Mariée, oui mais avec qui ? (1)

Autrices : Hope Tiefenbrunner & Valéry K. Baran.

Genre : MF, livre dont vous êtes le héros, chick-lit.

Résumé : Rose et Marc ont eu le coup de foudre à Venise et ils vont se marier. Classique ? Disons que de la part d’une collectionneuse de sex-toys et de rencontres furtives dans les clubs libertins de Lyon, l’annonce a de quoi surprendre  !
Et si vous décidiez vous-même de la suite de cette histoire  ? Rose va-t-elle vraiment épouser le beau Marc  ? Succombera-t-elle au charme de Geoffroy, son ex ténébreux  ? Ou bien se laissera-t-elle séduire par Jérémy, son futur beau-frère particulièrement craquant  ? À vous de choisir.

Lien vers les différents chapitres

Chapitre 1Chapitre 2Chapitre 3Chapitre 4Chapitre 5

Roman original puisque c’est un roman dont vous êtes l’héroïne une chick-lit dans laquelle vous pouvez décider du destin de l’héroïne !, sorti aux éditions Harlequin.

Toute la première partie de ce roman(20%) est publiée ici, en accord avec l’éditeur, alors foncez ! C’est une histoire totalement fun, faite pour se marrer. Jouez à pousser Rose vers les choix de la raison ou à vous laisser tenter par les pires possibles !

L’annonce

Chapitre 1

Mardi

 

Dans la vie, on a beau déployer tous nos talents pour tenter de se persuader que tout va bien, que l’on ne fait pas n’importe quoi et que si, si, on maîtrise, il se trouve toujours quelqu’un en face de soi pour nous renvoyer le contraire en pleine tronche d’un simple regard. Et, pour le coup, des regards sidérés, j’en ai deux très beaux spécimens juste devant moi : deux paires d’yeux parfaitement ronds — enfin autant qu’ils puissent l’être quand leurs propriétaires ont du mal à les garder ouverts à la base. En l’occurrence, ce sont ceux de mes deux meilleures amies, avec qui je suis installée en terrasse. Félicie, alias ma Fée préférée, tortille son postérieur endolori sur sa chaise en sirotant son mojito, tandis que Joséphine, alias mon deuxième Ange gardien (oui, comme dans la série, c’est d’ailleurs ce qui a valu à Félicie son surnom : la Fée et l’Ange), lâche une aspirine effervescente dans le verre d’eau qui accompagne l’expresso qu’elle a commandé très serré dans l’espoir qu’il la ramène parmi les vivants. Quant à moi, je me dis que je n’ai vraiment pas choisi mon jour mais bon, si j’étais plus douée, ça se saurait, et on n’en serait peut-être pas là. Autant dire qu’on a beau être attablées à l’une des terrasses les plus chics de la place des Terreaux, au centre de Lyon, un lieu certes magique mais où le moindre café coûte un bras, on n’est probablement pas la clientèle la plus glorieuse dont le patron puisse rêver aujourd’hui.

Je les observe, en attendant leur verdict. Fée aspire désespérément son mojito avec des airs d’avoir au moins besoin de ça pour se remettre de sa nuit de débauche, et Jo regarde fixement son cachet se dissoudre dans l’eau comme si ça pouvait l’aider à réagir à mon annonce. Et pendant qu’elles digèrent, analysent, dessoûlent, ou les trois à la fois, j’allume ma cinquante-douzième cigarette depuis ma descente de l’avion, parce que toute aide, toxique ou non, est bonne à prendre pour affronter mon retour à la réalité. Quand je pense que je n’ai pratiquement rien fumé pendant ce séjour à Venise… Mais où es-tu passé, voyage idyllique ?

– Et donc c’est pour ça que tu as loupé la super soirée d’hier ? lance soudain Fée d’une voix rauque trahissant un mélange d’alcoolisation, de manque de sommeil et d’usure, à force d’avoir trop crié.

J’ai une petite idée de la nature des cris en question mais je préfère en préserver vos chastes oreilles.

– Oui.

Je tire une latte sur ma clope puis m’envoie une gorgée de mojito, ou l’inverse, je ne sais déjà plus très bien, et précise :

– On aurait dû rentrer samedi, normalement. Le séminaire s’est fini vendredi soir, après une semaine de…

Je cherche le terme. « Ennui profond » correspond bien à l’aspect professionnel mais « galipettes sous la couette » serait tout aussi véridique… Je laisse tomber et reprends :

– Bref, tous les autres sont revenus direct, mais nous on a décidé de rester deux jours de plus.

– À Venise ? insiste Fée, les yeux toujours écarquillés.

La pauvre, elle me fait tellement peur que j’envisage d’aller lui chercher du collyre : à ce rythme, elle risque la sécheresse oculaire. Elle tortille distraitement les mèches plus longues qui tombent devant ses oreilles. Fée est la seule fille que je connaisse qui se coupe les cheveux toute seule, ce qui m’impressionne d’autant plus qu’elle arbore une coupe à la garçonne à la fois spontanée et sophistiquée, du genre qu’on voit plutôt dans les vitrines des coiffeurs renommés. C’est aussi la seule qui assume une couleur bleue foncée parfaitement assortie à ses yeux, ce qui fait d’elle un bon point de repère dans les soirées.

Je hausse une épaule.

– Ben oui.

Venise… ou le dernier lieu auquel on penserait pour organiser un séminaire d’entreprise consacré à la « synergie et coopération des équipes », mais le premier pour succomber à un coup de foudre. Et pour succomber, on peut dire j’ai succombé. De toute la force de mon cœur, de toute mon âme de romantique, enfouie au fond de moi, qui a fini par en avoir assez des mecs interchangeables et des plans cul auxquels on s’adonne depuis l’IUT avec Jo et Fée. À croire qu’une relation plus conventionnelle me manquait ou que… je ne sais pas… Venise, le voyage, le fait d’être loin de Lyon, de ces soirées, de mon milieu, de mon quotidien… Là-bas, , dans ce cadre idyllique, avec ce parfait prince charmant, l’idée de me poser ne m’a soudain plus semblé si incongrue.

Bien sûr, cette histoire de mariage était peut-être un chouille too much, je le réalise maintenant, mais sur le coup, dans la folie du moment, ça paraissait tellement logique et naturel… Marc est fou d’amour et moi, folle tout court — même si ça, ce n’est pas une révélation. Tout ça pour dire que, sous le regard éberlué de mes deux copines, j’ai comme l’impression que le retour à la réalité va être rude.

Concentrée sur son verre, les sourcils froncés, Jo touille son aspirine qui n’a pas encore fini de se dissoudre tout en massant ses tempes avec le pouce et le majeur. La pauvre, elle a vraiment l’air d’être au trente-sixième dessous ! Il faut dire qu’on a toujours eu une relation très fusionnelle, toutes les deux, pour ne pas dire « particulière », et je comprends qu’elle ait du mal à encaisser.

– Attends, lance-t-elle enfin, en relevant les yeux vers moi. Tu veux bien nous réexpliquer l’affaire, là ? Parce que je crois que je n’ai rien compris.

Puis elle se penche en avant au dessus de la table avec sa plus belle expression d’incrédulité. J’acquiesce et reprends en articulant, très lentement, pour être bien sûre que ça pénètre dans leurs cervelles embrumées.

– Je me marie avec Marc, que j’ai rencontré à mon séminaire à Venise.

S’ensuit un silence de quelques secondes, rompu par Jo.

– Tu vas te marier ? Sérieusement ?

Elle dit cela avec cette intonation que j’ai toujours adorée, cette voix sexy et désabusée à la fois, à la Fanny Ardant, où je perçois néanmoins aujourd’hui en plus une nuance de sidération.

– Voilà.

Mais bon, j’ai beau faire la maligne, essayer de paraitre assurée, à l’intérieur de moi, tous les warnings clignotent frénétiquement. Je crois qu’en dépit de tous mes efforts, le mot « mariage » continue à déclencher mes alarmes internes, qui ne se sont d’ailleurs plus tues depuis le jour où je suis passée de « je m’envoie l’intervenant de ce séminaire chiant comme la mort : normal » à « oh mon Dieu, mais c’est en train de devenir sérieux : anormal ». Mais je refuse de me laisser abattre. Après tout, c’est une décision que j’ai prise : à moi de l’assumer et à Jo de l’accepter.

– Non mais… grimace cette dernière avant d’être interrompue par Fée.

– Non mais sérieusement !  Tu déconnes, Rose !

Puis elle absorbe son mojito à grandes goulées, comme un plongeur en apnée en manque d’oxygène.

– Tu ne peux pas te marier, c’est… c’est…

– Mais pourquoi pas ? je m’insurge. Je peux bien avoir envie de me poser, moi aussi, un jour ! Ce n’est pas un truc qui n’est réservé qu’aux… qu’aux… qu’aux…

On les appelle comment, au fait, déjà, les gens qui ne passent pas leurs soirées dans les sex-clubs à fricoter avec les mecs les plus craignos du coin, et qui peuvent envisager l’idée de se construire un avenir ?

– Non mais… Non non non, insiste Fée en balayant le reste de ma tirade d’une main. Il t’a fait quoi, ce mec ? Je veux dire… il t’a sautée, c’est ça ? C’est un super bon coup, il t’a fait voir Disneyland et la grande parade de Mickey avec ?

– Ben…

Sur le coup, je ne sais pas quoi répondre, parce que je n’ai pas d’explication et que si je réfléchis trop… Non, ne surtout pas faire ça. Alors je me venge sur ma cigarette, que je consume avec vigueur avant de l’écraser rageusement.

– Oui, bien sûr.

– Et après ?

– Et après, ben…

Je songe à mon père, et au fait que ce soit lui qui ait organisé ce fameux séminaire (oui, je travaille dans l’entreprise qu’il dirige). Forcément, il connait Marc. Pour une fois que je m’étais promis de jouer les employées modèles, je me suis envoyée en l’air avec le dernier type avec qui je l’aurais dû. Mais en même temps, j’ai craqué sur sa verve et son charme magnétique (ne vous moquez pas, je vous assure que l’expression est de rigueur)… Et puis je ne suis pas quelqu’un de bien sous tous rapports, ce n’est pas nouveau. Ma libido est ma meilleure copine comme ma pire ennemie, et elle a la fâcheuse tendance à toujours gagner la guerre contre ma raison.

– Eh bien, il est intelligent, il est beau, il est gentil, il est… (Je me penche en avant pour poursuivre, façon grandes confidences.) C’est un parfait gentleman !

Fée lève plus encore les yeux au ciel, comme si je venais de dire la dernière des conneries.

– Parce que tu aimes les gentlemen, maintenant ?

Je me rassieds au fond de ma chaise et sirote mon mojito.

– Et pourquoi pas ?

Jo et Fée arborent une moue dubitative en parfait miroir. J’hésite à sortir mon smartphone pour immortaliser l’image, décide de m’abstenir et reprends.

– Je veux dire, qu’est-ce que je fais de ma vie ? On va continuer combien de temps comme ça, les filles ? Eh, Jo, Fée, on a 29 ans ! Vingt-neuf ! (Je dis ça comme si on avait déjà un pied dans la tombe.) On va passer combien d’années, encore, à se coltiner les mecs les plus relous de la planète en passant de coup d’un soir en… euh… coup d’un soir ?

Bon, d’accord, la verve, ce n’est pas pour moi, aujourd’hui. Mais ce qui compte c’est que le message passe, et il me semble que c’est à peu près le cas.

Perdue dans ses pensées, Jo contemple ses ongles manucurés. Avec ses traits fins et sa longue chevelure blonde retenue en une queue-de-cheval haute, elle n’a rien perdu de ses airs de poupée slave qui mettaient tous les hommes à ses pieds à l’IUT. Lorsqu’elle reprend la parole, elle a toutefois plutôt l’air d’avoir avalé un chat, façon Jeanne Moreau shootée au whisky.

– Et il est comment ce mec ? Parce qu’à la limite (rire nerveux), que tu aies envie de te poser, je veux bien, mais (raclement de gorge) pourquoi avec lui ? Je veux dire, vous n’avez même pas eu le temps de vous connaitre. Il a quoi de particulier, celui-là ?

– Il est dingue…

C’est la seule réponse qui me vient. J’éclate de rire en repensant à son air de défi quand il m’a proposé le mariage pour me prouver qu’il n’était pas disposé à retourner à sa vie d’avant — et à me laisser retourner à la mienne.

– Il est dingue, et moi avec, et puis… je ne sais pas. C’est allé tellement vite…

– Justement ! rétorque Jo.

Bon, j’ai compris. Elle est jalouse, là.

– Et pourquoi pas ? Ça arrive dans la vraie vie.

– Parce que nous, on n’est pas dans la vraie vie ?

– Tu sais très bien ce que je veux dire, Jo !

Fée, qui a l’air d’avoir du mal à tout encaisser à la fois (les suites de sa soirée, ma déclaration, l’engueulade avec Jo…), lance des mains vers nous pour essayer de nous calmer. Je me cale à nouveau contre mon dossier.

À vrai dire, je ne suis pas tellement surprise de leur réaction. Enfin, surtout pour Jo. Fée, je savais qu’elle serait cool et que ça l’amuserait plus qu’autre chose, mais je me doutais bien que ce ne serait pas si simple avec Jo.

– Et vous êtes rentrés quand ? demande Fée.

– Cette nuit.

– Vous êtes complètement malades, dit Jo.

– Sûr.

Je peux difficilement prétendre le contraire. Pourtant, j’ai envie d’y croire, malgré tout : de prolonger la magie de ces journées vénitiennes.

Fée se tortille encore sur sa chaise et Jo avale sa dernière gorgée d’aspirine.

– Je ne peux pas rester assise, gémit Fée en se penchant sur le côté pour ne garder qu’une fesse en contact avec son siège dur.

Elle me fait pouffer.

– Mais vous n’êtes pas vraiment engagés, encore ? insiste Jo.

– Ben… On a quand même profité des derniers jours à l’hôtel pour demander nos extraits d’acte de naissance. Je dois le retrouver tout à l’heure pour passer à la mairie déposer les bans et fixer une date pour le mariage…

Alerte warning ! Oui, ça va vite. Oui ! Oui ! Je le sais !

À ce rythme, Jo et Fée vont bientôt avoir les yeux hors de leurs orbites. Je décide de ne pas m’arrêter pour autant. De toute façon, il va bien falloir que je parvienne à leur extorquer leurs pièces d’identité.

– Et je voudrais que vous soyez mes témoins.

– Quoi ?!

Elles ont crié en chœur. Encore un coup comme ça et les malheureuses s’étouffent avec leurs boissons.

– Mais… mais mais mais…

Fée ne semble plus capable de prononcer un mot et Jo a l’air proche de la syncope. Je décide de calmer le jeu, parce que bon, je me marie, OK, mais ce n’est pas la fin du monde, que je sache.

– Eh, les copines, je ne vous ai pas annoncé mon entrée dans les ordres, hein ?

– Non mais… intervient Fée en me regardant comme si j’étais Alice, revenue du Pays des merveilles, et que je venais de leur annoncer mon union imminente avec la chenille. Quand même ! Et il… il sait pour toi ? Je veux dire, tu lui as dit quoi, de toi ?

– Eh bien… (Ouch ! Elle a tapé juste, là.) L’essentiel.

Mais Jo me connait trop bien et capte tout de suite que quelque chose cloche. Maudite soit-elle. Elle insiste :

– Mais encore ?

– Que je suis la fille de mon père… Ils se connaissent, oui. Que je suis une employée modèle de l’entreprise et que je… fais de merveilleuses pipes ?

Je tente un sourire charmeur. Raté ! Jo et Fée me regardent comme si j’étais l’Ultime Désespérance à moi toute seule, majuscules comprises.

– Tu ne lui as rien dit, quoi.

– Ben…

– Il ne sait pas pour tes soirées, il ne sait pas pour tes conquêtes, il ne sait pas pour ta collection de sex-toys…

– Non, mais qu’est-ce que vous vouliez que je lui dise ? Que j’aime le sexe, ça, ça va, il a eu l’occasion de s’en apercevoir ! Et il ne s’en est pas plaint. Le reste… ma vie sexuelle dissolue, mes aventures ou mésaventures diverses… On était à Venise, c’était romantique à l’extrême… Ce n’était pas trop le lieu pour ce genre de confidences.

– Enfin sans vouloir faire la morale, ça m’aurait paru un minimum avant de te marier, insiste Jo.

Une fois de plus, je ne peux pas dire le contraire. Et c’est bien ce qui me dépite, mais bon : pourquoi serait-on obligé de dire toute la vérité, aussi ?

– En même temps, c’est sûr que ce n’est pas vendeur, s’amuse Fée avec sa légèreté habituelle et cette franchise qui font son charme.

– Peu importe, insiste Jo, tu ne peux pas… (Elle secoue la tête.) Je ne sais même pas par quoi commencer, Rose. Cette histoire, c’est juste du grand n’importe quoi. Tu pars en séminaire une semaine et tu reviens en nous disant que tu vas épouser un gars que tu connais à peine, ce qui, à mon avis, est déjà synonyme d’échec, alors en ajoutant à ça que tu ne lui as rien raconté de ta vie… Autrement dit, il ne te connait pas. Et je parie que tu n’en sais pas plus sur lui.

– C’est vrai, Jo, mais voilà, j’en ai envie. Ça fait longtemps que je me dis que j’ai passé l’âge des conneries, que je ne peux pas continuer comme ça indéfiniment…

– Mais tu ne peux pas…

– Si, je peux. Maintenant la question est de savoir si vous me suivez ou pas.

Le visage de Jo s’est fermé et je sais parfaitement qu’elle prend mon annonce comme une trahison. Fée bascule sur son autre fesse pour soulager la pression et finit son mojito.

– Moi, s’il y a des mecs, à boire et à manger, tu me connais je ne sais pas dire non.

– Fée, grogne Jo.

– Quoi ? Tu connais Rose ? Quand elle a une idée en tête, rien ne peut la faire changer d’avis. Je te rappelle que c’est la fille qui a réussi à se faire sauter dans une partouze gay, et contrairement à toi, sans essayer de se faire passer pour un mec !

Je pouffe parce que c’est Fée, parce que c’est vrai et que ça reste un moment épique et délirant. Et parce que c’est Fée, les lèvres de Jo esquissent un vague sourire.

– Il me faut de l’alcool, finalement.

Elle hèle le serveur pour commander un verre. Après une longue expiration, elle reporte son attention vers moi.

– De quoi as-tu besoin ?

Sa question m’enlève instantanément un poids des épaules.

– De vos pièces d’identité pour tout à l’heure, enfin, une copie. Et que vous ne disiez rien à Marc.

Mes sirènes internes retentissent toujours mais je fais ce qu’il faut pour les étouffer de toutes mes forces. Le visage de Jo se renfrogne et, avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit, je termine ma phrase en jetant un œil à mon smartphone.

– Et que vous vous teniez bien quand il arrivera. Dans moins de dix minutes.

– Rose, me sermonne Jo sans desserrer les dents.

Fée intervient, pragmatique :

– En gros, je peux dire que j’ai juste une horrible gueule de bois mais j’évite d’expliquer que mon vagin est un vaste champ de bataille ?

– Et moi, grogne Jo, quand il va me demander ce que je fais dans la vie, je lui réponds quoi ? Vendeuse de chaussures ?

– Il sait que tu travailles dans un sex-shop.

– Ah tiens ? Tu as été honnête sur ce point ?

Je m’insurge :

– Ce n’est pas parce que tu bosses dans ce genre de magasin que ça fait de toi une accro au sexe et une libertine !

– Sauf que c’est le cas !

– Je sais !

Ça m’agace qu’elle réagisse comme ça. J’ai juste envie qu’elles me suivent dans ce délire comme on l’a toujours fait. Et puis il y aura du cul et de l’alcool, comme dans tout bon mariage qui se respecte ! Enfin… je crois, non ?

Mais comme je m’apprête à leur répondre exactement ça, le serveur pose notre commande sur la table et Jo s’empare de son verre. Un bon tiers de son mojito disparait en une seule et longue gorgée. Fée et moi restons admiratives. Jo s’essuie les lèvres du revers de la main puis repose lourdement son verre.

Fée hoche la tête avec conviction et appelle le serveur à son tour.

– Un autre aussi !

Puis elle commente :

– Soigner le mal par le mal, il n’y a que ça de vrai ! Je devrais peut-être tenter le vibro pour les douleurs de mon cul, d’ailleurs.

Jo lève les yeux au ciel avec un petit sourire amusé et moi je réalise à quel point c’est mort pour que je continue à passer pour la fille bien sous tous rapports (même si ouverte sexuellement) auprès de Marc. Alcooliques, délurées et accros au sexe : par quel miracle va-t-il passer à côté de ça en les rencontrant ? Je grimace intérieurement, et probablement pas seulement, puisque Fée pose soudain sa main sur la mienne.

– T’inquiète, j’en profite tant qu’il n’est pas là.

Je sais que je devrais lui faire confiance… enfin j’espère, quoi !

– D’acc.

Je regarde mon paquet de clopes avec envie mais me dis qu’il faut que je me calme sur le goudron et le range dans mon sac.

– Tu sais qu’il faudra arrêter si tu veux faire des bébés avec monsieur, hein ?

Grands dieux, des bébés ?

– Ben quoi ? poursuit Fée. Je suis sûre que tu serais très bien en maman.

Je suis stupéfaite.

– Tu me vois… maman, mais pas mariée ?

– Ah ben ça…

Jo l’interrompt.

– Ce n’est pas tant le mariage en soi que le fait que tu t’engages avec un inconnu. Sans parler de la précipitation et du mensonge, bien sûr.

– Je n’ai pas menti !

Je sais très bien que Jo a raison mais je proteste par réflexe.

– Par omission, ce n’est pas vraiment mieux.

– Oh, lâche-la un peu, Jo. Après tout, nous ne sommes plus toutes jeunes. Tu ne l’entends pas, toi, ton horloge biologique qui fait tic tac, tic tac, tic tac ? lance Fée avec une expression diabolique.

– Non, ce que j’entends, c’est plutôt le marteau piqueur de ma cuite.

Tandis que Fée éclate de rire, je m’interroge. Serait-ce une envie inconsciente de mouflets qui m’aurait poussée à accepter la proposition de Marc ? Faire des enfants n’a jamais vraiment fait partie de mon plan de vie mais, à vrai dire, je n’ai jamais vraiment eu de plan de vie, alors… Je crois que là, réfléchir est ce qui peut m’arriver de pire : mon stress est monté en flèche et je ne suis pas sûre de pouvoir gérer si on continue dans cette voie.

– Eh bien moi, siffle Fée en relevant le menton, quitte à faire des bébés, je choisirai un bel apollon comme celui-là. Il est bandant.

Je me retourne et mon cœur se met à battre la chamade tandis que mon ventre se contracte délicieusement. Comme quoi, il y a quand même des éléments tangibles sur lesquels je peux me reposer pour apaiser mes craintes. Je me lève.

– Marc !

Le sourire qu’il m’offre aussitôt me fait fondre. Bon Dieu, je l’ai quitté il y a quelques heures seulement et je me sens devenir une vraie guimauve en le voyant. Je sais que ça me donne l’air d’avoir douze ans mais il est tellement beau et bien foutu et sexy et… bon, du calme.

Il avance jusqu’à notre table d’une démarche énergique tandis que je jauge d’un œil discret les réactions des filles : Jo l’observe attentivement et Fée est déjà en train de baver. Il faut dire qu’avec son mètre quatre-vingt-dix de sex appeal, son sourire enjôleur qui donne envie de boire sans réfléchir la la moindre de ses paroles, ses courts cheveux châtains et la plus jolie barbe de trois jours qui puisse exister après un weekend de sexe sous la couette (le nôtre qui plus est), il y a effectivement de quoi baver.

– Bonjour ! lance Marc quand il est à côté de nous.

Et puis il se penche vers moi et m’embrasse, et je jure que mes doigts de pieds se tordent et que mes ovaires explosent de joie anticipée.

– Salut, toi, souffle-t-il.

– Salut.

Je ne sais plus parler. Je lui souris. Je suis folle de lui, c’est clair et net. Mais je me reprends quand même pour faire les présentations. Il faut croire qu’il me reste un minimum de dignité.

– Marc : les filles. Fée, Jo : Marc.

– Enchanté, dit-il.

Il attrape une chaise libre à la table d’à côté et vient s’installer tout contre moi. Je ne manque pas le regard de Fée qui mate ouvertement son arrière-train, mais je ne peux pas lui en vouloir : au séminaire, chaque fois qu’il se tournait pour montrer un truc au rétroprojecteur, je fondais lentement en mode loukoum abandonné au soleil.

– Alors, pas trop choquées par l’annonce de Rose ? lance-t-il.

– Un peu, si, répond Fée.

– Complètement, approuve Jo.

Marc leur offre le sourire qui m’a fait dire qu’il finirait dans mon lit avant la fin du séminaire, et je vois que le charme opère. Good boy !

– Je comprends. Les amis à qui je l’ai annoncé ont eu l’air totalement choqué, mais en même temps, ils sont habitués à mes coups de tête. Et franchement, là… (Il se retourne vers moi, les yeux brillants.) C’est le plus beau coup de tête de ma vie.

Je souris, comme une cruche j’en suis certaine, mais je m’en fous. Je crois que je perds un neurone chaque fois que ce type m’adresse un regard. Il est tout ce que j’ai toujours voulu, que j’ai imaginé dans mes rêves les plus fous. Le prince charmant de Disney version rock’n roll. Je me retourne vers les filles. Fée me sourit.

– OK, il est très beau, dit-elle.

– J’espère que ce n’est pas que pour ça qu’elle m’épouse.

– En même temps, vous n’avez pas eu vraiment le temps d’aller tellement au-delà, non ?

– Jo !

Mais au lieu de se vexer, Marc éclate de rire.

– C’est exactement ce que m’a dit mon meilleur ami, Paul. Enfin dans l’idée.

– Il a accepté d’être témoin ? demande Fée.

– Oui, il m’a dit que j’étais timbré, qu’il voulait rencontrer Rose et je crois qu’après ça, il a commencé à organiser mon enterrement de vie de garçon.

Je vois une lueur de sadisme dans les yeux de Fée. Jo, elle, continue de détailler Marc, et je le trouve très à l’aise sous son regard.

– N’envisage même pas d’organiser quoi que ce soit, dis-je à l’attention de Fée. Et toi, arrête de le fixer comme s’il était le Diable incarné.

Jo détourne le regard vers moi et je ne sais pas trop quoi penser. Que mes amies soient perturbées par mon annonce subite, surtout quand on a été habituées, comme nous, à faire les quatre-cents coups, je peux le comprendre. Mais Jo a l’air d’avoir vraiment du mal à l’avaler. Notre échange se poursuit, et je suis consciente que la bière que commande Marc jure au milieu de tous nos verres vides de mojito parce qu’on a l’air de pochtronnes à côté de lui, mais je fais comme si de rien était.

– Alors, les filles, reprend-il finalement, je suppose que vous avez des questions.

Il se recule légèrement dans son siège.

– Je suis tout à vous.

– Au sens figuré ? demande Fée.

Le rire de Marc me rassure.

– Bien, commence Jo.

Elle fait craquer ses doigts, et je me dis que, si elle se lance dans un interrogatoire façon Gestapo, ça va être gai !

À cet instant-là, mon téléphone sonne — fort heureusement, me dis-je dans un premier temps. Ou pas, rectifié-je aussitôt après. Parce qu’il ne me faut qu’une seconde pour identifier la mélodie, que je ne connais que trop bien. Et le fait que cette mélodie se fasse entendre juste à ce moment-là, et que je sache précisément depuis combien de semaines (sept, exactement) ça ne s’était plus produit, me donne la sensation soudaine que certains éléments du destin s’entrechoquent dans le seul but de me faire tomber dans un trou noir.

J’observe Jo et Fée, qui savent aussi bien que moi qui appelle. Son nom est d’ailleurs écrit en gros sur l’écran : Geoffroy. Le type qui aurait pu être à la place de Marc s’il n’avait pas été aussi inaccessible et incapable de sentiments amoureux. Celui qui incarne avec la plus grande force le milieu que j’ai pris la décision de quitter. Celui dont j’aurais mille fois dû supprimer le numéro au lieu d’hésiter au moment d’appuyer sur la touche fatidique, parce qu’une partie de moi voulait encore et toujours croire que quelque chose était possible entre nous (ce qui est complètement débile et ridicule, que cela soit dit). Celui à qui je m’étais promis de cesser de répondre, pour prendre mes distances, décision à laquelle je m’étais d’ailleurs tenue, et lui aussi, ce qui m’avait laissé penser que ma décision était la bonne…

Il ne peut pas trouver pire moment pour refaire surface. Et c’est sûrement pour cette raison que je me sens totalement indécise, incapable de savoir si je dois décrocher ou non. La réponse devrait être évidente : c’est le moment où jamais de tourner définitivement la page « Geoffroy » ! Dans ma main, le vibreur me fait l’effet d’un quitte ou double : prendre ? Ne pas prendre ? Et merde, je suis une grande fille et je vais me marier. Je me lève brusquement et saisis mon smartphone en m’éloignant de quelques pas.

– Eh, Rose.

Un frisson me parcourt. Je me flanquerais des baffes. Sa voix ne devrait pas me faire un tel effet. Elle devrait m’énerver, plutôt, me mettre hors de moi.

Je jette un œil à Marc, assis plus loin avec Jo et Fée, et remarque que ces dernières semblent avoir commencé à lui poser des questions. Par réflexe, ma main plonge dans mon sac et en sort un briquet et une cigarette, que j’allume d’une main tremblante. Autant pour les bonnes résolutions.

– Ça fait longtemps, reprend Geoffroy.

– En effet.

Je ne sais pas ce que Geoff a fait durant ces deux derniers mois, parce que je n’ai pas voulu le savoir, et je ne m’en porte pas plus mal. Il a vécu sa vie, moi la mienne, et c’est exactement ce dont j’avais besoin : une pause. J’inspire une longue latte en tournant la tête vers Marc, qui me regarde.

– Tu es libre ce soir ? poursuit Geoff d’un ton curieusement mal assuré.

Je ne sais ce que je dois en penser. Pourquoi ce retour maintenant ?

– J’ai… dit-il avant de s’interrompre un instant, comme s’il était gêné. J’ai besoin de te voir.

– Je vais me marier.

C’est sorti d’un coup. Je dois calmer toute velléité de sa part de reprendre contact avec moi, parce que je sais très bien comment je réagis quand je le vois : je craque (« comme une merde », diraient les filles). Et c’est justement pour ça que j’avais besoin de prendre mes distances. Parce qu’à un moment donné, il faut cesser de craquer et avancer.

Il y a un blanc à l’autre bout de la ligne. Puis, au bout d’un moment qui me parait une éternité :

– Tu plaisantes ?

– Non.

Plus loin, mon futur mari continue de répondre à mes copines sans se formaliser. Au contraire, je le vois sourire et j’entends même l’éclat de rire de Fée. J’aimerais être aussi à l’aise que lui dans la vie. J’inspire une longue bouffée.

– Mais… Mais quand ? reprend Geoff.

– On passe tout à l’heure prendre rendez-vous à la mairie.

Mon Dieu, que ça va vite ! Et ça me parait encore plus absurde à cet instant, avec Geoffroy au bout du fil. En fait, je ne sais pas si je voudrais que ça se précipite encore plus, façon de me sauver de moi-même (et j’en ai besoin !), ou que ça s’arrête d’un coup, parce que je mesure à quel point je suis loin d’avoir tourné cette page de mon existence.

Après un nouveau silence, Geoff déclare :

– Non, c’est hors de question, tu… nous… Bon. J’arrive.

Et il raccroche.

Quoi ?

Je fixe l’écran de mon smartphone, en pleine hallucination. Je ne parviens pas à croire ce qu’il vient de dire. Ce n’est pas possible ! Comment ça, il arrive ? Mais non ! Je ne suis pas d’accord !

J’ai au moins atteint les tréfonds du Désespoir Ultime (toujours avec des majuscules) quand je reviens à notre table. Hé, ho, je vais me marier ! Geoffroy ne peut pas revenir maintenant ! C’est rigoureusement impossible. Marc m’observe, interrogatif, tandis que les filles ont l’air franchement soucieuses.

– C’était quoi ? me demande-t-il.

– Oh ! Mon père : il me file des jours de congé pour qu’on puisse préparer le mariage. C’est cool.

Jo et Fée me fixent avec inquiétude, teintée, pour la première, d’une pointe d’agacement. Je sais très bien ce qu’elle pense : non seulement elle n’a jamais pu supporter Geoffroy (je vous ai dit qu’elle était possessive comme pas deux ?), mais dans son esprit, je viens de grimper un nouveau palier dans le mensonge avec Marc. Enfin… j’ai quand même bien eu mon père au téléphone, et il m’a bien donné des jours de congé, mais c’était dans la matinée. Enfin bon, à la fois qu’est-ce qu’elle voulait que je dise ? Je ne sais déjà pas quoi penser de l’appel de Geoff, alors en parler… Tout ce que je sais, c’est que les doutes que j’avais sur ce mariage (oui, j’en avais quand même un peu) me semblent soudain beaucoup plus conséquents, et que je suis paumée. Du coup, le seul truc que je trouve à faire, c’est me pencher vers Marc pour l’embrasser, pour chercher dans la sensation de ses lèvres la confirmation que je ne fais pas une bêtise, et m’enivrer du contact de nos bouches. Quand nos visages se séparent, Fée nous observe, et je décèle dans son regard une lueur d’amusement :

– Et alors, vous avez vraiment couché ensemble dans une gondole ?

Heureusement qu’elle est là pour me faire rire. Ben oui, on a vraiment fait ça, une idée de Marc, qui ne plaisante pas quand il dit qu’il fonctionne aux coups de tête. Déjà, j’étais sciée qu’il parvienne à convaincre un gondolier de lui louer, même à prix d’or, son outil de travail, mais quand en plus il lui a emprunté son canotier pour me chanter la sérénade dans un italien approximatif, ça m’a complètement vrillé la tête : je lui ai sauté dessus dès qu’on s’est retrouvé dans un petit canal isolé.

Il esquive avec un rire charmant, puis se lève et pose la main sur ma taille pour me serrer contre lui. Me voilà donc avec la tête retournée, pleine de doutes, le cœur mi-exalté mi-souffrant, et un brasier s’allumant dans ma culotte. Ma vie est formidable.

– On y va ? me souffle-t-il.

– Ça marche. Les filles, vous me passez vos cartes d’identité, je vous les rends le plus vite possible.

Fée se penche vers son sac avec une grimace discrète.

– Tout va bien ? s’inquiète Marc.

– Ce n’est rien, j’ai repris l’aérobic hier. Après des mois sans faire de sport, je le sens passer.

Je la remercie silencieusement d’avoir mis tant de conviction dans sa voix. Même moi, je pourrais la croire, si je ne savais pas qu’elle était irrémédiablement allergique au sport et que… Bref, passons. Jo me tend ses papiers à son tour et je me promets de leur faire un super cadeau à toutes les deux. Des bises plus tard, je me pelotonne contre Marc, comme si sa présence pouvait me protéger de moi, mon inconstance et mes doutes.

Nous traversons la place des Terreaux en traçant directement par le parterre des petits jets d’eau : ils sont si légers que c’est à peine si quelques gouttes nous atteignent. Je suis en train de grimper dans sa voiture quand mon téléphone émet le son caractéristique signalant l’arrivée d’un nouveau message. Geoffroy, forcément. Mais pourquoi est-il revenu ? Il ne lâchera plus l’affaire, maintenant, et c’est pourtant tout, mais alors tout sauf le moment.

J’observe Marc qui s’installe au volant, sans savoir que penser. Peut-être devrais-je lui en parler, en fin de compte. Après tout, c’est vrai qu’il ne sait pas grand-chose de ma vie, et parler de ses ex, ça doit bien se faire entre futurs époux, non ? Mais je ne le sens pas et je ne saurais même pas comment mettre le sujet sur le tapis. Non. Je ne vais pas commencer à me reposer sur lui. Je vais gérer ça comme une grande.

Marc démarre la voiture et rejoint le trafic des quais de Saône, tandis que mon téléphone me semble pulser dans mes mains.

 

Alors ? Qu’est-ce que je fais pour ce SMS ?

2 thoughts to “Mariée, oui mais avec qui ? (1)”

  1. Qu’est ce que j’ai ri ! Ce trio de filles est super, leur verve tout autant.
    Le prétexte de cette histoire absolument incongru devient réaliste et on y croit, bravo, j’ai hâte de me procurer la suite !

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