Un corps qui danse

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Hétéro, érotique, romance, photo, capoeira.

Résumé : Liz est subjuguée. Au point d’en oublier de prendre les photos. Mais c’est plus fort qu’elle, dès que ce jeune danseur de capoeira est apparu, elle a été envoûtée. Par la puissance gracieuse de ses mouvements, par les perles de sueur sur sa peau dorée, par son corps ciselé…Il s’appelle Flávio, et il embrase ses sens comme aucun homme avant lui. Alors, quand elle demande une autre séance photo avec la troupe de danseurs et que le responsable lui annonce que seul Flávio est volontaire pour servir de modèle, le cœur de Liz se serre d’excitation et d’appréhension. Mais le danseur a posé une condition : qu’elle porte une jupe…

Nouvelle sortie en numérique aux éditions Harlequin et en papier dans le recueil « OMG that’s hot ! ». En accord avec Harlequin, toute la première partie (20%) est publiée ici. Profitez-en pour découvrir le si sexy Flávio et sa relation avec Liz !

Un corps qui danse

Les conversations avaient repris depuis une bonne minute, mais Elise était encore figée, l’index crispé sur le déclencheur de son appareil. La voix de Paul lui fit soudain reprendre contact avec la réalité.

– Alors, Liz, ces photos ?

Elle tourna vers lui un regard qu’elle savait perdu. Le berimbau et l’atabaque avaient beau s’être tus et les musiciens être en train de ranger leur matériel, il lui semblait entendre encore leurs sons résonner à ses oreilles.

– Tu as pu faire ce que tu voulais ? insista-t-il.

Hagarde, Elise baissa les yeux vers son appareil photo. Son doigt était toujours en alerte, prêt à appuyer sur le déclencheur.

– Euh…

Puis, comme elle n’en avait aucune idée, elle émit un simple « oui ». C’était faux. Elle ne parvenait même pas à se souvenir quand elle avait pris sa dernière photo. Elle reporta son attention sur le plus jeune danseur. Tourné vers les autres membres de la compagnie, il avait posé la main sur sa poitrine et était encore en train de reprendre son souffle. Sous les éclairages de la pièce, sa transpiration luisait, accentuant la multitude de reliefs de son torse d’une manière non moins fascinante que lorsqu’il avait bougé. Elle entendit d’une oreille distraite le chorégraphe poser une question :

– L’exposition sera prévue pour quand ?

– Pour l’ouverture de la biennale de la danse, répondit Paul. Liz a l’habitude de travailler avec nous. Ça fait… quoi ? Six ans que tu couvres l’événement ?

– Oui, confirma-t-elle, incapable de détacher son regard du danseur.

– Ses dernières expositions ont eu énormément de succès. Tu prendras aussi des photos du défilé, je pense ?

Cette fois, Elise se força à pivoter vers eux, consciente que son esprit restait ailleurs.

– Oui ?

Elle pinça les lèvres : la note interrogative qui s’était glissée dans sa voix montrait trop nettement ses difficultés à reprendre ses esprits. Elle regarda le chorégraphe :

– Vous… Vous venez de Rio, c’est ça ?

– Oui.

– La troupe de Mike fera l’ouverture de la biennale, expliqua Paul.

Elle acquiesça, rêveuse. Quel spectacle aurait pu être plus parfait pour l’introduction d’un événement aussi prestigieux ?

Elle essaya d’imprimer le prénom du chorégraphe : Mike. Paul le lui avait présenté comme un Franco-Américain avec qui il avait travaillé à l’époque où il ne dirigeait pas encore l’opéra de Lyon. Mike avait depuis émigré au Brésil où il s’était spécialisé dans l’exploration des liens entre danse et arts martiaux. La démonstration de capœira à laquelle elle venait d’assister lors de cette répétition toute en puissance et en fluidité en offrait un témoignage stupéfiant.

Pensive, elle reporta son attention sur les danseurs. Ils étaient cinq, tous aussi impressionnants les uns que les autres, d’un âge et d’une morphologie proches, mais l’un d’eux se distinguait clairement des autres. Il était différent. Elle ne voyait guère d’autre mot pour le décrire, si ce n’était l’amas de superlatifs qui se pressaient dans sa tête et qui lui semblaient tous inadaptés, trop banals, trop communs pour qualifier le jeune homme qu’elle avait devant elle. Alors qu’il s’étirait, elle observa le roulement des muscles de son dos.

– Il y a combien de représentations de prévues ?

– Quatre, répondit Paul.

Une misère pour un spectacle aussi extraordinaire.

– Et après, vous allez à Paris ? reprit-il à l’intention de Mike.

– Oui. Puis l’Allemagne, l’Angleterre… On fera aussi un passage à Vienne.

Songeuse, elle se laissa aller à penser à voix haute :

– Quatre jours…

C’était si court ! Elle sentit la main de Paul se poser sur son épaule.

– Il t’intéresse ?

Elle regarda le danseur. Il n’était pas nécessaire de préciser de qui ils parlaient.

– Oui.

L’affirmation était sincère, et elle se sentit presque mise à nu. Elle avait toujours été franche avec Paul.

– C’est de lui que je t’ai parlé, chuchota Mike en lançant un regard entendu à ce dernier. Tu sais ? Ce gamin…

Sa curiosité grandit. Il n’avait plus vraiment l’âge d’être qualifié ainsi. A vue d’œil, elle lui donnait plutôt dans les 18-20 ans, mais il était compréhensible que les deux quinquagénaires qui se trouvaient à côté d’elle le considèrent comme tel… Et, d’une certaine façon, il en était de même pour elle : elle ne devait pas être loin d’avoir dix ans de plus que lui.

– Flávio ! cria ensuite le chorégraphe à l’intention du danseur, lui faisant signe de venir.

Celui-ci tourna la tête vers eux. Il avait un de ces visages frondeurs qu’ont parfois les adolescents, sombre, docile et sauvage à la fois. Après avoir saisi une serviette, il se dirigea vers eux. Elise suivit du regard les mouvements du coton sur sa peau tandis qu’il épongeait la sueur de son torse. En se rendant compte qu’elle avait toujours le doigt bloqué sur le déclencheur de son appareil, elle secoua sa main pour la décrisper. Paul demanda :

– C’est le gosse que tu as trouvé dans une favela ?

– Oui, confirma Mike.

Paul ajouta un « il a grandi » qui intrigua particulièrement Elise. Puis, comme elle s’était tournée vers eux, Mike précisa :

– Il dansait.

Il reporta son attention sur Flávio.

– Les gamins dansent souvent, là-bas, poursuivit-il. Tous les gamins dansent, au Brésil, mais ceux des favelas plus encore. Mais lui le faisait différemment.

Après un temps de silence, il murmura « déjà » et Elise y décela la même fascination que la sienne. Une fascination qui l’avait laissée figée, incapable de continuer à prendre des photos ou même de trouver les mots pour qualifier ce qu’elle voyait.

– C’était il y a combien de temps ? lui demanda-t-elle.

– Quatre ans.

Lorsque Flávio s’arrêta devant eux, elle en profita pour détailler de plus près son corps. Grand et élancé, il avait cette musculature saillante qui est le propre des danseurs : façonnée par des années de travail, de régime et de sueur, et la peau d’une teinte caramel qui tranchait de manière saisissante avec le pantalon de lin blanc qu’il portait bas sur les hanches. En s’attardant sur son visage, elle remarqua ses yeux clairs, inhabituels par rapport à sa carnation.

– Tu voudrais faire d’autres photos ? l’interrogea Paul.

Elle mit quelques secondes à répondre.

– Oui.

Elle était restée vraiment longtemps sans faire de clichés. Elle ne savait même pas ce qu’elle avait pu prendre.

– Ça ne te dérange pas ? s’enquit-elle.

– Bien sûr que non.

Puis Paul prit le chorégraphe par l’épaule et l’attira à l’arrière de la salle, si bien qu’elle se trouva seule avec Flávio. Plus loin, les autres danseurs les observaient, curieux ou… peut-être pas, finalement. Elle ne savait pas. Peut-être n’était-ce pas la première fois qu’ils assistaient à ce spectacle.

Elise jeta un regard autour d’elle, cherchant où se placer pour faire ses photos. Elle était déjà venue dans cette pièce, mais cela n’atténuait en rien la manière dont elle l’éblouissait. Située au huitième étage de l’opéra, la salle de répétition offrait le double spectacle de la vision de la ville et de l’armature métallique soutenant le toit semi-cylindrique –  celui qu’on voyait de l’extérieur et qui rendait identifiable l’opéra depuis tout le quartier de l’Hôtel de ville et la berge opposée du Rhône. Les longues baies vitrées donnaient sur les toits des bâtiments et sur le fleuve, sur ses remous gris qui revêtaient si aisément la teinte des jours de pluie.

– You…, commença-t-elle, cherchant comment expliquer ce qu’elle voulait en anglais.

Mais Flávio l’interrompit :

– Je comprends…

Elle posa son regard sur lui, le voyant plisser les lèvres, comme s’il hésitait sur un mot, puis il précisa :

– Le langue français : je comprends.

Elle sourit. Son accent était délicieux – à couper au couteau mais là résidait tout son charme. Elle réprima l’amusement suscité par cette adorable découverte et posa la main sur le bras de Flávio, sentant sa peau frémir au contact de ses muscles. Elle l’emmena un peu plus loin dans la salle.

– Il faudrait faire quelques poses immobiles, tâcha-t-elle d’expliquer. Tout à l’heure, ça allait tellement vite que j’ai loupé des moments et…

Elle s’arrêta. Mentir était stupide. Après une brève expiration, elle fit quelques pas en arrière en levant son appareil photo.

– Le moment, là, quand tu es sur un bras et touches tes pieds de l’autre, émit-elle en mimant vaguement la position.

Pour toute réponse, il lui adressa un sourire en coin et recula. En un instant, il reproduisit la pose. Elle resta subjuguée par le fait qu’il pouvait non seulement effectuer un tel geste mais aussi tenir ainsi sur la seule force de son bras le temps qu’elle prenne la photo.

Elle régla son appareil à toute vitesse et prit cinq clichés. Il revint sur ses pieds.

– Et maintenant…

Elle se déplaça autour de lui. Elle avait quinze images en tête. Vingt. Cinquante. En particulier le moment où il s’était tendu en arrière pour un saut en arc de cercle parfait avant de se réceptionner sur les mains et de rebondir plus loin. Après l’avoir demandé, elle réclama un autre mouvement : un saut acrobatique qui l’avait sidérée la première fois, tant il était monté haut dans les airs, et ce, sans le moindre élan. Il s’agissait d’ailleurs probablement de l’instant où elle avait cessé de le photographier, tant elle avait été captivée. Pour elle, il le refit et elle prit une rafale de trois clichés. Elle en reprit encore deux, tandis qu’il se redressait, puis deux autres alors qu’il essuyait la sueur de son front, deux nouveaux au moment où il porta à ses lèvres une bouteille d’eau pour en boire quelques gorgées. Un autre au moment où il lui jeta un regard de côté assorti d’un sourire en coin.

Ce fut ce qui l’arrêta. Elle laissa redescendre son appareil vers sa poitrine, gênée.

– Ça ira, décida-t-elle.

Elle jeta un œil dans la direction de Paul. Celui-ci lui adressa un sourire et elle se dirigea vers lui en tâchant d’éviter de se retourner de nouveau vers Flávio.

– Alors ?

– Ça ira.

Elle n’en savait strictement rien.

– Bon, on va vous laisser ! annonça Paul à Mike. Vous avez encore du travail.

Celui-ci hocha la tête et Elise suivit Paul en direction de la sortie. Avant de passer la porte, elle s’arrêta cependant. Durant quelques minutes, elle resta à regarder les danseurs répéter encore et encore chaque mouvement, tourner, sauter et enchaîner les sauts acrobatiques avec une telle énergie qu’elle lui aurait paru invraisemblable si elle ne l’avait déjà observée dans ce milieu. Et Flávio brillait au milieu.

Ulcère et belles dentelles

Autrice : Magena Suret.

Genres : Duo M/M, tranche de vie, soft.

Résumé : La première fois qu’il avait envisagé qu’Alex ait un intérêt autre que professionnel concernant la lingerie féminine, Lionel avait balayé l’idée d’un sourire amusé.

Ulcère et belles dentelles

La première fois qu’il avait envisagé qu’Alex ait un intérêt autre que professionnel concernant la lingerie féminine, Lionel avait balayé l’idée d’un sourire amusé. Certes son conjoint passait davantage de temps sur les compositions de ces pages de catalogues que sur d’autres, mais peut-être était-ce que le sujet l’inspirait moins. En tant qu’infographiste indépendant, Alex était contacté pour différents travaux, de la création d’un site intranet à la conception de catalogues, et il disait souvent que le plus compliqué était de respecter le cahier des charges tout en obtenant un résultat alléchant pour le consommateur. Lionel en avait donc conclu qu’en homme gay, Alex prêtait deux fois plus d’attention à ce genre de réalisation parce qu’il était bien plus en proie au doute sur un domaine qu’il ne connaissait qu’en théorie.

La seconde fois que Lionel avait eu un doute, ils regardaient une émission de reportages au thème évocateur, les dessous de la mode. Son concubin avait été agité durant un passage sur un défilé de lingerie ; Lionel avait cru à une simple impatience avant de le voir se lever brusquement puis annoncer qu’il allait se coucher. Encore aujourd’hui, il ne pourrait pas en jurer, mais il était convaincu d’avoir deviné une érection sous son pyjama. Dix ans plus tôt, il aurait sûrement poursuivi Alex jusque dans la chambre pour en avoir le cœur net et en profiter, mais l’expérience lui avait appris la réserve et il n’était pas certain de vouloir une réponse à ses questions. Aussi était-il resté sur leur canapé à tenter de trouver une explication logique à cette réaction.

La troisième fois n’avait plus laissé la place aux peut-être, mais plutôt à savoir qui était concerné par ce fantasme. Était-ce Alex qui souhaitait se travestir ou voulait-il voir Lionel dans ces tenues ? Ce dernier procédait au classement annuel de leurs photos sur un disque dur quand il avait ouvert un fichier nommé « Divers Alex », sans se douter qu’il tomberait sur une série de clichés d’hommes en lingerie féminine. Inquiet de la réaction d’Alex – et s’il pensait que l’incident était volontaire ? –, Lionel n’avait pas osé aborder le sujet.

Alors, il avait entrepris de réaliser ce fantasme. Lionel n’avait pas pu avoir de lingerie adaptée aux hommes : leur ville n’avait pas de boutique proposant ce genre d’articles et les commander en ligne était hors de question. Puisque Alex travaillait de la maison, il aurait sans doute été celui qui réceptionnerait le colis ; et si Lionel savait que son compagnon n’aurait jamais ouvert le paquet, il n’était pas sûr, quant à lui, d’avoir pu garder le secret. Il avait donc mis au placard ses hésitations pour trouver son bonheur dans un magasin de prêt-à-porter.

D’abord, il avait pris soin de s’y rendre pendant sa pause-déjeuner en sachant que le personnel était moins nombreux à ce moment-là, afin d’éviter de devoir présenter ses articles à une vendeuse à l’entrée des cabines d’essayage. Trouver quelque chose de sexy qui lui allait avait été le véritable défi. A trente-huit ans, il se trouvait encore en forme – si l’on exceptait les petites poignées d’amour qui empâtait sa taille depuis deux années et dont il ne parvenait pas à se délester. Pourtant Lionel avait dû se résoudre à faire sa sélection parmi les plus grandes tailles. Après un premier essayage, il avait d’emblée éliminé les guêpières : même si c’était un élément récurrent sur les photos qu’il avait fait défiler, elles n’étaient vraiment pas adaptées aux hommes et à leur absence de poitrine.

Lionel avait fini par se décider pour un ensemble de nuit en satin, composé d’un caraco et d’une simple culotte qu’il avait pris une taille au-dessus, en espérant être assez à l’aise. Dans un premier temps, il avait opté pour une tenue blanche, mais en avait finalement acheté une rose. Quitte à le faire, il voulait être le plus affriolant possible et, les pommettes en feu, il avait complété le tout d’un porte-jarretelles en dentelle rouge et de bas noirs. L’ensemble rose lui paraissait donc plus approprié – s’il osait mettre un jour son plan en action.

Un mois plus tard, Lionel s’était lancé.

Et voilà comment il en était arrivé là. Planqué dans les toilettes d’un restaurant à tenter de retrouver un peu de contenance, hésitant à ôter ces sous-vêtements et à les abandonner ici-même. L’estomac noué par la nervosité depuis le début du repas, il n’avait pas eu à forcer le trait pour s’excuser quelques minutes parce qu’il ne se sentait pas bien. Si le stress au travail ne lui déclenchait pas l’ulcère promis par son médecin, cette soirée pourrait y remédier. De plus, le serveur n’allait plus tarder à amener leurs desserts et, si Alex n’avait pas encore perçu son attitude étrange, Lionel serait démasqué car il serait incapable d’avaler une bouchée de la forêt noire qu’il aimait tant. Il avait été stupide de penser pouvoir passer une soirée à l’extérieur ainsi sans en être embarrassé. Tout le chemin, tandis qu’Alex conduisait, il avait serré les dents, priant pour qu’ils n’aient pas d’accident ; il n’aurait certainement pas survécu à l’humiliation si les secours avaient découvert ce qu’il portait sous son jean et sa chemise.

Une fois de plus, Lionel se fustigea d’avoir agi sur une impulsion. En sortant de la douche pour se préparer, il avait juste repensé au paquet soigneusement caché dans son armoire, derrière un tas de linge qu’ils n’utilisaient plus que pour de rares occasions. Dans son élan, il avait abandonné son boxer et ses chaussettes pour enfiler ces sous-vêtements plus sexy. Ensuite, il avait passé un long moment devant le miroir, à apprécier la différence de texture sous son jean, le frottement moins rugueux contre ses cuisses, l’élastique de la culotte qui mordait ses aines – il était moins à l’aise qu’il ne l’avait espéré. En s’observant une fois habillé, Lionel s’était demandé si quelqu’un pourrait deviner ce que camouflaient ses vêtements. La pensée avait failli le pousser à remiser la lingerie dans sa cachette, mais Alex l’avait appelé d’un ton pressant : ils allaient perdre leur réservation au restaurant s’ils ne partaient pas dans l’instant.

La porte des sanitaires grinça et un « Lionel ? » inquiet résonna. Il se tassa dans la cabine individuelle, tentant de rassembler son courage pour affronter Alex. Lionel regrettait plus que jamais de ne pas avoir gardé cette expérience pour chez eux, à l’abri dans leur intimité. Au moins, si son compagnon devait être furieux que Lionel ait fouiné dans ses affaires, il aurait pu le laisser claquer la porte et aller bouder. En tout cas, il n’aurait pas été mortifié à l’idée de devoir se justifier en public. Et, dans l’éventualité où Alex le trouverait ridicule, Lionel aurait pu ravaler sa fierté pour le laisser rire, quitte à ce que cela devienne un sujet de taquinerie quand il serait moins sensible. Mais non, il avait fallu que Lionel choisisse de se travestir ce soir. Quand il posa la main sur le verrou pour quitter son refuge et rassurer son conjoint, il savait qu’il allait tout lui avouer.

Lorsqu’il ouvrit la porte, Lionel se retrouva nez-à-nez avec son compagnon et, avant même de le laisser lui poser la moindre question, il souleva sa chemise et entrouvrit son jean, faisant apparaître un aperçu de satin rose et de dentelle rouge. Sous les yeux stupéfaits d’Alex, il se rhabilla en hâte et profita de son choc ébahi pour justifier son comportement. Son discours sortit sans vraiment avoir de sens. Lionel parla des photos, expliqua qu’il n’avait pas cherché à être indiscret, qu’ils pouvaient se parler de tout, qu’il ne jugerait pas les fantasmes d’Alex, quand bien même il ne pourrait pas l’aider à tous les assouvir, qu’il avait pensé lui faire plaisir, mais qu’il était effrayé de sa réaction… Il aurait pu poursuivre encore longtemps s’il n’avait pas relevé la tête et découvert le regard dur d’Alex. Soudain, le silence était préférable, aucun argument ne semblait plus pouvoir faire le poids ; le visage fermé, Alex avait l’air furieux. Seulement Lionel ignorait où résidait le problème et comment désamorcer la situation. Si au moins, il avait réussi à rester calme et exposer les faits un par un, il aurait su à quel moment son compagnon avait craqué.

Alex dut le prendre en pitié puisqu’il ferma les yeux et soupira avant de lui demander de revenir à table ; ils régleraient ça de retour chez eux. Le silence sur la fin du repas fut pesant et, même si Lionel gardait la tête baissée honteusement, il sentait sur lui le regard perçant de son conjoint. Quand ce dernier régla l’addition, l’attente parut interminable. Et lorsque Lionel prit son courage à deux mains et tenta d’en glisser une dans celle d’Alex, celui-ci s’écarta brusquement, comme brûlé par le contact. Penaud, Lionel essaya de se remémorer une fois où il avait vexé à ce point Alex – en quinze ans, il avait bien eu le temps de faire pire –, mais n’en trouva pas. Par conséquent, il n’avait pas la moindre idée par où commencer pour se faire pardonner. Ne rien dire et attendre la suite lui semblait une bonne défense dans l’immédiat.

Arrivés chez eux, Lionel attendit que la porte soit verrouillée, se préparant à la dispute monumentale à venir. Cependant, Alex resta face à la porte, comme s’il refusait même sa présence. Face à ce mur, Lionel s’avoua vaincu ; leur conversation était remise à plus tard. Un peu lâchement, et même si cela signifiait une mauvaise nuit à passer, il devait reconnaître qu’il était soulagé. Peut-être que demain matin, ils pourraient en rire. Alors qu’il se tournait pour monter les escaliers, Alex lui attrapa le poignet et, ignorant ses protestations, fit sauter les boutons de sa chemise pour en écarter les pans. Ses joues s’enflammèrent quand le regard de son compagnon se posa sur le tissu du caraco tendu sur ses pectoraux et la dentelle du porte-jarretelles – qu’il avait placé un peu haut sur sa taille pour camoufler ses poignées d’amour. Puis il sentit des mains tremblantes tracer le contour du décolleté puis des bretelles et ce ne fut plus la gêne qui lui donna chaud.

Soudain, Lionel réalisa que la froideur d’Alex n’était pas de la colère mais de la retenue. Qu’ils n’arriveraient pas au lit et que sa lingerie si péniblement acquise avait peu de chances de survivre à la soirée. Tout cela lui était égal. Il se sentait bien plus léger et plutôt fier de pouvoir encore obtenir une telle réaction. Alex entreprit de lui ôter son jean, tout en bredouillant comme lui un peu plus tôt au restaurant. Des propos sur une surprise agréable, qu’il n’en avait pas cru ses yeux, que Lionel l’avait échappé belle dans les toilettes, qu’il était magnifique en rose… Lionel savait qu’il regretterait de ne pas s’en souvenir, mais il ne parvenait pas à prêter attention aux mots : il pouvait lire le désir dans les yeux de son compagnon et cela suffisait à nourrir sa propre excitation. Il se pencha sur l’homme à genoux devant lui et l’embrassa sans retenue. Alex remonta les mains le long de ses bas, provoquant des sensations nouvelles, puis l’attira au sol avec lui, lui répétant combien il était désolé mais qu’il allait certainement déchirer cette culotte en la lui arrachant. Lionel répondit dans un sourire de ne pas s’en faire, qu’ils rachèteraient de la lingerie ensemble.

Pour la prochaine fois.