Autrice : Valéry K. Baran.
Genres : M/F, sexualité de groupe.
Résumé : La première fois qu’elle a un rapport sexuel à trois, c’est sa première fois tout court, et elle songe déjà à quel point elle dévie de la normalité.
Sa propre normalité
La première fois qu’elle a un rapport sexuel à trois, c’est sa première fois tout court, et elle songe déjà à quel point elle dévie de la normalité. Elle se demande ce qu’en diraient Natacha et Stella, et surtout cette commère de Stéphanie, si elles savaient. Alors elle n’en parle pas et elle les laisse continuer à se lamenter sur son caractère effacé et à essayer à l’occasion de la « décoincer » en lui présentant divers garçons de son lycée. À chaque fois, elle se montre trop réservée pour laisser naître chez ces derniers le moindre espoir à son sujet, ce qui lui convient parfaitement. Elle a déjà Johan et, si elle préfère cacher sa relation avec lui de peur que les autres la salissent de leur curiosité, elle n’a besoin de personne d’autre pour se sentir heureuse.
La première fois qu’elle recommence, ils sont un de plus, et elle se rend compte qu’il s’agit déjà pour elle de sa propre normalité. Ils n’en ont jamais parlé auparavant avec Johan et ils ont eu raison de ne pas le faire. Pour lui comme elle, ça paraît juste simple, tout comme pour l’ami de Johan la fois précédente et ces deux-là maintenant. Aucun ne se pose d’ailleurs de questions et elle en fait autant. Elle est présente, elle a leur attention à tous, et leurs baisers sur le grain de sa peau suffisent amplement à lui engourdir l’esprit et à la faire se tendre vers chacun de leurs gestes. Certains penseraient, en la voyant ainsi, qu’elle est manipulée, qu’elle est trop jeune, qu’elle ne devrait pas se laisser traiter ainsi, mais elle ne trouve pas qu’elle « se laisse » ni même qu’elle est « traitée ». Et tous les qualificatifs que les gens ont tendance à attribuer aux filles comme elle ne lui semblent pas la concerner. Si elle reste silencieuse, ce n’est qu’un trait de sa personnalité et sa passivité ne vient que d’un manque d’habitude trop important pour lui permettre de prendre des initiatives. Mais elle se sent pourtant parfaitement à sa place, entre eux trois. Et puis, ils sont gentils ces garçons qui l’entourent. Leurs bouches sont chaudes et ils lui sourient, et leurs mains passent tendrement dans sa chevelure et ils lui disent qu’elle est belle, elle qui s’est toujours trouvée insipide, et ils s’intéressent tous à elle, elle qui s’est toujours cachée dans l’ombre des autres. Et lorsque c’est fini, ils recommencent à s’attrouper autour de la table basse pour décapsuler des bières et bavarder de tout sauf de ce qu’il vient de se passer, mais ils la traitent encore comme une reine. Quant aux baisers amoureux de Johan dans son cou, elle a le sentiment que rien de plus doux ne pourrait lui arriver en ce monde.
La première fois qu’elle entre dans un club échangiste, il y a déjà quelque temps qu’elle n’est plus avec Johan, et c’est un autre homme, Philippe, qui l’accompagne. Elle a pris l’habitude d’aller d’un bras à l’autre. Lorsque son histoire avec Johan se termine, elle se retrouve naturellement chez l’un des amis de celui-ci. D’abord. Puis d’autres se succèdent. Étienne la présente à Adrien, Adrien à Fabienne et, au gré de leurs soirées, à tous les habitués de l’appartement du 23 rue Montgallet. Puis d’autres résidences, d’autres cercles le remplacent. Philippe n’est, lui aussi, qu’un bras autour duquel elle enroule le sien pour une période limitée. Elle prend le temps de saluer la gérante et répond poliment aux quelques questions que celle-ci lui pose, mais remarque rapidement une femme allongée sur une table. Contre elle, se presse un groupe d’hommes, l’un au niveau de son visage, un autre fermement installé entre ses cuisses, et les suivants sont trop nombreux autour pour qu’elle puisse voir plus en détail la scène, mais elle se sent cependant jalouse de ne pas être à la place de cette femme. Elle n’a jamais eu de rapport en tête à tête avec Philippe ; elle n’en verrait d’ailleurs pas l’intérêt. Le temps passant, elle s’est tellement habituée à ne jamais s’offrir à moins de deux hommes différents qu’elle n’imagine pas un instant vivre autrement sa sexualité. Elle finit par se détourner, appuie ses avant-bras sur le comptoir du bar pour commander une boisson, et laisse Philippe se faire séduire par une belle quarantenaire. Elle-même scrute les invités l’entourant, en attendant. Bientôt, elle le sait, ce sera elle qui sera allongée sur le dos, un sexe dans sa bouche, un autre entre ses jambes et, si elle sait se montrer invitante, deux autres entre ses mains. Et elle oubliera très vite de s’amuser à compter tous ceux qui la désireront.
La première fois qu’elle revoit Johan après toutes ces années, c’est sur le pas de sa porte. Il n’a que légèrement changé. Ses traits ont mûri, l’angle de sa mâchoire est devenu plus prononcé, mais le charme qui se dégage de son sourire gêné lui apparaît plus adorable encore que dans ses souvenirs. Elle lui offre une bière et tous deux s’asseyent sur son canapé, elle ses jambes repliées sous elle comme elle le faisait souvent quand ils étaient lycéens, lui une main perdue dans les mèches rebelles qui bouclent sur son front.
Et ils parlent des années passées.
Ils racontent tout ce qu’ils sont devenus, les amis, la famille, le travail, et ne peuvent rapidement plus cesser d’être curieux l’un envers l’autre, mais n’abordent à aucun moment le chapitre de leur vie sexuelle. Curieusement. Ou non. Elle ne se pose que brièvement la question, incapable de savoir qu’en penser. Puis, lorsqu’un silence se fait finalement entre eux et se prolonge, rien ne lui semble plus naturel que de rester ainsi, à se regarder tous deux et à se sourire. Et lorsque Johan se penche lentement vers elle, elle ferme les yeux et s’avance imperceptiblement vers lui. Leur baiser est lent, si lent qu’elle ne pense plus à quoi que ce soit d’autre qu’à la sensation unique de sa bouche sur la sienne. Ses mains sur elle sont chaudes, les mouvements avec lesquels il fait descendre sa jupe merveilleusement doux, comme s’ils ne s’étaient jamais éloignés l’un de l’autre. Comme s’ils étaient restés tout le temps amoureux. Et son esprit est tellement plein de lui et de sa présence, et de ses baisers sur sa peau, et de son odeur, et du poids de son corps sur le sien, qu’elle ne réalise même pas quand sa bière se renverse au sol et se répand sur le tapis de son salon.
Seulement, après, lorsqu’ils sont tous deux allongés l’un sur l’autre, sa chemise à lui trempée par la bière déversée au sol, sa culotte à elle juchée sur le haut du dossier du canapé, elle songe qu’ils viennent d’avoir un rapport sexuel à deux seulement et que ça aussi, avec Johan, ça lui a finalement semblé complètement naturel.
Et que c’était la première fois.