qui ressemble beaucoup à cet acteur, là, dont je t’ai parlé. Alors, oui, il fait un peu asocial sur les bords, je dirais même qu’il est totalement space, mais on a bien sympathisé hier et je trouve ce qu’il fait trop chouette. Il a un sacré talent ! Tu ne vas pas me dire, mais ses peintures, c’est quelque chose d’incroyable.

Parce qu’Alex ne releva qu’un regard bovin sur elle, elle tâcha de se rattraper aussi vite :

— Non mais, j’adore aussi ce que tu fais, Alex ! Là, c’est juste que j’ai complètement flashé et…

— Ouais ouais ouais.

— Parce que, bon, tu sais, ça me ferait du bien de sortir un peu avec quelqu’un, aussi. C’est super de vous avoir tout le temps tous les deux à côté de moi, je ne veux pas dire le contraire, mais c’est aussi une souffrance, franchement. Déjà que vous ne vous gênez jamais pour vous balader à moitié à poil dans l’appartement…

Il leva les yeux au ciel, comme si elle disait des absurdités. C’était pourtant loin d’être le cas !

— Et puis vous êtes totalement inaccessibles ! poursuivit-elle.

— La dure vie de la colocataire femelle entourée de deux homosexuels mâles.

— La vie est injuste.

— Tu l’as dit.

Avec un petit sourire, il débarrassa rapidement son bol.

— Et puis vous ne me ménagez pas non plus, renchérit-elle. Déjà que j’ai limite l’impression de tenir la chandelle, parfois, il ne manquerait plus que vous passiez à l’étape supérieure pour que…

Le bruit de baguettes de bois se cassant en ripant sur la table la fit glousser de surprise.

— Non mais, je plaisante, Alex ! Calme-toi ! Faut arrêter de bouffer tous les jours les mêmes choses, ça te grille des neurones du cerveau, tu sais. Et puis on en a déjà parlé. Je te le dis, moi : à mon avis, vous feriez mieux de vous sauter dessus un bon coup, que ce soit clair une fois pour toutes.

Même si elle s’y attendait, voir le visage d’Alex se décomposer avant qu’il sorte de la pièce en grognant l’amusa énormément. Ils se connaissaient depuis tellement longtemps tous les trois qu’elle ne se serait jamais privée de le taquiner sur ce sujet.

— Quand est-ce que vous vous décidez à vous avouer votre flamme, d’ailleurs ?

— N’importe quoi ! cria-t-il depuis la pièce adjacente.

Elle le regarda passer dans l’encadrement de la porte. Il avait enfilé un jean rapiécé aux genoux et s’arrêtait régulièrement pour chercher du regard un t-shirt mettable parmi les vêtements éparpillés dans leur petit salon. La notion de « rangement » avait toujours été un concept abstrait pour Alex. Alors qu’il ébouriffait les mèches sombres de ses cheveux en se frottant le crâne, elle sirota lentement son thé en se délectant de la vue plus que plaisante qu’il lui offrait.

— N’empêche que, s’il se passe quoi que ce soit entre vous, préviens-moi : je ne veux en aucun cas louper ça. Et puis j’inviterai les copines pour l’occasion, tant qu’à faire ! Mag, obligé, et puis Maëlle et…

— Mais bien sûr ! Il faut dire que tu as tellement peu souvent l’occasion de nous reluquer tous les deux, depuis le temps qu’on vit ensemble…

— Raison de plus ! C’est justement parce que je sais que ça me plairait d’y assister.

Le rire d’Alex fut un régal à entendre. En le voyant passer le t-shirt qu’il venait de dénicher, elle se garda de le charrier également sur la couleur jaune pétard de celui-ci. Quant à l’incroyable discrétion de la tête de barbare en armure dans un déluge de flammes qui en ornait le devant et qu’il avait créée lui-même selon l’une de ses illustrations, mieux valait ne pas en parler non plus. Elle ne put toutefois retenir un sourire. Alex lui adressa un regard de connivence, conscient de son amusement à ce sujet, puis sauta dans ses baskets.

— Et je ne suis pas ridicule ! scanda-t-il en courant vers la porte.

Mél lui lança un trousseau.

— Allez, file !

— Gogo gadget au turbo…

— Bon courage.

— Ouais.

— Et puis tu me diras ce que tu cachais !

— Rêve encore !

Elle riait encore quand lui parvint le claquement de la porte d’entrée.

Hop là ! Alex sauta du bus, courant à reculons en adressant de grands signes de remerciement à la conductrice. Par jeu, il donna une petite claque au panneau de signalisation devant lequel il passa. Les immeubles se succédaient autour de lui, longues barres grises se hissant vers le ciel sans en entacher le bleu qu’il contempla un instant, rêveur.

Depuis qu’il lui avait montré certaines de ses planches, la conductrice du bus avait tendance à omettre de lui demander son titre de transport. Elle parlait d’autre chose ou semblait s’intéresser aux passagers suivants au moment de le faire. Alex n’était pas dupe. La discussion qu’ils avaient eue sur sa situation financière n’y était pas pour rien. Les quelques petits boulots précaires comme la distribution de publicités ou de flyers qu’il faisait de temps en temps ne lui apportaient que trois fois rien, à peine de quoi assurer parfois sa part de loyer, faire des courses à pas cher… Il se débrouillait cependant toujours pour récupérer un lot de produits gratuits de la part de ses employeurs. Dernièrement, il avait ramené à l’appartement une bonne cinquantaine de paquets de barres chocolatées, un sac d’environ cinq cents petites cuillères en plastique, du papier toilette en gros rouleaux de supermarché en veux-tu en voilà, une borne de signalisation routière orange pour le fun et, surtout, d’innombrables cartons de ces pâtes déshydratées qui constituaient la majeure partie de son alimentation : rapide, nourrissant et d’un rapport satiété/prix à toute épreuve. Mélissa ne manquait jamais de le charrier à ce sujet et de lui faire remarquer qu’il choisissait souvent le même fabricant de pâtes avec qui travailler, ce qui le faisait rire à chaque fois.

Il sourit en pensant à la façon dont son amie s’était moquée de lui, peu avant. Elle ne l’avait pas loupé ! Enfin, ce n’était rien face à ce que lui ferait subir Gabriel s’il découvrait son secret. Que son collègue, avec qui il partagerait l’atelier, puisse tomber dessus n’était pas un problème. Mike était un asocial complet et il n’irait jamais fouiller dans son travail. Au pire, s’il devait en voir un morceau, il s’en désintéresserait totalement. Pour ce qui était de Gabriel, par contre…

Alex hâta le pas en grimaçant.

Gabriel représentait pour lui une relation improbable, de celles qu’il ne voudrait risquer de détruire pour rien au monde. La première fois qu’il l’avait rencontré, c’était l’année de leurs quatorze ans et il en gardait un souvenir d’une rare clarté : celui d’un garçon au regard dur qui l’avait fortement intimidé. Gabriel se traînait alors une sale réputation, ce qui ne poussait pas à se diriger vers lui. Il y avait les parents qui mettaient leurs gamins à l’internat parce qu’ils habitaient loin, mais il y avait aussi ceux qui les y laissaient pour s’en débarrasser, parce que leurs couples s’étaient reformés et que d’autres gamins étaient arrivés — c’était son cas à lui — ou parce que les mômes en question leur causaient trop de soucis et qu’ils étaient parvenus au stade où ils préféraient les laisser à d’autres. Gabriel avait été de ces derniers et l’avait porté quotidiennement sur lui dans son comportement, le rendant intrigant aux yeux d’Alex. Lui-même avait aussi eu tendance à faire des conneries, mais moins que Gabriel ou des conneries moins dangereuses, surtout. À l’époque, c’était pourtant cette singularité qui l’avait poussé à se rapprocher de lui.

À toute volée, il descendit une série de marches avant de sauter sur un trottoir. Des adolescents s’entraînaient au skate sur le bitume, se râpant plus les genoux que décollant, mais continuant à affronter l’inertie de la planche avec optimisme. Cette vision l’amusa. Son avancée rapide faisait battre vivement son cœur dans sa poitrine.

Alex n’avait jamais su exprimer ce qu’il ressentait pour Gabriel, même s’il connaissait le trouble qu’il éprouvait en sa présence, les fantaisies nocturnes qui parcouraient ses pensées et les rêveries qui pouvaient le prendre à tout moment de la journée. Les années passant, ils avaient tout vécu ensemble : les premières expériences comme les premiers émois adolescents, ils s’étaient construits à deux, parfois même réveillés encore un peu enivrés dans le même lit, même si aucun de leurs actes n’avait jamais dépassé le stade de l’amitié. Puis, lorsque Mél était arrivée, ils étaient passés à trois. Il ne s’était jamais posé la question de son orientation sexuelle. Dès le début, ça avait été une évidence. Il ne pouvait même pas se souvenir du moment où il avait prononcé pour la première fois le mot « homosexuel », « gay » ou tout autre terme qui aurait pu qualifier ce qu’il était.

Alors qu’il traversait la route en zigzaguant entre les voitures, des klaxons retentirent. Il atteignit le trottoir opposé et tourna dans une petite allée. Là, coincée entre deux immeubles, se trouvait la maisonnette qu’il avait retapée avec Mike pour y établir leur atelier. Il commença à ralentir. Son pouls ne se calma pas.

Bien sûr, il n’avait pas ressenti immédiatement de l’attirance pour Gabriel, du moins pas physique. C’était venu petit à petit et il avait appris à vivre avec leur ambiguïté permanente. Curieusement, il n’en ressentait pas vraiment de gêne : c’était comme ça et ce « comme ça » lui semblait déjà tellement merveilleux à vivre qu’il ne projetait pas spécialement de voir ces rêves diurnes et nocturnes se réaliser. Du moins, il évitait de trop y penser.

Les dérapages n’avaient pas été rares. Leur première expérience de masturbation vécue l’un auprès de l’autre, en particulier, l’avait marqué. Alex s’était souvent demandé s’il aurait pu atteindre un tel degré d’excitation sans voir le visage de Gabriel. Il se souvenait d’avoir aimé sa proximité plus que tout, d’entendre sa respiration s’accélérer, de voir son expression changer progressivement et ses paupières se fermer alors que lui ne pouvait s’empêcher de le contempler. Évidemment, cette séance d’onanisme n’avait rien eu d’un rapport sexuel ; pas à deux en tout cas. C’était le genre de bêtise qu’on fait parfois gamin pour se prouver qu’on en est capable, qu’on est un mec, un vrai, et qu’au niveau mécanique tout fonctionne bien, mais c’était aussi un acte qui avait revêtu chez eux une forme plus qu’équivoque. Les années passant, les gestes innocents de leur enfance ne pouvaient que de moins en moins être qualifiés ainsi. La tête posée sur le ventre de l’autre alors qu’ils étaient allongés dans l’herbe prenait un sens à chaque fois différent. Le contact du corps de Gabriel ne provoquait plus les mêmes réactions chez lui ; la vue de son torse était devenue source d’un trouble qui lui devenait difficile de dissimuler et il en était venu à éviter ces moments d’embarras qui lui semblaient trop aisément le mettre à nu.

Avec le temps, il lui était même devenu habituel de le voir dans ses fantasmes. L’image était à chaque fois la même : celle de Gabriel au-dessus de lui, lui susurrant quelques paroles tandis qu’il le prenait. Imaginer son sexe l’emplissant le faisait accélérer systématiquement ses mouvements de poignet sur son membre et atteindre l’orgasme. L’idée qu’il puisse vouloir être pénétré ne lui était pas dérangeante, même si ce n’était pas un acte qu’il avait déjà eu le loisir de découvrir. Il avait eu des relations, mais, mises à part des caresses plus ou moins poussées, aucune n’était allée si loin.

Et puis, il y avait eu la dernière soirée à laquelle ils avaient été invités. Le souvenir du moment où ils s’étaient retrouvés à s’appuyer l’un contre l’autre dans un couloir, ivres, avait laissé une empreinte vivace en lui. Il se rappelait tout avec précision : l’obscurité soudaine quand quelqu’un avait refermé la porte devant eux, l’odeur des cheveux de Gabriel, le contact de sa peau… Leurs visages avaient été si proches qu’il avait vraiment cru que les lèvres qu’il devinait plus qu’il ne les voyait se poseraient sur les siennes. Il s’en était même trouvé hypnotisé. Il aurait été difficile de dire combien de temps cette situation avait duré ; probablement très peu, en réalité. Au bout d’un moment, un bruit avait suivi, une présence derrière la porte du couloir, et il avait reculé par réflexe, se retrouvant bloqué contre le mur tandis que Gabriel se resserrait contre lui. Le souffle qui était passé dans son cou l’avait grisé plus qu’il ne l’était déjà. Puis, quelqu’un avait allumé la lumière et ce simple fait avait suffi à les séparer.

De cet épisode, il avait conservé un souvenir brûlant. La sensation de Gabriel se pressant, excité, contre son bassin le hantait encore régulièrement. Les jours suivants, il s’était caressé en repensant à cet événement et avait eu un orgasme d’une rare puissance en enfouissant pour la première fois deux de ses doigts en lui.

Bien évidemment, ils n’en avaient jamais parlé. Alex ne savait même pas si Gabriel se souvenait de ce qu’il s’était produit lors de cette soirée. Comment aurait-il pu aborder le sujet ?

L’attirance, l’envie, les moments de trouble qu’on accepte comme faisant partie de soi, les douces divagations de son esprit et tout ce qu’il y a de fabuleux dans le fait de se laisser porter par son imaginaire étaient tout simplement des compagnies dont il appréciait la présence… et, quel que soit le lien qui puisse être le leur, il ne s’agissait pas de quelque chose qu’il était prêt à prendre le risque de briser.

Alors qu’il parvenait devant l’entrée de son atelier, Alex fit une pause. Il prit appui de ses mains sur ses genoux pour essayer d’apaiser sa respiration.

La petite bâtisse qui abritait ses travaux semblait complètement perdue au milieu de la ville. C’était ce qui l’avait séduit, la première fois qu’il l’avait visitée : cet aspect désuet et hors du temps. Ça, et son prix.

Lorsqu’il posa l’épaule sur le bois vieilli de la lourde porte d’entrée, il la sentit s’ouvrir aussitôt, l’absence de verrouillage ne lui laissant aucun doute sur la présence qu’il avait crainte.

Un peu plus loin, au centre de la salle de travail traversée d’établis débordant de matériel, de longs bureaux usés, de grandes feuilles de dessin au sol et de taches de peinture, était assis l’objet de son inquiétude. La tête appuyée sur son coude, il semblait lire tranquillement et n’avoir plus qu’à se retourner pour se moquer de lui. Alex tâcha de se recomposer une expression digne en s’approchant.

— Tu n’es pas allé en cours ?

— Non, répondit Gabriel, visiblement absorbé par sa lecture.

La nervosité d’Alex en fut majorée.

— Si maintenant tu te mets à sécher les…

— C’est quoi ?

Alex le regarda, mal à l’aise. Il eut un temps d’hésitation avant de répondre.

— Un texte.

Sur un coin de table traînait une bouteille de jus de fruit. Il la saisit pour en boire quelques gorgées.

— Comme si je ne le voyais pas, lui fit remarquer Gabriel en l’observant s’essuyer les lèvres. C’est quoi ce texte ?

Sur le coup, Alex lâcha un rire nerveux. Bref, toutefois : un simple souffle. Il se frotta les yeux avant de répondre.

— C’est une histoire.

Il s’appuya des deux mains sur le dossier de la chaise de Gabriel, y serrant nerveusement les doigts.

— Depuis ce matin, tu as passé ton temps à lire ?

— Ouais.

Lorsque Gabriel se pencha en arrière, étirant les bras vers le haut, Alex suivit des yeux les roulements de ses muscles sous la peau. Les manches retroussées de sa chemise blanche laissaient apercevoir le bas de ses biceps et ses cheveux étaient légèrement ébouriffés. Croiser son regard en dessous du sien lui offrit une vision curieuse. Gabriel possédait une fine cicatrice qui barrait son sourcil, souvenir d’une ancienne bagarre, que les mèches longues qui retombaient sur son front cachaient la plupart du temps et qui était inhabituellement visible, ainsi. L’intimité de l’instant le troubla. Puis Gabriel ramena le visage vers l’avant.

— Il manque le début, reprit-il en feuilletant les premières pages, et puis… je ne sais pas, on ne dirait pas un scénario de bande dessinée. Tu veux écrire un roman ?

Après un temps d’hésitation, Alex tira une chaise pour s’asseoir à côté de lui. Il désigna l’amas de documents entassés sur un coin de la table avant d’avoir un rictus en découvrant le téléphone portable rose brillant de Mélissa.

— C’est… Tu sais, le roman de Ben est resté inachevé…

— Et tu t’es mis en tête de le terminer toi-même.

Alex haussa les épaules. Gabriel avait pivoté sur son siège et le fixait comme s’il cherchait à lire dans son esprit.

— Oui.

Ben avait été la dernière personne à partager sa chambre à l’internat avant qu’un accident de voiture l’emporte, comme cela arrive si souvent aux heures de fermeture des boîtes de nuit lorsque les veines sont saturées d’alcool. Une vie qui s’éteint en une seconde, avec des rêves restés à l’état d’ébauche : traits de crayon que la mine cassée avait fait se finir en une série de pointillés. Ça faisait deux ans, maintenant, que ce texte végétait, un texte que la sœur de Ben lui avait remis entre les mains, soi-disant parce que, étant donné qu’il l’avait aidé à l’écrire, il était celui à qui il revenait. À l’époque, ce geste l’avait laissé les bras ballants ; ce n’était que sur un coup de tête qu’il s’était décidé récemment à reprendre son roman.

— Il ne manque pas grand-chose, poursuivit-il.

— Tu n’as jamais écrit, avant, pourtant.

— Non.

Ils n’avaient parlé que de scénario, avec Ben.

— Je sais construire des histoires, avança-t-il.

— Ce n’est pas pareil.

La moue qui s’était affichée sur les lèvres de Gabriel témoignait clairement de son scepticisme. Ce dernier l’interrogea :

— Et tu comptes en faire quoi ?

— Le donner à sa sœur. Elle avait bien dit qu’elle le ferait publier, non ?

— Oui…

Avec un air pensif, Gabriel feuilleta le manuscrit qui se présentait devant lui avant de pivoter. Son regard avait pris une expression plus amusée, comme taquine.

Alex soupira.

— Vas-y, dis tout de suite à quel point c’est nul, qu’on en finisse…

Un sourire moqueur se peignit un instant sur les lèvres de Gabriel, mais n’y resta pas.

— Je ne dirais pas ça.

Alex fronça les sourcils, méfiant.

— Tu as de bons passages. Je ne comprenais pas ton début, mais maintenant que tu me dis que c’est une suite, c’est plus logique. Toute la partie combat, action, là, elle n’est pas mal. Le truc, c’est…

Il grimaça en tournant les pages suivantes.

— Tout ce passage, là, avec le mec et la bonne femme… Non mais, sérieusement, Alex, tu penses vraiment que c’est ce qu’il aurait voulu écrire ? Du…

Alex le vit prendre une petite inspiration avant de poursuivre.

— … porno ?

— Mais non ! s’offusqua-t-il.

— Du porno hétéro.

— Mais… Gab’, mais non, ce n’est pas du porno.

Alex était sidéré, mais Gabriel ne semblait pas du tout du même avis. Il leva même une feuille en reculant le visage comme s’il voulait s’en éloigner le plus possible.

— « Il approcha ses doigts agiles de sa délicate… fleur » ? Je constate déjà que tu te la joues poète…

— Allez ! geignit-il.

— « enfonçant ses phalanges dans sa profondeur humide. Une abondante cyprine s’écoula et il voulut boire goulument ce nectar ». Bon appétit…

— Mais…

— « Il s’abreuva alors du jus de la belle ». Tu sais que tu m’en apprends ? J’ignorais totalement que ça faisait du jus, les femmes. On fait comment pour l’obtenir ? On appuie dessus ?

— Allez, Gabriel… arrête.

Lorsqu’il se jeta sur la feuille pour l’attraper, celui-ci réagit aussitôt en l’éloignant du bras.

— Non mais, franchement, pourquoi essayer d’écrire des rapports hétéros, déjà ? Tu y connais quoi, pour commencer ?

— Oh, ben, autant que toi, va ! répliqua-t-il. J’ai déjà vu des films et… et puis, bon, après, homo, hétéro, tu ne vas pas me dire que c’est bien différent !

Gabriel eut une expression qui en disait long sur le doute que suscitait cette affirmation chez lui. Alex se maudit en sentant la honte lui chauffer les oreilles. Il ne lui avait jamais avoué son inexpérience en ce domaine et ce n’était certainement pas maintenant qu’il allait le faire.

— Euh… Une pénétration vaginale, quand même…

— Et puis j’ai lu d’autres bouquins !

— Mouais. Bah, encore si au moins ils pratiquent la…

— Non mais, arrête, Gabriel ! Arrête !

Choqué, Alex ouvrit son tiroir pour en sortir le reste du manuscrit de Benoît. Il le brandit en ignorant le sourire purement moqueur qui s’était affiché sur les lèvres de Gabriel.

— C’est une histoire d’amour entre un chevalier et une jeune bergère, enfin ! Tu ne comprends rien à rien, toi. Un truc à l’eau de rose complet. Ça fait un bouquin entier, quasi, qu’ils se courent après, et vas-y que je te conte fleurette, et vas-y que je te narre mes exploits et que je m’évanouis de « félicitude » devant tant de bravoure… Je ne vais quand même pas les faire commencer par ça !

— Ben, pourquoi pas ? Si c’est du porno, tu t’en fous de la vraisemblance.

— Ce n’est pas du porno !

Sur le coup, Alex avait limite sautillé sur place d’agacement, ce qui, il put s’en rendre compte, amusa particulièrement Gabriel. Il se renfrogna aussitôt, pas vraiment fâché toutefois. Gabriel n’était pas du genre à ne pas se laisser toucher par son geste envers Ben, il le savait, et il avait l’habitude de leurs moqueries réciproques.

Lorsque Gabriel attrapa d’un geste vif la feuille posée devant lui en reprenant une expression plus sérieuse, Alex essaya aussitôt de récupérer son bien, mais se fit repousser d’une main.

— « Oh, mademoiselle, que vous êtes très belle. Votre beauté n’a d’égale que les rivières ensoleillées qui flamboient au sud du pays ».

Un rictus apparut sur le visage de Gabriel.

— Ça flamboie une rivière, maintenant ?

— Allez…

Alex finit par lâcher un rire, désespéré par l’affolante niaiserie de ses mots. Il avait pourtant essayé de faire de son mieux. De lassitude, il laissa retomber son crâne sur l’épaule de Gabriel, faisant mine de ne pas se rendre compte qu’il s’y attardait plus qu’il ne l’aurait dû.

— Tu veux que je t’aide ? demanda celui-ci, en tournant quelques pages supplémentaires.

— Beuh…

Il bafouilla :

— Tu veux écrire cette scène avec moi, tu es sûr ?

— Franchement, on ne sera pas trop de deux. Quoiqu’on pourrait demander à Mél.

— Non non non, ça va. Ça me suffit amplement de t’avoir toi en train de te foutre de ma gueule. Vous n’allez pas vous y mettre à deux, non plus.

Gabriel sourit. Il s’empara ensuite de la bouteille pour en boire quelques gorgées.

Alex se laissa absorber par la courbure de sa gorge et le mouvement qu’elle faisait lorsqu’il déglutissait. Lorsqu’il abaissa la bouteille pour retourner au manuscrit, il la lui vola et la porta à sa bouche. Inconsciemment, il chercha à percevoir contre ses lèvres la trace de celles qui venaient de s’y poser.

Il jeta un regard à Gabriel.

Quand celui-ci se concentrait, il paraissait toujours moins sûr de lui que ce qu’il affichait le reste du temps. Juste attentif.

Les gens le voyaient aisément comme quelqu’un d’arrogant, mais c’était se tromper que de s’arrêter à cette impression. Alex le connaissait bien assez pour ça. Après leur départ du lycée, Gabriel avait encore essayé de maintenir des liens avec sa famille, bien qu’il ait alors été le seul à se battre à ce sujet. Depuis, il avait baissé les bras et avait fini par couper les ponts. Malgré l’indifférence qu’il affichait, Alex savait ce qu’il lui en avait coûté. Son comportement avec ses conquêtes régulières en était le témoignage le plus flagrant, offrant un contraste évident entre son efficacité en matière de séduction et son incapacité à garder une relation plus de quelques jours. Il finissait toujours par partir le premier, réduisant à néant les risques d’être celui qui se faisait rejeter. Du moins, était-ce ainsi qu’Alex l’interprétait.

Finalement, il n’y avait qu’avec lui et Mélissa que Gabriel se permettait de se montrer vulnérable.

Il prit une nouvelle gorgée de jus de fruit.

— Ça, là, remarqua Gabriel en lui faisant lever le nez de sa bouteille : « son marteau de chair ». C’est une figure de style ou… ?

Alex laissa un rire sortir de sa bouche.

— C’est le style de ses autres scènes, tu sais. Son histoire est pleine d’autres trucs de ce genre, comme la petite fleur ou le miel qui coule de…

Gabriel s’éclaircit la gorge, visiblement peu désireux d’entendre la suite.

— « Lentement, elle permit au marteau de chair bandé par ses bons soins d’entrer dans la cavité humide de son antre buccal »…

Comme s’il projetait de lire la suite en apnée, il prit une longue inspiration.

— « Oh oui, vas-y, remplis-moi de ton amour ! »… Non mais, Alex, tu te rends compte de ce que tu écris ?

Pour seule réponse, Alex laissa tomber son front contre le bois de son bureau, pris d’un rire nerveux.

— Et puis celle-ci, encore, reprit Gabriel : « Je vais t’enculer, mon ange ». Non mais, il faut faire un choix, à un moment donné. L’un de ces deux mots doit sortir de cette phrase !

Les épaules d’Alex furent prises de soubresauts alors que son hilarité redoublait. Lorsque la main de Gabriel lui ébouriffa le crâne, il releva la tête pour le fixer, se perdant dans la contemplation des détails de son visage.

— Ce n’est pas possible que tu laisses ce texte comme ça, remarqua enfin Gabriel. Enfin, je ne sais pas : je comprends que tu veuilles reproduire son style, mais tu ne peux pas écrire des trucs pareils.

— Et comment tu veux faire ce type de dialogues, franchement ?

Quand Gabriel lui adressa une œillade amusée alors qu’un petit sourire se posait au coin de ses lèvres, Alex sut que ce qui allait se passer ne serait pas bon pour lui. Il sentit son ventre se crisper d’anticipation et eut du mal à faire semblant de rester stoïque. Le souffle chaud de Gabriel se rapprocha.

— Comment est-ce que tu l’exprimerais, toi, le désir ?

Alex se passa la main dans les cheveux.

Parce que « désir » ne le ramenait qu’à Gabriel, qu’« envie » n’était que celle qu’il éprouvait pour lui, il ne sut que lui répondre.

La voix grave résonna dans ses oreilles.

— « J’ai envie de toi, j’ai envie de te prendre… »

Troublé, Alex releva les yeux sur lui.

— « Si je m’écoutais, poursuivit Gabriel, je te prendrais là, tout de suite, sur la table. Je t’embrasserais… J’emmènerais tes jambes dans mon dos et je te pénétrerais lentement. Je te veux. Je te désire. Je n’en peux plus, j’en crève… Je te ferais l’amour, je te baiserais : je te ferais ce que tu voudrais… Je ne sais même pas de quoi je serais capable tellement j’en ai envie… ».

Ces paroles le captivaient, hypnotisantes et attirantes à la fois.

— Mais on a un roman à rédiger avant, ponctua Gabriel : regarde, là, tes dialogues sont une dinguerie ! Quant au vocabulaire…

Alex eut la sensation brusque de chuter. Gabriel venait de dire quoi, là ?

— Ça, là, encore, poursuivit celui-ci en parcourant les pages volantes devant lui : « il approcha le visage de son petit coquillage orné de stries en éventail ». Tu sais que je ne veux même pas savoir de quoi tu as essayé de parler.

Un faible sourire passa sur les lèvres d’Alex. La citation aurait été risible s’il n’avait pas été aussi perdu. Durant quelques instants, il sonda le regard de Gabriel, cherchant à deviner ses pensées, mais celui-ci venait de se saisir d’un stylo et était de nouveau concentré sur son texte. Rien ne lui permit de savoir comment réagir.

Dans un soupir, il se pencha alors sur son épaule, frôlant sa peau comme par inadvertance tandis qu’il jetait un œil à la feuille sur laquelle il écrivait. Un temps, il ferma les paupières, laissant son esprit divaguer et les paroles de Gabriel tourner à l’intérieur de sa tête. Lorsqu’il sentit le contact de son épaule contre sa joue, il ouvrit les paupières en se redressant, gêné de s’être ainsi laissé aller.

Gabriel se tourna vers lui avec une expression de surprise. Il reporta ensuite son attention sur ses corrections, clairement absorbé par ces dernières.

— Tu en penses quoi ? demanda-t-il en désignant la feuille devant lui.

Alex tâcha de se concentrer sur le texte. Gabriel avait barré des phrases, des mots, transformant des figures de style trop aériennes en quelques termes qu’il trouvait plus réalistes, plus adaptés, même si leur apparente crudité le dérangeait.

— Pas mal, concéda-t-il sans pouvoir s’empêcher d’être nerveux.

Mal à l’aise, il se leva, se gratta brièvement le front dans un instant de silence, puis se résolut à aller se passer le visage à l’eau fraîche. Les mots de Gabriel le perturbaient encore.