L’initiation de Claire – saison 1 (3)

Lentement, le sexe de Mathieu l’envahit, ce dernier poussant des reins jusqu’à parvenir aussi loin qu’il le pouvait. En le sentant cogner contre l’arrière de sa gorge, elle serra les poings contre ses cuisses, les mains cependant proches de plonger vers son entrejambe tant elle sentit son bas-ventre se crisper. Le soupir de contentement que poussa Mathieu l’échauffa dangereusement. Bien qu’elle en fût tentée, elle se garda de toucher le corps se dressant devant elle, ne voulant pas risquer de l’entraver dans ses mouvements. Qu’il prenne sa bouche l’excitait. En percevant une légère vibration contre le mur où elle était adossée, elle ouvrit les yeux pour se rendre compte que Mathieu venait d’y poser le front, les paupières étroitement fermées dans une expression de plaisir. Puis, son membre se retira, doucement, parvenant presque à la sortie de ses lèvres avant de retourner s’enfoncer en elle, y pénétrant assez profondément pour toucher de nouveau le fond de l’espace qu’elle lui offrait. Un autre souffle de plaisir émana de Mathieu. Malgré la gêne, malgré la sensation massive, malgré la conscience, bien que lointaine, des autres présences autour d’elle, elle eut envie de glisser la main sur sa poitrine, le long de son ventre… entre ses jambes ; curieusement. Elle pencha le visage de côté pour percevoir différemment, contre son palais et l’intérieur de ses joues, le frottement qui se mit en place. Ça lui avait toujours plu de sentir un sexe dans sa bouche, la caresse sur ses lèvres, les mouvements de va-et-vient, la douce sensation d’envahissement… C’était excitant et érotique, autant par la stimulation ressentie que par tout ce que cet acte suscitait dans son esprit.

Des mouvements suivirent, longs et incroyablement lents. Claire accepta, supporta, aima la façon dont Mathieu utilisa sa bouche, son corps s’en échauffant impitoyablement.

Soudain, une main se posa sur le côté de son crâne, dans un contact dont la douceur la surprit. La caresse inconsciente trancha totalement avec l’attitude dominatrice qu’avait eue Mathieu jusque-là, ses déhanchements se faisant cependant plus vifs alors que le plaisir grimpait en lui. Le contraste se révélait incroyable. Le trouble, le fait d’être à ce point offerte cumulé à la sensation à l’intérieur de sa bouche… Tout faisait s’enflammer son corps. Les soupirs de Mathieu se firent plus audibles, les mouvements de bassin plus saccadés, plus rapides. Elle avait envie qu’il poursuive ce qu’il faisait, qu’il prenne encore son plaisir à l’intérieur d’elle et qu’il jouisse tout au fond de sa gorge. Les paupières closes, elle appuya le visage contre la main chaude posée sur elle. Les doigts masculins se resserrèrent sur ses cheveux. Elle attendit de sentir la substance tiède l’envahir. Puis, d’un coup, la décharge arriva. Un gémissement léger lui succéda, presque inaudible si elle n’en avait pas été aussi proche. Mathieu crispa la main tandis qu’il se mouvait encore, en des gestes plus hachés, plus imprécis, finissant de drainer son orgasme. Claire déglutit tant qu’il le fallut, attendant patiemment qu’il daigne ressortir de ses lèvres.

Lorsque celui-ci s’immobilisa, elle leva les yeux. Le front de Mathieu reposait contre le mur, ses mèches claires tombant vers le sol alors que son regard fatigué par la force de la jouissance se baissait sur elle.

L’image qu’elle lui offrait, le regard fasciné et les lèvres ouvertes autour de sa verge, eut l’air de l’exciter encore un peu plus. Puis il ferma les paupières.

Son membre mollissant glissa hors de la bouche de Claire, et un ordre lui parvint aux oreilles :

– Ne t’essuie pas.

Elle suspendit son geste, les yeux écarquillés d’incompréhension. Elle sentit le liquide blanc qu’elle n’avait pas entièrement avalé humidifier la commissure de ses lèvres. Même s’il peinait à reprendre son souffle, Mathieu s’était déjà détourné d’elle pour refermer son pantalon. Elle parcourut la pièce du regard, surprise de ne pas se sentir tant gênée en redécouvrant les autres membres. Hormis la femme agenouillée, tous observaient Mathieu avec une désapprobation manifeste.

– Je sais ! coupa-t-il, l’air énervé.

L’instant suivant, il attrapait son carnet noir, n’en feuilletant les pages que plus vivement qu’il ne l’avait fait auparavant. Un crayon qui traînait par là finit entre ses mains.

– Merde, fut tout ce qu’il marmonna alors qu’il barrait d’un grand trait tous les noms qui y figuraient, déchirant le papier tant son geste avait été brusque.

Isabelle fit un pas vers lui.

– Tu ne peux pas !

– Si ! Trouve-leur quelqu’un d’autre !

– Mathieu !

Le cahier atterrit sur la table, y glissant avant de finir son trajet par terre. Perdue, Claire vit Mathieu lui tendre la main, le regard encore hésitant et pourtant doux en se posant sur elle.

Si la façon dont il l’aida à se relever fut vive, il ne la retint ensuite contre son torse qu’avec une attention déconcertante. Puis, lentement, il s’approcha de son visage, humant la peau de son cou et de ses joues, avant de pencher soudain la tête de côté et de nettoyer d’un coup de langue le rebord de ses lèvres. L’ébauche de baiser étourdit légèrement Claire. Les doigts qui enlacèrent ensuite étroitement les siens achevèrent de la troubler. Elle y resserra la main dans un réflexe.

– Viens, murmura Mathieu dans une expression pleine de promesses.

Elle se laissa entraîner hors de la pièce.

Le couloir qui suivait défila rapidement, marqué seulement du son de leurs pas. Au bout d’un moment, Mathieu s’arrêta devant une porte éloignée. Toutes celles qui étaient ici se ressemblaient. Il fouilla dans ses poches. L’endroit était totalement désert et seul le son du trousseau qu’il extirpa brisa le silence. Le sourire que Mathieu lui adressa alors fut aussi radieux que ceux qu’elle lui avait parfois déjà vus. La différence entre cette attitude et celle froide et dominatrice qu’elle avait découverte auparavant la frappa de nouveau.

Elle se laissa accompagner à l’intérieur de la salle. La lourde porte claqua, résonnant longtemps derrière eux.

Le trousseau atterrit sur un meuble disposé contre le mur. Elle observa la pièce tandis que Mathieu soupirait, passant les doigts d’un air las sur son front.

En se tournant pour regarder son visage, elle se rendit compte que le changement s’était de nouveau opéré dans l’autre sens. Malgré le trouble qu’il affichait, il se dégageait de lui la même assurance froide que lorsqu’il l’avait provoquée : celle d’un homme qui savait parfaitement ce qu’il était en train de faire.

Ainsi, elle sut que la session qu’elle avait demandée était sur le point de commencer.

Troisième partie

Troisième partie

– Tu as un safeword ? demanda Mathieu.

Claire eut l’air perdue.

– Non. Bien sûr, poursuivit-il en se frottant les paupières.

Elle le vit se diriger vers un placard. Elle observa le mobilier de la salle, pour beaucoup identique à la chambre aux chaînes suspendues au plafond qu’elle avait vue précédemment, bien que l’atmosphère y soit plus intime. Le métal et le bois dominaient, à l’exception du cuir rouge de quelques meubles et du rideau de voile isolant un large lit tout au fond de la pièce.

– Tu connais le code des couleurs ? reprit-il.

– Non.

– Tu ne connais rien, en fait ?

– Oui.

– Qu’est-ce que tu fais ici alors ?

Comme il s’était tourné vers elle avec une expression d’incompréhension, elle prit quelques secondes pour lui répondre. Elle se décolla du mur où elle avait pris appui et déambula dans la salle. Son regard se porta sur une chaîne pendue un peu plus loin.

– Je veux connaître.

Il eut un sourire. Un son métallique plana tandis que la chaîne qu’elle venait de toucher oscillait lentement.

– Vert, pour ta zone de confort. Ensuite orange, puis rouge si c’est trop pour toi. Quand on te pose la question, tu dis dans quelle zone tu te sens.

Elle prit le temps d’assimiler ces informations. Elle hocha la tête.

– On considère que l’orange est la bonne zone, poursuivit-il avec un sourire plein de sous-entendus.

Après un regard vers lui, elle acquiesça de nouveau. Ni dans sa zone de confort, ni au-dessus de ce qu’elle était prête à tolérer, donc. Elle essaya d’intégrer ce que cette notion impliquait, tandis qu’elle poursuivait sa découverte de la pièce.

Du plafond au sol, plusieurs anneaux étaient fixés. Elle commençait à mieux comprendre ce qui se pratiquait ici. Le banc haut, identique à celui qui l’avait intriguée lors de son exploration de l’étage, l’attira. Elle en examina l’agencement, ainsi que les boutons métalliques qui retenaient l’assise de cuir beige au socle de bois. Puis, elle se pencha en avant de manière à y appuyer le buste et en éprouver le confort.

– Le cheval-d’arçons t’intéresse ? remarqua Mathieu avec un certain amusement.

Suavement, dans une provocation volontaire, elle y grimpa de manière à s’y allonger. Ses genoux et ses coudes trouvèrent place sur les petits appuis situés en dessous de l’assise, ses cheveux noirs retombant sur la matière fraîche où reposait sa joue. Elle tourna la tête vers lui. Il contemplait sa chute de reins et la courbe de ses fesses, si accessibles dans une telle position.

– Tu aimes cette position ?

– Oui.

– Tant que ça ?

Elle eut un moment de réflexion, faisant de nouveau glisser la peau de son visage contre le cuir.

– Je crois que j’ai toujours eu des tendances de soumise.

Puis elle ajouta, sans bouger de sa posture lascive :

– Même si j’ai encore un peu de mal à voir clair dans tout ça.

Mathieu s’interrompit dans ses préparatifs pour se tourner vers elle. Elle s’interdit de regarder les objets qu’il avait commencé à réunir.

– C’est donc quelque chose que tu as remarqué récemment.

– Oui. Enfin, ça ne fait pas bien longtemps que j’y pense sérieusement mais, en réalité, c’est plus ancien. Du moins, je crois. Je ne sais pas.

– Et tu as ?

– Vingt-trois ans.

– Comme moi.

À ce point de la conversation, elle songea que la séance n’était pas encore commencée. Ils en étaient à faire connaissance, à se découvrir.

– Tu es venue seule ?

– Oui.

– Pas de compagnon ou d’amant ?

– Non. Plus, ou pas de façon sérieuse. Je ne suis pas quelqu’un d’« aimable », de toute façon, ajouta-t-elle avec une indifférence feinte.

Elle regretta aussitôt de s’être laissée aller ainsi à la confidence. L’amertume lui était remontée à la gorge. Consciencieusement, elle repoussa cette dernière, puis elle le scruta pour essayer de deviner ce qu’il pensait. En vain. Elle se permit alors de lui poser une question.

– Ça fait longtemps que tu pratiques ce genre de choses ?

Il leva les yeux au plafond, prenant le temps de réfléchir.

– J’ai eu quelques expériences de ce type, quand j’avais 18 ans. C’est jeune, ajouta-t-il en riant à moitié. Mais ça ne fait qu’un an que je le fais plus régulièrement.

– En tant que dominateur.

– En tant que switch.

Elle écarquilla les yeux.

– Ça existe ?

– Bien sûr.

Les traits de Mathieu s’étaient adoucis.

– Pour être sincère, je suis essentiellement dominateur, mais j’aime les deux. C’est différent. L’avantage de pratiquer les deux, c’est de pouvoir facilement se mettre à la place de l’autre, suivant ce que l’on fait, d’anticiper ses réactions… Un bon dominateur devrait d’ailleurs toujours savoir se soumettre. Mais avec toi, ce sera dom’.

Malgré le calme de la conversation et le ton tranquille, elle se sentit soudain gênée. La façon dont le regard de Mathieu s’était assombri était flagrante. Elle se releva du cheval-d’arçons. Il lui semblait avoir commis une faute en s’y étant étendue d’elle-même.

– Déshabille-toi, ordonna-t-il.

Alors, elle obéit. Si aisément. Il lui fut étonnant de constater à quel point elle était prête, désormais, à se remettre entre ses mains, combien elle désirait même lui faire confiance. Du moment où ils s’étaient retrouvés seuls tous les deux, l’atmosphère avait changé. La tension qui avait régné entre eux dans la salle précédente s’était dissipée, laissant plus d’amplitude à la curiosité mutuelle qui était née dès leur rencontre. Elle voulait lui montrer qu’il avait eu raison de la prendre avec lui, qu’elle serait capable de se plier à ses ordres et qu’il n’aurait, à aucun moment, à regretter son choix.

Lentement, ses mains naviguèrent sur le devant de son chemisier, en défaisant les boutons. Elle fit descendre le vêtement de ses épaules, éprouvant la sensation de fraîcheur sur sa peau. Comme elle ne savait pas où le déposer, elle leva les yeux sur Mathieu, et vit qu’il la contemplait avec un intérêt non dissimulé. D’un mouvement de tête, il lui indiqua un meuble bas situé dans un coin. Son chemisier se plissa sur le bois sombre ; sa jupe suivit. Lorsqu’elle fut sur le point de retirer les bas fixés à ses cuisses, un geste l’interrompit : Mathieu avançait d’un pas décidé vers elle. Il détailla le corset court qu’elle portait. Puis, il lissa le rebord fin du tissu recouvrant sa poitrine et glissa son doigt dessous pour en extirper chacun de ses seins, la faisant frémir sous ce contact. Il recula ensuite pour contempler son œuvre, la laissant à demi dénudée dans la trop grande pièce, son corps exposé à l’air comme au regard posé sur elle. Jamais, pourtant, elle ne s’était sentie autant désirable, auparavant. Lorsqu’elle planta le regard dans celui de Mathieu, elle ne fit rien pour lui cacher ce qu’elle éprouvait. Qu’il voie en elle sa volonté et, en même temps, sa fragilité. Qu’il sache qu’elle était prête à s’ouvrir entièrement à lui.

Il resta immobile, la détaillant sans la moindre gêne et, en même temps, avec une pointe d’amusement. La situation semblait particulièrement lui plaire. Il se dirigea ensuite vers un large fauteuil. Ses doigts se posèrent sur les accoudoirs, son corps s’enfonçant dans le cuir mou dont le rouge vif tranchait avec le noir de ses vêtements. Enfin, il lui fit signe d’approcher. Sa voix grave s’éleva quand elle parvint à quelques pas de lui.

– À terre. Jambes écartées. Bras en arrière.

Elle se figea de surprise. Elle tâcha de rester le regard fixé dans celui de Mathieu. Lentement, et comme son cœur battait fortement dans sa poitrine, ses genoux se plièrent. Ses cuisses s’éloignèrent l’une de l’autre. En prenant appui de ses mains derrière elle, elle se rendit compte qu’elle se retrouvait dans une position précaire, son corps se cambrant, sa poitrine tendue et sa respiration faisant monter et redescendre ses mamelons durcis par le froid et l’excitation.

– Préférences ? l’interrogea-t-il, la tête appuyée sur son poing dans une mimique appréciatrice.

Puis il précisa :

– Je n’ai pas eu le temps de lire ta fiche.

Elle refusa de le laisser voir à quel point la situation la perturbait. Après un instant de réflexion, elle tenta :

– Plaisir ?

– Tout n’est que plaisir ici, coupa-t-il avec un rire bref. Tu devrais le savoir. Sexe ?

– Oui.

Le regard de Mathieu s’adoucit.

– Liens, bâillon, bandeau ?

Elle prit une seconde pour répondre. Elle observa le corps du jeune homme assis devant elle et la façon dont ses mèches blondes traversaient l’encre de ses yeux.

– Pas de bandeau.

Puis, après un court instant, elle ajouta :

– Pas de masque non plus.

Il écarta les mains pour lui rappeler qu’il n’avait pas le sien avec lui.

– Tu ne crains ni de te faire attacher, ni de te faire bâillonner ?

Elle aurait voulu éviter de répondre à cette question. Néanmoins, l’attitude autoritaire de Mathieu la convainquit de ne pas persister dans cette voie.

– Il en faut plus pour me faire peur.

Ce n’était pourtant que fanfaronnade. Si elle avait été sincère, elle aurait reconnu que l’idée l’effrayait. Si elle avait été totalement honnête avec elle-même, elle aurait avoué qu’elle l’excitait.

– Pas de marques persistantes, reprit-il. Pas de trucs crades. Rien de trop poussé pour toi puisque c’est la première fois. Si tu sens que ça ne va plus, tu dis « rouge ». À n’importe quel moment. Quoi que l’on fasse. Si je te pose la question sur les couleurs, tu ne me mens pas. Si tu es bâillonnée, je te donnerai quelque chose pour que tu puisses t’exprimer.

Puis il baissa le visage dans une expression plus sombre, empreinte d’une forme de goguenardise.

– Maintenant, il ne t’est plus permis de bouger.

Et le sourire qui se dessina à cet instant sur les lèvres de Mathieu fut autant séduisant que, d’une certaine manière, effrayant.

***

Claire resta coite. L’appréhension, l’inquiétude, la curiosité de savoir ce qu’il se passerait ensuite… Tout faisait battre son cœur, provoquant en elle un émoi inhabituel. Elle le regarda se lever et se diriger vers le meuble proche où il avait réuni son matériel. En le voyant revenir avec une paire de ciseaux, elle eut un moment d’angoisse. Une respiration ample souleva sa poitrine.

– Calme, souffla-t-il en se penchant à son oreille.

Puis il s’agenouilla lentement devant elle. Avec précaution, il réajusta l’emplacement de son corset, le descendant légèrement de manière à ce que le tissu qui avait voilé peu avant sa poitrine ne risque pas de remonter. Il se saisit ensuite de sa culotte pour la tirer et y pratiquer, avec prudence, une fente en son milieu, tandis qu’elle se raidissait avec inquiétude. Puis il se leva pour éloigner la paire de ciseaux. Elle soupira. Quoi qu’il se passe désormais, elle devrait rester avec ce sous-vêtement découpé le restant de la soirée…

Il revint se positionner devant elle, lui adressant un petit sourire en coin, tout en faisant dériver ses doigts sur la courbe de sa gorge, l’arrondi de sa poitrine, le relief de l’un de ses tétons… Puis il descendit progressivement jusqu’à glisser lentement la main au niveau de l’espace humide du bas de son corps. De surprise, elle lâcha un infime son de la gorge et faillit bouger mais s’évertua aussitôt à maintenir la position dans laquelle il lui avait dit de rester. Elle le fixa ensuite, son visage si proche du sien, dans l’attente et la curiosité. Puis, en sentant son index et son majeur s’enfoncer brusquement en elle, elle ferma les paupières. Bien que son sexe soit déjà lubrifié, le geste avait été soudain et la tension forte.

– Garde les yeux ouverts.

Elle obéit, déglutissant en fixant les traits de Mathieu à quelques centimètres seulement de son visage, son regard l’embrasant.

Lorsqu’il ressortit ses doigts pour les faire lentement remonter jusqu’à son grain de chair érigé, elle se mordit la lèvre, fermant de nouveau les yeux sous l’afflux soudain de plaisir, avant de les rouvrir aussitôt, consciente de son erreur. L’ordre se révélait plus difficile à respecter qu’il ne l’avait paru. Étonnamment, son corps se montrait excessivement réceptif, plus qu’il ne l’aurait dû aux prémices de ses caresses. Bien qu’il n’ait encore qu’effleuré son clitoris en quelques mouvements glissants, elle sentait déjà ses cuisses se contracter, son bassin se relever et une boule de chaleur se former dans son bas-ventre. Curieusement, qu’il la touche ainsi lui paraissait pourtant plus anormal que s’il s’était servi de son corps pour son propre plaisir ou que s’il lui avait administré des coups. Il lui semblait qu’il n’avait pas à la caresser, qu’elle aurait dû être celle lui procurant ce type de soins, qu’elle n’était pas à sa place. La totale passivité qu’il avait exigée d’elle ne lui permettait, de plus, aucune porte de sortie. Si elle restait seule à éprouver du plaisir, elle manquait à son rôle et, si elle essayait d’inverser la situation, ce ne pourrait être qu’en fautant gravement puisqu’elle ne respecterait alors pas la consigne qu’il lui avait donnée. À l’arrivée, la situation la perturbait autant que, bien malgré elle, l’excitait. Elle ne s’était pas attendue à un tel acte. Il aurait tant été aisé pour elle de jouer à refuser les gestes de Mathieu, de faire semblant d’être forcée et, plus encore, ne pas avoir à se rendre compte combien chacune de ses paroles et chacun de ses gestes l’affolaient.

Le visage penché, ses mèches blondes masquant en partie la noirceur de son regard, celui-ci semblait se délecter de la vision cruellement érotique qu’elle lui offrait.

Gênée, elle détourna le menton. Il le ramena aussitôt face à lui en le saisissant fermement.

Elle commençait à percevoir ce qu’induisait cet état de soumission. Quoi qu’elle espère, elle ne pouvait pas avoir la maîtrise de ce qu’il se passait, quelle que soit la force avec laquelle elle aurait voulu se convaincre du contraire. Quant au regard posé sur elle, il l’enflammait. Les gestes de Mathieu se firent plus précis. La chaleur enfla entre ses cuisses, et elle ouvrit la bouche plus largement. Les mouvements au niveau de son sexe devinrent plus appuyés. Bien que la gêne restât présente, elle ne pouvait plus le quitter des yeux. Elle sentait encore le goût du liquide âpre avalé au fond de sa gorge, avait toujours l’impression de percevoir la masse qui s’était déplacée contre son palais. Que Mathieu use ainsi de sa bouche l’avait considérablement excitée, l’envie de se toucher qu’elle en avait ressentie la laissant plus sensible qu’elle ne l’avait cru. Au fond d’elle, elle songea à la manière dont ses larges mains pourraient se saisir de ses hanches, la courber, quelle sensation lui procurerait son épais membre en s’enfonçant à l’intérieur de son corps. Qu’il la prenne. Qu’il l’ouvre. Qu’il entre en elle. Elle en avait tellement envie…

Sa tête se renversa en arrière et elle dut lutter pour ne pas fermer les paupières ; ses yeux s’humidifièrent ; sa nuque commença à se raidir tant elle s’arquait. Petit à petit, elle se mit à trembler. La chaleur en elle s’intensifia, quelques contractions s’opérant au niveau de son bas-ventre. Inconsciemment, elle écarta plus largement les cuisses, lui offrant l’entier spectacle de l’émoi de son corps. De discrets gémissements commencèrent à s’évader de sa bouche. Les premiers signes annonciateurs de l’orgasme se firent plus présents, la sensation d’une boule de pur plaisir se constituant dans son ventre, montant… montant irrépressiblement…

Puis, au moment où elle fermait les yeux dans l’arrivée de la jouissance, tout s’arrêta. La présence de Mathieu s’évanouit. Son corps partit presque imperceptiblement en avant comme s’il avait voulu maintenir son contact. Elle rouvrit les paupières aussitôt, s’attendant à ce qu’il reprenne ce qu’il faisait, mais qu’il soit déjà en train de se relever la laissa perdue. Oh non, elle n’avait pas compris avant en quoi constituerait réellement cette session et elle se sentit faible, soudain. Ses muscles étaient encore en train de se raidir, ses cuisses se contractant, tout son être s’élevant en protestation contre cet arrêt inopiné. Son regard se chargea de désarroi. Pas un instant, elle ne rompit cependant la position de soumission dans laquelle son dominateur lui avait dit de rester.

– Bien, commenta-t-il.

Elle ne perçut même pas le ton de félicitation, toute à la souffrance de cet orgasme que son corps ne voulait pas laisser refluer. Elle se sentait bouleversée.

Lentement, douloureusement, ses nerfs attisés finirent par se calmer, la laissant excessivement sensible. Pourtant, la satisfaction d’avoir été capable de supporter ce qu’il venait de lui infliger, de l’accepter, de le subir et d’être encore là, présente et forte, ne viendrait pas encore.

– Lève-toi maintenant.

Elle prit appui sur le sol de ses mains, évitant de le regarder, tant elle était encore confuse. À cause de la position dans laquelle elle s’était tenue et des prémices de l’orgasme, ses jambes étaient devenues faibles, elle ne se sentait qu’à peine la force de s’y hisser. Progressivement, en des gestes mesurés, elle se mit debout, tâchant de trouver son équilibre.

Quelque part en elle, Claire ressentit le besoin d’être réconfortée, rassurée par rapport à cette session qui était en train de se dérouler et qu’elle avait pourtant voulue. Le corps solide qu’elle sentit soudainement contre son buste lui donna envie de s’y appuyer. Lorsqu’il posa les mains sur sa taille, elle se laissa aller entièrement à son contact, à cette présence autant rassurante qu’elle pouvait être grisante.

L’initiation de Claire – saison 1 (2)

Deuxième partie

Claire jeta un coup d’œil autour d’elle. Peu d’autres personnes s’étaient aventurées dans cette partie de la cour et aucune n’avait prêté attention aux agissements du trio. Doucement, elle déambula le long de la piscine, tout en scrutant le lieu où les trois jeunes gens avaient disparu. En s’en approchant, elle constata que, si elle n’avait pas été en train de les observer au moment où ils y étaient entrés, elle aurait sûrement ignoré l’existence de ce passage. Il aurait fallu qu’elle traverse la cour extérieure, et encore, il était si bien dissimulé dans un coin d’ombre qu’on ne pouvait guère le repérer qu’une fois parvenu à ses pieds. Là, une faible lumière, jaune pâle, en éclairait la voie. En haut se dressait une porte noire sans aucune inscription de derrière laquelle émanait une musique assourdie, à la rythmique sensuelle.

Claire resta, un moment, immobile.

Puis elle gravit les marches, les doigts glissant sur la pierre sèche au fur et à mesure de son avancée. Son pouls battait de curiosité et d’appréhension.

Derrière la porte, un couloir exigu lui apparut, éclairé de façon intermittente par la blancheur hypnotique de stroboscopes. Des hommes et des femmes s’appuyaient le long de ses murs, certains se parlant à l’oreille, d’autres s’embrassant avidement. Claire se rendit compte qu’elle devrait les frôler si elle voulait progresser. Les basses du morceau diffusé se répercutaient dans sa poitrine, les stroboscopes lui faisant apparaître les images fugaces de lèvres les unes contre les autres, du galbe d’une jambe dénudée, d’un visage enfoui dans la courbure d’un cou et des ondulations, troublantes, de hanches masculines entre deux cuisses relevées. Si l’atmosphère précédente avait été empreinte de sensualité, celle-ci s’avérait clairement sexuelle.

Lentement, elle se glissa entre les corps lui faisant face, les regards se posant sur elle et les souffles éraillés effleurant sa peau tandis qu’elle les dépassait. Lorsqu’une main se glissa entre ses jambes, elle se retourna pour reculer d’un pas, ne sachant comment réagir. Puis elle poursuivit son chemin.

Plus elle s’enfonçait à l’intérieur du mas, plus la décoration changeait. Plus sombre. Plus sexuelle. Des ouvertures sans porte donnaient sur différentes pièces où de grands lits trônaient, occupés pour la plupart. Certaines chambres possédaient de grands écrans vidéo, d’autres des miroirs sur chacun de leurs murs… une, des chaînes terminées par des bracelets pendant au plafond. Curieuse, elle pénétra dans cette dernière. Celle-ci ne comportait aucun lit mais était meublée, en son centre, par un banc sans dossier sur lequel elle devina que l’on pouvait s’allonger. Le meuble était suffisamment haut pour que le corps de la personne étendue soit au niveau du bassin de celle restant debout ; une assise rembourrée, qui semblait confortable, le recouvrait et de petits appuis, situés plus bas en ses quatre coins, permettaient d’y poser les genoux et les coudes. À côté se dressait une grande croix de saint André, anneaux et lanières fixés à ses extrémités. Ailleurs, une sorte de hamac de cuir était suspendu au plafond par des chaînes. De grands placards, fermés seulement par des grilles, laissaient apercevoir des objets qui attiraient son regard. Elle voulut approcher, mais un bruit sec retint son attention. Il s’agissait d’un son provenant d’une pièce attenante. Le gémissement étouffé qui suivit l’interloqua.

Avançant encore un peu plus, elle découvrit une salle où, derrière une ligne de barreaux, des êtres aux poignets ligotés au mur étaient en train de se faire fouetter, certains très doucement, d’autres plus fort. Quelques personnes regardaient tranquillement, murmurant parfois à l’oreille des uns et des autres. L’aspect de la scène lui donna l’impression d’un spectacle.

Un moment, elle resta, elle aussi, appuyée aux barreaux à observer ce qu’il se passait, étonnée de s’en laisser tant captiver. Elle n’avait jamais vu quoi que ce soit de tel. Ceux maniant les lanières de cuir portaient tous un masque, hommes et femmes. Ceux soumis l’étaient jusqu’au regard des autres. Une curieuse alchimie s’opérait cependant entre ces derniers et leurs dominateurs, donnant à Claire l’impression qu’aucun d’eux n’était là pour le public mais, au contraire, qu’en les observant ainsi, c’était elle-même qui attisait leur jeu. Soudain, un gémissement plus fort lui fit tourner la tête, quelque peu effrayée. La façon dont le responsable s’approcha alors de celui qui venait de crier l’étonna, sa main caressant son dos légèrement strié avant de passer tendrement dans ses cheveux pour lui tourner le visage… L’expression de plaisir mêlé de reconnaissance de ce dernier alors qu’il atteignait soudain l’orgasme la perturba violemment. Gênée, elle se détourna de ce spectacle qu’elle ne comprenait pas.

Tandis qu’elle repartait, songeuse, elle se rendit compte que la durée pendant laquelle elle était restée à observer cette scène lui échappait. Elle ne savait même pas depuis quand elle déambulait dans cette partie du bâtiment. Elle avait l’impression de s’être laissé emporter par l’atmosphère des lieux au point d’en perdre la notion du temps. Un rire la sortit alors de ses pensées. En relevant le visage, elle découvrit, sortant d’une pièce devant laquelle s’amassait un certain nombre de personnes, la femme qu’elle avait observée plus tôt. Quand celle-ci tourna la tête, sa chevelure rousse fendit l’air, puis sa main se leva pour placer devant ses yeux un masque identique à ceux que Claire avait remarqués auparavant.

Elle s’immobilisa, sa respiration s’accélérant. Un coup d’œil rapide aux êtres rassemblés dans cette partie du couloir lui fit repérer le jeune homme à la démarche nonchalante. Le cœur battant, elle jeta un œil dans la salle proche. Si elle y découvrit un nombre plus important encore de personnes conversant à voix basse, comme s’ils venaient eux aussi d’assister à une scène et échangeaient leurs impressions à ce sujet, le troisième homme, celui qu’elle avait vu avec le masque, n’y figurait pas… ou plus ; elle l’ignorait. Elle tâcha de recouvrer ses esprits, surprise de se sentir autant troublée par ce petit événement.

À peine eut-elle reculé qu’une voix l’interpella. Décontenancée, elle considéra la femme à la tenue de cuir rouge qui se tenait à quelques mètres d’elle, l’allure clairement dominatrice. Plus loin, elle reconnut le serveur du bar avec lequel elle avait brièvement conversé, venu la désigner depuis la dernière marche d’un escalier dérobé.

Claire cligna des paupières. La femme la détailla des pieds à la tête, avant d’élever la voix :

– Vous avez demandé une session au donjon. Suivez-moi.

Il fallut quelques secondes à Claire pour réagir. Le serveur était déjà en train de redescendre. La femme portait, elle aussi, un masque vénitien. Lorsque celle-ci tourna les talons, Claire la regarda repartir dans le couloir, troublée par ce qui était désormais une certitude : l’homme qu’elle avait aperçu au bord de la piscine devait, lui aussi, être un dominateur de l’établissement. Puis, elle lui emboîta le pas, son regard partant dans chaque salle qu’elles croisèrent tandis qu’elle se demandait vers quoi exactement elle se dirigeait. Et ce qu’elle cherchait, aussi. Ce qu’elle cherchait, tout au fond d’elle.

Dans aucune de ces salles, elle ne vit l’homme au masque.

Au bout du couloir, un lourd rideau bordeaux marquait la transition vers un lieu interdit aux autres clients. Lorsque la dominatrice le retint pour inviter Claire à la suivre, celle-ci tâcha de ne pas montrer son appréhension. Derrière, un petit vestibule à peine éclairé lui apparut, précédant plusieurs portes, toutes noires et sans inscription. Les murs, ici, se dressaient vides d’une quelconque décoration. Un geste l’invita à ouvrir l’une des portes. Malgré sa gêne, Claire y posa la main, poussant lentement.

Le premier visage qui lui apparut fut celui de la jeune femme aux cheveux roux qu’elle avait aperçue auparavant. Elle était hissée sur un tabouret haut, et ses jambes croisées laissaient visible la couture de ses bas. Elle tenait plusieurs feuilles de papier entre les doigts. Son masque était posé sur une tablette derrière elle.

– Clara ?

– Oui, répondit Claire, puisqu’il s’agissait du pseudo qu’elle s’était choisi.

Son attention fut aussitôt attirée par la femme nue qui était agenouillée plus loin, la tête basse et un harnais en cuir ceinturant sa poitrine. Un homme, affalé dans un fauteuil, les pieds sur une table où traînaient des verres vides et un tas de documents, tenait une cravache. De temps en temps, il jetait un œil à la femme, immobile, à ses côtés. En se rendant compte que les fesses de cette dernière étaient marquées de zébrures rouges, Claire se sentit perdue, comme distancée par ce qu’elle découvrait.

– Préférence : homme, cita la femme assise sur le tabouret.

Claire dut expirer profondément pour reprendre ses esprits. Elle observa celle qui venait de prendre la parole, découvrant que ce qu’elle tenait à la main était le questionnaire qu’elle avait rempli en arrivant, et qu’elle était en train de le lire.

– Olivier est occupé pour l’instant, enchaîna-t-elle.

Claire hocha la tête, l’esprit embrumé. Son regard repartit vers la soumise dont les yeux ne quittaient pas le sol. Même si l’homme assis dans le fauteuil ne lui adressait presque aucun regard, il était évident que toute son attention était focalisée sur la femme agenouillée auprès de lui.

– On peut avoir une session toutes les trois, Isabelle et moi, indiqua la dominatrice à la tenue de cuir rouge.

Puis elle précisa :

– Sans caractère sexuel. On manque de membres masculins ce soir. Ou tu peux attendre qu’un autre dom’ soit libre. Cain devrait bientôt être là.

Ce nom fit tiquer Claire. Elle se sentait mal à l’aise. Si, à l’origine, elle n’avait considéré cette session que comme une éventualité, certes inquiétante, mais à l’attrait de laquelle elle n’avait pas eu envie de résister, elle se rendait désormais compte à quel point elle avait présumé de sa propre audace. Le contraste entre ses fantasmes et la réalité était, de plus, flagrant. Elle ne savait plus si elle serait capable d’affronter un tel univers, si elle serait même prête à en faire l’essai.

Perturbée, elle ne vit s’ouvrir la porte située de l’autre côté de la salle que dans un brouillard cérébral. Le jeune homme qui pénétra à son tour dans la pièce, le masque à la main et un large sourire sur le visage, ne fit qu’embrouiller un peu plus ses repères. Un temps, la présence de la femme au sol, les marques sur ses fesses et l’attitude hautaine des deux dominatrices devinrent floues dans son esprit. Même le nouvel arrivant eut un temps d’hébétude, son sourire s’évaporant en découvrant Claire.

Du jeune homme qui venait d’entrer se dégageait un charme surprenant, captivant de bien des manières. Si la vision que Claire avait eue de lui, au bord de la piscine, avait suscité son intérêt, elle se sentait plus intriguée encore en le découvrant soudain devant elle. L’incroyable légèreté qu’il affichait tranchait avec l’image qu’elle avait d’un dominateur ; ses cheveux blonds en bataille lui donnaient un air de débauche et son sourire contrastait avec les expressions froides qui avaient accueilli Claire jusque-là. Quant à son attitude, elle était fraîche et espiègle, comme si tout ce qui se tramait en ces lieux reculés ne représentait, pour lui, qu’un jeu très distrayant. Seul l’aspect sombre de son regard rappelait qu’il n’avait certainement rien d’un simple garçon turbulent.

– Lui, c’est Mathieu, l’informa Isabelle. Et son planning est complet pour toute la soirée.

Claire accusa le coup. Durant quelques secondes, elle avait cru qu’il s’agissait du Cain qu’on lui avait annoncé. Perdue, elle tourna le visage vers la femme qui venait de lui parler, ne se rendant pas compte de la façon dont elle la dévisagea, faisant s’offusquer tous ceux qui l’entouraient, tant elle parut irrespectueuse. Seul ledit Mathieu, dont le regard était en train de descendre le long de la silhouette de Claire, en eut un sourire amusé.

Claire reporta son attention sur lui, tâchant de démêler les fils de son esprit.

Tant d’événements s’étaient succédé pour elle ces derniers temps : sa rupture avec Thomas, sa prise de conscience de la façon dont elle s’était laissé cloîtrer par cette relation, les propos du type lui ayant remis le flyer et la manière dont elle s’était laissé partager entre lui et un autre homme, comme s’il s’était agi de la place qu’elle devait occuper. Sa fascination pour la manière dont d’autres se faisaient attacher… De tous ces éléments, elle avait pu tirer une conclusion, une seule : elle ne se connaissait pas. Elle n’avait jamais été dénuée de caractère, stupide ou incapable de se révolter. Elle avait des convictions, des envies, et la façon dont elle gérait ses études, dans le cursus difficile qu’elle avait choisi, témoignait de la volonté dont elle pouvait faire preuve. Durant sa relation avec Thomas, elle s’était pourtant montrée tellement soumise… et elle n’avait guère agi différemment lors de sa dernière soirée. S’il y avait un élément, dans tout le trouble qu’elle avait ressenti depuis, qui pouvait encore avoir du sens, c’était qu’elle avait besoin de se trouver. Elle ne voulait plus laisser les autres décider de ce qui advenait d’elle, et certainement pas s’engager dans une session avec ces deux dominatrices dont l’attitude autoritaire la mettait mal à l’aise.

Inconsciemment, elle s’appuya contre le mur de pierre, scrutant le jeune homme aux cheveux clairs dans un temps de réflexion.

– Tout le monde veut toujours Mathieu, se moqua ensuite l’homme enfoncé dans le fauteuil.

– Pourquoi toujours, hein ? protesta celui-ci sur un ton de plaisanterie.

Puis il se pencha pour attraper un gros cahier noir posé sur la table. Claire le regarda s’adosser au mur et en feuilleter les pages d’un air blasé.

– Tu n’as pas rempli la partie « expériences », poursuivit Isabelle à l’intention de Claire. Tu en as déjà eu au moins ?

Mathieu releva la tête avec beaucoup d’intérêt. L’ombre séductrice, joueuse, qui s’alluma dans son regard mit Claire mal à l’aise. Elle appuya la joue sur la pierre du mur, à côté d’elle, en recherchant la fraîcheur et, d’une certaine façon, le soutien. Elle ne voulait pas se laisser écraser par ce groupe de dominateurs.

– Oui, mentit-elle finalement.

– Et en vrai ? enchaîna aussitôt Mathieu.

Un sourire amusé jouait au coin de ses lèvres.

La poitrine de Claire se souleva. Elle eut un instant d’hésitation.

– Non, corrigea-t-elle.

Si elle parvint à garder une voix froide, elle sentit cependant le creux de son ventre se contracter. L’expression de Mathieu, qu’elle aurait imaginée moqueuse, ne fut pourtant marquée que de plus de regrets. Il tourna les pages suivantes de son cahier avec tant de théâtralité, dans son dépit, qu’il aurait pu les arracher. L’homme enfoncé dans le fauteuil se mit à rire. Claire ne lâchait plus Mathieu des yeux.

Au bout d’un moment, celui-ci lança un regard interrogatif à sa collègue.

– Clara, lui indiqua-t-elle. Inscrite dans la soirée.

Il acquiesça pensivement, avant de retourner examiner son carnet. Puis, il releva le visage vers elle, comme gêné par son regard. Elle le fixait avec trop d’attention, témoignant de son attente d’un acte de sa part. Il eut un rire bref, nerveux.

– Je ne peux pas, finit-il par lâcher.

Claire ne comprit pas. Elle avait entendu ce qu’on lui avait expliqué mais son esprit embrouillé ne parvenait pas à l’intégrer. Elle avait vécu les années précédentes dans l’acceptation de tout ce que les hommes ayant partagé sa vie avaient voulu d’elle ; pourquoi fallait-il que, pour une fois qu’elle tâchait de décider elle-même de ce qui lui arrivait, ce lui soit refusé ? Nerveusement, elle passa les doigts sur les ailes de son nez, paupières fermées.

– Que faut-il que je fasse ? dit-elle finalement.

Cette question était tout ce qui lui était venu à l’esprit. Elle se sentait encore amère de ses déceptions passées, révoltée contre la vie qui se montrait si complaisante à l’enfoncer dans des situations qu’elle ne gérait pas, mais si rude lorsqu’elle tentait d’en maîtriser le cours.

– Et puis une première fois, ça ne se fait pas comme ça, poursuivit Mathieu comme s’il ne l’avait pas entendue mais, plus encore, comme s’il pouvait ainsi se convaincre. Il faut s’y préparer, prendre le temps de discuter et… il n’est pas conseillé du tout, de toute façon, de pratiquer tout ce qui est sexuel tout de suite et puis…

L’attention de Claire se porta particulièrement sur ces derniers mots, évoqués si soudainement, alors qu’elle n’avait fait aucune demande à ce sujet, et… comme à regret. Elle retrouva un semblant de contenance.

– Que faut-il que je fasse ? répéta-t-elle.

***

Mathieu eut un rire nerveux. Il referma brusquement son carnet qui claqua dans sa main. Il n’y avait rien de fréquent dans le fait de voir se présenter seule, comme Clara était en train de le faire, une novice, et encore moins une femme dont l’apparence attirante se combinait à une attitude aussi irrévérencieuse que la sienne. Tout en elle se trouvait aux antipodes du comportement que devrait avoir une soumise. Tout en elle semblait pourtant si prêt à y sombrer… L’idée d’être le premier à la mener parasitait ses pensées.

– T’inscrire à l’avance, soupira-t-il. Revenir une autre fois en prenant rendez-vous plusieurs jours avant.

– Je ne suis pas d’ici.

– Et alors ? Moi non plus.

Cette dernière remarque eut l’air de faire réagir la jeune femme. Comme si elle avait failli oublier que, sortis de ce lieu et de leurs artifices, les êtres qui l’entouraient n’étaient guère plus que ses semblables.

– Que faut-il que je fasse ? insista-t-elle de nouveau.

Agacé, Mathieu jeta son cahier sur la table. Sa tête se renversa en arrière, son regard partant au plafond. La jeune femme face à lui n’avait décidément rien de l’attitude qui convenait à une soumise. Pourtant, son comportement le séduisait plus qu’il n’avait envie de se l’avouer. Il avait toujours trop aimé le combat. Ses paupières se fermèrent, l’image nue de la jeune femme, entièrement offerte à son regard comme à sa volonté, s’y substituant.

Quand il reposa les yeux sur elle, une lueur plus sombre, joueuse, y avait pris place, emplie de défi.

– Montre-moi de quoi tu es capable.

***

Claire ne s’était pas attendue à ce tournant. La demande lui fit l’effet d’un choc. Quelque chose avait changé dans l’attitude du jeune homme, quelque chose qui n’avait plus rien à voir avec ses mimiques amusées. Désormais se trouvait en face d’elle un dominateur, autoritaire. Inflexible. Un petit sourire aux lèvres, il la dévisageait avec une provocation évidente. Elle se tourna vers les autres membres de la pièce. Tous observaient silencieusement leur échange, les visages fermés. La femme au sol ne bougeait toujours pas.

– Alors ? la relança Mathieu.

Elle se passa la main dans les cheveux, décontenancée. Le regard qu’elle adressa ensuite à Mathieu fut alors empli d’autant de certitudes, quant à ce qu’elle avait décidé de vivre, que de révolte. Elle savait ce qu’elle voulait. Elle ne pouvait cependant pas deviner elle-même comment agir. Dans un mouvement de bravade, elle se décolla du mur, puis avança jusqu’à un mètre de lui. Il ne bougea pas, se contenant de lui faire signe de s’approcher encore. Elle n’eut qu’une seconde d’hésitation. Lorsqu’elle parvint enfin à ses côtés, elle détourna le visage, penchant la tête vers son épaule en laissant la présence de cet homme électriser son cou.

– Tu ne sais pas, hein ? lui fit-il remarquer.

Son souffle survola la peau de Claire, celle-ci en ressentant l’obscure sensualité.

– Non, soupira-t-elle.

– Regarde la femme agenouillée au sol.

Elle obéit. Elle ne voyait qu’une situation choquante.

– Tu comprends ce qu’il se passe ?

– Non.

Et, dans l’aveu, elle releva les yeux vers Mathieu en une expression qui ne masquait rien du trouble que leur soudaine intimité lui provoquait. Elle le vit sourire. Il ne lui fit cependant aucune grâce, s’éloignant pour s’adosser nonchalamment contre le mur avant de la fixer de nouveau avec une provocation manifeste.

– Alors ?

Elle expira profondément. Si elle savait parfaitement ce qu’elle avait demandé en sollicitant cette session, elle n’était pas encore prête à ployer ainsi la nuque. Mathieu lui avait cependant lancé un défi et il était hors de question qu’elle le laisse continuer à la prendre pour une pauvre fille perdue dans un univers qu’elle était incapable d’assumer. Et ceci était aussi valable pour les autres qui l’entouraient, surtout les deux dominatrices dont l’attitude hautaine lui déplaisait.

Lorsque l’une d’entre elles interpella Mathieu pour lui demander d’abandonner, Claire l’interrompit d’un mouvement de main, le regard empli de détermination. Elle allait faire ce qui lui était demandé. Il n’était plus utile pour eux d’intervenir.

Lentement, elle franchit la distance la séparant de Mathieu, avant de s’arrêter un moment face à lui. Puis, elle s’agenouilla. Une fois au sol, elle posa les mains sur l’avant de ses cuisses et dirigea le regard vers le côté, son expression tel un mélange de provocation et de soumission, tandis que l’une de ses mèches brunes tombait le long de son visage. Plus personne n’éleva la voix à l’intérieur de la pièce.

D’une curieuse manière, le sentiment d’humiliation que Claire s’était attendue à ressentir ne survint pas, laissant la place à une fierté inhabituelle, pour ce qu’elle était en train d’accomplir, pour être capable de répondre à ce qui lui avait été demandé tout en ne s’écrasant pas. Se retrouver au centre de toute leur attention suscitait, de plus, un sentiment inhabituel en elle. La situation se révélait infiniment troublante. Tout lui restait cependant inconnu. Comment devait-elle se comporter ? Quelles étaient les règles ? Personne ne la guidait. Personne ne l’aidait dans ce domaine dont elle ignorait les lois.

Impitoyablement, le temps s’étira, aucun mot, aucune action ne venant la tirer de sa situation.

Au bout d’un moment, relever le regard devint une nécessité. Elle n’osa pas chercher celui de Mathieu, si haut au-dessus d’elle. Seulement, elle contempla ce qui lui faisait face, le corps de cet homme dont le bassin était si proche, désormais, juste devant son visage, et dont l’entrejambe se révélait légèrement gonflé. Elle en était si près. Durant quelques instants, elle songea à la manière dont elle devait agir, mais fut incapable de trier les fils emmêlés de son esprit. Alors, elle pensa à ce qu’elle-même voulait. Elle.

Progressivement, ses doigts se levèrent et elle se mit à défaire les premiers boutons du pantalon devant elle. Au moins s’agissait-il de quelque chose qu’elle maîtrisait, et puis elle en avait envie ; c’était tout ce à quoi elle pensait. À chaque instant, elle s’attendait à se faire repousser. « Pas de pratiques sexuelles », avaient-ils tous dit. Pas la première fois, en tout cas. Personne ne la retint cependant dans ses gestes. Personne ne l’encouragea non plus. Elle tâcha d’oublier les visages tournés vers elle.

Le sexe qu’elle extirpa du vêtement de cuir était déjà à demi levé. Sous son regard, il se durcit un peu plus. Claire le contempla un moment, surprise d’en découvrir la taille et l’épaisseur. Plus affolante encore lui parut la manière dont son propre corps s’en réchauffa.

Lentement, très lentement, elle approcha le visage, désireuse de percevoir la sensation de cette chair à l’intérieur de sa bouche. Elle passa la langue sur les bourses durcies. Le membre se contracta, provoquant en elle une décharge plus forte d’envie. Sa main se posa sur la cuisse juste à côté, s’accrochant à la matière du pantalon. Appuyé d’une main contre le mur et le visage baissé vers elle, Mathieu ne bougea pas. Elle remonta doucement le long de la chair tendue, léchant, la caressant de ses lèvres.

Alors que sa bouche glissait sur la peau douce du gland pour l’envelopper à peine, Mathieu posa la main à l’arrière de son crâne, lui faisant marquer un temps d’arrêt. La prise sur elle était à la fois douce et ferme. Il s’agissait de la première invitation à continuer qui lui était adressée. Elle ne regarda pas le visage au-dessus d’elle. Elle ouvrit simplement la bouche, plus largement, et y fit entrer profondément le sexe de Mathieu. Quand elle leva enfin le regard, elle vit le désir dans ses yeux, la curiosité, l’envie de savoir jusqu’où elle irait ayant succédé à la provocation. Le défi était encore là. Claire fit ressortir doucement son membre, s’accordant une seconde pour respirer plus lentement. Pas un instant, elle ne regretta son geste. Elle retourna faire glisser le long de son palais l’axe de chair qui l’attirait.

Alors qu’elle commençait à pratiquer quelques va-et-vient mesurés, une main se posa soudain sur son épaule. La façon brusque dont elle se fit repousser la surprit, la chair humide sortant de sa bouche tandis que son dos se retrouvait plaqué contre le mur. Abasourdie, elle ne put que cligner des yeux.

– Ce n’est pas comme ça qu’on s’y prend.

Le ton était autant dur qu’explicatif.

– Si tu le fais, fais-le bien.

Claire essaya de reprendre ses esprits. En redressant le visage vers celui de Mathieu, elle le découvrit avec la respiration accélérée et les yeux légèrement vitreux. Les doigts qui se saisirent de son épaule la firent se raidir, la laissant interdite.

Quand Mathieu se rapprocha pour positionner de nouveau son sexe devant ses lèvres, elle comprit cependant aussitôt. Son crâne s’appuya contre le mur derrière elle. Parce qu’elle n’avait pas l’habitude d’un tel membre, elle avait évité de le prendre trop profondément dans sa bouche. Ses paupières se fermèrent. Elle ouvrit la mâchoire. Elle attendit que la verge encore luisante de salive glisse à l’intérieur d’elle. Elle en avait envie. Bien malgré elle, elle se rendit compte de l’incroyable excitation que faisait naître en elle cette situation.

L’initiation de Claire – saison 1 (1)

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Érotique, BDSM, hot.

Résumé : Mais que fait-elle ici ? À peine est-elle entrée dans le club très privé que Claire se demande ce qui lui a pris de venir dans cet endroit. Pourtant, elle se sent irrésistiblement attirée par ce mystérieux « donjon » et ses alcôves aux mille promesses indécentes. Et lorsqu’elle croise le regard de Mathieu, elle comprend. Elle comprend que c’est ici qu’elle pourra enfin se révéler. Elle comprend que c’est lui qui l’initiera au côté sombre du désir…

Roman sorti en numérique aux éditions Harlequin. Et très bientôt en papier ici !
Vous pouvez découvrir toute la première partie de ce roman ici. Profitez-en !

Première partie

D’une main, Claire attrapa le flyer qu’elle avait déposé sur le siège passager. Ses cheveux lui battaient le visage tandis que la musique diffusée par la radio s’échappait des fenêtres ouvertes de son véhicule. Elle jeta un œil au plan dessiné au dos du tract, avant de le retourner. Brièvement, elle observa la photographie représentant une grande demeure de pierre de couleur chaude, perdue au milieu de champs dorés. Il s’agissait bien de la bâtisse vers laquelle elle se dirigeait. L’établissement n’était pas visible depuis la route mais, depuis le petit chemin qu’elle était en train de remonter, on pouvait le reconnaître. Le soleil déclinant éclairait la façade d’une lumière orangée, tandis que les quelques arbres l’entourant se paraient d’un vert plus soutenu.

La terre crissa lorsqu’elle se gara sur le parking situé en contrebas. Claire s’étira, les bras appuyés au volant, tout en examinant les véhicules déjà stationnés ; au milieu du luxe environnant, sa Mini d’étudiante détonnait complètement. Tant pis, décida-t-elle en ouvrant la portière. Elle n’était pas venue ici pour faire un concours de la plus belle voiture.

Une fois dehors, elle examina la large demeure. Les hauts murs la ceinturant ne laissaient rien deviner de ce qu’ils cachaient, mais elle avait pu apercevoir, depuis la route, les différents bâtiments la composant. Plus loin se dressaient quelques collines à l’herbe séchée par le soleil et aux genêts en fleur, bercées par le chant des cigales. On aurait pu se croire dans un lieu de villégiature estival, à la porte d’un mas restauré pour accueillir les touristes en mal de tranquillité. Pourtant, malgré l’aspect chaleureux des lieux, elle ne parvenait pas à se sentir tout à fait à l’aise. Elle n’avait décidé de venir qu’au tout dernier moment et, elle le savait, il lui faudrait plus d’audace qu’elle n’en avait déjà eue pour en franchir l’entrée…

Presque sans y penser, elle défit le premier bouton de son chemisier. En cette période caniculaire, la chaleur restait forte une bonne partie de la nuit. Son attention fut soudain attirée par un jeune couple qui venait de se garer un peu plus loin et qui la regardait. Par réflexe, elle cala plus nettement son dos contre la portière derrière elle : dans leur regard, elle avait vu une lueur d’intérêt s’allumer. Elle les suivit des yeux tandis qu’ils s’éloignaient. La soirée n’était pas encore amorcée ; elle avait encore le temps de réfléchir à ce qu’elle s’apprêtait à faire.

Lorsque le couple s’engagea dans une courte allée menant à l’entrée de l’établissement, elle reporta son attention sur le parking avant de s’allumer une cigarette d’un geste plus nerveux qu’elle ne l’aurait voulu. L’odeur de la fumée se mêla à celle des herbes sèches, provoquant en elle un certain apaisement. Puis, elle jeta de nouveau un œil sur le flyer qu’elle tenait en main, relisant les informations qui y figuraient, et notamment le « tenue correcte exigée » inscrit sous la mention « établissement très select ». Bien qu’il s’agisse de son plus bel ensemble, il lui parut soudain certain que le chemisier noir et la jupe courte qu’elle avait revêtus ne suffiraient pas.

Elle inhala longuement une bouffée de tabac avant de la relâcher dans l’air, observant ses volutes se délayer dans le bleu-gris du ciel.

Aussi loin qu’elle se souvienne, elle n’avait jamais eu besoin de séduire, du moins volontairement. Attirer un regard comme celui du couple qu’elle venait de croiser n’avait donc pas de quoi la surprendre, seulement de quoi la faire hésiter, étant donné la nature du lieu dans lequel elle s’apprêtait à pénétrer. Mais au fond d’elle, elle en était consciente, elle n’hésitait pas vraiment. Non. Elle savait qu’elle ne reviendrait pas sur ses pas désormais. Même si elle aurait été bien en peine d’expliquer rationnellement ce qui l’avait tant attirée dans un tel endroit…

Les inscriptions sur le papier glacé qu’elle tenait à la main dansaient devant ses yeux : « soirées libertines », « restaurant », « piscine », « sauna », « hammam » et surtout ce mot à la tonalité inquiétante, « donjon ». Claire n’avait pas manqué le sourire du type qui le lui avait donné quand il lui avait dit que, vu ses tendances, l’endroit pourrait lui plaire. « Vu ses tendances »… Elle n’avait même pas songé à s’offusquer de ces propos. Que savait-il d’elle, après tout ? En y repensant plus tard, elle s’était cependant demandé s’il y avait eu un fond de vérité dans ces paroles.

De lui et de l’autre homme qui l’avait abordée ce soir-là, elle n’avait pas retenu les noms ; ce n’était pas ce qui l’avait marquée. Elle se souvenait surtout de leur souffle contre sa bouche, du poids de leurs corps sur le sien et de la pression de leurs doigts sur ses hanches s’intensifiant. Elle avait connu pour la première fois la sensation d’avoir un sexe dans sa bouche et un autre entre ses cuisses et, quoi qu’elle ait pu en penser ultérieurement, elle avait aimé être prise de cette façon. Elle l’avait aimé infiniment. Elle s’était sentie unique en voyant celui qui avait été au fond de sa gorge se déplacer derrière ses fesses pour la prendre à son tour. Se faire désirer ainsi l’avait excitée bien plus qu’elle ne l’aurait imaginé.

Les jours suivants, elle avait tellement tourné et retourné le tract entre ses doigts, allongée sur son lit, qu’elle en savait désormais chaque ligne par cœur. Les promesses et les mystères de ce lieu ouvert seulement aux initiés l’avaient totalement obsédée.

Le pourtour de sa cigarette émit un crépitement alors qu’elle inhalait sa dernière bouffée. Elle l’écrasa sous la pointe de son escarpin, puis elle jeta un œil au couple qui l’avait dépassée. Ils attendaient dans l’allée menant à l’entrée. Alors elle se décida.

Elle allait les rejoindre. Quelles que puissent être ses incertitudes et ses appréhensions, il n’était plus temps de reculer.

***

En approchant, Claire découvrit une lourde porte noire à laquelle un cœur en tissu molletonné était accroché. Juste à côté, une petite fenêtre de verre dépoli laissait deviner un intérieur dont les couleurs dominantes se déclinaient en des nuances de rouge et de violet. Aucun écriteau n’indiquait le nom des lieux. Lorsqu’un cliquetis parvint à ses oreilles, elle s’arrêta, le cœur battant. La porte s’entrouvrit juste assez pour qu’un homme au corps massif et à la tenue distinguée y apparaisse. Ses yeux étaient d’un bleu si pâle qu’ils en rendaient son regard troublant.

– C’est pour la soirée ? demanda-t-il poliment.

Le couple hocha la tête. Claire remarqua que l’homme se crispa et que la femme retint sa respiration.

– Je suis profondément désolé, poursuivit le portier. Une autre fois, peut-être.

Son ton était resté parfaitement cordial. Claire fut réellement étonnée par ce refus. Elle regarda le couple partir, la déception visible sur leurs visages. Alors que le regard du portier se posait soudain sur elle, elle eut un instant de gêne. Comme pour se protéger, elle porta le flyer devant ses lèvres. L’homme l’observa plus intensément.

– Entrez, je vous prie, décida-t-il enfin.

Il fallut une seconde à Claire pour intégrer le sens de la phrase et retrouver un semblant de contenance. La porte s’ouvrit devant elle, dévoilant un couloir aux pierres identiques à celles de l’extérieur, décoré çà et là de quelques photos de la campagne attenante. Après une brève expiration, elle se recomposa une attitude assurée pour avancer. Une musique d’ambiance, à la rythmique calme et sensuelle, lui parvenait en sourdine d’une pièce adjacente.

– Vous avez un vestiaire juste après la caisse, l’informa l’homme en désignant une ouverture dans le couloir.

Quand il referma la porte, Claire croisa les bras par réflexe sur sa poitrine.

– Le couple ? s’enquit-elle en voyant l’homme se diriger vers le comptoir d’entrée.

– Nous choisissons notre clientèle en fonction de la soirée.

La réponse la laissa perplexe, mais le sourire que le portier lui adressa fut tellement empli de charme qu’elle n’osa pas le laisser paraître. Que les responsables de ce club soient à ce point difficiles l’intriguait. Si les gens qui venaient d’être refusés ne méritaient pas d’être admis ici, à quoi ressemblaient ceux qui obtenaient ce privilège ?

Lorsqu’elle fut introduite dans la salle sur laquelle débouchait le couloir, le spectacle qui s’offrit à elle lui fit oublier un instant cette dernière interrogation.

Sous le ciel pâle de la nuit naissante se dressait un vaste bar à moitié couvert où le calme rustique des pierres se mêlait à un mobilier moderne au goût raffiné. Des éclairages, alternant entre des nuances de rouge, de rose et de violet, balayaient de luxueux fauteuils recouverts de cuir coloré. Plus loin, une volée de marches descendait vers une piste de danse occupée en son centre par une gigantesque piscine, d’où s’élevaient trois podiums de hauteur différente. Quelques groupes de clients à l’allure distinguée s’étaient déjà installés, accoudés au bar ou perchés sur des tabourets surélevés, parfois alanguis dans les canapés qui entouraient de larges tables. Les robes à la coupe parfaite succédaient aux tenues de marque, élégantes mais décontractées, les bas crissant sur les jambes croisées bien haut, les dentelles noires dévoilant la naissance de poitrines délicates tandis que les chemises masculines laissaient deviner des dos agréablement musclés. Si les couleurs de la salle étaient vives et sensuelles, celles des tenues se déclinaient majoritairement en des teintes de noir et de blanc, tout autant érotiques.

Claire baissa les yeux sur le document qui lui avait été donné à l’entrée. Elle s’approcha du comptoir pour l’examiner plus consciencieusement. Il s’agissait de plusieurs feuilles agrafées où était écrit en en-tête : « Charte de l’établissement sur les règles et les précautions d’usage ». Le barman, un jeune homme à la beauté androgyne et aux yeux aussi clairs que ceux de celui qui l’avait introduit, lui tendit un stylo avec un sourire.

– Pour la dernière partie, si vous le voulez, il faudra indiquer votre pseudo pour la personne là-bas.

En se tournant pour suivre son mouvement de tête, elle découvrit une femme d’une quarantaine d’années. Entièrement vêtue d’une tenue semblant sortie des ateliers des plus grands créateurs, elle buvait un verre en compagnie d’un homme du même âge à une table non éloignée. Son visage, maquillé avec savoir, mettait parfaitement en valeur sa beauté glaciale.

– La maîtresse des lieux ?

– « Les », précisa le serveur. Ce sont tous les deux les propriétaires.

Claire hocha la tête. Un temps, elle se demanda quelle vie un tel couple pouvait bien mener pour partager la gestion de ce genre d’établissement.

– C’est la première fois que vous venez ? l’interrogea le barman en lui tendant un verre.

– Oui.

Petit à petit, la salle se remplissait. La nuit entièrement tombée, les éclairages se faisaient plus présents. L’air était encore chaud. Au-dessus de sa tête, les premières étoiles faisaient leur apparition. De jeunes gens aux tenues classieuses et aux chevelures arrangées avec soin traversaient la salle avant de s’installer. Certains avaient une allure ouvertement sexuelle, portant des tenues en vinyle ou en cuir, sans qu’à aucun moment elles ne paraissent pourtant d’une quelconque vulgarité. Un groupe de trois femmes aux poitrines nues sous de simples voilages traversa l’espace en souriant avec assurance. D’autres riaient ensemble. Quelques masques vénitiens ajoutaient une touche de mystère à certaines figures.

Si Claire n’était jamais entrée dans un établissement comme celui-ci, elle ne pouvait pas dire que ce qui s’y déroulait lui était totalement inconnu. La dernière soirée à laquelle elle s’était laissé emmener et qui s’était conclue par elle, à quatre pattes en train de se faire prendre par deux inconnus tandis que d’autres se faisaient attacher ailleurs, lui en avait donné un aperçu.

D’une certaine manière, cela n’avait pas été une révélation pour elle. Plus jeune, elle avait déjà lu, avec la curiosité et les battements de cœur de ceux qui accèdent à l’interdit, certaines des œuvres de Sade et le roman Emmanuelle. L’été, elle avait aimé s’allonger, bras nus, dans l’herbe du parc de sa ville pour s’abandonner aux curieuses sensations que suscitait en elle cette littérature. Plus tard, seulement, elle s’était rendu compte que le désir qu’elle lisait, elle-même pouvait le susciter ; la manière dont certains hommes, plus mûrs, s’étaient soudainement mis à la regarder l’avait alors légèrement perturbée. C’était à ce moment de sa vie qu’elle avait commencé à avoir des petits amis. Aucun n’avait cependant duré, tant les jeunes gens de son âge lui paraissaient fades, inconsistants et sans intérêt. Une aventure singulière s’était alors produite. Un homme d’une dizaine d’années de plus qu’elle l’avait abordée, se montrant tellement charmant qu’elle avait accepté sa proposition de lui offrir un verre, le suivant naïvement chez lui jusqu’à ce qu’elle le découvre adepte d’un type de sexualité qui, s’il avait abondamment peuplé ses fantasmes, l’avait cependant effrayée. Aujourd’hui encore, elle ignorait ce qu’il se serait passé si elle n’avait prétexté une excuse idiote pour s’enfuir. Probablement rien, après tout, mais les événements récents avaient éveillé ce souvenir.

Puis, à l’aube de ses 17 ans, elle avait rencontré Thomas. Cette fois encore, une dizaine d’années les séparaient et Claire s’était tant laissé conquérir par son esprit et son humour qu’elle était tombée éperdument amoureuse de lui. Oh ! elle avait bu toutes ses paroles, acquiescé à chacun de ses avis, l’admirant comme seule une adolescente de 10 ans sa cadette l’aurait pu. Thomas était déjà plein de certitudes, mais elle y avait vu du savoir, de la maturité qui lui manquaient, et n’avait eu de cesse d’essayer de s’élever à sa hauteur. Lorsqu’elle avait appris ensuite qu’il était déjà marié, elle l’avait même accepté sans trop de difficultés. Cependant, peu à peu, tous ses espoirs de parvenir à vivre une vraie vie de couple avec lui s’étaient taris. Cent fois, elle avait songé à le quitter. Cent fois, elle en avait été incapable ou était revenue sur son choix. Puis, le temps était passé et toutes les promesses stériles de Thomas l’avaient lassée. Probablement était-elle devenue moins naïve, également ; elle avait fini par grandir. Lorsqu’elle s’était décidée à poser un regard objectif sur sa vie, elle avait constaté qu’elle avait gâché les meilleures années de sa jeunesse à attendre un homme qui ne quitterait jamais son épouse pour elle ; elle avait alors 22 ans. Un soir, elle avait ressenti le besoin de savoir si, dans le désastre de son existence, elle pourrait tout de même encore séduire et avait trouvé sa réponse dans le premier bar dans lequel elle était entrée.

Depuis, elle avait la sensation d’être incapable de revenir à la réalité. Aux rêves d’amour dans lesquels elle avait tant vécu auparavant s’était substituée une soif de vivre tout ce à côté de quoi elle avait eu le sentiment d’être passée. Elle n’avait répondu à aucun appel ou message de Thomas, elle sortait facilement tous les soirs ou, au moins, un soir sur deux, fréquentait les bars ou les boîtes de rencontres, n’approfondissait aucun contact, cherchait seulement un corps, des mains, un sexe, surtout rien qui ressemblait à des sentiments. Draguer, séduire, elle n’avait alors jamais à le faire d’elle-même. Au plus, si elle voulait un homme en particulier, il lui suffisait de s’asseoir dans son champ de vision de manière à se montrer disponible. Elle n’avait que peu à le regarder ; il viendrait. Elle interrompait toujours rapidement les tentatives de conversation pour en venir aux faits. Ils avaient des relations sexuelles là où le type le voulait, que ce soit dans un lieu public proche ou bien chez ce dernier, jamais dans son propre appartement par contre.

Son entourage pensait qu’il s’agissait d’une passade, lui assurait qu’elle était encore jeune, qu’elle avait le temps de rencontrer quelqu’un de bien ; elle n’y croyait pas. Thomas n’avait jamais rien ressenti d’autre pour elle que du désir et elle savait qu’il en était de même de tous ceux dont elle avait partagé le lit. Qu’elle puisse avoir des chances de tomber de nouveau amoureuse lui paraissait improbable. Quant à celle qu’elle avait de susciter de tels sentiments, elle préférait ne même pas y penser. Au point où elle en était parvenue, elle ne savait même plus s’il y avait quoi que ce soit d’« aimable » en elle. Ce à quoi avaient accédé un jour la plupart des autres êtres humains lui avait été refusé ; comment aurait-elle pu continuer à rêver ? Et puis, elle avait encore besoin de se chercher et, surtout, de se comprendre. La petite adolescente qui s’était éveillée au fond d’elle lui avait rappelé qu’avant son existence soumise, elle avait été une jeune fille extravertie, ouverte et pleine de curiosité. Désormais, l’envie de vivre tout ce dont elle avait le sentiment d’avoir été privée la tenaillait.

Elle feuilleta lentement le document en portant à ses lèvres le verre qui lui avait été offert. Jusque-là, rien ne l’avait choquée. La page qui suivait attira davantage son attention. Il s’agissait d’une demande annexe de session au donjon associée à un questionnaire sur ses préférences.

Longtemps, elle resta le stylo à la main.

Ces trois mots : « session au donjon », la fascinaient.

Il s’agissait de la raison pour laquelle elle avait tant retourné le flyer entre ses doigts, les jours précédents. Elle ignorait cependant si elle aurait suffisamment de cran pour se présenter à la porte d’un monde si particulier, si elle était même prête à céder à sa curiosité sur ce sujet. En définitive, elle ne savait pas vraiment ce qu’elle faisait : face à la vie si effacée qu’elle avait menée auparavant, son soudain besoin de s’émanciper lui paraissait totalement disproportionné. Probablement aurait-elle dû se contenter de déambuler dans ce lieu, avant de faire, peut-être, une rencontre ; une seule aurait été raisonnable. Ce n’était cependant pas ce qu’elle était venue chercher. Malgré la crainte qu’elle éprouvait, elle voulait découvrir le donjon ; c’était là la raison de son entrée dans ce lieu. Et ce qui ressemblait ici à une formule lui étant proposée tombait idéalement. Le questionnaire concernant ses préférences s’avérait précis et, si elle oubliait certains termes pouvant être effrayants, presque rassurant dans la mesure où il comportait suffisamment de détails pour qu’elle ait le sentiment de pouvoir gérer ce qu’elle était prête à accepter ou non.

Au bout d’un moment, elle se décida à remplir cette partie, la main hésitante avant d’apposer le premier trait d’encre sur le papier. Son pouls battait tellement fort dans ses tempes qu’elle avait du mal à se concentrer et elle repoussa consciencieusement toutes les interrogations relatives à sa santé mentale qui auraient pu lui venir. De temps en temps, ses doigts se levaient pour se poser sur son front, les questions qui lui étaient posées la renvoyant à des actes qu’elle peinait à imaginer. Elle signa enfin du pseudo qu’elle s’était choisi. Le stylo finit par rouler sur la surface brillante du comptoir, tandis qu’elle se redressait déjà, les mains plaquées sur le document. Elle prit une longue inspiration.

– Je peux visiter les lieux ? demanda-t-elle en poussant le questionnaire vers le serveur.

– Bien sûr.

Elle se tourna vers le reste de la salle. Le regard d’un homme au corps fin et aux cheveux courts glissa sur elle si directement qu’elle s’en sentit gênée. Quand ils furent proches de se croiser, elle se contenta de s’écarter. Lentement, elle descendit les marches menant à la piste de danse. La musique calme baignant la pièce accompagnait ses pas.

Tout en ce lieu la fascinait. Sa condition d’étudiante ne lui avait jamais permis d’entrer dans un établissement aussi luxueux et elle doutait avoir l’occasion de le faire une deuxième fois. Sur son passage, des visages se tournaient, certaines conversations s’estompant un instant. Parvenue devant la piscine, elle s’arrêta. Des éclairages illuminaient l’eau de l’intérieur, la rendant bleu azur. Un temps, elle se laissa captiver par cette couleur, troublée par l’érotisme sombre des lieux.

Dans cette partie de la salle, seules quelques personnes dansaient. Les autres conversaient, accoudées au bar situé au fond de la pièce, buvaient un verre assis au bord de la piscine ou encore contemplaient les femmes ondulant dans les demi-cages disposées autour de la pièce. Celles-ci étaient si belles, avec leurs masques, leurs guêpières noires et leurs bas, que Claire passa quelques instants à les admirer. Une autre femme, plus loin, observait les allées et venues. Elle aussi portait un masque vénitien. Claire commença à se demander si cet attribut était lié aux membres attachés à l’établissement.

Plus loin, un espace à découvert l’attira. Le sol, recouvert de la même terre, presque sableuse, que la route par laquelle elle était arrivée, accueillait un mobilier composé de chaises longues et de tables basses en fibres tressées qui donnait l’impression d’une plage privée. Tout au fond de la cour, on apercevait une autre piscine, plus grande, éclairée de l’intérieur par une lumière rouge vif. Quelques hêtres offraient de petits éclats de verdure rappelant la nature proche. Encore au-delà, un restaurant aux lourds tissus accrochés au plafond projetait ses lumières roses et violacées sur le sol de la terrasse ouverte, bordant les feuilles des arbres de ses couleurs artificielles.

Elle s’approcha de la piscine. Curieuse, elle s’assit sur le bord, pour y plonger la main, et fut presque surprise de la voir rester aussi pâle que d’ordinaire. Qu’avait-elle dans la tête pour imaginer une seconde qu’elle puisse rougir, elle aussi ? L’eau était chaude. Il y avait dans l’air quelque chose de profondément sensuel. Ce soir, tout était permis. Elle avait franchi une ligne derrière laquelle il n’y avait plus de limite.

Alors qu’elle redressait la tête, elle aperçut, plus loin, un groupe de trois personnes, conversant de manière décontractée, contre le mur extérieur de la cour. Sous la brise extérieure, des mèches blondes voletaient, captant les éclairages de la nuit, alors qu’un loup noir dissimulait le haut du visage qu’elles traversaient.

Lentement, elle retira sa main humide de l’eau. Quelques gouttes tombèrent depuis le bout de ses doigts.

De là où elle était, elle ne pouvait pas apercevoir ces trois jeunes gens en détail, mais elle remarqua que la manière dont l’homme au masque s’appuyait contre le mur de pierre témoignait d’une assurance bien différente de la sienne, transpirant la sensualité. Le regard de Claire glissa sur ses bras, ainsi que sur les muscles de son épaule que le T-shirt sans manches qu’il portait laissait apparaître. La vision lui parut particulièrement belle du fait de la distance et des lumières changeantes ; de l’espace qui les séparait.

Puis, la femme avec laquelle les deux hommes conversaient fit quelques pas et Claire remarqua l’escalier dissimulé dans un coin d’ombre vers lequel elle se dirigeait. Seul le faible éclairage de la nuit lui permit d’en apercevoir les premières marches, les suivantes disparaissant sous une voûte sombre. Quand la femme se retourna et glissa contre le mur comme pour inviter à la suivre, sa chevelure rousse s’accrocha aux reliefs de la paroi. L’autre homme la rejoignit en une démarche nonchalante, avant de se laisser enlacer et de l’embrasser à pleine bouche. Claire le vit caresser la cuisse féminine dont le bas fut traversé de lumières roses et rouges quand il remonta légèrement sa jupe. Tous deux gravirent ensuite les marches, avant d’adresser un regard à l’homme au masque qui leur sourit, roulant contre le mur avant de se relever d’un mouvement de bassin. La façon dont il leur emboîta alors le pas en s’éclipsant à son tour sous la voûte de pierre parut, à Claire, emplie de mystères.

Pensive, elle se releva doucement.

Attache-moi

Autrice : Valéry K. Baran.

Genres : Érotique, M/M, bondage.

Résumé : Se trouver face à un homme encore excité par la chaleur des combats qu’il a livrés cette nuit est loin d’être synonyme de doux réveil nocturne… mais, si le premier le sait, son compagnon semble bien s’en moquer totalement.

Attache-moi

Un œil au bleu profond…

Ben ferma une seconde les paupières avant de les rouvrir sur le regard amusé qui était posé sur lui. Un léger sourire jouait au coin des lèvres pleines et les mèches blondes qui caressaient ses joues semblaient capter la lueur pâle de la nuit.

Nathanaël était rentré.

Sur son t-shirt trônaient quelques traces de sang séché, et un léger effluve de sueur se dégageait de sa peau, témoignant de son retour précipité du club. Ce n’était pas la première fois que Nat faisait ça : revenir sans même se changer. Ses mains, marquées par les combats de la nuit, glissaient lentement sur son torse, provoquant des frissons sur leur passage.

– Je dormais, se plaignit Ben.

– Plus maintenant.

Une lueur rieuse avait pris place dans les yeux de Nat. Ben tourna le visage vers la fenêtre ouverte, observant l’obscurité qui régnait à l’extérieur et témoignait de la profondeur de la nuit. Un vent léger soulevait le voile blanc cachant la vue sur la ruelle en contrebas.

Installé de tout son poids sur lui, Nathanaël semblait perdu dans la contemplation de ses traits ensommeillés. Quand il appuya sur sa pommette du bout du doigt, la tirant vers le haut pour y dessiner un sourire, Ben grogna, ce qui fit ouvrir les lèvres à Nat dans un rire silencieux. Même s’il apparaissait troublé, comme toujours lorsqu’il rentrait du club, le regard de Nat brillait d’une malice que Ben connaissait bien, tout comme la façon dont ses dents blanches venaient de glisser sur sa lèvre inférieure. Il savait de quoi ces gestes auguraient.

Il se frotta les paupières, ayant encore du mal à se réveiller. Il s’était couché entièrement dévêtu, ne se couvrant que d’un simple drap à cause de la torpeur estivale. En avalant sa salive, il grimaça. Sa gorge sèche le brûlait. D’un coup, il lança le bras sur le côté pour attraper la bouteille d’eau qu’il avait laissée à proximité du futon et il remarqua la manière dont Nat suivit du regard le roulement de ses épaules : comme fasciné. Il se releva sur un coude et étira son cou pour se désaltérer. Lorsqu’il sortit un bout de langue pour s’attarder sur le bord de ses lèvres humides et les débarrasser de l’eau y étant restée, quelque chose de plus charnel brilla dans les yeux de Nat. L’excitation de sa nuit de combats était encore présente, Ben pouvait le voir à chaque instant. Nat le contemplait comme s’il avait été un adversaire à battre, mais dans un affrontement d’une toute autre nature que ceux qu’il avait menés juste avant ; plus sensuelle. Un infime sourire étira un coin de sa bouche. Il appréciait la façon conquérante et bestiale avec laquelle son amant le considérait.

Sa main passa dans sa chevelure emmêlée par la nuit.

– Il est quelle heure ?

Le son bref qui sortit des lèvres de Nat et l’expression taquine qui prit place sur son visage lui en dirent long sur la façon dont il se moquait de ce détail. Un temps, Ben crut revoir le gamin qu’il avait connu, plus jeune, et dont Nat avait gardé le goût de l’amusement malgré les années s’étant écoulées depuis. Les souvenirs de cette époque où tous deux traînaient plus souvent dans la rue que dans un foyer se rappelèrent à lui et il repensa à quel point il avait de la chance de s’en être sorti pour être là et partager ses nuits avec cet homme qui comptait tellement pour lui.

Il bâilla largement, une petite larme de sommeil perlant au coin de ses yeux alors qu’il levait la main devant son visage.

– Ça a été, au club ?

Sa question ne suscita qu’un haussement d’épaules. Il ne jugea pas utile d’insister : Nat en parlerait s’il le voulait et, pour l’instant, son esprit autant que son regard étaient fixés sur son torse dont il suivait les courbes d’un doigt intéressé. Avec sa sensualité naturelle, son amant pencha le visage sur le côté. Ben fut captivé par le mouvement fluide que décrivit une mèche de ses cheveux blonds… mais plus encore par la langue qui effleura ses lèvres, tel un félin se pourléchant devant son futur festin.

– Tu m’as manqué, murmura Nat avec tendresse.

Son haut de résille glissa le long de ses bras bronzés, passant au-dessus de sa tête en ébouriffant un peu plus sa chevelure. Le regard de Ben fut alors attiré par le large bleu qu’il découvrit sur son flanc. Lentement, il y posa un doigt en remontant le long de ses côtes, suivant la trace du coup qui avait dû être particulièrement violent pour être aussi visible. Il pouvait sentir l’adrénaline pulser à travers la tension qui animait Nat, et l’excitation des combats dont son amant ne se gênait pas de lui faire partager le goût, la sueur et même l’odeur du sang qu’il avait ramenés jusque dans leur lit. Son nez se plissa avec gêne. En relevant son torse, il rechercha la source de ce parfum désagréable. Sa main passa sur la tête blonde et s’accrocha au coin de la nuque sur quelques mèches poisseuses collées entre elles. Il tira dessus.

– Tu as encore du sang. Va te laver.

Nat posa un regard chaud sur lui, mais resta silencieux.

– Allez, insista-t-il.

– Pas envie…

Nat ajouta avec une expression de gamin taquin :

– Juste envie de toi.

S’il s’agaça, Ben ne s’étonna pas de son attitude. En ce qui le concernait, faire preuve d’une hygiène élémentaire avant d’entrer dans le même lit que son compagnon était autant un besoin impérieux qu’un acte de respect, mais Nat était un être brut qui ne s’embarrassait pas de ce genre de considérations. Il n’avait pas l’éducation qu’une famille aurait pu lui donner et se fichait bien que son état puisse déranger. Lorsqu’il rentrait, troublé comme à l’instant, tout ce qu’il cherchait était le contact de son corps, l’odeur de sa peau et le besoin de s’enfouir en lui pour calmer l’excitation des combats dans la sueur du sexe partagé.

De l’intérieur de leur chambre, les éclairages de la ville n’offraient qu’une image pâle. La canicule ambiante était à la limite du supportable. Ben essuya d’une main la moiteur de son front avant de voir Nat sourire en regardant le drap masquant à peine la partie inférieure du corps.

– Je vois que tu es content de me voir.

Ben eut un rire bref à cause de la lourdeur de la remarque et murmura un « imbécile » en se redressant pour quémander un baiser.

Nathanaël l’observa, amusé. Puis il se saisit de sa bouche avec envie, mordant passionnément ses lèvres, se reculant pour les lécher d’une langue taquine tandis que son amant se tendait avec envie, ne parvenant pas à attraper sa chair qui le défiait avec jeu. Nat planta alors ses dents dans sa lèvre rebondie avant de la prendre entre les siennes et de pénétrer enfin dans cet antre dont il aimait tant la saveur. D’une main, Ben retint sa nuque et tous deux se laissèrent aller à partager le désir et la plénitude de se retrouver enfin.

La caresse buccale était excitante, mais Nat se sentait joueur. Des deux mains, il repoussa Ben d’un coup, le faisant rebondir sur le matelas, ce qui l’amusa. Après un moment de surprise, une expression supérieure assombrit les yeux de Ben, disant : « essaye de me faire craquer si tu en es capable ».

Avec plaisir…

Ses cheveux ébène épars autour de son visage, sa bouche entrouverte en une invitation et son corps étendu au milieu des plis des draps, Ben le provoquait dans une position que Nat jugea à se damner. Il se redressa alors sur ses genoux et regarda de sa hauteur cet homme qui, allongé sous lui dans une attitude sauvage, lui semblait pourtant juste à sa merci. Avec jeu, ses doigts glissèrent le long de son propre torse, attisant la lueur de désir des yeux de son amant alors qu’il passait le bout de ses doigts sous la ceinture de son pantalon, faisant sauter, un à un dans un jeu lent, les quelques boutons qui le retenaient encore. Ben se redressa avec envie pour embrasser son torse, mais Nat posa une main ferme au centre de sa poitrine pour le faire retomber d’un coup sur le matelas.

– Nat…

Ben avait murmuré son nom dans une plainte brûlante qui ne fit qu’augmenter son excitation. Lentement, il descendit les doigts le long de sa peau, longeant le côté de son pantalon en le baissant à peine, avant de tomber sur le renflement de sa poche où il avait fourré un morceau de corde à la sortie du club et sur laquelle il se bloqua.

Brusquement, il se rassit, s’amusant de la forme gonflée sur laquelle il venait de retomber en faisant souffler son amant, et sortit l’objet de sa poche.

Ben plissa les yeux, méfiant, en voyant Nat absorbé par cette corde.

– Qu’est-ce que tu fous ? demanda-t-il en le regardant la dérouler avec un sourire prédateur.

– Je ne sais pas…

– Nat…

Le regard que celui-ci releva alors sur lui était empli d’un amusement si vif qu’il l’inquiéta. Il essaya de se redresser, mais son amant enfouit soudainement son nez dans le creux de son cou, respirant son odeur. Une langue douce lapa sa peau, juste sous le lobe de son oreille, le faisant soupirer.

– Tu es encore énervé par le club, fit-il remarquer.

Nathanaël rétorqua lentement :

– J’ai envie de t’avoir à ma merci.

Ben tiqua sur ces paroles, mais la bouche avide qui se posa sur la sienne ne lui laissa pas l’opportunité de rétorquer. Dans l’obscurité de la nuit, il se versa dans ce baiser qu’il savoura de tout son être. Nat pencha son visage en léchant la longueur de sa mâchoire.

– Tu m’excites…

À cause de la chaleur des mots, Ben s’abandonna aux mains qui descendaient le long de ses côtes, longeant sa peau avant de remonter en levant doucement ses bras au-dessus de sa tête. En se rendant compte de la position dans laquelle il venait d’être installé, il eut un temps d’arrêt, mais son esprit embrumé par le sommeil et le désir ne lui permit pas de réagir assez rapidement.

Vivement, une corde s’enroula autour de ses poignets.

D’un coup, Nat tira sur l’objet pour les nouer, et il termina son geste en accrochant la corde à la tête du lit dans un sourire conquérant.

– Qu’est-ce que tu fais ?

Nat serra juste très légèrement sa prise, le faisant siffler entre ses dents.

– J’aime que tu te donnes à moi, répondit-il simplement.

Avec inconfort, Ben tortilla ses poignets et pesta en constatant qu’il ne faisait que resserrer les liens qui l’entravaient.

– Putain, j’y crois pas…

Il porta son regard au-dessus de sa tête pour en chercher la faille, mais les baisers voraces qui saisirent cet instant pour attaquer son cou ne lui laissèrent pas le temps de s’y attarder. De tout son poids, Nathanaël s’allongea sur son corps tendu et lécha le creux de son oreille, y soufflant quelques insanités qui le firent soupirer d’envie. La position était désagréable, bien qu’excitante, et ses mains se tordirent sous leurs attaches dans une vaine tentative de les en dégager.

Ben adressa un regard prometteur de vengeances à Nat, ce qui ne suscita qu’un large sourire avant que son amant effleure ses lèvres, lui faisant tendre le cou pour attraper un baiser qui se déroba à lui.

– Allez…, se plaignit-il.

Volontairement, Nat recula son visage. Le feu des combats brûlait encore en lui et il s’amusait bien trop pour avoir envie de s’arrêter. Poussant le jeu un peu plus loin, il descendit frôler le torse de Ben, soufflant sur ses mamelons érigés, survolant sadiquement son ventre puis son membre durci avant de se relever en emportant avec lui le drap. Alors qu’il se reculait de quelques pas, il savoura la vision de son amant dont le contraste entre la position offerte et l’éclat fier et dangereux des yeux était d’un érotisme effrayant.

D’un geste de pieds, il chassa son pantalon tombé au sol et passa une main au milieu de ses cheveux, dans un geste qui lui fit trouver sans le vouloir la portion encore poisseuse de sang. Tant pis. Il adressa à Ben un regard amusé à ce sujet. Puis il revint se placer au-dessus de son corps, dressé sur ses genoux, et se plut à contempler l’envie qui consumait les yeux de son amant.

– Je te ferai me supplier, promit-il.

Ben ne lui répondit que d’un regard provocateur qui signifiait clairement « essaye seulement pour voir » et Nat s’échappa juste au dernier moment d’un coup de reins qui aurait pu mettre en contact leurs bassins. En voyant Ben reposer sa tête sur le matelas avec une grimace de frustration, il ne put se retenir de rire.

Le jeu lui plaisait.

Il se lécha les lèvres avec provocation puis descendit les mains sur son propre torse, caressant ses abdominaux avant de prendre son membre dressé, y apposant quelques mouvements de paume, paupières fermées sous le plaisir, qui arrachèrent un soupir de trop-plein d’envie à Ben.

– Je me vengerai.

L’expression de Ben était tant frustrée que tendrement râleuse. Nat se pencha pour lui susurrer les mots suivants à l’oreille :

– Alors, en attendant, je vais prendre tout mon temps pour te rendre dingue…

Dans la langueur du moment, il sentit son amant s’abandonner. D’envie, il lui lécha la mâchoire avant de capturer ses lèvres dans un long baiser, tendre et suave, qui lui fit oublier un instant le jeu auquel ils s’adonnaient. Lorsqu’il recula son visage, il prit le temps de détailler l’expression de Ben. Les bras lacés en haut du lit en une position lascive, les mèches brunes éparses autour de son visage et une rougeur bien tentante mettant en valeur sa bouche entrouverte, il lui offrait une image incroyablement désirable. Il descendit lentement le long de son torse glabre, à la pâleur rehaussée par la clarté nocturne et embrassa sa peau découverte, appuyant son front contre ses muscles sans pour autant lâcher du regard les yeux posés sur lui.

Quand il titilla de sa bouche les grains de chair sensibles de sa poitrine, les paupières de Ben se refermèrent, mais Nat voulait plus qu’un simple clignement des yeux. Il mordit alors juste un peu le téton fragile, satisfait de voir son amant se tordre dans un juron. La chair avait un peu rougi et il fit glisser sa langue dessus pour en calmer la brûlure, prenant le temps de suivre de la main ses abdominaux de son amant. Ben échappa un souffle d’envie. Nat poussa plus loin le jeu en naviguant cruellement autour de son membre durci et demandeur. Puis il posa juste son doigt sur le bout de son sexe, y dessinant de fins cercles avant de le relâcher tout aussi vite, suscitant un grognement qui lui plut particulièrement. Il lécha alors avec gourmandise son ventre tout en se délectant des halètements de Ben dont le membre avait été trop vite délaissé.

– Nat…

Ben venait de se tortiller en tirant sur ses liens et avait soupiré son nom d’une façon qu’il trouva délicieuse. Brusquement, il attrapa ses hanches offertes de ses deux mains, les tirant autant que l’attache serrée de la tête du lit lui permettait de le faire vers le bas, et ouvrit ses cuisses dans un geste peu délicat. Un bras passa sous l’un de ses genoux qu’il releva en s’allongeant sur son corps, grognant en faisant rouler leurs érections l’une contre l’autre.

– Tu veux que je te prenne tout de suite ?

Un regard noir bien que déjà troublé d’envie lui répondit, le faisant sourire alors qu’il renforçait l’impact de ses mots en un profond mouvement de reins :

– J’ai envie de te faire crier.

Un temps, Ben se laissa étourdir par la voix rauque de Mat. Puis il le défia :

– Parce que tu t’en crois capable ?

Le regard de Nat s’enfonça dans ses pupilles puis son contact s’évanouit. Ses poignets toujours retenus par la corde, Ben inclina son visage pour observer Nat, qui s’était accroupi sur un côté du lit pour rechercher quelque chose. Il profita de cet instant de répit pour examiner la corde entortillée au-dessus de sa tête. Les nœuds étaient solides et il jura entre ses dents en ne parvenant pas à trouver comment s’en détacher. Le bruit d’un tube dont le couvercle sauta attira son attention.

Avec un fin sourire, Nat venait d’ouvrir le lubrifiant et le laissa couler directement sur son sexe, le faisant sursauter à cause du contact froid. Le gel glissa le long de sa chair, s’immisçant progressivement un peu plus loin. Nat posa l’objet à côté d’eux puis se pencha pour l’embrasser tandis qu’il se saisissait d’une main habile de son sexe gonflé. Ben soupira de satisfaction dans sa bouche. Les premiers mouvements de paume le firent se tendre et il laissa son amant prendre possession de son cou alors que la main lubrifiée descendait plus bas encore entre ses jambes, frôlant une de ses fesses en la remontant vers lui.

D’un coup, il se tendit de tout son être tandis que deux doigts le pénétraient.
À cause de l’intrusion, il ne put totalement réprimer le gémissement d’inconfort qui franchit ses lèvres. Nat ressortit ses doigts pour caresser doucement l’entrée qu’il venait de profaner.

– Espèce de brute, râla-t-il, mais sa plainte était plus moqueuse que réellement fâchée.

Les mouvements circulaires qui suivirent ne lui permirent plus de continuer à parler. Il posa juste un regard gorgé de plaisir sur celui, joueur, de Nat, avant que ce dernier ne replonge en lui, aussi profondément qu’il le pût.

Tout en l’observant, Nat s’amusa à entrer et ressortir en des rythmes irréguliers, tournant à l’intérieur en étirant la chair. Le visage crispé de Ben témoignait du plaisir qu’il ressentait. À l’opposé de l’expression supérieure qu’il affichait si facilement, ses yeux s’étaient fermés sous ses caresses, sa bouche ouverte comme s’il cherchait à faire entrer davantage d’air dans ses poumons et son cou s’était tendu de côté dans un geste d’abandon… Nat appuya alors soudainement en plein sur sa prostate, lui faisant brusquement arquer le dos avant de geindre faiblement sous la pression des doigts qui s’enfonçaient juste au niveau de cet endroit.

– Nat…

Captivé, il l’observa perdre pied, sans pour autant s’en sentir rassasié. Il ajouta alors à la sensation de ses membres glissant à l’intérieur de lui celle de sa bouche le long de son sexe tendu. Des plaintes mal retenues et autres envolées sonores emplirent la pièce.

– Nat, je…

Tremblant, Ben peinait pour s’exprimer et Nat saisit cet instant de vertige pour joindre un troisième doigt à ceux le pénétrant déjà, le faisant planter les dents dans ses lèvres.

– Qu’est-ce que tu veux ? chuchota-t-il avant de caresser de sa langue son membre dur.

Un halètement lui répondit :

– Plus… Je veux…

– Dis-le, insista Nat en ressortant ses membres pour se contenter d’agacer l’entrée de son corps.

– Allez…

Ben leva des yeux humides au ciel et éclata d’un bref rire avant de râler franchement.

– Ce que tu me fais, là… je te le ferai payer au centuple.

Nat haussa un sourcil, amusé, puis réinséra d’un coup ses doigts en lui, le faisant se cambrer violemment.

– Allez, prends-moi, bon sang, souffla Ben dans une supplique. Arrête de jouer et baise-moi.

Dans un sourire, Nat frotta son visage contre sa peau avec tendresse.

– Je t’aime, tu sais ?

Un pur ronchonnement lui répondit, mais Nat attendit tranquillement la réaction de Ben. Ben laissa alors échapper un rire léger, comme s’il lui en voulait de le pousser à dire ces mots.

– M… ssi…

– Hein ? insista-t-il, hilare.

Ben râla nettement.

– Moi aussi je t’aime, abruti… et les représailles seront terribles.

En réponse, Nat sourit de toutes ses dents. Il se redressa et tira sur les hanches de Ben, tendant ses bras lacés au-dessus de sa tête avant de soulever un genou pour le poser sur son épaule et mordre avec envie dans la chair ferme. Puis il se positionna entre ses jambes. Durant quelques secondes, il prit le temps de savourer le contact de cette entrée ouverte contre son sexe durci.

Puis il poussa.

Longuement, son membre plongea dans le corps serré qui s’offrait à lui, ses yeux se fermant alors que Ben se cambrait sous l’intrusion. La formidable sensation de pression lui donna le vertige et il s’enfonça lentement, ne s’arrêtant qu’une fois sa chair entièrement entrée.

– J’aime te prendre.

Un léger sourire releva le coin de la bouche de Ben, les yeux déjà partis dans les limbes du plaisir et Nat releva les reins de son amant pour se reculer et se renfoncer plus loin encore à l’intérieur de lui.

Bientôt, tout ne fut plus que chaleur brûlante et, au fond de son esprit, les combats et ses besoins de violence, tout ce qu’il y avait en lui qui le faisait retourner toujours et encore au club, devinrent une brume lointaine, des souvenirs s’effaçant dans l’échange charnel, une image vaporeuse qui s’envolerait bientôt, recouverte de l’odeur de Ben, de la sensation fabuleuse de se mouvoir en lui et de cette complicité qu’il était tellement doux de partager. Il s’accrocha d’une ferme prise à ses hanches et posa son front contre le sien, y déposant quelques gouttes de sueur que la chaleur estivale comme l’acte auquel ils s’adonnaient avaient tirées, tandis qu’il continuait à entrer et ressortir de lui. Leurs bouches se goûtèrent suavement, leurs langues se mêlant dans une longue pénétration qui fit écho à celle qui embrasait leurs corps.

Fiévreux, Nat perdit un regard troublé dans celui maintenant embué de Ben, lui chuchotant à nouveau à quel point il aimait le prendre, puis il se retira brièvement en le regardant… avant de le retourner sur le ventre pour revenir s’enfouir profondément en lui.

– Oh merde, Nat…

– C’est trop bon de te baiser…

Ses mains avides se pressaient sur la taille de son compagnon et il se pencha sur sa nuque où quelques mèches étaient collées de sueur, en embrassant la peau devenue moite.

D’un mouvement tremblant, Ben s’appuya sur ses coudes, le front pressé entre ses bras pliés. De longs soupirs s’échappaient de sa bouche et il frémissait à chacun de ses à-coups.

« Ah… »

« Oh putain… »

Nat se recula pour entrer à nouveau en lui en un profond coup de reins, appuyant sur l’endroit si sensible du corps de Ben qui le fit souffler, grogner et marmonner des jurons non retenus. En voyant les prémices de la jouissance se manifester chez son amant, il glissa la main sous son ventre pour enrouler la main autour de son membre, le caressant vivement, majorant ses gémissements, mais fut gêné d’être privé de la vue sur son visage. Il tira alors brusquement sur l’attache le retenant à la tête de lit, la défaisant sans prêter attention au fait que les poignets de Ben étaient restés liés, et se retira de lui, le laissant retomber sur le matelas avant de le repousser sur le dos. Ses mains se glissèrent sous ses fesses.

– Accroche-toi à moi.

Puis il se releva en vacillant, poussant Ben à passer ses poignets au-dessus de sa tête pour s’agripper dans un ultime effort. Quelques pas titubants suivirent avant qu’il le plaque contre le mur le plus proche, enroulant ses cuisses autour de ses hanches pour se rengainer d’un coup en lui. Dans le plaisir, leurs voix s’étaient mêlées. Son regard plongea alors dans celui de Ben et il fut ébloui par l’image qu’il lui offrait, avec son visage étourdi penché en avant et les mèches humides de sueur qui s’échouaient sur son front.

Son corps était à bout et il n’eut besoin que de quelques mouvements supplémentaires pour parvenir à la délivrance, jouissant de voir celle de Ben se manifester, d’abord, avant de succomber à la sienne.

Un bruit sourd résonna tandis qu’ils s’effondraient sur le parquet. Nat avait accompagné la chute de Ben et le tenait maintenant entre ses bras, sa peau humide se collant contre la sienne.

En de longues respirations, tous deux reprirent leurs souffles.

Le voile de la fenêtre se souleva lentement, un vent léger venant caresser leurs peaux. Nat ouvrit le regard sur celui encore vitreux de son amant, et répondit d’un sourire à la lueur tendrement fâchée qui s’y était affichée. Son regard se posa enfin sur la peau de ses avant-bras.

Et il se rendit compte de l’état dans lequel il les avait mis.

Il grimaça de culpabilité.

Parce qu’il n’avait fait que le tirer et retourner au cours de leurs ébats, la corde s’était tendue à son maximum et n’était pas loin d’entrer dans la chair. Avec gêne, il détacha vivement les liens. Ben se massa douloureusement les poignets dès qu’il en eut la possibilité. De fines traces rouges et peu profondes étaient inscrites sur sa peau pâle et Nat se pencha, penaud, pour en baiser doucement les meurtrissures. Il y aurait des bleus.

– Désolé…

Ben lui lança un regard assassin avant de grogner distinctement.

– Tu peux le dire…

Mais il ne tint guère longtemps à ronchonner. Dans un sourire mordant, Ben posa les mains sur ses épaules et il le plaqua au sol.

– La prochaine fois, c’est moi qui t’attache.

– Sérieux ? s’étonna-t-il.

– Et je te montrerai ce que ça veut vraiment dire de « faire crier quelqu’un ».

– Vantard.

Nat ne cacha pas son amusement. Ben renchérit avec une expression supérieure.

– C’est ce qu’on verra.

Un dernier sourire tendre et joueur plana sur leurs lèvres puis Ben se redressa en pestant pour la forme.

– Ce coup-ci ce n’est plus discutable : on va se doucher.

Le ton autoritaire ne laissait aucune place à un éventuel refus. Nat tira seulement la langue en ébouriffant d’une main sa chevelure.

Alors qu’ils se dirigeaient vers la salle d’eau, il observa le corps qui le précédait et… sentit l’appétit le tenailler en songeant que les dernières paroles de Ben sonnaient comme une bien agréable proposition.